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La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systèmes littéraires: le cas de la réception de la littérature chinoise du XXe siècle en Espagne (Relay Translation and the Global Hierarchy of Literary Systems: the Case of Twentieth-century Chinese Literature’s Reception in Spanish)

Authors:
Maialen Marin-Lacarta
La traduction relais et la hiérarchie mondiale
des
eustémes
littéraires :
le cas de la réception de la littérature chinoise
du
xx
e
siécle
en Espagne
La traduction relais, pratique qui a facilité l' échange mondial des textes dans la vaste histoire des
relations interculturelles, a
été
tres peu étudiée dans le domaine de la traductologie. Les traductions
relais ne sont généralement pas prises en compte, eomme si elles ne faisaient pas partie de 1'histoire
de la réception d'une littérature. Souvent elles sont traitées comme s'il s'agissait de traductions directes,
sans prendre en compte l' existence d'un texte intermédiaire et done sans observer que plusieurs raisons ont
motiver la préférence donnée
a
la traduetion relais sur la traduction directe 1.
Nous allons voir que les travaux sur la traduetionrelais se trouvent dispersés et ont
été
peu développés,
ce qui se traduit par un manque de eonsensus sur la terminologie qui doit étre employée. Les termes « traduc-
tion relais », «traduction de deuxiéme main », « traduetion indirecte », «double traduction
»,
« retraduction », « traduetion secondaire » et « retraduetion indirecte » sont utilisés, parmi d'autres, pour
désigner eette pratique. La majorité de ees termes font référenee
a
des pratiques traduetives différentes ; la
définition pouvant étre plus ou moins restreinte. Nous allons voir également que la vision négative de eette
pratique est peut-étre 1'une des raisons pour lesquelles elle est peu étudiée. Il nous a done semblé important
de dresser un bilan de plusieurs études réalisées
a
ce sujet et des définitions et terminologies employées.
Dans un second temps, nous aborderons l'évolution des traductions de la littérature chinoise du xx
e
siecle en Espagne. L 'histoire de ces traductions montrera la complexité des échanges littéraires et remettra
en question l' hypothése de eertains traduetologues - tels que Gideon Toury (1995) et Xu Jianzhong (2003)
- selon laquelle la traduction relais se fait plus rare en raison de l'évolution de lanotion de traduction et du
développement des échanges mondiaux.
Le manque d'univocité terminologique : un signe de la vision négative de la traduction relais
Des définitions plus ou moins larges sont présentées pour chaque terme qui englobe la traduction relais,
Nous allons d'abord proposer une définition pour établir les bomes de ee phénoméne que nous appelons
«traduction relais », puis nous expliquerons d'autres termes qui coíncident avec cette définition.
Pour pouvoir par1er de traduction relais, trois conditions sont requises:
Il s'agit d'une traduction réalisée
a
partir d'une traduction ;
Elle implique trois langues, ce qui veut dire que le texte original, le texte intermédiaire et le texte final
sont écrits en trois langues différentes ;
Le texte intermédiaire s'adresse
a
un publico
LA TIL
V
SI - NOVEA:EBRE
2011 -
11
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires : le cas de la réception de la littérature chinoise
du
xx
e
siecle en Espagne
Maialen Marin-Lacarta
Le terrne « traduction relais »est fréquemment
utilisé en interprétation pour faire référence aux
cabines relais qui traduisent ce que l'orateur dit et
qui sera ensuite traduit par une autre cabine vers une
autre langue d'arrivée. Ce terme peut aussi étre
utilisé en traduction pour faire référence au
phénoméne
auquel nous nous intéressons ; il est
notamment employé au sein de
1
'Union Européenne
(Pelage, 2003, 57).
Harald Kittel (1991,3) offre une défmition équi-
valente pour ce qu'il appelle second-hand
translation qui regrouperait les trois conditions ci-
dessus mentionnées :
[... ] any translation based 011 a source
COT
sources) which is itself a translation
into a language other than the language of
the original, or the target language.
Ainsi, cette définition nous perrnet de distinguer
la traduction relais de la retraduction. Voici la défi-
nition proposée par Y. Gambier (1994, 413) pour
cette deuxiéme pratique: «Laretraduction seraitune
nouvelle traduction, dans une méme langue, d 'un
texte déjá traduit, en entier ou en partie
».
Néanmoins, la définition du terme retraduction
proposée par Le Nouveau Petit Robert 2007 induit en
erreur, car la défmition présentée sous 1'entrée
« retraduction » fait référence au phénoméne que
nous venons de nornmer traduction relais : « Traduc-
tion d'un texte lui-méme traduit d'une autre langue »
(Rey-Debove et Rey, 2007, 2234). Ce demier cas
n' est qu 'un exemple qui témoigne de ce que la terrni-
nologie employée n'est pas univoque.
Une autre pratique traductive qui n'entre pas
dans les bornes de la définition de «traduction
relais
»
que nous adoptons serait celle des grands
auteurs qui, sans connaitre la langue de départ du
texte, traduisent des textes al' aide de quelqu 'un qui
la rnaitrise. Un certain nombre de traductions faites
par des auteurs comme Octavio Paz, Gcethe, Lin Shu
ou Ezra Pound relévent de ce procédé. Dans ces cas-
la, le texte intermédiaire n'a pas de 1ecteurs et il est
souvent transmis de maniére orale ou écrite dans la
méme langue que le texte fmal. Méme si la langue de
la premiére traduction ne différe pas de la langue
fmale, on peut estirner qu'il s'agit d'une langue
intermédiaire. C'est le choix de Wolfgang Bauer
(1999) qui, dans son article « The role of interme-
diate languages in trans1ations from Chinese into
German », traite des traductions relais, des retraduc-
12-LA
TILV.yo5I- OVEkfBRE 201.I
tions et des traductions réalisées a l'aide d'un colla-
borateur qui connait la langue originale, car W.
Bauer (1999) met l' accent sur la notion des langues
intermédiaires. Il utilise le terme re-translations
pour englober ces trois pratiques différentes. Il
précise :
«
Thus the "intermediate language" is not
necessari1y a real third language, it can also be a
special configuration of the source or target
Language. » (Bauer, 1999,23) Quant a la traduction
relais, ill' appelle re-translation ou secondary trans-
lation.
Un autre exemple serait 1'artic1e de G. Radó
(1975) intitulé « Indirect Translations »dans 1equel
en plus de parler de ce qu'on a appe1é
«
traduction
relais » i1 prend aussi en compte les traductions
réalisées a l'aide d'un «médiateur
»,
comme dit
l'auteur ; dans ce cas-lá, la langue interrnédiaire
serait encore une fois la méme que la langue finale.
Nous verrons plus tard que C. Dollerup (2000)
propose deux termes différents pour distinguer ces
deux pratiques.
Parmi les termes qui équivalent au terme
«traduction relais
»
on trouve
«
traduction de
deuxieme main » (Übersetzung aus zweiter Hand et
second-hand translation), terme employé par
Harald Kittel (1991) et le groupe de chercheurs de
l'Université de Góttingen. Ils insistent sur leur
préférence pour ce terrne plutót que pour celui de
indirect translation :«"Indirectness" is a somewhat
unspecific and potentially misleading attribute for a
translatorial phenomenon more accurately
described in German as "Übersetzung aus zweiter
Hand" » (Kittel et Frank, 1991,3). Néanmoins, ils
utilisent aussi les termes indirect translation et
mediated translation.
