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Abstract and Figures

The European Union has recently expanded from 15 to 25 countries. In line with this enlargement, the list of official EU languages has grown from 11 to 20. Currently, the EU extends equal treatment to all member countries' official languages by providing translations for documents and interpreting services. This, however, is costly, especially when recognizing that many Europeans speak one of the procedural languages of the EU, English, French or German, either as their native language or as a foreign language. We compute disenfranchisement rates that would result from using only the three procedural languages for all EU business. These three languages could serve as pivotal languages to which and from which the 17 other languages could be translated. We argue that an efficient solution would be to decentralize the provision of translations, so that each country (language) could decide to use the transfer from the EU the way it wants, with translation into its own language as one among the possible uses.
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public economics
économiepublique
Revue de l’Institut d’Économie Publique
Deux numéros par an
no15 – 2004/2
économiepublique sur internet : www.economie-publique.fr
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Côte d’Azur
ISSN 1373-8496
Dépôt légal juin 2005 – noimprimeur 375320U
panorama
overview
Europe, langue et démocratie
Europe, language and democracy
Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
Jan Fidrmuc
Victor Ginsburgh ∗∗
Shlomo Weber ∗∗∗
Résumé
Le cinquième élargissement de l’Union Européenne en 2004
conduit à un « pays » de 450 millions d’habitants, qui doit
gérer 20 langues et le défi lancé par des langues supplé-
mentaires dont certaines ont un nombre plus important de
locuteurs que les 20 langues officielles. Il faut certes se
féliciter du souci d’égalitarisme à la base de ce processus,
mais celui-ci coûte cher, aussi bien en termes monétaires
(1,2 milliard d’euros par an) qu’en termes d’efficacité de
la communication. Nous examinons quelques solutions qui
permettraient d’alléger les problèmes posés. Nous commen-
cerons par nous intéresser aux langues les plus représen-
tatives dans le monde et dans l’Union Européenne. Nous
verrons que dans l’UE, et à plus d’un égard, même dans le
monde, il s’agit, comme on peut s’y attendre, de l’anglais,
de l’allemand et du français, qui a malheureusement perdu
sa deuxième place suite au dernier l’élargissement. Ces trois
langues sont celles qui permettent de réduire sensiblement
l’exclusion dans la plupart des pays de l’espace européen et
sont par excellence les langues pivot à partir desquelles les
traductions peuvent se faire plus aisément vers les autres
. Brunel University, Grande-Bretagne et CEPR
∗∗. ECARES, Université Libre de Bruxelles et CORE, Université catholique de Louvain
∗∗∗. CORE, Université catholique de Louvain, Southern Methodist University, Texas et CEPR. Cet
article a fait l’objet d’une présentation à la XXIeBiennale de la Langue Française, Bruxelles, 5-8 mai
2005.
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no15 (2004 / 2), 3-23
panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
langues de l’Union. La traduction de ces autres langues
pourrait être décentralisée dans les pays concernés, et finan-
cée par des transferts en provenance de Bruxelles. A charge
de chaque pays de décider s’il faut traduire vers sa langue,
ou si les montants mis à sa disposition peuvent trouver une
autre utilisation estimée plus judicieuse.
Summary
The European Union has recently expanded from 15 to 25
countries. In line with this enlargement, the list of official
EU languages has grown from 11 to 20. Currently, the EU
extends equal treatment to all member countries’ official
languages by providing translations for documents and in-
terpreting services. This, however, is costly, especially when
recognizing that many Europeans speak one of the procedu-
ral languages of the EU, English, French or German, either
as their native language or as a foreign language. We com-
pute disenfranchisement rates that would result from us-
ing only the three procedural languages for all EU business.
These three languages could serve as pivotal languages to
which and from which the 17 other languages could be
translated. We argue that an efficient solution would be to
decentralize the provision of translations, so that each coun-
try (language) could decide to use the transfer from the EU
the way it wants, with translation into its own language as
one among the possible uses.
Mots clés : langues, lingua franca, construction européenne, Union
européenne, solidarité, capital humain, migration, dé-
mocratie, justice sociale
Keywords: languages, lingua franca, European unification, Euro-
pean Union, solidarity, human capital, migration, de-
mocracy, social justice
J.E.L. : D63, Z10
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Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
En Europe, la revendication opiniâtre d’une reconnaissance est une at-
titude courante chez les utilisateurs d’idiomes dépourvus de statut officiel.
Les langues sont les étendards des peuples dominés. C’est sur elles qu’ils
veulent voir l’enjeu de leur luttes contre un joug étranger.
CLAUDE HAGÈGE (2000, p. 13).
Introduction
Le cinquième et dernier élargissement de l’Union européenne en 2004 conduit à
un « pays » de 450 millions d’habitants dont le produit intérieur brut est proche de
celui des États-Unis. L’Union doit faire face à de nombreux défis politiques, ainsi
qu’à la préservation des identités culturelles, en particulier sur le plan linguistique.
Elle adhère à l’idée du multilinguisme, à celle de l’absence de discrimination entre
ses citoyens et à la possibilité que ces derniers puissent avoir accès à l’information
et aux textes légaux dans leur propre langue. En mai 2004, l’UE est passée de 11
à 20 langues.
L’expansion linguistique n’en restera cependant pas là. Les pays qui frappent
à nos portes (Bulgarie, Roumanie et probablement Croatie) viennent ajouter au
moins trois nouvelles langues, et la Turquie et l’Ukraine, d’ici quelques années,
deux ou trois autres 1. Il n’en fallait pas plus (ni moins) pour que l’Irlande exige
que l’irlandais obtienne un statut officiel. Que l’Espagne propose que le catalan,
le basque, le galicien et pourquoi pas le parler de Valence deviennent aussi des
langues officielles. Celles-ci sont, tout compte fait, utilisées par plus de citoyens
que le maltais, le lituanien, l’estonien, le letton ou le slovène.
À suivre cette pente, l’UE sera amenée à devoir gérer 25 langues d’ici quelques
années. Ce qui signifie des services d’interprétation simultanée lors des réunions
officielles et des sessions du Parlement européen - et sans doute un Parlement dont
la partie réservée à l’interprétation sera plus grande que la salle de réunion -, des
services qui traduisent les législations et autres documents officiels, et des services
permettant de communiquer, dans chacune des langues, avec chaque citoyen de
l’Union. En 2002 déjà, 1,3 million de pages avaient été traduites ; ce nombre
passera à 2 millions en 2005, reconnaît un traducteur de la DG Traduction 2.
Il faut certes se féliciter de ce souci d’égalitarisme. Une nation ne peut pas se
voir pénalisée parce qu’elle n’est pas suffisamment grande, et on ne peut priver
1. On voit mal, en effet, comment l’Ukraine pourra ne pas exiger que l’Ukrainien et le Russe soient
considérés toutes deux comme langues officielles du pays.
2. Cité par David Ferguson, “Lost in Translation”, The Parliament Magazine, November 15, 2004,
p. 50.
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panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
ses citoyens de l’accès, dans leur langue, aux documents officiels, aux lois ni de
la possibilité de communiquer avec l’administration de Bruxelles dans leur propre
langue. On ne sera pas surpris que ce souci soit coûteux et nécessite une armée
de traducteurs et d’interprètes. Suite au dernier élargissement, la facture s’élèvera
à quelque 1,2 milliard d’euros par an, ce qui peut paraître dérisoire par habitant
(et c’est le calcul que l’on s’évertue à faire pour faire passer la pilule), mais ce
calcul est peu convaincant. Ce qui est plus significatif, c’est que les coûts de tra-
duction représentent plus de 30 % du budget de fonctionnement de l’Union, que
néanmoins, fin 2004, 60 000 pages de documents étaient en attente de traduction,
que les rapports sont censés ne pas dépasser une quinzaine de pages, que des ins-
tructions particulières ont été données aux parlementaires pour qu’ils s’expriment
de façon simple, par phrases courtes, et évitent les plaisanteries, etc.
