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math´ematique
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1
Article
L’utilisation de matériel
en classe de mathématiques au primaire :
quelques réflexions sur les apports possibles
Claudia Corriveau, Université Laval
claudia.corriveau@fse.ulaval.ca
Doris Jeannotte, Université du Québec à Montréal
jeannotte.doris@uqam.ca
Résumé
L’utilisation de matériel de manipulation en mathématiques est une pratique bien ancrée
dans les classes du primaire au Québec. L’apport de matériel est alors abordé du point de
vue d’une dualité concret/abstrait : il permettrait de concrétiser les mathématiques. À
travers la présentation d’un jeu et des raisonnements mathématiques d’une élève, ce texte
offre une façon différente d’envisager son utilisation. Les mathématiques faites à l’aide
d’un matériel de manipulation sont vues comme façonnées par celui-ci : dans le cas du jeu,
nous montrons que l’activité mathématique est difficile, voire impossible sans lui, et par
l’analyse des raisonnements mathématiques d’une élève, nous montrons que son activité
mathématique est colorée par les différents matériels utilisés.
Mots-clés : Matériel de manipulation, raisonnement mathématique, primaire, numération.
Introduction
Plusieurs recherches montrent que l’utilisation de matériel a un effet positif sur la réussite
des élèves en mathématiques (Gürbüz, 2010[
10
], Sherman et Bisanz, 2009[
34
], Ojose et Sex-
ton, 2009[
27
]). Par exemple, l’utilisation de matériel faciliterait la résolution de problèmes
(Medici, Ricci et Rinaldi, 2007[
21
]), favoriserait le processus de pensée en mathématiques et
la compréhension de certains concepts comme celui de division (Hoover, 2012[
11
]), celui du
positionnement dans notre système de numération (Paris et Grinyer, 2013[
30
]), ou encore celui
du concept de fraction (Burns et Hamm, 2011[4], Westenskow, 2011[36]).
32 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
Textes du 58econgrès
c
Association mathématique du Québec
L’idée d’utiliser du matériel de manipulation dans la classe de mathématiques est loin d’être
nouvelle. Piaget[
31
] affirmait en 1964 que les enfants du primaire n’ont pas atteint la maturité
nécessaire pour comprendre des concepts mathématiques abstraits, notamment présentés
symboliquement, et ont besoin, au moment de leur apprentissage, de passer par l’utilisation de
matériel de manipulation et par des représentations concrètes (comme des dessins). À partir
des années 1970, sous l’influence des théories du développement cognitif de Piaget, plusieurs
programmes du primaire ont reconnu ce besoin. C’est le cas au Québec où les réflexions menées
par le Conseil supérieur de l’Éducation [CSE] ont reconnu l’importance d’utiliser du matériel pour
l’apprentissage des mathématiques (CSE, 1985[
5
]). Soutenue par les théories contemporaines
du développement cognitif (McNeil et Jarvin, 2007[
19
]), l’utilisation de matériel est dorénavant
bien ancrée dans l’enseignement des mathématiques au primaire (Moyer, 2001[
23
]). Au Québec,
l’importance de cette utilisation est d’ailleurs mentionnée dans la description de la compétence
Raisonner à l’aide de concepts et de processus mathématiques du programme de formation;
pour favoriser le développement de cette compétence, on recommande que « l’élève utilise
prioritairement du matériel de manipulation [...] » (MEQ, 2006, p. 128[22]).
Si l’importance d’utiliser du matériel de manipulation en mathématiques semble reconnue dans
les avis et documents institutionnels, tout comme par diverses études menées auprès des élèves,
les manières de l’utiliser en contexte d’enseignement restent toutefois floues. Autrement dit, il
n’y a pas d’indication claire quant aux manières de l’utiliser en classe. Des chercheurs, comme
Puchner, Taylor, O’Donnell et Fick invoquent la nécessité de s’interroger sur cette utilisation et
mentionnent que « [...] les enseignants ont besoin d’accompagnement dans la prise de décision
concernant l’utilisation de matériel de manipulation, notamment lorsqu’il est question de savoir
quand et comment l’utiliser avec les élèves, mais aussi en considérant comment cette utilisation
peut les aider et aider leurs élèves à s’engager dans une pensée mathématique » (2008, p. 323,
traduction libre [
33
]). En effet, le besoin d’accompagnement se fait sentir dans le milieu de
l’enseignement primaire. Comme le suggère le questionnement des enseignants avec qui nous
collaborons pour le projet MathéRéaliser, l’utilisation de matériel en classe ne va pas de soi, ni
pour eux, ni pour leurs élèves : comment intégrer ce matériel pour faire des mathématiques
avec les élèves? quelles activités proposer aux enfants? comment faire des mathématiques
en utilisant du matériel avec les élèves? comment l’élève peut-il possiblement se détacher du
matériel pour faire des mathématiques ?
