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Réflexion sur les enjeux du Big-Data pour le SCM :
Cas de la grande distribution alimentaire au Maroc
Taoufik BENKARAACHE ; Ghizlane SALAM
Laboratoire de recherche en Intelligence Stratégique
Université Hassan II-Casablanca. Maroc
Résumé :
L’avènement du phénomène du Big-Data est en train de bouleverser plusieurs théories
économiques et courants de Management. La révolution des données à l’ère du numérique pousse
les décideurs et les chercheurs à de nouvelles questions et problématiques, liées à l’exploitation des
grandes masses de données et d’informations (Big-Data) produites par l’environnement, par les
acteurs économiques et par l’organisation elle-même.
Ce travail propose une réflexion sur le management de ces Big-Data et leur apport possible à
la performance de la Supply Chain (SC), dans un cadre d’Intelligence Économique (IE). L’objectif
est d’analyser leur intégration dans les systèmes d’IE en général, et les systèmes d’informations de
la SC en particulier. Sont-elles porteuses de nouvelles sources de compétitivité ? Ou de nouveaux
risques et menaces, en interne et en externe, pour la SC ?
Le cas de la grande distribution alimentaire au Maroc sera étudié à travers une enquête pour
mesurer le degré d’intégration des Big-Data dans le Supply Chain Management (SCM) et à quel(s)
niveaux de la SC. Sans oublier les contraintes liées au partage des données et à l’éthique. L’enquête
devrait également renseigner sur la perception des Big-Data par l’entreprise et le SCM, les freins à
son intégration et les apports possibles à la performance de la SC.
Mots clés : Supply Chain, Big Data, compétitivité, Intelligence Économique, management
participatif.
Introduction
Devant la variété et l’abondance des sources d’information, ainsi que la complexité du
traitement, de l’analyse et du partage de l’information décisionnelle dans un dispositif d’IE, la prise
de décision est devenue de plus en plus complexe (Monino & Benkaraache & Salam (2015); Salam
(2013); Robert(2007); Kislin & Bouaka (2002)). C’est le cas en particulier dans le SCM. Aujourd’hui,
la multiplication des données accélérée par la révolution numérique ((Riveline (2014) ; Mayer-
Schönberger (2014)), invite les décideurs à revoir et améliorer leur système de SC, en intégrant les
flux abondants d’informations qualifiés de Big-Data (données massives) dans leurs politiques et
stratégies. De nouveaux enjeux et défis sont alors posés pour les organisations. La maitrise et la
bonne intégration de ces grandes masses de données (structurées ou non) permettent aux acteurs
d’extraire de la connaissance décisionnelle et de se procurer un avantage compétitif (Assar (2013)),
tout en prenant en considération les questions de sécurité et de confidentialité des données. Les
nouveaux concepts tels que Croudfunding, Croudsourcing, Uberisation, Économie de partage,
Économie collaborative, etc…, sont des conséquences directes du phénomène Big-Data … Dans ce
sens et de manière plus générale, l’introduction de l’IE dans le management de la SC est très récente
et peu de travaux l’évoquent. Citons par exemple Delesse & Verna (2004) qui ont présenté un essai
en adoptant une approche croisée entre la logistique globale et l’Intelligence Économique et
Stratégique (IES). Ils ont tenté d’analyser les apports possibles de la pratique de l’IES, sous ses
deux aspects offensifs et défensifs, à la logistique globale. Notons aussi le travail original de
Roussat & Fabbe-Costes (2008) sur « le processus d’intelligence logistique» visant à anticiper les
évolutions environnementales à l’aide de la veille, de la surveillance ou de l’anticipation. Ces
approches n’abordent pas l’intégration de l’IE dans la SC dans sa globalité, ni même la récente
complexité induite par les données massives avec la révolution numérique.
C’est dans cette perspective que cette communication s’énonce : le management du Big-Data
dans le cadre de la SC, à l’aide du processus de l’IE, trouve alors sa légitimité. Une nouvelle
intelligence est à inventer. Aussi, sommes-nous invités à nous poser de nouvelles questions de
recherche afin d’évaluer l’impact du Big-Data sur la création de la connaissance et l’optimisation de
la performance d’une SC (Benkaraache, Salam & Monino (2015)).