Gideon Toury (1995) emploie le terme indirect
translation (c'est le terme qu'il utilise dans le titre de
l' article auquel nous faisons référence) mérne si
comme le groupe de Gottingen, il utilise' égalemen~
les termes mediated translation et second-hand
trans lation. Il est intéressant d' observer l' évolution
de la terminologie utilisée par G. Toury entre 1978-
quand il mentionne pour la premiére fois lintérét
d'analyser cette pratique - et 1995, quand il publie
une version corrigée de l' article de 1988 sur la
traduction relais de la littérature anglaise via
l'allemand (et vice-versa) dans le systéme littéraire
hébreu. En 1978, il traite de I'intérét d'étudier les
normes qui gouvement le procédé d'indirectness,
mais plus tard, dans l' article publié pour la premiére
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systémes littéraires :le cas de la réception de la littérature
chinoise du
xx
e
siecle en Espagne
fois en 1988 et dans lequel il étudie la traduction
relais plus en détail, il emploie le terme intermedia te
translation. Cependant, quand il publie le méme
article corrigé en 1995 il emploie le terme indirect
translation et abandonne complétement le terme
antérieur. Cette évolution nous semble cohérente,
car intermedia te met l' accent sur le texte médiateur
alors qu'en réalité G. Toury fait référence au
processus complet et met l' accent sur le résultat, la
traduction dans le systéme littéraire d'arrivée (il
décrit ainsi sa recherche cornme étant target-
oriented). Il est possible qu'il ait été influencé par le
travail de chercheurs de l'Université de Gottingen
publiédans levolumeH. KitteletA. P. Frank:(1991).
De toute facon, il faut souligner que tant les cher-
cheurs de Gottingen que G. Toury utilisent les
termes indirect translation, mediated translation et
second-hand translation indistinctement, méme
s'ils réfléchissent
el
la question de la terminologie.
Nobel Perdu (2005), dans
I'
article qu'il consacre
el
la traduction de l'arabe en espagnol vía l'anglais,
emploie le terme indirect translation. Il critique les
traductions relais camouflées, c'est-á-dire, les
traductions dans lesquelles on ne précise pas qu'il
s' agit d 'une traduction relais et il défend la pratique
Maialen Marin-Lacarta
Frank (1991) : indirect translation, second-hand
translation et mediated translation. Xu Jianzhong
(2003) parle de indirect retranslation et Caj
Dollerup (2000) propose la distinction entre re/ay
translation et indirect translation. Selon la termino-
logie de C. Dollerup, la premiére implique que l
texte intermédiaire n' est pas concu pour un lectorat,
dans le deuxiéme cas, en revanche, le texte intermé -
diaire s'adresse
el
un publico Cette distinction
terminologique nous parait intéressante méme
i
nous ne l' appliquons pas, car elle n' apas eu de réper-
cussion importante et elle est rarement prise
compte.
M. Rodríguez Espinosa (2001) analyse dans
article la médiation francaise dans la réception
espagnol de Vanity
Fair
de W. M. Thackeray
02'
emploie le terme indirect translation. Il insi
des notions comme la médiation et la manipularion
d'un texte. Quant
el
Bert Edstróm (1991). il choi _.
terme double translation pour traiter les effets de la
traduction dujaponais vers le suédois via l'anglais.
Voici un résumé des termes qui sont utilisés avec
une acception identique
el
celle de la traduction
relais 2 :
Tableau 1. Termes employés pour désigner la traduction relais
Terme
Indirect lranslation, traducción indirecta
Second-hand translation
Mediated translation
ReIay translation
Double translation
Re-translation, secondary translation
Indi rect retranslation
de la traduction relais dans certains cas :
Concealing that a translation was
indirect can be comparable to plagiarism,
and therefore despised by the scientific
community.
The author would like to argue in
favour of indirect translation for some
specific cases, without at all implying that
this practice should always be regarded as
advantageous. (Perdu, 2005, 68)
Martin Ringmar (2006) emploie les termes
proposés par G. Toury (1995), H. Kittel et A. P.
Auteur(s)
G. Radó (1975), H. Kittel et A. P. Frank (1991), G. Toury
(1995), M. Rodríguez Espinosa (2001), N. Perdu (2005), M
Ringmar (2006)
H. Kittel et A. P Frank (1991), G. Toury (1995), M. Ringmar
(2006)
H. Kittel et A. P. Frank (1991), G. Toury (1995), M. Ringm.ar
(2006)
C. Dollerup (2000)
B. Edstróm (1991)
W. Bauer (1999)
Xu Jianzhong (2003)
Le terme le plus souvent employé est don
«traduction indirecte », méme s'il est employé par
d'autres traductologues comme B.-A. Gutt (1990.
1991) avec un sens cornplétement différent. Pour E.-
A. Gutt (1990, 1991), qui applique la théorie de la
pertinence, la traduction directe et indirecte on
deux termes opposés qui se situent dans
continuum. Le premier fait référence
el
un
extreme de ressemblance interprétative complé
alors que le deuxiéme prend en compte le context
récepteur et la ressemblance interprétative
n'
done pas totale. La définition de traduction indirec
LA TIL V./V°
SI -
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VEAfBRE
20I I -
13
I...i.tI3InmlJllrel.ús
et
Ia
IriJ'érarchie mondiale des systemes littéraires : le cas de la réception de la littérature chinoise
~'"X'~c;ij~If·
PO
Espagne
fram these languages. Hence the necessity
for indirect translation, a necessary evil.
(Radó,1975,51).
G. Radó (1975) estime que la traduction relais est
nécessaire pour traduire du hongrois en anglais,
alors qu'elle ne l'est pas dans l'autre sens. Il émet
l'hypothése que cette pratique a lieu par un manque
de connaissances linguistiques et il ne cherche pas
a
trouver d'autres explications. Méme s'il n'analyse
pas en profondeur le contexte dans lequella traduc-
tion relais a lieu, il mentionne, dans cet article de
1975, que les ceuvres littéraires écrites en langues
mineures (minor languages) passent souvent par la
médiation de langues dominantes. Il suggére done
qu'il y a une hiérarchie des systémes littéraires.
Comme on vient de voir, il considere la traduction
relais comme regrettable, mais il reconnait qu'elle
est nécessaire et qu'elle n'est pas toujours d'une
qualité inférieure
a
la traduction directe :
Maialen Marin-Lacarta
d'E.-A. Gutt ne correspond done pas
a
la traduction
relais.
Il nous semble important de souligner que le
métalangage de la traductologie se caractérise par
son manque d'univocité. Nous citons un extrait de
l'introduction
a
la Terminologie de la traduction par
Jean Delisle, Hannelore Lee-Jahnke et Monique C.
Cormier (1999, 2) qui illustre ce que nous venons
d'affmner:
Une étude portant sur 88 manuels de
traduction publiés depuis la Deuxiérne
Guerre mondiale, soit depuís l' appariti on des
grandes écoles de traduction et d'interpréta-
tion, a pennis de dénombrer dans une
quinzaine de ces manuels pas moins de 1419
termes correspondant
a
838 notions '.
Concemant le peu d'intérét suscité par l' étude de
la traduction relais, M. Ringmar (2006) explique
qu'elle est superficiellement mentionnée dans
quelques manuels de traductologie et ornise dans la
plupart d' entre eux. Il estime que le manque d' intérét
pour ce phénoméne est dü
a
la vision négative de
cette pratique
4.
Ainsi, il est d'accord avec G. Toury
(1995) qui déplore que la traductionrelais soit traitée
comme une maladie
a
éviter sans que ne soient
examinées les raisons qui motivent cette pratique, le
contexte historique dans lequel elle a lieu et les
normes qui gouvement la traduction et les échanges
entre les diverses littératures :
[...] second-hand translation is not
sorne kind of disease to be shunned, as has
long been the dominant attitude. [... ] This
is in fact how mediated translations as
texts, and the practices which give rise to
them, should be approached, along with
whatever changes may have occurred in
them: not as an issue in itself, but as a
juncture where systematic relationships
and historically determined norms
intersect and corre/ate. (Toury, 1995, 129-
130; italiques dans l'original)
La vision négative de la traduction re1ais peut
méme étre percue dans divers travaux qui lui sont
consacrés. G. Radó (1975), par exemple, la décrit
comme un mal nécessaire :
For example, while English, French,
Russian or Gerrnan poetry has usually been
translated directly into Dutch, Swedi h,
Polish or Hungarian, first-rate English,
French, Russian or Gennan poet-transla-
to1's have rarely adapted poetry directly
14-LA TILVN°5I- NOVEAfBRE 2011
Its success or failure will depend on the
talent of the translator as well as on the
quality of the intermediate translation
which he uses. If both are excellent, the
result will be hardly distinguishable from a
direct translation. In fact, it can be even
better than a mediocre translation made
directly from the original. But if both are
poor, the results can be disastrous, much
worse than mediocre translations prepared
directl y from the originallanguage. (Radó,
1975,51).
