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Les stratégies d’adresse en finnois : comparaison entre deux types de corpus oraux
institutionnels
Eva HAVU, Johanna ISOSÄVI et Hanna LAPPALAINEN
Université de Helsinki
1. Introduction
On trouve en finnois deux pronoms d’adresse de la 2e personne (singulier et pluriel), ainsi que des
formes nominales d’adresse (FNA), comme en français. Pourtant, les deux systèmes sont très
différents en ce qui concerne l’emploi de ces formes : en finnois, le tutoiement est largement
généralisé, mais dans bien des situations, il est concurrencé par des formes impersonnelles. Le
vouvoiement et l’utilisation des FNA sont rares, bien qu’ayant leur propre fonction. Nous ne pouvons
donc pas comparer les deux systèmes d’adresse directement, sans connaître les stratégies d’adresse en
finnois.
Nous examinerons ces stratégies dans deux types de corpus oraux institutionnels : a)
interactions médiatiques (télévision) et b) interactions dans des commerces et services. Dans le corpus
b) nous distinguerons quatre types de situations : les interactions dans des agences de la sécurité
sociale, les interactions dans des centres médicaux, les interactions chez un photographe et les
interactions dans des petits commerces R-kioski.1 Si le corpus a) représente assez bien le finnois
standard oral, les corpus b) ont été enregistrés dans différentes régions de Finlande et les locuteurs y
parlent souvent un finnois assez marqué par le dialecte local. Il existe très peu de recherches sur les
variations régionales et/ou dialectales de l’adresse qui se fondent sur des corpus authentiques : ce
travail montrera s’il existe de telles variations et où elles se situent.
Pour faciliter la lecture de ce texte aux personnes qui ne sont pas initiées à la langue finnoise
et à la culture finlandaise, nous commencerons par une brève présentation des stratégies d’adresse en
finnois, pour aborder ensuite leur fonctionnement dans les corpus oraux examinés.
1.1. L’adresse en finnois
En finnois, comme dans bien d’autres langues européennes, le tutoiement est la forme primitive
utilisée pour s’adresser la parole. La domination suédoise – la Finlande a appartenu à la Suède
jusqu’en 1809 – a fortement influencé les stratégies d’adresse en finnois : d’après le modèle suédois, le
vouvoiement a commencé à se répandre en Finlande à partir du Moyen Àge (Korhonen 1996 : 30-31 ;
Larjavaara 1999 : 8 ; Paunonen 2010 ; Yli-Vakkuri 1989a : 61 sqq.), donc plus tard que par exemple
dans le protoroman où le vouvoiement s’était petit à petit généralisé dès le IVe siècle.
En Finlande, le vouvoiement gagna du terrain surtout dans l’Ouest du pays, donc dans les
régions les plus influencées par la Suède, tandis qu’à l’Est, le tutoiement resta courant. Larjavaara
(1999 : 8) mentionne une enquête effectuée dans les années 1990, selon laquelle les habitants d’une
commune située à l’Est se seraient mis d’accord pour se tutoyer dans toutes les situations, le
vouvoiement étant considéré comme difficile et peu pratique.
Comme dans les autres pays d’Europe, quoique bien plus tard, le vouvoiement subit en
Finlande une perte de valeur. Ce n’est que vers le milieu du XIXe siècle que, toujours d’après le
1 Pour une discussion sur la distinction entre commerces et services, v. Kerbrat-Orecchioni et Traverso (éds) 2008,
surtout p. 10-12. Nous partons de l’idée de Dumas (2008 : 182) que les agences de la sécurité sociale et les centres
médicaux sont des services et que les boutiques de photographes et les petits commerces R-kioski sont des
commerces.
2
modèle suédois, l'emploi du titre (ou parfois d’une autre FNA) et du pronom de troisième personne se
serait stabilisé en tant que formule d’adresse la plus polie (Comment Monsieur le professeur va-t-il ?),
le vouvoiement ne s’employant plus, à cette époque, que dans les interactions entre jeunes
intellectuels ou quand des personnes d’un certain âge s’adressaient à un interlocuteur plus jeune
(Paunonen 2010 ; Yli-Vakkuri 1989 : 62-63). Le tutoiement était réservé à des situations familières ou
amicales, mais son emploi dépendait également de la région et de la classe sociale.
À la fin des années 1950, les trois formes d'adresse étaient encore courantes (Yli-Vakkuri
1989 : 60, 62-63), mais à partir des années 1960, le vouvoiement et l’adresse à la troisième personne
ont commencé à laisser place à un tutoiement généralisé. On parle, encore une fois, de l’influence
suédoise, mais également de l’adoption d’idées démocratiques dues à l’idéologie communiste et de
l’imitation du modèle américain dont le you était faussement interprété comme un sinä (« tu »)
(Korhonen 1996 : 39-40 ; Larjavaara 1999 : 8 ; Paunonen 2010). Il est intéressant de constater que
dans les publicités du grand magasin Stockmann (Helsinki), le tutoiement s’est d’abord manifesté
dans les textes de langue suédoise, et seulement deux ou trois ans plus tard également dans les
publicités de langue finnoise (Tandefelt 2009).2
En 1976, une enquête a été effectuée pour rendre compte des habitudes d’adresse des
Finlandais : 11 614 réponses sur un total de 30 000 réponses ont été examinées, et les résultats ont
montré que le taux du tutoiement était lié à l’âge, les plus jeunes tutoyant le plus facilement. Les
générations les plus âgées vouvoyaient même des membres de leur famille (la moitié leurs propres
parents), et les pasteurs3 comme les docteurs étaient généralement vouvoyés. Les femmes vouvoyaient
légèrement plus que les hommes, et les différences régionales étaient minimales. La moyenne du
pourcentage du tutoiement faisait apparaître que la région la plus « tutoyante » était la région de
Vaasa, sur la côte de la Baltique, une région fortement suédophone où les contacts avec la Suède
étaient intenses. L’adresse à la troisième personne était minimale (Paunonen 2010).4
Dernièrement, le vouvoiement semble de nouveau avoir gagné du terrain, surtout dans
certaines catégories de jeunes gens travaillant dans le secteur des services. Cela s’explique
certainement en partie par l’influence des autres pays « vouvoyants » de l’Union Européenne, comme
l’Allemagne et la France. Malgré cette nouvelle tendance, la Finlande reste globalement un pays « très
tutoyant » (Korhonen 1996 : 39-40, 43 ; Larjavaara 1999 : 8 ; Noponen 1998 ; Peterson 2010 ; Yli-
Vakkuri 1989 : 62-63, 65). Toutefois, la situation est moins claire qu’on ne le pense généralement.
1.2. Le système d’adresse actuel
En finnois, on trouve les marqueurs linguistiques d’adresse suivants5 :
1. L’allocutaire correspond au sujet du verbe :
a) Pronom personnel de 2e personne (au cas nominatif6), singulier ou pluriel, la personne étant
également marquée par la désinence verbale correspondante (sg : -t ; pl : -tte) ; l’adresse peut
être accompagnée d’une FNA :
2 Pour les raisons historiques mentionnées ci-dessus, la Finlande est un pays bilingue : le suédois, parlé actuellement
par moins de 6% de la population, a un statut officiel, et son apprentissage est obligatoire dans les écoles (v. p. ex.
J. Havu, 2009).
3 La Finlande est un pays majoritairement luthérien.
4 Il s’agit d’une auto-évaluation, ce qui peut « falsifier » les données; v. également Noponen (1998, 1999), et
Vainiokangas (2003).
5 Les exemples sont fabriqués par les auteurs, avec l’objectif d’illustrer, d’une manière aussi explicite que possible,
les phénomènes traités.
6 Le finnois est une langue à cas : on y trouve 15 ou 16 cas différents, mais pas de vocatif.
3
Sinä syöt
Tu manges
Sinä syöt nyt sen jogurtin, Mika !
Tu manges maintenant le yaourt, Mika [Tu mangeras ton yaourt, Mika]
Te syötte
Vous mangez
Hei Anna ja Mika, kai te syötte meillä ?
Hé Anna et Mika, bien vous mangez chez nous ?
[Anna et Mika, vous déjeunerez/dînerez chez nous, n’est-ce pas ?]
b) Désinence verbale de 2e personne, singulier ou pluriel (sg : -t ; pl : -tte) :
Syöt
[Tu] manges
Syötte
[Vous] mangez
(cf. italien (tu) mangi et espagnol (tu) comes)
c) FNA + verbe à la 3e personne7 (sg : (ici) redoublement de la voyelle terminale (pl : -vat)) :
Rouva ottaa nyt lisää kahvia
Madame prend maintenant plus de café [Prenez un peu plus de café, Madame]
2. L’allocutaire correspond à un complément du verbe :
Pronom personnel de 2e personne, singulier ou pluriel, à un cas autre que le nominatif, accompagné
éventuellement d’une FNA ; la racine du pronom change (sinä ‘tu’ > sinu- ; te ‘vous’ > tei-). S’il
s’agit d’une question fermée (est-ce que), on ajoute la particule interrogative – ko à la fin du verbe :
Puhun sinulle / teille [allatif: -lle]
[Je] parle tu/vous + cas marquant le destinataire [Je te / vous parle]
Anna, puhun sinulle [allatif: -lle]
Anna, [je] parle tu + cas marquant le destinataire [Anna, je te parle]
Rakastan sinua / teitä [partitif: -a,-ä/-ta, -tä]
[J’] aime tu/vous + cas objet [Je t’ / vous aime]
Rakastan sinua, Mika [partitif: -a,-ä/-ta, -tä]
[J’] aime tu + cas objet, Mika (Je t’aime, Mika)
Puhun sinusta / teistä [élatif : -sta, -stä]
[Je] parle tu/vous + cas marquant ce dont on parle [Je parle de toi / de vous]
Kuuletteko Anna ja Mika, puhun teistä ?