Le régime linguistique de l’Union a été imposé par son premier conseil des
ministres en 1958, qui a défini les langues de travail et les langues officielles,
mais le texte est assez vague. Comme le souligne Mamadouh (1998, p. 5), « le
texte établit une distinction entre les deux, mais ce n’est pas une définition. Il n’est
pas clair quelles sont les langues qui doivent être utilisées, et la liste des langues
n’implique pas nécessairement qu’elles soient toutes utilisées à tout moment. Le
texte ne mentionne pas non plus ce qui touche à la communication orale. Les
institutions de l’UE ont par conséquent une très grande latitude dans le choix de
leur régime linguistique. » Avec pour résultat évident que certaines langues sont
et seront ignorées.
Notre article examine quelques solutions afin de résoudre ou tout au moins,
alléger les problèmes posés. Nous commencerons par nous intéresser aux langues
les plus représentatives dans le monde et dans l’Union européenne. Nous verrons
que dans l’UE, et à plus d’un égard, même dans le monde, il s’agit, comme on peut
s’y attendre, de l’anglais, du français et de l’allemand. Nous aborderons ensuite
le problème du nombre de citoyens exclus dans l’Union si l’on cessait de tra-
duire certaines langues, ou plus exactement, si l’UE se bornait à privilégier trois
langues : l’anglais, le français et l’allemand. La troisième partie suggère une façon
de compenser les citoyens des pays dont les langues ne feraient plus l’objet d’une
traduction systématique. La compensation serait destinée à leur permettre de dé-
cider s’ils veulent eux-mêmes assurer la traduction ou s’ils préfèrent consacrer à
d’autres causes les montants qui sont ainsi mis à leur disposition. Une dernière
section sera consacrée à quelques conclusions.
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Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
1. Les langues utilisées
dans l’Union européenne
Le Tableau 1 donne un aperçu des 7 langues les plus utilisées dans l’Union
européenne. La première colonne indique la population des pays dont la langue
est originaire et où celle-ci est parlée comme langue « naturelle ». Les deuxième
et troisième colonnes résultent des calculs faits par Ginsburgh et Weber (2005) et
Fidrmuc et Ginsburgh (2005), basés sur les enquêtes auxquelles a fait procéder la
Direction Éducation et Culture de la Commission européenne sur l’utilisation des
langues dans l’Europe des Quinze et des Vingt-cinq. Les chiffres qui apparaissent
dans la quatrième colonne résultent simplement de la division des chiffres de la
troisième colonne par ceux de la première : ils donnent le « coefficient multiplica-
teur » de la langue, très élevé pour l’anglais (le nombre de citoyens européens qui
connaissent l’anglais est 3,6 fois plus élevé que la population du Royaume-Uni).
Ce coefficient s’élève à 2 pour le français et tombe à 1,06 pour le polonais, qui
n’est pratiquement parlé qu’en Pologne3. La dernière colonne donne l’estimation
faite par Crystal (2001) pour le monde.
Tableau 1 : Langues principales dans l’UE (en millions et en unités pour les
coefficients multiplicateurs)
Population
naturelle aPopulation qui connaît la
langue
Coefficient
multiplicateur
Locuteurs dans
le monde
(1) UE 15 (2) UE 25 (3) (4) (5)
Anglais 62,3 208,6 224,3 3,60 1000-1500
Français 64,5 127,8 130,0 2,01 122
Allemand 90,1 118,3 132,6 1,47 120
Espagnol 39,4 56,3 56,3 1,43 350
Italien 57,6 65,2 65,2 1,13 63
Néerlandais 21,9 24,3 24,3 1,11 20
Polonais 38,6 ng 40,8 1,06 44
a. L’anglais est considéré comme langue « naturelle » en Grande Bretagne et en Irlande, le français
est naturel en France et pour 40 % des belges, l’allemand est naturel en Allemagne et en Autriche, le
néerlandais aux Pays-Bas et pour 60% des belges. L’espagnol, l’italien et le polonais sont naturels en
Espagne, Italie et Pologne. Source : Ginsburgh and Weber (2005) pour l’UE 15 et Fidrmuc et Ginsburgh
(2005) pour l’UE 25. Les locuteurs dans le monde proviennent de Crystal (2001). Il faut noter que les
chiffres de Crystal sont moins élevés que ceux de la colonne (3) dans certains cas.
Le Tableau 2 fournit quelques indications sur l’utilisation des langues dans le
3. Il faut noter que le russe est parlé par quelque 24 millions de personnes dans les pays d’Europe
centrale qui viennent d’adhérer à l’Union, dont 12 millions en Pologne. Le russe est donc davantage
parlé dans l’UE que le néerlandais, mais il n’est bien sûr pas considéré comme langue officielle.
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panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
monde et dans des domaines variés. Qu’il s’agisse de l’indice fourni par le Rapport
Graddol commandité par le British Council, du nombre de pages sur la toile, de
l’utilisation d’une langue dans un domaine scientifique tel que la chimie (mesuré
par la proportion d’articles indexés suivant la langue dans laquelle les articles
ont été écrits) 4, de la proportion des langues utilisées dans les premiers jets des
textes écrits par l’administration de l’UE, ou encore du nombre d’étudiants qui
apprennent les langues en Europe centrale, la chose est claire. L’anglais domine
très largement. Et l’allemand précède le français, sauf dans un cas, celui des textes
écrits par l’administration de l’UE. Mais il y a plus grave si l’on examine la dyna-
mique dans les deux cas où elle est disponible dans le Tableau 2 : l’utilisation de
l’anglais augmente sensiblement, et celle du français se réduit.
Tableau 2 : Quelles langues en Europe et dans le monde? Quelques indicateurs
Rapport
Graddol
Pages
sur toile
Indexation
articles Textes primaires UE
Étudiants
Eur.
Centr.
1997 2000 1978 1998 1986 1999 2002 (1994-95)
(Anglais
= 100) % % % % % % millions
Anglais 100 68,4 62,3 82,5 26,0 52,0 57,4 1,27
Allemand 42 5,8 5,0 1,6 11,0 5,0 4,6 0,80
Français 33 3,0 2,4 0,5 58,0 35,0 29,1 0,69
Japonais 32 5,9 4,7 4,5 - - - nd
Espagnol 31 2,4 nd nd nd nd 2,0 nd
Suédois nd 1,1 nd nd nd nd 0,8 nd
Italien nd 1,6 nd nd nd nd 2,1 nd
Chinois 22 3,9 0,3 5,9 - - - nd
Arabe 8 nd nd nd - - - nd
Portugais 5 1,4 nd nd nd nd 0,6 nd
Russe 3 2,4 19,5 3,1 - - - nd
Autres langues 4,1 5,8 1,9 5,0 8,0 3,4 nd
Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
Sources : Graddol : Graddol (1997) ; Pages sur toile : Maurais (2003, p. 22); Indexation articles :
Laponce (2003, p. 60) ; Textes primaires UE : Truchot (2003, p. 104) pour les années 1986 et 2002 et
Vanden Abeele (2004) pour l’année 2002; Étudiants en Europe centrale (Bulgarie, Hongrie, Pologne,
République tchèque, Roumanie, Slovaquie) : Fodor and Peluau (2003, p. 96).
Un autre aspect est illustré dans le Tableau 3 qui donne pour chaque pays de
l’Union des Quinze (UE15 par la suite) la proportion de tous les citoyens et de ceux
de moins de 40 ans qui disent connaître l’anglais, le français et l’allemand. Même
si les pourcentages absolus peuvent paraître exagérés, la dynamique est claire : la
connaissance des langues étrangères est en général bien plus importante chez les
4. Ainsi que, n’est-il pas, le faible nombre de références bibliographiques en français (6 sur 30)
dans cet article-ci.
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Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
jeunes (même au Royaume-Uni, pour lequel on peut regretter que la connaissance
de l’anglais... diminue), mais c’est surtout l’anglais qui en bénéficie. Et encore,
s’il faut en croire le rapport publié récemment par le ministère de l’Éducation
nationale (2004), la connaissance des langues étrangères chez les jeunes de 15 à 16
ans est en diminution en France, par comparaison avec d’autres pays européens 5.