Ces questions nous sont apparues importantes. Et pour y réfléchir, nous avons décidé d’élaborer,
en collaboration avec les enseignants, des tâches mathématiques nécessitant l’utilisation de
matériel comme prétexte pour réfléchir à ces questions. Dans ce texte, nous nous attardons
principalement à la question suivante : comment envisager le matériel de manipulation en classe
de mathématiques? Pour apporter certains éléments de réponse, nous présentons des éléments
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –33
de réflexion issus de cette collaboration qui permettront d’éclairer l’utilisation de matériel à
partir des apports possibles en terme de raisonnement (au sens de Jeannotte, à paraître [
13
]) :
d’abord par l’analyse du rôle du matériel dans un jeu élaboré conjointement, et ensuite par
l’analyse du rôle du matériel dans les raisonnements d’une élève résolvant un problème. Mais
avant, revenons sur ce qu’on entend par matériel de manipulation et sur ce qui en est dit dans
les documents ministériels.
1 Le matériel de manipulation et le programme de for-
mation
« Par matériel de manipulation, nous entendons qu’il s’agit d’objets visuels et tactiles, qui
peuvent être manipulés par les élèves pour faire des mathématiques (Moyer, 2001 [
23
]). » Il
peut s’agir de matériel didactique commercial (les abaques, les blocs multibases, les centicubes,
etc.) ou de matériel maison construit par les enseignants. Dans le programme, on ne décrit pas
exhaustivement les différentes caractéristiques du matériel à utiliser avec les enfants, tâche qui
pourrait s’avérer difficile. La plupart du temps, le matériel est évoqué de manière très générale
et sans grande précision. Dans la progression des apprentissages, on fait allusion au matériel
(nous soulignons) :
La mathématique est une science et un langage dont les objets d’étude sont abstraits.
[...] Ainsi, l’enseignante et l’enseignant proposent aux élèves diverses activités
d’apprentissage qui les amènent à réfléchir, manipuler, explorer, construire, simuler,
discuter, structurer ou s’entraîner, et qui les aident à s’approprier des concepts, des
processus et des stratégies. Ces activités leur permettent
d’utiliser des objets, du
matériel de manipulation, des références et divers outils ou instruments
.
Elles les amènent aussi à faire appel à leur intuition, à leur sens de l’observation,
à leurs habiletés manuelles ainsi qu’à leur capacité de s’exprimer, de réfléchir
et d’analyser, actions essentielles au développement des compétences. Les élèves
peuvent établir des liens, se représenter des objets mathématiques de différentes
façons, les organiser mentalement, arrivant ainsi progressivement à l’abstraction
(MELS, 2009, p. 3 [20]).
Ces documents précisent davantage le matériel à utiliser lorsqu’il est plus particulièrement
question de numération : il est mentionné que l’élève doit progresser à travers la notion de
groupements, celle d’échanges et celle de valeur de position à l’aide de matériel de manipulation
approprié. Dans la déclinaison plus précise du travail sur la représentation des nombres naturels,
le programme reprend une description du matériel selon les trois grands types de matériel de
34 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
manipulation (voir aussi Poirier, 2001 [
32
]). Ci-dessous, nous présentons une courte description
de ces trois types :
–Matériel aux groupements apparents et accessibles
(1
er
cycle) : les unités sont visibles
dans les groupements subséquents (dizaines, centaines, etc.) et accessibles, c’est-à-dire que
l’on peut par exemple défaire une dizaine en dix unités.
Figure 1 – Matériel aux groupements apparents et accessibles
–Matériel aux groupements apparents et non accessibles
(2
e
cycle) : les unités sont
aussi visibles dans les groupements subséquents (dizaines, centaines, etc.); cependant, elles
ne sont plus accessibles. Autrement dit, la dizaine ne se défait pas en dix unités, il faudra
échanger la dizaine pour dix unités si on veut la transformer.
Figure 2 – Matériel aux groupements apparents et non accessibles
–Matériel symbolique
(3
e
cycle) : on ne voit pas les groupements et ils sont, par conséquent,
non accessibles. Les abaques, la monnaie, les jetons constituent des exemples de matériel dit
symbolique.