Entendez+-ko (particule marquant une interrogation totale) Anna et Mika, [je] parle vous + cas marquant ce dont on parle ?
7 Il s’agit donc d’un vrai énoncé adressé, et non d’un « délocuté-adressé » (Giaufret 2010 : 203) ou d’un
« destinataire indirect » (Kerbrat-Orecchioni 2010 : 336). L’emploi de cette forme est en principe considéré comme
vieilli. Toutefois, dans certains contextes où le vouvoiement semble exagéré et le tutoiement trop familier, il est
encore tout à fait naturel : a) homme d’un certain âge distribuant le quotidien gratuit Métro devant la gare d’Helsinki
(21-12-2009) : Saako herralle olle matkalukemista ? ‘Le monsieur prendra-t-il de la lecture pour la route ?’ ; b)
jeune serveuse dans un café « chrétien » à une cliente de plus de 90 ans (21/12/2009) : Meeri-täti on tervetullut
tänne meidän joukkoon ‘Tante-Meeri est bienvenue parmi nous’ (l’appellatif tante/oncle) est employé encore
souvent (surtout par les enfants) quand on s’adresse à des personnes nettement plus âgées).
4
[Vous entendez Anna et Mika, je parle de vous?]
etc.
3. Les formes nominales d’adresse en finnois
On trouve, en principe, les mêmes types de FNA qu’en français (Kerbrat-Orecchioni 2010 : 20-21),
mais leur emploi est d’une manière générale très restreint, comme nous le verrons par la suite8 :
Hyvää iltaa arvoisat kuulijat
Bonsoir chers auditeurs
En plus des marqueurs d’adresse explicites, on trouve en finnois différents types d’adresse
impersonnelle où seul le geste, le regard ou l’intonation montrent qu’il s’agit d’une
adresse (Lappalainen 2004 ; Yli-Vakkuri 1989 : 61 sqq.) :
Saa huuhtoa
[On] peut rincer (p. ex. dentiste à son patient)
La possibilité mise à part d’omettre le pronom sujet et le choix plus varié de formes impersonnelles
(Havu 2009), le système finnois semble donc être assez semblable au système français. Cependant, les
emplois se répartissent d’une manière différente : un sinä finlandais ne correspond pas forcément à un
tu français, car si le vouvoiement est rare en finnois, à l’intérieur du tutoiement, on fait une distinction
entre les formes marquant une certaine distance et les formes familières. Dans de nombreux cas où le
vouvoiement s’imposait auparavant apparaissent maintenant les formes de tutoiement les plus
« formelles », qui s’emploient souvent dans des cas où l’on trouve un vouvoiement en français (Havu
2009). Lappalainen (2006b) distingue trois types de tutoiement :
(a) Tutoiement sans pronom personnel (cf. ci-dessus 1b) : c’est la forme marquant le plus de distance ;
elle est adressée, dans une situation plutôt formelle, à une personne inconnue ou peu connue ; cette
forme correspondrait en français plutôt à un vouvoiement :
Olet varmaan väsynyt
[Tu] es certainement fatigué = [Vous] êtes certainement fatigué.
(b) Tutoiement avec pronom personnel (cf. ci-dessus 1a) : c’est une forme neutre qu’on peut employer
en s’adressant à des inconnus ainsi qu’aux collègues et amis d’un certain âge, et qui correspond aussi
bien à un vous qu’à un tu français, selon le niveau de connaissance mutuelle et la situation de
communication :
Sinä olet varmaan väsynyt
8 C’est-à-dire :
- les noms personnels (noms de famille, prénoms, diminutifs et surnoms) ;
- les formes correspondant à monsieur/madame/mademoiselle : actuellement, l’emploi de neiti ‘mademoiselle’ a presque
disparu (cf. Kerbrat-Orecchioni 2010 : 348 pour le français), mais à la différence du français, même herra ‘monsieur’ et
rouva ‘madame’ ne s’emploient guère ;
- les titres : herra kapteeni ‘monsieur capitaine’ [mon capitaine], herra johtaja ‘monsieur [le] directeur’, etc.) ;
- les noms de métier et de fonction : professori Virtanen ‘professeur Virtanen’ ; tohtori Ylppö ‘docteur Ylppö’ ;
- les termes relationnels (relation de parenté, affective, professionnelle) : äiti ‘maman’, pomo ‘chef’ ;
- les labels, qui opèrent un « catalogage » de l'interlocuteur : arvoisat katselijat ‘chers spectateurs’, hei tytöt ‘salut [les]
filles ;
- les termes affectifs, à valeur positive ou négative : kulta ‘chéri(e)’, idiootti ‘idiot’.
5
Tu es certainement fatigué / Vous êtes certainement fatigué.
(c) Tutoiement avec pronom personnel et forme verbale « familiers »9 ; c’est une forme d’adresse
utilisée surtout dans des situations (très) familières ou intimes (entre parents et enfants, entre jeunes,
entre amis…) et qui correspond toujours au tutoiement français, et même éventuellement à la forme
élidée t’ de tu devant voyelle :
Sä oot varmaan väsynyt
T’es certainement fatigué.
Même si le vouvoiement est principalement réservé aux situations officielles et formelles, la
distinction entre distance et familiarité/intimité se fait donc en finnois aussi, mais d’une manière
différente au niveau des pronoms. Toutefois, comme nous le verrons par la suite, l’emploi des
différents degrés de tutoiement est aussi étroitement lié aux types d’interaction et aux échanges à
l’intérieur de ces interactions.
Pour conclure cette brève présentation du système d’adresse en finnois, insistons sur le fait que les
FNA n’y jouent qu’un rôle accessoire. Il ne faut pas s’attendre à trouver un grand nombre d’appellatifs
dans les données authentiques enregistrées qui seront examinées ci-dessous. Il s’agit plutôt de savoir
comment leur emploi se répartit dans les différents corpus qui représentent des situations
institutionnelles, c’est-à-dire des situations où les locuteurs ont des rôles et tâches prédéfinis, où la
situation d’interaction a une structure assez constante, et où l’accomplissement d’une tâche occupe la
place centrale (v. p. ex. Drew & Heritage 1992, ainsi que Dumas 2008 : 190 sur l’existence d’un
« script » préalable).
La banque de données de KOTUS (Centre de recherche des langues nationales, Helsinki) nous
a permis de choisir des corpus offrant le même type d’interactions que celles qui ont donné lieu à des
études précédentes sur le français10, afin de pouvoir mener une étude comparative.
2. Analyse du corpus de débats médiatiques
2.1. Présentation du corpus
En ce qui concerne le corpus (a), c’est-à-dire les interactions médiatiques, nous avons eu à notre
disposition deux débats télévisés enregistrés en 199411 et un débat datant de 199712. Les invités sont
majoritairement des hommes et des femmes occupant une position importante dans la vie politique
9 La racine du pronom personnel familier varie selon le cas grammatical utilisé (cf. ci-dessus, 2) : langue
« standard » : Sinä [nominatif] / Minä annan sinulle [allatif] > langue familière : Sä [nominatif] Mä annan sulle
[allatif] ‘Je donne à toi’ [Je te donne]. Le pronom d’adresse familier connaît également une variation dialectale : Sää
/sie… // siulle…
10 Voir Kerbrat-Orecchioni & Traverso (éds) 2008 et Kerbrat-Orecchioni (éd.) 2010.
11 I: Ajankohtainen Kakkonen, TV2 29.11.1994 : modérateurs: Mari Kiukas (MK) et Heikki Piuhola (HP);
invités: Esko Aho (EA), Sami Borg (SB) Satu Hassi (SH), Paavo Lipponen (PL), Sauli Niinistö (SN), Risto E.J.
Penttilä (RP), Anneli Sundberg (AS), Juhana Vartiainen (JV), Risto Kuisma (RK), Osmo Soinivaara (OS); II: 100
minuuttia: Onko vain väärää politiikkaa?11.3.1994: modérateur: Sakari Kilpelä, (T); Invités : Timo Airaksinen
(TA), Janina Andersson (JA), Timo Harakka (TH), Ulpu Iivari (UI), Anja Kauranen (AK), Jaana Kuusipalo (JK),
Pertti Paasio (PP), Olli Rehn (OR), Saska Saarikoski (SS), Jaako Tapaninen (JK), Jukka Vihriälä (JV).
12 III: Pätkätyöilta, TV2 21.10.1997: modérateurs : Anne Flinkkilä (AF) ja Pasi Toivonen (PT); invités: Timo
Airaksinen (TA), Johanna Hirvimies-Salonen (JHS), Eeva-Liisa Inkeroinen (ELI), Liisa Jaakonsaari (LJ), Fredrik
Karlsson (FK), Keijo Korjula (KK), Risto Kuisma (RK), Antti Piippo (AP), Petri Puumalainen (PP), Kai Pärnänen
(KP), Asko Suikkanen (AS), Esa Swanljung (ES), Ulla Tapaninen (UT), Katri Yli-Hynnilä (KYH).
6
(ministres, députés, chefs de parti) ou ayant une position centrale dans la vie scientifique, économique
ou artistique (professeurs d’université, directeurs d’entreprise, personnes occupant une position élevée
au sein d’un syndicat, acteurs), mais parmi les participants au débat datant de 1997, on trouve
également une infirmière et un employé dont les contrats de travail sont à durée déterminée (CDD).
