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Cahier
n°
2011-01. Actes de colloque
L'ACTIVISME
AUTOCHTONE:
HIER
ET
AUJOURD'HUI
Sous
la
direction
de Carole Lévesque, Nathalie Kermoal et Daniel Salée
INRS
Université d'avant-garde
Montréal
2011
cl?IAL0G.
Réseau
de
recherche
et
de
connaissances
relatives
aux
peuples
autochtones
Aboriginal
Peoples Research
and
Knowledge
Network
Red
de
investigacion
y
de
conocimienlos
relativos
a
los
pueblos
indigenas
www.reseaudialog.ca
Cahiers DIALOG
Cahier DIALOG no 2011-01. Actes de colloque
Titre : L’activisme autochtone : hier et aujourd’hui
Sous la direction de : Carole Lévesque, Nathalie Kermoal et Daniel Salée
Éditeur : Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones (DIALOG) et Institut
national de la recherche scientifique (INRS)
Lieu de publication : Montréal
Date : 2011
Carole Lévesque
Professeure au Centre Urbanisation Culture Société, Institut national de la recherche scientifique. Directrice
du Réseau DIALOG
Nathalie Kermoal
Professeure et doyenne par intérim de la faculté des études autochtones, Université de l’Alberta
Daniel Salée
Professeur, École des affaires publiques et communautaires, Université Concordia
Éditique
Céline Juin, Centre Urbanisation Culture Société, INRS
Révision linguistique
Catherine Couturier, Centre Urbanisation Culture Société, INRS
Photographie
Laurence Desmarais-Tremblay, Montréal 2011
Diffusion
DIALOG. Le Réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones
Institut national de la recherche scientifique
Centre Urbanisation Culture Société
385, rue Sherbrooke Est
Montréal, Québec, Canada H2X 1E3
reseaudialog@ucs.inrs.ca
Organismes subventionnaires
DIALOG – Le réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones est
subventionné par le Fonds québécois de recherche sur la société et la culture (FQRSC) et par le Conseil de
recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
Université d’accueil du Réseau DIALOG
ISBN : 978-2-89575-258-5
Dépôt légal : 2011
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
www.reseaudialog.ca
Le réseau de recherche et de connaissances relatives aux peuples autochtones ― DIALOG ― est un forum
d’échange novateur entre le monde autochtone et le monde universitaire fondé sur la valorisation de la recherche et
la coconstruction des connaissances et voué au développement de rapports sociaux justes, égalitaires et
équitables. Regroupement stratégique interuniversitaire, interinstitutionnel, interdisciplinaire et international créé en
2001, DIALOG est ancré à l’Institut national de la recherche scientifique (une constituante de l’Université du Québec).
Subventionné par le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) et par le Conseil de
recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), DIALOG réunit plus de 150 personnes et bénéficie de l’étroite
collaboration de plusieurs partenaires universitaires et autochtones.
Les membres de DIALOG proviennent d’horizons disciplinaires multiples, partagent des pratiques et des intérêts de
recherche diversifiés et ont pour objectif commun l’avancement des connaissances pour une société plus égalitaire et
une reconnaissance à part entière des cultures, des droits, des valeurs et des visions du monde des Premiers
Peuples. Par ses activités d’animation scientifique, ses programmes de soutien à la recherche collaborative et
partenariale, à la formation et à l’édition, ses initiatives en matière de mobilisation des connaissances, ses dispositifs
de diffusion et ses banques de données interactives, DIALOG contribue à la démocratisation des savoirs relatifs au
monde autochtone à l’échelle nationale comme à l’échelle internationale. À l’heure de la société du savoir, DIALOG
participe à la promotion de la diversité culturelle et à sa prise en compte dans le projet du vivre ensemble. Le mandat
de DIALOG comporte quatre volets :
Contribuer à la mise en place d’un dialogue constructif, novateur et durable entre l’université et les instances et
communautés autochtones afin de dynamiser et de promouvoir la recherche interactive et collaborative.
Développer une meilleure compréhension des réalités historiques, sociales, économiques, culturelles et politiques
du monde autochtone, des enjeux contemporains et des relations entre Autochtones et non-Autochtones en misant
sur la coconstruction des connaissances et en favorisant la prise en compte des besoins, perspectives et
approches des Autochtones en matière de recherche et de politiques publiques.
Soutenir la formation et l’encadrement des étudiants universitaires, et plus particulièrement des étudiants
autochtones, en les associant aux activités et réalisations du réseau et en mettant à leur disposition des
programmes d’aide financière et des bourses d’excellence.
Accroître l’impact scientifique et social de la recherche relative aux peuples autochtones en développant de
nouveaux outils de connaissance afin de faire connaître et de mettre en valeur ses résultats au Québec, au
Canada et à travers le monde.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
TABLE DES MATIÈRES
i
Table des matières
Introduction : Moments dʼhistoire et regards
contemporains ..................................................... 1
IOANA COMAT, IOANA RADU, CAROLE
LÉVESQUE ET NATHALIE KERMOAL
Section 1 : L’envahisseur a fait mourir le patriote Louis
Riel, par Jules Sioui ............................................. 7
NATHALIE KERMOAL
Section 2 : L’influence des intellectuels mohawks
dans la recherche sur la crise d’Oka ................. 10
ISABELLE ST-AMAND
Section 3 : Recognition by Assimilation: Mi’kmaq treaty
rights, fisheries privatization and community
resistance in Nova Scotia ................................. 13
MARTHA STIEGMAN
Section 4 : Une société civile autochtone au Québec ......... 16
CAROLE LÉVESQUE ET ÉDITH CLOUTIER
Section 5 : Débattre du passé et découvrir le présent :
l’émergence de la communauté crie de
Washaw Sibi Eeyou ........................................... 20
DAVID LESSARD
Section 6 : À la recherche d’une autonomie politique
pour la communauté autochtone de San
Martin de Amacayacu dans un contexte
amazonien ......................................................... 24
HERNÁN JAVIER DÍAZ ET JOSÉ GREGORIO
VASQUEZ
Section 7 : Le territoire, la souveraineté et les luttes
pour la reconnaissance. Comment les
jeunes autochtones s’organisent-ils?................. 27
LAURENT JÉRÔME
Section 8 : L’activisme autochtone en milieu
universitaire ........................................................ 31
DANIELLE E. CYR
Section 9 : Le rap au service de l’affirmation identitaire
et culturelle : l’exemple de Samian,
rappeur algonquin .............................................. 37
ANAÏS JANIN
Section 10 : La danse et son impact socioculturel chez
les Autochtones ................................................. 42
MÉLISSA-ANNE LEDUC
Section 11 : Quand l’intimisme se fait activiste :
Bâtons à message/Tshissinuatshitakana
de Joséphine Bacon .......................................... 48
PASCALE MARCOUX
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
INTRODUCTION
1
Introduction :
Moments d’histoire et regards contemporains
Le colloque L’activisme autochtone : hier et
aujourd’hui a été organisé par DIALOG dans le cadre
du 79e Congrès annuel de l’Acfas qui s’est tenu à
l’Université de Sherbrooke et à l’Université Bishop en
mai 2011. Dans le but de créer les conditions d’un
dialogue entre les milieux universitaire et autochtone, ce
colloque a rassemblé des universitaires, des leaders et
des acteurs sociaux issus de différents horizons
professionnels, institutionnels et disciplinaires.
Autochtones et allochtones, étudiants comme
chercheurs se sont ainsi livrés à un exercice de
mobilisation des connaissances qui nourrit la mission de
partage et de démocratisation des savoirs et des
connaissances du réseau DIALOG.
L’histoire récente
En mettant de l’avant le thème de « l’activisme politique
autochtone », le réseau DIALOG visait à mettre en lumière
diverses tentatives et expériences de transformation sociale
qui marquent les rapports entre Premiers Peuples et État
canadien et québécois au cours du XXe siècle et en ce début
de XXIe siècle.
Bien que plusieurs observateurs considèrent que les
mouvements d’affirmation identitaire des Premiers Peuples
remontent aux années 1960, plusieurs vagues revendicatrices
ont pris place dès le début du siècle, en commençant par les
premières requêtes adressées à la royauté d’Angleterre dès la
fin du XIXe siècle, jusqu’à la systématisation des recours aux
instances onusiennes à partir de la fin de la Seconde Guerre
mondiale. Des missions diplomatiques représentant la
Confédération des Cinq-Nations d’Amérique du Nord dès le
XVIIIe siècle à la création du premier Conseil mondial des
peuples indigènes en 1975, la structuration progressive
d’organisations politiques autochtones apparaît controversée
et tumultueuse comme l’illustrent les multiples incidents
diplomatiques qui ont ponctué la trame des recours
internationaux contre les autorités canadiennes ou encore les
restrictions imposées par la Loi sur les Indiens intervenant dès
le début du XXe siècle.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
2
INTRODUCTION
De fait, si les écrits historiques attestent l’existence
d’activistes politiques autochtones bien avant le XXe siècle, il
faut souligner leurs difficultés à atteindre une audience
internationale et surtout nationale. La question de l’ancienneté
de ce militantisme est approfondie par l’étude du pamphlet
intitulé L’envahisseur a fait mourir le patriote Louis Riel et
rédigé en 1944 par Jules Sioui (N. Kermoal). Ce dernier
marque le passage d’un « mode de résistance implicite »
caractérisé par la subversion des éléments de la politique
indienne d’alors, à une lutte plus organisée servant une visée
dénonciatrice. Au-delà de l’invitation à combattre les politiques
fédérales discriminatoires, ce texte, outil politique par
excellence, véhicule une conception pancanadienne des
mouvements politiques autochtones qui s’inscrit dans la
continuité des luttes menées par d’autres activistes tels que
Fred Loft, Deskaheh ou encore Levis General. Leurs actions
auront contribué à édifier les fondements à partir desquels les
leaders contemporains, comme Sandra Lovelace ou Roméo
Saganash, ont pu participer aux plus hautes instances
internationales et consolider la reconnaissance des droits
autochtones dans la Déclaration des droits des peuples
autochtones adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en
septembre 2007.
Aujourd’hui, les préoccupations politiques qui caractérisent
l’activisme autochtone sont intrinsèquement liées à des
questions d’affirmation culturelle comme l’illustrent les
réflexions de Taiaiake Alfred, qui lance un appel à la
résistance culturellement et spirituellement ancrée, dirigée
vers un soi-même postcolonial véritable et une autochtonie
transformée de l’intérieur (I. St-Amand). Pour les Cris de
Washaw Sibi (une dixième communauté crie qui souhaite
s’établir en Eeyou Istchee), la reconnaissance de leur
autonomie sur un territoire défini repose sur la reconstruction
d’une histoire complexe incluant les mouvements fréquents
entre frontières provinciales, et une identité flexible, comme
des statuts institutionnels multiples (D. Lessard). Or, si les
interprétations contemporaines de l’histoire compliquent le
processus de reconnaissance fixé par le système légal, cette
lecture du passé permet tout au moins de dégager des voies
d’actions pour la communauté et démontre une adaptation des
Autochtones aux changements (D. Lessard).
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
INTRODUCTION
3
Les nouveaux territoires de l’activisme
Globalement, il semblerait que ce projet de revitalisation
culturelle et de transformation sociale endogène aux
communautés autochtones, mais également exogène à
celles-ci, vise une réinterprétation de l’histoire qui met de
l’avant une agentivité autochtone qui a pour but le
rapprochement avec l’autre (C. Lévesque et É. Cloutier). Alors
qu’au XXe siècle on parle de « nations » et d’aboriginalism au
sens purement politique, le XXIe siècle est marqué par un
éclatement du militantisme autochtone dans toutes les
sphères sociales, du milieu universitaire au monde des arts.
Ainsi, la question des formes contemporaines de cet activisme
est abordée sous l’angle des transformations du langage
activiste ainsi que des processus d’affirmation qui lui sont
associés. À l’oral tout autant qu’à l’écrit, les langues
autochtones deviennent un outil de contestation et
d’affirmation, comme ce fut le cas de Fred Metallic qui a
obtenu le droit d’écrire sa thèse doctorale en micmac sans
traduction en langue officielle (D. Cyr). Au-delà du cadre
strictement universitaire, le langage activiste peut également
s’exprimer à travers l’expérience intime et personnelle tout en
demeurant encadré dans des conceptions plus collectives,
faisant ainsi le pont entre le privé et le politique, entre l’intime
et le collectif.
À titre d’exemple, le rap de Samian utilise l’anishnabe
(l’algonquin) pour exprimer une appartenance à un métissage
autochtone ouvert sur un dialogue avec les allochtones qui,
par la voie de l’oralité réinterprétée au jour d’une mouvance
musicale internationale, brise l’opposition tradition/modernité
(A. Janin). Depuis les années 1960, la danse
« contemporaine » autochtone, souvent conçue pour un
auditoire multiculturel, procède également à un amalgame de
différentes traditions (M.-A. Leduc). Quant à l’ouvrage
poétique bilingue français-innu de Joséphine Bacon, Bâtons à
message/ Tshissinuatshitakana, il représente un acte de prise
de parole qui perpétue des éléments culturels traditionnels sur
fond d’expérience d’assimilation et de quête identitaire, un
message communiqué à toutes les communautés
autochtones ainsi qu’à l’extérieur (P. Marcoux). Même si le
rap, la poésie ou la danse ne se traduisent pas concrètement
dans les institutions politiques, ces modes de production
artistique confèrent aux individus un pouvoir d’agir autre. Par
conséquent, les arts ouvrent les horizons de l’activisme en
créant de nouvelles formes d’investissement politique et
contribuent à la reconnaissance d’une société douée de
savoirs multiples.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
4
INTRODUCTION
La maîtrise des innovations technologiques en matière de
communication par une jeune génération autochtone de plus
en plus connectée et engagée a aussi le potentiel de renforcer
l’action sociale. Parfois confrontées à une négation de leur
rôle politique au sein de leurs communautés, et en dépit du
fait qu’elles partagent avec les générations précédentes des
défis communs (problèmes sociaux, conciliation des savoirs
traditionnels avec la vie moderne, etc.), ces nouvelles
générations construisent leur identité propre à l’aide de
l’ouverture et du partage des connaissances qui renversent
les perspectives de statut de victime en affirmant leur rôle
d’acteurs dans la société civile. Pour ce faire, ces jeunes
autochtones élargissent leurs lieux privilégiés d’expression en
tissant des réseaux de communication avec d’autres nations
autochtones ainsi qu’avec des acteurs sociaux allochtones,
éclatant de fait la notion de frontières physiques et
symboliques (L. Jérôme).
C’est par exemple le cas de la fondation communautaire
créée par les jeunes de la communauté autochtone de San
Martin de Amacayacu (Amazonie colombienne), qui
encourage l’établissement de liens avec le monde extérieur en
créant un espace de communication sur Internet (H. J. Diaz et
J. G. Vasquez). Toutefois, les vestiges idéologiques discri-
minatoires coloniaux transposés dans les démarches
gouvernementales et industrielles néolibérales tendent parfois
à reproduire les mêmes inégalités et abus d’autrefois.
Le cas des Micmacs de Bear River First Nation en Nouvelle-
Écosse démontre comment le processus de négociation
gouvernemental peut inciter à la ségrégation raciale en visant
une approche de communauté à communauté visant l’inté-
gration des pêcheurs autochtones dans une pêche industrielle
qui sape leur système traditionnel de gestion des ressources
(M. Stiegman). Sans compter que la reconnaissance des
droits de ces derniers (avec le jugement Marshall) provoque
des conflits avec les pêcheurs allochtones de la région. C’est
dans ce contexte que la communauté a entrepris une
approche réconciliatrice avec les pêcheurs allochtones,
également marginalisés par le processus gouvernemental,
vers la création d’un dialogue interculturel qui avantage les
deux communautés de pêcheurs.
Cette priorité accordée au dialogue est d’ailleurs la voie suivie
par les chercheurs universitaires et les partenaires
autochtones du mouvement des centres d’amitié autochtones
dans l’Alliance de recherche ODENA, qui se penche sur les
liens entre les Autochtones et la ville au Québec.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
INTRODUCTION
5
L’Alliance ODENA propose en effet une conception de la
recherche construite sur des échanges continus d’expertises
et de savoirs entre milieux universitaire et institutionnel
autochtones dans l’optique d’une coconstruction des
connaissances visant l’amélioration de la qualité de vie de la
population autochtone des milieux urbains et d’une mise en
valeur de l’action collective et citoyenne des centres d’amitié
autochtones (C. Lévesque et É. Cloutier).
Paroles d’acteurs
Le colloque a également réuni quatre personnes reconnues
pour leur engagement social autour d’une table ronde afin
d’échanger sur les pistes et perspectives de la modernité
autochtone.
MICHÈLE AUDETTE, présidente de Femmes Autochtones du
Québec
MANON BARBEAU, scénariste, réalisatrice, productrice,
Wapikoni Mobile
GILBERT DOMINIQUE, ancien chef de Mashteuiatsh et directeur
de la Société d’histoire et d’archéologie de
Mashteuiatsh
TSHIUETIN VOLLANT, réalisateur et animateur socio-
communautaire, Uashat Mak Mani-Utenam
Questionnés sur les pistes actuelles en matière d’activisme,
les invités ont tous et toutes mentionné que l’activisme
politique et l’action sociale autochtones en ce début de
XXIe siècle se caractérisent par une ouverture vers les
sociétés allochtones, par la construction de réseaux de
solidarité, mais aussi par une transformation de la société
civile à l’intérieur des communautés elles-mêmes.
Considérant le nombre élevé de personnes vivant dans les
centres urbains, les discours politiques ne se focalisent pas
exclusivement sur une seule vision de l’autonomie incarnée
par l’existence d’un troisième ordre de gouvernement. Les
approches et actions d’affirmation visent des relations
sociopolitiques transversales et une prise de décision à des
niveaux différents. La réflexion et l’engagement des jeunes,
plus formés et outillés en matière de nouvelles technologies
de communication, favorisent les partenariats avec des
résultats concrets et des actions à court et à long terme. La
représentation de cette génération (45 % de la population
totale) se fait sentir dans les communautés où les jeunes
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
6
INTRODUCTION
obtiennent peu à peu des sièges d’observateur au conseil de
bande, prenant ainsi part au développement socioculturel de
leur communauté, et partagent leurs expériences avec leurs
concitoyens et concitoyennes de tous âges.
Le rôle des femmes autochtones, à l’instar de celles
impliquées au sein de Femmes Autochtones du Québec,
influence également la dynamique propre à l’activisme
autochtone actuel en favorisant les intérêts collectifs qui
nourrissent l’idée de mouvement social grâce à la
sensibilisation de l’opinion publique envers la discrimination
des femmes autochtones inscrite dans la lettre même de la
Loi sur les Indiens.
