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Monographie des inondations du 12 et 13
novembre 1999 dans l’Aude
.
Extrait du Tome 2 (Annexes) de la thèse de :
M. Boudou, Approche multidisciplinaires pour la caractérisation
d’inondations remarquables, thèse de Géographie et Aménagement de
l’Espace, Université Paul-Valéry Montpellier III, 462p. + 344 p. (Annexes).
URL: https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01305937
« Inondations catastrophiques dans les basses plaines de l’Aude – Source : © La Dépêche du Midi.
2
Extension spatiale de l’évènement 1.
La Figure 0.1 présente l’extension spatiale des communes ayant été déclarées en état de
Catastrophe Naturelle (arrêté CatNat) suite à l’évènement du 12 et 13 novembre 1999. Il est
possible d’établir plusieurs constats en analysant l’emprise géographique des communes
impactées. Au total 443 communes réparties sur cinq départements ont été soumises à un
arrêté CatNat consécutivement à l’épisode pluviométrique et aux crues (CCR-Erisk). Les
communes impactées sont situées dans le Languedoc-Roussillon et principalement dans les
départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales. Dans l’Hérault, la partie nord-ouest du
département et l’embouchure de l’Orb sont reconnues en état CatNat. Dans le Tarn et
l’Aveyron, le nombre de communes affectées est de moindre importance. La première
localisation géographique des zones affectées permet de voir les principaux cours d’eau ayant
connu des évènements dommageables. Ainsi pour le Tarn, les vallées du Tarn et de l’Agout
s’illustrent clairement, tout comme la vallée du Rance dans l’Aveyron. Dans l’Aude et les
Pyrénées-Orientales, la grande majorité des cours d’eau ont été affectés par les épisodes de
crues, avec une limite ouest très marquée.
En comparant la localisation spatiale des communes sous arrêtés CatNat et la limite
des précipitations importantes il est possible de voir la forte corrélation entre les deux
facteurs. Ainsi les communes impactées selon les indicateurs CatNat sont en grande partie
localisées dans la zone du dépassement pluviométrique seuil de 200 mm. Cela permet
d’illustrer ici la forte corrélation qui existe entre précipitations et déclarations d’un arrêté
CatNat (Douvinet et Vinet, 2012). La décision politique de déclarer une commune en
catastrophe naturelle repose en effet en grande partie sur la valeur pluviométrique qui doit
être supérieure au quantile décennal pour faire l’objet d’un arrêté.
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Figure 0.1 Localisation des communes concernées par un arrêté CatNat du 11 au 13 novembre 1999
(Source : base Gaspar, mars 2014)
Analyse de l’aléa météorologique 2.
2.1. Conditions atmosphériques de déclenchement
La situation atmosphérique à l’origine de l’épisode pluvieux majeur du 12 et 13 novembre
1999 apparaît complexe sur un grand nombre d’aspects (Vinet, 2000). Afin d’étudier en détail
ses différentes caractéristiques, il est nécessaire d’effectuer une analyse sur plusieurs échelles à
savoir de l’échelle synoptique, cadre de formation des courants dépressionnaires, puis méso et
micro échelle, contexte spatial pertinent pour l’analyse d’un système orageux.
Carte M. Boudou (2015)
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2.1.1. Situation synoptique du 8 au 10 novembre 1999
Du 8 au 10 novembre 1999 une situation de type « dépression-anticyclone-dépression » dans
une orientation Ouest-Est, relativement classique pour la saison, s’installe sur l’Europe
(Ducrocq et al., 2003). A partir du 8 jusqu’au 10 novembre, l’anticyclone se positionne au
niveau des îles Britanniques. Il est possible de visualiser la progression des hautes pressions
sur les Figures retraçant différents géopotentiels issus des réanalyses pour les journées du 8, 9
et 10 novembre.
Figure 0.2 Géopotentiel Z500 hPa de la situation atmosphérique le 8 novembre à 12h00
(Source : InfoClimat.fr)
Le 8 novembre, les hautes pressions sont positionnées vers les îles Britanniques, et on relève
deux dépressions centrées sur le Groenland et le Sud de la péninsule Italienne (Figure 0.2).
Figure 0.3 Géopotentiel Z500 Hpa le 10/11/1999 à 12h00
(Source InfoClimat.fr)
Le système anticyclonique reste positionné le 10 novembre sur le Royaume Uni et un premier
creusement des pressions est observable sur la Méditerranée dans un axe Nord-Sud du Golfe
du Lion vers l’Algérie. Cette situation en place le 10 novembre va perdurer jusqu’au 12
novembre.
« Cette configuration allongée permet l’installation d’un vaste flux de sud, prenant sa source
en Afrique du Nord, réservoir d’air chaud pour l’atmosphère » (Ducrocq et al., 2003).
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Une situation de blocage atmosphérique s’effectue ainsi progressivement avec l’anticyclone
sur les îles Britanniques tandis qu’une dorsale peut être repérée sur les Balkans ce qui va
permettre une remontée de la dépression centrée sur le Golfe de Gascogne le 12 novembre.
Les masses d’air en provenance du Maghreb vont se déplacer vers la péninsule Ibérique dans
un axe Sud-Nord, situation visible sur la Figure 0.4. Au contact des eaux de la Méditerranée,
toujours chaude en cette saison, l’air se charge alors progressivement en vapeur d’eau (Vinet,
2003).
Figure 0.4 Géopotentiel Z500 hPa le 12/11/1999 à 12h00
(Source InfoClimat.fr)
Des premières précipitations de type convectif sont observables sur la Sardaigne à partir du
11 novembre, indiquant la chronologie d’arrivée du système dépressionnaire sur le sous-
continent Européen. Dans la journée du 12 novembre la barrière anticyclonique se positionne
au niveau des Alpes, renforçant ainsi le flux de sud-est du courant dépressionnaire centré sur
l’Espagne. Cette situation atmosphérique concentre l’afflux d’air chaud de la Méditerranée
dans le mince corridor situé entre le cœur de la dépression et la dorsale, phénomène qui peut
être repéré sur la Figure 0.4 par le resserrement des champs de pressions au niveau de cette
zone. Des vents violents très localisés au Golfe balayent alors la région durant ces deux jours
(Figure 0.5), jusqu’au déplacement des lignes de hautes pressions (Ducrocq et al., 2003).
Figure 0.5 Représentation de l'intensité du vent enregistré le 12 novembre à 12h
(Source : Ducrocq et al., 2003)
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Une fois ces conditions mises en place, il est nécessaire de passer à une échelle plus locale du
phénomène, en étudiant de près les formes atmosphériques à l’origine directe de l’épisode
pluviométrique.
2.1.2. Étude d’un phénomène convectif
Afin d’appréhender les conséquences en terme de pluviométrie de l’épisode atmosphérique, il
est nécessaire de comprendre l’aspect caractéristique du système à l’œuvre les journées du 12
et 13 novembre 1999. La situation mise en place précédemment génère un système pouvant
se définir comme un système convectif en V.
« En son sens météorologique le plus restreint, est qualifié de convection, dans une zone
atmosphérique, tout processus de transport vertical des propriétés de l'air entretenu par une ascendance due à la
présence d'une instabilité convective ; cette ascendance peut être ou non complétée par l'apparition de courants
descendants formant avec elle une structuration plus ou moins complexe de la zone concernée »
1
.
Un système convectif se définit par conséquent par des conditions propices à une ascendance
des masses d’air engendrant une forte instabilité des masses d’air. Dans le cas de l’Aude en
1999, il est possible de parler d’un système convectif en « V » dit rétrograde.
« Dans ce type de système, les cellules orageuses naissent à la pointe du V, se développent en se
propageant vers le haut du V, puis meurent alors que s’en créent de nouvelles, toujours à peu près au même
endroit… » (Ducrocq et al., 2003).
