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LES CARNETS
DE LA CHAIRE
Vol 1 no 3 • Septembre 2016
L’intimidation,
le parcours scolaire
et la construction
identitaire d’étudiants
universitaires
Par
Suzy Patton
France Picard et
Nancy Gaudreau
La Collection de la Chaire de recherche sur la sécurité et la violence en milieu éducatif
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Pourquoi s’intéresser à la
problématique de l’intimidation?
L’intimidation est une problématique sociale d’importance, qui touche
entre 16,5 % et 36 % des élèves durant leur parcours (Beaumont, Leclerc,
Frenette & Proulx, 2014; Conseil canadien sur l’apprentissage, 2008; Institut
de la statistique du Québec, 2012). D’une part, de nombreuses recherches
arment que les élèves victimes d’intimidation sont sujets à vivre des
dicultés scolaires telles qu’une diminution de la performance scolaire
(Beran, Hughes & Lupart, 2008; Juvonen, Wang & Espinoza, 2010) ou
du sentiment d’ecacité personnelle (Rayle, Moorhead, Green, Grin &
Ozimek, 2007) et un risque plus élevé de décrocher (Cornell, Gregory, Huang
& Fan, 2013). Plusieurs études révèlent également que le fait de vivre de
l’intimidation aecterait l’expression identitaire (Graham, Bellmore & Mize,
2006; Yang, Kim, Kim, Shin & Yoon, 2006). D’autre part, une étude canadienne
met en lumière une réalité diérente : certaines personnes ayant vécu de
l’intimidation parviennent, en dépit de cette expérience, à entreprendre des
études postsecondaires et à poursuivre leur passion sur le plan professionnel
(Roberge, 2008).
Ce constat nous a mené à examiner les parcours d’exception de dix-huit
étudiants universitaires qui ont vécu de l’intimidation an de décrire
« la vie après l’intimidation », en répondant à la question suivante : Dans
quelle mesure le fait d’avoir été victime d’intimidation à l’école secondaire
a-t-il inuencé la construction identitaire d’étudiantes et d’étudiants
universitaires québécois et, de là, la poursuite de leur parcours scolaire?
Trois objectifs spéciques sous-tendaient cette question de recherche :
1) Comprendre l’incidence de l’intimidation sur le plan de carrière des
jeunes qui en ont été victimes au secondaire.
2) Explorer les liens possibles entre le vécu d’intimidé et les aspirations aux
études postsecondaires.
3) Explorer dans quelle mesure le fait d’avoir vécu de l’intimidation à
l’école secondaire aecte la construction identitaire des étudiants
universitaires.
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La théorie du
contrôle identitaire
Pour répondre à cette question, la théorie du contrôle identitaire de Kerpelman, Pittman et
Lamke (1997) a été mobilisée. Cette théorie repose sur un système de contrôle identitaire qui
gère les incongruences potentielles entre les rétroactions sociales externes, comme celles
des amis et de la famille, et les dénitions personnelles de l’identité que la personne s’est
elle-même créées. Autrement dit, la perception qu’une personne a d’elle-même sera en
partie dérivée des rétroactions venant de son environnement social.
La théorie de contrôle identitaire est composée de cinq composantes, illustrées ci-dessous:
Les cinq composantes de la théorie de contrôle identitaire (adaptée à partir de Kerpelman et coll., 1997)
Lorsqu’une rétroaction externe de la part de l’environnement social est reçue, elle est
interprétée an de former une perception de soi. Cette perception de soi est comparée avec
un standard identitaire. Quand le standard identitaire n’est pas congruent avec la rétroaction
reçue, le comportement de la personne visera à restaurer ce standard identitaire en passant
soit par la perception de soi, soit en tentant d’aller chercher de nouvelles rétroactions de
l’environnement social plus positives en changeant ses comportements. Si cette stratégie
ne fonctionne pas, le standard identitaire pourra alors être ajusté lui aussi.
Cette approche peut être comparée au fonctionnement d’un thermostat (Anderson &
Mounts, 2012; Burke, 1991; Kerpelman et coll., 1997). Un thermostat se met à fonctionner
lorsqu’un écart signicatif est observé entre la température ambiante et la température
demandée. Il vise donc à restaurer la congruence entre ces deux sources d’information,
par exemple en ajoutant de l’air chaud ou froid à la pièce. Appliquée au développement
identitaire, cette théorie propose que l’autorégulation de soi permette d’arriver à maintenir
une congruence entre une idée de référence de soi et l’information externe qui nous est
renvoyée (input).
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Résultats
Sur le plan de la persévérance scolaire, l’intimidation a eu peu d’inuence sur les
aspirations aux études postsecondaires des participants, car leur désir d’entreprendre
des études universitaires était déjà bien ancré pour la plupart d’entre eux.
Sur le plan du choix de carrière, un intérêt nouveau ou renouvelé pour la relation
d’aide, un manque de conance envers sa capacité à réaliser son choix de carrière,
le besoin de s’éloigner des intimidateurs lors d’un choix d’études et un projet
d’avenir occulté par l’intimidation ont été observées, à diérents niveaux, chez les
participants rencontrés.
Sur le plan de la résilience, une typologie descriptive comprenant trois types de
parcours a été élaborée :
Types de
parcours
Description Développement de la
résilience
Parcours où la
persévérance
scolaire a été
compromise
L’intimidation a agi
comme un frein à
la poursuite d’un
parcours scolaire
positif.
Peu de facteurs de protection
étaient présents dans
l’environnement de l’élève. La
résilience s’est développée sur
une plus longue période.
Parcours axé
sur la
transition
L’intimidation a freiné
la poursuite d’un
parcours scolaire
positif, mais de
façon contextuelle
seulement.