Dans les trois cas, il s’agit d’un discours oral institutionnel médiatique, et d’après les
recherches de Nuolijärvi sur la variation linguistique dans ce genre d’interactions (2003), la variation
personnelle est minimale chez les locuteurs occupant une position assez élevée dans la société et ayant
l’habitude de se produire en public : ils se servent d’un finnois oral standard ayant peut-être quelques
traits du finnois parlé dans la région de la capitale, les autres traits régionaux et dialectaux,
généralement fortement critiqués par les spectateurs, ayant été minimalisés. Ce standard cache
certainement de multiples traits plus familiers qui peuvent se manifester par endroits, mais qui
apparaissent le plus clairement lors de discussions familières. Depuis plusieurs décennies, les traits
linguistiques faisant partie des variantes urbaines du sud de la Finlande, surtout de la région de
Helsinki, sont « acceptables » dans le discours institutionnel, et ils font donc partie du standard
(Nuolijärvi 2003 : 371 ; cf. aussi Nuolijärvi & Tiittula 2000).
2.2. Les FNA dans le corpus médiatique13
Dans les trois émissions, les FNA apparaissent presque exclusivement en position initiale, participant
à la distribution des tours de parole, donc à l’organisation et à la gestion de l’interaction (fonction
principale des FNA en contexte institutionnel, d’après Détrie 2010 : 157) ; elles sont généralement le
fait des les modérateurs (cf. Kerbrat-Orecchioni 2010 : 359 et Ravazzolo 2010 : 230)14, les invités se
contentant le plus souvent de répondre aux questions des modérateurs. En tout, la forme la plus
courante est prénom + nom, accompagnée, surtout au début de l’interaction, d’un tutoiement du type
(b)15 où le pronom personnel donne plus de poids à l’adresse que dans le tutoiement sans pronom
personnel (a), considéré comme plus formel (ex. 1, 2). Après la phase d’introduction, le pronom peut
être omis en position sujet et on trouve l’adresse la plus formelle (a) où seul le verbe contient la
marque de la personne (ex. 2). Cela peut s’expliquer par le fait qu’une fois le contact établi, le
pronom, avec sa valeur plus insistante, devient inutile :
(1) (Débat I: modérateur HP à Juhana Vartiainen, chercheur en économie)
HP: Juhana Vartiainen, sinä seuraat tätä Suomen politiikkaa ja taloutta Ruotsista käsin onko (.) sinun mielestä
tämän talouspoliittisen keskustelun jumiutuminen (.) täällä Suomessa yllättänyt sinut
Juhana Vartiainen, tu suis la politique et l’économie finlandaises depuis la Suède a à ton avis la stagnation de cette discussion
économico-politique ici en Finlande surpris toi
[penses-tu que…t’a surpris]
(2) (Débat I: modérateur HP à Sami Borg (SB), professeur en sciences politiques)
HP: palataan vielä tuohon Sami Borg politiikan tutkijana sinä olet vertailut eri vaaleja
on va encore revenir à cela Sami Borg en tant que chercheur en sciences politiques, tu as comparé différentes élections
SB: [...]
HP: luettelet nyt luettelet nyt kaikkea hyvää mutta sitoutuuko puolueesi tähän Pekkasen paperiin
[tu] énumères maintenant [tu] énumères maintenant tout ce qui va bien mais ton parti soutiendra-t-il ce papier de Pekkanen
13 Seuls les passages contenant une adresse sont traduits mot à mot.
14 Les salutations du type bonjour sont entièrement absentes. Dans les rares cas où l’on souligne l’arrivée sur scène
d’un nouvel invité, on utilise la formule tervetuloa ‘bienvenue’ : […] pitkäikainen ammattiyhdistysjohtaja tervetuloa
Risto Kuisma ‘[…] un président de syndicat expérimenté bienvenu Risto Kuisma’.
15 On y trouve donc le pronom d’adresse sinä ‘tu’ et ses variantes casuelles (cf. ci-dessus) : « sinun (génitif : -n) »
‘ton’, « sinulle (allatif : -lle) », ‘à toi’, etc. La terminaison du verbe est mentionnée en gras uniquement dans les cas
où les pronoms d’adresse n’apparaissent pas.
7
Toutefois, pour insister, le modérateur peut même choisir le tutoiement le plus familier (c) :
(3) (Débat I : modérateur MK à Sami Borg (SB), professeur en sciences politiques)
MK: niin monta on innokasta yrittäjää Sami Borg onko näillä uusilla yrittäjillä mitään todellisia mahdollisuuksia
eduskuntaan
il y a tellement d’intéressés qui tentent leur chance Sami Borg, ces nouveaux ont-ils des possibilités réelles d’entrer au parlement
SB: no se riippuu tietysti että kenestä [...]
bon cela dépend naturellement de la personne [...]
MK: [...] mitä sä luulet mikä on nuorsuomalaisten mahdollisuus
[...] que tu penses quelle est la possibilité des ‘Jeunes Finlandais’ [parti]
[qu’est-ce que tu penses quelle est…]
Quand un invité est présenté pour la première fois, un titre ou un terme indiquant son statut ou
fonction sociale accompagnent souvent la forme prénom + nom, soit en emploi épithétique (ex.
4), soit en position d’attribut (« XY, tu es… » : ex. 5). Dans le premier cas, il s’agit clairement
d’une adresse polie dont la fonction est également de présenter l’invité aux membres du public
(présent et absent), tandis que dans le deuxième, il s’agit plus clairement d’une information
destinée aux autres participants (cf. Giaufret 2010 : 202, énoncés « adressés » vs « destinés ») :
(4) (Débat III: modérateur AF à Esa Swanljung, président d’une compagnie d’assurances pour les retraites (The
Finnish Pension Alliance TELA))
AF: Niin katsotaanpas minkälaisia pätkätyöläisiä meillä täällä studiossa on ää puheenjohtaja Esa Swanljung s-
kuinkas kauan sinun työsuhteesi on voimassa.
Bon voyons un peu ce que nous avons comme employés/ouvriers CDD ici au studio euh président Esa Swanljung combien
longtemps ton contrat de travail est en vigueur
[quelle est la durée de ton contrat de travail]
(5) (Débat III: modérateur AF et Timo Airaksinen, professeur de philosophie)
AF: Timo Airaksinen sinä olet nyt professori mutta taitaa tuo pätkätyö olla sinullekkin tuttua
Timo Airaksinen tu es maintenant professeur des universités mais le travail « morcelé » semble être à toi aussi familier
[toi aussi tu sembles connaître les CDD]
Après la première présentation, les modérateurs répètent le titre (+ nom de famille) de l’invité presque
uniquement quand il s’agit de personnes occupant une position élevée dans la vie politique (mais ils
l’alternent avec d’autres types de FNA, ex. 7) : dans le débat I, c’est le cas avec trois intervenants, qui
sont aussi vouvoyés : Esko Aho, premier ministre, Paavo Lipponen, président du parti social-
démocrate et Sauli Niinistö, président du parti de droite Kokoomus. Dans le débat III, il s’agit de Liisa
Jaakonsaari, ministre du travail, qui est tutoyée16.
(6) (Débat I : modérateur HP à Paavo Lipponen, président du parti social-démocrate)
HP: nyt puheenjohtaja Lipponen sitten pyysitte äsken puheenvuoron
maintenant président Lipponen donc [vous] venez de demander la parole
(7) (Débat I : modérateur HP pose une question à Esko Aho, premier ministre)
HP: Esko Aho öö valtiosääntöuudistus on nyt eduskunnan käsittelyssä [...]
Esko Aho euh la réforme constitutionnelle est maintenant traitée par le parlement [...]
16 Soit le modérateur s’est mis d’accord avec la ministre pour la tutoyer, soit il tutoie régulièrement tous les invités,
quel que soit leur titre. Il est intéressant de constater que même si, dans le débat (I), les modérateurs vouvoient ces
invités, les autres invités peuvent les tutoyer.
8
Après les présentations, lors de la distribution des tours de parole, les invités (autres que les
ministres ou directeurs) peuvent être appelés seulement par leur prénom. On trouve ici des
emplois différents : dans le débat (III), seuls les invités représentant le groupe des CDD (n’ayant
donc pas de titre ou de nom de fonction) sont appelés par leur prénom (ex. 8 : Johanna
[Hirvimies-Salonen]), tandis que dans les deux autres débats, à l’exception des ministres, c’est le
cas avec tous les invités, qu’ils soient députés (ex. 9 : Satu [Hassi]), journalistes (ex. 9 : Anneli
[Sundberg]) ou présidents d’un syndicat (ex. 10 : Risto [E.J. Penttilä]).
(8) (Débat III: modérateur PT à Johanna Hirvimies-Salonen, infirmière CDD)
PT : No Johanna miltä miten sairaalan näkökulmasta onko pahin jo ohi ja onko vakipaikkoja siellä jaossa
Alors Johanna quelle comment voit-on la situation à l’hôpital a-t-on surmonté le pire et distribue-t-on déjà des emplois à CDI
Le prénom peut également être utilisé pour un « rappel à l’ordre » (Giaufret 2010 : 212 ;
Ravazzolo 2010 : 234). Dans l’exemple (9), le modérateur doit intervenir au moyen d’une FNA
pour insister sur le changement du tour, car le président du parti social-démocrate, Paavo
Lipponen, ne veut pas céder son tour aux deux femmes annoncées par le modérateur ; dans
l’exemple (10) le modérateur essaie d’interrompre la discussion que l’invité mène avec son
voisin :
(9) (Débat I : le modérateur HP veut donner la parole à deux invitées femmes (journaliste et députée) ; le président
du parti social-démocrate Paavo Lipponen (PL) ne veut pas céder la parole)
HP: Anneli ja Satu
HP: Anneli
PL: sillä Pekkasen paketista ei voida [aloittaa
car la proposition de Pekkanen ne permet pas [de commencer
HP: [Anneli
PL: keskustelua pääministeri haluaa kaikki mahdolliset asiat kytkeä ja
la discussion le premier ministre veut combiner toutes les choses possibles et
(10): (Débat I: modérateur HP à Risto E. J. Penttilä (RP), président d’un syndicat)
HP: [Risto Risto kysyttäs yks kysymys
[Risto Risto on demanderait une chose
RP: ei menny [ei päinvastoin mä olen hyvin tyytyväinen
pas marché [au contraire je suis très content
L’exemple (11) montre que l’emploi du prénom permet également au modérateur de continuer le
dialogue avec la même personne, en signalant aux autres que « nous deux, on n’a pas encore
terminé » et pour éventuellement rappeler le nom de l’interviewé aux spectateurs. Au début de
cette séquence, le modérateur emploie un énoncé à la troisième personne portant sur la personne
arrivant sur la scène pour l’introduire au public présent et absent (téléspectateurs, cf. Giaufret
2010 : 201-203). Immédiatement après, il la présente encore directement en la saluant, d’abord
par la combinaison prénom + nom, et ensuite par son prénom :
(11) (Débat I : modérateur HP à Osmo Soininvaara, député)
HP: [...] ja sen on kehitellyt Osmo Soininvaara tervetuloa Osmo Soinivaara tervetuloa Osmo tähän keskusteluun
et cela a été développé par Osmo Soininvaara bienvenu Osmo Soininvaara bienvenu Osmo à cette discussion
[…]
HP: Osmo Osmo pitkän työn tulos ja paljon pohdintaa tässä kirjassa oletko itse tyytyväinen siihen kommentointiin
mitä olet saanut tähän mennessä...
