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L’éthique professionnelle mise en jeu : l’exemple de L’Odyssée Ethique

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In this article, we try to show the links between play and ethics, based on the design of a serious game aimed at training students to the social professions, health and education. This is to meet the innovations of this educational tool in teaching professional ethics and new opportunities it offers, provided, enroll in a pragmatism perspective. First, the article refers to the distinction between ethics and professional conduct to emphasize, building on Dewey, that it is in situated actions that builds professional ethics. In the second part, we present the game in the Odyssey Ethics within the means that we have given to keep a pragmatism horizon in its design. Finally, in a last part, are presented the first results of the experiments of game, led with students in training.
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Sciences du jeu
6 | 2016
L'art en jeu ou le jeu de l'art
L’éthique professionnelle mise en jeu : l’exemple
de L’Odyssée Ethique
Judit Vari
Édition électronique
URL : http://sdj.revues.org/731
ISSN : 2269-2657
Éditeur
Laboratoire EXPERICE - Centre de
Recherche Interuniversitaire Expérience
Ressources Culturelles Education
Référence électronique
Judit Vari, « L’éthique professionnelle mise en jeu : l’exemple de L’Odyssée Ethique », Sciences du jeu [En
ligne], 6 | 2016, mis en ligne le 19 octobre 2016, consulté le 19 novembre 2016. URL : http://
sdj.revues.org/731 ; DOI : 10.4000/sdj.731
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L’éthique professionnelle mise en
jeu : l’exemple de L’Odyssée Ethique
Judit Vari
1 Les recherches et analyses en sciences de l’éducation rencontrent souvent des difficultés
à montrer les liens entre jeux et apprentissage (Brougère, 2005 ; Berry, 2011). Il s’avère en
effet assez complexe, en particulier d’un point de vue méthodologique, de mesurer les
effets réels du jeu sur les compétences acquises par les enfants ou les adultes, et sur ce
qu’ils en auront finalement retenus. Ces difficultés sont notamment dues à la temporalité
même des jeux traditionnels,1 qui s’inscrivent, comme l’avait déjà souligné Dewey, dans
un temps relativement court et circonscrit. Mais l’arrivée des jeux vidéo et des jeux en
réseau a modifié cette temporalité, avec l’existence de mondes persistants dans lesquels
le joueur peut se connecter à n’importe quel moment et progresser, seul ou accompagné.
2 Les recherchescentes sur les effets des jeux vidéo notamment les jeux en ligne
massivement multi-joueurs (JMM) et les jeux sérieux, se dirigent, le plus souvent comme
le rappelle Berry (2011), dans deux directions principales s’appuyant sur deux traditions
disciplinaires différentes : la psychologie cognitive et la sociologie. La première tente de
montrer les conséquences directes du dispositif didactique du jeu vidéo sur les
compétences des joueurs qui agirait sur la dextérité, la représentation dans l’espace, la
capacité à gérer plusieurs tâches en même temps, et la motivation (Malone et Lepper,
1987). La seconde tente davantage quant à elle de mesurer les effets sur la socialisation, la
construction identitaire et le profil ludique des joueurs que les effets sur les
apprentissages de savoirs. Ce constat appelle néanmoins une remarque, car il ne semble
pas particulièrement spécifique aux jeux, ni aux jeux vidéo en particulier. En effet, ce
type de critique semble généralement adressé aux dispositifs d’éducation dits informels,
aux structures de loisirs. 2
3 Il se révèle ainsi difficile de travailler conjointement dans une même recherche ces deux
approches. C’est ce défi que nous tentons de relever dans notre projet de conception d’un
jeu sérieux à destination de futurs professionnels de l’éducation, et que nous allons
présenter dans cet article. Ce projet a pour ambition de lier outil pédagogique et
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démarche de recherche. Ce qui nous préoccupe plus particulièrement ici, c’est que
l’aspect motivationnel du jeu est parfois posé comme une évidence, sans être toujours
véritablement démontré par certains chercheurs travaillant sur les jeux vidéo et les jeux
sérieux3 en particulier. Ces derniers auraient des qualités hautement motivationnelles
(Natkin, 2004 ; Sauvé et Kaufman, 2010), et redonneraient du plaisir aux apprentissages
(Tricot, 2014). Cette évidence nous paraît d’autant plus importante à questionner d’un
point de vue sociologique, que les disparités sociales en termes d’usages des jeux vidéo et
des jeux éducatifs sont fortement dépendantes4.
4 Nous nous demandons plus précisément si le jeu garde ses qualités motivationnelles
lorsqu’il s’adresse à un public d’adultes en formation, d’autant plus que comme l’avait
remarqBrougère (2005), le jeu lorsqu’il est utilien classe perdrait ses qualités
originelles de plaisir et de liberté, puisqu’il est imposé et détourné à des fins éducatives.
5 L’usage des jeux en formation pour adultes n’est certes pas nouveau, en particulier en
formation continue avec les jeux dramatiques et les jeux de rôles. Mais il reste encore
assez rare en formation initiale, d’autant plus en ce qui concerne l’éthique
professionnelle. De plus, les recherches portant sur les effets de ces pratiques sont assez
peu nombreuses même si elles tendent à montrer leurs bénéfices sur la formation (Guérin
et Arquieri, 2012 ; Page, 2001). Une des questions que nous nous posons ici et à laquelle
nous apporterons quelques éléments de réflexion est de savoir si le jeu sérieux en tant
que dispositif éducatif innovant influence la motivation des étudiants et leurs
apprentissages, et si oui de quelle(s) manière(s) ? Les étudiants sont-ils motivés parce
qu’ils font une activité qui sort de l’ordinaire des cours à l’université, ou parce qu’ils
jouent et apprennent en même temps, et dans ce cas qu’apprennent-ils ?
6 Dans un premier temps, nous reviendrons sur la distinction entre éthique et déontologie
professionnelle, en nous demandant dans quelle mesure et de quelles manières le jeu
sérieux peut amener à travailler le questionnement éthique. Nous rappellerons à cette
occasion le cadre de référence dans lequel nous nous inscrivons qui est la philosophie
pragmatiste de Dewey et Mead. Puis dans une seconde partie, nous présenterons L’Odyssée
Ethique, nous essaierons de montrer que les apports du jeu sérieux portent sur différents
aspects, aussi bien sur l’esthétique, que la possibilité d’exploration de l’environnement.
7 Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous présenterons les premiers résultats de
l’expérimentation du jeu sérieux par trois groupes d’étudiants, deux groupes en
formation initiale se destinant à devenir éducateur spécialisé et un groupe en formation
continue étant déjà employé en tant qu’enseignant spécialisé. Nous verrons que l’âge et le
type de formation influent sur la réception et la prise en main du jeu.