Plusieurs facteurs de protection
étaient présents dans
l’environnement de l’élève.
La résilience s’est développée
lors d’un changement
d’environnement (par exemple :
l’arrivée au collégial), qui a
permis à l’élève de recevoir des
rétroactions sociales positives.
Parcours axé
sur la
réussite
L’intimidation a
poussé les étudiants
à s’investir davantage
sur les plans scolaire et
professionnel.
Plusieurs facteurs de protection
étaient présents dans
l’environnement de l’élève, en
plus d’un support immédiat.
La résilience s’est développée
au moment même où l’élève
subissait de l’intimidation.
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De plus, l’un des principaux constats qui se dégagent de la présente étude est que, peu
importe le type de parcours poursuivi, la victimisation aurait aecté la construction
identitaire des participants et la façon dont ils se perçoivent aujourd’hui.
Retombées
sur la pratique
Cette étude contribue à mettre en lumière qu’il est bénéque de prôner des relations
positives entre toutes les personnes qui font par tie de l’environnement scolaire, an
de freiner les répercussions possibles de l’intimidation sur le parcours scolaire et la
construction identitaires des élèves qui en sont victimes. En ce sens, l’instauration
d’un climat scolaire positif et sécurisant pourrait agir à titre de facteur de protection
(Poulin, Beaumont, Blaya et Frenette, 2015).
Sur le plan de l’intervention, le soutien que l’élève reçoit demeure primordial pour
diminuer les répercussions de l’intimidation et l’aider dans son développement
identitaire. En milieu scolaire, ce soutien peut notamment passer par un enseignant
qui est sensible à la situation vécue par l’élève, par une personne-ressource bien
identiée qui prend en charge la situation et en assure le suivi, ou encore en orant
un suivi en relation d’aide à l’élève.
Le milieu scolaire gagne aussi à orir des activités parascolaires et à favoriser les
possibilités de participer à des groupes communautaires. Ces activités peuvent prendre
diverses formes, et si les participants ont l’impression d’y contribuer positivement et
d’y développer leurs passions, il s’agit d’une stratégie d’intervention ou même de
prévention ecace.
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Principales
références
Beaumont, C., Leclerc, D., Frenette, E. & Proulx, M.-E. (2014).
Portait de la violence dans les établissements
d’enseignement au Québec (pp. 161). Québec:
Groupe de recherche SÉVEQ.
Cohen-Scali, V. & Guichard, J. (2008). L’identité : perspectives
développementales. L’Orientation Scolaire et
Professionnelle, 37(3), 321-345.
Espelage, D. L. & Swearer, S. M. (2003). Research on school bullying and victimization: what have we
learned and where do we go from here? School Psychology Review, 32(3), 365-383.
Gayet, D. (2007). Réussite et échec paradoxaux. Dans B. Cyrulnik & J.-P. Pourtois (dir.), École et
résilience (pp.29-46). Paris : Odile Jacob.
Grotevant, H. D. (1987). Toward a process model of identity formation. Journal of Adolescent
Research, 2(3), 203-222. doi: 10.1177/074355488723003
Kerpelman, J. L., Pittman, J. F. & Lamke, L. K. (1997). Toward a microprocess perspective on
adolescent identity development: an identity control theory approach. Journal of
Adolescent Research, 12(3), 325-346. doi: 10.1177/0743554897123002
Olweus, D. (2010). Understanding and researching bullying. Handbook of bullying in schools: an
international perspective (pp. 624): Routledge.
Roberge, G. D. (2008). The Tentacles of Bullying: The impact of negative childhood peer relationships
on adult professional and educational choices. Canadian Journal of Career Development/
Revue Canadienne de Developpement de Carrière, 7(1), 35-44.
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Note
biographique
Suzy Patton est titulaire d’une maîtrise en sciences
de l’orientation de l’Université Laval et a obtenu une
bourse d’excellence oerte par la Chaire de recherche
sur la sécurité et la violence en milieu éducatif. Elle
est également présidente du conseil d’administration
de l’organisme en démarrage INTERaXions, ayant pour mission d’agir auprès des
adolescents victimes d’intimidation, de leur famille et du milieu scolaire. Elle
travaille présentement comme agente de sensibilisation à l’entrepreneuriat jeunesse
chez Option-travail, un organisme d’aide à l’intégration socioprofessionnelle et au
développement de carrière de Québec. Cet article a été tiré de son mémoire de
deuxième cycle eectué sous la direction de la professeure France Picard et sous la
codirection de la professeure Nancy Gaudreau, de l’Université Laval.
Les Carnets de la Chaire sont publiés par La Chaire de recherche sur la sécurité
et la violence en milieu éducatif de l’Université Laval qui poursuit une triple
mission soit :
· Stimuler la recherche et contribuer au développement de nouvelles
connaissances pour prévenir et réduire les violences en milieu éducatif ;
· Renforcer les liens entre la recherche et la pratique pour que les actions
éducatives (milieux scolaires) et sociales (collectivité) bénécient de
connaissances validées pour orienter leurs interventions an de créer des
milieux scolaires positifs et sécurisants;
· Favoriser la relève scientique en stimulant la recherche et en encourageant
les étudiants et les chercheurs à publier le résultat de leurs travaux
La collection de la Chaire est dirigée par Nancy Gaudreau et Claire Beaumont,
professeures au département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de
la faculté des sciences de l’éducation de l’Université Laval (Québec, Canada).
Pour plus d’information sur cette publication, écrire à:
chaire.violence-ecole@ulaval.ca
Pavillon des Sciences de l’éducation 2320,
rue des Bibliothèques, bur. 974,
Université Laval, Québec (Québec), G1V 0A6
www.violence-ecole.ulaval.ca