Osmo Osmo le résultat d’un long travail et beaucoup de réflexion dans ce livre es[-tu] [toi]-même content des commentaires que
[tu] as reçus jusqu’à maintenant...
9
Parfois, le modérateur donne la parole aux intervenants (surtout de sexe masculin) en se servant
du seul nom de famille, quelle que soit la position qu’ils occupent :
(12) (Débat II: modérateur T à Olli Rehn (OR), député)
T: Rehn
OR: mä olen jossain suhteessa tapanisen nuorsuomalaisen analyysin kanssa samaa mieltä
je suis d’une certaine manière d’accord avec l’analyse ’jeune finlandaise’ de Tapaninen
(13) (Débat II: modérateur T à Saska Saarikoski (SS), journaliste)
T: sinne. Saarikoski
là. Saarikoski
SS: niin sis mun mielestä
oui donc à mon avis
La distribution des tours de parole peut également se faire sans adresse directe, comme une
annonce de la prise de parole du locuteur suivant (cf. ci-dessus ex. 14). Il s’agit donc dans de tels
cas d’adresses indirectes (cf. Cabasino 2010 : 191, « délocution in praesentia » ; Giaufret 2010 :
203, « délocuté-adressé » ; Kerbrat-Orecchioni 2010 : 337-8, « destinataire adressé
indirectement ») :
(14) (Débat I : modérateur HP donne la parole à la députée Satu Hassi (SH))
HP: seuraavaksi Satu Hassi
et maintenant Satu Hassi
SH: mun mielestä niin […]
je pense donc [...]
On trouve également l’adresse indirecte, à la troisième personne (donc la vieille forme polie qui doit
être distinguée de la délocution in praesentia, car il s’agit d’un type d’adresse directe « habillée » en
adresse indirecte : la situation et le regard aident à faire la différence). Il s’agit d’un type d’énoncés
directifs formulés poliment, où apparaissent surtout des titres (ex. 15), mais également d’autres FNA
(ex. 16) ; il est intéressant de constater que certains invités (surtout la ministre du travail Liisa
Jaakonsaari) se servent également de cette stratégie pour impliquer une troisième personne dans la
discussion :
(15) (Débat I : la modératrice MK veut donner la parole au premier ministre, mais elle est interrompu par un des
invités ; le modérateur HP vient à l’aide)
HP: ... eikö niin pääministeri sanoo nyt
n’est-ce pas [le] premier ministre dit maintenant [monsieur le premier ministre, veuillez commenter cela]
(16) (Débat III : la ministre du travail Liisa Jaakonsaari (LJ) adresse la parole à l’actrice Ulla Tapaninen (UT),
d’abord d’une manière indirecte, ensuite d’une manière directe ; celle-ci la remercie en ajoutant le titre au
remerciement, ce qui donne à cette formule de politesse un aspect un peu ironique)
LJ: saako Ullalta kysyä et onk- onks se sun vapaaehtonen valinta vai oisikko päässy johonkin lai- teatter-
kaupungin teatteriin tai Oulun kaupungin teatteriin johon oot muuten tervetullu kyllä mutta=
peut-on demander à Ulla que est est ce ton libre choix [est-que c’est ton libre choix] ou aurais[-tu] pu entrer dans un théâtre
municipal ou au théâtre municipal d’Oulu où tu es d’ailleurs la bienvenue mais=’
UT: =kiitos kiitos työministeri tästä tarjouksesta
merci merci ministre du travail de cette offre
Les invités s’adressent rarement la parole directement. Généralement, ils commentent les paroles de
quelqu’un d’autre (ex. 17 et 18) ou bien s’adressent à lui d’une manière indirecte (ex. 19) :
10
(17) (Débat I : Sauli Niinistö (SN), président du parti de droite Kokoomus)
SN: tässä haluan kyllä tukea pääministeri Ahoa sen vuoksi...
Ici je veux bien soutenir [le] premier ministre Aho parce que...
(18) (Débat I : Paavo Lipponen, président du parti social-démocrate)
PL: .... niin kun Anneli sano että....
... comme Anneli l’a dit que...
(19) (Débat I : Osmo Soininvaara, député)
OS: joo mutta mä tohon Juha- Juhana Vartiaiselle haluaisin sanoa et ku...
oui mais j’aimerais dire à Juha- Juhana Vartiainen que…
Dans les rares cas où il s’agit d’une adresse directe (accompagnée toujours d’un tutoiement), on ne
trouve des FNA que dans les énoncés directifs :
(20) (Débat II: Saska Saarikoski (SS), journaliste, adresse la parole à Ulpu Iivari (UI), journaliste et députée ; une
troisième personne, non identifiée, intervient)
SS:... nyt sanoit että teitte väärää politiikkaa kaheksakytluvun lopulla ja syytätte siitä toimittajia ja
...tu viens de dire que vous faisiez de la mauvaise politique à la fin des années 80 et vous en donnez la faute aux journalistes
UI: [minä syytän siitä myös itseäni
[j’en accuse ausi moi-même
Homme: [nyt Ulpu Ulpu ole tiukkana
[maintenant Ulpu Ulpu sois ferme
Les modérateurs s'adressent toujours la parole entre eux en se servant de leur prénom :
(21) (Débat I : le modérateur HP adresse la parole à la modératrice MK)
HP: kiitos ja lähdemme ilmeisesti liikkeelle tuosta Pekkasen paperista ja sen vanavedessä syntyneistä lukuisista
listoista vai mitä Mari.
merci et notre point de départ sera donc ce papier de Pekkanen et les nombreuses listes qu’il a provoquées n’est-ce pas Mari
MK: kyllä
oui
Ils peuvent aussi s’adresser à tous les participants par une FNA collective, soit pour calmer une
discussion trop mouvementée (ex. 22 ; cf. Cabasino 2010 : 182-186 à propos des « rappels à
l’ordre »), soit à la fin du programme pour remercier les participants, surtout avec une forme
indirecte (ex. 23) dont la fonction est également de signaler au public présent et/ou absent que le
programme se termine :
(22) (Débat III: les modérateurs PT et AF essaient de calmer la situation)
PT: [hei tässä puhutaan nyt aika anteeksi rakkaat vieraat.
[hé, on parle maintenant assez excusez-moi chers invités
[((lähes kaikki yhteen ääneen))
[presque tous les participants parlent à la fois
AF: NYT KUUNNELKAA juontaja p(h)uhuu
MAINTENANT ÉCOUTEZ le modérateur parle
(23) (Débat I: le modérateur HP remercie les intervenants)
HP: illasta kiitos keskustelijoille iltamme on näin lopussa ja […]
’ de la soirée merci aux intervenants la soirée se termine ainsi […]
2.3. Remarques finales
11
La structure des débats médiatiques finlandais et les stratégies d’adresse qu’on y observe
ressemblent beaucoup à ceux qui se dégagent des analyses sur les débats français : les FNA
employées ont surtout pour fonction de structurer le débat par la distribution de tours de parole
(cf. Giaufret 2010 : 213, « attribution/ratification des tours de parole » ; Ravazzolo 2010 : 230).
Ce sont majoritairement les modérateurs qui les prononcent (cf. Kerbrat-Orecchioni 2010 : 359),
et elles se trouvent le plus souvent en position initiale. Les FNA ont également pour fonction de
présenter et/ou de rappeler l’identité de l’interviewé ou du journaliste/intervieweur. On trouve en
outre dans les deux langues des adresses indirectes à la troisième personne (destinataire de
l’énoncé traité en délocuté, cf. Giaufret 2010 : 203). Les délocutions sont en finnois généralement
précédées de l’expression [donner] la parole à, et elles sont à distinguer de l’adresse directe à la
troisième personne (ex. 15) qui n’apparaît pas dans les corpus français correspondants. En
français, les énoncés de ce type sont également précédés d’une formule telle que « moi je
voudrais demander à XY si […] » (Ravazzolo 2010 : 230).