C. Dollerup (2001, 21) propose une autre
hypothése pour expliquer le désintérét de la commu-
nauté scientifique pour cette pratique. Il estime que
c'est paree que la traduction relais est si commune,
notamment dans le contexte de certaines combinai-
sons linguistiques, qu'elle ne recoit pas d'attention
dans le contexte des études littéraires et traductolo-
giques. C. Dollerup et G. Toury défendent done deux
hypothéses qui peuvent paraitre contradictoires :
soit la traduction relais est considérée normale et
n' éveille pas la curiosité des chercheurs, soit elle est
considérée comme une maladie, un handicap qu'il
faut cacher et déguiser comme s'il s'agissait d'une
traduction directe, et elle n'est done pas étudiée non
plus.
Il est difficile de déterminer si le fait que la
traduction relais soit rarement étudiée et qu'elle ne
soit pas explicitée sur la page des inforrnations édito-
riales du livre est dñ
a
la tolérance liée au désintérét
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires :le cas de la réception de la littérature
chinoise du
x:x
e
siécle
en Espagne
ou au rejet lié
a
la vision négative de ce phénoméne.
La facon d'expliciter les données sur la page des
informations éditoriales est éclairante. La traduction
relais camouflée est signe d'intolérance au
phénoméne, car la nature indirecte de la traduction
est cachée. Lorsque la traduction relais est marquée
on peut distinguer trois attitudes différentes selon la
maniére de présenter les informations : les traduc-
tions relais marquées qui signalent l' original chinois
et le texte médiateur en anglais ou en francais (les
traducteurs ne sont pas toujours nornmés) reflétent
une attitude tolérante envers la traduction relais, car
les données sont transparentes; les traductions relais
marquées qui ne mentionnent pas le texte original
chinois mais signalent le texte médiateur en anglais
ou en francais cornme étant une traduction reflétent
également une attitude tolérante ; pour finir, les
traductions relais marquées qui indiquent le texte
médiateur en anglais ou en francais cornme étant
l'original (sans indiquer qu'il s'agit d'une traduc-
tion) reflétent une attitude indifférente envers la
traduction relais, car la traduction relais n'est ni
cachée ni explicitée. Nous alions montrer que ce
dernier est le cas le plus rare et que le point de vue de
G. Toury, c'est-á-dire, la vision de la traduction
relais cornme une maladie, est la plus répandue
aujourd'hui (car les traductions relais camouflées
sont tres nombreuses).
Méme si l'objet de cet article est d'étudier l'un
des phénoménes qui impliquent 1'usage des langues
intermédiaires, la traduction relais, le parcours
a
travers les différentes terminologies employées
pour ce phénoméne dans cette prerniére partie nous
a conduit
a
nous intéresser
a
des pratiques voisines
cornme la retraduction et la traduction par un auteur
qui ne connait pas la langue source et qui se sert de
la collaboration d'un connaisseur des deux
langues (la langue source et la langue intermédiaire)
pour traduire le texte. Aprés avoir consacré la
premiére partie de cet article
a
défmir les bomes de
la traduction relais et
a
observer I'intérét que l' étude
de ce phénoméne a suscité ainsi que la vision
négative généralisée envers cette pratique, nous
allons examiner le cas de la traduction de la littéra-
ture chinoise du xxesiécle en Espagne, car il s' agit
d'un objet d'étude exceptionnel pour réfléchir sur la
traduction relais.
Maialen. Marin- Lacarta
La traduction relais comme
l'évolution des relations entre
systémes
Iittéraires : le cas de la
chinoise
du
XX
e
síecle en Espagne
vecteur de
différents
Iittérature
L'histoire des traductions de la littérature
chinoise du XXesiécle en Espagne constitue un cas
exceptionnel pour étudier la traduction relais
cornme un phénoméne reflétant la hiérarchie
mondiale des systémes littéraires. Les données que
nous allons présenter montreront que la traduction
relais ne peut pas étre expliquée uniquement par le
manque de connaissances d'une langue et qu'il
s'agit d'un phénoméne qui doit étre abordé en
prenant en compte le contexte des relations entre les
divers systémes littéraires. La recherche sur la
traduction relais peut étre extrémernent productive
si, cornme le suggérent d'autres chercheurs cornme
G. Toury, nous étudions l'évolution de ce type de
traductions, I'évolution des langues médiatrices, la
tolérance envers ce phénoméne (en examinant si la
traduction relais est marquée ou camouflée), etc.
Concemant l' attitude envers la traduction relais
et sa fréquence, G. Toury affirme qu'elie diminue
avec l' évolution de la notion de traduction et avec la
croissance de l'importance attribuée
a
la reconstruc-
tion des caractéristiques du texte source. 11s' appuie
sur le cas du systéme littéraire hébreu pour affirmer
que la tolérance
a
la traduction relais est liée
a
une
notion de la traduction qui met l'accent sur l'accep-
tabilité (acceptability) par opposition
á
l'adéquation
(adequacy) ; dans le deuxiéme cas la traduction
relais serait done moins fréquente. G. Toury (1978)
distingue ces deux extremes qui se trouvent sur un
continuum, il y aurait done différents degrés
d'adéquation et d'acceptabilité. Selon lui, soit le
traducteur décide d'obéir aux normes du texte
original, c'est-á-dire, aux normes de la culture et de
la langue source (adéquation), soit il ou elie décide
d'obéir aux normes de la culture et de la langue
d'arrivée (acceptabilité) :
It is no less clear that its tolerance of-
and actual recourse to - this type of aetivity
were bound to diminish as the eoneept of
translation ehanged, and in direet propor-
tion to a growing emphasis on the
reeonstruetion of the source-text features.
(Toury, 1995, 133)
Nous allons voir que le cas de la littérature chinoise
du xxesiécle en Espagne contredit cette affirma-
LA TIL V
lVo 51 -
lVOVEAfERE
2011 -
1S
des deux anthologies poétiques de Marcela de Juan,
les traductions sont des traductions relais. Cinq sont
des traductions relais marquées et trois camouflées,
ce qui indique une tolérance partielle du phénoméne,
car le fait que la traduction relais ne soit pas
«
cachée
»
et signalée comme une traduction directe
peut étre considéré cornme un signe de la tolérance
envers ce phénoméne. La réédition de livres précé-
dernment publiés par Éditions en Langues
Étrangéres de Pékin est aussi une pratique courante,
les trois traductions relais camouflées sont de réédi-
tions de publications de Pékin ; la tendance de
maisons d' édition espagno1es de cette période est de
signaler le type de traduction, directe ou relais. Dans
cette premiére phase il y a diverses langues média-
trices, méme si l'anglais estla plus cornmune: quatre
traductions sont de l'anglais, une de l'italien et deux
du portugais 10.
u'•.•••m..
J:doIi5
~~u;¡
b:lér.udlri"
e mondiale des systémes littéraires :le cas de la réception de la littérature chinoise
- lnr
[arin-Lacarta
tion, car l' évolution des traductions ne répond pas au
modele attendu. Le recours a la traduction relais est
plus comp1exe ; elle est liée a une domination des
systémes littéraires anglophone et francophone et a
la marginalisation de la littérature chinoise du XXe
siécle.
Breve histoire de la traduction de la littérature
chinoise du XXesiecle en Espagne : une évolution
inattendue ?
5
Nous allons briévement présenter l'histoire des
traductions de la littérature chinoise du XXesiécle
en Espagne, tant en espagnol qu'en catalan, divisée
en trois périodes. Les critéres retenus pour établir
cette division seront exposés au fur et a mesure. La
premiére période cornmence en 1949, avec la publi-
cation de la premiére traduction d'uo texte littéraire
moderne 6et s' achéve en 1977. La deuxiéme étape
cornmence en 1978, avec la publication de la traduc-
tion directe d'Iñaki Preciado
7
de Grito de llamada
(1978, Nahan, [1923])8 de Lu Xun jusqu'en 2000.