Ce type de perturbation induit une stationnarité des précipitations sur un même territoire,
dont la temporalité et l’intensité varient selon les conditions atmosphériques à l’œuvre. Elle se
génère en particulier par la présence d’une dérive du courant jet en altitude. Dans le cas de
l’épisode de novembre de 1999, cette situation est observable sur la Figure 0.6 où la dérive du
courant jet est visualisable sur la partie Sud de la France. Cette situation est exacerbée par la
présence d’une anomalie de tropopause (qui remonte des Baléares vers les Pyrénées-
Orientales) illustrée par la Figure 0.7, qui a pour conséquence l’accentuation des ascendances
des masses d’air de basses couches.
Figure 0.6 Jet stream et vent (300 hPa), le 12 novembre 1999 à 12 heures (Source: Infoclimat)
1
D’après le glossaire de Météo-France, source : http://www.meteofrance.fr/publications/glossaire/149993-
convection
Dérive du courant-jet
7
Figure 0.7 Epaisseur Z500-Z1000 et vent (850Hpa), le 12 novembre 1999 à 12 heures (Source : Infoclimat)
Les masses d’air chargées en humidité transportées par la situation décrite précédemment et
la situation de blocage atmosphérique par les deux centres anticycloniques vont renforcer les
ascendances au contact avec le pourtour méditerranéen. D’autre part ces basses couches ont
largement convergé vers le Roussillon (Figure 0.5) en raison des vents favorables
d’orientation sud-sud-ouest sur la péninsule Ibérique et sud-sud-est sur le Golfe du Lion
(issus du contournement des Alpes par l’anticyclone d’Est). Cette situation va contribuer à
localiser les masses d’airs de basses couches vers le Roussillon et expliquer les différents
phénomènes de convection à répétition.
« Le fort vent de sud-est en basse couches favorise l’extension de cette langue vers le nord et alimente le
système en air humide » (Ducrocq et al., 2003).
Les lignes de pressions font état d’une diffluence marquée sur le Languedoc, qui indique la
zone de confrontation entre les fronts chaud et froid de la perturbation et installe des
conditions propices à une activité pluvieuse. Consécutivement à cette situation en place le 12
novembre en milieu de journée, des systèmes convectifs en V peuvent être observés sur les
images satellites à partir de 15 heures. Les précipitations touchent alors en premier lieu les
Pyrénées-Orientales pour se déplacer progressivement sur les basses plaines de l’Aude
jusqu’au Tarn dans une orientation sud-est / nord-ouest. A partir de 18 heures, alors qu’une
certaine accalmie peut s’observer concernant l’intensité des précipitations tombées, il est
possible de distinguer deux structures nuageuses en « V ». Cette division de la structure
principale peut s’expliquer par la convergence de cellules convectives en provenance de la
Méditerranée apportées par des vents favorables. Cela contribue à réalimenter la cellule
orientale, avec un regain d’intensité pluviométrique sur la zone affectée. La formation en V
caractéristique de la zone affectée par les précipitations s’atténue ainsi pour s’étendre dans un
axe sud-est / nord-ouest. Au début de la nuit du 13 novembre, la dépression centrée sur les
Baléares effectue une remontée vers les côtes Françaises pour se déplacer finalement vers
l’Est de la Méditerranée. Cela entraîne la disparition progressive des cellules convectives
présentes sur les terres du fait d’une modification des champs de vents. Cette rotation de l’axe
de la dépression engendre la fin des convections et par conséquent de l’épisode
pluviométrique à l’origine des précipitations intenses.
Anomalie de la tropopause
8
2.2. Analyse des précipitations relevées durant
l’évènement
Nous commençons par examiner les cumuls pluviométriques sur 48 heures enregistrés lors de
l’évènement, en lien avec la situation à méso-échelle, puis nous suivons la chronologie de
l’épisode pluviométrique au pas de temps horaire.
2.2.1. Cumul relevés pendant l’épisode pluviométrique
La Figure 0.8 présente la répartition spatiale des cumuls relevés sur l’ensemble de l’évènement
à savoir les journées du 12 et 13 novembre (48 heures). Consécutivement à la représentation
spatiale des précipitations tombées pendant l’épisode pluviométrique plusieurs constats
peuvent être faits. Tout d’abord, il est possible de voir une bande de précipitations intenses
allant des Pyrénées-Orientales jusqu’au Sud du Tarn. L’observation géographique des cumuls
relevés lors des deux journées du 12 et 13 novembre permet de voir la particularité de
l’évènement pluviométrique.
« La forme très allongée des isohyètes tranche avec les tracés ellipsoïdaux habituels des zonages
pluviométriques » (Vinet, 2000).
La répartition des forts cumuls apparaît concentrée sur cette fine bande de précipitations
localisant l’épicentre de l’épisode pluviométrique. Les plus forts cumuls (supérieurs à 400
mm) sont relevés sur une zone allant du massif des Corbières à la Montagne Noire, avec
notamment les basses plaines de l’Aude et le Minervois. Le cumul maximal sur deux jours est
mesuré à la station de Lézignan-Corbières avec 624 mm, valeur de référence pour l’ensemble
de l’évènement. Un autre pic d’intensité est relevé à la station de Montégut située dans les
Monts de Lacaune. Il y a ensuite deux noyaux d’intensité supérieure à 300 mm, le premier
dans la partie aval du bassin de l’Hérault à l’Est de Béziers (350 mm), et le second à proximité
du Mont-Aigoual dans les Cévennes (327 mm tombés à la station de Saint-Sauveur-
Camprieu).
L’extension spatiale de l’épisode pluviométrique apparaît particulièrement grande
(Figure 0.8). Dix départements au total sont affectés par des cumuls supérieurs à 100 mm.
L’épicentre d’intensité maximale est localisé dans le département de l’Aude et dans une
moindre mesure de l’Hérault et des Pyrénées-Orientales, qui concentrent les cumuls
supérieurs à 400 mm. La forte étendue spatiale des zones affectées par des cumuls supérieurs
à 150-200 mm ainsi que la forme atypique des champs de précipitations permettent
d’appréhender le caractère exceptionnel de l’épisode pluviométrique sur laquelle nous
reviendrons par la suite.
9
Figure 0.8 Répartition spatiale des précipitations tombées les journées du 12 et 13 novembre 1999
2.2.2. Précipitations horaires
La Figure 0.9 présente les précipitations horaires ainsi que la courbe des cumuls horaires
cumulés sur quatre stations affectées par l’épisode du 12 et 13 novembre 1999. Les relevés de
précipitations horaires affinent l’analyse au pas de temps journaliers pour l’étude des
évènements convectifs tel que novembre 1999. Il est possible de voir que la pluviométrie est
profondément inégale. Tout d’abord en terme de cumul sur l’évènement : 624 mm à
Lézignan-Corbières (maximum relevé), contre 386 à Durban, 201 à Lacaune dans la vallée du
Rance, et 167 à Labruguière sur le Thoré. Une première limite nord-sud des précipitations
s’illustre alors, avec une intensité centrée sur les Corbières et les moyennes vallées de l’Aude
et une moindre pluviosité sur les reliefs de l’Agout et de la Montagne Noire.
Carte M. Boudou (2015)
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Figure 0.9 Histogrammes de précipitations horaires et courbes des cumuls de précipitations horaires du 12 au 13 novembre 1999
(Source : d'après Leroux, 2000)
La Figure 0.9 permet par ailleurs de visualiser la chronologie des pics d’intensités
pluviométriques, consécutives aux différents évènements convectifs.
Le 12 novembre de 15 heures à 18 heures : un premier épisode véritablement majeur
de précipitations touche le Languedoc-Roussillon avec une valeur proche de 80 mm
à Durban de 16 à 17 heures et 55 mm pour la station de Lézignan.