Ethique et Jeu
8 Si la formation à l’éthique paraît indispensable aux yeux des formateurs, en particulier
dans les champs du travail social et de la santé, celle-ci a changé de forme avec le
développement des temps d’analyse des pratiques (Wittorski, 2003). Mais ce n’est que plus
récemment que sa nécessité est à nouveau fortement réinvestie dans le domaine de la
formation des enseignants (Prairat, 2013). Cet appel à davantage d’éthique dans la
formation professionnelle peut s’analyser comme une demande accrue de reconnaissance
statutaire et identitaire du métier d’enseignant (Prairat, 2013 ; Kahn, 2006). Par ailleurs,
certains auteurs, comme Ullern-Weité (2007), mettent en doute les modalités didactiques
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de la formation éthique telle qu’elle est actuellement posée dans les formations. Encore
faut-il s’entendre sur ce qu’est la formation éthique ou déontologique, car les attendus
pédagogiques peuvent être très variables selon la manière même dont est définie et
conçue l’éthique.
Ethique professionnelle ou déontologie professionnelle ?
9 Il nous semble important de rappeler ici de quelle manière est entendue l’éthique
professionnelle. Terrenoire (1991) s’interrogeait déjà si derrière les spécificités de chaque
éthique professionnelle (du psychologue, de l’enseignant, du travailleur social etc.), il n’y
avait pas des caractéristiques communes.
10 Revenons rapidement ici sur la différence entre éthique5 et déontologie. Le terme de
déontologie qui signifie étymologiquement « la science du devoir » a é créé par J.
Bentham (1834), il est aujourd’hui employé de manière courante pour désigner l’ensemble
des devoirs liés à l’exercice d’une profession. La déontologie apparaît ainsi normative et
prescriptive : elle se définit comme un « ensemble de règles exprimées de façon formelle
et explicite et dont la transgression est susceptible de sanction. » (Siroux, 2004, p.474). La
déontologie s’inscrirait dans une théorie des normes, alors que l’éthique s’inscrirait dans
une théorie des valeurs, mais cette distinction ne peut être trop radicale (Ogien, 2007).
L’éthique professionnelle est plus large que la déontologie : elle a une fonction critique,
alors que la déontologie tend à donner une réponse de ce qui doit être fait dans une
situation, et qui précise les bonnes et les mauvaises pratiques.
11 Dans le cadre de la formation des enseignants, Prairat défend l’idée de la nécessité de
donner un cadre déontologique à ces derniers, qui serait à la fois « une structure d’aide,
un outil au service de l’action et un cadre de configuration » (Prairat, 2013, p. 153).
Travailler la déontologie en formation permettrait pour Prairat de définir « l’espace de
l’agir qualifié », le domaine de compétence du professionnel, de définir ses tâches, de lui
donner des repères pour mener à bien sa mission d’enseignant. Prairat en appelle ainsi à
un déontologisme tempéré, qui soit moins absolutiste que le déontologisme kantien, et
qui revendique une intelligence des situations. Ainsi par « déontologisme tempéré » :
Il faut comprendre que, si le respect des droits et des légitimes prérogatives de
l’élève est essentiel, ce respect n’a pas de caractère absolu. On peut en certaines
circonstances être amené à suspendre l’exercice d’un droit à un élève pour éviter à
ce même élève un important préjudice. (…) Le déontologisme tempéré accepte que
l’on suspende momentanément un droit à l’égard d’un élève pour épargner à ce
même élève une situation douloureuse. Il ne s’interdit donc pas de projeter et, le cas
échéant, de restreindre la liberté de l’élève pour lui éviter un mal. Cette restriction
est la marque d’une teinte de paternalisme, d’une inévitable teinte de paternalisme
dans le rapport maître-élève. (Prairat, 2013, p.92)
12 Cet appel à une charte déontologique comporte cependant un certain nombre de
difficultés souligné par Kahn, en particulier le fait qu’ « il n’y a pas de déontologie sans
réflexion éthique sur les fondements et les finalités de la profession » et :
ainsi l’idée même de déontologie suppose une autonomie et une responsabilité de la
part de ceux qui y souscrivent, à l’image exemplaire des professions libérales de la
médecine et du barreau. Lorsque les règles sont « transcendantes », imposées par
une institution (État, Église,…), le projet même d’une déontologie fédérant une
profession et fédérant ses pratiques perd la plus grande partie de son sens. (Kahn,
2006, p.115)
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13 Il ne peut y avoir de pratiques fédératives et ce sont au contraire les pratiques différentes
qui donnent lieu à des discussions éthiques :
l’éthique professionnelle recouvre tout ce qui relève de la régulation éthique dans
le cadre d'une profession donnée, que cette dernière soit partiellement ou
totalement établie, ou qu'elle se donne progressivement les moyens de
l'être (Terrenoire, 1991, p.10).
14 Travailler l’éthique professionnelle, c’est valoriser la capacité réflexive de l’acteur. Or,
pour cela, il faut renverser la perspective philosophique et la manière de concevoir
l’éthique.
Vers une éthique située
15 La position de Dewey est que l’éthique s’ancre dans la pratique ordinaire et il récuse la
séparation entre normes et valeurs : il y a une objectivité des valeurs qui peut faire l’objet
d’enquêtes et d’expérimentation (Bidet, Quéré, Truc, 2011). Les jugements de valeur sont
toujours propres à un contexte concret d’expérience. Les valeurs sont des « événements
concrets », des « faits » qu’il est possible d’observer et donc d’analyser. Dewey utilise la
notion d’évaluation qui implique le désir et l’intérêt. Les valeurs vont émerger
directement de la situation, sur ce qui plaît ou ne plaît pas. Dewey distingue la valuation
de l’évaluation, les appréciations immédiates sur des faits et des jugements de valeurs qui
sont deux moments d’unme processus qui est la valuation. La valeur est une
composante de notre expérience immédiate, mais nous évaluons également nos
appréciations immédiates en les soumettant à la réflexion (Dewey, 2011a).
16 Cette réflexion est toujours dépendante du contexte et l’interaction entre l’organisme et
son environnement. La connaissance n’est pas autonome et indépendante du contexte et
de l’environnement. Au contraire ces deux éléments sont des repères et servent d’indices
pour la conduite future, c’est seulement en subissant les conséquences de son action sur
l’environnement qu’il y a expérience. La vie nécessite une adaptation, et l’interaction de
l’organisme et de l’environnement est la catégorie de base de toute connaissance. Le sens
commun est lié à « la conduite de la vie en relation avec l’environnement existant »
(Dewey, 2006, p.123-124).
17 Le principe de continuité est au cœur de la notion d’expérience éducative chez Dewey, et
l’éducation doit être une continuelle expérimentation. Ce principe permet d’évaluer les
interactions à deux niveaux, d’une part au niveau de la qualité même du milieu selon le
degré de réalisation de l’individualité de chacun dans ce milieu, et d’autre part au niveau
de l’individualité de chacun selon sa « croissance » ou « maturité » (Zask, 1999, p.39). C’est
l’organisation démocratique qui offre les plus grandes possibilités d’ouverture et
d’enrichissement du milieu et de l’individualité. Il y a une coextensivité entre éducation
et démocratie ; la démocratie porte en elle-même un principe éducatif, qui permet la
croissance et la maturation de chaque individualité. Cette dernière ne peut émerger que
parce que les individus participent ensemble à la régulation de la vie sociale. Aussi
l’éducation morale ne peut coïncider qu’avec une éducation civique et démocratique.
L’individu ne peut se réaliser que dans la coopération avec les autres, que parce qu’il est
engagé dans la réalisation d’un bien commun ; les expériences de l’individu et la
réalisation de soi dépendent de la réalisation de la communauté, et réciproquement. La
morale coutumière (traditionnelle) doit donc céder la place à une morale réfléchie, pour
que l’individu démocratique puisse se réaliser.