Il s'agit d'une période marquée par l'apparition des
traducteurs de littérature chinoise moderne et il y a
done une augmentation considérable du nombre de
traductions directes. La troisiéme période, de 2001 a
2009, se caractérise par une croissance substantielle
du nombre de traductions et notarnment des traduc-
tions relais. Le but ne sera pas d'examiner chaque
traduction en détail, ce qui s'avére impossible dans
le cadre de cet article, mais de se concentrer sur
l'évolution des traductions relais, sur la tolérance
envers le phénoméne, ce qui est lié au type de traduc-
tion relais (marquée ou camouflée), et sur
l'évolution des langues médiatrices. Nous ferons
également référence aux auteurs traduits achaque
période, le type de texte et genres traduits et les
traducteurs. On signalera les rééditions espagno1es
de livres originalement publiés par Éditions en
Langues Étrangéres de Pékin ou par des maisons
d'éditions latino-américaines, mais les traductions
publiées uniquement a Pékin ou en Amérique Latine
sont exclues de ce travail".
Les traductions jusqu' en 1977 : Píntérét apparait
Au cours de cette premiére période, les traduc-
tions de littérature chinoise moderne et
contemporaine sont presque limitées al' espagnol,
car seul un livre est traduit en catalan.
A
l'exception
16-LA TILVN°51- NOVEJt.fBRE 2071
L'autobiographie de Xie Bingying Autobio-
grafia de una muchacha china (1949, Nübing
zizbuan [1936]) a été le premier texte littéraire
moderne qui a été traduit, en 1949. Ce livre a
été
traduit de l'anglais par Rosa María Topete et il est
préfacé par Marcela de Juan, l'une des rares traduc-
trices du chinois de l'époque. Les données sur la
page des informations éditoriales indiquent claire-
ment qu'il s'agit d'une version indirecte.
La traduction suivante ne parait qu'en 1962,
quand Marcela de Juan publie l'anthologie de
poérnes traduits du chinois :Segunda antología de la
poesía china. Elle ajoute aux poémes classiques
qu' elle avait choisis pourune anthologie précédente,
Breve antología de lapoesía china (1948), quelques
poémes modemes pour montrer aux lecteurs a quoi
ressemble la poésie chinoise modeme. Elle présente
un poéme de chacun des auteurs modernes suivants,
reconnus au cours des années 1920 et 1930 : Guo
Momo, Xu Zhimo, Wen Yiduo, Tian Han, Liu
Bannong, Ai Qing et Huang Jianzhu. En outre, elle
traduit quatre poémes de Mao Zedong et présente
quelques poémes d'auteurs qui sont partis a Taiwan
et qui ont promu le modernisme sur l'He entre les
années 1950 et 1960 tels que : Zheng Chouyu
(Cheng Ch'ou-yü), Fang Si, Luo Fu, Xia Jing (Hsia
Ching), Yu Guangzhong (Yü Kuang-chung), Huang
Yong et Xin Yu (Hsin Yü)
11.
Onze ans plus tard, en 1973, Marcela de Juan
publie une nouvelle anthologie, Poesía china: del
siglo XXII a.
C.
a las canciones de la Revolución
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires : le cas de la réception de la littérature
chinoise du
:xx
e
siécle
en Espagne
Cultural, une anthologie qui est encore une fois une
extension de la précédente. Elle ajoute d'autres
poémes de Mao et un chapitre de chansons de la
Révolution Culturelle, ainsi que des
poémes
écrits
entre 1971-1972 par plusieurs
poétes.
A
l'exception de ces deux anthologies poétiques
de Marcela de Juan, qui contiennent principalement
des poémes classiques, dans cette premiére période,
les traductions sont indirectes. Cinq anthologies de
poémes
de
Mao
et trois livres de nouvelles de Lu
Xun sont publiées
a
cette période.
Les cinq livres qui contiennent des traductions
relais des poémes de Mao sont publiés successive-
ment en 1966, 1970, 1975 (deux publications) et
1976. Méme si ces poémes ne peuvent pas étre
présentés cornme modernes - car ils suivent le
modele classique - on les a inclus dans cette étude
paree qu'ils font partie de la premiére vague de
textes de littérature chinoise du XXesiécle qui sont
présentés aux lecteurs espagnols. L'un de ces livres
de
poémes
de Mao, une traduction réalisée
a
partir
du portugais, est la
premiére
traduction en catalan
d'un texte de littérature chinoise du XXe
siécle.
Ce
méme livre est également traduit en espagnol et les
trois recueils restants sont traduits de l' anglais
(deux) et de l'italien (un). La traduction de l'anglais
qui est publiée en 1970 est une réédition d'une publi-
cation des Éditions en Langues Étrangéres de Pékin.
Nous observons done que différentes voies indi-
rectes sont employées pour présenter ces poémes au
lectorat espagnol, parfois accompagnés d'une intro-
duction au
Maoísme.
La publication de ces livres est
probablement liée
a
lintérét croissant pour le
Maoísme
a
la fin du régime de Franco en Espagne.
En 1971, deux maisons d'édition espagnoles
décident de publier des nouvelles de Lu Xun pour la
premiére fois. Salvat publie La verdadera historia
de A Qy otros cuentos qui contient neuf nouvelles
sélectionnés
a
partir de Nahan (1923, Cris) et
Panghuang (1926, Errances) en plus de la préface
de Nahan. Une autre maison d'édition appelée
Tusquets publieDiario de un loco, qui contient trois
nouvelles : "Aq zhengzhuan" (La véritable histoire
d'Ab Q) et "Kuangren riji" (Le Journal
d'un
foui,
tirées de Nahan, et "Chaogrningdeng" (uang). Ces
deux livres sont des traductions relais camouflées.
Daos le cas du premier, le traducteur et la langue
source ne sont pas indiqués, alors que le deuxiéme
signale le traducteur, Sergio Pitol, mais omet la
langue source. Les mérnes livres précédemment
Maialen Marin- Lacarta
publiés par Éditions en Langues Étrangéres
a
des
dates différentes prouvent que ces livres sont des
traductions relais et ont été traduits respectivement
par un traducteur chilien (Luis Enrique Délano) etun
Mexicain (Sergio Pitol)12 Les maisons d'édition
espagnoles ont décidé de rééditer ces deux recueils
de nouvelles sans signaler la source.
1977 symbolise non seulement la fin de cette
prerniére période, mais aussi la fin du régime de Mao
etde laRévolutionCulturelle (1967-1976) en Chine,
et la fin du régime de Franco en Espagne (1939-
1975).
Les traductions de 1978
a
2000 : une nouvelle voie
frayée
1978 n' est pas une année choisie au hasard : elle
marque un changement dans les relations diploma-
tiques entre la Chine et I'Espagne. La visite du roi et
de la reine d'Espagne en Chine cette méme année
symbolise lanormalisation des relations extérieures
aprés
des décennies d'isolement tant dans le cas de
l'Espagne que de la Chine (Schommer, 1979)13.
1978 est aussi l' année de création des études de
traduction de chinois
a
l'Université de Grenade.
Cette année est, de plus, une date-cIef dans la
réception de la littérature chinoise moderne en
Espagne, car Iñaki Preciado, avec la collaboration de
Miguel Shiao, traduit du chinois intégralement pour
la premiére foís la collection de nouvelles de Lu Xun
Grito de llamada (1978 [1923]) ; jusqu'alors elle
n'avait été que partiellement et indirectement
traduite.
A
partir de 1978, les auteurs traduits sont de plus
en plus nombreux, tout comrne les traducteurs de
chinois qui décident de rendre un texte littéraire
chinois moderne et contemporain en espagnol
(douze ceuvres) et en catalan (deux
oeuvres).