En ce qui concerne les autres emplacements, en finnois les FNA sont très rares en position
médiane ou finale où ils apparaissent presque uniquement dans les remerciements. La fonction
de « menacer la face de l’allocutaire » qu’évoque Giaufret (2010 : 210-211) y est rarement
perceptible. Il arrive toutefois que l’on puisse distinguer un reproche quelque peu ironique sous
une formule polie, par exemple supra en (22), où le modérateur cherche à calmer la discussion
par la formule rakkaat vieraat (‘chers invités’), ou dans l’exemple (24) ci-dessous, où un des
invités remercie le président du parti social-démocrate en lui coupant la parole :
(24) (Débat I : un des invités, Risto Penttilä (RP), coupe la parole au président du parti social-démocrate, Paavo
Lipponen)
RP: kiitoksia Lipponen kiitoksia
merci Lipponen merci
Comme en français (Giaufret 2010 : 208), la forme d’adresse la plus commune utilisée par les
modérateurs est la combinaison prénom + nom de famille, avec cette différence toutefois qu’en
finnois, elle est accompagnée du tutoiement, alors qu’en français on a un vouvoiement. Dans les
présentations et les salutations sous forme de « bienvenu(e) » (les autres salutations initiales ne
sont jamais utilisées), cette formule est très généralement présente, tandis que dans la gestion des
tours de parole, apparaît souvent le prénom (ou le nom de famille, surtout s’il s’agit d’un
homme). Les trois types de tutoiement alternent : au début de l’échange, où le modérateur
accorde le tour à un des invités, on trouve la variante plutôt formelle sinä, mais au milieu du tour,
elle peut laisser place au tutoiement le plus formel sans pronom personnel, ou même à la variante
familière sä, pour insister (mitä sä luulet ‘toi que penses-tu ?’). Ce n’est donc pas la situation
plutôt formelle (débat télévisé) qui impose le choix d’un certain type de tutoiement, mais la
nature de l’échange à l’intérieur de ce débat y joue aussi un rôle décisif.
Dans les rares cas d’adresse directe entre invités, ceux-ci s’appellent majoritairement par
leurs prénoms et se tutoient17. Même si dans certains types de discours médiatiques français, on
17 Comme les invités s’adressent rarement directement la parole, il est impossible de faire une distinction catégorique
entre les formes choisies par les modérateurs et celles utilisées par les invités : dans ce corpus, les modérateurs
utilisent majoritairement la combinaison prénom+nom, les invités le prénom.
12
peut trouver le prénom tout seul, il y est toujours accompagné du pronom d’adresse vous
(Lagorgette 2010 ; Ravazzolo 2010)18.
En dehors des noms et prénoms apparaissent en finnois des titres quand les modérateurs
s’adressent à quelqu’un occupant une position élevée dans le monde politique, tandis que les
invités s’en servent surtout en se référant aux paroles des autres, et non dans une adresse directe
(pääministeri puhui tuossa turvallisuudesta ‘[le] premier ministre vient de parler de la sécurité’).
En français, les FNA employées sont monsieur / madame (+patronyme), formes qui, d’après
l’étude de Giaufret sur les interviews radiophoniques (2010 : 208, 236), sont bien plus courantes
dans les interventions des auditeurs que dans celles des animateurs. Ces combinaisons ne sont
jamais utilisées dans les débats finnois.
Si, dans ce genre d’interactions françaises, le vouvoiement est omniprésent, dans les
interactions finnoises, c’est le tutoiement qui l’emporte largement sur le vouvoiement. Ce dernier
n’apparaît que pour souligner une attitude respectueuse quand il s’agit de quelqu’un représentant
une « institution » (ministère, parti). Ici, son emploi n’est donc pas lié à l’âge des intervenants,
contrairement à ce que montrent les résultats d’autres types d’enquêtes finlandaises citées ci-
dessus.
En ce qui concerne les fonctions des FNA en finnois et en français (cf. Giaufret 2010 :
212), ce sont majoritairement les mêmes : attribution des tours de parole, salutation initiale (sous
la forme toutefois, en finnois, d’une expression de bienvenue), sélection de l’allocutaire, rappel à
l’ordre et interruption. Cependant, dans les débats finnois examinés les FNA ne marquent guère
l’ironie et ne jouent guère non plus de rôle par rapport à la gestion des « faces » de l’allocutaire :
leur emploi semble être essentiellement consacré à la gestion des tours de parole.
En résumé : les stratégies d’adresse sont largement les mêmes en finnois et en français ;
les principales différences apparaissent au niveau de la nature des FNA et des pronoms
d’adresse :
- on trouve en finnois des titres liés surtout à la fonction, ce qui n’est guère le cas en
français où les FNA employées sont monsieur/madame ; en finnois apparaît souvent le
prénom seul, dont l’emploi est plutôt exceptionnel en français dans ce genre
d’interactions ;
- le pronom d’adresse le plus employé est en français vous, et en finnois sinä ‘tu’ avec
ses variantes, mais on y trouve également le tutoiement sans pronom personnel. Même
si cette forme, considérée comme la plus formelle, couvre à notre avis une partie des
vouvoiements français (v. ci-dessus) et ne peut pas toujours être regardée comme un
pur équivalent du tu français, sa fonction est ici surtout de rappeler le caractère non
familier de la situation. Comme ce tutoiement alterne avec les tutoiements avec
pronom personnel, il ne peut pas être isolé des autres formes, mais la fréquence de son
emploi donne à penser que les échanges médiatiques finlandais sont en réalité plus
formels qu’on ne pourrait le croire sur la base des traductions.
3. Analyse des interactions dans des commerces et services
18 Ravazzolo (2010 : 240) mentionne un cas exceptionnel où lors d’une émission radiophonique, une des appellantes
s’adresse en la tutoyant à l’invitée (Arlette Laguiller), qui lui retourne son tutoiement, ce que Ravazzolo commente
ainsi : « Le choix hasardeux de l’auditeur répond à la tentative d’établir une sorte de complicité avec la porte-parole
de l’extrême gauche, qui montre d’ailleurs, par le tutoiement accompagné du terme relationnel (“camarade”), qu’elle
se rallie à la proposition de l’auditeur et manifeste ainsi la volonté d’atteindre un rapprochement solidaire ».
13
3.1. Présentation des quatre corpus
Comme nous l’avons vu ci-dessus, les corpus non médiatiques examinés (commerces et services)
font également partie des interactions institutionnelles. Une des grandes différences entre les
corpus médiatiques et non médiatiques se manifeste au niveau linguistique : dans la plupart des
cas, l’origine du locuteur se reflète dans son discours plus clairement que dans les corpus
médiatiques, même s’il s’agit de traits dialectaux « contrôlés », standardisés (cf. p. ex.
Lappalainen 2006a).
Les corpus examinés font partie de l’ensemble des corpus collectés par KOTUS (Centre
de recherche des langues nationales), qui se composent principalement d’interactions enregistrées
dans les années 1999-2003 dans des commerces, centres médicaux et agences de sécurité sociale
dans le cadre d’un projet dont l’objectif était d’examiner les stratégies d’interaction dans ces
situations et de comparer les variations locales et situationnelles (v. p. ex. Sorjonen & Raevaara
2006, Lappalainen & Raevaara 2009). Tout le matériel est archivé à KOTUS, et toutes les
personnes enregistrées ont donné leur accord pour l’utilisation des données pour des travaux de
recherche.
Le matériel utilisé vient de quatre agglomérations, dont deux sont de petites localités
rurales, l’une située dans l’Ouest (A) et l’autre dans l’Est de la Finlande (B) ; la troisième est une
petite ville dans le Nord de la Finlande (C) et la quatrième la capitale (Helsinki : D). Nous nous
sommes servies de quatre types d’interactions : 78 interactions dans des centres de sécurité
sociale (KELA), 242 interactions dans les petits commerces R-kioski19, 30 interactions dans des
centres médicaux et 27 interactions chez le photographe.
3.2. Les FNA dans les commerces et services 20
3.2.1. Centres de sécurité sociale KELA
Dans les interactions enregistrées dans les centres de sécurité sociale n’apparaît aucune FNA,
quelle que soit la localité en question. Ce sont surtout les employés qui s’adressent aux clients,
tandis que ceux-ci se contentent généralement de répondre à leurs questions après avoir expliqué
leur affaire. Les employés tutoient généralement les clients jeunes et vouvoient les clients ayant
60 ans ou plus, mais les clients se trouvant entre ces âges sont soit tutoyés, soit vouvoyés : une
partie des employés soit vouvoient soit tutoient toujours ces clients, tandis que d’autres
choisissent le pronom d’adresse en fonction du client. Dans quelques cas, le pronom employé
initialement change au cours de l’interaction (p. ex. dans le corpus (C)). Cette variation semble
être en partie fonctionnelle, et liée par exemple au remplissage d’un formulaire : dans la
discussion libre, l’employé tutoie le client, mais au moment où ils commencent à remplir le
formulaire ensemble, il le vouvoie, ce qui n’est pas étonnant, vu qu’il lit souvent à haute voix les
questions où apparaît ce pronom d’adresse (ex. 25) ; même en reformulant la question d’une
manière familière avec des traits dialectaux, l’employé peut conserver le vouvoiement (ex. 26) :
(25) (T204 Corpus C ; E : employée d’environ 40 ans, C : cliente d’environ 50 ans)
E: no sitte ov vielä tämmönen kysymys että oletteko
ensuite il y a encore cette question que êtes[-vous]
19 Petits commerces avec des heures d’ouverture exceptionnelles et vendant aussi bien des journaux, cigarettes,
billets de loterie, timbres, cartes postales, jouets, que des bonbons, glaces, boissons et de la nourriture pré-emballée.
20 Les exemples sont traduits dans un français standard.
14
tänä /työkyvyttömyysaikana ase/velvollisena tai
pendant cette ‘période de pension pour inaptitude au travail’ au service militaire ou
siviilipalveluksessa taikka suorittamassa
au service civil ou bien en train de purger
/vankeus/rangaistusta.
une peine de prison
(26) (T204 Corpus C ; E : employée d’environ 40 ans, C : cliente d’environ 50 ans)
E: niin tuo:ta; (0.5) niin että tulleeko teillä
bon donc ; bon vient-il chez vous [aurez-vous]
työmatkakustannuksia.
des frais de déplacement
Une fois le formulaire rempli, l’employé tutoie de nouveau le client : ja tuohon, (0.4) sie [forme
dialectale de sinä] voisit sitte selevittää kuitenki (tuota) ‘et là, tu pourrais quand même expliquer un
peu (ça)’.