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18 Aussi, si l’école a pour objectif de former des futurs citoyens, les enseignants doivent
accompagner les élèves dans leur apprentissage par le biais d’activités et de projets
venant de leurs intérêts, et développer ainsi les sentiments de coopération et de
sympathie nécessaires à toute vie démocratique.
Jeu et questionnement éthique
19 Dewey a porté peu d’intérêt, d’un point de vue philosophique, au jeu, contrairement à
Mead, son ami et collègue, à qui nous devons la distinction, dans une nouvelle logique
conceptuelle, entre le jeu libre et souple (le play) et le jeu réglementé (le game). Pour
Dewey, le jeu ne se caractérise pas par l’amusement et le désœuvrement. Jeu et travail ne
sont pas opposés, et tous les deux sont des activités intentionnelles, sinon ils perdent de
leur intérêt :
Dans leur signification profonde, le jeu et le travail ne sont nullement aussi opposés
qu’on le suppose souvent, toute différence tranchée étant due à des conditions
sociales indésirables. Ils impliquent des fins consciemment entretenues, ainsi que le
choix et l’adaptation des matériaux et des processus destinés à produire les fins
désirées. La différence qui les oppose est en grande partie une différence
temporelle, qui a pour conséquence d’affecter le caractère direct ou immédiat du
lien qui lie les moyens et les fins. (Dewey, 2011b, p. 289-290).
20 Dans le jeu, l’intérêt est plus direct, cela ne veut pas dire pour autant que même si le jeu
est une activité ayant en elle-même sa propre fin, il ne comporte aucun élément de
prévision et de recherche : « le jeu a une fin au sens d’idée directrice qui valorise les actes
successifs à faire » (Dewey, 2011b, p.283). Le jeu a une temporalité plus courte dans sa
visée que le travail, où l’attention est plus continue et demande davantage d’intelligence
dans le choix et la formation des moyens. Le travail demande des efforts constants à la
différence du jeu.
21 Pour Dewey, le jeu est lié à l’intérêt de l’enfant, mais demande moins que le travail une
continuité de l’action définie en fonction des résultats obtenus. Pour le dire autrement, si
dans le jeu les objectifs et les moyens peuvent être revus, c’est dans la situation même du
jeu et non à long terme. C’est pour cette raison qu’à partir d’un certain âge le jeu va
progressivement perdre de l’intérêt chez l’enfant, et il sera alors assez mûr pour des
activités demandant des efforts plus réguliers. C’est peut-être pour cela que Dewey s’est
peu intéressé au jeu comme outil pédagogique, s’il ne le récusait pas, sa portée
pédagogique lui paraissait moindre.
22 Pour Mead c’est par l’intermédiaire du jeu réglementé (le game) que l’enfant va accéder à
une personnalité organisée, qui est à la fois le signe de sa croissance et de sa maturité, et
aussi de sa pleine intégration à la société.
L’importance du jeu réglementé vient de ce qu’il s’inscrit tout entier dans le
domaine de l’expérience de l’enfant et l’importance de l’éducation moderne vient
de qu’elle pénètre autant qu’il est possible ce domaine d’expérience. Les diverses
attitudes qu’assume un enfant sont organisées de telle sorte qu’elles exercent un
contrôle déterminé sur sa réponse, tout comme les attitudes dans un jeu
réglementé contrôlent ses réponses immédiates. Dans un tel jeu, nous avons affaire
à un Autrui organisé, à un Autrui généralisé, qui se retrouve dans la nature même
de l’enfant et qui s’exprime dans son expérience immédiate. Cette activité
organisée dans la nature même de l’enfant, en contrôlant ses réponses
particulières, confère une unité à son soi et en assure la formation. (Mead, 2006,
p.227)
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23 Pour Mead, comme pour Dewey, un individu acquiert une personnalité parce qu’il
appartient à une communauté et « parce qu’il assume les institutions de cette
communauté dans sa propre conduite » (Mead, 2006, p. 229). La structuration de la
personnalité dérive de cette capacité de l’individu à adopter l’attitude des membres de la
communauté. Or c’est le jeu réglementé qui permet à l’enfant d’y accéder et qui est un
signe de maturation. Le game est chez Mead au cœur du processus de socialisation morale
de l’enfant mais ne s’arrête pas pour autant à l’âge adulte, même s’il prend une
importance moindre. Car chez Mead et chez Dewey, il n’y a pas de différence de nature
entre l’enfant et l’adulte, mais un degré de maturation.
24 C’est à partir de cet ancrage théorique que nous avons conçu L’Odyssée Ethique, en gardant
pour horizon de développer le questionnement éthique des étudiants en formation sans
verser dans une moralisation du joueur.
L’Odyssée Ethique : garder un horizon pragmatiste
25 Soutenus par l’université de Rouen, nous6 avons initié la création d’un jeu sérieux
L’Odyssée Ethique, destiné aux étudiants se formant à travailler dans les métiers du social,
de l’enseignement et de la santé. La première version jouable de ce jeu a été testé en
février 2015 et la seconde en mars 2016. L’objectif de ce jeu est d’amener les étudiants à
s’interroger sur leur futur métier d’accompagnement et leur posture professionnelle
(éducateur spécialisé, animateur, psychologue, enseignant). L’hypothèse centrale posée
est que par l’intermédiaire du jeu, l’étudiant pourra plus facilement d’une part
appréhender les liens entre la théorie et la pratique, et d’autre part mieux comprendre
les compétences attendues dans son futur métier.
26 Lors de leurs premières années d’études, les étudiants se destinant aux métiers du social
et du soin rencontrent des difficultés à se projeter dans leur futur métier et à comprendre
en quoi les apports théoriques leur seront utiles dans leurs pratiques quotidiennes de
travail. Leurs représentations de la profession sont davantage portées sur le « faire » du
métier et il leur est parfois difficile de relier les cours et la pratique des stages, d’autant
plus que ces derniers arrivent parfois assez tardivement dans la formation. La posture
professionnelle semble pouvoir s’acquérir d’abord par l’expérience, position largement
défendue par l’ensemble des professionnels. C’est notamment par le biais des stages que
les futurs praticiens s’approprient progressivement les valeurs qui sous-tendent la
profession, or un des obstacles à l’entrée en formation est justement la contradiction
entre les valeurs professionnelles et l’éthique personnelle (Melchior, 2011).