Tableau 3 : « Connaissance » des langues dans les pays de l’UE 15 (en % de la
population totale dans chaque pays)
Anglais Français Allemand
Tous <40 ans Tous <40 ans Tous <40 ans
Allemagne 54 74 16 18 97 97
Autriche 46 66 11 16 99 99
Belgique 40 55 75 83 10 8
Danemark 75 84 5 5 37 38
Espagne 34 61 19 23 2 2
Finlande 61 87 1 1 7 6
France 42 63 100 100 8 13
Grèce 47 71 12 11 12 8
Irlande 95 96 23 38 6 10
Italie 39 63 29 33 4 5
Pays-Bas 70 80 19 21 59 60
Portugal 35 59 28 43 2 3
Suède 79 94 7 10 31 33
Royaume-Uni 99 98 22 27 9 12
UE 15 55 73 34 37 31 33
Source : Ginsburgh et Weber (2005). Calculs basés sur l’enquête réalisée en 2002 par la Commission
européenne (INRA, 2001).
Cette dynamique est-elle irréversible ? Une réponse possible à cette interroga-
tion est fournie par Ginsburgh, Ortuno-Ortin et Weber (2005b) qui étudient les dé-
terminants « macroscopiques » de l’apprentissage d’une langue étrangère (ces déter-
minants peuvent être différents des incitations micro-économiques qui poussent
à l’apprentissage opportuniste d’une langue parce qu’elle donne accès à des em-
plois plus nombreux et/ou mieux rémunérés). Leur modèle, inspiré de celui de
Selten et Pool (1991), est basé sur l’idée que trois facteurs sont déterminants : le
nombre de ceux qui parlent la même langue (disons, maternelle) que celle de l’étu-
diant de la langue étrangère (plus cette population est importante, moins grande
est l’incitation), le nombre de ceux qui parlent la langue étrangère (la langue est
d’autant plus attractive qu’elle est parlée par une population nombreuse), et le de-
gré de difficulté de la langue abordée (le degré d’attirance de la langue étrangère
est d’autant plus faible que la langue est difficile d’accès). C’est évident, mais ce
5. Voir aussi Le Monde, 22 octobre 2004 et notamment l’article intitulé « Déjà faible, le niveau des
élèves français a baissé entre 1996 et 2002 ».
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panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
qui l’est moins c’est de montrer que les données disponibles et l’analyse écono-
métrique à laquelle on peut les soumettre donnent un support empirique à cette
approche. Toutes autres choses égales, l’anglais exerce un pouvoir d’attraction
beaucoup plus élevé que le français, l’allemand et l’espagnol : une augmentation
d’un pour cent de la population qui connaît l’anglais augmente de 3.6% la part de
la population attirée par l’anglais dans un pays non anglophone ; ce pourcentage
tombe à 2,2 et 1,8 pour le français et l’allemand. Étant donné que le nombre de
locuteurs anglais dans le monde est, aujourd’hui, dix fois plus élevé que celui des
deux autres langues 6, la dynamique d’évolution est claire.
Rien de très neuf ici, malheureusement. L’anglais domine et le français cède
sa deuxième place à l’allemand. Tout cela avait été largement prévu par Alphonse
de Candolle 7, homme de science genevois né à Paris, dans son essai Avantage
pour les sciences d’une langue dominante et laquelle des langues modernes sera
nécessairement dominante au XXesiècle, paru en 1873 :
Pour le comprendre, il faut réfléchir aux causes qui font préférer
une langue, et à celles qui en propagent l’emploi malgré les défauts
qu’elle peut avoir. Aux XVIIeet XVIIIesiècles, il existait des motifs
pour faire succéder le français au latin dans toute l’Europe. C’était
une langue parlée par une grande proportion des hommes instruits de
l’époque ; une langue assez simple et fort claire. Elle avait l’avantage
d’être voisine du latin, qu’on connaissait à merveille. Un Anglais, un
Allemand avait tout naturellement appris la moitié du français en
apprenant le latin. Un Espagnol, un Italien en savait d’avance les trois
quarts. Si l’on soutenait une discussion en français, si l’on publiait
dans cette langue, tout le monde comprenait.
Dans le siècle actuel, la civilisation s’est beaucoup étendue au nord
de la France et la population s’y est augmentée plus qu’au midi. L’em-
ploi de la langue anglaise a triplé par le fait de l’Amérique. Les sciences
sont de plus en plus cultivées en Allemagne, en Angleterre, dans les
pays scandinaves et en Russie.
Sous l’empire de ces nouvelles conditions, une langue ne peut de-
venir dominante que si elle réunit deux caractères : (1) avoir assez de
mots ou de formes germaniques et latines pour être à la portée, à la
fois, des Allemands et des peuples de langue latine ; (2) être parlée par
une majorité considérable d’hommes civilisés. Outre ces deux condi-
tions essentielles, il serait bon, pour le triomphe définitif d’une langue,
6. Voir Crystal (2001) qui estime à 1-1,5 milliard le nombre d’anglophones dans le monde, alors
que le l’on estime à 120 millions le nombre de ceux qui parlent le français ou l’allemand.
7. Avec nos remerciements à Dean Simonton pour cette référence que nous ignorions.
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Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
qu’elle eût aussi des qualités de simplicité grammaticale, de brièveté,
de clarté.
L’anglais est la seule langue qui puisse, dans cinquante ou cent
ans, offrir toutes ces conditions réunies (. . .). La prépondérance future
de la langue anglo-américaine est évidente : elle sera imposée par le
mouvement des populations dans les deux hémisphères.
Et Candolle apporte dans la suite des chiffres montrant qu’entre 1873, date
de son essai et 1980, la langue anglaise aura progressé de 93 à 450 millions
d’individus, alors que l’allemand et la français auront progressé respectivement de
58 à 116 et de 42,5 à 64 millions.
2. L’exclusion des citoyens de l’Union
Annoncer, comme nous l’avons fait dans la section précédente, que certaines
langues sont attractives implique que d’autres le sont moins, ou pas du tout, et
peut suggérer qu’il faut peut-être accélérer le passage vers certaines langues, étant
donné le coût économique imposé par le multilinguisme. Cette proposition mérite
d’être examinée, même si nous suggérerons, in fine, une alternative qui nous
semble largement préférable.
Nous nous basons pour ce faire sur l’enquête INRA (2001) dont il a déjà été
question plus haut, ainsi que sur celle réalisée en 2001 dans les 10 pays dont l’ad-
mission était prévue en 2004 8. Essentiellement, ces deux études fournissent des
données sur les langues maternelle(s) et étrangère(s) parlées dans chacun des 25
pays. Tout en n’étant pas tout à fait comparables, et contestées par certains au-
teurs 9qui estiment que les enquêtes exagèrent le nombre de citoyens qui disent
parler ou connaître les langues, nous utiliserons ces deux études qui ont l’avan-
tage évident de fournir des résultats, alors que l’on joue souvent à deviner sur
la question. Faire mieux nécessiterait de soumettre à des examens linguistiques
quelque 25 000 citoyens (environ 1 000 individus dans chacun des 25 pays), ce
qui est évidemment impensable 10.
Ces deux enquêtes permettent de calculer le nombre de citoyens qui pourraient
se sentir exclus de l’Union européenne, parce que leur langue est ignorée. C’est ce
8. Voir DG Press and Communication (2003), Applicant Countries Eurobarometer 2001 : Public
Opinion in the Countries Applying for European Union Membership, European Commission, March
2002.
9. Voir par exemple Piron (1994).
10. Il faut noter que Ginsburgh, Ortuno-Ortin et Weber (2005a) ont également obtenu des résultats
comparables sur base des proximités linguistiques, basées sur Dyen et al. (1992). Cette approche sera
brièvement abordée plus loin.
économiepublique
11
panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
qu’écrit avec grande justesse Claude Hagège (2000, p. 13) et qui est reproduit dans
l’exergue à notre article. Et il conclut son ouvrage par les propos suivants :
(. . .) la défense des langues nationales qui ne bénéficient pas d’un sta-
tut officiel au sein des États où vivent leurs usagers n’apparaît plus
comme une démarche rétrograde. Elle est, par ailleurs, un acte de pure
prudence dans les cas où l’inégalité des chances entre langue mino-
ritaire et langue dominante met la paix en péril, comme cela s’est
produit [en 2000] en Moldavie et risque de se produire encore non
seulement dans les pays baltes (. . .), mais dans d’autres régions de
l’ex-Union soviétique où vivent des minorités russophones. On objec-
tera que cette partie du continent, puisqu’elle n’appartient pas, ou pas
encore, à la Communauté proprement dite, n’est pas un bon exemple.