A
cette
période, les traductions directes sont done plus
fréquentes que les traductions relais : quatorze
traductions directes et dix traductions relais sont
publiées. Concernant les langues médiatrices, il y en
a seulement deux : l'anglais et le francais. Les
traductions relais sont toutes en espagnol (il n'y en a
pas en catalan), cinq de l'anglais (une
a
partir de la
version anglaise des Éditions en Langues
Étrangéres), trois du francais, une de l'anglais et du
francais (Diez grandes cuentos chinos, 2000) et une
d'une source non mentionnée : la traduction
d'Ernesto Posse de La verídica historia de AQ
LA TILV N'0
51 -
N'OVEAcfBRE
2011 -
17
Au cours de cette période, I'intérét des éditeurs
pour cette littérature se développe et en plus de
publier des traductions suggérées par les traduc-
teurs, ils cornmencent
a
cornmander des traductions
de livres qu'ils ont découverts dans des Foires Inter-
nationales de livres dans leur version anglaise ou
francaise. Quelques traductions directes sont done
motivées par la version en anglais ou en francais du
livre. C'est le cas deLa mitad del hombre es la mujer
(1992, Nanren de yiban shi nüren [1985]) de Zhang
Xianliang et Que broten 100 flores (1997, Ganxie
shenghuo [1985]) de Feng Jicaipar exemple!". Cette
tendance sera plus prononcée dans l' étape suivante,
a
partir de 2001, et elle entrainera une croissance des
traductions relais.
Concemant le genre des traductions, dans les
années 1980 et 1990, le roman et les nouvelles sont
les plus traduits. Un livre de reportage, El hombre de
Pekín (1989, Beijingren[1986]) de Zhang Xinxin et
Sang Ye sera également publié. Concemant la
poésie, en plus de la traduction catalane de Mala
herba (1994, Yecao [1927]) de Lu Xun traduit du
chinois par Seán Golden et Marisa Presas, une
anthologie principalement dédiée
a
la poésie
c1assique est aussi publiée :Poetas chinos: paisaje a
través de una doble niebla (2000), il s'agit d'une
traduction relais du francais qui est réédité par une
maison d' édition espagnole, car elle a originalement
été publiée au Chili en 1958.
En conc1usion, on peut observer une augmenta-
tion du nombre des traductions directes dans les
années 1980 et 1990. Cette croissance est logique-
ment due
a
I'intérét croissant pour les études
chinoises et pour la langue chinoise, car il y a plus de
traducteurs capables de traduire cette littérature en
espagnol et en catalan, et ils ne sont pas uniquement
intéressés par la littérature chinoise c1assique, mais
cornmencent aussi
a
s' intéresser par la littérature
modeme et contemporaine.
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires: le cas de la réception de la littérature chinoise
du XX
e
siécle en Espagne
Maialen Marin- Lacarta
(1991) de Lu Xun. Cornme dans la phase précédente,
la plupart des traductions relais sont marquées,
seulement deux sont camouflées :El gourmet (1994,
Meishijia [1983]) de Lu Wenfu et La verídica
historia de AQ (1991) de Lu Xun. La plupart des
traductions relais marquées signalent que la traduc-
tion est réalisée
a
partir d'une traduction, seuls les
deux romans de Li Bihua, Adiós a mi concubina
(1993, Bawang bie ji [1985]) etLa última princesa
de Manchuria (1995 Chuan dao fangzi : manz-
houguo yaoyan [1990]), ne sont pas c1aires et
lai ent entendre au lecteur qu' il s' agit d 'une traduc-
tion directe d'un original anglais. La majorité des
traductions relais marquées (et non camouflées)
montrent ainsi que la traduction relais est tolérée,
méme s'il ne faut pas oublier que les traductions
directes sont plus nombreuses. Deux traductions
publiées originalement par les Éditions en Langues
Étrangéres sont aussi rééditées par des maisons
d'édition espagnoles
a
cette période : La familia
(1982, Jia [1931]) de Ba Jin traduit du chinois par
María Teresa Guzmán et Ocho escritoras chinas:
vida cotidiana en la China de hoy (1990), les deux
sont des traductions directes, mérne si la deuxiérne
est un recueil de nouvelles traduit par des hispanistes
chinois et révisé par des Latino-américains vivant
a
Pékin.
La plupart des traductions sont des ceuvres
chinoises des années 1980. Les auteurs suivants sont
traduits :Bei Dao, Gu Hua, Lu Wenfu, Zhang Jie, Tie
Ning, Wang Anyi, Zhang Xianliang, Feng Jica, Mo
Yan, Zhang Xinxin, Sang Ye et Xia Zhiyan. Certains
auteurs de la premiére moitié du XXcsiécle sont
aussi traduits tels que: Lu Xun, Ba Jin, Ding Ling ,
Qian Zhongshu, Yu Dafu, Lao She, Mao Dun, Guo
Momo, Wen Yiduo et Huang Jianzhu. Deux auteurs
du début des années 1960 : Liu Zhenet Li Na. Pour
finir, les ceuvres de deux écrivaines des années 1990,
Li Bihua et Hong Ying, sont traduites.
Dans les années 1980-1990 les traductions du
chinois sont réalisées par les traducteurs suivants :
Iñaki Preciado, Taciana Fisac, Dolors Fokb.. ~~
espagnol et catalan), Seán Golden (en catalan),
Isabel Alonso et Lola Díez. Ces traducteurs sont
formés
a
l'étranger, surtout en Chine et certains en
France (c'est le cas de Taciana Fisac et Isabel
Alonso). Néanrnoins,
a
partir de 1978 il est possible
d'étudier le chinois
a
la "Faculté de Tl:aduct\.<:>D.. o.c
l'Université de Grenade et l'Université Autonome
de Barcelone propose un programme sirnilaire
a
partir de 1988.
18-LA TILVN°S1- NOVE1t4BRE2011
Les traductions de 2001
a
2009 et la médiation des
~'i'S.t.~m.~'S.
\\.\i.h~\.~\$.~~~\.~~~~~~~\.
\,(~~~\)~\).\)"l\~
L'année 2000 peut étre considérée un tournant
dans la réception de la littérature chinoise modeme
et contemporaine en Espagne, car l'attribution du
Prix Nobel
a
l'auteur francais sinophone Gao
X\.n.~\.an. a ~~S)\n.\l
\'m\.h~\
})'0UI
cette \ltteratUIe;
la
prolifération des traductions en est la preuve.
Al' occasion de la rernise du Prix Nobel de Litté-
rature, la presse espagnole publie plusieurs articles
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systémes littéraires : le cas de la réception de la littérature
chinoise du
x:x
esiecle en Espagne
sur la littérature chinoise. Les critiques expriment
leur opinion sur la situation de la traduction de la
littérature chinoise moderne et contemporaine en
Espagne et concluent qu' elle est déplorab1e
(Golden, 2000; Conte, 2001). lls suggérent que le
roman de Gao serait mieux recu que d'autres
nouvelles et poémes chinois traduits jusqu' alors, car
le roman connait un plus grand succés commercial
(Conte, 2001) et ils espérent que l' attribution du Prix
obel
a
Gao encouragera les éditeurs
a
soutenir le
travail d'autres auteurs (Golden, 2000). Ces prédic-
tions ne sont pas loin de la réalité, car les traductions
de littérature chinoise du xxesiécle ont considéra-
blement augmenté pendant la derniére décennie.
Cette période est marquée par la hausse des
traductions relais : alors que vingt-cinq romans sont
traduits indirectement, seulement huit sont traduits
du chinois. nest important de noter que ces huit
traductions directes ont été commandées par les
o
diteurs ; cela prouve que le processus de réception
a changé. Ces ouvrages sont done choisis selon leur
position dans le systéme littéraire médiateur, sans
prendre en compte la position de l' original dans la
ittérature source. Il y a done une forte médiation des
. temes littéraires anglophone et francophone dans
la réception, non seulement dans le cas de traduc-
rions relais mais aussi de traductions directes,
notarnment des romans.
Les langues médiatrices de cette période sont
rincipalement l'anglais et le francais. Quinze
romans sont traduits de l' anglais, huit du francais, un
l'italien etun de l'espagnol vers le catalan; treize
ces traductions relais sont camouflées. Les autres
ductions (douze), mentionnent le titre anglais ou
francais, mais quatre d'entre elJes ne font référence
. au premier traducteur ni au titre chinois, ce qui fait
ces traductions semblent des traductions
directes d'un original en anglais. Des pratiques
ntradictoires sont done employées : alors que la
lupart des traductions mettent l' accent sur l' orignal
hinois en faisant croire aux lecteurs qu'il s'agit
"une traduction directe, quelques publications
mettent complétement l'existence de l'original
hinois en faisant uniquement référence
a
la source
anglais dans la page des informations éditoriales.