27 Il y a encore peu de jeux sérieux portant sur l’éthique professionnelle, et lorsqu’ils
existent, ils sont le plus souvent à destination des entreprises en ayant majoritairement
une visée déontologique. Une approche proposée sous forme de simulation7 par une
équipe canadienne, le Conseiller éthique, consiste à faire travailler les étudiants à partir de
modèles de résolution de dilemmes éthiques (Power et Langlois, 2010). L’objectif est de
faciliter, au sein des entreprises et des institutions, les relations interpersonnelles et
apprendre à savoir réagir face à des problèmes éthiques, à partir de cas. Cette vision vient
du management et paraît quelque peu réductrice. Le questionnement éthique ne peut, à
notre sens, se réduire à des modèles, car il perd alors toute sa portée ; avec des modèles,
l’éthique se vide de son questionnement. D’autres jeux sérieux proposent d’apprendre à
adopter les bons comportements en tant que professionnel de santé8 ou tente de faire
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réfléchir sur les liens entre logique-passion et éthique. Mais il reste à savoir comment ces
différents jeux sont utilisés dans le cadre de formations,9 car pris en tant que tels, ils ne
répondent pas vraiment aux attentes. Aussi, un jeu sérieux ne peut, semble-t-il, se suffire
en lui-même, du moins dans un premier temps, et implique un certain accompagnement
pédagogique. Se pose ainsi une question essentielle pour l’enseignant : le jeu sérieux a-t-il
vocation à être un outil de formation complètement autonome ?
28 Cependant concevoir un jeu vidéo est particulièrement formateur pour les membres de
l’équipe pédagogique, car il permet à la fois une clarification des objectifs pédagogiques
et confronte non seulement les valeurs des concepteurs entre elles, mais aussi avec les
possibilités et contraintes techniques. En travaillant sur le scénario avec une collègue
psychologue, la différence de conception entre éthique et déontologie est apparue avec
d’autant plus d’acuité dans les missions proposées à l’un et l’autre personnage-joueur.
29 Aussi, pour nous préserver de verser dans une moralisation excessive du joueur, dans le
sens de lui donner des leçons de morale entre ce qui est jugé comme étant une « bonne »
pratique et ce qui est jugé comme n’étant pas adapté, nous avons opté pour différents
garde-fous et choix de conception :
La possibilité d’explorer et d’agir sur l’environnement ;
La possibilité d’avoir plusieurs « bonnes » solutions à un même problème ;
Le retour sur l’expérience ;
La transposition dans un monde imaginaire ;
La jauge de bien-être de la station et non du joueur ;
Les mini-jeux afin de donner du rythme.
30 Le jeu créé est un jeu d’aventures. Nous avons décidé, en nous inspirant des retours de
stage des étudiants et de nos propres observations, de transposer des expériences vécues,
dans un monde imaginaire issu de la science-fiction. Le jeu se déroule dans une station
spatiale (dont le plan a été conçu à partir d’une structure réelle de type ITEP10), le
monde est partiellement ouvert : le joueur peut explorer son environnement, mais ses
choix de déplacement sont restreints par les missions et les étapes à accomplir. Au début
du jeu, l’étudiant peut choisir d’incarner un personnage psychologue ou un personnage
éducateur spécialisé, ayant chacun des quêtes spécifiques à accomplir, mais partageant le
même objectif principal, à savoir retrouver un résident de la station disparu. Le
personnage-joueur est envoyé en renfort pour aider les membres de la station à le
retrouver. Les personnages non-joueurs sont représentés sous la forme d’êtres humains
et d’extra-terrestres, alors que les personnages-joueurs, parmi lesquels le joueur peut
choisir, sont uniquement humains (deux hommes, deux femmes) pour favoriser une plus
grande identification aux personnages.
31 Très scénarisées, les missions ou quêtes du joueur comportent de nombreux dialogues et
plusieurs choix de réponse sont possibles, ce qui influence la progression du joueur. Dans
les premières quêtes, le joueur a peu de marge de manœuvre, puis progressivement les
possibilités d’exploration et de solutions deviennent plus importantes. Par exemple, dans
la seconde mission de l’éducateur spécialisé, le joueur doit s’occuper d’un groupe
d’enfants en organisant différentes activités (lecture, jeu ou peinture). Dans un premier
temps, il doit appeler les enfants : il a alors plusieurs choix, soit les appeler, soit aller vers
eux pour leur parler et recueillir ainsi des informations sur ce qu’ils aiment faire. Dans un
second temps, il doit choisir une activité à mener, en gardant un grand groupe d’enfants
ou en le scindant en deux. Dans ce dernier cas, il doit alors tenir compte des affinités
entre les enfants et de leurs préférences d’activités pour constituer les groupes. Si le
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choix du type d’activités n’a pas de conséquence directe sur les points et le déroulement
de l’activité, l’action de parler aux enfants ou l’action de choisir un ou deux groupes,
augmente plus ou moins la jauge de bien-être de la station. En ce qui concerne cette
dernière, l’équipe de conception a essayé de trouver un équilibre entre l’aspect coopératif
et compétitif. Ainsi, il a été décidé que les actions du joueur auraient une influence
directe sur le bien-être collectif afin de rappeler au joueur, par le biais de la jouabilité,
qu’il fait partie d’une équipe et que chacune de ses actions est importante. Selon les
actions choisies, le joueur peut gagner ou perdre des points qui augmentent ou font
baisser la jauge de bien-être de la station. Si le joueur perd trop de points, ou choisit une
action « interdite » (par exemple, en laissant un groupe d’enfants sans surveillance) la
session de jeu se termine (Il est game over). Par ailleurs, la progression individuelle est
également mesurée notamment par l’intermédiaire de mini-quêtes (ramasser les doudous
éparpillés et les ramener aux enfants). Les points récoltés permettront, à terme, de
débloquer des objets ou des mini-jeux bonus.
Agir sur l’environnement : devenir game designer11
32 Un des apports majeurs d’un jeu rieux par rapport à un jeu de rôle classique en
formation est qu’il offre à la fois, la possibilité d’explorer un nouvel environnement
virtuel, mais aussi de pouvoir agir dessus. Dans une salle de cours, les possibilités
matérielles offertes par l’environnement « classe » sont faibles. C’est un espace collectif
ayant un usage commun, les possibilités de se l’approprier et de pouvoir agir dessus sont
restreintes. Il est dès lors difficile pour l’enseignant ou le formateur de demander aux
étudiants de changer cet environnement et d’en analyser les effets. Dans le jeu sérieux, un
des objectifs pédagogiques développés est justement d’apprendre à l’étudiant qu’en
agissant sur l’environnement, il est possible d’agir sur les tensions d’une équipe ou sur le
bien-être des usagers. Par exemple, dans la première mission du psychologue, le joueur
doit comprendre comment disposer la salle de restauration pour faciliter le travail du
personnel technique et éviter que les protagonistes ne s’énervent.
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Figure 1
Figure 2
33 Pour sa première mission (figures 1 et 2), le joueur doit comprendre pourquoi les bébés se
mettent à pleurer au temps des repas. Après avoir discuté avec différents PNJ, le joueur
débloque une cinématique montrant que les tensions entre les membres de l’équipe au
cours du repas provoquent les pleurs des bébés. Les conflits de travail entre les membres
de l’équipe sont dus à un mauvais aménagement de l’espace. Après avoir observé la scène
du repas, le joueur débloque alors une phase de mini-jeu dans laquelle il doit changer les
meubles de place pour faciliter les déplacements des personnels techniques.