Cependant, il ne faut pas perdre de vue la réalité complexe de
la politique telle qu’elle s’exerce à l’intérieur des
communautés. La situation sociale difficile et les relations déjà
structurées avec les gouvernements et les régions,
notamment sur la Côte-Nord du Québec, supposent une
exigeante responsabilité de la part des décideurs
autochtones. Aggravé par un régime de financement inflexible
et une réticence fédérale à reconnaitre les droits ancestraux,
le développement socioéconomique local doit passer par la
responsabilisation personnelle et communautaire. Pour
répondre aux réalités contemporaines, de nouvelles appro-
ches de consultations communautaires commencent à être
institutionnalisées, des partenariats économiques avec les
régions offrent une base financière plus flexible, et une
adaptation plus efficace des médias, grâce aux nouvelles
technologies de communication, favorise l’ouverture sur le
monde.
IOANA COMAT, CANDIDATE AU DOCTORAT, UNIVERSITÉ LAVAL, STAGIAIRE
DIALOG
IOANA RADU, CANDIDATE AU DOCTORAT, UNIVERSITÉ CONCORDIA,
STAGIAIRE DIALOG
CAROLE LÉVESQUE, PROFESSEURE, INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE
SCIENTIFIQUE, DIRECTRICE DE DIALOG
NATHALIE KERMOAL, PROFESSEURE ET DOYENNE PAR INTÉRIM DE LA
FACULTÉ DES ÉTUDES AUTOCHTONES, UNIVERSITÉ DE L’ALBERTA
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 1 : L’ENVAHISSEUR A FAIT MOURIR
LE PATRIOTE LOUIS RIEL, PAR JULES SIOUI
7
L’envahisseur a fait mourir le patriote Louis Riel, Section 1 :
par Jules Sioui
NATHALIE KERMOAL, PROFESSEURE ET DOYENNE PAR INTÉRIM DE LA FACULTÉ DES ÉTUDES AUTOCHTONES
UNIVERSITÉ DE L’ALBERTA
1.1 Contexte
L’explosion d’activités politiques autochtones depuis les années 1960 au Canada nous fait
souvent oublier les luttes antérieures qui ont ouvert la voie à une plus grande
reconnaissance politique. Tout au long du XIXe siècle et d’une partie du XXe siècle, la
critique autochtone est passible de réprimande, voire d’emprisonnement, du fait de la Loi
sur les Indiens, qui restreint la participation politique des Autochtones à un simple vote au
sein des conseils de bande. Malgré ces entraves, les Autochtones trouvent différents
moyens de faire entendre leurs voix et leur mécontentement. Si de nos jours, on insiste
beaucoup sur l’influence des réseaux sociaux et de l’Internet comme forme de
contestation politique et sociale (par exemple, les Indiens du Chiapas au Mexique), au
XIXe siècle et au début du XXe siècle, le pamphlet est l’outil politique par excellence. Bien
qu’il semble passé de mode, le genre pamphlétaire a joué un rôle important dans les
grands mouvements de contestation de l’histoire. Texte d’action, sa visée est avant tout
dénonciatrice.
1.2 L’activisme politique de Jules Sioui
Le pamphlet politique intitulé L’envahisseur a fait mourir le
patriote Louis Riel de Jules Sioui entremêle textes de loi,
pétitions, lettres, documents historiques, articles de journaux et
autres écrits qu’il présente par ordre chronologique (de 1940 à
1943). L’auteur utilise le genre pamphlétaire pour critiquer le
pouvoir en place et défendre ses arguments. Il dénonce les
agissements du gouvernement fédéral alors que la Seconde
Guerre mondiale bat son plein. À travers cette critique politique
de l’ordre établi et du conformisme du jour, on voit peu à peu se
dessiner la pensée politique de l’auteur. Quoique non daté, le
pamphlet de Jules Sioui a probablement été écrit fin 1943. Le
but de ma communication est de présenter ce document
autochtone unique en son genre et peu connu du grand public
en le situant dans son contexte historique afin d’en exposer les
grandes lignes.
À partir de 1940, la Seconde Guerre mondiale s’intensifie et
l’effort de guerre canadien passe alors de « responsabilité
limitée » à « politique de guerre totale ». Ce changement de
direction politique incite le Parlement à adopter le 21 juin 1940
la Loi sur la mobilisation des ressources nationales (LMRN) qui
prévoit réquisitionner les biens et les services des Canadiens
pour défendre le pays. Toutefois, la loi de 1940 n’autorise pas
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
8
SECTION 1 : L’ENVAHISSEUR A FAIT MOURIR
LE PATRIOTE LOUIS RIEL, PAR JULES SIOUI
la conscription pour le service militaire outre-mer. Avec l’intensification de la guerre et
sous la pression de citoyens favorables à la conscription, le gouvernement fédéral décide
alors de tenir un plébiscite demandant aux Canadiens de lui permettre de revenir sur sa
promesse de 1940. La majorité vote pour la conscription à l’exception des Canadiens-
français. L’amendement de la LMRN (la loi 80) permet donc d’envoyer
des conscrits outre-mer en plus des forces régulières de volontaires. Plusieurs chefs
autochtones et conseils de bande envoient à Ottawa des lettres et des pétitions pour
exprimer leur inquiétude au sujet du service militaire obligatoire. Les Autochtones ne
remettent pas en cause la défense du pays, mais bien le choix de servir outre-mer. Ils
soulignent notamment qu’à titre de pupilles du gouvernement privés du droit de vote, ils ne
devraient pas avoir à « assumer cette responsabilité au même titre que ceux qui ont la
chance d’être citoyens à part entière et sujets du Roi » (Whitney Lackenbauer 2009 : 144).
1.3 La portée nationale de son action
Bien que le mouvement de mécontentement se fasse sentir à travers le Canada tout
entier, c’est au Québec, dans la réserve de Wendake, que la résistance au service
militaire obligatoire a été une des plus virulentes. Jules Sioui, un Huron de Lorette, est au
cœur de la tourmente par son refus de se soumettre aux exigences gouvernementales.
Jusqu’à la fin de la guerre, l’homme sera une grande source d’irritation pour Ottawa. Dans
son pamphlet, il se sert de la conscription pour démontrer en quoi le gouvernement fédéral
travaille à l’érosion progressive des droits des Autochtones. Selon lui, le gouvernement
canadien n’a en aucun circonstance obtenu le droit, ni la juridiction du roi, de passer des
ordres en conseil pour troubler les Indiens.
En s’appuyant sur des preuves historiques, notamment l’article 40 de l’Acte de capitulation
de Québec de 1759, la Proclamation royale de 1763, le traité de Jay de 1796, une
décision de la Cour suprême des États-Unis datée de 1832 et le traité no 3 signé en 1873,
l’auteur soutient que si les Indiens choisissent de se battre, ils le font comme alliés (ou
comme nation séparée) de la couronne britannique et non comme sujets de Sa Majesté.
En 1943, exaspéré devant l’indifférence du gouvernement, Sioui décide d’organiser un
grand rassemblement pour que chaque délégué « ait à cœur de faire revivre ses droits
afin de sauver la situation de ceux qui vont naître » (Sioui : 27).
Ottawa tente par tous les moyens de délégitimer la lutte de Jules Sioui en faisant planer
des doutes sur le personnage, espérant ainsi désamorcer son idée d’un grand
rassemblement. Malgré tout, la grande assemblée a lieu à Ottawa du 5 au 7 juin 1944.
Entourés de 200 délégués, les chefs décident de créer la Fraternité des Indiens
d’Amérique du Nord (North American Indian Brotherhood).
1.4 Conclusion
L’analyse du pamphlet de Sioui révèle clairement qu’il inscrit sa lutte dans la continuité du
combat mené par Louis Riel contre l’impérialisme canadien (notamment lors des
événements au Manitoba en 1869-1870 puis en Saskatchewan en 1885). Vers la fin du
document, on voit déjà poindre l’idée d’un projet d’indépendance nationale. Dès 1943,
Sioui souhaitait créer un pays, une sorte de grande confédération autochtone ayant sa
propre monnaie ainsi qu’un vaste patrimoine qui permettrait aux Indiens d’administrer
leurs propres ressources naturelles, politiques et économiques. Sioui espérait qu’une fois
établie, cette nouvelle nation autochtone serait considérée sur un pied d’égalité avec les
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 1 : L’ENVAHISSEUR A FAIT MOURIR
LE PATRIOTE LOUIS RIEL, PAR JULES SIOUI
9
autres nations du monde. Afin de mettre en œuvre ses idées, l’auteur propose de
rencontrer les autorités fédérales (qu’il qualifie de fantoches) puis de s’adresser au roi en
cas de refus de la part du gouvernement canadien et, finalement, de s’en remettre à la
Société des Nations si une audience avec le roi s’avérait impossible.
L’activisme séparatiste de Jules Sioui fait peur et pousse certains leaders autochtones de
l’époque, notamment John Tootoosis et Andrew Paull (qui avaient participé à la grande
convention), à s’écarter de son influence pour mener à bien leurs propres lignes d’action.
Sioui, quant à lui, continuera la lutte en mettant sur pied en 1945, avec William
Commanda, le gouvernement de la Nation indienne de l’Amérique du Nord dont il sera élu
secrétaire-trésorier, ouvrant ainsi un autre chapitre dans la mise en place d’un projet
d’indépendance qu’il esquissait déjà dans son pamphlet politique de 1943. Les idées de
Sioui étaient perçues par Ottawa comme radicales. Elles lui vaudront d’être arrêté et
emprisonné pour conspiration séditieuse contre le roi en 1949.
Bibliographie
LACKENBAUER WHITNEY. 2009. Les Autochtones et l’expérience militaire canadienne :
une histoire. Ottawa : Défense nationale.
SIOUI JULES. 1944. La guerre, la paix au Canada : l’envahisseur a fait mourir le patriote
Louis Riel / War-peace in Canada: the invader responsible for the death of the patriot
Louis Riel. Loretteville, 27p.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
10
SECTION 2 : L’INFLUENCE DES INTELLECTUELS MOHAWKS
DANS LA RECHERCHE SUR LA CRISE D’OKA
L’influence des intellectuels mohawks dans la recherche sur Section 2 :
la crise d’Oka
ISABELLE ST-AMAND, CANDIDATE AU DOCTORAT EN ÉTUDES LITTÉRAIRES
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
2.1 Introduction
Les intellectuels mohawks, en plus de jouer à de nombreux égards un rôle actif au sein de
leur nation, agissent comme de véritables ambassadeurs politiques et culturels en
orientant, par leurs travaux et leurs interventions, la réflexion de chercheurs externes à
leur communauté. Mes recherches doctorales sur la crise d’Oka dans l’espace public,
dans les films documentaires et dans les récits littéraires autochtones et allochtones au
Québec et au Canada m’ont ainsi rapidement menée à leurs travaux. Ma thèse met en
relief la façon dont la crise d’Oka fait intervenir non seulement des questions politiques et
juridiques, mais s’inscrit aussi dans un contexte élargi qui incite à prendre pleinement en
compte les diverses façons dont l’histoire et les histoires sont performées, mises en scène
et racontées. Elle vise à éclairer les relations complexes et souvent conflictuelles qui
rassemblent et opposent les peuples autochtones, québécois et canadien, tout en mettant
l’accent sur les perspectives des Mohawks et des autres Premières Nations sur la
question de la coexistence qui se pose avec acuité lors de la crise d’Oka. Dans cette
perspective, je me suis intéressée aux forces critiques qui se dégagent des travaux de
quatre intellectuels mohawks : Taiaiake Alfred, Brenda Katlatont Gabriel-Doxtater, Arlette
Kawanatatie Van den Hende et Donna Goodleaf. De quelle façon leurs travaux
contribuent-ils à faire sens de la crise d’Oka et de son contexte à partir d’une perspective
mohawk? Qu’est-ce qui se dégage de leurs écrits en ce qui a trait aux enjeux de la crise
d’Oka? En quoi leurs réflexions et leurs actions se recoupent-elles, entrent-elles en
relation et se renforcent-elles mutuellement?
2.2 La philosophie politique de Taiaiake Alfred
Dans Wasáse : Indigenous Pathways of Action and Freedom, Taiaiake Alfred jette les
bases d’une philosophie politique destinée à soutenir les luttes des peuples autochtones
pour l’autonomie et la liberté. En s’inspirant de théoriciens de la décolonisation et du
postcolonialisme, il opère une sévère critique des sociétés dominantes, dénonçant
l’« arrogance impériale » qu’il juge responsable des principaux conflits touchant
les Onkwehonwe
1
. Puisque le colonialisme est une relation de pouvoir, précise Alfred, les
luttes autochtones devront forcer les sociétés colonisatrices à revoir leur attachement aux
mythes de l’identité nationale et à remédier aux injustices qui demeurent au fondement de
leur situation actuelle. Faisant valoir des luttes fondées sur des valeurs et des concepts
autochtones, Alfred incite à se dégager de la conception étatique de l’identité autochtone,
qui « fait ombre à tout ce qui est historiquement authentique et important à propos des
Onkwehonwe (nos origines, nos langues, nos noms, nos terres, notre héritage et nos
droits) » (Taiaiake 2009 : 127), et constitue selon lui un pas de plus vers l’assimilation.
Dans une réflexion sur la question de la violence, Alfred souligne que les luttes
1
NDLR : En langue mohawk, Onkwehonwe signifie Original People, peuple natif.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 2 : L’INFLUENCE DES INTELLECTUELS MOHAWKS
DANS LA RECHERCHE SUR LA CRISE D’OKA
11
autochtones devraient contraindre l’État à justifier ses actions (notamment le recours à la
force devant l’affirmation prononcée d’un pouvoir autochtone), dévoiler les injustices et
remettre en question les fondements intellectuels et culturels des sociétés coloniales. À
l’encontre de l’image des warriors véhiculée dans les médias de masse, Alfred conçoit une
éthique du guerrier, fusion de renouveau et de continuité, qui vise à redonner une force
culturelle et spirituelle aux Onkwehonwe. Une culture de la résurgence capable de
soutenir un véritable mouvement social et politique, précise-t-il, devra s’appuyer sur des
assises intellectuelles créées par des penseurs onkwehonwe.
2.3 L’histoire revisitée selon Brenda Katlatont, Gabriel-Doxtater et
Arlette Kawanatatie Van Den Hende
Dans À l’orée des bois : une anthologie de l’histoire du peuple de Kanehsatà:ke, Brenda
Katlatont Gabriel-Doxtater et Arlette Kawanatatie Van den Hende illustrent de manière
concrète le processus de colonisation et les actes de résistance qui constituent le contexte
historique du conflit territorial qui éclate à Oka à l’été 1990. Fondé sur les formes de la
tradition orale iroquoise, le récit se construit à partir d’histoires singulières de membres de
la communauté, de correspondances d’acteurs politiques et d’une narration
de Tiononte’ko:wa (la montagne). Le récit voulant que la communauté soit née lors de
l’établissement d’une mission religieuse, en 1721, est décrit comme un mythe colonial
ayant servi « à renforcer la revendication du séminaire de Saint-Sulpice au territoire et,
finalement, à se transformer en loi » (2010 : 22). À l’encontre du cadre juridique canadien,
l’anthologie réitère que les droits territoriaux des Kanehsata’kehró:non
2
découlent de leur
occupation du territoire, qui précède l’arrivée des Français (2012 : 23). Elle souligne la
détermination du peuple qui a refusé de céder ses droits territoriaux malgré les incitations
répétées, voire le harcèlement, des autorités ecclésiastiques qui ont cherché par tous les
moyens à obtenir son déplacement. À propos de 1990, les auteures soulignent que « tout
ce qui arriva cet été-là trouve des parallèles dans l’histoire de Kanehsatà :ke et dans celle
des peuples autochtones dans tout le Canada » (2010 : 246). Les attitudes de la société
dominante, précisent-elles, constituèrent alors le prolongement d’un scénario historique
d’évitement caractérisé par le refus du gouvernement fédéral d’intervenir pour régler la
question territoriale. Des témoignages donnent à mieux comprendre comment le siège fut
vécu au quotidien, puis l’anthologie exprime le souhait que les années 1990 « représen-
teront la lutte de tous les peuples autochtones pour leur territoire, leur langue et leur
culture, qu’elles évoqueront le refus des gouvernements de trouver des solutions justes et
équitables concernant les droits et la liberté de notre peuple » (2010 : 260).
2.4 La souveraineté Mohawk selon Donna Goodleaf
Dans Entering the War Zone : A Mohawk Perspective on Resisting Invasions, Donna
Goodleaf revient en détail sur le siège tenu à Kahnawake à l’été 1990, ainsi que sur les
enjeux politiques du conflit qu’elle situe résolument dans une perspective iroquoise. Un
bref témoignage du matin du 11 juillet à Kanehsatake est suivi de l’histoire de la
Confédération iroquoise et de sa persistance à ce jour, envers et contre les politiques
coloniales assimilatrices. Goodleaf pointe du doigt les violences des gouvernements à
l’endroit des Mohawks qui refusent de se plier à l’ordre colonial et étatique, que l’on pense
aux interventions de la GRC en 1924, afin d’imposer le conseil de bande par la force des
2
NDLR: les résidents de Kanehsatà:ke
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
12
SECTION 2 : L’INFLUENCE DES INTELLECTUELS MOHAWKS
DANS LA RECHERCHE SUR LA CRISE D’OKA
armes, ou en 1988, afin de contrer la contrebande de cigarettes. Goodleaf défend la
légitimité du commerce de tabac en la fondant sur le wampum à deux rangs et la Grande
loi de la paix, puis fait observer que la répression de ce commerce est motivée par la peur
de l’indépendance économique autochtone, qui irait à l’encontre des mythes coloniaux et
du statu quo. Goodleaf réfute sans équivoque l’autorité du système juridique étatique et
réaffirme avec force la souveraineté du peuple mohawk. Elle fait notamment observer que
des ententes sur les conditions exigées par les Mohawks qui soutenaient le siège en 1990
visaient expressément à inscrire les négociations entre les nations mohawk et canadienne
dans le contexte des relations internationales. Malgré les divisions, précise-t-elle, la
communauté de Kahnawake s’est toujours unie dans les conflits importants, comme ce fut
le cas en 1990. Son livre met en relief le processus de négociation lors de la crise d’Oka,
ainsi que le rôle joué par les femmes dans le maintien du siège, notamment dans les
relations avec les médias et la documentation des violations des droits de la personne.
Selon elle, la crise d’Oka reflète l’acharnement des politiques étatiques et de la répression
militaire contre les Kanienkehaka
3
.