Figure 3 – Matériel symbolique
Bien que la logique de cette classification du matériel soit aisément compréhensible, il nous
semble qu’elle est beaucoup trop simplifiée par rapport à ce qui peut en être retiré, au regard
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –35
notamment du raisonnement mathématique. La proposition mise de l’avant dans le programme
laisse à penser que le matériel permettrait de développer progressivement une compréhension
du concept de numération, en « occultant », dans le passage d’un matériel à l’autre, certains
principes liés à la numération (groupement, valeur de position et échange). Les élèves passent
alors d’une représentation matérielle supposée concrète (des groupements dont la valeur est
visible, que l’on peut faire ou défaire) à une représentation matérielle supposée plus abstraite
(des groupements que l’on ne voit plus, dont la valeur est symbolique et que l’on doit transformer
lorsqu’il est question d’échanges). Or, aucune justification n’est donnée dans le programme qui
permettrait de comprendre le rationnel sous-tendant ce choix. D’une part, il n’y a pas, à notre
connaissance, de recherches appuyant ce choix; d’autre part, certains livres de référence en
formation, comme celui de Van de Walle (2007 [
35
]), suggèrent de ne pas utiliser l’abaque dans
les premières années du primaire en mentionnant qu’il « ne permet pas de mieux comprendre
la relation entre les différentes positions » (p.133). Ceci ne signifie pas pour autant qu’il faille
s’en tenir au premier cycle à du matériel dont les groupements sont dits « accessibles » et
« apparents ». De même, certains chercheurs comme Poirier (2001 [
32
]) mentionnent que le choix
du matériel dépend de la notion étudiée, sans faire de proposition relative au niveau scolaire
des enfants. En plus, ces trois catégories de matériel ne regroupent certainement pas l’ensemble
du matériel pouvant être utilisé pour travailler la numération. Il serait alors nécessaire de mieux
comprendre l’activité mathématique des élèves lorsque du matériel de manipulation est en
jeu. Les choix seraient alors mieux éclairés. Autrement dit, est-ce que faire des mathématiques
avec ces différents matériels renvoie nécessairement à une même activité qui serait plus ou
moins concrète selon celui utilisé? Est-ce que l’idée de « concrétiser » les mathématiques est
nécessairement liée au type de matériel?
Rappelons que, dans le programme, les suggestions de matériel à utiliser ne concernent que
la numération. En effet, outre le fait de mentionner qu’il est important d’utiliser du matériel
pour l’apprentissage des mathématiques (pour donner sens aux fractions, pour travailler en
géométrie, etc.), rien n’est suggéré comme matériel. Encore une fois, qu’est-ce que cela signifie
de faire des mathématiques avec du matériel lorsqu’il est question de fractions par exemple?
Le jeu présenté dans la section 3 montre qu’il est possible d’utiliser toutes sortes de matériels
dans la progression des apprentissages et pas seulement ceux qui ont été décrits à la section 1.
Et qui plus est, ce jeu ne constitue pas la version concrète d’une tâche qui pourrait s’exécuter
papier-crayon. À la section 4, à travers l’analyse émergente des raisonnements mathématiques
d’une élève, nous voulons montrer que le type de matériel utilisé pour travailler les fractions
peut façonner l’activité mathématique de celui-ci. Avant de présenter ces analyses, voyons ce que
disent certaines recherches à propos de l’utilisation du matériel et de la dualité concret/abstrait.
36 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
2 L’utilisation de matériel en mathématiques : une ques-
tion de concrétisation ?
En mathématiques, les objets sont abstraits. Plusieurs chercheurs qui se sont intéressés à la
compréhension en mathématiques soutiennent que les élèves accèdent aux concepts mathéma-
tiques par l’entremise de leurs multiples représentations (Dienes, 1969 [
8
]; Janvier, 1987 [
12
];
Duval, 1995 [
9
]). L’utilisation de matériel serait, dans cette perspective, une des représenta-
tions concrètes d’un concept mathématique. L’idée de rendre les mathématiques concrètes est
d’ailleurs très présente dans la littérature à propos du matériel de manipulation.
En effet, cette problématique liée à la dualité concret/abstrait dans l’utilisation d’un matériel de
manipulation a fait l’objet de nombreux travaux : Lesh, 1981 [
17
], Lett, 2007 [
18
], Özgün-Koca
et Edwards, 2011 [
28
]. Par exemple, Lesh (1981 [
17
]) voit dans l’utilisation d’un matériel de
manipulation une manière moins abstraite de raisonner qu’avec les symboles formels mathé-
matiques. Özgün-Koca et Edwards (2011 [
28
]) mentionnent que « le matériel de manipulation
peut servir de pont dans la mesure où il accompagne les élèves dans le passage du concret à
l’abstrait » (p. 390, traduction libre). L’utilisation de matériel de manipulation apporte alors
une réponse à cette problématique liée au caractère abstrait des mathématiques (ex. Lett,
2007 [
18
]). Autrement dit, le matériel rendrait les mathématiques plus « concrètes », ou du
moins donnerait une représentation concrète de concepts abstraits.