34 Le passage de la scénarisation à la programmation a imposé des contraintes techniques
dans le développement du jeu, qui n’ont pas permis toutes les subtilités pédagogiques
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préalablement pensées. Pour le mini-jeu de déplacement des meubles dans la cantine,
nous avons dû revoir à plusieurs reprises la configuration et les modalités de réussite du
mini-jeu (le nombre de meubles déplacés, le nombre d’essais, les indices donnés par les
PNJ etc.) afin de faciliter la prise en main par le joueur et ne pas rendre la disposition des
meubles trop complexe. La marge laissée à l’improvisation est moins importante que dans
un jeu de rôle plus classique et il est ardu de savoir par avance ce que le joueur va décider
ou non de faire et dans quel ordre. Un des obstacles majeurs dans la conception d’un jeu
vidéo est justement de penser aux possibilités mêmes qui sont données au joueur et qui
sont balisées par les règles du jeu, du moins certaines règles doivent être revues en
fonction des contraintes techniques et des retours que peuvent en faire les joueurs. Mais
pour que la structure soit jouée, il faut qu’il y ait appropriation par le joueur. Toutefois le
game designer ne peut par avance contrôler l’expérience ludique, il ne crée pas le play,
même s’il conçoit les règles du jeu : « Le game designer n’imagine qu’indirectement
l’expérience du joueur en concevant directement les règles du jeu » (Salen & Zimmerman,
2004 : 185 ; traduit par nos soins).
35 Les règles apparaissent davantage comme des « indicateurs de limites » et « [i]l est donc
naturel pour les joueurs de vouloir et de pouvoir les manipuler : les utilisateurs de règles,
en qualité d’exemples pour les autres, en sont en partie les auteurs » (Mauger, 2011,
p.137). Les règles du jeu se modifient au fur et à mesure de l’avancée et du test du jeu. Ces
phases sont essentielles, en particulier pour les jeux en ligne, les MMORPG, où des
nouvelles stratégies de design se créent permettant d’intégrer les joueurs comme des co-
créateurs potentiels du contenu ludique.
36 L’aspect sérieux du jeu sérieux est notamment présent dans la limitation des possibilités
de transgression. A la différence d’un jeu vidéo la transgression peut être la règle
(comme dans GTA12), la transgression a été rendue possible, mais toute transgression a
des conséquences sur le bien-être de la station. Les discussions entre les membres de
l’équipe de conception ont porté sur l’équilibre à donner : le jeu a des objectifs
d’apprentissage, aussi il ne peut se permettre toutes les formes de transgression,
néanmoins certaines doivent être rendues possibles pour notamment préserver le
caractère ludique du jeu. Ainsi, pour que L’Odyssée devienne un jeu éthique, les règles
doivent pouvoir être transgressées (et sanctionnées) jusqu’à ce qu’elles puissent être
considérées comme suffisamment bonnes par l’ensemble de la communauté des joueurs
et des concepteurs.
37 A la différence du jeu de rôle ou du jeu dramatique, pour lesquels la modification par les
acteurs des règles du jeu est toujours directement liée au cadre de la situation dans une
temporalité immédiate, le jeu vidéo ne peut voir ses règles modifiées qu’a posteriori, même
si ce délai peut être extrêmement court. Par exemple, lors d’une situation de jeu de rôle,
si le formateur considère que les étudiants sont en difficulté, il peut intervenir et
modifier les règles. Il peut faire intervenir un nouvel acteur, ou lui-même participer, sans
avoir prévenu au préalable les étudiants de la nouvelle règle de jeu, s’adaptant
progressivement au déroulement du jeu. Le cadre ludique proposé par un jeu vidéo
sérieux est de fait différent de celui d’un jeu de rôle traditionnel, et n’engage pas le joueur
de la même manière. Le concept de « cadre », tel qu’il a été défini par Goffman, permet de
saisir les différentes formes et modalités d’engagement de l’acteur dans l’action, et
d’analyser son expérience en tenant compte du contexte. Il met ainsi en évidence des
stratégies d’acteurs variées et adaptées aux différents types de situation :
L’éthique professionnelle mise en jeu : l’exemple de L’Odyssée Ethique
Sciences du jeu, 6 | 0000
10
Mais un cadre ne se contente pas d’organiser le sens des activités ; il organise
également des engagements. L’émergence d’une activité inonde de sens ceux qui y
participent et ils s’y trouvent, à des degrés divers, absorbés, saisis, captivés. Tout
cadre implique des attentes normatives et pose la question de savoir jusqu’à quel
point et avec quelle intensité nous devons prendre part à l’activité cadrée. Certes,
tous les cadres n’imposent pas le même type d’engagement. […] Selon les
circonstances, il faudra donc s’entendre sur des limites acceptables, sur une
définition de l’engagement et du niveau d’engagement, que nous pourrons juger
insuffisant ou excessif. Les différents matériaux avec lesquels nous travaillons ou avec
lesquels nous jouons ne réclament pas la même attention ; ils ne la captent pas, ils ne la
retiennent pas de la même manière. Les jeux de société et les jeux de cartes semblent,
de ce point de vue, spécialement conçus pour fabriquer des gens « absorbés » ; ils
constituent en quelque sorte une norme au regard de laquelle nous portons des
jugements sur d’autres séries de matériaux y compris ceux dont nous nous
servons dans l’univers quotidien. (Goffman, 1991, p. 338-339, je souligne)
38 Pour reprendre les termes de Goffman, et en s’appuyant davantage sur les mécanismes de
l’immersion, le jeu sérieux capte autrement l’attention du joueur. Ce sont ces derniers
que nous avons tenté de mesurer lors de la phase expérimentale de L’Odyssée Ethique, en
tenant compte du profil ludique des étudiants et de l’importance qu’ils accordent au
design du jeu.
L’impact des aspects esthétique et narratif
39 Les effets de l’aspect esthétique et narratif sur l’immersion du joueur dans le jeu vidéo a
été souligné par de nombreux chercheurs, or c’est souvent un des défauts majeurs des
jeux sérieux qui en matière de graphisme et de jouabili ont du mal à rivaliser avec les
jeux vidéo destinés au grand public, en raison bien évidemment des coûts et des moyens
de réalisation. Pourtant, cet aspect ne devrait pas être négligé, bien au contraire, car c’est
essentiellement par son intermédiaire que le jeu sérieux apporte quelque chose de plus à
un jeu de rôle classique, qu’il peut y avoir expérience éducative et que l’horizon
pragmatiste peut être préservé.
40 Nous avons déjà rappelé l’importance que Dewey accordait à la place de l’art dans la
formation de l’individu et que le jeu vidéo pouvait être considéré comme un art populaire
au sens pragmatiste (Vari, 2011). L’expérience esthétique représente l’expérience de
l’expérience, par laquelle sont sublimées les expériences ordinaires (Dewey, 1934). L’art
est chez Dewey un moyen de développer les aptitudes de chacun. Le graphisme est, si on
peut dire, le premier niveau sur lequel va prendre appui l’expérience éducative proposée
par le jeu vidéo, parce que c’est par son intermédiaire qu’il peut susciter de l’émotion.