La premiére pratique, les traductions relais camou-
ées, sont done signe de l'intolérance envers la
traduction relais, alors que la deuxiéme, moins
andue, refléte de 1'indifférence. Les deux straté-
cachent la traduction relais pour des raisons
Maialen Marin-Lacarta
différentes. La traduction relais tend
a
devenir une
pratique cachée, ce qui veut dire qu' elle est moins
tolérée que dans la période précédente 15.
La plupart des traductions sont des romans
d'auteurs contemporains et d'auteurs sinophones
tels que: Gao Xingjian, Ma Jian et Bei Dao (tous les
trois des sinophones résidant en dehors de la Chine),
Wang Shuo, Wei Hu, Alai, Chun Shu, Bi Feiyu, Chi
Li, Han Shaogong, Mo Yan, Jiang Rong, Yan
Lianke, Su Tong, Yu Hua, Zhang Jie et la taíwanaise
Shi Shuqing (Shih Shu-ching).
Le nombre des traductions d'anthologies
poétiques augmente, mérne si elles ne sont pas
nombreuses. Trois recueils de poémes, chacun
consacré
a
un auteur, sont traduits directement du
chinois :Bei Dao, Paisaje sobre cero (2001, Lingdu
yishang de fengjing, [1996]) ; Dai Wangshu, Mis
recuerdos, (2006, Wo dejiyi [1929]) et Wen Yiduo,
Aguas muertas, [2006, Sishui [1928]). Une breve
anthologie traduite du chinois par Javier Martín Ríos
et Fan Ye est consacré
a
dix auteurs nés entre 1969
et 1984 : La niebla de nuestra edad : 10 poetas
chinos contemporáneos (2009)16. En outre, trois
anthologies principalement dédiées
a
la poésie
classique incluent aussi quelques poémes
modemes : Alberti et León (2003), Poesía china;
Rexroth et Ling (2006), El barco de orquídeas:
poetisas de China; Chen Guojian (2007), Lo mejor
de lapoesía amorosa china. Deux de ces anthologies
sont des traductions relais de l' anglais et du francais
(celle d' Alberti et de León est une réédition) ;
l'anthologie de Chen Guojian est au contraire une
traduction directe.
Concemant les recueils de nouvelles, huit sont
publiés et ils contiennent principalement des
nouvelles écrites avant 1980 ; seulement celles de
Ma Jian, Treu la llengua saburrosa (2002, Liangchu
ni de shetai huo kongkongdangdang [1987]) et Gao
Xingjian Una caña de pescar para mi abuelo (2003,
Gei wo laoye mai yugan [1989]) sont plus récentes.
Trois de ces recueils sont des traductions de
nouvelles de Lu Xun : une traduction directe de
Contar nuevo de historias viejas (2001, Gushi
xinbian [1936]), une sélection des nouvelles
traduites directement en catalan, Diari d 'un boig
i
altres relats (2007) et une sélection de nouvelles
traduites de la version anglaise publié par Éditions
en Langues Étrangéres : Diario de un demente
(2008). Un autre recueil, Luna creciente (2007), est
aussi traduit de la version anglaise d'Éditions en
LA TILV N'C>
SI -
N'OVEkEBRE 2011 -
19
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires :le cas de la réception de la littérature chinoise
du
xx
esiecle en Espagne
Maialen Marin-Lacarta
Langues Étrangéres et contient des nouvelles de :
~ang Tongzhao, Rou Shi, Shen Congwen, Bing
Xin, Lao She, Xiao Hong, Zhang Tianyi et Ai Wu.
Pour finir, il y a aussi une anthologie - Sánchez-
Mejías (2003), Antología del cuento chino
maravilloso : sabiduría exquisita de Oriente -
dédiée aux nouvelles c1assiques, mais elle contient
trois histoires modernes : deux de Lu Xun et une de
Gao Ertai
17.
Le théátre est certainement le genre le moins
traduit; il
Y
n'y a qu'une traduction directe, celle de
La casa de (2009, Chaguan (1957]) de Lao She.
Une traduction d'un opéra modele est également
publiée
a
cette époque : La linterna roja (2005,
Hongdengji [1970]).
Concernant les traducteurs du chinois,
el
la diffé-
rence de ceux de la période précédente, certains des
traducteurs ont été formés en Espagne, principale-
ment a l'Université Autonome de Barcelone : Sara
Rovira, Carles Prado, Paula Ehrenhaus et Mari
Carmen Espín. D'autres, sont d'origine chinoise,
Yunqing Yao, ou taíwanaise, Luisa Chang, et vivent
ou ont vécu en Espagne. Un troisiéme groupe de
traducteurs seraient ceux qui se sont formés en Chine
avant que les études de traduction de chinois existent
en Espagne :Javier Martín Ríos, Laureano Ramírez,
Gab~~l García Noblejas, Romer Alejandro Cornejo
et LIIJana Arsovska ; les deux derniers sont des
professeurs du Colegio de México. La plupart des
traducteurs sont également des chercheurs en études
chinoises ou en traductologie.
Nous avons commencé cette histoire des traduc-
tions en faisant référence al' opinion de G. Toury sur
l'évolution de la traduction relais et la tolérance
envers cette pratique. I1estime qu'avec l'évolution
de la notion de traduction cette pratique diminue.
Cependant, le cas des traductions de littérature
chinoise moderne et contemporaine en Espagne
mont:e que la traduction relais a pris de l' ampleur
depuis une dizaine d'années. En méme temps, les
traductions relais camouflées ont augmenté, ce qui
refléte qu' avec l' évolution de la notion de traduction
la tolérance pour cette pratique a diminué, bien que
cela n' empéche pas que la traduction relais soit
encore plus utilisée.
A
partir de l' exemple de
l'évolution des traductions de la littérature chinoise
du xxeiécle en Espagne, nous pourrions done
1 qu' avec 1 évolution de la notion de traduc-
traduction relais a tendance a étre cachée.
-L
TIL '_...,.
-I -
'0 E. fERE
20II
L'influence des systemes littéraires anglopbone
et francopbone dans les traductions directes
Méme si la traduction relais est la manifestation
la plus évidente de la médiation des systémes litté-
raires anglophone et francophone dans la réception
de la littérature chinoise du XXesiécle en Espagne,
les traductions directes n' ont pas pu échapper a cette
médiation.
Cette médiation peut étre percue dans la sélection
de I'ceuvre. Les éditeurs découvrent I'reuvre dans sa
traduction en francais ou en anglais et décident de
chercher un traducteur du chinois pour la publier en
espagnol. C'est le cas de Paisaje sobre cero (2001
[1996]) de Bei Dao, Treu la !lengua saburrosa (2002
[1987]) de Ma Jian et Haz elfavor de no llamarme
humano (2002, Qianwan bie ba wo dang ren [1989])
de Wang Shuo qui ont été d'abord découverts par
l'éditeur dans la version anglaise. Alors que Que
broten lOOjlores (1997 [1985]) de Feng Jicai, Una
caña depescar para mi abuelo (2003 [1989]) de Gao
Xingjian et Triste vida (2007, Fannao rensheng
[1987])18 de Chi Li ont été découverts dans leurs
versions francaises!".
La médiation des systémes littéraires anglo-
phone et francophone dans les traductions directes
peut dépasser l' étape du choix de l' ceuvre et aller
plus loin, elle peut aller jusqu'á influencer la
révision et la correction de la traduction. Dans le cas
de El verano de la traición (1998, Luo wu dai
[1992]) de Hong Ying, une fois que la traductrice a
rendu sa version espagnole, les éditeurs ont procédé
a la correction en comparant la traduction espagnole
a la traduction anglaise. Le résultat a été catastro-
phique selon la traductrice qui a demandé que la
traduction soit anonyme ; un surnom apparait
a
la
page des informations éditoriales
20.