Parallèlement, un autre courant de recherche à propos des « mathématiques en contextes »
tend à montrer que les mathématiques sont structurées (Lave, 1988 [16]) par le contexte dans
lequel elles sont faites. Dans cette perspective, il y a donc d’importantes distinctions entre les
mathématiques faites dans différents contextes : par exemple, les mathématiques en contexte non
scolaire, c’est-à-dire développées dans la vie quotidienne (Lave, 1988 [
16
], Nunès, Schliemann et
Carraher, 1993 [
26
]) – rarement faites papier/crayon, mais plutôt à l’oral et avec matériel –
et en milieu professionnel (Noss, Pozzi et Hoyles, 1999 [
25
]) – supportées par différents outils
– ou encore en contexte scolaire, à travers les différents ordres d’enseignement (par exemple
Bednarz, 2006 [
1
], Corriveau, 2007 [
6
], 2013 [
7
]). Or, bien que ces études mettent en évidence
l’aspect
situé
de la connaissance mathématique, Noss (2002 [
24
]) affirme qu’elle est à la fois
abstraite et située
, c’est-à-dire qu’elle permet de découvrir des invariants (abstraction située)
à l’intérieur du même contexte. Il mentionne qu’en contexte professionnel (soins infirmiers,
banques, ingénierie, etc.), les outils et les objets à la disposition des acteurs façonnent leur
activité mathématique, et alors la connaissance mathématique se constitue par le biais de
l’activité mathématique en coordination avec le « bruit » de la situation dans laquelle elle prend
place (ce qui inclut évidemment le matériel à disposition). Comment l’utilisation de matériel
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –37
vient-elle façonner l’activité mathématique des enfants en contexte scolaire?
Les travaux de Westenskow (2011 [
36
]) mettent de l’avant l’affordance
1
des différents matériels
et leur effet sur l’apprentissage. Ceux de Kosko et Wilkins (2010 [
15
]) mettent en évidence que
la communication mathématique développée en contexte d’utilisation de matériel est largement
colorée par celui-ci. Ceci rompt en quelque sorte avec cette dualité concret/abstrait présente dans
de nombreux travaux à propos du matériel de manipulation. En effet, dans une perspective où
les mathématiques se constituent en contexte, peu importe le contexte, faire des mathématiques
avec du matériel ne serait pas une version concrète de ce que c’est de faire des mathématiques
sans matériel, mais une activité mathématique en soi.
Passons maintenant, pour illustrer ceci, à l’analyse d’un jeu nécessitant l’utilisation d’un matériel
(section 3) et ensuite à l’analyse de raisonnements mathématiques d’une élève qui résout un
même problème à l’aide de différents matériels (section 4). Dans le cas du jeu, nous procédons
à une analyse a priori de la tâche mathématique dans le but de mettre en évidence l’apport
du matériel dans celle-ci (et non pas dans l’idée de confronter éventuellement cette analyse à
des analyses a posteriori). Dans le second cas, nous avons procédé à une analyse émergente
(Paillé, 1994 [
29
]) de manière à repérer, à travers l’activité mathématique d’une élève, comment
le matériel façonne les raisonnements utilisés.
3 Un matériel qui façonne une tâche mathématique – Le
jeu des étiquettes
Cette tâche peut être proposée dès le deuxième cycle (3
e
et 4
e
année) et peut être adaptée
et exploitée au troisième cycle, voire même au début du secondaire. On pense souvent que la
numération se travaille au début du primaire et que ce travail est réinvesti lorsque les élèves
apprennent les opérations (algorithmes personnels et conventionnels) au deuxième cycle. Or, le
travail sur la numération se poursuit aussi aux deuxième et troisième cycles.
Ce sont les études de Bednarz et Janvier rapportées dans Grand N dans les années 1980
(Bednarz et Janvier, 1984 [
2
]) qui ont inspiré cette tâche. Nous avons voulu travailler une des
difficultés soulevées par les auteures, notamment celle liée à la « grande insistance mise sur
le passage de l’écriture symbolique du nombre "chiffre, position" à la symbolisation "unités,
dizaines, centaines" ... » (p. 7). Selon Bednarz et Janvier, les élèves considèrent les nombres
comme une suite de chiffres et ont certaines difficultés à prendre en considération la valeur de
1
. Propriété d’un objet à suggérer sa propre utilisation en relation avec un acteur (voir Brown, Stillman et
Herbert, 2004 [3]).