2.5 Conclusion
La philosophie politique, l’anthologie historique et l’essai militant de ces auteurs mohawks
permettent de mieux mettre en contexte et comprendre la posture des Mohawks qui ont
soutenu le siège à l’été 1990. À lire les récits mohawks qui se recoupent et s’additionnent,
on arrive à mieux saisir la continuité de l’opposition aux tentatives d’empiètement,
l’épaisseur historique et politique de la communauté, de même que le sens que peuvent
prendre les actions de protestation en 1990. En plus de dévoiler les injustices sur
lesquelles repose la société dominante, les travaux de ces auteurs rendent compte de la
cohérence de la stratégie des Mohawks qui refusent de se plier à l’autorité canadienne et
font valoir celle de la nation mohawk et de la Confédération iroquoise. Ils donnent à voir en
quoi le siège soutenu à l’été 1990 a mis en jeu une tension entre le paradigme étatique,
qui envisage le conflit territorial essentiellement à l’aune de la loi canadienne, et les
résurgences onkwehonwe, qui l’inscrivent dans un récit autochtone de la légitimité. De ce
fait, ces intellectuels mohawks mettent en lumière la conflictualité inhérente à une situation
de coexistence issue d’un long et persistant processus de colonisation. En plus de donner
force à la posture des Mohawks en l’ancrant sur le plan théorique et historique, ils offrent
des outils théoriques et conceptuels qui permettent de cerner l’événement dans les
perspectives de leur nation et de leurs communautés.
Bibliographie
ALFRED TAIAIKE. 2009 [2005]. Wasáse : Indigenous Pathways of Action and Freedom.
Toronto: University of Toronto Press.
GOODLEAF DONNA. 1995. Entering the War Zone : a Mohawk Perspective on Resisting
Invasions. Penticton, B.C. : Theytus Books.
KATLATONT GABRIEL-DOXTATER BRENDA ET KAWANATATIE VAN DEN HENDE ARLETTE. 2010
[1995]. À l’orée des bois : une anthologie de l’histoire du peuple de Kanehsatà:ke.
Recherche principale par Louise Johnson. Trad. de Francine Lemay. Québec :
Tsi Ronterihwanónhnha ne Kanien’kéha.
3
NDLR : les Mohawks se désignent eux-mêmes par le mot Kanienkehaka, peuple du silex.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 3 : RECOGNITION BY ASSIMILATION : MI’KMAQ TREATY
RIGHTS, FISHERIES PRIVATIZATION
AND COMMUNITY RESISTANCE IN NOVA SCOTIA
13
Recognition by Assimilation: Mi’kmaq treaty rights, fisheries Section 3 :
privatization and community resistance in Nova Scotia
4
MARTHA STIEGMAN, RESEARCHER
CONCORDIA UNIVERSITY
3.1 Background
The Supreme Court of Canada’s 1999 R .v. Marshall recognized the treaty rights of the
Mi’kmaq and Maliseet to earn a moderate livelihood through commercial fishing. The case
was part of generations of struggle on the part of First Nations in Canada’s Maritime
Provinces for recognition of the XVIII century Peace and Friendship Treaties, and the
inherent rights they were meant to protect. In many places, initial Mi’kmaq forays onto
the water after the decision were met with violent backlash from non-native fishers,
struggling after the collapse of Northern Cod and battle-worn after a decade of mobilization
against neo-liberal Fisheries and Oceans Canada (popularly known as DFO) policy. While
the media focused on clashes in Burnt Church, in other places such as Bear River First
Nation (BRFN), discussion between small-scale fishers and First Nations focused on
potential collaboration. For those advocating community-based management, the Marshall
Decision represented hope that such a political alliance might reverse the neo-liberal
privatization and rationalization of the fisheries. That window of opportunity quickly
slammed shut, however, as DFO negotiated interim agreements on a band-by-band basis
integrating First Nation harvesters into the fishing industry under DFO jurisdiction, while a
treaty-based fishery is established through long-term negotiations between Federal,
Provincial and First Nation governments. This process has undermined Aboriginal and
treaty rights, consolidated neo-liberal transformations, and left no room for BRFN’s vision
of sustainable practices and Mi’kmaq ecological knowledge. A Mi’kmaq fishery grounded
in self-governance and indigenous principles has yet to appear. In Nova Scotia, the
parameters of such a treaty-based fishery are currently being negotiated within the
Mi’kmaq Rights Initiative (MRI), tripartite negotiations to implement the Peace and
Friendship Treaties.
The treaty rights affirmed through R. v. Marshall and currently debated within the MRI are
by no means limited to the fisheries; separating fishing from other traditional practices
based on a whole way of life is problematic for many Indigenous peoples. However in this
chapter we present BRFN’s experiences of fisheries negotiations in the post-Marshall
environment as raising concerns about the larger MRI process and indeed, Crown/First
Nation negotiations in general. Neo-liberal ideology now permeates government policy, as
demonstrated by the vicious paces of privatization, commodification, and deregulation in
the Atlantic fisheries. In BRFN’s traditional territory of Kesputwick, industrial
overexploitation and species collapse are advancing to such a degree that survival for
subsistence harvesters and independent commercial fishers outside neo-liberal market
relations (such as capital-intensive harvesting and aquaculture) has become near
4
This paper was originally co-written with Sherry Pictou (Bear River First Nation) and published in Burnett,
Kristin and Geoff Read (Eds.). Forthcoming (2012). Aboriginal History: A Reader. Oxford : Oxford University
Press.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
14
SECTION 3 : RECOGNITION BY ASSIMILATION : MI’KMAQ TREATY
RIGHTS, FISHERIES PRIVATIZATION
AND COMMUNITY RESISTANCE IN NOVA SCOTIA
impossible. The post-Marshall process has essentially been integrated into this agenda of
fisheries rationalization. This enclosure movement, matched with a negotiation policy
framework determined to feed into these neo-liberal transformations, presents aboriginal
leaders with a very limited set of options at the negotiation table. It is a political and
economic context that places unacceptable limits on the exercise of Indigenous
sovereignty.
3.2 Discussion
For Dene political philosopher Glen Coulthard, Canada’s once unapologetically
assimilationist policy framework has evolved into a deceptively innocuous “politics of
recognition”. Over the last thirty years, recognition–of Canada’s treaty obligations,
of Indigenous peoples’ inherent rights to self-government–has become the main goal of
the aboriginal rights movement in Canada; with economic development initiatives,
comprehensive land claims and self-government negotiations resulting in land, money and
political power being delegated from Ottawa to First Nations. Like T. Alfred, Coulthard
sees such legalist strategies as short sighted. They ease the pain of colonialism, but do
nothing to challenge its roots, namely a liberal capitalist economy and colonial state, or the
Eurocentric worldview underpinning them. Instead, the current arrangement crafts
aboriginal citizens who define their identities and rights in relation to the Canadian state, a
process Alfred calls “aboriginalism”. This does nothing to challenge the subjective,
internalized oppression of Indigenous people–an equally significant dynamic in colonial
power relations (Alfred 2005; Coulthard 2007).
Anthropologist Paul Nadasdy argues the co-management regimes emerging from such
negotiations reinforce state domination over the aboriginal communities they seek to
empower, because colonial power dynamics are unacknowledged and therefore
unaddressed. The task of improving science-based “resource management” by partnering
with First Nations and including their “Traditional Ecological Knowledge” is generally
viewed as a technical exercise, its political dimensions are obscured. Nadasdy reminds us
that all knowledge systems–including western science–derive from and depend on an
epistemologically distinct social and political context for meaning. In other words, “resource
management” regimes express a worldview and belong to a political-economic system that
is neither universal nor neutral; the name itself implies a commodification of and
domination over nature that makes no sense from an indigenous perspective. Aboriginal
people internalize this worldview, as they are “empowered” to participate in management
(Nadasdy 2003).
This cognitive dimension of colonialism is pivotal for Indigenous scholars like Smith,
Battiste, and Alfred who argue that self-determination struggles must target the
Enlightenment ideology driving European imperialism (Alfred 1999; Battiste 2007). This
ideology includes the “imperial imagination” (Smith 1999: 22) that conceives of the world
as terra nullius, an empty wilderness waiting to be claimed by Europe; the ideal of
Progress that relegates authentic Indigenous people to history; the cult of Science that
alienates nature from culture, and aspires to control the environment; and the fetishization
of the individual as rational, free and compelled to pursue their self-interest in a capitalist
economy founded on the myth of private property. Alfred argues at the heart of Indigenous
nations is “a set of values that challenge the homogenizing force of Western liberalism and
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 3 : RECOGNITION BY ASSIMILATION : MI’KMAQ TREATY
RIGHTS, FISHERIES PRIVATIZATION
AND COMMUNITY RESISTANCE IN NOVA SCOTIA
15
free-market capitalism; that honor the […] deep interconnection between human beings
and other elements of creation” (Alfred 1999: 60).
There is debate within the Mi’kmaq community about how to negotiate a balance between
“traditional” values and integration into the modern global economy. The Marshall case,
with its emphasis on commercial fishing, is certainly part of that debate. With Atleo, we are
cautious about the seeping of “neoliberal dogma” into discussions of aboriginal self-
determination and are frustrated by the extent to which the current politics of recognition
has steered discussions away from peaceful co-existence for First Nations grounded in
Indigenous worldviews (Atleo 2009). If we take the aboriginal commercial fishery opened
by R. v. Marhsall as a litmus test, it seems Mi’kmaq treaty rights are in danger of being
equated with assimilation into the globalized economy.
Of fundamental concern to BRFN is the worldview this model of development imposes,
and the respectful relationship with the land–known in Mi’kmaq as “Netukulimuk”–that it
severs. And so in the decade since the Marshall Decision, BRFN’s struggle to assert
Netukulimuk has a new battlefront, against a process we term treaty right recognition by
assimilation. This chapter tells the story of BRFN’s decade of struggle, of grassroots
renewal and engagement with traditional values to ground the community’s vision, and of
the alliances built in order to defend that vision. It is a cautionary story that reveals the
vulnerability of Indigenous self-determination struggles in the context of neo-liberal
transformations, and questions the limited potential of negotiations within the current policy
framework. It is also a story of hope that points to the potential of alliances between
Indigenous self-determination struggles and broader resistance to neo-liberalism.
References
ALFRED TAIAIAKE. 1999. Peace Power Righteousness: An Indigenous Manifesto.
Don Mills, Ont.: Oxford University Press.
ALFRED TAIAIAKE. 2005. Wasasé: Indigenous Pathways of Action and Freedom.
Peterborough: Broadview Press.
ATLEO CLIFF. 2008. From Indigenous Nationhood to Neoliberal Aboriginal Economic
Development: Charting the Evolution of Indigenous-Settler Relations in Canada.
Canadian Social Economy Hub, Victoria. http://www.socialeconomyhub.ca, Accessed 2009-
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BATTISTE MARIE. 2007. Reclaiming Indigenous Voice and Vision. Vancouver: UBC Press.
COULTHARD GLEN S. 2007. Subjects of Empire: Indigenous Peoples and the “Politics of
Recognition” in Canada, Contemporary Political Theory 6 (4): 437-460.
NADASDY PAUL. 2003. Hunters and Bureaucrats: Power, Knowledge, and Aboriginal-State
Relations in the Southwest Yukon. Vancouver: UBC Press.
SMITH LINDA TUHIWAI. 1999. Decolonizing Methodologies: Research and Indigenous
Peoples. New York: St Martin’s Press.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
16
SECTION 4 : UNE SOCIÉTÉ CIVILE AUTOCHTONE AU QUÉBEC
Une société civile autochtone au Québec Section 4 :
CAROLE LÉVESQUE, PROFESSEURE
INSTITUT NATIONAL DE LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE, DIRECTRICE DE DIALOG
ÉDITH CLOUTIER, PRÉSIDENTE, REGROUPEMENT DES CENTRES D’AMITIÉ AUTOCHTONES DU QUÉBEC.
DIRECTRICE DU CENTRE D’AMITIÉ AUTOCHTONE DE VAL-D’OR
4.1 L’espace urbain et le fait autochtone
La présence des Autochtones dans les villes du Québec n’est plus seulement le résultat
de trajectoires personnelles; elle est aussi le résultat d’initiatives collectives et
institutionnelles. De plus en plus d’instances autochtones investissent les espaces publics
municipaux, régionaux et métropolitains, de diverses manières et à plusieurs titres. Une
action collective autochtone se développe; une nouvelle identité citoyenne est en
émergence qui n’est ni celle des Québécois, ni celle des collectivités amérindiennes ou
inuit, ni celle des communautés culturelles. Cette action collective prend notamment sa
source au sein du Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec, l’instance
fédératrice des centres d’amitié que l’on retrouve aujourd’hui sur le territoire du Québec.
Il y a toujours eu des Autochtones dans les villes, à l’époque historique comme de nos
jours; pensons notamment aux personnes métisses qui n’ont jamais résidé sur
des réserves. Il y a toujours eu une circulation d’individus entre les communautés des
Premières Nations et la ville; prenons l’exemple de communautés comme Kahnawake,
Wendake, Uashat dont les frontières territoriales jouxtent d’importants centres urbains. Par
contre, les modalités de cette présence et de cette circulation se sont transformées au
cours des deux ou trois dernières décennies. Il y a eu une époque (jusqu’en 1985) où les
femmes indiennes qui se mariaient avec des non-Indiens étaient forcées de quitter leur
bande d’origine pour s’établir à l’extérieur des limites de la réserve. Il y a eu, et il y a
encore, des personnes qui n’ont d’autres choix pour survivre que de s’exiler, seules ou
avec leur famille. Mais aujourd’hui, la principale raison invoquée lorsque l’on quitte sa
communauté est sans contredit la poursuite des études secondaires et postsecondaires.
Le profil sociologique des Autochtones des villes a également changé : la population est
jeune et plus instruite qu’auparavant avec une proportion de diplômés universitaires en
nette croissance. Une première génération d’Amérindiens nés dans les villes s’est
constituée ces dernières années. Fiers de leurs origines et de leurs héritages, leur milieu
de vie est la ville; ils ne connaissent pas la vie en réserve. Une classe moyenne
autochtone se fait jour en contexte citadin, un phénomène entièrement nouveau.
Quant aux instances autochtones, elles occupent aussi l’espace urbain depuis plus
longtemps qu’on ne serait amené à le penser de prime abord. Déjà dans les années 1960
plusieurs organisations autochtones travaillaient à partir de Montréal ou de Québec bien
sûr, mais aussi de plusieurs villes régionales. À l’époque, le mouvement d’affirmation
identitaire et autonomiste des peuples autochtones prenait son envol; un mouvement qui
n’a cessé de se déployer depuis. Pendant les années 1970, les principales instances
politiques représentatives des Premières Nations et du peuple inuit avaient des bureaux
dans les grandes villes, ce qui engendrait une circulation continue des individus, une
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 4 : UNE SOCIÉTÉ CIVILE AUTOCHTONE AU QUÉBEC
17
multiplication des activités personnelles et professionnelles dans l’espace urbain et une
diversification des intérêts à l’égard de la ville. La tendance s’est légèrement inversée à
cet égard depuis les années 2000 alors que des organisations autochtones retournent
s’établir sur des terres autochtones, mais dans la plupart des cas il s’agit de lieux très
rapprochés des grandes villes.
Cependant, dans les années 1960, un autre mouvement s’est aussi mis en marche, non
plus avec la ville comme destination mais bel et bien comme point de départ. On assiste
dès lors à un changement de perspective amorcé par des personnes autochtones qui se
retrouvent dans des villes régionales, loin de leur communauté d’origine, faisant souvent
face au racisme ambiant, en quête de services médicaux, sans emplois, sans ressources
pour la plupart. Elles rejoignent sur place d’autres familles indiennes ou métisses
installées dans ces mêmes villes ou dans les environs. C’est dans cette foulée que le
Centre indien cri de Chibougamau (CICC) voit le jour en 1969 et devient un point de
ralliement et de rassemblement pour les Indiens cris en provenance notamment de la
communauté de Mistissini. Le CICC sera le premier centre d’amitié autochtone du
Québec; le dixième a été inauguré à l’automne 2010 dans la ville de Saguenay.
4.2 L’action collective des centres d’amitié autochtones
Le mouvement des centres d’amitié autochtones du Canada fête en 2011 son 60e
anniversaire; au Québec, le mouvement existe depuis plus de quarante ans. Les centres
d’amitié sont des lieux de rencontre et des agences de services établis dans différentes
villes pour le bénéfice de la population autochtone de toutes provenances et de toutes
origines. Ils ont été mis sur pied afin de pallier le manque de ressources disponibles pour
la population autochtone qui ne réside pas au sein des réserves. Au fil du temps, ils sont
devenus des catalyseurs d’action et de solidarité incontournables pour la population
autochtone urbaine, des lieux d’apprentissage et de formation, des carrefours où on
intervient autant en matière de logement que de santé et d’éducation, autant en matière
de pauvreté que d’aide aux devoirs et de soutien pour les aînés. Le personnel des centres
travaille quotidiennement à favoriser une meilleure compréhension des enjeux, défis et
problématiques auxquels sont confrontés les Autochtones citadins, non seulement auprès
des citoyens du Québec, mais aussi auprès de leurs concitoyens autochtones vivant en
communauté. Une philosophie holistique qui préconise à la fois l’autonomisation des
individus et l’appartenance à un projet collectif sous-tend la mission des centres. En
plaçant l’individu au cœur de toute initiative, on privilégie l’accomplissement personnel et
l’acquisition de compétences plutôt que l’assistanat. De la même manière, l’engagement
des centres au regard du développement social et économique puise dans les principes
de l’économie sociale par la mise en œuvre de dispositifs d’accompagnement destinés à
accroître l’employabilité des individus et par la combinaison d’activités sociales, économi-
ques et éducatives afin de contrer la pauvreté et l’exclusion.
Les centres d’amitié autochtones proposent clairement un projet de transformation sociale
et identitaire. Favorisant les relations transversales entre l’État et le citoyen plutôt que la
confrontation, l’expérience autochtone urbaine des centres traduit une conception ouverte
du politique. Leur but premier est de favoriser la réappropriation d’un droit de parole
individuel et collectif, droit qui est encore brimé à l’extérieur et souvent même à l’intérieur
des communautés.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
18
SECTION 4 : UNE SOCIÉTÉ CIVILE AUTOCHTONE AU QUÉBEC
Une telle réappropriation nécessite cependant la construction préalable d’une vision
renouvelée de la démocratie, une vision qui intègre autant des manières de faire
spécifiques aux Autochtones que des mécanismes de régulation sociale qui soient
davantage en phase avec le fonctionnement interne des sociétés autochtones, modernes
et historiques.