À cet effet, le cas de la SC alimentaire fait partie des processus logistiques les plus
compliqués, notamment dans le cadre de la grande distribution. En particulier, la croissance et
l’évolution que connait la grande distribution alimentaire au Maroc a marqué le passage vers une
ère nouvelle où la société marocaine est entrain de se transformer en société de consommation, dont
les habitudes des consommateurs marocains se caractérisent de plus en plus par une recherche
croissante de diversité, de sécurité, d’hygiène et de qualité, la recherche de rapports qualité/prix
intéressant, etc… Face à ces nouvelles exigences, la SC se trouve au carrefour de nouvelles
interrogations et défis accélérés par les Big-Data. En particulier, les Grandes et Moyennes Surfaces
(GMS) se trouvent dans l’obligation de s’adapter et de réorienter leurs programmes vers des aspects
créateurs de plus de valeur, en intégrant la multitude des sources actuelles de l’information, sans
oublier la prolifération des technologies d’information et de communication disponibles et en
permanente amélioration (Monino & Sedkaoui (2013)).
Dans la première partie de ce travail, nous présentons les concepts clés, les défis et risques,
ainsi que les opportunités du Big-Data pour la SC. La deuxième partie traite brièvement le secteur
de la grande distribution alimentaire au Maroc, ainsi que ces nouveaux enjeux et perspectives à l’ère
du Big-Data. Enfin, la troisième et dernière partie présente les résultats d’une enquête sur la
perception et l’intégration des Big-Data sur le management et la performance de la SC dans la
grande distribution alimentaire au Maroc.
1) Enjeux du Big-Data pour le Supply Chain Management
1.1 L’Intégration du Big-Data au Supply Chain Management
La révolution Big-Data a ouvert de nouveaux canaux et sources d’information pour les acteurs
de la SC. Ces informations sont souvent produites par toutes les parties prenantes dans la SC
(acteurs de la chaine, fournisseurs, clients, consommateurs, concurrents, …), publiées directement
dans les rapports et sites, ou indirectement via des échanges informationnels privés, publiques ou
sur supports électroniques et réseaux (réseaux sociaux, blog, forums, …). Ces données peuvent
prendre des formes variées (vidéo, texte, image, son), sont souvent semi-structurées voire non
structurées, issues de sources internes ou produites et stockées par l’Entreprise (les emails, les
documents, les bases de données, tous les historiques de processus métiers…), mais aussi de bases
de données externes (publiques ou centrales de données), de flux informationnels des réseaux
sociaux, des historiques de navigation et de recherche, des données (géolocalisées ou non),
transmises par les terminaux connectés (ordinateurs, téléphones, Smartphones, systèmes GPS …).
L’hétérogénéité du Big-Data engendre une grande complexité dans son analyse et son exploitation.
En effet, les différentes dimensions du Big-Data déjà évoquées précédemment se retrouvent
pleinement dans le domaine de la SC :
- D’abord le volume de données important issu des nombreux systèmes d’information de la
SC et des applications transactionnelles (gestion des stocks, suivi des ventes).
- Ensuite la vélocité des données, qui se traduit par la rapidité dans l’action des Supply Chain
Managers pour tenir leurs engagements et être capables de se corriger en temps réel.
- Il y a aussi la dimension de la variété et de l’hétérogénéité des données structurées qui
peuvent provenir des ERP de la SC, mais aussi celles non structurées du Web, des points de
vente,... Ces données doivent-être conjointement analysées et partagées pour augmenter
l’intelligence de la SC.
- Si la véracité des données structurées internes de la SC est évidente car déjà triées et passées
dans les filtres du datawerhouse, les données externes non structurées nécessiteraient un
traitement et un « nettoyage » afin d’accéder à un niveau acceptable de véracité.
- Enfin, les données externes non structurées de la SC viendront augmenter la valeur ajoutée
des données internes, surtout en matière de performance, de connaissance client, d’image et
de transparence. Nous parlons du knowledge management.
La question que nous nous posons alors est la suivante : Qu’apporte l’intégration de toutes ces
masses de données disponibles au système décisionnel et organisationnel d’une SC ?
1.2 Les apports des Big-Data à la SC dans une optique d’intelligence économique (IE)
L’objectif de l’exploitation du Big-Data est le même que celui de l’IE : aller au-delà de
l’analyse des données classiques issues de l’ERP qui représente un « goulot d’étranglement »
Conçu pour délivrer l'ordre, l'expédition et les données transactionnelles, ces systèmes ne sont pas
capable d'évoluer pour relever les défis des Big Data et intégrer toutes les informations externes
issues de sources variées. Toute information susceptible de constituer un signal faible aux réseaux
des fournisseurs peut aider à développer une « intelligence contextuelle » (Marr (2016)) partagée
entre les chaînes d'approvisionnement et conduisant à plus de précision et de clarté.