Entre 18 et 21 heures, un répit peut-être observé au sein de l’épisode
pluviométrique, avec une progression moins rapide des cumuls relevés.
A partir de 21 heures, le renforcement des systèmes convectifs par l’arrivée de
nouvelles basses couches chargées en humidité depuis la Méditerranée génère un
nouvel épisode majeur qui sera déterminant dans les valeurs relevées sur l’ensemble
de l’épisode. A titre d’exemple la station de Lézignan enregistre 106,6 mm en une
heure (de 22 à 23 heures) qui correspond à la valeur maximale horaire sur l’épisode
(Neppel et al., 2001). Cette intensité est moindre sur les autres stations : à Durban, le
pic d’intensité est seulement de 37,2 mm.
De minuit à environ 2 heures, un certain répit s’observe aux stations de Lézignan et
de Durban qui peut s’expliquer par le déplacement de la bande de précipitations vers
l’Ouest (Vinet, 2000). Les relevés horaires de la station de Labruguière illustrent cette
relative accalmie sur les Corbières avec un contraste moins marqué.
De 2 heures à 5 heures, un sursaut dans l’intensité pluviométrique s’observe à
Lézignan, avec des valeurs qui ne sont toutefois pas comparables à celles relevées
précédemment. Cela marque progressivement la fin de l’épisode pluviométrique avec
un retour progressif à la normale malgré une légère activité pluvieuse dans la journée
du 13.
Intensité des inondations de novembre 3.
1999
3.1. Caractérisation hydrologique des crues de
novembre 1999
La majorité des cours d’eau des départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales
ont été concernés par l’épisode de crues de novembre 1999. C’est en particulier le
cas des petits bassins versants des affluents de l’Aude prenant leurs sources dans la
Montagne Noire ou dans les Corbières.
Dans l’Hérault, l’impact sur les cours d’eau est plus limité : seul l’Orb semble avoir
connu une crue sensible au sein de ce département.
Dans le Tarn et l’Aveyron, la zone affectée est également plus circonscrite, limitée
aux vallées de l’Agout, du Thoré ou du Tarn ainsi que leurs affluents (Rance, Arn,
Arnette, Dourdou).
Comme vu précédemment, les conditions météorologiques de formation de l’épisode
pluviométrique permettent de caractériser l’évènement de l’Aude en 1999 comme épisode
convectif d’origine méditerranéenne. D’un point de vue hydrologique, les cumuls
particulièrement importants relevés lors de l’épisode ont engendré des crues « éclair » qu’il
convient de définir. D’après une définition de l’Association Internationale des Sciences
Hydrologiques, les crues « éclair » désignent « des « crues dont l'apparition est soudaine, souvent
difficilement prévisible, de temps de montée rapide et de débit spécifique relativement important. Ces crues éclair
sont donc généralement liées à des épisodes pluvieux intenses et se manifestent souvent sur des bassins de taille
modérée » (Payrastre, 2005). Les vitesses de montée des eaux ainsi que de débit spécifique
apparaissent dans ce contexte, déterminants afin de définir une crue éclair. Après un premier
éclaircissement de la définition de cette notion, une analogie doit ici être faite avec le terme de
crues « torrentielles ». La corrélation existant entre « crues éclairs » et « crues torrentielles »
doit faire l’objet d’un rapide questionnement.
Selon une définition récente : « L’occurrence de crue torrentielle est liée à l’occurrence de deux facteurs :
des précipitations assez intenses et des pentes assez fortes » (Vinet, 2010)
Les quantités précipitées de forte intensité le sont généralement sur une durée
relativement courte, d’où l’utile recours à une analyse au pas de temps horaire mise en avant
précédemment. Le terme de torrentiel (qui fait référence communément aux cours d’eau de
montagne) fait donc ici appel d’une part aux caractéristiques physiques de l’épisode
pluviométrique (intensité et durée), puis dans un autre temps à la géomorphologie du bassin
versant étudié. En France, une sous-distinction géographique peut être effectuée en désignant
les crues torrentielles d’origines méditerranéennes, consécutive aux épisodes pluviométriques
d’origine méditerranéenne comme cela a été le cas en 1999 sur l’Aude ou en septembre 2002
dans le bassin versant du Gard. Les termes de « crues éclairs » et « crues torrentielles » semblent ici
relativement synonymes : ils induisent tous deux une notion de pluviosité intense et
12
concernent principalement des cours d’eau de petits bassins versants souvent marqués par de
forts reliefs. Dans le cas d’une crue telle que 1999 il semble donc judicieux d’utiliser les deux
termes. Afin de voir s’il est possible de classifier les crues de novembre 1999 en tant que crue
éclair, l’analyse des limnigrammes d’une part puis une brève interrogation sur les débits
spécifiques relevés d’autre part va permettre de classifier les crues observées en novembre
1999.
3.2. Durées de submersion et vitesse de montée des
eaux
L’épisode pluviométrique, bref et intense, induit des conditions de formation hydrologiques
particulières pour les crues des cours d’eau affectés. L’observation des limnigrammes à
différentes stations des cours d’eau permet d’analyser la dynamique de la crue.
3.2.1. Dans le bassin de l’Aude
Figure 0.10 Localisation des stations limnimétriques étudiées dans le bassin versant de l’Aude
La Figure 0.10 présente les principales stations limnimétriques utilisées pour reconstituer les
durées de submersions dans le bassin de l’Aude ainsi que sur les principaux sous-bassins des
affluents du fleuve.
13
Figure 0.11 Limnigrammes du 11 au 16 novembre aux stations de Carcassonne, Coursan et Marseillette (Aude).
(Source : données Banque Hydro)
Sur le cours d’eau de l’Aude, la Figure 0.11 illustre les hauteurs d’eau atteintes aux stations de
Carcassonne, de Marseillette (située plus en aval après la confluence avec l’Orbiel) et enfin de
Coursan dans les basses plaines. La durée de submersion est ici courte avec une montée des
eaux très rapide à partir du milieu de journée le 12 novembre (l’eau s’est élevée de 7 mètres en
moins de 13 heures à Coursan) et une décrue progressive à partir du 13 novembre jusqu’au
15, soit donc 2 jours au total. Le pic de crue est plus marqué pour la station de Coursan située
la plus à l’aval du bassin (l’eau s’est élevée de 7 mètres en moins de 13 heures) avec un pallier
au-dessus de 8 mètres pendant deux jours et une décrue à partir du 15 novembre. Les stations
de Marseillette et de Carcassonne davantage en amont, connaissent une crue plus inégale avec
la présence de différents pics. Les hauteurs maximales ont été enregistrées dans la nuit du 12
novembre pour la Marseillette et Coursan tandis que la station de Carcassonne connaît un
deuxième pic de crue consécutif, plus important dans la nuit du 13 au 14 novembre. La
vitesse de montée des eaux, engendrée par les phénomènes convectifs cités précédemment,
semble correspondre à une typologie de crues dites « éclairs » avec une hausse rapide du
niveau d’eau y compris dans le bassin pourtant imposant de l’Aude. Cette vitesse de montée
peut s’expliquer par la violence de l’épisode météorologique ainsi que par l’apport des
différents affluents du fleuve. C’est en particulier le cas à Carcassonne qui réceptionne les
affluents venus des Corbières, expliquant la succession des pics de crues.