Pour Dewey, les valeurs sont indissociables de nos intérêts et de nos désirs, les valeurs ne
sont pas seulement des notions abstraites mais au contraire elles sont fortement chargées
émotionnellement. Le désir et l’intérêt ne sont pas réductibles à des sentiments, ils sont
plus que cela, ils sont une façon d’agir (Dewey, 2011a). Si le jeu ne contribue pas à donner
de l’émotion, du moins une émotion conduisant à réaliser une valuation (Dewey, 2011a)
ou un jugement de valeur (Nussbaum, 1995)13 alors on peut se poser la question de savoir
s’il peut véritablement atteindre ses objectifs et notamment, dans le cas que nous
traitons, contribuer au développement d’un questionnement éthique chez l’étudiant. Il
faut cependant interroger d’un point de vue sociologique comment sont reçues par les
étudiants les représentations graphiques, la jouabilité, et arriver à déterminer si le jeu a
L’éthique professionnelle mise en jeu : l’exemple de L’Odyssée Ethique
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réussi ou non à provoquer des émotions, et par là-même un questionnement éthique. Les
émotions sont chez Dewey ce qui donne une unité à l’expérience :
C’est l’émotion qui est à la fois moteur et élément de cohésion. Elle sélectionne ce
qui s’accorde et colore ce qu’elle a sélectionné de sa teinte propre, donnant ainsi
une unité qualitative à des matériaux extérieurement disparates et dissemblables.
Quand l’unité absolue correspond à celle que l’on a déjà décrite, l’expérience
acquiert un caractère esthétique même si elle n’est pas essentiellement esthétique
(Dewey, 2005, p.67).
41 Les émotions vidéoludiques (Perron, 2005) sont au cœur de l’expérience éducative que
peut revêtir le jeu vidéo. Elles se distinguent des émotions fictionnelles, renvoyant à
l’immersion du joueur dans l’histoire, et des émotions artistiques, renvoyant à la
structure du jeu. Les émotions vidéoludiques sont, quant à elles, liées à la jouabilité, aux
actions et aux possibilités du joueur. A la différence du spectateur d’un film, le joueur est
acteur, il doit faire des choix qui peuvent avoir des conséquences sur le déroulement de
l’histoire. Le joueur a un contrôle sur la manière de vivre et de faire vivre l’histoire, les
émotions qu’il éprouve alors sont dépendantes de la façon dont il a joué. Néanmoins, une
difficul majeure demeure qui est d’ordre méthodologique : comment alors mesurer le
lien entre émotion et apprentissage ?
Perspectives méthodologiques et premiers résultats :
faut-il être jeune et joueuse pour apprécier un jeu
sérieux ?14
42 Afin de pouvoir analyser le plus finement possible les interactions entre le joueur, ses
représentations et ses pratiques, plusieurs méthodes et phases d’évaluations ont été
réalisées. Une première évaluation de l’impact du jeu a été réalisée par le biais de la
diffusion de deux questionnaires, l’une avant l’expérimentation du jeu et portant sur le
profil ludique des étudiantes et la seconde après l’expérimentation et portant sur les
ressentis et les représentations de L’Odyssée Ethique. Ces questionnaires ont été diffusés
auprès de trois groupes d’étudiantes entre février 2015 et mars 2016 : deux groupes
d’étudiantes en DUT15 Carrières Sociales en 2e année et d’un groupe d’étudiantes en
master CAPA-SH16, soit un total de 74 étudiants, ayant testé le jeu en présentiel. Ce sont
les résultats issus de cette première phase17 qui sont présentés ici, en nous concentrant
sur le poids de l’expérience en jeu vidéo et son influence sur l’appropriation d’un jeu
sérieux.
43 Les deux types de publics d’étudiantes présentent un certain nombre de caractéristiques
communes: majoritairement féminins, issus des classes populaires et des petites classes
moyennes18, et n’ayant qu’une assez faible appétence pour les jeux vidéo : 55 % des
étudiantes jouaient « rarement » ou « jamais » aux jeux vidéo durant leur enfance, et elles
sont autant non-joueuses à l’âge adulte (58%). Elles se différencient essentiellement par
l’âge et l’expérience, les étudiantes CAPA-SH étant en formation continue sont nées avant
les années 1990 et souvent avant les années 1980, alors que les étudiantes de carrières
sociales sont en formation initiale et toutes nées après 1990. La variable générationnelle
loin d’être anodine se révèle essentielle dans l’appropriation du dispositif ; en effet,
comme nous le verrons les étudiantes les plus âgées et les moins expérimentées du point
de vue technique, se sont moins amusées que les autres et ont trouvé moins d’intérêt
pour ce dispositif.
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44 Le fait que les étudiantes ne soient pas des amatrices de jeu vidéo ne les a pas pour autant
empêchées de s’immerger dans le jeu sérieux, ainsi 76 % des étudiantes déclarent s’être
prises au jeu. Aussi, l’immersion dans le jeu n’est pas corrélée au fait de jouer ou non à des
jeux vidéo. La majorité des étudiantes a apprécié l’univers du jeu, puisque 80 % des
étudiantes ont déclaré avoir « complètement » (18%) ou « plutôt » (62%) apprécié le
monde dans lequel se déroule le jeu. Les étudiantes ont également aimé les graphismes :
31% les trouvant « très réussis » et 63% « plutôt réussis ». Les étudiantes ont déclaré s’être
plutôt amusées : elles devaient noter sur une échelle le niveau d’amusement qu’elles ont
eu pour chaque quête (allant de « pas amusante » à « très amusante » sur une échelle de 1
à 10). Cependant, le fait d’être ou non joueur de jeu vidéo influe sur le niveau
d’amusement. Les étudiantes joueuses, même de manière assez occasionnelle (jouant
quelques fois par mois), se sont davantage amusées que les étudiantes ne jouant jamais.
Les étudiantes qui ont le moins apprécié le jeu sérieux sont ceux qui ne jouent jamais ou
presque jamais.
Graphique 1 : Niveau d’amusement selon le profil du joueur
La dépendance est signicative. chi2 = 4,12, ddl = 1, 1-p = 95,76%.
Commentaire : Nous avons regroupé les étudiantes déclarant avoir joué « au moins
une fois par mois » à « tous les jours ou presque » dans le profil « joueur » et « ceux
ne jouant jamais ou presque jamais » dans le profil « non-joueur ». La catégorie « pas
amusante » regroupe à partir de l’échelle du niveau d’amusement, les notes allant de
0 à 5, et la catégorie amusante, les notes allant de 6 à 10. Il faut ainsi lire le
graphique : 46 % des étudiantes déclarant s’être amusés durant le jeu sérieux sont
des non-joueuses.
45 Si les non-joueuses ne se sont pas toujours amusées, ce n’est pas seulement au peu
d’intérêt qu’elles peuvent porter de manière générale aux jeux vidéo, mais aussi parce
que cela les a parfois mis dans des situations difficiles de confrontation à la technique, ce
qui a généré chez elles de l’agacement et/ou de la frustration. Lors des débriefings,
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plusieurs étudiantes, aussi bien en master que les étudiantes en deuxième année de DUT,
nous ont dit que c’était difficile pour elles parce qu’elles comprenaient ce qu’il fallait faire
mais n’y arrivaient pas. La partie exploratoire du jeu et la maîtrise technique de l’outil
influent sur le degré de plaisir et d’appréciation.