Le secteur de la distribution est parmi les secteurs précurseurs dans les données massives
(avec le secteur des TIC). En effet, le Big-Data et son analyse (Big Data Mining, HAMEL &
MARGUERITE (2013)) aide dans l’élaboration de nouveaux systèmes intelligents basés sur l’analyse
prédictive. Les données massives peuvent aider également le SCM à prévoir les points de rupture, à
améliorer la gestion du risque fournisseur, recalculer rapidement le réapprovisionnement et revoir
les prévisions commerciales.
Sur le plan du capital humain de la chaine, la prise en compte des informations produites et
échangées par le personnel peut s’avérer déterminant dans l’amélioration des conditions de travail
et la détection des anomalies. Ces informations souvent non structurées peuvent renseigner sur les
comportements futurs des divers maillons de la chaine et prévoir ainsi des systèmes correctifs. Par
ailleurs, l’image de marque et la réputation de l’organisation sont devenues actuellement des
éléments importants du patrimoine immatériel. Sa protection et son développement sont des
objectifs cruciaux à prendre en compte. Les acteurs de la SC doivent prendre en considération ce
genre de flux informationnels pour anticiper les problèmes d’image de marque et de réputation et
éviter les crises médiatiques et les attaques des concurrents sur ce volet.
Dans le même registre, et toujours dans une optique d’IE, la sécurité et la confidentialité des
données sont également des questions légitimes à l’ère du Big-Data. Le stockage, le transfert et le
partage des données peuvent engendrer non seulement des contraintes techniques liées à la sécurité
physique et juridique des données, mais aussi des questions de confiance et d’éthique. La
confidentialité des données est plus que jamais au centre des débats autour de la gouvernance des
Big-Data (Ouellet & Mondoux 2014). Cependant, ces questions ne doivent pas être perçues comme
des causes de blocage ou contraintes à l’innovation et au gain en performance, mais plutôt des
facteurs d’aide aux acteurs de la chaine à l’amélioration du contrôle de l'accès aux données et à
assurer la conformité aux réglementations en vigueur, en matière de sécurité et de confidentialité,
réduisant ainsi les risques pesant sur les données sensibles. Le SCM gagnerait alors en transparence
et en confiance vis-à-vis des clients et des acteurs impliqués. Il devrait suivre de près les nouveaux
comportements et les nouvelles pratiques sans en ralentir la nécessaire évolution, pour pouvoir
pleinement profiter des développements technologiques.
Finalement, notons également que les solutions analytiques pour le Big-Data sont une
extension de la Business intelligence (BI) et du data mining qui reposent sur un niveau de maturité
technologique assez élevé, ce qui n’est pas le cas de tous les acteurs de la SC (Calais (2014)). Pour le
Big-Data, on doit adapter le système d’information pour augmenter la valeur des données externes.
Ceci nécessite un investissement non négligeable et des choix stratégiques dans les sphères de la
SC, avec un changement de paradigme, en mettant les données analytiques au cœur du processus
décisionnel.
2) La grande distribution alimentaire au Maroc : situation actuelle et avenir du secteur à
l’ère du Big-Data
2.1 La grande distribution alimentaire au Maroc en chiffres
La grande distribution au Maroc est à dominante alimentaire et enregistre un chiffre d’affaires
annuel moyen compris entre 1,5 et 1,9 Md EUR. Les GMS ont connu une croissance annuelle
moyenne de 15 % durant ces 5 dernières années et de 600 % en 10 ans. Elles représentent 12 % des
parts de marché, contre 88 % pour le commerce traditionnel. Le nombre d’hypermarchés et de
supermarchés à prédominance alimentaire s’élève à plus de 250
1
.
Ce dynamisme a été fortement soutenu par les pouvoirs publics, notamment le Ministère de
l’industrie, du Commerce, de l’Investissement et de l’Économie Numérique, à travers le lancement
de stratégies nationales telles que la stratégie RAWAJ
2
de développement du commerce et de la
distribution, qui consiste à mettre des mesures d’accompagnement pour faire du commerce et de la
distribution à l’horizon 2020, un secteur performant au service de tous les consommateurs. À
travers ce plan, le gouvernement encourage la promotion du commerce en réseau et la
modernisation du tissu commercial. La surface dédiée aux GMS a plus que doublé depuis 2008.