14
3.2.2. Dans les sous-bassin de l’Aude
► Sur les affluents Minervois Cesse, Ognon, Argent-Double)
Figure 0.12 Limnigrammes des sous-bassins de l'Aude : Cesse, Ognon et Argent-Double
(Source: données Banque Hydro)
Les sous-bassins du Minervois sont tous trois situés dans la partie aval du bassin de l’Aude
avec une source provenant de la Montagne Noire (Figure 0.12). Il est possible de voir la
corrélation entre les différents pics de crues enregistrés. Les hauteurs maximales pour les trois
stations représentées se situent tous au début de la nuit du 13 novembre : entre minuit et 1
heure du matin pour l’Ognon à Pépieux et l’Argent-Double à La Redorte. Le maximum de la
Cesse, situé plus en aval se situe quant à lui aux alentours de 5 heures du matin à la station de
Mirepeisset. La montée des eaux pour ces mêmes bassins s’effectue de manière très brève
comme l’illustre la forme des courbes. De manière générale, la montée des eaux s’est déroulée
dans une échelle temporelle variant de 5 à 6 heures pour les trois bassins versants, ce qui
représente bien la dynamique de torrentialité à l’œuvre lors de l’épisode sur ces bassins. La
décrue s’effectue quant à elle de façon plus abrupte sur l’Ognon et la Redorte que sur le cours
de la Cesse à Mirepeisset où il est possible de noter la présence d’un deuxième pic de crue
dans la nuit du 13 au 14 novembre. Cette asynchronicité des pics de crue entre la Cesse et les
autres cours d’eau s’explique par l’influence des réseaux karstiques dans ce bassin (Chapitre
IV).
15
► Situation sur le Fresquel
Figure 0.13 Limnigramme du 11 au 16 novembre à la station de Carcassonne sur le Fresquel (au Pont-Rouge), données de la Banque
Hydro
L’observation des limnigrammes sur le Fresquel (Figure 0.13), permet d’observer une crue
moins marquée que sur les bassins étudiés précédemment, avec une montée des eaux à partir
du 12 qui se poursuit la journée du 13. Le Fresquel a différents affluents, dont ceux sur la
partie nord, qui prennent leur source au sein de la Montagne Noire. La plus grande taille du
bassin et son exposition aux perturbations océaniques contrairement aux affluents des
Corbières, entraînent l’écrêtement des crues avec un maximum observable à Carcassonne le
13 novembre à 19 heures, soit après le pic de l’Aude (Figure 0.11).
► Situation sur l’Orbieu
Le bassin de l’Orbieu regroupe une partie du massif des Corbières et se situe largement sur la
bande sud-nord des fortes précipitations relevées lors de l’épisode pluviométrique (Figure
0.8).
Figure 0.14 Limnigrammes des stations de Luc-sur-Orbieu et Saint-Martin-des-Puits (Orbieu) du 11 au 16 novembre, données de la
Banque Hydro
A Saint-Martin-des-Puits plusieurs pics de crues peuvent être relevés, avec un premier
maximum le 12 en début de soirée puis le 13 en fin d’après-midi. La crue ne semble pas très
prononcée pour la station. A Luc-Sur-Orbieu, plus en aval, la situation est sensiblement
16
différente. Une montée rapide du niveau du cours d’eau s’effectue à partir du 12 à environ 17
heures pour arriver à son paroxysme le 13 à 0h30 qui constitue l’heure à laquelle la station
limnimétrique est emportée (Vinet, 2003). Cette montée relativement semblable à celle
observée sur les cours d’eau de la Montagne Noire reflète l’importance de la crue dans le sous
bassin de l’Aude et l’intensité du phénomène hydrologique dans la nuit du 12 au 13
novembre.
3.2.3. Situation dans les autres bassins versants
Le phénomène hydrologique sur la Berre peut être observé grâce aux relevés disponibles sur
la Banque Hydro à la station de Ripaud.
Figure 0.15 Limnigramme de la station de Ripaud (Berre) du 11 au 16 novembre, données de la Banque Hydro
Le cours d’eau de la Berre, prenant sa source dans les Corbières, a eu un seul pic de crue avec
un maximum dans la soirée du 12 novembre. La montée des eaux s’effectue, tout comme
pour les petits bassins versants étudiés précédemment de manière très rapide, avec une durée
de l’ordre de 5 à 6 heures jusqu’au maximum. La décrue est également rapide avec un retour
progressif à la normal dès la journée du 14.
17
► Situation sur l’Agly et le Verdouble
Figure 0.16 Localisation des stations limnimétriques étudiées sur les cours d'eau au Sud du bassin versant de l'Aude
La comparaison des limnigrammes relevés à Estagel et à Tautavel (Figure 0.17), permet
d’apprécier la dynamique de la crue lors de l’épisode pluviométrique de mi-novembre 1999.
Figure 0.17 Limnigrammes sur le bassin versant de l'Agly aux stations de Estagel et de Tautavel (Verdouble) du 11 au 16 novembre,
(Source : données Banque Hydro)
Il est possible de constater que les pics de crues sont sensiblement identiques. La montée des
eaux s’effectue dans la même fourchette horaire (à savoir aux alentours de 15 heures le 12
novembre). Un premier pic de crue est observable en fin de journée le 12 pour la station de
l’Agly, qui connaît cependant son maximum de hauteur quelques heures plus tard le 13
novembre. La station de Tautavel relève quant à elle un pic maximum vers 1 heure du matin
Carte M. Boudou (2015)
18
le 13, puis un second pic moins important quelques heures après. D’autre part, un pic
secondaire peut être repéré en fin d’après-midi le 13 novembre pour les deux stations
reflétant un sursaut dans l’activité hydrologique consécutivement à un regain de l’activité
pluviométrique à la mi-journée.
► Situation dans le bassin versant de la Têt
Figure 0.18 Limnigrammes du bassin de la Têt aux stations de Perpignan, Serdinya et Mont-Louis du 12 au 15 novembre
(Source : données Banque Hydro)
Dans les cours d’eau des Pyrénées-Orientales, si la hausse reste modérée pour les stations de
Mont-Louis et de Serdinya, la crue est plus marquée à Perpignan dans la partie aval du bassin
de la Têt. Le maximum de hauteur est enregistré dans la nuit du 12 au 13, consécutivement à
un regain d’activité pluviométrique dans la nuit du 13 novembre, situation que reflétaient les
limnigrammes du bassin versant de l’Agly avec une influence cependant plus secondaire
(Figure 0.17).
3.3. Observations des débits spécifiques atteints par les
crues
L’analyse des relevés limnimétriques enregistrés durant l’épisode du 12 et 13 novembre 1999
confirme que les vitesses de montée des eaux ont été très rapides, en particulier pour les
petits bassins versants. Si l’on fait référence à la définition de crue « éclair » donnée en
première partie il apparaît intéressant de revenir brièvement sur la caractérisation des débits
spécifiques atteints par les différents cours d’eau afin de compléter l’analyse hydrologique des
crues. La Figure 0.19 représente les différents débits spécifiques relevés lors de l’évènement et
permet d’établir plusieurs constats. En toute logique, les petits bassins versants sont
davantage enclins à enregistrer un débit spécifique plus important, la pluviométrie décroissant
avec la superficie du bassin versant. D’autre part, il est possible de noter que les cours d’eau
de la Berre (et son affluent le Verdouble), ainsi que de l’Ognon (affluent de l’Aude) ont les
plus importants débits spécifiques enregistrés durant les crues. La valeur maximale est relevée
à Durban-Corbières sur la Berre avec 13 m3.s-1.km-2. A Pépieux, l’Ognon enregistre quant à
lui un débit spécifique équivalent à environ 5,7 m3.s-1.km-2.
19
Figure 0.19 Débits spécifiques relevés lors des crues et taille du bassin versant associée
(Source : d’après Lefrou et al., 2000, Vinet, 2003)
L’interprétation des débits spécifiques relevés lors de l’évènement peut s’effectuer grâce à la
transposition de ces valeurs en lame d’eau moyenne tombée par km2 (Tableau 0.1).