38 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
ceux-ci selon leur position. Par exemple, dans leur étude, Bednarz et Janvier présentent à des
enfants de quatrième année des étiquettes de la façon suivante :
4 unités 4 dizaines 5 unités
Elles rapportent que 41% des élèves de troisième année et 35% de ceux de quatrième année ayant
participé à leur étude proposent le nombre 445 sans égard aux mots « unités » et « dizaines »
écrits sur les étiquettes. Bien que ces auteures aient utilisé des étiquettes comme outil diagnostic
pour déceler des erreurs d’élèves, nous avons voulu reprendre l’idée dans le but d’en faire un jeu.
Nous voulions travailler la numération ou plutôt poursuivre au deuxième cycle le travail sur la
numération, lui donner sens, dans une idée de composition / décomposition de nombres, de
calcul réfléchi (processus de calcul mental), d’opérations, et ainsi aller au-delà, en numération
au deuxième cycle, de la simple traduction, codification, vocabulaire.
3.1 Consignes et règles du jeu
Dans une enveloppe, on retrouve une cinquantaine d’étiquettes (voir annexe A). Quatre à
cinq joueurs se partagent l’ensemble des étiquettes. Chaque joueur reçoit donc une douzaine
d’étiquettes. Un nombre entre 100 et 600 est donné par l’enseignant-e
2
et les joueurs doivent
atteindre, à partir de leurs étiquettes, le nombre donné. Pour travailler le calcul réfléchi, les
élèves ne peuvent pas poser les opérations, autrement dit, les calculs se font mentalement. Par
exemple, à partir des étiquettes suivantes, pour faire le nombre 530, un élève pourrait utiliser 4
centaines, 11 dizaines et 2 dizaines.
5 unités 4 centaines 11 dizaines 2 dizaines 8 unités 18 dizaines
Si le joueur ne parvient pas à l’atteindre, il peut faire des échanges d’étiquettes avec ses
coéquipiers. Cependant, l’élève qui veut échanger une étiquette doit demander la valeur exacte
de l’étiquette dont il a besoin et ne peut faire plus de deux échanges. Ainsi, les élèves sont
amenés à verbaliser leurs échanges le plus judicieusement possible. Lorsque certains joueurs
arrivent à atteindre le nombre, ils peuvent tenter de trouver d’autres façons de l’atteindre.
En effet, le but du jeu est de trouver le plus de façons possibles de composer le nombre. Les
2
. Compte tenu des nombres choisis sur les étiquettes de l’annexe A, il y aura plusieurs combinaisons possibles
si les nombres donnés par l’enseignant se situent dans cet intervalle. Évidemment, d’autres étiquettes pourraient
être générées et par le fait même, d’autres intervalles.
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –39
élèves se valident d’abord en équipe, et l’enseignant qui circule peut aussi assurer une certaine
validation. La vérification officielle se fait par tous les élèves lors du partage des solutions à
l’ensemble de la classe. Les élèves de la classe doivent s’assurer que la solution présentée par
une équipe est acceptable (cela poursuit le travail sur la numération et le calcul réfléchi). Bien
qu’il s’agisse d’un jeu collaboratif (en équipe, les élèves s’entraident) et non compétitif (avec
un gagnant par équipe), l’enseignant peut décider de souligner l’équipe qui a trouvé le plus
de compositions. Il y a plusieurs façons de mener le jeu avec les élèves selon l’intention de
l’enseignant (par exemple, en atelier ou en grand groupe3).
3.2 Le rôle du matériel
D’abord, faut-il le mentionner, ce jeu ne pourrait pas vraiment se faire uniquement à l’écrit.
Bien sûr les élèves peuvent décomposer/recomposer un nombre à l’écrit, mais les contraintes
imposées par le jeu (les étiquettes sont données aléatoirement, elles peuvent être manipulées,
déplacées, choisies, etc.) seraient difficilement transposables.
Selon la classification des matériels présentée précédemment, les étiquettes seraient vues comme
un matériel symbolique. On ne voit pas les groupements (même s’ils sont indiqués) ni les
échanges nécessaires pour reconstituer le nombre. L’aspect positionnel n’est pas transparent
malgré la référence aux unités, dizaines ou centaines. Or, contrairement à l’utilisation de jetons
de différentes couleurs pour représenter les différents groupements (unités, dizaines, centaines,
etc.), la valeur des groupements est explicitée. Par contre, il n’y a pas de correspondance directe
entre un chiffre et une position particulière comme ce serait le cas avec l’abaque (nombre de
billes sur une tige) ou les jetons (un nombre de jetons d’une certaine couleur). Par cette simple
analyse, il est possible de percevoir le large éventail du matériel dit symbolique.