Aujourd’hui, cinq enseignes dominent la grande distribution alimentaire. Commençons par
Marjane et Acima qui représentent 65 % de part de marché (groupe SNI), suivis par les
hypermarchés Carrefour et supermarchés Carrefour Market avec 28% de part de marché (groupe
Hyper SA), et Aswak Assalam avec 8 % de part de marché (groupe Ynna Holding). Par ailleurs,
l’enseigne du Hard Discount turque BIM, implantée au Maroc depuis 2009, dispose aujourd’hui de
100 magasins. La répartition spatiale des points de vente montre que l’axe Casablanca-Rabat
concentre plus de 53 % du total des points de vente. Le chiffre d’affaires de ces enseignes connaît
une croissance régulière, ce qui démontre que les clients ne se sont pas seulement adaptés à cette
offre, mais l’ont également soutenue.
2.2 Quelles perspectives ?
Le plan Rawaj table sur plusieurs réalisations. Il prévoit à l’horizon 2020 l’amélioration de la
SC (fournisseur, distributeur, détaillant), le développement de plateformes logistiques et la
modernisation du commerce de proximité (labellisation, centrales d’achats, réseautage des
commerçants…). Aussi, le Projet vise la création de 600 grandes surfaces, dont 50 hypermarchés, la
création de 15 grands centres commerciaux pouvant abriter jusque 3 000 magasins de franchise et
de commerce moderne, et enfin la création de 15 outlets. À l’instar de ces objectifs, la part du
commerce intérieur dans le PIB national devrait passer de 10 % actuellement, à 15 % en 2020. Il
devrait par ailleurs porter la croissance du secteur à 8 % annuellement.
Le secteur de la grande distribution au Maroc, à l’instar des autres économies, cherche à
améliorer l’expertise en échange de données informatisées (EDI), la traçabilité, la SC, la formation,
l’expertise en logistique et plateformes achat, ainsi que les produits alimentaires (marques de
distributeurs). Dans ce cadre, et depuis son avènement, la grande distribution a permis d’introduire
des notions qui étaient jusque là inconnues ou peu pratiquées : le juste à temps dans les livraisons,
1
http://www.conjoncture.info
2
http://www.mcinet.gov.ma/Pages/default.aspx
la diversification des produits, mais aussi la mise en place de la chaîne du froid, indispensable aux
produits frais périssables. L’adaptation du secteur à la société et à la révolution numérique et
technologique invite les entreprises à de nouveaux défis : la prise en compte dans le management et
le système décisionnel des nouvelles formes de données et d’information et leur valorisation. La SC
alimentaire se trouve au centre de ce défi informationnel, et est appelée désormais à gérer
intelligemment ces grandes masses de données pour garantir sa pérennité sur le marché.
Dans ce sens, les enseignes de la grande distribution alimentaire doivent disposer
actuellement, plus qu’avant, au moment opportun des informations utiles pour le pilotage des
activités de leur SC et pour la prise de décision. Il leur faut donc collecter, trier, analyser et traiter,
puis diffuser un certain nombre d’informations pour des fins décisionnels, et ce dans des délais de
plus en plus réduits. À cet effet, depuis les années 80, un ensemble d’outils et de technologies ont
été déployés dans ce sens, au fur et à mesure de l’essor de la logistique globale et de l’émergence de
la SC. Bayraktar et al. (2009) ont proposé une classification de ces solutions et systèmes intégrés
pour les données transactionnelles selon trois grandes familles :
- Les progiciels de gestion intégrés (ERP), s’appuyant sur une base de données
transactionnelles des différentes fonctions de gestion de l’entreprise.
- Les systèmes d’information décisionnels, permettant, grâce à des programmes et méthodes
de recherche opérationnelle, d’optimiser la performance de la SC : Supply Chain Planning,
les logiciels de Supply Chain Execution (SCE), les outils de gestion de la relation client
(CRM), les outils de gestion de la relation fournisseur (SRM) (Lambert (2004), Chopra &
Meindl (2007)).
- Les outils de partage de l’information, visant à activer la diffusion et le partage de
l’information avec les acteurs de la SC (codes à barres, étiquettes radiofréquence,
vignettes,…) : EDI, les outils de commerces électroniques (e-business).
Aujourd’hui, face aux Big-Data, ces outils et solutions informatiques sont devenus dépassés.