Tableau 0.1 Tableau d'équivalence entre lame d'eau théorique écoulée et débits spécifiques instantanés
(Source : Vinet, 2001)
Ainsi, pour illustrer l’importance du phénomène pluviométrique et ses répercussions
hydrologiques, le bassin versant de la Berre à Durban-Corbières avec un débit spécifique de
13 m3.s-1.km-2 ce qui correspond à une lame d’eau théorique écoulée de 46 mm.h-1. A titre de
comparaison le bassin versant de l’Aude à Carcassonne a été de 13 m3.s-1.km-2, soit une lame
d’eau théorique écoulée de 3,6 mm par heure. Les valeurs de débits spécifiques relevées lors
de l’évènement peuvent être considérées comme records pour les stations situées à proximité
de la zone pluviométrique intense avec une estimation locale de valeurs supérieures à
29 m3.s-1.km-2 soit plus de 100 mm par heure comme pour la Grave à Estagel (Vinet, 2003).
3.4. Périodes de retour atteintes par l’évènement
hydrologique
Les nombreux rapports d’expériences traitant de l’évènement de novembre 1999, dont le
rapport interministériel de 2000 , permettent d’estimer de façon relativement précise les
périodes de retour atteintes par les crues au niveau des stations hydrologiques. La Figure 0.20
permet de localiser l’intensité des crues sur les cours d’eau en fonction de la période de retour
20
atteinte ainsi que l’étendue spatiale des quantités d’eau précipitées durant l’évènement. La
grande majorité des cours d’eau affectés par l’épisode pluviométrique connaissent des crues
de plus ou moindre grande intensité.
Ce sont principalement les cours d’eau de l’Aude qui sont les plus affectés avec une
limite Sud-Nord relativement marquée et correspondant approximativement à la limite des
précipitations supérieures à 300 mm. Tout d’abord, les cours d’eau de la partie orientale de la
Montagne Noire, à savoir l’Arnette, l’Argent-Double, la Cesse et l’Ognon connaissent des
crues avec une période de retour variant de 50 à environ 100 ans. Une zone de forte intensité
hydrologique peut également être visualisée autour du massif des Corbières avec là aussi des
périodes de retour proche de 100 ans : Verdouble et Agly, Orbieu, Berre ainsi que le Lauquet.
Le Thoré d’autre part a connu une forte une crue depuis Mazamet jusqu’à Labruguière, liée
en particulier à l’importance des apports de l’Arnette. Cette crue a notamment aggravé la crue
de l’Agout à l’aval de sa confluence Enfin, toujours concernant ces fortes valeurs de périodes
de retour, il faut souligner que le Rance a connu une crue importante et constitue une
exception à la limite d’intensité Sud-Nord observable sur la Figure 0.20.
Les cours d’eau des Pyrénées-Orientales (excepté l’Agly) ont été moins impactés que
sur le bassin versant de l’Aude. La crue du Réart est inférieure à la décennale tandis que la
Tech et la Têt (par exemple) enregistrent des valeurs légèrement supérieures à ce seuil. Outre
une limite Nord-Sud clairement visualisable, il est également possible de distinguer une limite
Est-Ouest : les cours d’eau situés en dehors des limites de l’isohyète 300 mm connaissent tous
des crues inférieures à la crue cinquantennale.
Suite à la caractérisation hydrologique des crues de novembre 1999 il est possible de
voir que les valeurs de périodes de retour, bien qu’exceptionnelles, ne correspondent pas à
une intensité pouvant être définie comme remarquable (c'est-à-dire une valeur nettement
supérieure à 100 ans). Afin de mieux comprendre l’intensité des crues, il faut ainsi prendre en
compte l’étendue spatiale des répercussions hydrologiques (5 départements touchés) ainsi que
l’intensité de l’épisode pluviométrique.
21
Figure 0.20 Localisation des périodes de retour atteintes par les crues de novembre 1999 et représentation surfacique de la lame
d'eau moyenne précipitée (Source : BDClim, Lefrou et al. 2000, Vinet, 2003, DDTM 11)
3.5. Les facteurs aggravant l’intensité des inondations
de novembre
En réaction aux fortes crues engendrées par l’épisode pluviométrique, un grand nombre de
facteurs aggravant significativement l’intensité de l’aléa sont répertoriés. Les principales
répercussions sur le niveau de l’aléa sont liées aux différentes ruptures de digues.
Effectivement, l’intensité des débits relevés lors de l’évènement a engendré de nombreuses
ruptures de digues. Parmi ces destructions d’ouvrages, les ruptures de digues à Saint-Laurent
de Salanque (sur l’Agly) et à Sallèles-d ’Aude sont les plus emblématiques.
22
3.5.1. Rupture de digue à Saint-Laurent de Salanque
La commune de Saint-Laurent de Salanque, située sur les basses plaines de l’Agly, a connu
une brusque inondation suite aux ruptures de digues lors de l’évènement de 1999. Les
périodes de retour atteintes lors de l’évènement font état de crues proches de la crue
centennale, en particulier sur le bassin du Verdouble qui fut fortement affecté par l’épisode
pluviométrique (Figure 0.20).
Dans la soirée du 13 novembre, le fleuve charrie un débit exceptionnel estimé à plus de
2000m3/s (dont 1000 m3/s proviendrait du Verdouble) au niveau de Saint-Laurent et entraîne
la submersion des plus basses digues situées sur l’Agly (Calvet et Serrat, 2000). Au niveau de
Saint-Laurent-de-Salanque, commune située quelques kilomètres avant l’embouchure du
fleuve, une brèche d’environ 45 mètres de long se crée suite à la surverse de l’ouvrage de
protection. La vague générée par cette soudaine rupture va entraîner la destruction d’une
station d’épuration et l’inondation des communes de Barcarès et de Saint-Laurent (Vinet,
2003). D’importants dommages seront constatés aux habitations avec une hauteur d’eau de 1
à 3 mètres localement. Un supermarché ainsi qu’un centre de gendarmerie, nouvellement
construit, seront fortement endommagés. La rupture de digue à Saint-Laurent lors de
l’épisode de novembre 1999 met en évidence l’importance de l’aménagement humain et des
ouvrages de protection dans l’amplification de l’aléa hydrologique et la nécessité de bien
connaître les failles de ces ouvrages. A titre d’illustration, la digue qui a rompu en 1999 avait
déjà été identifiée comme zone de faiblesse lors des inondations du 26 et 27 septembre 1992
(Calvet et Serrat, 2000). D’importants dommages seront comptabilisés suite à la rupture de la
digue de Saint-Laurent, rupture qui doit toutefois être relativisée dans le cadre d’une analyse
de l’ensemble de l’évènement.
3.5.2. La rupture de digue et du remblai ferré à Sallèles d’Aude : un élément
déterminant de la catastrophe
Le village de Sallèles d’Aude est situé à la confluence de la Cesse et de l’Aude, le long du
Canal de jonction (dont la fonction est la liaison entre le Canal du Midi et le Canal de Robine
à Narbonne). Le canal de jonction est endigué sur toute sa longueur afin de prévenir les crues
du fleuve. Un remblai ferré, d’environ 10 mètres de haut est situé juste en aval. Le 12 et 13
novembre l’Aude connaît une crue majeure, avec un débit estimé à près de 4500 m3/s (Vinet,
2003), dont l’eau s’accumule le long des ouvrages de protection pour former une importante
retenue d’eau inondant le village de Sallèles : « Un lac de 2 à 6 m de profondeur sur 15 km2 se forme
à l'amont du canal de jonction ». Le 13 novembre, aux alentours de 8 heures, le niveau d’eau
baisse alors sensiblement dans le village, conséquence de la rupture des digues du Canal de
Jonction (Langumier, 2008). Effectivement l’ouvrage de protection n’a pu résister à l’action
exercée par la crue entraînant la création de brèches. Consécutivement à cette première
rupture, le remblai ferré situé 200 mètres en aval va également céder.