Pour la traduc-
tion de Pa pa pa (2008, Ba ba ba [1986]) de Han
Shaogong, une traductrice chinoise a réalisée la
version espagnole qui a ensuite été corrigée en la
comparant a la traduction francaise-' .L' exemple de
Casada con Buda (2005, Wo de chan [2004]) de
Weihui différe un peu. La traduction a été réalisée
par une équipe de deux traductrices :1'une espagnole
et l'autre chinoise. L'auteur a demandé que la
traduction soit faite a partir de l'anglais tout en
tenant compte de l' original chinois, la raison étant
probablement l'autocensure dans la version
chinoise. L'une des traductrices s'est done occupée
de traduire de l' anglais et la deuxiéme de comparer
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires :le cas de la réception de la littérature
chinoise du XXesiécle en Espagne
la version espagnole
a
l'original chinois=.
Une comparaison entre les dates de publication
des traductions directes en espagnol et les traduc-
tions en anglais et en francais montre que la plupart
des traductions directes (vingt-neuf) ont
précédem-
ment été publiées en anglais ou en francais, alors que
sept traductions directes ont été publiées d' abord en
espagnol (ou en catalan), méme si elles ont parfois
précédé de peu la traduction en anglais ou en
francais. La traduction de Grito de llamada (1978
[1923]) d'Iñaki Preciado est la premiére traduction
complete de ce recueil de nouvelles, méme si des
traductions d'une sélection des nouvelles de ce
recueil ou des traductions de poémes publiés séparé-
ment existaient avant tant en anglais qu' en francais.
C'est le cas aussi des recueils de Dai Wangshu
(2006, [1929]) et Wen Yiduo (2006 [1928]) traduits
par Javier Martín Ríos; ces recueils n'ontpas encore
été traduits intégralement ni en francais ni en
anglais. Le cas des traductions espagnole et catalane
deLa muñeca de Pelán etLa nina de Pequin (2003,
Beijing wawa [2002]) de Chun Shu est néanmoins
différent, elles ont été publiées en Espagne en 2003,
alors que la traduction anglaise sera publiée un an
plus tard
23.
La proximité dans le temps de ces publi-
cations est un des traits de la mondialisation du
marché éditorial que nous examinerons plus tardo
Pour finir, la publication du recueil de poémes de
Javier Martín Ríos en collaboration avec Fan Ye (La
niebla de nuestra edad, 2009) est assez unique, car
il s' agit de poémes de jeunes auteurs contemporains
qui ne sont pas connus encore en anglais et en
francais.
Le choix des ceuvres
a
partir de leur publication
en anglais ou en francais, la révision des traductions
directes en espagnol en les comparant
a
la version
anglaise ou francaise, et l' existence des traductions
précédentes en anglais et en francais montre que la
médiation des systémes littéraires anglophone et
francophone a aussi lieu dans les traductions
directes. Ces conc1usions mettent en évidence la
complexité de la prédominance de la traduction
relais qui est liée, dans le cas des re1ations entre ces
deux littératures, aux lois du fonctionnement du
marché éditorial.
Un marché globalisé : vers une homogénéisation
simultanée des publications
Xu Jianzhong (2003), dans son artic1e sur la
traduction relais et la retraduction, qu'il désigne
Maialen Marin- Lacarta
respectivement par les termes retraduction indirecte
et retraduction directe, exprime son opinion sur
l' évolution de la fréquence de la traduction
relais dans l'
ére
de la mondialisation :
With the development of cultural
exchanges and the arrival ofthe age ofgloba-
lization, indirect re/translation will be found
less and less, but perhaps it will not disappear.
So in OUT opinion indirect re/translation, on
certain occasions,
15
a necessity and it is a
good supplement to direct translation. (Xu
Jianzhong, 2003, 199)
Il parle du «besoin
»
de la traduction relais en
simplifiant cette pratique qui serait due selon lui
a
un
manque de connaissances linguistiques ou
a
la
distance géographique. Il considere qu' avec la
mondialisation et le développement des échanges
culturels cette pratique dirninuera. Néanmoins, nous
observons que dans le cas de la traduction de la litté-
rature chinoise du XX
e
siécle en Espagne, la
traduction relais a augmenté ces dix derniéres
années.
Pour comprendre la situation actuelle il faut
prendre en compte le róle de deux intervenants dans
la promotion des traductions : les foires internatio-
nales de livres et les agents littéraires. La plupart des
traductions publiées entre 2001 et 2009, tant les
traductions directes que les traductions relais, ont été
cornrnandées par les maisons d'édition et non pas
suggérées par les traducteurs. Les éditeurs choisis-
sent les livres qu'ils découvrent dans Ieur version
anglaise ou francaise dans les foires de livres ou
gráce
a
un agent littéraire. Cela signifie que pour la
premiére étape, le choix de l' eeuvre, les éditeurs
n' ont pas besoin d'un spécialiste ou d'un traducteur;
ils peuvent choisir les ouvrages
a
partir de ce qui est
pub lié en anglais et en francais.
Nous présentons cornrne exemple le cas de la
maison d'édition Kailas
24.
Il s'agit de la maison
d' édition qui a pub lié le plus de livres de littérature
chinoise contemporaine ces derniéres années : elle a
publié cinq romans de Mo Yan, deux romans de Han
Shaogong et un roman de Wang Anyi. Toutes les
ceuvres ont été choisies
a
partir de la suggestion des
différents agents littéraires et elles ont été traduites
de l'anglais ou du francais.
Aprés
la lecture de ces
livres en anglais le directeur éditorial a choisi de les
publier->. Le directeur éditorial explique que les
foires intemationales sont aussi une source indis-
pensable d'information pour connaitre ce qui se
LA
TILVN"°5I- N"OVEA-f..BRE20II -
21
traducteur italien a modifié ce romano Dans le cas de
cette deuxiéme traduction, la page des informations
éditoriales indique que le livre a été traduit de
l' italien et puis comparée al' original chinois.
Ces exemples montrent qu'une réception
homogéne de la littérature chinoise du XXesiécle a
líeu dans I'ére de la globalísation. Le choix de
l' ceuvre est fréquernment réalísé a partir de ce qui est
publíé dans les marchés éditoriaux anglophone et
francophone et souvent l' existence de la traduction
espagnole dépend d'une traduction en anglais ou en
francais, ce qui confirme la hiérarchie, la dépen-
dance et 1'homogénéité. La traduction relais facilite
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires: le cas de la réception de la littérature chinoise
du
xx
e
siecle en Espagne
Maialen Marin-Lacarta
Tableau 2. Comparaison des dates de publication des traductions
Titre de la traduction espagnole Tr. en espagnol Tr. en anglais
passe dans le monde éditorial et il est important d'y
assister. Par exemple, le livre de Wang Anyi leur a
été suggéré par une agence francaise dans la foire de
Frankfurt. Des contacts avec des agents littéraires
naissent aussi lors des foires.
L'observation des dates de publication des
ceuvres dans sa traduction en anglais, en francais et
en espagnol montre que les mérnes ouvrages sont
publiés presque simultanément. C'est le cas d'un
nombre considérable de traductions relais mais aussi
de plusieurs traductions directes ; les exemples sont
nombreux, voici quelques-uns pour illustrer ce
phénoméne
25.
Li
Bihua,Adiós a mi concubina
Gao Xingjian,
El libro de un hombre sólo
1993
2002
Weihui,
Shanghai Baby 2002
Alai,
Las amapolas del emperador 2003
Jiang Rong,
Tótem lobo 2008
Yan Lianke,
Servir alpueblo 2008
Mo Yan,
La vida y la muerte me están desgastando 2009
Yu Hua,
Brothers 2009
Dans ce sens, le róle des agents littéraires est
important. Ils s'occupent de vendre les droits d'un
ouvrage et se mettent en contact avec des maisons
d'édition du monde entier. Il arrive aussi qu'une
agence locale représente une autre agence. Par
exemple, Kailas a acheté les droits de Mo Yan a
l'agence Sandra Bruna de Barcelone, qui a la fois
représente l'agence américaine Sandra Dijkstra ;
cette deuxiéme est enréalité l' agence qui posséde les
droits de certains ouvrages de Mo Yan en anglais.