4.3 Un projet de société autochtone et citoyen
Le projet de société proposé par le mouvement des centres d’amitié ajoute au projet
autonomiste autochtone de nouvelles dimensions et laisse place à de nouveaux acteurs.
La posture politique des femmes leaders du mouvement fait en sorte que l’exigence de
reconnaissance sociale, juridique et civique s’incarne dans des actions de proximité qui
visent à améliorer les conditions d’existence de la population autochtone et à renforcer
autant les droits individuels que les droits collectifs. Ainsi, l’accent n’est pas placé sur une
clientèle autochtone susceptible de bénéficier des services offerts par les centres mais
bien sur la qualité et la pertinence culturelle de ces services qui, dès lors, sont destinés à
toute la population : membre des Premières Nations, Inuit, Métis, Québécois « de
souche », immigrants. Ce faisant, un nouveau dialogue se construit entre citoyens
autochtones et citoyens québécois qui partagent des valeurs communes d’égalité et
d’engagement civique; un dialogue qui contribue au déploiement de relations que l’on
souhaite plus harmonieuses de part et d’autre. Par ailleurs, si l’État demeure l’interlocuteur
privilégié au chapitre des politiques publiques et de la gouvernance, il est clair qu’il y a
place désormais pour d’autres acteurs institutionnels provenant du monde
communautaire, du milieu des affaires, des syndicats, voire de la communauté
universitaire.
On assiste donc, avec l’essor du mouvement des centres d’amitié, à un déplacement
stratégique des enjeux autochtones au sein de l’espace public. Le mouvement des centres
d’amitié autochtones favorise une action collective concertée et mobilisatrice en faveur
d’une différence égalitaire. Non pas une différence posée comme un absolu ou une
exclusivité qui justifierait en elle-même une nouvelle hiérarchisation des valeurs et des
actions; plutôt celle qui appelle à une solidarité interculturelle et intercitoyenne. S’il y a en
effet plusieurs cultures à l’œuvre dans ces mêmes espaces citadins, il y a aussi plusieurs
citoyennetés et plusieurs types d’appartenance. Un défi de taille pour beaucoup de
Québécois peu confortables avec l’idée que des Autochtones puissent aussi faire valoir
leur appartenance à la ville, surtout lorsqu’il s’agit de la ville où ces mêmes Québécois
résident. Les politiques d’effacement dont les Autochtones ont fait l’objet pendant des
siècles ont modelé profondément et durablement les perceptions négatives à leur endroit.
Pour plusieurs, il apparaît anachronique que des Autochtones puissent aujourd’hui
revendiquer non seulement une nouvelle citoyenneté mais aussi un nouveau type
d’égalité. Au mieux, nous sommes prêts à condamner l’exclusion et l’injustice au nom de
grands principes moraux. Mais il faut plus que cela dorénavant pour participer à ce
nouveau dialogue auquel le mouvement des centres d’amitié convie les citoyens du
Québec. Il faut reconnaître la place des Autochtones et la contribution légitime qu’ils
apportent au développement social, économique et culturel de nombreuses villes
québécoises et plus largement à la société québécoise dans son ensemble.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 4 : UNE SOCIÉTÉ CIVILE AUTOCHTONE AU QUÉBEC
19
Il ne suffit plus de combattre l’exclusion, il faut préparer l’inclusion par des politiques
sociales qui reflètent les réalités aussi bien que les traditions intellectuelles autochtones,
par des programmes qui améliorent la qualité de vie des Autochtones, par des alliances
novatrices de tous ordres. En d’autres mots, il faut prendre acte des composantes
actuelles de l’agenda autochtone citoyen.
Bibliographie
BORDELEAU LOUIS ET PIERRE MOUTERDE. 2008. Pashkabigoni. Une histoire pleine de
promesses. Mémoires du Mouvement des centres d’amitié autochtones au Québec
(1969-2008). Regroupement des centres d’amitié autochtones du Québec, Québec.
ENVIRONICS INSTITUTE. 2010. Urban Aboriginal Peoples Study. http://uaps.twg.
Consulté le 2010-04-30.
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www.reseaudialog.ca.
KERMOAL NATHALIE ET CAROLE LÉVESQUE. 2010. Repenser le rapport à la ville : pour une
histoire autochtone de l’urbanité, Nouvelles Pratiques Sociales 23 (1) : 67-82.
NEWHOUSE DAVID. 2008. Economic and Social Development Issues, in Emerging Realities of
Métis, Non-Status and Urban Aboriginal Populations: Building a New Policy Research
Agenda. Report on Colloquium, Carleton University, Ottawa.
REGROUPEMENT DES CENTRES D’AMITIÉ AUTOCHTONES DU QUÉBEC. 2009. Évaluation des
besoins en matière de services psychosociaux. Mouvement des centres d’amitié
autochtones du Québec, RCAAQ, Wendake.
REGROUPEMENT DES CENTRES D’AMITIÉ AUTOCHTONES DU QUÉBEC. 2006. Les Autochtones en
milieu urbain : une identité revendiquée. RCAAQ, Wendake.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
20
SECTION 5 : DÉBATTRE DU PASSÉ ET DÉCOUVRIR LE PRÉSENT :
L’ÉMERGENCE DE LA COMMUNAUTÉ CRIE DE WASHAW
SIBI EEYOU
Débattre du passé et découvrir le présent : Section 5 :
l’émergence de la communauté crie de Washaw Sibi Eeyou
DAVID LESSARD, CANDIDAT AU DOCTORAT EN ANTHROPOLOGIE
UNIVERSITÉ MCGILL
5.1 Introduction
Je pense que je fais déjà partie de trop de groupes […] Si je
devenais membre de Washaw Sibi, ce serait ma sixième
appartenance. C’est beaucoup. (Citation d’une femme dans la
quarantaine, lors d’une entrevue en avril 2010 à Waskaganish,
Québec.)
Washaw Sibi Eeyou est une organisation autochtone située à Amos, Québec, qui travaille
à sa reconnaissance institutionnelle par les gouvernements provincial et fédéral, et à son
inclusion au sein du Grand Conseil des Cris du Québec en tant que dixième communauté
crie du Québec. L’établissement de cette communauté permettrait à ses membres de
bénéficier pleinement de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ),
de gérer différents services, et de préserver, de revitaliser et d’enseigner la langue et les
traditions cries.
5.2 Repenser l’identité
Étant pour la plupart des Indiens inscrits, les membres de l’association Washaw Sibi
Eeyou détiennent déjà le statut fédéral d’Indien dans d’autres communautés autochtones.
Ils vivent principalement à Amos, Pikogan et Waskaganish au Québec, ainsi qu’à Moose
Factory, Timmins et Cochrane en Ontario. Le statut de bénéficiaire de la CBJNQ est
attribué par le gouvernement du Québec, indépendamment du statut fédéral d’Indien. Le
seul critère d’acceptation comme membre de Washaw Sibi consiste à être bénéficiaire de
la CBJNQ. Étant donné leurs relations de parenté avec les Cris du Québec, les membres
de Washaw Sibi remplissent ce critère.
Actuellement, une même personne peut être un Cri de Moose Factory au niveau fédéral,
un bénéficiaire de la CBJNQ à Waskaganish au niveau provincial, et un membre de
l’association Washaw Sibi au niveau local. Étant donné la situation transitoire dans
laquelle se trouve Washaw Sibi, ses membres possèdent plusieurs statuts institutionnels
tout en ayant un sentiment d’appartenance à différentes communautés autochtones
officiellement reconnues (ojibwa, cries ou algonquines). La multiplicité des expériences
historiques rencontrées parmi les membres de l’association donne lieu à des tensions
concernant l’objectif du projet de communauté. Ainsi, plusieurs situations soulèvent de
vives discussions : l’usage du français, de l’anglais, du cri et de l’algonquin; la place des
différentes formes de religion chrétienne et autochtone; la légitimité des membres ayant
grandi en Ontario; le rôle du Grand Conseil des Cris du Québec dans la mobilisation
politique.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 5 : DÉBATTRE DU PASSÉ ET DÉCOUVRIR LE PRÉSENT :
L’ÉMERGENCE DE LA COMMUNAUTÉ CRIE DE WASHAW
SIBI EEYOU
21
La complexité de l’identité collective de Washaw Sibi illustre comment des dynamiques
culturelles profondes sont à l’œuvre et transcendent l’activisme autochtone. Ceuppens et
Geschiere (2005) décrivent au moyen d’exemples africains et européens le fait que les
idées de marginalisation historique, de mouvement et d’instabilité génèrent des
appréhensions et des insécurités concernant l’authenticité des groupes autochtones, ce
qui conduit souvent à des conflits internes. Référons également à l’idée de l’anthropologue
français Marc Augé (1994), selon laquelle toute ethnographie devrait commencer par une
reconnaissance des manières dont le présent commande différentes lectures, souvent
contradictoires, du passé.
L’extraordinaire diversité que l’on rencontre dans ce groupe de 400 personnes ne laisse
pas place à un récit simple et linéaire établissant l’état originel du groupe tout en éclairant
le présent. Une définition de l’identité autochtone essentiellement liée à un groupe n’est
guère satisfaisante en comparaison d’une définition relationnelle de cette identité.
5.3 Les trois moments de l’histoire de Washaw Sibi
L’anthropologue mexicaine Hernandez Castillo (2001) a montré comment des individus
peuvent développer des sentiments d’appartenance à différentes communautés plus ou
moins imaginées, en compétition. Selon le moment, certaines identités sont privilégiées :
elles ne peuvent donc pas être comprises indépendamment des relations de pouvoir avec
l’État. Pour illustrer comment s’est façonnée l’identité des membres de la communauté de
Washaw Sibi, la section suivante présentera trois moments historiques qui ont eu
différents impacts sur la communauté.
Durant la période du commerce des fourrures au XIXe siècle, la Compagnie de la Baie
d’Hudson (CBH) établissait des postes à l’embouchure des grandes rivières utilisées
comme voies de communication. Trois d’entre eux furent particulièrement importants dans
l’histoire de Washaw Sibi : Rupert House, Moose Factory et Fort Abitibi
5
. Ces postes
étaient aussi des lieux de rassemblement estival où des familles en provenance de
plusieurs territoires se rejoignaient pendant quelques semaines. Ces rassemblements
furent considérés comme des « bandes » par les chroniqueurs de l’époque, bien que ce
vocable ne fût pas nécessairement employé par les gens concernés (Scott et Morrison
2004). En fait, les frontières géographiques et sociales étaient continuellement en
mouvance et renégociées entre les groupes autochtones en raison de contingences
sociales et écologiques. Une revue des archives historiques rappelle que les gens se
questionnaient sur l’origine géographique ou l’appartenance collective de certains
trappeurs (Morantz 2002).
5
« Washaw Sibi » est une expression crie qui désigne la rivière Harricana et signifie « la rivière qui coule
dans la baie », une référence à la baie de Hannah. La rivière Harricana coule à partir du Québec, traverse
la frontière contemporaine avec l’Ontario, et se déverse dans la baie de Hannah. Il y a d’ailleurs eu, à
certains moments, un poste secondaire à Hannah Bay, qui a été fermé dans les années 1830. Le territoire
ancestral des Cris de Washaw Sibi est donc situé dans cette zone comprise entre le lac Abitibi et le sud de
la baie James.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
22
SECTION 5 : DÉBATTRE DU PASSÉ ET DÉCOUVRIR LE PRÉSENT :
L’ÉMERGENCE DE LA COMMUNAUTÉ CRIE DE WASHAW
SIBI EEYOU
Avec la signature du traité 9
6
dans la première décennie du XXe siècle, la juridiction des
gouvernements fédéral et provincial fut affirmée sur le territoire, légitimant du coup
l’exploitation des ressources et le développement industriel tout en soutenant les
populations autochtones aux prises avec des épidémies et la colonisation de leur territoire
(Macklem 1997). Les familles qui chassaient dans le bassin de la rivière Harricana n’ont
pas été représentées politiquement ou collectivement dans le traité. Toutefois, certains
individus apparaissent sur les listes du traité 9 parce que, pour une raison ou une autre, ils
étaient au poste de traite au moment des négociations et de la signature. Ainsi, une
affiliation au poste de Moose Factory était le critère pour être inclus dans le traité pour les
gens du sud de la baie James, et une affiliation au Fort Abitibi, pour les gens de la Haute-
Harricana. Les chasseurs de la rivière Harricana se sont donc retrouvés dans les multiples
divisions administratives locales créées par le traité 9 ou en ont été tout simplement
exclus, puisqu’ils traitaient à Rupert House ou à La Sarre au moment des cérémonies
(Scott et Morrison 2004). Ce traité a donc contribué à la fragmentation du territoire et du
tissu social des groupes autochtones.
Enfin, pour pallier la chute des populations de castors de la région, le gouvernement a
institutionnalisé dans les années 1930 et 1940 les réserves à castors, un système de
gestion du territoire et de quotas de trappe pour des territoires alloués à certaines familles.
La création des réserves à castors a institutionnalisé et rendu plus prononcée la frontière
existant entre les Indiens du Québec et de l’Ontario, ainsi qu’entre les différents groupes
de parenté. Des Cris chassant dans le bassin de la rivière Harricana et qui ont commencé
à traiter la fourrure au Québec après la signature du traité 9 ont été qualifiés de
braconniers et d’intrus par les groupes autochtones de la région et par les employés du
gouvernement. Ils ont d’abord été expulsés de leurs territoires en Ontario, induisant du
coup une pression croissante sur l’écologie des territoires du Québec. En 1942, les
Affaires indiennes ont organisé le déplacement vers Rupert House de ces familles
collectivement appelées les « Cris de La Sarre » (Scott et Morrison 2005). Pour ce faire,
une liste des différentes familles à déplacer a été compilée par des fonctionnaires
gouvernementaux. Cette liste constitue une preuve de la reconnaissance par les Affaires
indiennes d’une identité distincte : les Cris de Washaw Sibi revendiquent donc leur identité
crie en tant que descendants des Cris de La Sarre.
5.4 Conclusion
Des migrations, spontanées ou forcées, ont toujours eu lieu dans la région incluse entre le
lac Abitibi et le sud de la baie James. Celles-ci créent un réseau régional et transcendant
de relations informelles, coutumières, de parenté ou d’amitié émergeant des expériences
individuelles et familiales. La flexibilité et l’adaptabilité de l’organisation sociale des
Algonquiens de la région subarctique et les frictions créées avec la bureaucratie coloniale
ont permis aux individus de développer selon leurs expériences des sentiments d’apparte-
nance dans différentes communautés, autochtones ou non, leur permettant de s’imaginer
en tant que membres de plusieurs groupes.
6
Il s’agit du traité du nord de l’Ontario.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 5 : DÉBATTRE DU PASSÉ ET DÉCOUVRIR LE PRÉSENT :
L’ÉMERGENCE DE LA COMMUNAUTÉ CRIE DE WASHAW
SIBI EEYOU
23
La signature de la CBJNQ en 1975, de même que les traités et accords suivants, a
changé la nature des relations de pouvoir entre les Cris de la baie James, d’autres
groupes autochtones et l’État. Pour les Cris de Washaw Sibi, une identité et un sentiment
d’appartenance particulier, invisibles institutionnellement pendant des dizaines d’années,
ont pu refaire surface.
Il s’agit d’un exemple que les relations entre l’État et les peuples autochtones, ainsi que la
résolution des réclamations identitaires et territoriales, n’amènent pas nécessairement
l’émergence d’une situation plus claire ou une représentation plus juste des identités et de
l’organisation sociale autochtone. Ce qu’on peut apercevoir est plutôt une multitude
d’occasions, de potentialités qui se transforment, se renouvellent ou sont réappropriées, à
travers lesquelles les concepts autochtones démontrent une adaptabilité et une flexibilité
remarquable.
Bibliographie
AUGÉ MARC. 1994. Pour une anthropologie des mondes contemporains. Paris : Aubier.
CEUPPENS BAMBI ET PETER GESCHIERE. 2005. Autochthony : Local or Global? New Modes in
the Struggle Over Citizenship and Belonging in Africa and Europe, Annual Review of
Anthropology 34: 385-407.
HERNANDEZ CASTILLO R. AIDA. 2001. Histories and Stories from Chiapas : Border Identities in
Southern Mexico. Austin: University of Texas Press.
MACKLEM PATRICK. 1997. The Impact of Treaty 9 on Natural Resource Development in
Northern Ontario, in M. Asch (dir.), Aboriginal and Treaty Rights in Canada : Essays on
Laws, Equity, and Respect for Difference : 97-134. Vancouver : UBC Press.
MORANTZ TOBY. 2002. L’histoire de l’est de la baie James au XXe siècle : À la recherche
d’une interprétation, Recherches amérindiennes au Québec 32 (2) : 63-70.
SCOTT COLIN ET JAMES MORRISON. 2004. Frontières et territoires : Mode de tenure des terres
des Cris de l’est dans la région frontalière Québec/Ontario – I – Crise et effondrement,
Recherches amérindiennes au Québec 35 (1) : 41-56.
SCOTT COLIN ET JAMES MORRISON. 2005. Frontières et territoires : Mode de tenure des terres
des Cris de l’est dans la région frontalière Québec/Ontario – II – Reconstruction et
renouveau, Recherches amérindiennes au Québec 34 (3) : 23-43.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
24
SECTION 6 : À LA RECHERCHE D’UNE AUTONOMIE POLITIQUE POUR LA
COMMUNAUTÉ AUTOCHTONE DE SAN MARTIN
DE AMACAYACU DANS UN CONTEXTE AMAZONIEN
À la recherche d’une autonomie politique pour la Section 6 :
communauté autochtone de San Martin de Amacayacu
dans un contexte amazonien
HERNÁN JAVIER DÍAZ, CANDIDAT AU DOCTORAT EN GÉOGRAPHIE CULTURELLE
UNIVERSITÉ LAVAL
JOSÉ GREGORIO VASQUEZ, CHEF COMMUNAUTAIRE
COMMUNAUTÉ AUTOCHTONE DE SAN MARTIN DE AMACAYACU, AMAZONIE COLOMBIENNE
6.1 Situation et contexte géographique
Dans l’Amazonie colombienne, la population autochtone représente 96 261 habitants
distribués en 52 groupes ethniques, lesquels parlent 52 langues différentes. Il existe plus
de 760 communautés qui se trouvent principalement à proximité de grandes rivières et de
leurs tributaires, ainsi qu’autour des centres urbains fondés par les blancs qui ont migré
dans la zone (COAMA : en ligne). La communauté autochtone de San Martin de
Amacayacu (ethnie : Tikuna) est située à l’intérieur de cette région, à 75 km de la ville de
Leticia, capitale de la province de l’Amazonie. Elle est constituée d’une population de 512
personnes qui conservent leur langue traditionnelle, le tikuna. L’ethnie tikuna est un des
groupes autochtones les plus stables sur les plans démographique et culturel parmi ceux
peuplant le bassin amazonien. Les individus de la communauté ont réussi à rester dans la
même aire malgré les déplacements forcés durant la période de la conquête européenne
et de la répartition du territoire à l’intérieur des frontières du Pérou, du Brésil et de la
Colombie (Riaño-Umbarila 2003; Zárate 1998).