23
« Sous la pression, les digues du canal de jonction ont cédé entre 7 heures ou 8 heures le samedi. Le
volume d’eau accumulé derrière le remblai de la voie RFF, qui traverse perpendiculairement la plaine, avant
que lui aussi ne cède ennoyant alors Cuxac-d’Aude par les quartiers nord (en rive gauche du
RecAudié) » (Defossez, 2009).
Suite à l’incident, une vague équivalente à la rupture d’un barrage de 7 mètres de haut (Vinet,
2003) va submerger la voie ferrée en détruisant le pont de chemin de fer (qui fut déjà détruit
lors des inondations de mars 1930 et octobre 1940), puis se diriger vers le village de Cuxac
d’Aude. Les hauteurs vont jusqu’à 2,5 mètres localement dans ce village, constituant les plus
hautes eaux connues. De nombreux impacts vont résulter de la soudaine rupture des
ouvrages, économiques tout d’abord mais également humains (5 victimes recensées à Cuxac).
En effet les hauteurs d’eau élevées ainsi que la forte vitesse relevée lors du passage de la vague
vont être déterminantes dans la catastrophe que vont connaître les habitants de Cuxac.
D’autre part, si les conséquences apparaissent flagrantes sur le territoire de cette commune,
c’est l’ensemble des basses plaines de l’Aude qui vont être submergées suite à l’évènement,
conjointement à d’autres ruptures de digues (à Cuxac également ainsi qu’à Coursan plus en
aval). Il convient de souligner que le pic de crue de la Cesse à Mirepeisset ne coïncide pas
directement avec les ruptures de digues de Sallèles. Effectivement, le paroxysme de la crue se
situe aux alentours de 6 heures de matin le 13 novembre (Figure 0.12). Or, les ruptures
s’effectuent entre 7 et 8 heures d’après les témoignages tandis que l’onde de crue met
normalement 3 heures pour arriver d’une commune à l’autre. Si la crue des affluents de
l’Aude a indubitablement joué un rôle, le pic de crue de la Cesse ne peut donc toutefois pas
être mis en cause directement dans les ruptures de digues à Sallèles d’Aude.
3.5.3. Influence des surcotes marines dans l’écoulement des crues
Lors de l’évènement de novembre 1999 la dépression localisée sur la méditerranéen
s’accompagne d’un fort vent d’orientation sud-est avec une moyenne de 100 km.h-1 et des
rafales à 140 km.h-1 (Vinet, 2003). Ce phénomène relativement classique pour une
perturbation d’origine méditerranéenne a contribué à augmenter le niveau de l’élévation du
niveau de la mer aux abords des estuaires. Dans les bassins de l’Aude et de l’Agly, la surcote
marine ralentit considérablement l’écoulement des crues en cours sur les fleuves côtiers,
participant ainsi à l’aggravation de l’aléa. La hauteur de surcote est estimée à environ 0,75
mètre à Sète et entre 1 et 1,3 mètre à Port-Vendres durant la journée du 12 novembre (Lefrou
et al., 2000).
24
Gravité de l’évènement : dommages 4.
imputables aux inondations de l’Aude en
1999
4.1. Victimes imputables aux inondations
Au total 35 décès sont relevés suite aux épisodes de crues de novembre 1999 (Lefrou et al.,
2000). Il est possible d’effectuer une cartographie de ces derniers afin de mettre en évidence
les départements les plus impactés (Figure 0.21).
Figure 0.21 Localisation des victimes imputables aux inondations de novembre 1999
(Source : Boissier, 2013)
Au total 4 départements comptabilisent des décès suite aux inondations, départements qui
concentrent la plupart des cumuls supérieurs à 200 mm de l’épisode pluviométrique. L’Aude
est indubitablement le département le plus affecté avec 25 victimes relevées soit près des
trois-quarts des décès relevés sur l’ensemble de l’évènement. Les autres départements ont été
relativement moins affectés avec respectivement 5 victimes dans le Tarn, 3 dans les Pyrénées-
Orientales, et enfin 2 décès répertoriés dans l’Hérault (Lefrou et al., 2000).
Carte M. Boudou (2015)
25
4.1.1. Localisation des décès par communes
Les données récoltées et analysées dans le cadre du travail de thèse de Laurent Boissier sur la
mortalité des inondations dans le Languedoc (Boissier, 2013) permettent de localiser les
communes dans lesquelles des décès sont répertoriés durant les inondations de novembre
1999 (Figure 0.22). La représentation cartographique de ces données permet de visualiser les
principales zones concernées par des décès.
Figure 0.22 Communes comptabilisant au moins un décès lors des inondations de novembre 1999, Carte M.
Boudou, source données : Boissier, 2013.
Plusieurs constats peuvent être établis suite à la localisation précise des victimes. Tout
d’abord, la répartition spatiale des décès semble plutôt hétérogène entre les différents
départements et bassins versants affectés par les inondations. Une concentration apparaît
toutefois sur les basses plaines de l’Aude. Ce foyer de mortalité correspond notamment au
lieu de rupture des digues évoquées précédemment, ce qui permet d’établir un lien de
corrélation entre les deux facteurs. Il faut également noter les communes de Félines-
Termenes et de Labastide-Rouairoux qui comptabilisent 5 cas de décès sur leur territoire.
Carte M. Boudou (2015)
26
4.2. Dommages imputables aux inondations de
novembre 1999
Nous nous attarderons que brièvement sur les dommages imputables aux inondations de
novembre 1999. Ces derniers ont en effet l’objet d’études approfondies, permettant d’avoir
une bonne idée de l’endommagement rencontré lors de cet évènement (Comby, 2000, Vinet,
2008). Afin de donner un ordre de grandeur, les dommages indemnisés des inondations de
novembre 1999 sont estimés à 433 millions d’euros et s’inscrivent parmi les plus
dommageables du territoire français depuis la mise en place du système CatNat en 1982
(FFSA-GEMA, 2011).
4.3. Répercussions socio-politiques et médiatiques
engendrées par les inondations
4.3.1. Répercussions à court et moyen termes
► D’importantes répercussions médiatiques : de vives polémiques suite à
l’inondation de 1999
Les répercussions médiatiques des inondations de novembre 1999 dans l’Aude furent
immédiatement reprises à l’échelon national. Les journaux télévisés et ouvrages de presse
mettent en lumière la catastrophe du Sud-Ouest, avec des titres souvent catastrophistes.
Certaines thématiques vont successivement faire l’objet d’une attention toute particulière de
la part des médias. C’est le cas d’une part des décès, appuyés souvent de témoignages se
voulant poignant pour le lecteur. Ils relatent également l’étendue des dommages en prenant
comme exemple des lieux très affectés pour illustrer l’évènement et ses effets dévastateurs.
C’est le cas notamment du village de Cuxac d’Aude et du hameau des Garrigots, portés en
symboles par les discours médiatiques (Langumier, 2006). L’objectif peut être la recherche
d’une solidarité nationale, ou encore le jeu du catastrophisme pour alerter le lecteur.
Par la suite, à mesure que s’éloigne temporellement la date de l’évènement, on notera
de vives polémiques dans différents médias nationaux et locaux. L’objectif est ici de
comprendre la catastrophe et d’en expliquer les causes : y-a-t-il eu une défaillance des
politiques de prévention des risques ? La catastrophe était-elle prévisible ? La recherche
d’éventuels coupables semble progressivement prendre le pas sur le récit de la catastrophe en
soit. Plusieurs aspects seront par conséquent pointés du doigt par les journaux tels que
l’absence de politiques de prévention (pas de PPR de manière systématique), ou bien la mise
en cause de la veille météorologique. Ces différentes explications vont mener à la recherche
de responsabilités, et participeront activement aux répercussions politiques qui s’en suivent.