Tels sont définis comme la croissance rapide des données disponibles, en Volume, Variété et
Vitesse d’accès (les 3V définis par Gartner en 2011), en plus de la véracité (actuellement on parle
des 4V du Big-Data), les Big-Data échappent désormais à l’intelligence de la SC classique. Dans
ces situations, quelle est la perception des Big-Data par les enseignes de la grande distribution au
Maroc ? Quels sont les freins à leur intégration et leurs apports possibles à la performance de la
SC ?
3) Enquête sur l’intégration du Big-Data dans le SCM : cas du secteur de la grande
distribution alimentaire au Maroc
L’avènement des Big-Data dans le monde de l’Entreprise a été déjà étudié à travers plusieurs
enquêtes. Notons, à titre d’exemple, l’enquête d’Ernest & Young
3
(2014) sur le Big-Data dans les
entreprises françaises. Qu’en est-il pour le Maroc ?
3.1 L’environnement du Big-Data au Maroc
L’émergence des Big-Data dans l’environnement économique marocain commence à prendre
de l’ampleur avec plusieurs actions publiques et privées. Tout d’abord, le Haut-commissariat au
plan (HCP), l’institution officielle chargée des statistiques, est en train d’adapter ses statistiques aux
mutations technologiques à travers une étude sur les Big-Data à l’horizon 2020. D’autre part,
plusieurs multinationales (IBM, ATOS, SAS, Microsoft) se sont associées aux universités
marocaines à travers des partenariats public/privé pour accompagner les formations sur les Big-
Data. De son côté, la confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) a initié depuis 2015
un cycle de rencontres sur le Big-Data, ses enjeux scientifiques et sociétaux, ainsi que les
opportunités économiques qu’il fournit. C’est dire que, malgré l’absence d’enquêtes sectorielles sur
l’intégration des Big-Data au Maroc, la prise de conscience sur ce concept et celui de la « data
science » est là. Des secteurs « grands consommateurs de technologie » ont certainement une
longueur d’avance dans ce secteur stratégique. Les entreprises Telecom, les banques, les assurances
ou encore les start-up à l’international semblent profiter du transfert du savoir des « entreprises
mères » occidentales en matière de Data.
Nous abordons dans la suite la situation du secteur de la grande distribution au Maroc. Nous
présentons une enquête que nous avons réalisée en Janvier 2016 sur la perception et l’intégration
des Big-Data dans le management de la grande distribution alimentaire au Maroc, et plus
particulièrement dans le SCM.
3.2 Méthodologie et objectifs de l’enquête
La méthodologie adoptée dans cette étude est celle de l’enquête par questionnaire destiné à
toutes les enseignes de la grande distribution alimentaire au Maroc. Nous avons essayé de toucher
chaque enseigne à travers les réponses de plusieurs de ses responsables ayant des responsabilités
différentes: direction générale, Logistique et SC, Système d’information ou encore commerciale-
Marketing. Notre objectif est de croiser les regards sur les Big-Data au sein d’une même enseigne
d’abord, avant d’évaluer le secteur globalement. Le questionnaire de l’enquête est composé de trois
grandes rubriques :
- La perception des Big-Data par le répondant ;
3
Ernest & Young, Enquête sur les Big-Data dans les entreprises françaises : quelle maturité dans l’exploration des données clients? 2014.
- L’intégration des Big-Data dans l’Entreprise ;
- L’intégration des Big-data dans le SCM.
La réponse aux questions composant chaque rubrique renvoie une note de 0 à 5 (0=pas du tout
d’accord,…, 5= tout à fait d’accord) concernant différents aspects des rubriques citées. Le
questionnaire de l’enquête est présenté en Annexe.
3.3 Résultats et enseignements
a) Perception des Big-Data par les responsables
L’enquête révèle que le concept « Big-Data » n’est pas très familier dans le secteur de la
grande distribution alimentaire au Maroc. Environ 58% des répondants ont noté leur degré de
connaissance Big-Data se limite à 1 sur une échelle de 5. Alors que les 42% restant ont un degré de
connaissance ne dépassant pas 3 sur 5.