46 Il y a aussi une corrélation entre le niveau de difficulté des quêtes et le niveau
d’amusement. La majorité des étudiantes n’a pas trouvé la première quête difficile (62 %
d’entre eux) mais les étudiantes CAPA-SH l’ont souvent estimée plus difficile que les
étudiantes CS (58% des étudiantes CAPAS-SH ont jugé la première quête difficile contre
23% des étudiantes CS). La seconde quête est considérée comme plus difficile (36 %
seulement des étudiantes l’ont considérée comme « pas vraiment difficile »). Or, si les
quêtes sont jugées trop difficiles, c’est qu’elles influent sur le temps passé à jouer et donc
le niveau d’amusement. Il y a en effet une corrélation entre le temps passé à jouer et le
niveau d’amusement. Les étudiantes ayant passé plus de 45 minutes à jouer se sont moins
amusées que les autres.
Graphique 2 : Niveau d’amusement selon le temps passé
La dépendance est signicative. chi2 = 5,19, ddl = 1, 1-p = 97,73%.
Commentaire : Le temps mesuré est le temps estimé par l’étudiante elle-même pour
chaque quête. Nous avons additionné les durées et avons établi une moyenne des
notes pour les deux quêtes jouées. Aussi, 64 % des étudiantes ayant passé moins de 45
minutes à jouer ont davantage trouvé le jeu amusant que ceux qui ont passé plus 45
min à jouer.
47 Le fait de passer du temps à chercher les solutions sans toujours maîtriser les
déplacements dans l’espace virtuel ou à comprendre ce qu’il faut faire, ou sans avoir les
réflexes de joueur (regarder la carte ou le journal des quêtes), empêche en partie les
étudiantes les plus éloignées des jeux vidéo de se focaliser sur « autre chose » que la
technique et fait obstacle à leur amusement (et renforce leur idée première que le jeu
vidéo n’est pas fait pour elles). Or, au niveau des apprentissages, il n’y a pas de corrélation
entre le sentiment d’avoir appris quelque chose et le fait d’être ou non joueur ; pour
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14
autant, il y a bien une corrélation entre le sentiment de s’être amusé et le sentiment
d’avoir appris quelque chose (graph. 3).
Graphique 3 : Sentiment d’apprentissage selon le niveau d’amusement
La dépendance est très signicative. chi2 = 16,72, ddl = 1, 1-p = 99,99%.
Commentaire : A partir de la question « avez-vous eu le sentiment d’avoir appris
quelque chose ? », nous avons regroupé les modalités « Oui tout à fait » et « Oui
assez » en une seule catégorie « Oui », de même pour les modalités négatives. Le
graphique se lit donc ainsi : 80 % des étudiantes ayant le sentiment d’avoir appris
quelque chose déclarent s’être amusées au jeu.
48 Si le fait d’être joueur n’a pas a priori d’influence directe sur le sentiment d’apprentissage
(du fait du nombre très élevé de non-joueurs dans notre échantillon), le fait d’être non-
joueur et avant les années 80 augmente la probabilité de ne pas avoir trouvé le jeu
amusant et le sentiment de n’avoir pas appris quelque chose. Les étudiantes nées avant
les années 90 sont plus nombreuses à déclarer ne pas avoir eu le sentiment d’apprendre
quelque chose (58 % d’entre eux contre 28 % pour les étudiantes nées après 1990).
Conclusion
49 Le jeu est une activité centrale dans la socialisation morale et éthique des enfants et des
adultes. Si le travail et le jeu ne se confondent évidemment pas, ils ne sont pas pour
autant aussi différents que nous tendons à le croire. Penser qu’il n’y a plus de jeu dès qu’il
y a une obligation de jouer est un présupposé : qu’est-ce qui dit que finalement nous n’y
aurons pas pris plaisir ? Combien de fois avons-nous joué pour faire plaisir à nos ami.e.s
ou à nos enfants ? Nous n’étions pas encore engagés dans l’activité, mais le jeu lui-même
nous a progressivement amené à avoir du plaisir. Dans tout jeu, il y a un apprentissage, à
minima l’apprentissage des règles. Et, il y a du jeu dès que l’on décide de jouer, dès que
l’acteur s’engage (bon gré / mal gré) dans l’activité. Ainsi, si 57 % des étudiantes sont dans
notre enquête déclarées ne pas être vraiment intéressées par le dispositif de jeu sérieux,
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15
ce désinvestissement initial n’a pas eu d’influence directe sur leur niveau d’amusement,
puisque finalement 64% ont déclaré s’être amusées.
50 Comme nous avons pu le voir, le niveau d’amusement du joueur a une influence directe
sur le sentiment d’apprentissage. Le jeu ne doit être ni trop long ni trop difficile pour que
l’étudiant puisse contrôler la technique et comprendre les objectifs pédagogiques. Le jeu
ne provoque pas seulement de l’amusement, mais aussi de la méfiance, de l’agacement, de
l’énervement, de la frustration qui sont autant d’émotions qui contribuent à
l’engagement ou non de l’étudiant. D’un point de vue méthodologique, ce lien entre
émotions et apprentissage reste très complexe à mesurer même si pour le moment nous
n’avons pas encore pu exploiter toutes les données nous sommes persuadés que
l’engagement dans le jeu n’est jamais continu et qu’il est facilité par le profil de l’étudiant
et ses compétences de joueur acquises antérieurement.
51 Le jeu sérieux à destination d’étudiants en formation supérieure est un dispositif
singulier, qui peut avoir un impact sur la motivation des étudiants, car il est à la fois un
jeu, un outil technologique et un moyen d’apprentissage. Le fait que les étudiantes aient
majoritairement apprécié de jouer à L’Odyssée Ethique peut se voir comme une découverte
du dispositif et la possibilité de le modifier. Les étudiantes ont eu le sentiment d’avoir
appris des choses ou d’avoir revu de manière ludique des connaissances vues en cours, en
particulier pour les plus jeunes d’entre eux. Les étudiantes en formation continue, ayant
davantage d’expérience, enseignant depuis plusieurs années, n’ont guère eu le sentiment
d’apprendre quelque chose alors que paradoxalement, ce sont majoritairement elles qui
trouvent que le jeu vidéo peut être utilisé d’un point de vue pédagogique. Ces étudiantes
ne sont pas dans la même posture d’apprentissage que les étudiantes en formation
initiale, enseignant depuis de nombreuses années, elles viennent décrocher une
certification, mais n’étaient pas encore prêtes au moment de l’expérimentation, à
questionner leurs pratiques et leurs représentations, et n’ont pas toujours compris à quoi
cela pouvait leur servir.
52 L’Odyssée Ethique se veut d’abord une création collective, qui ouvre le champ des possibles
en termes d’apprentissage et de connaissance concrète pour les étudiants. Il leur offre
surtout une possibilité de discuter et de confronter des représentations et des pratiques,
des règles et des valeurs. Le jeu sérieux offre également, du moins tel que nous le
concevons, la possibilité pour des enseignants, des formateurs, de s’appuyer sur un outil
afin d’analyser les pratiques des futurs professionnels et de mener des recherches sur
l’apport du jeu en pédagogie universitaire.
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NOTES
1. L’adjectif « traditionnel » est pris ici dans son sens large : « qui est consacré par l’usage, qui est
entré dans les mœurs », (dictionnaire Trésor de la Langue Française).