Avec ce matériel, l’enfant tente d’atteindre le nombre voulu en agissant sur les différents
groupements (unités, dizaines et centaines). En effet, dans ce jeu, l’élève ne doit pas seulement
traduire un nombre en termes de groupements, mais doit effectuer des opérations sur ceux-ci. Le
matériel fait en sorte que 18 dizaines, par exemple, ne sont pas systématiquement décomposées
en 180 unités ou encore comme 1 centaine et 8 dizaines. Elles peuvent être jumelées à d’autres
dizaines (par exemple 35 dizaines) pour atteindre un nombre donné de dizaines (par exemple 53
dizaines). De plus, les additions, pour atteindre un nombre, ne sont pas nécessairement menées
comme dans un algorithme écrit (avec retenues). Puisque les étiquettes sont écrites en mots et
que l’élève ne peut les transformer à l’écrit, il pourrait faire des additions d’une manière non
3
. Un enseignant pourrait adapter le jeu (par exemple en en faisant une version à un seul joueur ou en équipe
de deux élèves). Voir Jeannotte, D. et Corriveau, C. (à paraître) [
14
] pour une autre version du jeu (à deux)
dans laquelle le rôle du matériel ne se trouve pas modifié.
40 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
conventionnelle. Par exemple, pour atteindre 536, il pourra commencer par additionner des
dizaines (12 dizaines, 20 dizaines et 9 dizaines), ensuite ajouter une centaine et terminer avec
l’ajout de 26 unités.
Le fait que le matériel soit constitué de plusieurs étiquettes permet une classification de
celles-ci selon différents critères qui permettront à l’enfant de réaliser son calcul à partir de
faits numériques qu’il connaît (tables d’addition, les doubles, les compléments, etc.). Dans
les expérimentations que nous avons menées jusqu’ici, le déplacement, la réorganisation, la
classification des étiquettes est systématique. Autrement dit, les enfants manipulent leurs
étiquettes selon différentes logiques pour arriver au nombre voulu. Nous conjecturons, à cette
étape, que cette manipulation façonne les calculs faits et les stratégies employées. Des analyses
plus poussées permettront de mieux comprendre cette manipulation. En somme, ce matériel
permet un travail sur la numération par le biais du calcul réfléchi.
4 Un matériel qui façonne les raisonnements mathéma-
tiques d’une élève – Le jardin
Avant d’analyser les raisonnements mathématiques d’une élève, nous présentons le problème
qui lui a été proposé. Il s’agit d’un problème traité au troisième cycle du primaire qui a pour
objectif de poursuivre le travail sur le sens de la fraction.
4.1 L’énoncé du problème
L’énoncé qui a été présenté en classe est le suivant : ton voisin veut faire un jardin et y planter
des tomates, des concombres et de la laitue. Il veut accorder la moitié de la superficie aux
tomates et accorder aux concombres une plus grande superficie qu’à la laitue. Il se demande
quelle fraction du jardin réserver à chacun des légumes. Propose-lui deux solutions.
4.2 Le rôle du matériel
L’introduction d’un matériel pour la résolution de ce problème a mené à un questionnement
sur le type de matériel qui peut donner du sens à la notion de fraction. Plusieurs matériels ont
alors été explorés : réglettes Cuisenaire, blocs multibases, matériel maison (cercles et portions
de cercles par exemple), blocs mosaïques et jetons. Chacun permet de gérer le partitionnement
du jardin et une validation du résultat sans passer nécessairement par l’addition de fractions.
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –41
De même, la réalisation du tout de référence ainsi que le partitionnement sont laissés à la
charge de l’enfant. Un matériel particulier est attribué à l’enfant et engage celui-ci dans le choix
de la forme de son jardin, de son découpage, et des fractions qui pourront être utilisées pour
parler des concombres et des laitues (la fraction du jardin réservée aux tomates étant donnée).
Contrairement à la tâche précédente, ce problème peut très bien se faire papier-crayon. Un
schéma pourrait représenter le jardin. Le matériel n’est donc pas nécessaire pour résoudre le
problème. Par ailleurs, selon le matériel utilisé, différentes contraintes peuvent s’imposer. Ici,
l’utilisation de matériel n’est pas envisagée comme permettant de concrétiser le problème, bien
au contraire! Par exemple, certains morcellements sont plus faciles à mettre en place avec les
réglettes qu’avec les blocs mosaïques. Ou encore, la modélisation d’un tout continu (le jardin)
avec des jetons (tout discret) pourrait s’avérer un réel défi d’abstraction. Comment alors ce
matériel, qui n’est pas nécessaire pour résoudre le problème, vient-il façonner les raisonnements
mathématiques d’une élève?