27
► Visites et sympathies de personnalités politiques
Comme lors de nombreux évènements dits exceptionnels, la visite de personnalités politiques
apparaît comme le soutien de l’Etat aux populations des territoires sinistrés. Suite aux
inondations de novembre 1999, de nombreux représentants du gouvernement vont effectuer
une visite aux régions sinistrées. Le 14 novembre, Jacques Chirac se rend ainsi dans l’Aude
(La Dépêche du Midi, 14/11/1999). Le 18 novembre le premier Ministre Lionel Jospin
décide de se rendre à son tour dans les départements affectés.
« J'y rencontrerai les élus, les responsables économiques et les autorités administratives de tous les
départements touchés. J'indiquerai les mesures exceptionnelles qui auront été décidées d'ici là au vu de
l'évaluation de la situation. Que les populations touchées par cette catastrophe sachent qu'elles pourront
compter sur la mobilisation sans faille du Gouvernement et sur la solidarité de la nation » (Compte rendu
de l'Assemblée Nationale, 16/11/1999).
Devant l’ampleur des dommages et les répercussions médiatiques des inondations, le
gouvernement décide donc rapidement de se rendre sur place afin de réfléchir à des mesures
de prévention adaptées.
► Déclenchement des plans d’urgence
Durant l’évènement le plan ORSEC, pour la mise en place des premiers secours, est
déclenché la nuit du 12 au 13 novembre à environ 2 heures 30 du matin dans les
départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales. Il est décidé dans le département du Tarn
quelques heures plus tard (6h). Dans le département de l’Hérault où la situation semble moins
critique, seul un PC est établi (Lefrou et al., 2000). Le plan est maintenu jusqu’au 15
novembre dans les Pyrénées-Orientales et l’Hérault. Dans l’Aude néanmoins où les
dommages sont les plus importants, le plan ORSEC se poursuit jusqu’au 15 décembre, ce qui
traduit l’ampleur de la catastrophe dans ce département (Defossez, 2009). Selon le rapport
Lefrou, ce plan possède un double effet bénéfique : tout d’abord la prise de conscience
psychologique pour les habitants en soulignant le caractère de crise à laquelle ils sont
confrontés ; d’autre part il participe au rapide déploiement des services de secours internes ou
externes pour la gestion de crise (Lefrou et al., 2000). Le contexte de gestion de crise lors des
inondations de novembre 1999 met en lumière la réaction rapide des autorités compétentes.
Cet aspect se trouve confirmé par la vitesse de déclaration des communes en état de
catastrophe naturel (CATNAT) qui intervient dès le 17 novembre soit 4 jours après la fin de
l’épisode pluviométrique (Vinet, 2003).
« Exceptionnellement, les arrêtés de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle dans les
départements sinistrés furent publiés au Journal Officiel avec une extrême célérité : quatre jours après
l’évènement pour le premier arrêté, alors que la moyenne est d’au moins trois mois » (Ledoux, 2000).
► Intervention de l’armée
Les forces militaires sont intervenues à de nombreuses reprises lors des inondations de
novembre 1999, mettant en lumière l’incapacité pour les autorités locales à gérer l’ampleur de
la crise. Dès le 12 novembre celle-ci intervient à Narbonne ainsi qu’à Pézilla-la-Rivière afin
d’évacuer la population du danger (Lefrou et al., 2000). Il convient également de souligner
28
l’intervention de la Croix-Rouge qui participe de façon active à l’aide des sinistrés dans les
jours qui suivent l’évènement.
► La mise en place de retours d’expériences suite à l’évènement
Le 17 décembre 1999 soit 1 mois après les crues de novembre, la ministre de l’Ecologie, Mme
Dominique Voynet, mandate le Conseil Général des Ponts-et-Chaussées et l’expert Claude
Lefrou à rédiger un retour d’expérience sur les inondations. Le rapport constitué d’une
centaine de pages retrace l’ensemble des impacts recensés sur les territoires affectés et précise
l’évolution de la gestion de crise et post-crise afin de mettre en évidence les points sur
lesquels une réflexion scientifique pourrait être apportée. Dans cette optique, 36 « facteurs de
progrès » sont pointés du doigt, « qui permettraient d’améliorer le fonctionnement des services
déconcentrés » (Lefrou et al., 2000). Ces remarques se portent notamment sur l’amélioration des
systèmes d’alertes et d’annonce des crues à la population qui connut plusieurs défaillances
durant l’évènement de novembre 1999.
En parallèle de ce premier retour d’expérience, il faut également souligner le retour
d’expérience réalisé par Ledoux Consultants publié en juillet 2000 qui préconise une série de
mesures suite à l’évènement afin d’améliorer la gestion de crise et la phase de reconstruction
des territoires affectés.
« L’objectif étant avant tout de balayer l’ensemble des dispositifs de réponse à la catastrophe pour en
faire ressortir les principaux atouts et faiblesses. Il constitue une première étape sur un sujet peu abordé en
France jusqu’ici » (Ledoux, 2000). Face au constat de la forte exposition des populations et de
failles existantes dans la gestion du risque, les inondations de novembre suscitent la recherche
de nouvelles solutions pour la gestion des risques d’inondations.
4.4. Répercussions à long terme
L’évènement de novembre 1999 a eu de lourdes répercussions politiques sur les politiques de
prévention du risque. Ces mesures s’appuient en grande partie par les résultats des retours
d’expériences cités précédemment.
► Une réforme de l’alerte aux populations et du système d’annonce des crues liée
aux crues de 1999 ?
Les inondations de 1999 ont mis en évidence des failles dans le système d’alerte des
populations face aux crues. Afin d’améliorer les politiques à l’œuvre et réduire à l’avenir les
défaillances une série de mesures vont être prises. Il faut néanmoins attendre les crues de
septembre 2002 dans le Gard et les Bouches-du-Rhône afin de voir apparaître les premières
mesures règlementaires. Effectivement si les inondations de l’Aude ont contribué à de vives
polémiques autour de la gestion du risque, celles-ci ont été atténuées par l’ampleur des
tempêtes de décembre 1999 (Vinet, 2007). Il semble que ce soit la succession d’évènements
catastrophiques qui ait accéléré la réaction politique et la prise de nouvelles mesures. Ainsi le
1er octobre 2002 est émise une première circulaire relative à l’annonce des crues. Elle sera
29
appliquée officiellement lors du décret de la loi « Risques » du 30 juillet 2003. Celle-ci
recommande la mise en place de Services de Prévisions des Crues ou SPC (au détriment des
Services d’Annonce des Crues ou SAC). La loi porte une attention particulière sur les
épisodes cévenols (suite aux récents évènements catastrophiques) connus pour leurs fortes
répercussions. En parallèle, la circulaire parue le 1er octobre 2002 recommande la création
d’un organisme étatique indépendant faisant la liaison entre les prévisionnistes de Météo-
France et les SPC. En conséquence la loi du 2 juin 2003 décrète la création du Service central
d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des crues (alias le SCHAPI). Ce nouvel
organisme définit trois objectifs principaux :
« Établir et publier tous les jours, en liaison avec les Services de Prévision des Crues, une carte de
vigilance « crues » nationale avec la mise en ligne en temps réel des données hydrométriques des cours
d’eaux, sur le site http://www.vigicrues.gouv.fr
Prodiguer aux Services de Prévision des Crues (SPC) et aux unités d'hydrométrie (UH) répartis
sur le territoire national, une mission générale d’appui : animation, assistance, conseil, formation,
développement d’outils opérationnels.
Collecter à un niveau national et en temps réel les données hydrométéorologiques des différents
producteurs de données ».
La mauvaise interprétation des messages provenant des prévisionnistes lors de l’épisode de
novembre 1999 apparaît ici sous-jacente et sous-tend les répercussions politiques de ces
inondations sur la règlementation. Comme confirmé précédemment, bien que n’ayant pas été
le seul élément déclencheur de la réforme d’annonce des crues, les inondations de l’Aude ont
joué un rôle. « La plupart de ces recommandations ont été reprises lors de la profonde réorganisation du
dispositif d'annonce des crues qui a été engagée à la suite des évènements catastrophiques survenus entre 1999
et 2002 (crues de l'Aude déjà citée, de la Somme en 2001, du Gard en 2002) » (Chauvière et al., 2010).