Le plus souvent, les clients évitent de s’adresser directement à l’employé ou s’ils le font, c’est sous
forme d’énoncés directifs à la 2e personne du singulier (anna ‘donne’) ; si, dans l’interaction, un
pronom d’adresse est utilisé, c’est le sinä (tu) avec ses variantes familières (cf. ci-dessus note 9 : sinä
> sinu- (devant une terminaison casuelle) / sä > su-) :
(27) (T117 Corpus A ; E : employée d’environ 30 ans, C : client d’environ 20 ans)
E: eikö sulla oot taksista sitten_ook kuittia,
ne chez toi est donc [n’as-tu donc] pas de reçu de taxi
C: se on just siinä sun edess(h)ä(h).
c’est juste là ton devant [devant toi]
E: et sä et mitääm muuta saanu.
n’as-tu pas eu autre chose
Dans les rares cas où il pourrait s’agir d’un vouvoiement, le finnois n’est pas la langue maternelle
du client, mais cet emploi peut en outre s’expliquer par le fait que la plupart des ces
vouvoiements s’adressent à l’institution KELA en tant que « pluralité ».
3.2.2. Centres médicaux
Les interactions dans les centres médicaux sont au nombre de 30. Elles ont été enregistrées dans deux
petites localités, dont l’une se trouve dans l’Ouest (Corpus A : 15 interactions), et l’autre dans l’Est
de la Finlande (Corpus B : 15 interactions).
Il s’agit toujours de dialogues entre une infirmière et un(e) patient(e) ou l’un des parents
d’un(e) patient(e) enfant. C’est presque toujours l’infirmière qui s’adresse au client, tandis que celui-ci
se contente de répondre. L’âge des patients varie entre 10 mois et 70 ans. Comme il s’agit de petites
localités, dans la majeure partie des cas, les patients semblent déjà connaître l’infirmière, ce qui se
manifeste surtout dans les séquences d’ouverture par des marqueurs implicites, de façon moins claire
qu’en français (cf. Dumas 2008 :184). Ainsi dans l’exemple (28), l’allusion à la ‘diminution de la
nourriture’ laisse comprendre qu’il y en a été question avant. Quel que soit l’âge de l’interlocuteur, les
formes d’adresse impersonnelles sont omniprésentes dans les dialogues, surtout au début de
l’interaction, mais souvent aussi dans les actes directifs pour les atténuer et dans les questions un peu
plus intimes, généralement à côté des différentes variantes du tutoiement :
15
(28) (T1192 Corpus B ; T : infirmière, P : patient d’environ 60 ans)
P : no päiv(ee)
eh bien bonjour
T : tuuv vaan sisään,
viens donc à l’intérieur [entre]
P : joo kiitoksia,
oui merci
[...]
T : nii,=käyv vaa istu
°
maan siihen°,
bon, assieds[-toi] donc là
[...]
T : jalat voi sit pittää
les jambes [on] peut donc [les] garder
ihan vierekkäin niin
l’une à côté de l’autre
[...]
T : onks sulla se verempainekortti mukana.
est chez toi [as-tu] la carte avec la tension avec toi
[...]
T : mitäs sinä oot
donc tu as
vähentäny syömistä vai,
diminué la nourriture [mangé un peu moins] n’est-ce pas
[...]
T : niissä juustossakkin pittää sittem muistaa
dans les [quant aux] fromages aussi [il] faut penser à
kahtoo ne rasvat.
vérifier les [le taux des] matières grasses
[...]
T : .hh mitäs tota maitoo sinä käytät,
quel euh lait tu utilises [qu’est-ce que tu bois comme lait]
[...]
T : mut ku pitäs
mais comme [il] faudrait
siirtyä siihe rasvattommaan maittoon.
se mettre à ce écrémé lait [boire du lait écrémé]
Les patients ont rarement recours à une adresse directe, mais si un pronom apparaît, c’est celui de la 2e
personne du singulier :
(29) (T100 Corpus B ; T : infirmière, P : patient d’âge moyen)
P: ja mää tulin kuulek ku mää olin eilen illassa töissä ja
et je suis venue écoute parce que j’étais hier soir au travail et
Les infirmières sont les seules à qui il arrive de vouvoyer : dans deux cas, le/la patient(e), âgé(e) d’au
moins 60 ans, est vouvoyé(e) (corpus B), et dans deux autres cas (corpus A et B), les deux pronoms
d’adresse alternent pendant l’interaction.
Dans les deux cas de vouvoiement exclusif, nous avons l’impression que l’infirmière ne
connaît pas déjà les patients :
(30) (T1202 Corpus B ; I: infirmière, P: patient de plus de 60 ans)
I: joo.=istukaa vaan tuonne vähäks aikaa ni
bon.= asseyez[-vous] donc là pour un moment et
[...]
I: pitäskö teijä asettua tuohom pitkällee.
devriez -vous [vous] allonger là [vous devriez peut-être…]
16
Dans l’une des situations d’alternance de pronoms (corpus B), le te ‘vous’ peut être un lapsus : après
les formes impersonnelles du début, l’infirmière tutoie la patiente, et après un cas de vouvoiement,
elle passe de nouveau au tutoiement. Dans l’autre cas d’alternance (ex. 31, corpus A), l’infirmière
commence par s’adresser à son patient masculin par des formes impersonnelles et par un
vouvoiement, qui se transforme en un tutoiement quand elle se met à remplir un formulaire21.
D’abord, c’est un tutoiement « formel » (type (a)), sans pronom personnel (sanotko) qui devient
familier (pronom familier (c)) quand elle doit poser une question directe :
(31) (T93 Corpus A ; I : infirmière, P : patient d’âge moyen)
I: onko verempainekkorttia olemassa
existe-t-il une ‘carte de tension’ [avez-vous une carte où est marquée la tension]
[...]
I: onks teillä lääkitystä
‘a-t-il chez vous des médicaments [prenez-vous des médicaments]
P: on alotettu ihaj justiisat tässä
on a commencé il y a très peu
[...]
P: aah sanotko syntymäajan
ah dis[-tu] [peux-tu donner] la date de naissance
kun tässä näkyy olevan kaks samannimistä.
car ici il semble y avoir deux avec le même nom
P: joo ensimmäinen kymmenettä neljäkytäkuus.
‘oui le premier octobre quarante-six’
I: joo, elikkä sää olet tää,
bon, donc tu es ce
ensimmäinen, Martti Laine.
‘premier, Martti Laine’
Quant aux FNA, quelle que soit la stratégie d’adresse adoptée, elles n’apparaissent que
sporadiquement, et c’est le plus souvent quand un enfant participe à l’interaction. Généralement, il
s’agit d’attirer l’attention de l’enfant ou de lui adresser un acte directif (ex. 32 et 33) ; dans un seul cas
apparaît un directif adressé à un adulte (ex. 34) : un homme appelle sa femme en se servant non de son
prénom, mais d’une FNA assez familière avec une connotation intime emäntä (‘maîtresse de maison,
patronne’) :
(32) (T145 Corpus A ; mère (P) à son fils qui a entre 3 et 4 ans)
P: älä koske ny Kalle
ne touche donc pas Kalle
(33) (T147 Corpus A ; Ä : mère d’environ 30 ans à sa fille de 10 mois, Oona)
Ä: Katos Oona täällä on tämmönen haukku,
Regarde Oona ici il y a un petit chien comme ça
(34) (T1193 Corpus B ; patient d’environ 60 ans (P) appelle sa femme qui est restée dans le couloir)
P : hei emäntä tule,
hé, patronne, viens
Quand les enfants veulent attirer l’attention de leur mère ou s’assurer de son attention, ils ajoutent
la FNA äiti (‘maman’) à leurs énoncés:
21 Contrairement au corpus KELA, les formulaires ne semblent pas entraîner le vouvoiement, peut-être parce qu’ils
ne contiennent pas de questions avec une adresse personnelle.
17
(35) (T145 Corpus A ; I : infirmière, P : patiente, L : le fils de la patiente (environ 3-4 ans))
P: ei tänään o lääkäripäivä tänään on vaan
pas aujourd’hui est le jour du médecin est seulement [aujourd’hui ce n’est pas… mais ce n’est que]
nevvolapäivä.
le jour de l’infirmière
L: miks äiti.
pourquoi maman
[...]
I: ja tota sitte ku kaikki [pitäny lomansa ni
et bon quand tout le monde [pris ses vacances
L: [äiti.
[maman
P: sithän sille tulee sitä vapaata [tai sitten
alors il sera plus libre [ou bien
P: eri lailla et [(tä)
différemment [que
L: [äiti mä meen jo äiti
[maman je m’en vais déjà maman
Parfois, l’adulte s’adresse à la troisième personne à un enfant (36), ou en compagnie d’un enfant,
à sa mère (37) :
(36) (T147 Corpus A ; M : mère d’environ 30 ans, I : infirmière d’environ 55-60 ans, Oona (10 mois))
M: Kato tuo o /nukke \Nukeista Oona tykkää
Regarde c’est/une poupée\ Oona aime les poupéés
I: Onna tykkää.
Onna aime
(37) (T148 Corpus A ; I : infirmière d’environ 55-60 ans, mère d’environ 40 ans, fils d’environ 6 ans)
I: tehdääs nyn nii jos äiti tulis vaikka tähän
si on faisait maintenant de sorte que si maman venait par exemple ici
Dans les centres médicaux, l’emploi des FNA est donc minimal et lié presque uniquement à l’emploi
de directifs adressés aux enfants soit par les infirmières, soit par leurs accompagnateurs.