4.3 Deux matériels qui mènent à deux manières de raisonner
Afin d’éclairer le potentiel de l’utilisation du matériel en termes de raisonnements d’élèves, les
prochains paragraphes discutent de la résolution de ce problème par une élève de sixième année
dans le cadre d’une seule entrevue. Deux matériels ont été explorés : les réglettes Cuisenaire et
les blocs mosaïques.
4.3.1 Les réglettes Cuisenaire
Normalement, on s’imagine que le travail sur les fractions à l’aide des réglettes sera régi par
certaines règles. En effet, dans les activités proposées avec ce matériel, on pose habituellement le
tout de référence comme étant une réglette ou une suite de réglettes alignées et l’élève est amené
à construire différentes fractions. La résolution de ce problème à l’aide d’une boîte de réglettes
Cuisenaires a plutôt amené l’élève a reconstituer un tout de forme rectangulaire (similaire
à un jardin). Plusieurs éléments sont à souligner en lien avec son raisonnement. Associant
spontanément une couleur de réglette à un légume (rouge pour les tomates, vert foncé pour
les concombres et vert pâle pour la laitue), l’élève commence par construire la moitié du tout
(les tomates) en utilisant 4 réglettes rouges. Elle tente ensuite de reconstituer le tout. Cette
reconstitution a demandé différents essais : elle utilise les réglettes de couleurs préalablement
choisies, mais s’en dégage finalement pour entrer dans un jeu mathématique où la couleur
n’a plus aucune importance sur la résolution et arrive à une représentation du jardin et un
partitionnement qui la satisfait, en indiquant 5/10 en référence à la demie du jardin (voir
42 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
figure 4).
Figure 4 – Une solution d’élève à l’aide des réglettes Cuisenaire
De manière à répondre aux exigences du problème et à trouver les fractions du jardin réservées
à la laitue et aux concombres, l’élève se réfère à un nouveau partitionnement. Elle aligne une
série de réglettes (la plus petite réglette), visible à côté du jardin sur la figure 4, afin de trouver
une subdivision qui lui permettra de trouver la fraction du jardin occupée par chaque légume.
Elle représente donc une « longueur » de jardin par 10 petites réglettes et peut ainsi reconstituer
l’ensemble du jardin en 80 parties (8
×
10) à partir de l’interprétation de la multiplication
comme une aire (aussi appelée disposition rectangulaire). Ce nouveau morcellement lui permet
de générer les fractions 24/80 et 16/80 (voir figure 4). L’élève cherche ensuite à réduire ses
fractions sans faire référence au matériel.
4.3.2 Les blocs mosaïques
Dans un deuxième temps, nous avons demandé à l’élève si elle pouvait résoudre ce même
problème à l’aide des blocs mosaïques (voir figure 5). Dans ce qui suit, nous verrons qu’elle
solutionne le problème différemment selon le matériel utilisé. Évidemment, à l’échelle d’une
classe, il est prévisible que différents élèves utilisant divers matériels proposent des solutions
distinctes, il nous est apparu encore plus convaincant de montrer qu’une même élève qui effectue
un même problème avec deux matériels différents, n’utilise pas les résultats de sa première
résolution lors de la seconde. Avec un nouveau matériel, elle considère, dans une certaine mesure,
le problème comme s’il était nouveau.
Pour cette élève, l’utilisation de ce matériel a mené d’abord à la constitution du tout pour
ensuite en représenter la demie. Ceci est différent de ce qui a été fait avec le premier matériel
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –43
Figure 5 – Une solution d’élève à l’aide des blocs mosaïques
(elle n’a pas représenté le tout, mais a plutôt débuté en représentant la moitié du jardin). Le
travail sur le morcellement est aussi différent. En effet, il lui a été plus facile de recouvrir le tout
de trois pièces différentes (trapèze, losange et triangle). La demie étant fixée, il fallait ensuite
trouver ce que représentaient les deux autres pièces. La disposition rectangulaire n’étant pas
possible ici, il lui a fallu développer une nouvelle stratégie. Un raisonnement fort intéressant est
alors mis en œuvre par l’élève; elle se réfère à la demie comme à un tout et dit :
Ici, on a le jardin, ici on a la moitié, c’est les tomates. Ici, on a deux fois le vert
(pointe le losange). Alors ça serait un tiers (1/3) de la demie (pointe le triangle).