San Martin de Amacayacu possède un territoire qui s’étend sur environ 400 km2, et un
gouvernement interne représenté par le Curaca
7
, la figure principale, et cinq cabildantes
8
.
Toutefois, son territoire appartient au Resguardo Majeur de Puerto Nariño
9
, de telle façon
qu’il est partagé entre trois ethnies (Tikuna, Cocama, Yagua). Au sein de ce Resguardo,
une association est responsable de prendre les décisions sur le plan politique, culturel et
économique pour chaque communauté. De la même manière, la prise de décisions de la
communauté de San Martin est régie par la municipalité de la ville de Leticia et par le parc
naturel Amacayacu avec lequel une partie du territoire est partagé. Pendant la création
des parcs naturels près des territoires appartenant aux autochtones, aucune consultation
n’a été entreprise pour prendre en compte le point de vue des communautés qui habitaient
totalement ou partiellement les aires désignées en tant que parcs (Roldán 2007).
En tenant compte de l’évidente situation des chevauchements de compétences et de
pouvoirs sur le territoire de San Martin, la communauté a identifié les problèmes suivants :
7
Le Curaca est la personne élue par la communauté pour la représenter pendant une période de quatre ans.
8
Les cabildantes forment le Cabildo, le conseil municipal de San Martin. Ils sont responsables de conseiller
le Curaca.
9
Le Resguardo est une institution légale sociopolitique qui reconnaît le droit sur les terres pour les peuples
natifs en Colombie. Le droit est considéré comme fondamental, politique et collectif.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 6 : À LA RECHERCHE D’UNE AUTONOMIE POLITIQUE POUR
LA COMMUNAUTÉ AUTOCHTONE DE SAN MARTIN
DE AMACAYACU DANS UN CONTEXTE AMAZONIEN
25
1) présentement, le type d’organisation politique auquel est soumise la communauté se
base sur le modèle occidental adopté par l’État colombien, de telle façon que le peuple ne
possède pas d’organisation autonome et indépendante dans laquelle il se reconnaîtrait;
2) la figure du Resguardo Majeur est une idée très large qui ne permet pas à la
communauté de se construire une perception propre du territoire et d’établir des relations
avec les peuples voisins. De ce fait, les besoins de la communauté ne sont pas reconnus.
6.2 L’activisme politique
En réaction aux problèmes décrits, l’activisme politique de la communauté de San Martin a
surtout été représenté par la figure de José Gregorio Vasquez. Le jeune leader a amené
un processus de réflexion à l’intérieur de la communauté sur la problématique liée à la
gouvernabilité du peuple. Sa force se base sur la confiance que le peuple lui a accordée
ainsi que sur la capacité à transmettre ses inquiétudes aux institutions de l’État colombien.
Ceci a été reconnu dans des réunions communautaires et institutionnelles et se traduit par
l’appui de la communauté et la reconnaissance de la problématique par l’État. La gestion
de José Gregorio a été aussi perçue comme un noyau catalyseur, autour duquel
l’activisme tourne. Les idées développées dans ce processus ont été reprises et amenées
dans différentes actions par les jeunes et les adultes de la communauté. Dans l’une de
ces actions, Mamerto Alfonso
10
, en faisant partie d’un groupe juvénile formé par des
membres de différentes ethnies, a contribué à la génération de connaissances sur la
valorisation et l’applicabilité des droits des peuples autochtones. La mission de ce groupe
est de créer un espace de discussion, d’appui et de conseil sur le plan politique au niveau
local. Également, Lorenzo Gregorio
11
, qui travaille depuis quelques années avec le parc
naturel Amacayacu, a transmis les préoccupations discutées au sein de la communauté à
cette institution, toujours en promouvant une atmosphère de dialogue.
Ces réflexions ont mené aussi au développement d’une cartographie communautaire
(Vásquez et al. 2007; Díaz 2011) basée sur la connaissance autochtone, dans le but de
valoriser et de protéger le droit sur la terre et de promouvoir la demande de réappro-
priation du territoire ancestral. Ceci va aussi permettre de favoriser la gestion des
ressources et d’appuyer les initiatives similaires dans d’autres communautés. Cette
initiative fait partie d’une demande d’agrandissement du territoire de San Martin et de
l’indépendance du Resguardo Majeur afin que San Martin gère de façon autonome son
territoire. Une ONG communautaire
12
a été créée à San Martin, ce qui a facilité la
promotion des initiatives à l’intérieur de la communauté et a mené à l’obtention de
subventions pour le travail cartographique ainsi que pour d’autres initiatives. Le projet
a permis la création de liens avec le monde extérieur par l’entremise d’un nouvel espace
de communication. En effet, les personnes ayant souscrit à l’ONG reçoivent un bulletin
dans le style d’un périodique, publié sur le site de l’ONG chaque mois, et contenant des
nouvelles sur les activités des tikuna en matière politique, culturelle et économique. Le site
est alimenté par une chercheure hollandaise, Heike van Gils, qui habite dans la
communauté depuis environ sept ans. Elle est arrivée à San Martin pour faire une
recherche dans le cadre de son mémoire de maîtrise, mais a décidé de rester à la fin de
10
Jeune de la communauté de San Martin de Amacayacu.
11
Adulte de la communauté de San Martin de Amacayacu.
12
Site d’internet : www.thesmallworldfoundation
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
26
SECTION 6 : À LA RECHERCHE D’UNE AUTONOMIE POLITIQUE POUR LA
COMMUNAUTÉ AUTOCHTONE DE SAN MARTIN
DE AMACAYACU DANS UN CONTEXTE AMAZONIEN
son travail. C’est elle qui, durant tout ce temps, a assuré la communication entre le monde
occidental et ce peuple amérindien.
Présentement, la demande d’agrandissement du territoire de San Martin a été approuvée
par les communautés voisines et par l’État. Toutefois, les discussions se poursuivent
quant à la demande d’indépendance, qui n’a pas été acceptée. On étudie plutôt la
proposition de continuer à appartenir au Resguardo Majeur de Puerto Nariño tout en ayant
une certaine autonomie pour la gestion du territoire.
Pour le peuple tikuna, le plus important demeure la préservation et la gestion des
ressources pour assurer la survie de la communauté. « Nous avons déjà la forêt; on doit
récupérer les pratiques médicinales et spirituelles, la terre, les animaux, les plantes, les
alternatives de gestion, les habitations à long terme et le bien-être pour les gens »
(Communication personnelle, José Gregorio).
Bibliographie
CONSOLIDACIÓN AMAZÓNICA COLOMBIA (COAMA). s.d. Pueblos Indígenas.
http://www.coama.org
DÍAZ HERNÁN JAVIER. 2011. Analyse d’un processus de cartographie participative en
Amazonie colombienne. Mémoire de maîtrise (Sciences géomatiques), Université Laval,
Québec.
RIAÑO-UMBARILA ELIZABETH. 2003. Organizando su espacio, construyendo su territorio.
Transformaciones de los asentamientos Ticuna en la ribera del Amazonas colombiano.
Leticia : Universidad Nacional de Colombia.
ROLDÁN R. 2007. Territorios Indígenas y Parques Nacionales Naturales. Aproximación al
Examen Jurídico sobre la Naturaleza, los Fines y Potenciales Concurrencia y
Coexistencia de Ambas Figuras sobre unos Mismos Espacios Físicos. Documento
Inédito, 48p.
VÁSQUEZ J. G., M. G. VÁSQUEZ, J. W. SÁNCHEZ Y H. VAN GILS. 2007. Derechos, Políticas y
Cartografía – Los Tres Elementos Claves para el Auto-Desarrollo de la Comunidad
Tikuna de San Martín de Amacayacu. Centro Holandés para los Pueblos Indígenas –
NCIV, Cabildo Indígena Comunidad San Martín de Amacayacu, 43p.
ZÁRATE C.G. 1998. Movilidad y permanencia ticuna en la frontera amazónica colonial del
siglo XVIII, Journal de la Société des Américanistes 84 (1) : 73-98.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 7 : TERRITOIRE, SOUVERAINETÉ ET LUTTES POUR LA
RECONNAISSANCE. COMMENT LES JEUNES
AUTOCHTONES S’ORGANISENT-ILS?
27
Le territoire, la souveraineté et les luttes pour la Section 7 :
reconnaissance. Comment les jeunes autochtones
s’organisent-ils?
LAURENT JÉRÔME, CENTRE INTERUNIVERSITAIRE D’ÉTUDES ET DE RECHERCHE AUTOCHTONES (CIERA)
UNIVERSITÉ LAVAL ET MUSÉE DE LA CIVILISATION, QUÉBEC
7.1 Introduction
Aujourd’hui la vie n’est pas celle d’autrefois. Et je ne peux pas
prédire l’avenir. Je me base sur mon vécu, mon propre mode de
vie. Je ne peux pas juger les jeunes et leur avenir. Nous avons eu
nos visions, les jeunes auront les leurs. Nous avons été initiés,
laissons les jeunes être initiés. Comment vont-ils s’organiser?
(Zacharie Awashish, 75 ans, Atikamekw Nehirowisiw de Wemotaci.
(cité dans Adolphy et Saint-Rémy))
En partant de l’expérience et du parcours d’un groupe de jeunes joueurs et chanteurs
atikamekw originaire de la communauté de Wemotaci (Haute-Mauricie, Québec), les
Wemotashee Singers, j’ai documenté dans ma thèse de doctorat
13
un processus
d’affirmation identitaire à travers une attention particulière portée aux mondes rituels et
aux mondes musicaux tels qu’ils sont actuellement construits, vécus et interprétés en
milieux autochtones contemporains. Partant du terrain, considérant les réalités
contemporaines autant que le contexte historique dans lequel s’insèrent les pratiques et
les savoirs atikamekw sur les rituels, j’ai insisté sur trois dimensions conceptuelles : la
place et le rôle des jeunes générations dans les sociétés autochtones; les relations entre
musique et rituel; le dynamisme et la flexibilité des traditions autochtones. J’ai notamment
présenté, dans deux grandes parties distinctes, les dynamiques relationnelles à l’œuvre
dans la reformulation de certaines pratiques rituelles et musicales. En prenant pour
exemple la cérémonie des premiers pas et le rituel de la loge à sudation, j’ai montré dans
une partie intitulée « Mondes rituels » comment l’enfant, la famille, le plaisir de se
retrouver ensemble, la valorisation des relations intergénérationnelles, la conciliation des
systèmes religieux et la guérison interviennent dans les processus actuels d’affirmation
identitaire chez les Atikamekw. La deuxième partie, « Mondes musicaux », retrace
l’histoire du groupe, documente la relation qui s’installe avec le tambour et montre en quoi
les pow-wow sont aujourd’hui des espaces incontournables de rencontres, d’échanges et
d’appropriation entre différentes Premières Nations du Québec et du Canada.
7.2 Revoir le discours sur les jeunes
Cette thèse montre comment la catégorie de « jeune » doit être comprise dans des
dynamiques relationnelles complexes en tenant compte du contexte particulier au sein
duquel les expériences de la jeunesse se construisent et se négocient. Car dans la plupart
des États qui englobent des populations autochtones, les moins de 30 ans représentent la
moitié de la population autochtone totale. Il n’est pas rare que cette proportion atteigne
13
Ce résumé est inspiré de mes travaux de doctorat (Jérôme 2010) et de diverses publications dont Gagné et
Jérôme 2009.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
28
SECTION 7 : TERRITOIRE, SOUVERAINETÉ ET LUTTES POUR LA
RECONNAISSANCE. COMMENT LES JEUNES
AUTOCHTONES S’ORGANISENT-ILS?
70 %. Pour prendre l’exemple de l’Amérique du Nord, il est aujourd’hui devenu un lieu
commun d’aborder les réalités de ces jeunes en termes de rupture culturelle, de crise
identitaire ou encore de perte de repères. Suicides, drogues, alcoolisme, souffrance et
violence sociale sont des réalités bien présentes, que ce soit dans les communautés ou
en milieu urbain. Ces réalités sont inlassablement reprises dans l’espace public – et
notamment médiatique – pour informer des maux qui rongent les communautés. Cette
image exprime de manière stéréotypée ce qui définirait aujourd’hui la « culture des
jeunes » en milieux autochtones et véhicule un ensemble persistant de préjugés inscrits
dans les relations avec les non-autochtones.
Bien qu’omniprésents dans les expériences personnelles et sociales, ces problèmes ne
sont pourtant pas particuliers aux jeunes autochtones, lesquels sont par ailleurs loin d’être
tous suicidaires ou délinquants. Ils investissent de nombreux espaces d’expressions
(structures politiques en place, projets culturels et scolaires, initiatives sociales, créativité
artistique…), s’organisent au sein de structures permettant de faire valoir leur propre point
de vue (conseils des jeunes, conseil des jeunes femmes), s’approprient de manière active
des éléments culturels véhiculés par diverses influences et construisent un monde en
dehors de leur communauté (mobilité régionale, expérience urbaine, milieu universitaire).
7.3 L’affirmation des jeunes
De nombreuses communautés, institutions et structures autochtones ont opéré un
changement : on ne parle plus de marches contre le suicide, mais de marches et de
projets pour la vie; on préfère le terme de mieux-être à celui de guérison, de bien-être à
celui de souffrance, de ressourcement à celui de thérapie. La prévention et la promotion
de la vie remplacent les politiques de répression, de moralisation et d’encadrement de la
jeunesse. Sous l’impulsion de nombreuses personnes ressources, et notamment celles
issues de la génération des pensionnats, plusieurs jeunes enterrent une image encore
bien ancrée dans les représentations sociales locales et nationales : celle de la destruction
comme mode d’expression. En investissant les conseils de bande, en créant leurs propres
institutions (conseils des jeunes), en s’engageant dans des associations nationales (par
exemple la Labrador Inuit Youth (LIY)
14
, la Saputiit Youth Association of Nunavik
15
ou
encore le Réseau jeunesse des Premières Nations), ils revendiquent des responsabilités
accrues et valorisent l’initiative comme nouveau modèle de reconnaissance sociale. Ainsi,
David Boivin, jeune atikamekw de 34 ans, a été élu chef de la communauté de Wemotaci
en avril 2011. Parmi ses priorités, on peut citer la préservation de la langue et de la culture
atikamekw, mais également le développement des nouvelles technologies et des
partenariats avec les universités pour développer les communications.
À l’échelle internationale, l’affirmation des jeunes autochtones s’organise : « Nous
encourageons le système des Nations Unies à inclure les jeunes dans ses activités et
nous demandons la création d’une unité au sein de toutes les agences des Nations Unies
pour les jeunes autochtones », affirme madame Heather Minton-Lightening, représentante
de la jeunesse autochtone à l’instance permanente sur les questions autochtones de
l’ONU (Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme : en ligne). À travers
le développement de la musique, de la littérature et des arts en général, les jeunes
14
http://www.nunatsiavut.com
15
http://www.saputiit.ca
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 7 : TERRITOIRE, SOUVERAINETÉ ET LUTTES POUR LA
RECONNAISSANCE. COMMENT LES JEUNES
AUTOCHTONES S’ORGANISENT-ILS?
29
répondent au changement par une variété d’aspirations et d’influences qui se façonnent
dans un processus complexe d’appropriation de signes, de symboles et de discours que
rendent accessibles différents espaces d’échanges : forêt et territoire, communauté et
milieu urbain, rassemblements pan-amérindiens, nouvelles technologies… Ces espaces
d’expression et d’affirmation ne peuvent être dissociés l’un de l’autre puisqu’ils
représentent les lieux de l’expérience contemporaine des jeunes dans lesquels ceux-ci
s’engagent avec plus ou moins de conviction, avec plus ou moins de réussite, avec plus
ou moins de désillusions.
En août 2005, le Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador a
présenté au gouvernement du Québec un rapport dans lequel il identifie une série de
recommandations exprimant les spécificités des réalités autochtones et les priorités
à suivre dans les politiques publiques destinées aux jeunes autochtones : 1) favoriser le
rapprochement entre jeunes et aînés; 2) améliorer les services destinés aux jeunes des
Premières Nations; 3) favoriser la réussite éducative et l’insertion professionnelle;
4) améliorer la santé; 5) accroître leur présence dans la société, à la fois dans le monde et
dans leurs milieux de vie, à travers des échanges plus nombreux avec la population non
autochtone (CJPNQL et APNQL, 2005). En 2000, le gouvernement péquiste soutenait
l’organisation du Sommet du Québec et de la jeunesse auquel étaient conviés des
représentants des jeunes des Premières Nations. Selon Maxime Vollant
16
, les réalités et
les défis débattus lors de ce sommet, bien éloignés de leurs préoccupations, ont conduit
les représentants des Premières Nations à organiser leur propre cercle de consultation qui
a donné lieu à la rédaction d’un premier rapport, Le nouveau cercle. Rassemblement des
jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador (2001).
7.4 Conclusion
Être jeune d’une Première Nation renvoie à des particularités identitaires : un attachement
profond et durable à la communauté ou à la nation d’appartenance, qui définit une identité
collective y compris pour les jeunes vivant en milieu urbain partis en ville pour intégrer un
cursus universitaire ou chercher un travail; des liens familiaux et intergénérationnels qui
prévalent dans l’expression de son identité personnelle; un positionnement qui doit se
faire, paradoxalement, sous les jugements de la société non autochtone, et avec elle.
C’est donc dans un paysage complexe de représentations sociales, de jugements et de
positionnements que se construit l’expérience identitaire des jeunes des Premières
Nations, qui sont, au final, bien d’autres choses avant d’être jeunes et autochtones, et qui
font bien d’autres choses que de choisir, unanimement, la destruction pour seul refuge.
16
Maxime Vollant a expliqué les motivations de ce rassemblement lors de sa conférence intitulée « Les
jeunes des Premières Nations du Québec et leur culture traditionnelle », présentée le 28 mars 2003, au
colloque GETIC-CIERA à l’Université Laval.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
30
SECTION 7 : TERRITOIRE, SOUVERAINETÉ ET LUTTES POUR LA
RECONNAISSANCE. COMMENT LES JEUNES
AUTOCHTONES S’ORGANISENT-ILS?
Bibliographie
ADOLPHY CORENTIN ET GAÉTAN SAINT-RÉMY. 2007. Identités Atikamekws. Sep stigo Films,
Documentaire, 55 min, Belgique.