3.2.3. Photographe
Les 27 interactions entre vendeur(s) et client(s) dans un petit commerce spécialisé dans la
photographie sont enregistrées, dans une petite localité de l’Ouest (Corpus A : 22 interactions) et dans
une petite ville du Nord (Corpus C : 5 interactions).
Dans le corpus A, l’une des deux vendeuses qui participent à l’interaction soit seules, soit les
deux à la fois, a environ 45 ans, l’autre environ 20 ans. La majorité des clients sont des femmes, et
leur âge varie entre 20 ans et 80 ans. Pour ce qui est du corpus C, le vendeur a environ 35 ans et tous
les clients sont des hommes entre 35 et 65 ans.
Comme c’était le cas dans les centres médicaux examinés, les formes d’adresse
impersonnelles sont fréquentes dans les dialogues (cf. également centres de sécurité sociale
KELA).
En cas d’adresse directe, les vendeurs et les clients se tutoient en utilisant les formes
informelles (c), sä(ä) et ses dérivations su- ; comme dans les centres de sécurité sociale, les
clients font usage de moins de pronoms d’adresse que leurs partenaires d’interaction (vendeurs ou
18
infirmières). Dans l’exemple suivant apparaît une situation typique : le vendeur tutoie son client,
lequel n’emploie aucun pronom d’adresse lors de l’interaction :
(38) (T77 Corpus A ; C : cliente d’environ 20 ans, V : vendeuse d’environ 45 ans)
C : se oli vähä erikoisempi filmirulla vaan kymmenen
c’était une pellicule un peu spéciale seulement dix
kuvaa.
images
[...]
C : sehä o Akfan kymppikuva ni ei siinä mitää
E
.
c’est bien la taille 10x15 d’Agfa donc ça va
V : (mutta) tehdään ainaki kymmenen kuvaa sitte sulle[tutoiement familier: racine su- + allatif],
(mais) on va faire au moins dix photos pour toi
Dans ces situations, te ‘vous’ réfère toujours à plusieurs personnes.
Les formes nominales d’adresse sont pratiquement inexistantes dans les interactions
examinées : on n’y trouve qu’une seule FNA22, à savoir rouva (‘madame’). Il ne s’agit pas d’un
dialogue entre vendeur et client mais entre un des enquêteurs (E) et une cliente (C). (E) salue
d’abord la cliente d’environ 45 ans avec ‘Bonjour madame’ pour attirer son attention, car un
autre client entre dans le magasin au même moment et le pronom personnel pourrait être destiné à
l’un ou à l’autre23. (E) vouvoie la cliente pour demander la permission de l’enregistrer, et
s’adresse à elle ensuite par une forme impersonnelle qui fait place, immédiatement après, à un
tutoiement :
(39) (T69 Corpus A ; C1 : cliente d’environ 45 ans, E : enquêteur)
E : päivää rouva,
bonjour madame
E : onko teillä mitään sitä vastaan että me videon
est-il chez vous [avez-vous] quelque chose contre si nous prenons en vidéo
(--) tutkimustarkotukseen käytetään,=me tämän
(--) pour une recherche = on cela
päivää (---).
bonjour (---)
C1 : no: [e:i. ]
mais [non]
E : [ei ole] voi kun mukavaa,saanko mä ihan
[non ] comme c’est bien, puis-je avoir
tohon nimen alle ni sää saat tämmösen
ici le nom et tu auras un comme ceci
infolapun meiltä sit mukaan,=tohon noi.
papier avec des informations, =là
3.2.4. R-kioski
Les 242 situations d’achat dans les petits commerces R-kioski ont été enregistrées dans les quatre
localités présentées ci-dessus. Dans une seule de ces interactions, enregistrée dans l’Est de la
Finlande (corpus B), une FNA accompagne la salutation. Cette FNA peut être considérée comme
un néologisme humoristique (ex. 40 : création lexicale à partir de l’équivalent finnois de
22 Johanna Isosävi a des souvenirs personnels de son travail dans le magasin de photo de ses parents qui se trouve au
centre de la Finlande, dans une petite ville d’environ 10 000 habitants : elle pense ne jamais s’être adressée aux
clients par herra, rouva ou neiti (‘monsieur, madame, mademoiselle’).
23 En finnois, il n’y a pas de genre grammatical, et on ne peut exprimer le sexe d’une personne qu’en utilisant un
nom qui a deux formes distinctes (herra/rouva ‘monsieur/madame ‘).
19
« commerce/magasin » + suffixe d’agent, cf. -eur en français) et elle est sans doute prononcée par
un client fidèle, pour plaisanter (v. Haakana & Sorjonen 2009, à paraître) :
(40) (T1142, Corpus B , V : vendeur d’environ 60 ans, C : client d’environ 55 ans)
V: no [terve. ]
eh bien [salut]
C: [päivää] kaupp(h)uri
[bonjour] commerceur
Les interactions sont brèves et laconiques. Les nombreuses formes impersonnelles doivent être
considérées comme des expressions routinières figées (p. ex. tuleeko muuta ‘vient-il autre
chose’[encore autre chose], noin ‘voilà’ vs. ole hyvä ~ olkaa hyvä ‘s’il te plaît ~ s’il vous plaît’) ;
comme dans les tabacs-presse ou les librairies-papeteries-presse français, les énoncés directifs (à
l’impératif ou elliptiques) sont couramment utilisés par les clients (Dumas 2008 : 203). Il n’est
pas rare que la transaction commence par des salutations symétriques et se termine par des
remerciements symétriques :
(41) (T535, Corpus D ; V : vendeuse d’environ 40 ans, C : client (homme) d’environ 40 ans)
C: [hei;
[salut
V: [hei;
[salut
C: tuo Multifilteraski.
apporte un paquet multifiltre
V: yksi; MENEE TUPAKKAHYLLYLLE
un ; VA AU RAYON CIGARETTES
C: njoo.
ouais
V: [sittev vielä muu[ta.
[encore autre cho[se
C: [aa sitte kertalippu
[ah [oui] ensuite un ticket [de bus]
V: Helsingin sisäine.
pour Helsinki
C: joo.
oui
V: se ov viis neljä viis.
ça fait cinq quarante-cinq
(si[tte.) kiitti]
(en[suite.) merci]
C: [sittet tikku] aski.
[ensuite une allumette] boite [boîte d’allumettes]
V: tikkuas [kiki ] vielä.
une allumetteboîte [aussi encore [une boîte d’allumettes encore]
C: [joo:.]
[oui:.]
V: se oli viis kuus viis.
c’était cinq soixante-cinq
V: [noin noin ja noin.
[voici voici et voici
C: kiitoksia.
merci
V: kiitti; [forme familière de kiitos]
merci
20
Il est presque de règle que les vendeurs tutoient les clients, même ceux qui sont âgés, mais il y a
des exceptions : deux vendeurs travaillant dans les quartiers sud de Helsinki (considérés comme
chics) vouvoient une partie des clients qui ont l’âge de la retraite (mais pas tous !) :
(42) (T692, Corpus D ; V : vendeuse d’environ 20 ans, C : cliente d’environ 60 ans)
V: päi [vää;
bon [jour
C: [päivää;
[bonjour
ASIAKAS OTTAA KUPONGIN ESIIN JA LAITTAA SEN TISKILLE; MYYJÄ KESKUSTELEE TOISEN MYYJÄN KANSSA
LE CLIENT SORT UN COUPON ET LE MET SUR LE COMPTOIR ; V DISCUTE AVEC UNE AUTRE VENDEUSE
V: elikkä tämä tuli teille. OTTAA KUPONGIN TISKILTÄ
donc ça c’est pour vous PREND LE COUPON SUR LE COMPTOIR
C: joo.
oui
V: kiitos;
merci
Les autres te ‘vous’ ont toujours un sens pluriel et réfèrent à l’institution, ce que peut également
faire un sinä ‘tu’. Le plus souvent, le vendeur se sert du tutoiement (a) sans pronom (p.ex. otatko,
ostatko), donc du tutoiement le plus formel (v. chap. 1) et de la formule ole hyvä (‘s’il te plaît’
dans le sens de ‘voilà’). Cela est souvent dû au fait que les interlocuteurs se connaissent
d’avance, surtout dans les petites localités rurales (cf. ci-dessus le cas du photographe et des
centres médicaux)24, ou à la nature peu formelle de l’interaction. Une partie des vendeurs
s’adressent aux jeunes clients par le tutoiement le plus informel (c : pronom sä). Les clients
utilisent bien moins souvent une forme d’adresse directe, mais si c’est le cas, il s’agit de directifs
à la deuxième personne du type anna, viittikkös kattoo ‘donne[-moi]’, ‘pourrais-tu voir’ ; par
ailleurs, les hommes se servent de plus d’impératifs (anna ‘donne’) que les femmes (cf. Sorjonen
& al. 2009). Les exemples (43) et (44) montrent que les salutations ne sont pas systématiquement
symétriques et que la transaction peut se passer sans salutation(s) initiale(s) ou remerciement(s)
final(s) :
(43) (T301, Corpus C ; V : vendeuse d’environ 40 ans, C = client (homme) d’environ 40 ans)
V: he[i.
sa[lut
C: [punanem Malaporo.
[un Marlborough rouge
V: onko se kova vai pehmee.
c’est dur ou mou
C: anna pehmee. tuo; sitten tuo Iisikortti (nyt);
donne un mou. donne ensuite la carte Iisikortti
(44) (T402, Corpus C ; V : vendeuse d’environ 40 ans, C : client (homme) d’environ 20 ans)
C: anna pieni punane Ällämmä.
donne un petit rouge LM [un petit LM rouge]
V: hei.
salut.