Alors, ici ça serait 2/3 de la demie (pointe le losange).
D’un point de vue mathématique, la multiplication de fractions (sens opérateur) peut décrire ce
travail. Par contre, l’élève, pour en arriver à affirmer que 1/3 de 1/2 donne 1/6, fait des allers-
retours entre l’écriture (1/3 de 1/2) en cherchant l’opération qu’elle doit faire et le matériel
en se référant au tout et en comparant combien de triangles verts forment l’hexagone jaune.
Elle n’a jamais multiplié de fractions auparavant. Elle est en train de construire le sens de la
multiplication de fractions.
Dans les deux exemples présentés, l’activité mathématique de l’élève est façonnée différemment,
selon le matériel utilisé pour résoudre le problème. Par exemple, les enchaînements effectués
(passer de la demie pour reconstituer le tout avec les réglettes Cuisenaire / passer du tout à
la demie dans le cas des blocs mosaïques), les liens inférés (les fractions sont inférées à partir
d’un nouveau partitionnement avec les réglettes Cuisenaire / les fractions sont inférées par
comparaison entre les parties avec les blocs mosaïques) sont différents. Le matériel vient donc
colorer l’activité mathématique et amène diverses potentialités qui pourront être réinvesties
dans le discours de la classe.
44 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
5 Conclusion
Que peut-on dire, en conclusion, quant à la manière d’envisager le matériel? À travers ces deux
analyses, il est possible d’entrevoir que l’utilisation d’un matériel dépasse l’idée de concrétiser les
mathématiques. L’analyse du jeu montre bien que la dualité concret/abstrait est peu pertinente
pour parler du rôle du matériel. Elle met en lumière que le matériel ne concrétise pas les
objets mathématiques liés à la numération mais permet plutôt de les aborder différemment (par
ailleurs d’autres matériels pourraient être utilisés pour travailler ces mêmes aspects ou d’autres
de la numération). Certains pourraient remettre en question l’idée que les étiquettes constituent
bel et bien un matériel, compte tenu de sa nature hautement symbolique. Or, il s’agit bien
d’objets pouvant être manipulés par les élèves pour faire des mathématiques (Moyer 2001 [
23
]).
Dans des analyses plus poussées, nous aurons l’occasion de mettre en évidence comment cette
manipulation façonne les calculs effectués et les stratégies utilisées par les élèves (Jeannotte, D.
et Corriveau, C. (à paraître [14])).
L’analyse des raisonnements d’une élève qui résout le problème du jardin permet d’entrevoir
comment le matériel contribue à façonner ceux-ci de différentes manières. L’élève convoque
des concepts mathématiques en leur conférant un sens à l’aide du matériel, mais les concepts
mathématiques viennent réciproquement donner sens au matériel. Le matériel ne concrétise
pas nécessairement les objets mathématiques en jeu, mais il offre à l’élève une façon différente
de s’exprimer en mathématiques (rappelons que cette élève n’a pas multiplié de fractions
dans le cadre scolaire). Il fournit, en quelque sorte, une façon de s’engager dans une activité
mathématique. Autrement dit, le matériel n’est pas ici vu comme une concrétisation de l’abstrait,
mais plutôt comme pouvant supporter les raisonnements. L’affordance du matériel amène alors
un potentiel de raisonnements plus riches de par le discours qu’il permet (gestes, mots). Jeter
ce regard différent sur le matériel de manipulation amène à repenser son utilisation en classe de
mathématiques et les manières dont les enseignants l’utilisent à la lumière des raisonnements
des élèves, sujet qui méritera davantage d’investigation.
Remerciements
Nous tenons à remercier les enseignantes et les enseignants collaborateurs.
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –45
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48 –Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015
Annexe A – Le jeu des étiquettes
Annexe A – Le jeu des étiquettes
1 2 3 4
unité unités unités unités
5 6 7 8
unités unités unités unités
9 12 18 26
unités unités unités unités
29 31 44 65
unités unités unités unités
11 23 35 41
unités unités unités unités
25 26 17 28
unités unités unités unités
1 2 3 4
dizaine dizaines dizaines dizaines
5 6 7 8
dizaines dizaines dizaines dizaines
9 10 11 12
dizaines dizaines dizaines dizaines
13 14 15 16
dizaines dizaines dizaines dizaines
17 18 19 20
dizaines dizaines dizaines dizaines
1 2 3 4
centaine centaines centaines centaines
23 21
dizaines dizaines
17
Bulletin AMQ, Vol. LV, no3, octobre 2015 –49