Mais ce qui s’y produit doit servir d’avertissement.
Avertissement sévère. Au mieux, les « exclus linguistiques » seront indifférents
aux décisions prises à Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. Au pire, ils se senti-
ront aliénés par le processus politique, avec les conséquences auxquelles Hagège
fait allusion, et qui pourraient aller jusqu’à une remise en question de l’Union. Un
fait qui date de la fin février 2005 est exemplaire. La Commission aurait décidé
que les conférences de presse, traduites jusqu’ici dans les 20 langues, ne seraient
plus traduites qu’en anglais, français et allemand. Aussitôt l’éditorial de première
page du Corriere Della Sera suggère que « l’opinion publique italienne doit savoir
qu’aujourd’hui [l’Italie] ne fait plus partie des nations importantes de l’Union, mais
se trouve reléguée au second rang »11.
Les Tableaux 4 et 5 fournissent des estimations des pourcentages d’exclus par
pays si l’anglais (E), le français (F) ou l’allemand (G) seuls, ou en combinaison (EF,
EG, EFG), étaient utilisés comme langues officielles dans l’Union 12. Ces résultats
appellent deux observations. Premièrement, en dépit du fait que l’anglais domine,
50 % des citoyens seraient exclus si l’anglais devait devenir l’unique lingua franca
dans l’UE 25, comme le suggère Van Parijs (2005), par exemple. Mais tout autre
choix serait pire, puisque ce pourcentage passerait à 71 %, avec le français ou l’al-
lemand, et à bien plus si l’italien, l’espagnol le néerlandais ou le polonais (nous
nous limitons ici aux 7 langues les plus parlées dans l’UE) étaient choisis comme
11. BBC News, Monday February 21, 2005, 18 : 03 GMT.
12. Ginsburgh et Weber (2005) donnent également des résultats pour l’italien, l’espagnol et le néer-
landais dans l’UE 15. Ces résultats sont ignorés dans la suite, du fait qu’aucune de ces trois langues
n’est véritablement « exportée » de son pays d’origine et n’est susceptible de changer de manière im-
portante les conclusions. L’italien est connu par 8 % des grecs et 7 % des autrichiens, et bien moins
dans les autres pays. Il en va de même pour l’espagnol, qui atteint plus de 5 % uniquement en France
(15 %). Le néerlandais est pratiqué par 69 % des belges, mais est sans influence ailleurs, si ce n’est aux
Pays-Bas. La suggestion de limiter à l’anglais, au français et à l’allemand les langues de travail dans
l’UE est aussi faite par Calvet (2002, p. 49).
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Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
seule lingua franca. En deuxième lieu, les taux d’exclusion seraient particulière-
ment élevés dans certains pays d’Europe centrale, mais aussi en France (58 %), en
Allemagne (46 %), en Espagne (64 %) et en Italie (61 %), les quatre pays les plus
peuplés d’Europe, et dont trois sont fondateurs de ce qui allait devenir l’Union
européenne.
Tableau 4 : Taux d’exclusion linguistique par pays (en % de la population totale)
Population (millions) E F G EF EG EFG
UE15
Allemagne 82 46 84 3 44 0 0
Autriche 8,1 54 89 1 52 0 0
Belgique 10,2 60 25 90 18 53 17
Danemark 5,3 25 95 63 24 16 16
Espagne 39,4 64 81 98 57 63 56
Finlande 5,1 39 99 93 39 37 36
France 60,4 58 0 92 0 57 0
Grèce 10,5 53 88 88 53 52 51
Irlande 3,7 5 77 94 4 4 3
Italie 57,6 61 71 96 48 59 47
Luxembourg 0,4 81 9 26 4 15 1
Pays-Bas 15,8 30 81 41 20 15 14
Portugal 10,8 65 72 98 59 64 58
Royaume-Uni 58,6 1 78 91 1 1 1
Suède 8,9 21 93 69 20 19 18
Ensemble 376,9 45 66 69 30 32 19
Pays admis en mai 2004
Chypre 0,8 39 93 98 38 39 38
Estonie 1,4 69 99 86 69 62 62
Hongrie 10,1 85 98 86 84 75 75
Lettonie 2,4 77 99 86 76 68 67
Lituanie 3,6 80 98 88 79 72 70
Malte 0,4 17 91 99 17 17 17
Pologne 38,6 80 97 83 78 67 66
République tchèque 10,3 76 97 70 75 54 53
Slovaquie 5,4 87 98 79 86 72 71
Slovénie 2 47 96 57 46 28 27
Ensemble 75 79 97 81 77 65 64
Pays candidats
Bulgarie 7,9 87 95 94 83 83 80
Roumanie 21,8 80 83 95 71 77 68
Turquie 65,6 85 98 96 84 82 81
Ensemble 95,3 84 94 96 81 81 74
Notes : E : Anglais ; F : Français ; G : Allemand; EF : Anglais et Français ; EG : Anglais et Allemand;
EFG : Anglais, Français et Allemand.
économiepublique
13
panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
Il importe dès lors d’examiner ce qui se passerait en combinant plusieurs
langues et en comptant le nombre de locuteurs qui parlent l’une ou l’autre 13.
C’est ce que nous faisons dans les trois dernières colonnes des Tableaux 4 et
5. Les chiffres mènent aux remarques suivantes. D’abord, alors que le français
était deuxième langue dans l’UE 15, il se retrouve en minorité par rapport à
l’allemand dans l’UE 25. En effet, le taux d’exclusion s’élève à 38 % dans la
combinaison anglais-français et à 37 %, soit un peu moins, dans la combinaison
anglais-allemand. La combinaison des trois langues fait tomber les exclus à 19 %
de la population dans l’UE 15 et à 26 % dans l’UE 25. Ce qui n’empêche nullement
que les taux d’exclusion par pays demeurent très élevés en Grèce, en Italie, au
Portugal, en Espagne ainsi que dans la plupart des pays d’Europe centrale.
Cette situation suggère de retenir la langue ou le groupe de langues qui mi-
nimise le taux d’exclusion individuelle (par pays) le plus grand (critère dit du
minimax) 14. Il est facile de voir que c’est sans conteste l’anglais si l’on choisissait
une seule langue, aussi bien pour l’UE 15 que pour l’UE 25. Dans le cas d’une
combinaison de deux langues, c’est le groupe anglais-francais qui réalise ce mini-
mum dans l’UE 15 (avec une exclusion maximale de 59 % au Portugal, alors que
le groupe anglais-allemand exclut 64 % des portugais). Mais les choses changent
dans l’UE 25, où la combinaison gagnante est le couple anglais-allemand (qui ex-
clut au maximum 75 % des hongrois, alors que le couple anglais-français exclut
86 % des Slovaques – et 84 % des Hongrois).
Tableau 5 : Taux d’exclusion linguistique par région (en % de la population totale)
Population (millions) E F G EF EG EFG
UE 15 376,9 45 66 69 30 32 19
UE 25 451,9 50 71 71 38 37 26
UE 28 547,2 56 75 75 45 45 35
Notes : E : Anglais ; F : Français ; G : Allemand; EF : Anglais et Français ; EG : Anglais et Allemand;
EFG : Anglais, Français et Allemand.
On peut évidemment songer à ajouter d’autres langues à ces trois premières,
par exemple, l’italien (57,6 millions de locuteurs en Italie), l’espagnol (39,4 mil-
lions de locuteurs en Espagne), le polonais (38,6 millions de locuteurs en Pologne),
ou le néerlandais (21,9 millions de locuteurs aux Pays-Bas et en Belgique néer-
landophone), mais en se reportant aux résultats du Tableau 1, on se rappellera
qu’aucune de ces langues n’est largement pratiquée en dehors de son environne-
13. La difficulté posée par le fait de combiner des langues vient de ce qu’il faut exclure ceux qui
parlent deux des langues retenues. Par exemple, un anglais qui parle le français serait compté deux
fois dans le décompte des locuteurs qui parlent soit l’anglais, soit le français. Nos calculs sont faits en
excluant ces « intersections ».
14. Nous remercions Alain Trannoy de cette suggestion.
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Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
ment d’origine. Leur introduction réduit évidemment le degré d’exclusion dans le
pays d’origine, mais a peu d’influence dans le reste de l’UE 15.