Nous avons ensuite essayé de « décortiquer » le concept à travers plusieurs questions
complémentaires afin d’évaluer les différentes compréhensions possibles des Big-Data par les
responsables du secteur : même si la majorité des répondants comprennent que les Big-Data
dépassent le circuit classique des données transactionnelles (70% des répondants), la moyenne la
plus élevée a été observée au niveau de la perception des Big-Data comme étant des données non
structurées (3,89 sur 5), suivi par la diversité des contenus des données (3,67 sur 5). Alors que la
vitesse avec laquelle les données sont produites (le temps réel ou quasi-réel) ne semble pas être
retenue comme une caractéristique majeure des Big-Data (1,33 sur 5).
b) Intégration des Big-Data dans l’entreprise et dans le SCM
La pratique de veille est courante dans le secteur de la grande distribution alimentaire comme
le révèle l’enquête. En effet, à la question « votre entreprise dispose d’un service de veille », la
moyenne des notes obtenues est de 4,75 sur 5, suivi de « Votre entreprise collecte les données-texte
non structurées (avis, réclamations, discussions sur les réseaux, articles de presse, …) » avec une
moyenne de 4,44. Les données issues de la géolocalisation sont aussi souvent prises en compte,
comme en témoigne le score de 3,5 (sur 5), pour les questions « Vous collectez et exploitez des
informations sur les trajets passés des livraisons » et « Vous collectez les informations sur
l’évolution des livraisons aux clients ». Les répondants déclarent ensuite que leur entreprise ne se
sent pas concernée par les enjeux de la vie privée et des données personnelles des clients (moyenne
de 0,78). Ce qui montre probablement un manque de maturité des opérateurs vis-à-vis de l’éthique
des données personnelles. Ceci est dû essentiellement au manque de sensibilisation et de formation
sur les réglementations en vigueur concernant les enjeux et risques informationnels de manière
générale dans le milieu des affaires, et plus particulièrement la confidentialité des données privées.
Par ailleurs, le volet de l’enquête portant sur l’intégration des Big-Data dans le SCM est
porteur d’enseignements intéressants. Tout d’abord, le SCM ne semble guère profiter des données
et informations des réseaux sociaux sur les produits, les services, les concurrents, les
consommateurs… (Moyenne des notes est la plus faible : 0,78 sur 5). Nous pouvons expliquer cela,
malgré que la pratique de veille dans le secteur semble courante, probablement par un manque de
veilleurs spécialisés dans les veilles pointues, telles que la veille internet, veille sociétale, … Notons
que la culture des réseaux sociaux est très présente au Maroc, principalement Facebook (plus de 10
millions de marocains sont sur Facebook, soit le tiers de la population). Ensuite, malgré que les
partenaires de la SC soient conscients de l’importance du partage de leurs données et informations
(3,44), on signale la note faible concernant le partage électronique régulier d’information sur la
chaîne logistique d’approvisionnement avec les fournisseurs et les clients (1,33). Ce constat est à
mettre en lien avec ce qui a été avancé ci-dessus, concernant le problème de confiance et de
confidentialité des données.
L’intégration et l’exploitation des Big-Data dans le secteur de la grande distribution sont
freinées par le manque de compétences en Data Science, comme en témoignent les réponses à la
question « Vous Disposez d’outils/process/compétences pour fiabiliser, analyse et exploiter toutes
les données de la SC ». Le score observé est de 1,75 sur 5. Ceci est à mettre en lien avec les
initiatives énoncées précédemment dans la section (3.1) sur le développement des formations en
Big-Data et Data Science au Maroc, afin de préparer justement des ressources humaines capables de
piloter les projets du Big-Data.
Conclusion
Nous avons essayé dans cet article de montrer l’importance de la prise en compte du Big-Data
dans l’intelligence de la SC. Plusieurs défis ont été présentés, posés par l’émergence des données
massives : le défi technologique, le défi humain et surtout le défi du management. L’objectif
recherché est l’augmentation de la performance d’une SC, malgré que cette dernière a été
longuement étudiée et optimisée. Actuellement, par un apprentissage de nouveau genre, basé sur la
collecte et l’exploitation de grandes masses de données, souvent non structurées, la SC peut
augmenter sa performance et ses connaissances sur son environnement et l’ensemble de ses
opérations, et par suite de renforcer sa réactivité, sa cohérence, sa transparence et sa flexibilité.
L’enquête de terrain menée sur le secteur de la grande distribution au Maroc a permis d’évaluer la
perception du Big-Data et de constater sa faible intégration à cause de plusieurs facteurs comme la
non maturité de certains types de veilles, les problèmes de confiance et de confidentialité des
données personnelles, ou encore le manque de compétences en Data science. La réussite d’un projet
d’implémentation d’un projet de Big-Data passe certainement par la maitrise des facteurs cités, mais
aussi à la capacité de l’entreprise à orienter son management vers un management participatif et
collaboratif, mettant au centre son capital informationnel.
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