MYYJÄ OTTAA TUPAKAT HYLLYSTÄ, LUKEE HINNAN LUKULAITTEELLA JA LAITTAA TUPAKAT TISKILLE
V PREND LES CIGARETTES SUR LE RAYON, LIT LE PRIX AVEC UN LECTEUR DE PRIX ET LES MET SUR LE COMPTOIR
V: tuliks muuta.
vient-il autre chose [autre chose ?]
24 Mais un R-Kioski peut également former une petite communauté où les habitués se rencontrent régulièrement.
21
3.2.5. Remarques
Lors des interactions dans les commerces et services, les FNA sont tout à fait exceptionnelles et
n’apparaissent que quand le locuteur a besoin d’attirer l’attention de l’autre (cf. corpus
médiatique). Le tutoiement est presque omniprésent, soit dès le début de l’interaction, soit après
une phase d’adresse impersonnelle. Une fois le tutoiement direct introduit, les formes
impersonnelles peuvent de nouveau être employées, par exemple pour atténuer les actes directifs.
Les rares cas de vouvoiement sont clairement liés aux facteurs âge et non connu, mais un te
‘vous’ peut également apparaître au milieu du tutoiement, par exemple lors du remplissage d’un
formulaire où les questions, lues à haute voix par l’employé ou l’infirmière, sont rédigées à la
deuxième personne du pluriel.
Le grand nombre des tutoiements dans les interactions finnoises ne s’explique pas
seulement par le fait que son emploi s’est énormément répandu aux dépens du vouvoiement. Il
faut également tenir compte du fait qu’une grande partie des interactions ont lieu dans de petites
villes (et dans de petits commerces) où les commerçants/employés connaissent généralement
leurs clients, au moins de vue. En fait, les résultats qu’on obtiendrait dans les grands magasins
prestigieux situés dans les grandes villes, par exemple chez Stockmann (Helsinki) seraient
différents. D’après l’enquête de Fremer effectuée dans les années 1990 (1996, 1998), les
vendeurs de ce grand magasin vouvoyaient leurs clients finnophones et suédophones en se
conformant ainsi aux instructions données ; ils ne devaient passer au tutoiement que si le client le
désirait (cf. Iisa 1999 : 18, qui a étudié l’adresse dans les factures envoyées par Stockmann). Cette
enquête montrait toutefois que dans les interactions en finnois apparaissaient bien des formes
impersonnelles s’expliquant en partie par l’hésitation à employer ce pronom adresse peu usité,
d’autant plus que le vouvoiement « imposé » pouvait être perçu comme gênant par les clients.
Une journaliste de Helsingin Sanomat (17/1/ 2007) (v. Isosävi 2010) raconte sa discussion avec
la vendeuse d’un grand magasin, qui continue à la vouvoyer malgré sa demande d’être tutoyée,
parce que « On fait partie de l’Europe et le vouvoiement fait partie des coutumes d’un État
civilisé. En France aussi tout le monde se vouvoie. »
Si nous comparons les transactions étudiées avec des situations correspondantes en
France, on peut voir qu’à part la rareté de l’emploi du vouvoiement et des FNA, les stratégies
conversationnelles et les types d’échanges sont assez similaires (v. ci-dessus p.ex. la formulation
des requêtes dans les commerces : énoncés à l’impératif ou elliptiques), même si tout ce qui
relève des routines de politesse en France se manifeste moins dans les interactions finnoises. Cela
s’explique peut-être en partie par le fait que dans les petits commerces R-Kioski étudiés, le
commerçant est rarement toujours la même personne (patron(ne)), mais que ce sont souvent des
jeunes qui travaillent à l’heure et pendant une période assez brève pour gagner un peu d’argent de
poche : on y a donc bien moins souvent qu’en France de longues relations commerçant-habitué.
Dans ces endroits, et plus spécifiquement encore dans les grandes villes, il faut être pragmatique
et rapide, surtout quand les autres attendent, et ne pas « habiller » sa requête de formules verbales
jugées superflues, à partir du moment où un sourire et/ou un signe de tête suffisent. Chez le
photographe, les interactions correspondent un peu plus à celles que l’on rencontre dans les
corpus français.
Les différents types d’échanges se répartissent de manière un peu différente dans le
corpus finnois. Les « signes d’histoire conversationnelle » (cf. Dumas 2008 : 184 sqq. : marques
d’échanges antérieurs ou d’une suite possible) apparaissent le plus souvent dans les centres
médicaux et chez le photographe, où certains patients et femmes enceintes dans le premier cas, et
clients dans le second, se rendent régulièrement (cf. ex. 45), mais dans les bureaux de sécurité
22
sociale KELA (ex. 46) et dans les R-Kioski, ils n’apparaissent que sporadiquement, quand le
client tombe sur le même vendeur/employé et qu’il le connaît depuis longtemps :
(45) (T1196 Corpus B ; I: infirmière, P : patient (homme) d’environ 60 ans)
P: jahhah
bon bon
I: no niih
eh bien
I: tässä taas ol:laan.
ici de nouveau on est [me voici de nouveau]
P: joo-o.
oui
P: .hh kiloa kevyemp(h)än(h)ÄH hä hä hä
avec un kilo de moins ha ha ha
I: no hyvä
c’est bien
(46) (T963 Corpus D ; E : employée d’environ 30 ans, C : client d’environ 50 ans)
C: terve; täällähän on mun
salut; ici se trouve ma
C: mun tyt\tö.
ma fille
vakiovirkailija.
habituelle employée [mon employée habituelle]
La manifestation d’échanges antérieurs s’accompagne en France souvent de « modules
conversationnels » (la transaction dévie vers la conversation, cf. Dumas 2008 : 190) ; en
Finlande, ils n’apparaissent guère que dans les centres médicaux (ex. 47) et chez le photographe.
Il est intéressant de constater que d’après Dumas (2008 : 191), ce sont surtout les transactions au
tabac-presse qui en contiennent (64%, ce qui s’explique par le grand nombre d’habitués ; cf.
également Doury & Traverso 2008), tandis que dans les services français étudiés (poste, Crédit
agricole, mairie), ces modules étaient plutôt rares.
(47) (T921 Corpus B ; I: infirmière d’environ 40 ans, P: patiente d’environ 60 ans)
P: mutta kyllä näkee ton,
mais on voit bien cette
pekonia ni että,
begonia oui que
ne lehdet_o ruskeita,
les feuilles sont brunes
ali [maiset lehdet
infé [rieures feuilles [les feuilles inférieures]
I: [että ne om pakkasta
[qu’elles ont gelé
Quant aux rituels d’ouverture et de clôture, on en trouve aussi bien en Finlande qu’en France,
mais contrairement à la France (v. p. ex. Dumas 2008 : 196-198), en Finlande ils ne sont
pratiquement jamais accompagnés d’une FNA, et les marqueurs d’une suite possible (à la
prochaine, à bientôt, à tout à l’heure ; cf. Dumas 2008 : 188) sont entièrement absents.
On ne peut pas faire une différence nette entre les commerces et les services, bien que les
transactions y soient de type différent. Comme en France, la différence se manifeste surtout dans
le degré de familiarité (cf. Kerbrat-Orecchioni & Traverso 2008 : 35), lequel dépend
principalement de la durée de la relation transactionnelle, mais également de la localité (grande
23
ou petite) et de l’âge des clients, les plus volubiles étant les plus âgés qui ont également souvent
une relation plus longue avec le commerçant, l’employé ou l’infirmière. Dans le corpus examiné,
cette familiarité se manifeste surtout dans les centres médicaux et chez le photographe.
Les interactions finnoises et françaises suivent donc le même modèle, mais en France,
elles sont généralement plus « habillées ». D’un côté, le locuteur finlandais est plus « direct »
dans sa manière de demander, sans préambules, le produit ou le service souhaité, mais, d’un
autre, il n’aime pas établir une relation d’adresse directe avec son interlocuteur (inconnu), ce qui
se manifeste par l’utilisation fréquente de formes impersonnelles.
4. Conclusion
Nous avons pu voir que les stratégies d’adresse finnoises ressemblent aux stratégies françaises. Quel
que soit le type d’échange, les grandes différences entre le finnois et le français sont toujours les
mêmes : d’un point de vu quantitatif on peut constater l’absence des FNA ou leur utilisation bien plus
restreinte dans les services et commerces, ce qui s’explique certainement en partie par le fait que la
modulation de la relation repose davantage qu’en français sur le paradigme des pronoms et leur
présence / absence à côté du verbe, qui marque en soi la personne grammaticale (3 variantes de
tutoiement, en plus du vouvoiement et des formes impersonnelles). Le rôle des FNA y est donc moins
important que dans une langue avec moins de choix (en anglais, par exemple, une seule forme
pronominale : you). D’un point de vue qualificatif, le finnois montre une grande préférence pour des
types d’adresse, qui, pour un Français, semblent soit familiers (l’utilisation de FNA dans les débats
télévisés, l’absence de formules de politesse et le tutoiement généralisé) soit trop indirects (l’emploi
d’adresses impersonnelles).
Nous nous étions également demandé si la variation régionale et/ou dialectale se manifestait
dans l’adresse en finnois25, et nous avons pu constater qu’à part quelques variations minimales (petits
commerces dans les quartiers sud de Helsinki : un peu plus de vouvoiement), les stratégies d’adresse
et le choix des FNA est plutôt lié au type d’échange, et au message transmis (requête, interdiction,
demande d’attention). En finnois comme en français, chaque type d’interaction constitue donc une
sorte de mini-monde possédant ses propres normes et mettant en œuvre ses propres stratégies.
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S'adresser à autrui. Les formes nominales d'adresse en français. Bresson: Université de
25 Ici, nous ne pensons pas aux formes des pronoms (standard, familières ou dialectales … : sinä, sä, sää, sie...), mais
au type d’adresse (tutoiement, vouvoiement…).
24
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