Le doute exprimé sur les résultats d’enquêtes relatives à la connaissance des
langues a fait opter Ginsburgh, Ortuno-Ortin et Weber (2005a) pour une approche
tenant compte de la proximité entre langues, basée sur les distances calculées par
Dyen, Kruskal et Black (1992) 16. Le Tableau 6 classe les langues selon leur degré
d’exclusion, dans les cas où une, deux ou trois langues sont « officielles » 17.
Tableau 6 : Taux d’exclusion basés sur la proximité entre langues dans l’UE 15
(indices)
Une langue Deux langues Trois langues
G 177 GI 71 EGI 45
I 177 GF 73 EGF 46
F 182 GS 78 EGS 52
S 186 ID 81 EID 56
D 186 FD 82 GFI 58
E 197 SD 88 EFD 58
EI 89 GFS 60
EF 91 FIS 61
ES 97 GIS 61
EG 150 ESD 63
ED 162 GID 66
FI 164 GFD 67
IS 168 FID 68
FS 168 FSD 70
GD 171 ISD 71
GSD 73
EFI 77
EFS 79
EIS 80
EGD 146
Notes : E : Anglais ; F : Français ; G : Allemand; I : Italien ; S : Espagnol ; D : Néerlandais.
Ces calculs ont été faits pour l’UE15 et restent à faire pour l’UE 25 pour laquelle
15. Voir à ce sujet Ginsburgh et Weber (2005) pour l’UE 15.
16. Voici comment ces distances sont établies. Pour chacun des 200 mots de base sélectionnés par
Swadesh (1952), censés apparaître dans toutes les langues (père, mère, sang, les nombres, etc.), Dyen
a collecté les mots dans 95 langues indo-européennes, qu’il a classés ensuite en classes d’origine
supposée commune (cognate classes). Le pourcentage de mots d’origine commune entre deux langues
est pris comme mesure de leur proximité. Il faut noter que les mots empruntés ne sont pas pris en
compte, ce qui peut évidemment fausser la distance entre deux langues telles que le français et l’anglais
par exemple, comme le peut évidemment la structure grammaticale. Il s’agit donc d’une mesure très
approximative. Chiswick et ses coauteurs (par exemple Chiswick et Miller, 2004) basent les distances
(entre l’anglais américain et les langues maternelles de ceux qui ont immigré aux États-Unis) sur le
nombre d’années d’apprentissage de l’anglais par les diverses populations immigrées.
17. Voir Ginsburgh, Ortuno-Ortin et Weber (2005a) pour le cas de 4 et 5 langues.
économiepublique
15
panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
il est très vraisemblable que le polonais pourrait apparaître. Ces calculs montrent
que l’anglais seul est très mal situé, puisqu’il arrive en dernière position après
l’allemand, l’italien, le français, l’espagnol et le néerlandais. Ceci ne doit pas trop
nous surprendre, du fait que la population naturelle qui le parle est relativement
faible (15 % dans l’UE 15), qu’il se situe à une distance importante des langues
latines, qui constituent 45% de la population, alors que l’allemand, parlé par 24%
de la population, est plus proche que l’anglais des autres langues germaniques
telles que le danois, le suédois et le néerlandais. C’est aussi conforme à ce que
Claude Hagège dit de l’anglais pour ceux dont la langue maternelle est d’origine
latine : une des langues les plus difficiles à apprendre 18. Même si l’on passe à deux
langues officielles, l’anglais n’est pas parmi les premiers choix que sont l’allemand
et une langue latine, l’italien, le français ou l’espagnol. Lorsque l’on passe à trois
langues, l’anglais est présent dans les quatre combinaisons qui excluent le moins
de citoyens dans l’UE 15, et le groupe anglais-français-allemand est à peu de chose
près aussi bon que la combinaison gagnante anglais-allemand-italien. Ginsburgh,
Ortuno-Ortin et Weber (2005a) montrent que cette combinaison reste (presque)
optimale même si le degré d’aversion à l’exclusion devient élevé.
3. Le coût marginal des traductions
et une proposition de décentralisation
Affirmer que la traduction dans 20 langues coûte seulement 2 à 3 euros par
citoyen européen est trompeur. Ce qui compte, c’est le coût par citoyen exclu
parce qu’il ne connaîtrait aucune des langues à laquelle on donnerait un statut
privilégié.
Fidrmuc et Ginsburgh (2005) se sont livrés à un calcul basé sur les hypothèses
suivantes : (a) les coûts de traduction sont identiques quelle que soit la langue,
soit 65,1 millions d’euros par langue (1,236 milliard/19 langues) ; (b) les langues
privilégiées sont l’anglais, le français et l’allemand, et tout citoyen qui parle ou
comprend au moins l’une des trois langues n’est pas exclu. Cette deuxième hypo-
thèse est sévère, parce qu’il se peut qu’aucune des trois langues ne soit la langue
maternelle du citoyen. C’est néanmoins ce qui est demandé à l’heure actuelle à
un Basque, ou à un Catalan qui ne connaîtrait pas l’espagnol, ou à un Irlandais
ignorant l’anglais.
Pourquoi l’anglais, le français et l’allemand? Parce qu’aujourd’hui, plus de
90% des documents sont d’abord écrits dans l’une de ces trois langues, et ne
nécessitent donc aucune traduction supplémentaire (voir Tableau 2), et que plus
18. Voir l’interview de Claude Hagège dans Le Figaro, 5 avril 2004.
no15 - 2004 / 2
16
Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
de 75 % (81 % dans l’UE 15 et 36 % chez les nouveaux arrivés) de la population
de l’UE actuelle comprend au moins l’une d’entre elles (voir Tableaux 4 à 6).
Le tableau 7 donne un aperçu des 20 langues officielles retenues par l’UE. La
troisième colonne donne la population des pays dans lesquels la langue est usuelle
(souvent maternelle). Dans la quatrième colonne figure le nombre de citoyens qui
ne comprennent ni l’anglais, ni le français, ni l’allemand, et pour lesquels une
traduction dans la langue du pays pourrait être nécessaire. La dernière colonne
donne le coût de traduction par citoyen exclu, obtenu en divisant le coût de tra-
duction moyen d’une langue (65,1 millions) par le nombre de citoyens exclus. Ces
coûts varient considérablement d’une langue à l’autre. Ils sont nuls pour l’anglais,
le français et l’allemand, conformément à notre hypothèse, faibles pour l’italien,
le polonais et l’espagnol, étant donné la taille de la population qui serait exclue,
mais supérieurs à 25 euros pour 8 des 20 langues. Le record de 980 euros par
citoyen est détenu par le maltais, du fait que très peu de résidents de l’île ne
connaissent pas l’anglais et qu’il faudrait traduire en maltais pour un peu plus de
60 000 individus seulement.
Tableau 7 : Coûts marginaux de traduction des langues dans l’UE
Langue Pays utilisateurs Population
(millions)
Population
exclue
(millions)
Coût par
citoyen
exclus
(euros)
Allemand Allemagne et Autriche 90,1 0 0
Français France et 40 % en Belgique 64,5 0 0
Anglais Grande-Bretagne et Irlande 62,3 0 0
Italien Italie 57,6 27,1 2,4
Polonais Pologne 38,4 25,5 2,6
Espagnol Espagne 39,4 22,1 2,9
Hongrois Hongrie 10,1 7,5 8,7
Portugais Portugal 10,8 6,3 10,3
Grec Grèce 11,3 5,7 11,4
Tchèque République tchèque 10,3 5,5 11,8
Slovaque Slovaquie 5,4 3,8 17,1
Néerlandais Pays-Bas et 60 % en Belgique 21,9 3,3 19,7
Lituanien Lituanie 3,6 2,5 26,0
Finlandais Finlande 5,1 1,8 36,2
Letton Lettonie 2,4 1,6 40,7
Suédois Suède 8,9 1,6 40,7
Estonien Estonie 1,4 0,9 72,3
Danois Danemark 5,3 0,9 72,3
Slovène Slovénie 2,0 0,5 130,2
Maltais Malte 0,4 0,07 983,2
Total 451,9 116,7 9,5
Source : Fidrmuc et Ginsburgh (2005).