CONSEIL DES JEUNES DE PREMIÈRES NATIONS DU QUÉBEC ET DU LABRADOR ET ASSEMBLÉE DES
PREMIÈRES NATIONS DU QUÉBEC ET DU LABRADOR (CJPNQL et APNQL). 2005. Mémoire
concernant la consultation Stratégie d´action jeunesse et le développement d´un volet
pour les jeunes des Premières Nations du Québec. Présenté au Gouvernement du
Québec, 9 p. http://www.bibliotheque.assnat, Consulté le 2011-06-07.
CONSEIL DES JEUNES DES PREMIÈRES NATIONS DU QUÉBEC ET DU LABRADOR. 2001. Le
nouveau cercle : rassemblement des jeunes des Premières nations du Québec et du
Labrador. Conseil des jeunes des Premières Nations du Québec et du Labrador,
Québec.
GAGNÉ NATACHA ET LAURENT JÉRÔME (dir.). 2009. Jeunesses autochtones. Affirmation,
innovation et résistance dans les mondes contemporains. Québec : Presses de
l´Université Laval.
HAUT COMMISSARIAT DES NATIONS UNIES AUX DROITS DE L’HOMME. http://www.unhchr.ch.
JÉRÔME LAURENT. 2010. Jeunesse, musique et rituels chez les Atikamewk (Haute-Mauricie,
Québec) : Ethnographie d’un processus d’affirmation identitaire et culturelle en milieu
autochtone. Thèse de doctorat (Anthropologie), Université Laval, Québec.
http://www.theses.ulaval.ca, Consulté le 2011-06-07.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 8 : ACTIVISME AUTOCHTONE EN MILIEU UNIVERSITAIRE
31
L’activisme autochtone en milieu universitaire Section 8 :
DANIELLE E. CYR, PROFESSEURE, DEPARTMENT OF FRENCH STUDIES
YORK UNIVERSITY
8.1 Introduction
Une nouvelle forme d’activisme autochtone est en émergence depuis le début du nouveau
millénaire : l’activisme autochtone en milieu universitaire. Cet activisme prend diverses
formes dont les deux principales sont : 1) la poussée pour la mise sur pied de
programmes d’études autochtones gérés par et orientés vers les Autochtones eux-
mêmes; 2) l’obtention du droit d’écrire des mémoires et des thèses en langue autochtone
avec ou sans possibilité de traduction dans une des deux langues officielles du Canada.
Ce dernier cas a surgi à l’Université York, résultant de l’activisme de Fred Metallic et de
Diane Mitchell, deux Micmacs de la communauté de Listuguj au Québec. Cette
communication vise à revoir l’historique de leur démarche et à tenter d’en analyser les
conséquences du point de vue de la communauté et du monde universitaire.
8.2 Historique
Une première thèse de maîtrise en langue micmaque fut écrite par Eleanor Johnson à
l’Université du Cap-Breton vers la fin des années 1990
17
. Ce premier cas s’inscrivait dans
le contexte du Unama’ki College (qui s’appelait alors Mi’kmaq College Institute) de
l’Université du Cap-Breton (UCB). La mission du Unama’ki College est de « répondre aux
besoins des Micmacs et des autres étudiants des Premières Nations, ainsi que de
contribuer aux objectifs éducatifs des communautés micmaques. Le collège travaille de
concert avec les professeurs et les employés micmacs ainsi qu’avec les autres
départements de l’Université du Cap-Breton » (University of Cape Breton 2011; traduction
libre). À l’heure actuelle, 250 étudiants micmacs sont inscrits à l’UCB et plus de 500 autres
détiennent déjà un diplôme de cet établissement. La majorité de ces 750 personnes
parlent encore leur langue ancestrale. Le Unama’ki College possède un Centre de
ressources doté d’une abondante documentation sur la langue, la culture et les sciences
micmaques en général, tant en langue micmaque qu’en d’autres langues. Cette
documentation est mise à la disposition des étudiants de l’Université, des écoles et
institutions éducatives micmaques, des organisations sociales, culturelles et légales
micmaques ainsi que des individus intéressés aux questions micmaques en général
(University of Cape Breton 2011). Dans ce contexte, il va de soi que d’écrire une thèse en
langue micmaque fait sens. D’abord, elle permet à un étudiant inscrit dans un programme
d’études micmac de s’exprimer dans sa langue maternelle; ensuite, la thèse peut être lue
par un très grand nombre de personnes; finalement, elle constitue une addition
extrêmement importante au corpus du Centre de ressources.
8.3 L’expérience de l’Université York
La démarche d’Eleanor Johnson a été une inspiration pour Fred Metallic, un autre étudiant
micmac inscrit à l’Université Trent en Ontario au début des années 2000, où il a en effet
17
On peut lire un résumé en anglais et la version originale en micmac en ligne http://www.cbu.ca/mrc/eleanor
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
32
SECTION 8 : ACTIVISME AUTOCHTONE EN MILIEU UNIVERSITAIRE
écrit un mémoire de maîtrise en langue micmaque. Par la suite, il s’est inscrit à la Faculté
d’études environnementales de l’Université York de Toronto, dans un programme de
doctorat. Sa thèse portait sur la gouvernance micmaque. Son travail de terrain était basé
dans la communauté de Listuguj au Québec. Ses entrevues avec les aînés ont été
conduites majoritairement en micmac, et parfois en anglais.
Bien que l’Université York, tout comme UCB, reçoive un bon nombre d’étudiants
autochtones, la situation n’y est pas tout à fait la même. Les étudiants autochtones
proviennent surtout des communautés autochtones de l’Ontario (cries, ojibway, mohawks).
Par ailleurs, très peu parlent encore leur langue ancestrale. Il n’y a pas à proprement
parler de centre d’études autochtones et encore moins de centre de documentation sur les
langues et cultures autochtones. Cependant, comme le rapporte la professeure Deborah
Barndt (2006) :
York University established an Aboriginal Education Council in
2001 and hired its first Aborginal Counsellor in 2003. Beyond
providing support for Aboriginal students in university, the Council
has also undertaken an audit of programs and courses offered that
address Aboriginal history, ideas, and practices. At a deeper level,
Aboriginal faculty and students have compelled us to consider how
Aboriginal ways of knowing and learning can be acknowledged and
allowed to coexist with western epistemologies and pedagogies
within the academy.
Par ailleurs, la Faculté d’études environnementales de l’Université York offre un
programme très ouvert à ses étudiants d’origine autochtone. Ceux-ci peuvent, pour ainsi
dire, se fabriquer un programme personnalisé répondant à leurs aspirations, à leurs
besoins culturels et à leur formation. C’est donc un endroit très ouvert où l’établissement
de nouveaux discours est bien accepté et, en quelque sorte, accueilli avec enthousiasme.
D’où le choix qu’ont fait Fred Metallic et, à sa suite, Diane Mitchell de s’inscrire à York
pour leurs études aux cycles supérieurs. Ils ont ensuite travaillé d’arrache-pied pour
obtenir le droit d’écrire leurs thèses respectives dans leur langue maternelle, le micmac.
Les directeurs de recherche ainsi que les instances qui gouvernent la Faculté d’études
environnementales ont été à l’écoute. Voici ce qu’en rapporte Deborah Barndt en 2006 :
Like many Aboriginal students, these two graduate students see
their primary loyalty to their communities, many of which have sent
their young adults to university precisely to be able to better serve
the needs of First Nations communities. Being accountable to the
community means being accountable to one’s view and relation-
ship with all of creation.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 8 : ACTIVISME AUTOCHTONE EN MILIEU UNIVERSITAIRE
33
The issue of language is not only a matter of communications,
even though it is important that the results of their research be
accessible to people in the community who may not speak English.
But the loss of Indigenous languages is one of the great concerns
in Aboriginal communities, because as these languages disappear,
so too do cultural worldviews, ways of thinking and being. The loss
of linguistic and cultural diversity is a global crisis.
C’était aussi l’avis de Peter Cole, un professeur d’origine autochtone à l’Université York :
Aboriginal/Indigenous languages are inseparable from their
respective cultures; they are part of Aboriginal/Indigenous ways of
knowing. Consequently, recovery of traditional cultures and
languages is a project of renewal and revitalization. It is an
educational and self-empowerment project. It is–rather than a
process of decolonization–one of Aboriginalization. (Cole 2005)
À cet argument venait s’ajouter celui de Anders Sandsberg, le directeur de thèse de Fred
Metallic :
There is a unique form of Mi’gmaq scholarship, stories and
knowledge holders (academics) along with Mi’gmaq archives,
classrooms and universities (the land). This Mi’gmaq “academic
complex” predates the so-called “contact” and needs to be
recognized, valued, and further developed. It has never been
replaced or displaced by colonialism (though repressed) and many
First Nations students now point to this complex as a place where
they would like to place their studies. Aboriginal languages are
often an intricate part of that process. (Sandberg 2005)
Les arguments des deux étudiants et de leurs professeurs ont convaincu les instances de
York. Le sénat de l’Université a par la suite changé ses règlements pour permettre la
rédaction de thèses en n’importe quelle langue autochtone encore parlée au Canada. Et,
toujours à la demande des deux étudiants, le sénat a même inclus dans ses nouveaux
règlements le droit pour les étudiants de ne pas faire traduire leur thèse dans une des
deux langues officielles du Canada sans la permission préalable de leur communauté.
Dans le cas de Fred Metallic, il a défini sa communauté comme étant le Secrétariat
Mi’gmawei Mawiomi (Conseil tribal des Micmac de la Gaspésie), dont il était à l’époque le
directeur de recherche.
8.4 Conséquences et écueils
Si la démarche des deux étudiants est louable et admirable, il reste cependant que leurs
arguments et certains effets indirects laissent perplexes. Tout d’abord, l’argument de
l’accessibilité d’une thèse pour les membres d’une communauté qui ne parleraient pas
l’anglais est sujet à la critique. S’il restait à l’heure actuelle, dans l’ensemble du Canada,
des Autochtones qui ne parlent pas l’anglais, on peut être certain qu’ils seraient aussi
illettrés dans leur propre langue et ne pourraient pas davantage lire une thèse écrite en
cette langue. En fait, on peut considérer avec une très grande certitude que de tels
locuteurs n’existent plus au Canada. Par ailleurs, ce cas de figure ne se pose pas dans
l’ensemble des communautés micmaques. Par contre, l’inverse existe avec une fréquence
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
34
SECTION 8 : ACTIVISME AUTOCHTONE EN MILIEU UNIVERSITAIRE
croissante, car le nombre d’Autochtones parlant seulement l’anglais – ou le français – est
de plus en plus élevé. Pour la communauté de Listuguj en particulier, il reste à peine 30 %
de locuteurs micmac, et ils sont tous bilingues avec l’anglais comme langue seconde et
comme langue première à l’écrit. L’immense majorité des moins de 50 ans ne parle plus la
langue et ne peut donc lire la thèse si elle n’est pas traduite. Un exemple malheureux est
celui du personnel du Mi’gmawei Mawiomi Secretariat à l’heure actuelle en train de
préparer les revendications territoriales avec les gouvernements canadien et québécois :
tous âgés de moins de 50 ans, aucun d’entre eux n’est capable de lire la thèse de Fred
Metallic sur la gouvernance micmaque.
De plus, si l’on songe aux autres communautés autochtones du Canada et du reste du
monde, même s’ils possèdent encore leur langue ancestrale, il reste tout de même que
leur lingua franca est toujours l’anglais, l’espagnol, l’arabe ou quelque autre langue
majoritaire de leur région. Eux non plus ne pourront lire les thèses en question. C’est
d’ailleurs le point de vue de John Seckley, professeur au Humber College. Comme le
rapporte le magazine en ligne This (2009) :
However, not everyone is impressed by York’s new initiative.
“There’s nothing wrong with composing something in one of the
languages,” says John Steckley, the sole speaker of Huron and a
professor at Humber College, but “how do you then extend it to a
wider audience, even a wider Mi’kmaq audience, because the vast
majority of people don’t speak the language?” With what he
estimates to be only 20,000 to 40,000 Canadians able to speak an
aboriginal language, Steckley sees the need for a “middle
document” that at least gives a sense of what’s being commu-
nicated and how difficult translation is. Still, with these languages
rapidly on the decline, York’s acknowledgement of aboriginal
languages may encourage other educational institutions to do the
same.
Un autre problème engendré par une thèse en langue autochtone et non traduite est celui
de la valeur scientifique et de la crédibilité de son contenu. Pour le candidat Fred Metallic,
ceci ne constitue pas un problème, car, dit-il, ce qui compte c’est beaucoup plus la valeur
et la fiabilité du processus qui mène à l’écriture et à la soutenance de la thèse
(Conversation personnelle 2005). Si la scolarité (en anglais) est bien faite et réussie, si
l’examen de synthèse est réussi (en anglais), si la méthodologie (exposée en anglais) est
acceptée, dès lors on devrait considérer que la thèse sera valide. On reconnaît certes là
un des tenants de la vision du monde autochtone, à savoir que la validité d’une situation
se trouve beaucoup plus dans le processus (l’apprentissage) que dans le résultat final
(le produit). En même temps, on voit aussi dans cette assertion l’antithèse quasi absolue
de la vision scientifique occidentale où le résultat doit être validé par la critique et la
possibilité de répéter l’expérience menant au même résultat.
Par ailleurs, si les seuls lecteurs potentiels de la thèse en langue micmaque sont quelques
rares universitaires micmacs, on peut tout de suite se demander s’ils sont à distance
raisonnable du candidat pour servir comme membres du jury. Quant à tous les autres
membres du jury de thèse, y compris le directeur de thèse, ils devront s’en tenir à ce qu’ils
entendront des interprètes qui traduiront la conversation entre le jury micmac et le
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 8 : ACTIVISME AUTOCHTONE EN MILIEU UNIVERSITAIRE
35
candidat le jour même de la soutenance. Voici comment Barndt rend compte de ce cas de
figure :
While the new regulation was approved by the FES Faculty
Council in the spring of 2005, we are still elaborating the ways in
which it can be operationalized. The major conditions that must be
met include “relevant supervision” and “sufficient support”. The
issue of supervision, as already indicated, is a complex one. There
need to be sympathetic, supportive, and “relevant” academic
supervisors in the Faculty and academy. There are unfortunately
very few Aboriginal faculty members at York, and familiarity with
any particular Nation and language is not assured. Faculty
members can, however, offer strengths in certain aspects of the
thesis process, while community members can serve as advisors
when it comes to the particularity of Mi’gmaq history, politics, and
language. This means creating a structure of dual accountability,
and giving equal consideration to the community advisors, their
research ethics, and cultural protocol.
How does an Aboriginal student get assessed, then, at the stage of
the thesis reading and defense? Ideally, an Aboriginal scholar is on
the dissertation committee, and the community advisors are also
represented at the defense. They can offer their assessment to the
committee as a whole. There may be a need for infrastructural
support that allows the defense to be conducted in part in the
Aboriginal language with simultaneous translation facilitating the
process, if the candidate and community members agree this
would be useful. Fortunately, in 2004, York University’s Vice-
President Research and Innovation purchased 50 sets of wireless
simultaneous interpretation equipment; resources are needed,
however, to hire translators capable of mediating this linguistic
interchange. (Barndt 2006 : 12)
8.5 Conclusion
Nous n’avons jusqu’ici qu’effleuré la surface d’une nouvelle forme d’activisme autochtone,
en milieu universitaire cette fois. Les conversations que ce cas a engendrées sont
innombrables. L’ensemble des gens de science, s’ils sont tous plutôt favorables au droit
d’écrire une thèse en langue autochtone, sont choqués par l’exigence de laisser la
possibilité de la traduction à une communauté autre que l’université qui accorde
le diplôme. Et tous se demandent à quoi servira une thèse que seuls trois ou quatre
individus sur la planète peuvent lire, et pourquoi le candidat qui a écrit cette thèse tenait-il
tellement à ce qu’elle ne soit pas traduite. D’autre part, les membres des communautés
autochtones interrogés, s’ils sont très fiers de l’audace de Fred Metallic, déplorent, pour la
plupart, le fait de ne pas pouvoir lire la thèse.
Il est à se demander si les efforts de réconciliation des visions du monde occidentale et
autochtone n’ont pas finalement contribué à créer un fossé encore plus profond du point
de vue de la création de la connaissance. Dans le monde micmac traditionnel, on croit que
si quelqu’un voit ou touche un de vos objets de pouvoir, vous perdez le pouvoir qui y est
rattaché. Peut-être est-ce là une explication de la démarche de Fred Metallic. Au travers
de sa démarche et de son activisme, il a gagné certes un énorme pouvoir de
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
36
SECTION 8 : ACTIVISME AUTOCHTONE EN MILIEU UNIVERSITAIRE
représentation auprès des autres activistes autochtones. Il est aussi devenu un modèle
pour les autres Autochtones qui désirent mener des études universitaires de niveau
supérieur.
Mais était-il réellement nécessaire de garder secret le contenu des connaissances
produites au cours de ses études? Et, a-t-on encore le droit de se demander si une
connaissance secrète est utile à quiconque n’en possède pas le secret? Autrement dit, un
certain doute épistémologique et éthique persiste : une connaissance non partageable est-
elle de la connaissance?
Bibliographie
BARNDT DEBORAH. 2006. Reframing Internationalization in a (Post) Colonial and Diasporic
Context : Two Initiatives at York University. Présentation à la conférence
Internationalizing Canada’s Universities, York University, 2-3 mars, 2006.
BOSENBERG ERIN. 2009. Mikmaq PhD dissertation : a Canadian First, This magazine/(may
12) http://this.org.
COLE PETER. 2005. Memorandum to FES Committee of Instruction. April 14, 2005.
SANDBERG ANDERS. 2005. Memo to FES Committee of Instruction. April 14, 2005.
UNIVERSITY OF CAPE BRETON. 2011. Unama’ki College. University of Cape Breton,
http://www.cbu.ca.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 9 : LE RAP AU SERVICE DE L’AFFIRMATION IDENTITAIRE ET
CULTURELLE : L’EXEMPLE DE SAMIAN,
RAPPEUR ALGONQUIN
37
Le rap au service de l’affirmation identitaire et culturelle : Section 9 :
l’exemple de Samian, rappeur algonquin
ANAÏS JANIN, CANDIDATE AU DOCTORAT EN SOCIOLOGIE
UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL
Dans le cadre de cet article, je présenterai d’abord l’historique du rap pour examiner
ensuite son adaptation au milieu autochtone par les jeunes des Premières Nations. Les
jeunes se servent ainsi du rap en décrivant leur réalité dans leur langue maternelle et avec
des rythmes qui leurs sont propres, même s’il exprime un métissage culturel. Je prendrai
l’exemple de Samian pour illustrer cette réalité.