2. Par exemple, nous avons montré (Vari, 2008) qu’il était très difficile de mesurer l’efficacité
réelle des structures d’accompagnement à la scolarité censées soutenir les élèves les plus en
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difficultés dans leur réussite scolaire. Aussi les évaluations de ces espaces portent plus souvent
sur les effets sur la socialisation des enfants, que sur les réels progrès scolaires qu’ils ont pu
réaliser (Glasman, 2001).
3. Pour Alvarez et Djaouti (2008, p. 92), un jeu sérieux est une « application informatique, dont
l’intention initiale est de combiner, avec cohérence, à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de
manière non exhaustive et non exclusive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou
encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game)».
4. Par exemple, selon une enquête menée en 2012, l’âge continue d’être un facteur de
différenciation dans les pratiques d’usage de jeu vidéo, les supports (consoles ou ordinateurs) et
les types de jeu auxquels jouent les individus varient selon le sexe et la catégorie sociale (Berry
V., Coavoux S., Ter Minassian H., Rufat S., 2013).
5. Nous n’avons pas la place ici de nous étendre sur la différence entre éthique et morale,
différence souvent accentuée de manière théorique à défaut d’être véritablement opérationnelle
à un niveau conceptuel. Nous employons les termes morale et éthique comme synonymes (cf.
Canto-Sperber, 2001).
6. L’équipe est composée de cinq membres. En dehors de l’auteure du présent article et porteuse
du projet, l’équipe se constitue d’un MCF en psychologie, chargée du scénario et des missions du
psychologue ; d’un ingénieur du Service Universitaire Numérique (SUN) et coordinateur du
projet, d’un développeur contractuel et d’un graphiste. Si j’emploie le terme de « nous » dans
l’article, les hypothèses et perspectives théoriques ne sont que de mon fait.
7. La frontière entre un jeu sérieux et une simulation éducative est assez poreuse : les jeux de
simulation étant définis comme des « jeux fondés sur des modèles simples mais dynamiques
reproduisant différentes aspects de la réalité » (Kaufman, 2010, p.74)
8. Voir http://www.nathan-academie.fr/fiche/ethique/. En fin de présentation, il est bien
précisé que l’objectif est de permettre « d’adopter les bons comportements ».
9. Dans le jeu Closed World (Gambit, 2011), le joueur a la possibilité de choisir entre trois types de
pouvoir pour attaquer un monstre rencontré lors de son périple : la passion, la logique, et
l’éthique : la passion dominant la logique, la logique l’éthique et l’éthique la passion.
http://gambit.mit.edu/loadgame/summer2011/aclosedworld_play.php
10. Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique. Dans ce type d’institutions, plusieurs corps
de professionnels (éducateur spécialisé, psychologue, ergonome etc.) se côtoient et prennent en
charge de manière globale des enfants ayant des troubles du comportement. Les espaces sont
délimités : chambres des enfants, salle d’activités, bureau des éducateurs etc., mais ils ne sont pas
toujours investis par les équipes.
11. Le terme anglais a été préféré à celui français de « concepteur de jeu » dans la mesure où les
offres d’emploi en France utilisent quasi exclusivement le terme anglais.
12. Grand Theft Auto est une série de jeux vidéo (Rockstar Games, 1997-) dans lequel le joueur
incarne un personnage mafieux et dont les missions sont autant d’étapes dans son parcours et
son ascension dans le milieu.
13. Dans une perspective proche, Martha Nussbaum rappelle la relation entre émotion et
jugement, que s’il n’y pas d’émotion, le jugement ne peut être complètement là (Nussbaum, 1995,
p.30).
14. Le terme féminin « joueuse » a été adopté pour l’analyse des résultats en raison de
l’échantillon de l’enquête très majoritairement féminine.
15. Diplôme Universitaire Technologique.
16. Les étudiants en CAPA-SH sont des professeurs des écoles passant le Certificat d’Aptitude
Professionnelle pour les aides spécialisés, les enseignements adaptés et la scolarisation des élèves
en situation de handicap.
17. Les questionnaires ont été analysés à l’aide du logiciel SPHINX.
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Sciences du jeu, 6 | 0000
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18. Plusieurs variables du questionnaire comme la PCS des deux parents, le niveau d’études des
deux parents, la situation professionnelle actuelle, la situation familiale etc., nous permettent de
catégoriser ainsi ces publics. Une majorité des étudiantes a des parents n’ayant pas ou peu fait
d’études supérieures et travaillant comme ouvriers ou employés.
RÉSUMÉS
Dans cet article, nous essayons de montrer les liens entre jeu et éthique en nous appuyant sur la
conception d’un jeu sérieux à destination des étudiants en formation aux métiers du social, de la
santé et de l’enseignement. Il s’agit de relever les innovations de cet outil pédagogique dans
l’enseignement de l’éthique professionnelle et des nouvelles potentialités qu’il offre, à condition,
de s’inscrire dans une perspective pragmatiste. Dans un premier temps, l’article revient sur la
distinction entre éthique et déontologie pour souligner, en nous appuyant sur Dewey, que ce sont
dans des actions situées que se construit l’éthique professionnelle. Dans une deuxième partie,
nous présentons le jeu L’Odyssée Ethique en relevant les moyens que nous nous sommes donnés
pour garder un horizon pragmatiste dans sa conception. Enfin, dans une dernière partie, sont
présentés les premiers résultats des expérimentations du jeu menées auprès d’étudiants en
formation.
In this article, we try to show the links between play and ethics, based on the design of a serious
game aimed at training students to the social professions, health and education. This is to meet
the innovations of this educational tool in teaching professional ethics and new opportunities it
offers, provided, enroll in a pragmatism perspective. First, the article refers to the distinction
between ethics and professional conduct to emphasize, building on Dewey, that it is in situated
actions that builds professional ethics. In the second part, we present the game in the Odyssey
Ethics within the means that we have given to keep a pragmatism horizon in its design. Finally,
in a last part, are presented the first results of the experiments of game, led with students in
training.
INDEX
Mots-clés : Ethique professionnelle, Jeu sérieux, Pragmatisme, Dewey
Keywords : Professional Ethics, Serious Game, Pragmatism
AUTEUR
JUDIT VARI
Université de Rouen
L’éthique professionnelle mise en jeu : l’exemple de L’Odyssée Ethique
Sciences du jeu, 6 | 0000
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Book
L’Inquiétude morale et la Vie humaine, Presses universitaires de France, Paris, 2001, 2e édition, 2002
Article
Résumé Le renforcement des contraintes (faiblesse des moyens, intensification du travail, contraintes temporelles et normatives...), qui peuvent empêcher les travailleurs sociaux d’exercer leurs missions dans le respect de leurs valeurs, a pour conséquence l’émergence d’une souffrance éthique dans ce secteur. Pour desserrer ces contraintes, certains professionnels développent des réponses qui ont pour point commun de maintenir leur capacité d’agir et le sens de leur travail.
Article
Parmi les diverses catégories de travailleurs sociaux, on s'intéressera ici à celle des éducateurs qui s'est progressivement constituée au fil des années en une véritable filière professionnelle. Après en avoir brossé à grands traits les principales caractéristiques, depuis l'émergence de la profession au début des années 1 940, on s'efforcera de repérer les modèles de référence des éducateurs en matière d'analyse des pratiques professionnelles.