économiepublique
17
panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
Les réglementations actuelles de l’UE permettent à un pays membre d’exiger les
services de traduction et d’interprétation pour autant que la langue soit officielle,
ou d’y renoncer, comme l’ont fait jusqu’ici le Luxembourg et l’Irlande. Ceux-ci ont
été généreux et ont sans doute eu tort, puisque même si le gain lié aux services de
traduction et d’interprétation est faible, il est néanmoins positif, alors que le coût
est supporté par l’ensemble de la population de l’Union.
Décider si une somme de 100, 400 ou 1000 euros est acceptable pour éviter
l’exclusion de certains groupes de citoyens relève du choix politique. Nos calculs
sont simplement destinés à illustrer des situations très différentes, tout en faisant
remarquer que chaque langue coûte en moyenne 65,1 millions d’euros. On peut
cependant se demander si certains pays ne trouveraient pas plus indiqué d’allouer
un tel montant à d’autres projets tels que la santé, l’instruction, etc., si on décidait
de le leur transférer. C’est alors chaque pays qui assurerait, ou déciderait de ne
pas assurer, la traduction des textes dans sa langue19 , ce qui permettrait d’éviter
ou de réduire les nombreux retards de traduction auxquels font face les services
centralisés à l’heure actuelle 20. Et c’est le gouvernement du pays en question qui
porterait, devant ses citoyens, la responsabilité de ne pas traduire. Cette solution
paraît acceptable et efficace, puisqu’elle élargit les choix actuels. Elle permettrait
aussi à la Commission d’alléger la gestion de ce qui est, aujourd’hui déjà, le plus
grand service de traduction et d’interprétation du monde. Il importe cependant de
vérifier, in fine, si l’ensemble des traductions est conforme à l’esprit, et si néces-
saire, à la lettre du texte original, ce qui nécessiterait sans doute l’intervention des
services centraux de Bruxelles 21.
4. Conclusions
Faut-il craindre que le nombre de langues se réduit lorsque certaines langues
prennent la place d’autres ? S’il est vrai qu’au cours du temps certaines langues
disparaissent, d’autres se créent. Le latin, langue fédérative de l’Europe il y a
quelques siècles à peine, a disparu, mais il est remplacé par l’espagnol, l’italien, le
français, le portugais, le roumain, auquel on peut ajouter, notamment, le catalan,
l’aragonais, le galicien, le wallon, le provençal, le corse, le français parlé par les
Canadiens, et pourquoi pas, le ladino et le djudesmo, ainsi que les dizaines de
créoles, y compris celui utilisé à la Nouvelle-Orléans, dans le plus grand pays
19. Certains pays partagent la même langue, ce qui pose un petit problème aisé à résoudre par
négociation.
20. Voir De Swaan (2001) et Mamadouh (1998). En 2004, les services de traduction de l’UE admettent
un retard évalué à 60 000 pages.
21. Il va sans dire que cette proposition ne couvre pas les services de traduction simultanée du
Parlement européen.
no15 - 2004 / 2
18
Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
anglophone. L’anglais lui-même éclate en plusieurs dizaines d’idiomes, suivant
l’endroit où il est parlé : l’anglais britannique qui diffère selon qu’il s’agit de
l’Écosse, du Pays de Galles, ou de la BBC; l’anglais américain, différent dans les
Appalaches de ce qu’il est à Boston et à New York; l’anglais canadien utilisé à
Québec qui diffère de celui parlé par les Inuits, l’anglais des Caraïbes, celui de
l’Afrique, du sud ou de l’est de l’Asie 22 . Sans oublier le spanglish 23 . Rien ne nous
garantit que dans deux mille ans ces langues ne seront pas aussi différentes l’une
de l’autre que ne le sont aujourd’hui la multitude des langues indo-européennes 24.
Peut-on comparer, comme c’est souvent fait par les écolinguistes, la disparition
de certaines langues à la réduction de la diversité biologique ? On a sans doute
trop tendance à oublier que l’homme parle depuis cinquante à cent mille ans à
peine, et que la diversité dont il est question aujourd’hui (quelques 6 000 langues)
provient très vraisemblablement d’une langue unique 25. On est passé de l’unicité
à une grande diversité en cent mille ans. La faune et la flore dont on regrette la
disparition ont mis bien plus de temps à se diversifier, et mettront plus longtemps
à se reconstituer, même si on leur en donne la possibilité. Comme le suggère
Kebbee (2003, p. 51), l’équivalence « langage égale espèce » dont le débat remonte
aux années 1860, est aussi fausse aujourd’hui qu’elle l’était alors : « Une langue
est un comportement, pas une caractéristique physique », explique-t-il. « Lorsque
deux langues sont en contact, elles s’influencent. Lorsqu’un chien vit à côté d’un
oiseau, il ne lui pousse pas d’ailes, et l’oiseau ne se verra jamais doté de pattes
velues. Deux langues peuvent en créer un troisième. L’influence d’une langue sur
l’autre ne doit pas être perçue comme une dégradation de l’une ou de l’autre. » Ce
qu’écrit Streeten (2005) au sujet de la culture, s’adapte parfaitement au langage :
Bien que l’on dise de la diversité qu’elle contribue à la créativité, on
ne peut l’invoquer de façon abstraite. Il nous faut montrer pourquoi
celle-ci accroît le progrès économique, les opportunités sociales, la
stabilité politique et la résolution des conflits et pourquoi elle a de
la valeur, pourquoi elle est belle et peut même être délectable. Dans
le processus de globalisation, certaines cultures disparaissent, mais
d’autres naissent. L’effacement des cultures anciennes peut aller de
pair avec une grande variété de nouvelles formes de vie humaine (. . .).
Nous devons apprendre à apprécier la variété des habitudes sociales et
culturelles, pour autant que ces différences ne rentrent pas en contra-
22. Voir à ce sujet The Cambridge Encyclopedia of the English Language.
23. Voir Le Monde, 7 octobre 2003, p. 1.
24. Voir aussi Calvet (2002, chapitre 4).
25. Voir par exemple Ruhlen (1994), même si les 27 mots mots qu’il prétend avoir retrouvés de la
langue-mère pourraient relever du vouloir plutôt que du savoir. Ce qui n’en rend pas l’idée moins
belle !
économiepublique
19
panorama Jan Fidrmuc, Victor Ginsburgh, Shlomo Weber
diction avec les principes éthiques universels, en particulier le respect
du droit à la vie, à la liberté, au droit à la parole, à la religion.
Il ne peut donc être question d’ignorer certaines langues, mais il faut songer
à simplifier la communication entre ethnies de langues différentes. À la question
« anglais comme lingua franca » il faut résolument répondre « non ». Le degré
d’exclusion de certains citoyens européens serait insupportable. Ce qui ne veut
pas dire qu’il faille cesser de les encourager à apprendre l’anglais (de même que
d’autres langues, d’ailleurs), ce que Claude Hagège (2000, p. 13) exprime si bien en
écrivant que « charger son parler maternel d’une valeur de symbole ne signifie pas
que l’on soit aveugle à l’utilité des langues fédératrices ». L’apprentissage à l’école
est sans doute nécessaire, mais il ne faut rien négliger et la recommandation faite
par Van Parijs (2003) de ne plus doubler les films produits en langue anglaise dans
les pays dont la langue est dérivée du latin (de même qu’en Allemagne et en Au-
triche) est certainement excellente, d’autant plus que le sous-titrage coûte moins
cher que le doublage. L’écoute, même si elle reste passive, est utile. Combien de
fois n’entend-on pas dire que les jeunes se font à l’anglais en écoutant du rock !
Une idée alternative est de supprimer l’anglais comme deuxième choix dans les
écoles, puisqu’il est de toute manière appris « sur le tas ». La traduction et l’inter-
prétation sont coûteux, mais ce qui l’est sans doute tout autant, ce sont, comme le
souligne de Swaan (1993, 2001, p. 173), les coûts subjectifs de communication, les
erreurs qui s’ensuivent, les retards de traduction qui peuvent finir par paralyser le
fonctionnement des institutions.