9.1 L’historique du rap
Tout d’abord expression des jeunes des ghettos souvent marginalisés, le rap commence à
avoir un impact économique important dans les années 1980 (Keyes 2002). De plus, il est
l’expression de la jeunesse, conçue comme une période ambivalente où « idéalisation » et
crainte se côtoient (Comaroff 2000 : 90). Le rap exprime aussi une résistance face au
« pouvoir blanc » dominant, tout en dénonçant le profilage racial à travers un langage
particulier, issu de la rue, le tout dans le cadre d’une tension sociale entre groupes
dominants et groupes dominés (Hall 2007).
Le rap permet ainsi de « commenter et de questionner le pouvoir en place moteur de
l’iniquité sociale » (Rose 1995 : 100). Il rend ainsi compte de la réalité et de la discrimi-
nation vécue par les jeunes afro-américains ou les membres de différents groupes
minorisés partout dans le monde dans le cadre d’une « solidarité internationale face à
l’oppression » (Kelley cité dans Basu et Lemele 2006 : xv, traduction libre), même si cela
peut aussi avoir des connotations commerciales, car la résistance est un produit que l’on
peut vendre (Kelley cité dans Basu et Lemele 2006).
9.2 Un moyen pour les jeunes d’exprimer leur réalité
Le rap est une forme artistique populaire qui s’adapte au contexte où elle est produite.
Ainsi, le rap a pu être adapté par les jeunes Autochtones. Le hip-hop, plus généralement,
devient donc un « outil permettant aux jeunes de s’exprimer et de s’émanciper » (Willard
2009), qui leur permet de parler de leur réalité. Le peu de moyens nécessaires pour faire
du rap peut aussi expliquer pourquoi cette forme artistique est aussi répandue dans les
communautés autochtones. Dans la plupart des cas, on remarque que « les paroles
témoignent de ces conditions de vie [difficiles] et documentent simplement la vie
quotidienne » (Reece traduit par Lessard 2009).
Samian, rappeur originaire de la communauté algonquine de Pikogan, l’exprime assez
bien dans son morceau intitulé Ma réalité, car il aborde les problèmes de consommation
dans les réserves. D’ailleurs, il partage son expérience en montrant comment lui-même a
vécu ces problèmes et comment le rap, ainsi que le fait de devenir père, lui a permis de
donner un autre sens à sa vie, en s’engageant pour la cause autochtone. Il reste de cette
façon dans la lignée des autres chanteurs rap qui parlent souvent de ces problèmes dans
leurs chansons afin de coller à la réalité de la rue et d’être authentique (Keyes 2002). Le
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
38
SECTION 9 : LE RAP AU SERVICE DE L’AFFIRMATION IDENTITAIRE ET
CULTURELLE : L’EXEMPLE DE SAMIAN,
RAPPEUR ALGONQUIN
rappeur autochtone axe davantage le contenu de ses chansons sur son histoire
personnelle, sur laquelle il base sa critique sociale (Ulfestad 2007 : 251-252).
9.3 L’expression du métissage culturel actuel
Le rap autochtone exprime un mélange culturel et la mise en lumière d’une appartenance
multiple visible chez plusieurs artistes autochtones aujourd’hui (Heartney 2007; Willard
2009), dans le cadre d’une « fusion » artistique. Ce métissage culturel met en doute le
concept d’authenticité primordiale au rap. On note tout de même que dans la plupart des
cas, les « formes [langagières, ou culturelles] locale[s] [sont incorporées au rap ou à la
culture hip-hop. On constate aussi l’influence] des modes vestimentaires des jeunes afro-
américains urbains » (Kelley cité dans Basu et Lemele 2006 : xiii-xiv), même si celles-ci
peuvent être influencées par des traditions artistiques et culturelles locales.
Il y a donc ici déplacement culturel pour arriver à de nouvelles formes artistiques propres à
rendre compte de la réalité des autochtones, de même qu’un bricolage culturel dans le
cadre d’une « recombinaison d’éléments culturels venant des deux cultures : la culture
dominante [dans ce cas le rap issu des États-Unis] et la culture dominée [celle des
Autochtones] » (Ginsburg 1991 :105).
9.4 L’utilisation de la langue autochtone comme marqueur identitaire
Dès son origine, le rap joue sur l’utilisation de la langue mixée avec des extraits de
chansons préenregistrés pour créer un rythme particulier (Keyes 2002). De plus, le rap
comme le slam sont reliés à la langue orale, car ils « utilisent [tous les deux] le rythme, la
parole rythmée, et le dialecte de la rue sur une bande-son musicale » (Keyes 2002 :1,
traduction libre), ce qui les rapprochent de la tradition autochtone – des récits et de
l’enseignement – basée sur l’oralité (Reece 2009).
Il apparaît donc logique que les jeunes autochtones adaptent cette musique pour exprimer
leur appartenance à leur culture, tout en collant à l’époque contemporaine. Ces artistes
brisent ce faisant l’opposition tradition-modernité récurrente dans les discours portant sur
les Autochtones, pour arriver à une nouvelle hybridité artistique (dans le sens de la double
appartenance culturelle), en résonance avec le monde contemporain.
Lorsque le rappeur Samian compose, le rythme de l’algonquin doit pouvoir se mêler avec
celui du français et avec la musique. Cette approche est récurrente chez les rappeurs qui
doivent faire en sorte de « prendre le bon rythme afin d’exprimer l’essence du texte »
(Keyes 2002 :126, traduction libre). Ils jumèlent mots et sons afin que la pièce « coule
dans l’oreille » grâce aux paroles qui riment et donnent du rythme à la chanson. Ainsi,
dans sa chanson intitulée Mon évasion, Samian fait rimer « battre » et « claque ». Pour
Mitchell (2002 : 281) il s’agit d’un syncrétisme artistique, qui souligne la spécificité du rap
de Samian comme expression de son identité première qui passe par différents symboles
culturels. On y retrouve donc combinées des « formes musicales et des expressions des
États-Unis [… avec] des formes linguistiques et musicales locales » (Mitchell 2002 : 11,
traduction libre), faisant de cette forme artistique un « langage musical universel »
(Mitchell 2002 : 12, traduction libre).
Cette démarche reste au cœur du mode de production de Samian. Dès le début de sa
carrière, qui décolla après qu’il eût gagné un concours de poème, Samian a rappé pour
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 9 : LE RAP AU SERVICE DE L’AFFIRMATION IDENTITAIRE ET
CULTURELLE : L’EXEMPLE DE SAMIAN,
RAPPEUR ALGONQUIN
39
s’exprimer sur scène. Encore aujourd’hui, il récite ses textes a capella sur scène, puis il
mélange les paroles avec la musique soit devant le public, soit en studio en faisant des
essais pour associer la bonne musique, écrite par d’autres, avec les bonnes paroles.
Cette démarche est visible chez la plupart des rappeurs issus de groupes minoritaires, car
elle démontre une appartenance culturelle et exprime bien le « lien entre l’utilisation d’une
langue particulière et l’identité hip-hop » (Sarkar et Allen 2007 : 120, traduction libre) pour
faire référence à des « territoires et une ethnicité multiples » (Sarkar et Allen 2007) comme
le constate aussi Mitchell. Pour les Autochtones, cela exprime aussi une volonté de
« conserver leur culture autochtone [… tout en] prenant part à un mouvement autochtone
global » ayant pour but l’émancipation (Mitchell 2001 : 280).
Le rapport à la langue, comme chez les Maoris (Mitchell 2001), devient donc un enjeu
identitaire pour ces auteurs comme le démontre Samian. Il s’agit souvent de montrer son
appartenance culturelle tout en faisant le lien avec ses origines pour finalement militer
pour son peuple et sa culture. Dans le cas de Samian, la situation est d’autant plus
complexe qu’il doit se positionner face à un Québec majoritairement francophone, mais
minoritaire en Amérique du Nord, qui veut aussi protéger sa langue.
9.5 Une musique en phase avec le contexte autochtone
Nous constatons donc que le rap peut bien s’adapter au contexte autochtone que ce soit
pour décrire la réalité des autochtones, ou pour aider certains à trouver une voie
professionnelle. Cette utilisation du rap permet l’émancipation et l’expression de soi qui
peuvent passer par l’utilisation d’une langue autochtone ou bien de formes musicales plus
traditionnelles. Samian mélange ainsi son du tambour et musique techno, ou fait appel à la
danse traditionnelle, tout en exprimant son appartenance à l’époque actuelle en faisant
référence au contexte urbain. C’est aussi à partir de sa propre histoire qu’il aborde les
problèmes vécus par les Autochtones en général, comme dans Ma réalité où il dit : « On
m’a pointé du doigt / traité de bon à rien / aujourd’hui c’est moi qui te vois / mais qu’est-ce
que je te dois? / j’te dois rien! ».
Sans cet article, je visais à rendre compte de ce qui est propre à Samian et au rap
autochtone. J’ai ainsi tenté de mettre en lumière les différents éléments particuliers à cette
forme musicale populaire adaptée au contexte autochtone. Je me suis intéressée à ce que
signifiait l’authenticité pour les Autochtones en abordant la question de la langue et de la
problématique identitaire que souligne bien Samian en parlant de son identité métisse. J’ai
aussi abordé la question de la langue et de l’affiliation identitaire pour constater que les
Autochtones expriment leur authenticité en choisissant de chanter dans leur langue, tout
en exprimant une réalité qui leur est propre, même si elle ressemble à celle des jeunes
afro-américains vivant dans des ghettos urbains.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
40
SECTION 9 : LE RAP AU SERVICE DE L’AFFIRMATION IDENTITAIRE ET
CULTURELLE : L’EXEMPLE DE SAMIAN,
RAPPEUR ALGONQUIN
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L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
42
SECTION 10 : LA DANSE ET SON IMPACT SOCIOCULTUREL
CHEZ LES AUTOCHTONES
La danse et son impact socioculturel chez les Autochtones Section 10 :
MÉLISSA-ANNE LEDUC, CANDIDATE À LA MAÎTRISE
ÉCOLE DE SERVICE SOCIAL, UNIVERSITÉ D’OTTAWA
10.1 Introduction
L’expression corporelle est la forme de communication la plus ancienne au monde. Tout
au long de la préhistoire et avant la découverte de la communication verbale, les gens
communiquaient par gestes. Chaque nation possédait ses propres danses et avait
plusieurs raisons pour danser. La danse pouvait être utilisée soit sous forme spirituelle ou
de prière, d’élément récréatif ou de divertissement, d’expression de sentiments ou de
guérison. Mais l’élément essentiel de la danse était la possibilité d’exprimer ce qui ne
pouvait pas se dire avec des mots.
The dance breaks down the distinction of body and soul, of
abandoned expression, of the emotions and controlled behavior, of
social life and the expression of isolation, of plan, religion and
battle […] In ecstasy of dance man bridges the chasm between this
and the other world, the realm of demons, spirit, and God. The
dance has become a sacrificial rite, a charm a prayer and a
prophetic vision, it commands and dispels the forces of nature,
heals the sick, links the Dead to the chain of their descendents, it
assures sustenance luck in the chase, victory in battle, in blesses
the field and the tribes. (Espenak 1981)
La danse forme une partie intégrante de tous les groupes amérindiens. Cette forme
d’expression est une partie importante de la vie sociale, religieuse et rituelle des
autochtones. Elle est reconnue comme un moyen d’entrer en contact avec soi-même, pour
transformer certaines énergies, et pour ainsi mieux vivre (Laubin 1989 :10).
Dans les pages qui suivent, nous présenterons une analyse comparative de la danse
traditionnelle et moderne autochtone ainsi que de leurs éléments thérapeutiques. Nous
conclurons enfin en exposant les raisons pour lesquelles il reste important de conserver
ces deux types de danse chez les des Premières Nations.
10.2 La danse traditionnelle
L’utilisation de la nature et des animaux était un des éléments symboliques les plus
connus dans les danses autochtones traditionnelles. Les danseurs exprimaient leur
créativité et les liens qui les unissaient à la terre. Pour certaines nations, l’être humain
n’était pas plus important que l’animal, les plantes, ou le minéral, puisque tous les
éléments de la création avaient le privilège de partager la terre d’une façon égalitaire et
que chacun était responsable de l’un et l’autre. Plusieurs nations croyaient que certains
maux et malheurs étaient causés par le non-respect de la nature et de certaines règles de
conduite. Ainsi, l’utilisation des éléments comme les plantes ou les animaux dans les
danses donnait une occasion aux gens de réfléchir sur le monde qui les entourait et sa
signification spirituelle.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 10 : LA DANSE ET SON IMPACT SOCIOCULTUREL
CHEZ LES AUTOCHTONES
43
Un autre élément essentiel retrouvé dans les danses traditionnelles autochtones était
l’utilisation du masque. En portant un masque, le danseur pouvait s’incarner dans un
démon, un dieu, un caractère mystique, un animal. De plus, un grand nombre de nations
utilisaient les masques comme un élément guérisseur dans les danses.
10.3 Les éléments bénéfiques de la danse
La danse traditionnelle avait plusieurs répercussions émotionnelles et sociales chez les
cultures autochtones. D’une perspective psychosociale, les danses traditionnelles
permettaient aux gens de se rencontrer et de partager certains éléments en commun. Elle
permettait de promouvoir la solidarité et le respect, d’élargir le réseau social et de
conserver le contact avec la communauté, de partager des biens, de développer un
sentiment d’appartenance chez l’individu et de donner un sens à la vie.
Sur le plan spirituel, la danse a toujours permis aux gens de créer une connexion entre le
soi intérieur, physique, spirituel et affectif, en portant une attention particulière à la nature
et en reconnaissant l’importance du respect de celle-ci. L’homme devenait en harmonie
avec son entourage ainsi qu’avec lui-même. De plus, la danse permettait de comprendre
l’importance du respect et de la reconnaissance. Ainsi, le mouvement apaisait et avait
ainsi un impact positif sur la santé mentale et physique des Amérindiens.
10.4 Les années 1880-1940
Les cultures autochtones ont évolué au cours des cent dernières années. Par ailleurs, la
suppression des traditions des peuples des Premières Nations a engendré plusieurs
discriminations au courant de l’histoire en Amérique du Nord. Ainsi, pour mieux
comprendre la situation culturelle des Autochtones d’aujourd’hui, il est important de
rappeler les sanctions criminelles infligées aux cultures et politiques autochtones. La
première disposition à ce sujet fut créée en 1880, alors que le gouvernement canadien
interdit les cérémonies traditionnelles des danses d’hiver, du soleil, du bison et plusieurs
autres (Moss et Gardner-O’Tool 1991). Pour les Autochtones, la danse n’était pas
seulement un élément culturel et spirituel, mais avait aussi une place dans leur univers
politique. Ces cérémonies leur permettaient d’affirmer leurs pouvoirs et leurs identités, de
renforcer l’ordre social ainsi que de reconnaître le droit à la propriété, la succession et le
transfert de propriété. Pour les populations non autochtones, ces traditions étaient
considérées comme des symboles de tribalismes, symboles inacceptables à leurs yeux. À
la suite de ce règlement, une autre disposition visant toutes les danses indigènes à
l’extérieur des réserves fut adoptée en 1914 (Moss et Gardner-O’Tool 1991).
C’est avec ce sentiment de suppression totale que les individus des Premières Nations
vécurent pendant plus de 75 ans. Ils virent disparaître plusieurs tribus, langues et
traditions autochtones. Les populations non autochtones n’avaient qu’un objectif : les
convertir et les assimiler aux coutumes et aux traditions non autochtones.
10.5 Les mouvements de 1960 : de nouveaux départs
Quelque temps après la Deuxième Guerre mondiale, la montée de l’anticolonialisme a
sensibilisé la population canadienne à la situation autochtone. Les Canadiens d’origine
européenne ont commencé à constater que les objectifs d’assimilation n’avaient pas eu
les répercussions désirées (Laubin1989). Avec le temps, la perception par rapport aux
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
44
SECTION 10 : LA DANSE ET SON IMPACT SOCIOCULTUREL
CHEZ LES AUTOCHTONES
autochtones a changé et la société non autochtone a pris conscience de l’ampleur des
catastrophes politiques des 75 dernières années.
The American Indian Movement, créé en 1968, est rapidement devenu une force militante
pour les droits des peuples indigènes de l’Amérique (Leuthold 1998). La création en 1969
du Red Power Movement quant à elle a eu un grand impact sur la préservation de la
culture et des arts autochtones. Après avoir subi les répercussions de centaines d’années
de négligence et d’exclusion sociale, un groupe d’étudiants indigènes s’est rassemblé afin
de se battre pour récupérer leurs terres. Au même moment, la jeunesse autochtone s’est
tournée vers les aînés pour réapprendre les traditions, les pratiques spirituelles, les façons
de s’habiller, les différentes danses et expressions artistiques.
Il existe toujours, au XXe siècle, un besoin urgent de modifier et de revoir certains
systèmes légaux, politiques et sociaux concernant des Premières Nations. Malgré la
discrimination, les préjugés et les inégalités dont ces peuples sont actuellement victimes,
la situation autochtone s’est tout de même grandement améliorée depuis les années 1960.
Cette amélioration est entre autres attribuable aux arts d’expressions, pratiqués à travers
l’Amérique du Nord.
10.6 La danse autochtone aujourd’hui
Le terme « danse moderne » fut amené par le Dr Charlotte Heth, ethnomusicologue
d’origine cherokee. Alors que les Autochtones étaient en constante évolution, le Dr Heth
nota l’importance de créer un nouveau paradigme par rapport à la danse. Un des
changements principaux affectant les groupes des Premières Nations fut la fusion des
tribus. On retrouvait une amalgamation des différents groupes autochtones qui parta-
geaient différents rituels, symbolismes et traditions. De plus, depuis les années 1960, les
Autochtones utilisaient la danse, le théâtre et les médias pour s’exprimer (Wilmer 2009).
Une des caractéristiques principales de la danse moderne autochtone est la modification
des danses traditionnelles afin de satisfaire le public. Tout d’abord, les danses modernes
autochtones sont beaucoup moins longues. De plus, on changea les chorégraphies afin
d’éliminer les pouvoirs spirituels et de guérison, parties jugées sacrées pour les cultures
autochtones (Payton 2006). Ces éléments ne devaient pas être utilisés dans le simple but
de divertir. Ainsi, plusieurs danses sont modifiées pour répondre aux attentes du public
tout en ne négligeant pas les fondements de base de la danse des Premières Nations tels
que le respect de l’environnement et l’honneur des familles (Payton 2006).