Un autre phénoméne important que nous allons
nous contenter de mentionner rapidement est
l' editing ;un nouvel article mériterai d' étre dédié
él
cette pratique. Certaines traductions relais sont
d'abord « éditées » dans leur premiére version. Le
premier traducteur, souvent avec l'accord de
l'auteur, modifie l'original et « l'adapte », seIon les
éditeurs, au lectorat occidental, comme si celui -ci
formait une masse homogéne différente de la masse
de lecteurs orientaux. C'est le cas par exemple deLa
ciudad de la reina de Shih Shu-ching (2009,
Xianggang sanbuqu [1993,1995,1997]) traduit de
la version anglaise qui a transformé la trilogie en un
seul livre et de Faltan palabras (2009, Wu zi [2002])
de Zhang Jie qui a été traduit de l'italien, car le
22-LA TILV.
<>
SI- OVE~BRE 20II
1993
2002
2002
2002
2008
Tr. en francais Original chinois
1993 1985
2001 1999
2001 1999
2003 1998
2008 2004
2006 2005
2009 2006
2008 2006
2008
2009
cette homogénéité presque simultanée, car elle peut
étre réalisée plus rapidement qu'une traduction
directe.
De la nécessité de l'intervention des spécialistes
Nous avons vu qu'un changement significatif a
eu lieu dans le processus de réception de la littérature
chinoise contemporaine des dix derniéres années. La
plupart des traductions qui sont publiées en Espagne
sont choisies selon leur position dans les systémes
líttéraires anglophone et francophone sans attacher
d'importance
él
la position de l'ceuvre dans le
systéme littéraire sinophone. Cela signifie que, indé-
pendarnment de la langue de laquelle les textes sont
traduits, la médiation a tres souvent lieu au moment
du choix de l'ceuvre. L'exception serait les traduc-
tions proposées par les traducteurs eux-mémes, qui
sont beaucoup moins nombreuses.
Le cas de la maison d'édition Kailas nous a
montré qu 'il n'ya pas eu de contact avec des spécia-
listes de la littérature chinoise ou de traducteurs du
chinois dans tout le processus, du choix de l' ceuvre a
sa traduction,
él
l'élaboration du paratexte et a la
rédaction de la note de presse. Par conséquent, non
seulement la traduction de cet ouvrage sera
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires : le cas de la réception de la littérature
chinoise du
xx
e
siécle en Espagne
influencée par la médiation anglophone, mais aussi
sa réception,
el
travers les critiques de presse ou le
paratexte de l' ouvrage. Le manque de collaboration
avec des spécialistes ou des traducteurs du chinois
fait que la médiation du systéme littéraire anglo-
phone soit inévitable.
L' intervention de traducteurs et de spécialistes
de la littérature chinoise est indispensable pour
diversifier la réception et échapper
a
l'homogénéité
imposée par les systémes littéraires dominants.
Pour une réflexion sur la traduction relais
comme symptomatique
du
systeme littéraire
mondial inégal et hiérarchique
Le cas de la traduction de la littérature chinoise
du xxesiécle en Espagne a servi
el
montrer l'utilité
de la réflexion sur la traduction relais et son
évolution historique. Le cas de l'évolution de ces
traductions a montré que la traduction relais ne
diminue pas progressivement avec la mondialisa-
tion et le développement des échanges
intemationaux. Le choix éthique de l' éditeur joue un
róle essentiel au moment de choisir le traducteur et
done la langue source. La position de la littérature
él
traduire sera l'un des facteurs qui influenceront
également son choix, la position marginalisée de la
littérature chinoise du xxesiecle par rapport ala
littérature c1assique ou
él
d'autres littératures asia-
tiques comrne la littérature japonaise jouant ID} róle
fondamental (prado-Fonts, 2006; Chow, 1993).
Ainsi, nous nous somrnes intéressée
a
la traduc-
tion relais comrne un symptáme qui sert
a
étudier un
syndrome plus large : celui de la hiérarchie mondiale
des systémes littéraires et de l' inégalité des
échanges. Nous somrnes arrivés
a
Laconclusion que
la traduction relais n'est pas uniquement due
a
un
manque de traducteurs d'une langue géographique-
ment éloignée et que des facteurs plus complexes
liés
el
la structuration du nouveau marché éditorial
sontenjeu.
La tendance
a
recourir
a
la traduction relais (indi-
rectness, pour reprendre I'expression de G. Toury)
ne prouve pas que la distance entre les systémes litté-
raires ait grandi en raison d'un manque de
traducteurs et de spécialistes ; au contraire, cela
prouve le développement d'un systéme globalisé de
transrnission de textes qui passe par la médiation des
systérnes littéraires dominants. Concemant les
choix des eeuvres et la date de publication, cette
Maialen Marin-Lacarta
mondialisation implique 1'homogénéité et
s'approche de la simultanéité. Des dynarniques
différentes seront sans doute rnises en relief gráce
él.
l' analyse des traductions relais dans des contextes
diverso
Le cas des traductions relais de la littérature
chinoise modeme et contemporaine en Espagne est
un cas particu1ier et paradoxal. Le systéme littéraire
espagno1 n' est pas a priori considéré comrne un
systéme dominé ou rnineur, mais en relation avec la
littérature chinoise du xxesiécle il devient un
systéme dominé, la réception de cette littérature
étant peu développée et soumise
él
d'autres récep-
tions comrne nous l' avons VU. La littérature chinoise
du XXesiécle présente aussi un cas particulier, car il
s'agit d'une littérature avec un grand nombre de
publications, i1s' agit aussi d'une langue largement
parlée et elIe se trouve néanmoins dans une position
minorisée. La position du systéme littéraire anglo-
phone, dominant dans cette relation, est également
paradoxale, s' agissant de la langue vers laquelle le
moins de traductions sont publiées. Dans ce sens,
J.
Heilbron et G. Sapiro ont montré que plus une langue
est centrale, plus elle sert de référence dans d' autres
pays, mais en méme temps moins on traduit dans
cette langue (Heilbron et Sapiro, 2007).
En conc1usion, la traduction relais devrait étre
prise en compte et analysée pour étudier le dévelop-
pement du systéme littéraire global, le
positionnement des différents systémes littéraires et
les facteurs qui promeuvent les inégalités ainsi que
la maniére d'encourager une réception diversifiée,
hétérogéne et ouverte. Dans le cas de la traduction de
la littérature chinoise du XXesiécle nous somrnes
arrivées
a
la conclusion que l'intervention des
traducteurs et spécialistes de cette littérature est
nécessaire pour échapper
él
l'homogénéité imposée
par Lesmaisons d' édition qui s' appuient uniquement
sur le modele dictée par les mondes éditoriaux
anglophone et francophone.
Maialen Marin-Lacarta
(Institut Nationa/ des Langues et Civilisations Orientales
(Centre d 'Études Chinoises, Équipe AS lEs) et
Université Autonome de Barcelone
(Département de traduction et interprétation))
LA TIL V N°
51 -
NOVEkfRR.E 2011 -
23
La traduction relais et la hiérarchie mondiale des systemes littéraires : le cas de la réception de la
li'm'~tmr~
chinoise du
xx
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LA TILV N°
SI -
NOVEAfERE 2011 -
2S
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Article
Full-text available
Recent translation theories and descriptive translation studies emphasize the power of translated texts as shaping forces in literary canons as well as the ideological appropriation which the works of translators conceal. French cultural ascendancy in eighteenth and nineteenth century Spain is widely acknowledged, especially in the case of the reception of English, German and Russian literature. However, apart from early research in the field of literary comparativism, French mediation in translation has received inadequate attention in Spanish speaking countries. In this article we intend to analyse the ideological manipulation traced in three Hispanic versions of W.M. Thackeray’s Vanity Fair (1847-48) published between 1860 and 1930, which used the 1853 French translation of the Victorian classic as their source text. Particular consideration will be given to those conflictual translated texts concerning the sexual role of the main male and female characters which wipe out the ambiguity of the original work.
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