La solution que nous proposons dans la Section 3, consiste à gérer de manière
centralisée trois langues de travail, l’anglais, l’allemand et le français, parce que ce
sont celles qui permettent de réduire sensiblement l’exclusion dans la plupart des
pays de l’espace européen et parce que ce sont par excellence des langues pivot
à partir desquelles les traductions peuvent se faire plus aisément vers les autres
langues de l’Union. La traduction de celles-ci serait décentralisée dans les pays
concernés, et financée par des transferts en provenance du budget général de la
Commission. Mais on pourrait aussi imaginer que les pays de langue anglaise, alle-
mande et française soient taxés par l’UE, puisque leurs langues ont un traitement
préférentiel, et que ces taxes soient reversées aux autres langues.
On pourrait aussi justifier de passer à cinq langues « centrales » en incluant
l’espagnol et le polonais. L’espagnol, parce qu’il est parlé par 340 millions de
citoyens dans le monde et le polonais parce qu’il s’agit d’une langue slave qui
ouvre la porte à un grand nombre des langues parlées dans les pays d’Europe
centrale. Les calculs présentés dans le Tableau 7 peuvent être refaits pour ces cinq
langues, mais les résultats ne seraient pas profondément modifiés.
Le français a perdu sa place de deuxième langue dans l’administration de
l’Union. Son influence, assez large avant l’accession de la Grande-Bretagne en
no15 - 2004 / 2
20
Le français, deuxième langue de l’Union européenne ?
1973 n’a cessé de s’effriter depuis, mais l’insistance de l’Allemagne pour que l’alle-
mand soit adopté comme troisième langue n’a pas ému grand monde jusqu’ici. De
Swaan (2001, p. 171) estime qu’en 1991, plus de 90 % des officiels des Directions
Générales parlaient couramment le français, 70 % l’anglais et seulement 16 %
l’allemand. Près des deux tiers de la communication interne se faisait en fran-
çais, un tiers en anglais, les autres langues n’étant pratiquement pas utilisées. Ceci
est cohérent avec les chiffres rapportés dans le Tableau 2, mais ceux-ci montrent
aussi que les choses ont changé depuis, non pas en faveur de l’allemand, mais
certainement en défaveur du français. L’addition des dix pays d’Europe centrale
pourrait modifier cette tendance en faveur de l’allemand, qui rappelons-le, a, dans
la nouvelle Europe, plus de locuteurs que le français.
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économiepublique
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... 12 English is central, but would a European demos be able to function in English only? that member states invest the budget of European translation costs into language training (in the three classical languages). Within two generations, the language problem would be solved (Fidrmuc, Ginsburgh and Weber 2004). The other solution, a bit more complicated to achieve, would be to copy the "Indian system." ...
... Levels of exclusionSource: Extrapolated fromFidrmuc, Ginsburgh, and Weber 2004. ...
... Cheap-because all European legal texts already exist in these languages; the OECD functions in these languages and most of the international organizations (the UN among others) have adopted them as working languages. Cheap-because translation costs are 64 million Euros per year and per member state (Malta trumps all other member states with 980 Euros per citizen) (Fidrmuc, Ginsburgh, and Weber 2004). Cheap-because the EU would avoid transportation costs (from Brussels to The Hague, Luxemburg, Strasbourg, etc.). ...
... . See in particular, Pool (1991), Pool (1996, Church and King (1993), de Briey and van Parijs (2002), van Parijs (2004a, Grin (1997Grin ( , 2004aGrin ( , 2004bGrin ( , 2005, Fidrmuc et al. (2004), Ginsburgh and Weber (2005), Fidrmuc and Ginsburgh (2007), and Gazzola (2006aGazzola ( , 2006b. A review of the debate on linguistic justice among philosophers is provided in de Schutter (2007). ...
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The comparison between various language policies that aim to manage multilingual communication ought to rely on some robust methodology for evaluation. This paper discusses the possibility to found such a methodology on the well-established concepts of efficiency and fairness. Assessing efficiency implies comparing how resources are allocated under alternative policy options (or scenarios) in order to identify the policy promising the best overall allocation. Assessing fairness calls for the evaluation of the distributive effects of each scenario on the linguistic groups involved in communication — that is, ascertaining who benefits and who loses (and how much) under alternative policy options. This paper develops indictors of effective and fair communication, which synthesise some desirable characteristics of communication processes, and which enable us to rank-order, with respect to their relative efficiency and fairness, different ways of handling communication in multilingual settings. In order to assess effectiveness and efficiency, we work with three (not mutually exclusive) definitions of communication, namely, informatory, cooperative and strategic communication, which reflect the different (main) communicational intents of the actors. In order to assess fairness, we establish a distinction between communication in terms of access, process and outcome.
... The first three languages are, not surprisingly, English, German and French. It is interesting to note that German does slightly better than French in reducing linguistic disenfranchisement as the second language in the sequence (see also Fidrmuc, Ginsburgh and Weber, 2004). With these three languages only, just over one third of Europeans remain disenfranchised. ...
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El artículo indaga cómo se articula la política lingüística institucional de la Unión Europea y de qué manera se desarrolla el multilingüismo integral de sus principales instituciones. Para ello, se ha constituido un corpus de textos relevantes, fruto del vaciado de la normativa europea, a saber, tratados constitutivos, reglamentos internos y otros documentos de referencia de las siete instituciones que establece el artículo 13.1 del Tratado de la Unión y que han integrado de manera diversa el multilingüismo en su modo de funcionamiento, además de los comités consultivos y las agencias descentralizadas. El corpus ha sido analizado como una cadena semiótica mediante una metodología temática de naturaleza inductiva. Entre los resultados del estudio cabe destacar la articulación de una política multilingüe en lo referente a la comunicación externa con la ciudadanía, aunque alguno de los principios enunciados regula también formas de multilingüismo efectivas en el seno de las propias instituciones, dentro de las unidades que las constituyen y entre las personas que intervienen en ellas. Paralelamente, se observa una tendencia a la simplificación en los usos lingüísticos, sobre todo en lo referente a las agencias descentralizadas. Palabras clave: Política lingüística; Unión Europea; multilingüismo integral; lenguas oficiales; lenguas de trabajo; redacción; traducción; interpretación. THE INSTITUTIONAL LANGUAGE POLICY OF THE EUROPEAN UNION: MULTILINGUALISM VERSUS SIMPLIFICATION Abstract The article explores how the institutional language policy of the European Union is articulated and how full multilingualism is developed in its main institutions. To this end, a corpus of relevant texts has been created, which is the result of the analysis of European legislation, namely, the founding treaties, internal regulations, and other reference documents of the seven institutions established in Article 13.1 of the Treaty on European Union, which have integrated multilingualism in their mode of operation in different ways, as well as the advisory committees and decentralised agencies. The corpus has been analysed as a semiotic chain using an inductive thematic methodology. Among the results of the study, it is worth highlighting the articulation of a multilingual policy with regard to external communication with the citizens, although some of the principles enunciated also regulate effective forms of multilingualism within the institutions themselves, within the units that make them up, and between the people who are involved in them. At the same time, there is a tendency towards simplification in language uses, especially in the case of decentralised agencies.
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This paper presents a comparative evaluation of the effectiveness and the fairness of the language regime of the European Union. We use data from three large-scale surveys published by Eurostat. The effectiveness of the current language policy, based on the formal equality between the 24 official and working languages of the EU, is compared with the effectiveness of a monolingual “English-only” policy. Results reveal that an English-only language regime is much less effective than a multilingual language policy, since it would disenfranchise 50% or 80% of the population of the EU, depending on the disenfranchisement indicator used. This paper also addresses the question of the impact of an English-only language regime on equity in France, Italy and Spain. For this purpose, we analyse the relationships between the distribution of linguistic skills in English of the citizens on the one hand, and their income status and educational level on the other hand. In the three countries studied, we observe a positive correlation between citizens’ language skills in English and their level of income and education. An English-only language regime, therefore, would be equivalent to a regressive policy, as it would disenfranchise the worse-off much more than the better-off.
Chapter
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The following pages are devoted to a bibliography which, though not exhaustive, provides an extensive set of references to several categories of literature in language economics. It consolidates the respective literature lists used by the authors over the years in their research and teaching. The bibliography is structured according to a “mental map” developed by Grin. The four highest levels of this structure are reproduced at the beginning of the essay.