Par ailleurs, on dit que le plus grand défi d’un danseur moderne autochtone est la critique
du public autochtone : « Our fellow Natives are our biggest critics. If we alter the
choreography too much we will be criticized as not right. If we don’t alter it enough we
dishonor what is holy » (Payton 2006 : 50).
10.7 Les pow-wow et autres événements culturels
Lors des pow-wow, les peuples indigènes peuvent partager leurs différences. Ils sont
particulièrement importants dans les communautés urbaines, puisque les citadins
autochtones sont souvent victimes d’isolation et de préjugés de la part du reste de la
société (Leuthold 1998). Lors des pow-wow, les autochtones ont l’occasion d’affirmer leurs
identités et de présenter leurs variétés culturelles, offrant un symbole de résistance à
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 10 : LA DANSE ET SON IMPACT SOCIOCULTUREL
CHEZ LES AUTOCHTONES
45
l’assimilation à la culture dominante. De plus, ces événements permettent aux individus
d’interpréter de nouvelles danses qui représentent un peu plus leur réalité d’aujourd’hui.
En s’inspirant des danses traditionnelles et du contact de la nature et des animaux, les
nouvelles générations autochtones expriment leurs propres réalités sociales à travers le
mouvement. Ceci fait partie aussi des nouvelles formes de danse moderne autochtone.
Chaque année, le 21 juin, les Autochtones du Canada fêtent la Journée nationale des
Autochtones afin de célébrer l’héritage, la diversité culturelle et les exploits remarquables
des peuples indigènes du pays. Grâce à cet évènement, les Canadiens ont la chance
d’apprendre davantage au sujet des traditions autochtones et de leurs contributions au
développement et à la progression du pays (Timeandate.com : en ligne).
10.8 Le maintien des traditions
Il est évident que la situation autochtone actuelle est très différente de celle du passé. Par
contre, je crois fortement qu’il faut assurer la conservation des danses traditionnelles.
Puisqu’elle offre une forme d’expression authentique, la danse traditionnelle permet aux
peuples des Premières Nations de maintenir leurs mœurs, leurs valeurs, leurs croyances
et leurs coutumes. Ces valeurs ont pu leur permettre de bâtir des sociétés fonctionnelles
avec des politiques, des idéologies et un savoir-vivre exemplaire. Ces coutumes ont
permis aux peuples autochtones de se créer une identité et une conscience de soi. Aussi,
je crois qu’il est extrêmement important de conserver la danse traditionnelle autant que la
danse moderne chez les populations autochtones puisqu’elles permettent l’épanouisse-
ment d’une culture marginalisée par une société dominante. Parce que cette culture a fait
l’objet de plusieurs injustices et a dû se soumettre à plusieurs contraintes lors des siècles
derniers, elle possède un grand besoin de retrouver sa place dans la société nord-
américaine. En participant à des événements artistiques, les peuples indigènes ont la
chance de se retrouver en tant qu’individus et en tant que nations.
10.9 La danse et la guérison
Auparavant, les Autochtones utilisaient la danse dans presque toutes les sphères de leurs
vies : spiritualité, guérison, solidarité, regroupement. Ils pratiquaient le mouvement pour
célébrer chaque événement de la vie – honorer une naissance, l’entrée à l’adolescence, le
mariage et la mort. Ils dansaient pour partager leurs reconnaissances envers la nature et
pour représenter leurs liaisons avec cette dernière. (Laubin 1991) Ils utilisaient également
la danse comme méthode thérapeutique pour guérir les douleurs physiques et
émotionnelles. La danse était un moyen de rassemblement en moment de guerre et de
célébration. La danse favorisait la solidarité sociale, alors que ces rassemblements
avaient comme objectif d’établir un lien entre individus.
De plus, j’ai pu conclure que la danse traditionnelle permettait et permet encore aux
Autochtones de vivre et de mieux comprendre leurs émotions. Ces danses rituelles
permettent de développer des perspectives par rapport à leur vie et à leur réalité sociale.
Sans le savoir, depuis des centaines d’années, les Autochtones ont canalisé leurs
problèmes et leurs souffrances à l’aide de la danse. Cette méthode thérapeutique a vu le
jour dans les années 1940 dans les pays occidentaux.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
46
SECTION 10 : LA DANSE ET SON IMPACT SOCIOCULTUREL
CHEZ LES AUTOCHTONES
De son côté, la danse moderne autochtone a un tout autre objectif : sensibiliser les
cultures non autochtones aux traditions et aux cultures autochtones. Les pow-wow
permettent de promouvoir une solidarité sociale puisque les participants ont la chance de
rencontrer d’autres individus qui ont dû vivre des situations semblables, recréant un
sentiment d’appartenance. Grâce à ces différentes formes de danses et de représenta-
tions, les Canadiens et le reste de l’Amérique du Nord ont maintenant la chance de mieux
comprendre les situations comme l’exclusion sociale, le racisme et la discrimination que
ces gens ont vécues pendant plusieurs centaines d’années. En continuant de promouvoir
les danses autochtones modernes, plusieurs effets positifs sur le plan social en résulteront
chez les Autochtones.
Selon les éléments de recherche présentés dans ce travail, je crois qu’il est primordial de
conserver les deux types de danses puisqu’elles ont chacune une place et un impact
favorable pour les sociétés autochtones et non autochtones au Canada et aux États-Unis.
Les deux formes de danse ont une répercussion sur la pensée, le corps et la spiritualité
des autochtones. Ces trois notions sont les concepts de base en thérapie par la danse et
le mouvement. Dans son élément curatif, la danse permet de favoriser une intégration
émotionnelle, cognitive, psychique et sociale en amalgamant la pensée, le corps et la
spiritualité (Levy 1989).
Le corps répond aux expériences vécues; il a une mémoire exemplaire. Le corps a le
pouvoir d’apporter des réponses là où les mots manquent (Levy 1989). À l’aide du
mouvement, le corps exprime aussi nos attitudes et nos émotions. La philosophie de la
thérapie par la danse et le mouvement est que la danse est innée et que chaque individu a
su danser à un moment ou un autre de sa vie, puis il a oublié à cause de plusieurs
restrictions. Heureusement, les peuples autochtones n’ont jamais oublié de danser. Ils ont
toujours su qu’il était évident que la pensée, le corps et la spiritualité avaient un fort lien.
Les trois fusionnent pour pouvoir aider les Autochtones à s’exprimer, à communiquer et à
s’épanouir.
10.10 Conclusion
Somme toute, les danses traditionnelles et les danses modernes autochtones ont chacune
leur place dans le monde contemporain. Ce travail de recherche et d’analyse comparative
a pu démontrer que la danse autochtone a irrémédiablement changé depuis le dernier
siècle. Toutefois, ces changements n’ont pas remplacé la danse traditionnelle autochtone,
mais ont plutôt permis de créer une nouvelle forme de représentation artistique et sociale.
L’émergence des mouvements sociaux, depuis les années 1960, a permis aux peuples
autochtones de s’épanouir artistiquement et socialement. Ainsi, s’il n’y avait pas eu de
restrictions créées par les lois contre les pratiques rituelles, la danse aurait pu occuper
une plus grande place dans le contexte historique. De plus en plus, nous retrouvons des
troupes de danse moderne autochtone, permettant aux pratiques de se perpétuer à
l’échelle nationale. Toutefois, la danse rituelle traditionnelle est toujours présente chez de
nombreuses tribus à travers l’Amérique du Nord. Les ancêtres autochtones ont su
transmettre leur héritage de la sorte aux générations futures.
Les générations d’aujourd’hui possèdent les outils nécessaires afin de perpétuer ce que
leurs ancêtres vénéraient ainsi que pour créer de nouvelles danses qui représentent leurs
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 10 : LA DANSE ET SON IMPACT SOCIOCULTUREL
CHEZ LES AUTOCHTONES
47
expériences actuelles afin de les aider à s’épanouir. Il est donc important de conserver la
danse traditionnelle autant que la danse moderne autochtone, puisque chacune a des
effets bénéfiques pour les individus autochtones et leurs sociétés.
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SECTION 11 : QUAND L’INTIMISME SE FAIT ACTIVISTE :
BÂTONS À MESSAGE. TSHISSINUATSHITAKANA
DE JOSÉPHINE BACON
Quand l’intimisme se fait activiste : Bâtons à Section 11 :
message/Tshissinuatshitakana de Joséphine Bacon
PASCALE MARCOUX, CANDIDATE À LA MAÎTRISE EN ÉTUDES LITTÉRAIRES
UNIVERSITÉ LAVAL
En 2009, l’artiste innue Joséphine Bacon publiait son premier recueil de poésie, Bâtons à
message/Tshissinuatshitakana, une œuvre entièrement bilingue. Tous les poèmes y sont
en effet présentés en deux versions, soit en innu et en français. Dans le cadre d’une
réflexion sur l’évolution des diverses formes d’activisme autochtone, interroger une œuvre
comme Bâtons à message/Tshissinuatshitakana nous semble tout à fait à propos.
Manifestement – et presque inévitablement –, le texte est traversé par ce que Maurizio
Gatti appelle « les thématiques amérindiennes » (2006 : 149), au sens où l’écrivaine
choisit de préconiser des thèmes également abordés par la plupart des auteurs
amérindiens : les poèmes mettent en mots la hantise de l’assimilation, la tentative de
redéfinition d’une identité en crise et les traumatismes associés à la colonisation et à la vie
dans les pensionnats, notamment. Le recueil de Bacon apparaît donc, sur le plan
thématique, assez conforme à la majorité des textes qui forment, à ce jour, la littérature
amérindienne au Québec.
Pourtant, Bâtons à message/Tshissinuatshitakana ne s’inscrit guère dans la lignée de ces
œuvres saturées de positions idéologiques, empreintes de colère et porteuses de charges
revendicatrices violentes et explicites. Certes, Bacon rend compte de la situation de son
peuple, mais elle laisse de côté la dénonciation pure pour s’exprimer dans un registre plus
interrogateur, plus subtil. En réalité, les différentes thématiques mises de l’avant dans
l’œuvre sont abordées avant tout par le biais de l’expérience intime et singulière de la
poétesse. Ainsi, le « je » poétique, qui se sent par moments perdu, désorienté, coupé de
ses racines, entreprend une véritable quête identitaire, laquelle se traduit par un ardent
désir de renouer avec la culture de ses ancêtres nomades, de retrouver quelque chose du
passé traditionnel, de créer et de maintenir un lien fort avec cette culture. Toutefois, la
quête identitaire, aussi personnelle, aussi viscérale soit-elle au départ, demeure toujours
étroitement liée aux concepts d’identité et de culture collective. Celle qui cherche à se
rapprocher, à s’imprégner de cette culture traditionnelle collective en vient littéralement à
décrire les pratiques culturelles et spirituelles de ses ancêtres :
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 11 : QUAND L’INTIMISME SE FAIT ACTIVISTE :
BÂTONS À MESSAGE/TSHISSINUATSHITAKANA
DE JOSÉPHINE BACON
49
TSHISHIKUSHKUEU
Femme de l’espace,
ce matin, j’ai revêtu
ma plus belle parure
pour te plaire
tu guideras
mes raquettes ornées
de l’unaman de mes ancêtres.
Mes pas feutrés
touchent avec respect
cette neige bleue
colorée par le ciel
l’étoile de midi
me conduit à Papakassik
où m’attend la graisse
qui élève le chant de mon héritage
quand je pile les os.
(JB-12)
Ainsi, bien que le poème semble de prime abord raconter une expérience individuelle – le
périple d’une femme allant à la rencontre des esprits de la nature –, il finit par mettre en
scène les coutumes de tout un peuple. Bacon y évoque des figures importantes de la
mythologie innue, les gestes rituels et les symboles qui sont associés à leur culte. Elle
suggère également tout le respect que vouent, traditionnellement, les Amérindiens à la
nature. Le récit de l’événement intime en vient donc à outrepasser les frontières de
l’expérience singulière; le texte finit par mettre en relief un bagage culturel bel et bien
collectif.
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
50
SECTION 11 : QUAND L’INTIMISME SE FAIT ACTIVISTE :
BÂTONS À MESSAGE. TSHISSINUATSHITAKANA
DE JOSÉPHINE BACON
Un phénomène semblable se produit lorsque la poétesse s’interroge sur le mode de vie
des Innus d’aujourd’hui :
Dans ce texte, la transition entre l’énonciation à la première personne du singulier et
l’énonciation à la première personne du pluriel se fait de façon tout à fait naturelle, et ce
dès la première strophe. D’abord, la poétesse semble ressentir un appel, comme si la
nature l’invitait, en quelque sorte, à investir le territoire des ancêtres nomades et à renouer
avec le mode de vie traditionnel. Rapidement, cet appel débouche cependant sur un
constat beaucoup plus large et sur un questionnement qui concerne désormais un
« nous », c’est-à-dire l’ensemble du peuple innu. Par conséquent, tout se passe comme si
la situation du « je » poétique – lequel prend conscience de l’écart existant entre son
mode de vie et celui de ses aïeuls –, devenait représentative et révélatrice de celle de tous
les Innus. Qui étions-nous? Qui sommes-nous devenus? Que signifie, au XXIe siècle, être
Innu? Pouvons-nous encore prétendre appartenir à cette nation? Le poème de Bacon
soulève toutes ces questions. Voilà pourquoi, à notre avis, la poésie de cette artiste, aussi
intimiste puisse-t-elle paraître de prime abord, n’en demeure pas moins engagée.
Toujours, un pont entre le privé et le collectif, entre le privé et le politique même – au sens
large du terme –, semble s’établir dans le recueil.
En outre, en mettant en scène une femme qui tente de se réapproprier une part de la
culture ancestrale innue, Bacon s’engage à transmettre les idées et les valeurs de ses
aïeuls, à faire circuler les connaissances, les croyances et les récits propres à la culture
On semble m’appeler
à monter dans le bois,
Là-bas, à l’intérieur des terres,
notre terre.
Il y a si longtemps
que je n’ai vu l’Innu
passer en traîneau,
semble-t-il me dire.
Il y a si longtemps
que je n’ai entendu
le son du tambour,
semble-t-il me dire.
Où sont donc passés
les Innus?
(JB-70)
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
SECTION 11 : QUAND L’INTIMISME SE FAIT ACTIVISTE :
BÂTONS À MESSAGE/TSHISSINUATSHITAKANA
DE JOSÉPHINE BACON
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traditionnelle. À cet égard, si le poème imprimé dans le rabat de la page couverture fait
sourire, c’est que la poétesse s’y désigne comme la « survivante d’un récit / qu’on ne
raconte pas » (JB-82). Or, force est d’admettre que ce « récit qu’on ne raconte pas » est
bel et bien raconté dans le recueil! Bacon livre, au fil des pages, une part de l’histoire
innue; elle devient, au moyen de son entreprise créatrice, « gardienne de la langue » et
« chargée de poursuivre [la] parole » (JB-112). Par conséquent, son œuvre, sur le plan
symbolique, s’inscrit tout à fait dans la tradition de passation de la parole qui était si
importante chez les nomades. Le titre de son recueil fait d’ailleurs directement référence à
la culture traditionnelle. Les « bâtons à message », sorte de signes visuels, étaient,
à l’origine, laissés en chemin par les nomades, et ils leur permettaient de communiquer
avec les membres des autres communautés. Ils offraient « des occasions d’entraide et de
partage », explique Bacon, dans l’avant-propos du recueil, et, « à travers eux, la parole
était toujours en voyage » (JB-7). Au final, le texte de Bacon, qui perpétue la mémoire et la
parole des ancêtres, apparaît donc, au même titre que ces signes visuels, comme un
véritable bâton à message. Dès lors, le lecteur comprend que la parole, pour avoir une
résonnance, pour trouver un écho, doit être transmise, voyager et, à l’instar des aïeuls,
être une parole nomade :
Accompagnez-moi pour faire marcher la parole,
la parole voyage là où nous sommes,
suivons les pistes des ancêtres pour ne pas nous égarer,
parlons-nous…
(JB-8)
Bacon tend donc la main au lecteur, autochtone ou non; elle le convie, par la lecture de
l’œuvre, à découvrir la culture ancestrale, à faire voyager, à son tour, les « messages ».
Une telle démarche suggère également, il nous semble primordial de le souligner,
l’immense pouvoir de la littérature et de la communication poétique. En effet, c’est bel et
bien la poésie que choisit Bacon au moment où elle doit trouver le moyen de continuer à
faire « marcher la parole » : « Nous sommes un peuple de tradition orale. Aujourd’hui,
nous connaissons l’écriture. La poésie nous permet de faire revivre la langue du nutshimit,
notre terre, et à travers les mots, le son du tambour continue de résonner. » (JB-8) La
littérature, écrite désormais, assure donc une forme de survie à la culture innue. Le tout
dernier poème du recueil évoque d’ailleurs la pérennité :
Quand une parole est offerte,
elle ne meurt jamais.
Ceux qui viendront
l’entendront.
(JB-130)
L’ACTIVISME AUTOCHTONE : HIER ET AUJOURD’HUI
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SECTION 11 : QUAND L’INTIMISME SE FAIT ACTIVISTE :
BÂTONS À MESSAGE. TSHISSINUATSHITAKANA
DE JOSÉPHINE BACON
La parole, les mots, peuvent continuer à voyager, et ce même après que ceux qui les
eurent proférés soient morts ou disparus. Les mots traversent et abolissent, en quelque
sorte, les frontières de la mort, les frontières du temps, et, au moment où tombe la strophe
finale, le lecteur comprend que l’artiste a la certitude que le message transmis allait
trouver un écho, comme si le projet poétique allait finalement porter fruit.
En définitive, l’œuvre de Joséphine Bacon apparaît donc comme une véritable prise de
parole. Certes, le ton n’y est pratiquement jamais violent ou revendicateur, mais l’artiste
arrive tout de même à préserver une part de son héritage culturel, à en suggérer la
richesse et l’envergure. En revisitant les récits ancestraux, en transmettant les idées et les
valeurs de ses aïeuls, elle marque la pérennité de la culture traditionnelle innue. Toutefois,
en mettant au jour un mode de vie, un questionnement identitaire régis par des
paramètres socioculturels renouvelés, elle en vient également à rendre compte de la
métamorphose de la culture innue. Autrement dit, Bacon arrive à préserver, à défendre sa
culture, tout en mettant en relief sa mouvance. À ce titre, elle apparaît donc à la fois
comme une « gardienne de la langue », « chargée de poursuivre [la] parole » (JB-112), et
comme une véritable actrice de cette culture en mutation.
Bibliographie
BACON JOSÉPHINE. 2009. Bâtons à message/Tshissinuatshitakana. Montréal :
Mémoire d’encrier, Poésie.
GATTI MAURIZIO. 2006. Être écrivain amérindien au Québec : indianité et création littéraire.
Montréal : Hurtubise HMH.