Article
The economics of language applied to multilingualism in the European Union (EU) has only recently come to the fore. Languages economics and Law and Economics disciplines both emerged in the 1960s. However, no study has, hitherto, linked these disciplines. This paper intends to fill that void. Language barriers are the last major remaining barriers for the EU’s ‘single’ market. The lack of coordination of multilingualism in the EU stems from a taboo crystallized by a dilemma between economic efficiency and linguistic diversity—i.e., the maximization of wealth versus the maximization of utility. The EU Member States (MSs) do not hasten to coordinate their language policies at the EU level inasmuch as they overestimate the benefits of the current EU multilingualism while drastically underestimating its costs. Coordination shall occur when MSs evaluate the costs and benefits of the current EU multilingualism. This will uncover the aforementioned dilemma, that will only be resolved when both Law and Economics are applied. In pursuing this objective a “Linguistic Coase Theorem” adapted from the work of Parisi and the Nobel Prize winner, Ronald Coase is elaborated. Having outlined the basic notions deriving from the EU Law of Languages and the Economics of Languages (Introduction), the paper scrutinizes the costs and benefits incurred by the current non-coordinated EU multilingualism (Part I). Subsequently, a ‘Linguistic Coase Theorem’ is elaborated in order to reach a Pareto-optimal outcome, thereby solving the dilemma—both economic efficiency and the linguistic diversity being enhanced (Part II). KeywordsLaw and economics-Language-EU integration JEL ClassificationK33
Chapter
European Union and supranationality Economic integration During the nineteenth and twentieth centuries, national economies in Europe were closely interlinked with nation-states. The borders of these countries protected their economies and, for the strongest of them, their colonial and postcolonial policies opened up markets for their products and services. The process of internationalisation and globalisation deeply transformed relations between the states and the economy. The creation of a European Community (and since 1993 of a Union) accelerated this transformation. Since the Treaty of Rome in 1957 it has consisted in opening an area for the free movement of capital, goods, services and people by creating a common, and later a single, market. The Community was first made up of six countries (Belgium, France, Germany, Italy, Luxembourg and the Netherlands), plus Denmark, Ireland and the United Kingdom in 1973, Spain, Greece and Portugal in 1984 and, as the European Union, incorporated Austria, Finland and Sweden in 1995. Others, such as Hungary, Poland, the Czech Republic, will join them in the near future. In regulating the relations between this market and the different countries EU legislation is followed and laws of the individual states have to conform to it. This legislation is the basis of supranationality. Community institutions are its instruments. The European Commission implements measures and objectives defined by the treaties, proposes programmes and monitors them when adopted. Proposals made by the Commission have to be approved by the states in the European Council, which brings together their representatives.
Chapter
As the new millennium begins, predictions about the future of languages are proliferating. Two models that have strong political popularity – i.e. ‘free-market’ theory of unfettered capitalism and ‘green’ theory of ecological protection – correspond to two linguistic geostrategies: the race for ‘market share’ among the governments representing the major international languages and the protection of endangered languages undertaken by linguists and by those interested in linguistic human rights. On the one side are aligned the British Council and the Haut Conseil de la Francophonie; on the other, the Linguistic Society of America and MERCATOR (among many others). These two strategies are based on many linguistic presuppositions that are rarely if ever put to the test, even by linguists: the individuality of languages, the equality of languages, the evolution of languages, etc. These notions derive, ultimately, from theories concerning what is natural, and what is not, in linguistic behaviour. The two linguistic geostrategies mentioned above both make use of a strong theory of the so-called ‘Sapir–Whorf’ hypothesis, according to which languages impose limits on the ways in which their speakers conceptualise the world. For the free-market theorists of global language strategy, this theory would justify the domination of the great international languages as a kind of natural selection. English would be the language of capitalism, French – as was often claimed during the French Revolution – the language of republicanism, or in more recent times as the language of human values.
Chapter
There will be, in the twenty-first century, a major shake-up of the global language hierarchy. Graddol (1997, p. 39) The idea of dedicating a book to languages in a globalising world, i.e. to their relationships and their competition on the world's checkerboard, is the result of a series of events, such as the reunification of Germany, the break-up of the eastern European bloc of countries, the end of apartheid in South Africa and phenomena that are part of a long-term trend, such as the creation of new economic trading blocs and globalisation. Ignacio Ramonet (1999, pp. 19–20) paints the following portrait of events marking the end of the twentieth century: Events of great import – the unification of Germany: the disappearance of the Communist regimes in Eastern Europe; the collapse of the USSR (from inexplicable causes); the United Nations crisis; the abolition of apartheid in South Africa; the end of ‘smouldering wars’ (EI Salvador, Nicaragua, Angola, Afghanistan, Cambodia); radical change in Ethiopia, Guyana, Chile; the end of the Mobutu regime in Congo-Zaire …; the mutual recognition of Israel and the Palestinians; the renaissance of China and the return of Hong Kong to China; the emergence of India, etc. –totally change the geostrategy of the planet. Still other slower paced but world-shaking events, like the continuation of European construction, also exert a decisive influence on the general flux of the political life of the world and, at the same time, cause a series of multiple upheavals.[…]
Chapter
The western world harbours a stereotype of the countries of central and eastern Europe; for example, the tendency to characterise all countries in this area as belonging to the ‘East bloc countries’. This distortion might be explained by the fact that this part of the world was part of the former Soviet bloc for over forty years. However, at the start of the twenty-first century, ten years after the fall of the Berlin Wall, national characteristics often continue to be ignored in news about the eastern part of the European continent. This chapter is an attempt to clarify this situation from a particular point of view, that of teaching and learning foreign languages. Convergences as well as divergences are noted, including variations in national culture, history and current legislation of the countries under review, namely: Hungary, Poland, the Czech Republic and Slovakia (formerly Czechoslovakia), Romania, and Bulgaria. A focus on these countries is especially interesting since the situation of the major languages of international communication in central and eastern Europe changed considerably in the 1990s, following the politico-economic upheavals of 1989. Historical overview of the situation of foreign languages in central and eastern Europe The importance of foreign languages during the first half of the twentieth century For centuries, knowledge of foreign languages was a constituent of the general culture of educated eastern Europeans. Before the Second World War, learning of one or two living foreign languages (in addition to Latin) was widespread in the area.
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Assuming that a language has some control over its destinies will help us outline the appropriate actions to be taken by a political decision maker who, typically, makes the same assumption of governability when he or she wishes to guide a minority language towards security and prosperity. Of course, most languages are far from having the control of the functions of goal setting, integration, adaptation and socialisation required by Parsonian theory to distinguish a system from a set. Most languages lack pilots; most of them are like leaves in the wind. But major standardised languages have at least some control over their own evolution, and those that are supported by a government have ways of steering their relations among the other languages with which they are linked by communication, competition, cooperation and conflict. What should the geopolitical survival strategy of such a language be when it is confronted with a more powerful competitor? The social sciences are often said to abound in theories but to be short of laws. That this be so makes it all the more important that we give due attention to one of these laws, a law that governs language contact: the ancient law of Babel (Laponce 1984; 1992; 2001). x2018;Behold, they are one people, they have only one language; and this is only the beginning of what they will do: and nothing that they propose to do will now be impossible to them. Come, let us go down, and then confuse their languages, that they may not understand one another's speech. So the Lord scattered them abroad from there over the face of the whole earth …’
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The birth, death, growth, and shrinkage of languages over millennia has given us a world containing about three thousand living languages, whose speakers number from 1 up to several hundred million. Our current knowledge of what causes a language to gain more speakers than it loses or lose more speakers than it gains is limited to a few generalizations about bivariate, more-less effects (see Dressler, 1982; Laponce, 1984; Lieberson, 1982). One important generalization is that the children of two native speakers of the same language tend to acquire that native language unless outside the home the language is rarely used or is despised. In addition, persons who spend a few years or more in a milieu (e.g., neighborhood, school, or workplace) where a language other than their native language is the main language tend to add the other language to their repertoire. Persons tend to learn a language through deliberate study (in contrast with immersion in its milieu) when the language is spoken by many persons, has widely distributed speakers, has wealthy and powerful speakers, and has a prestigious literature, art, and history. Languages tend to lose speakers through death, of course, but also through forgetting by their native and nonnative speakers. Forgetting tends to take place among persons who are not in contact with other speakers of the language or whose rewards for using the language are small or negative. There is little evidence as to whether the difficulty of a language or its effectiveness as an instrument of thought and communication influences its acquisition of new speakers or its loss of former speakers.