Les répercussions politiques de l’évènement, à l’origine d’une profonde réforme de la gestion
des risques, peuvent ici être considérées comme d’ampleur nationale et illustrent le degré de
remarquabilité des inondations étudiées.
4.4.1. Polémiques sur le rôle des ouvrages de protection
Outre la gestion de l’annonce des crues, le deuxième point souvent relayé à propos des
inondations de 1999 est le comportement des ouvrages de protection durant une crue. La
mise en évidence de facteurs aggravant significativement le niveau d’aléa a permis de mettre à
jour l’importance de ces sous-évènements. Le fort endommagement de Cuxac par exemple
est à l’origine d’une vive polémique largement relayée par la presse sur les logiques de
protection structurelle face à la survenance d’un épisode exceptionnel. La circulaire du 1er
octobre 2002 fait référence à l’action de ces ouvrages et notamment des digues de protection.
Une nouvelle circulaire confirmera l’intérêt de l’Etat dans ces ouvrages datée du 6 août 2003.
L’objectif est ici de localiser les digues intéressant la sécurité publique et de veiller à leur suivi
en matière de sûreté et de règlementation. Les inondations de novembre 1999 apparaissent
dans ce contexte comme évènement fondateur de cette politique, en parallèle des inondations
30
de septembre 2002 dans le bassin versant du Gard et de 1993-1994 sur le bas-Rhône (Bulletin
Officiel, 2003).
4.5. Facteurs aggravant les dommages
4.5.1. Chronologie de l’alerte aux populations lors des inondations de 1999 :
apparition de défaillances ?
► Prévisions météorologiques de l’évènement
Le 11 novembre à 15 heures 31, un premier bulletin régional d’alerte météorologique (le
BRAM) est lancé par les prévisionnistes du centre Météo-France d’Aix-en-Provence. L’alerte
concerne un épisode pluvieux, avec des cumuls d’environ 30 à 60 mm et des maxima pouvant
atteindre localement 150 mm, sur les départements de l’Aude, des Pyrénées-Orientales et de
l’Hérault. L’intensité de l’évènement prévu parait alors importante mais ne peut toutefois pas
être considérée comme exceptionnelle pour les départements affectés. Le 12 novembre, de
nouvelles prévisions sont réalisées. Le centre de Bordeaux émet un nouveau BRAM à 7 h 05
en mettant en évidence un épisode de forte pluie sur les départements de l’Aveyron et du
Tarn-et-Garonne, avec des quantités moyennes de 30 à 50 mm sur 24 heures et des pointes à
100 mm. A 13h20 le centre d’Aix rédige à son tour un nouveau bulletin d’alerte avec
l’annonce de cumuls moyens autour de 100 mm et des maxima à 200 mm localement. Le
département du Gard est ajouté à la liste des départements alertés. Il faut néanmoins
souligner que le département du Tarn, fortement affecté par la crue du Thoré, n’est
cependant toujours pas concerné par la vigilance. En parallèle de ces premiers bulletins,
l’épisode pluviométrique gagne en intensité pour atteindre plus de 70 mm à Lézignan lors de
la parution du deuxième bulletin. Un nouveau bulletin est émis à 17h33 au vu du gain en
intensité de l’épisode. Ce dernier va déterminer l’alerte qui est communiquée à la presse à 18
heures. Il est rapporté qu’au vu des intensités pluviométriques mesurées « les cumuls dépasseront
fréquemment les 200 mm. Ponctuellement, on pourra atteindre les 400mm » (Sérafini, 15/11/1999).
► Importance des prévisions météorologiques dans l’alerte aux populations lors
de l’évènement ?
La précision des prévisions semblent ici être en adéquation avec les relevés, avec une intensité
toutefois moindre que la réalité. Cet aspect pose la question de la prévision des cumuls
exceptionnels relevés par exemple à Lézignan : un évènement aussi intense est-il réellement
prévisible ? L’intensité du phénomène pluvieux, qui touche avec une grande intensité une
large étendue spatiale (aussi bien les basses plaines que les bassins montagnards), remet en
cause la fiabilité des prévisions météorologiques annoncées (Antoine et al., 2001). La prévision
météorologique, comme l’hydrologie, souffre d’incertitudes qui grandissent à mesure que le
phénomène observé est rare. L’évènement va servir dans cette optique de cas d’étude pour
l’amélioration des modèles prévisionnistes des épisodes convectifs tels que celui de novembre
1999 (Ducrocq et al., 2003). Dans un autre temps il faut souligner que le communiqué de
presse prévenant de l’intensité des pluies relevées apparaît tardif, en fin d’après-midi le 12
31
tandis que les premières submersions sont déjà relevées (c’est le cas sur l’Orbieu à Lézignan).
Ce délai va de plus empêcher la diffusion du communiqué dans les journaux paraissant le soir
(Vinet, 2003), limitant l’accessibilité de l’information aux populations concernées. L’alerte
météorologique parfois inexacte si l’on se penche sur l’exceptionnalité du phénomène a
surtout souffert d’un retard dans la transmission au public. Néanmoins c’est l’organisation du
service d’annonce des crues dans son ensemble qui doit être critiquée ici. Effectivement une
alerte a bien été transmise par Météo-France cependant celle-ci ne fut pas totalement
appréhendée par les responsables.
► Défaillance de l’annonce des crues aux populations locales
Les dépêches diffusées par Météo-France devait être transmises directement à la préfecture
de département, chargée de prévenir les maires des communes concernées dans le but
d’avertir ou bien évacuer les habitants susceptibles d’être inondés. Toutefois, cet aspect se
révèle compliqué lors des inondations de 1999 et ce pour plusieurs raisons. L’annonce des
crues est réformée par l’arrêté du 27 février 1984. « Ces principes reposent sur une clarification des
responsabilités et la séparation des processus d’alerte et d’information. La prévision ne fait pas l’objet de ce
règlement » (Erlich et al., 2000). L’Etat entend ainsi règlementer l’annonce des crues de manière
synthétique en identifiant les rôles des acteurs territoriaux. L’annonce des crues est à partir de
cette période soumise aux informations transmises par les SAC (Service d’Annonce des
Crues), qui détermine le système d’annonce et d’alerte aux populations pour la zone
concernée. En 1997, les SAC sont déterminés par une réforme qui codifie la chronologie à
respecter lors de l’annonce des crues en cas de crise (Ledoux, 2006). La logique est à ce
moment la centralisation de l’annonce aux organismes régionaux (DIREN) en supprimant les
Services Hydrologiques Centralisateurs. Cette réforme a pour rôle de simplifier le système
d’annonce des crues et restreindre le nombre d’acteurs impliqués.
32
Figure 0.23 Carte du service d'annonce des crues en 1997 (Houdré, F; 2001)
En novembre 1999, à l’occasion des crues sur le Languedoc, l’annonce des crues ne concerne
qu’une partie des cours d’eau affectés :
L’Aude avec ses affluents l’Orbieu et la Cesse,
Le Tarn avec l’Agout et la partie aval du Thoré,
L’Orb,
Le Tech,
La Têt,
L’Agly et la portion-aval du Verdouble,
Le Réart.
Il s’agit ici des principaux cours d’eau et affluents des départements affectés. Néanmoins,
beaucoup d’affluents (parfois conséquents) ne possèdent pas de stations d’annonce et ne sont
pas soumis à ce régime. Le Thoré par exemple n’est couvert par l’annonce des crues que dans
sa partie aval. De même la Redorte, ou l’Argent-Double, affluents largement affectés par des
inondations de forte intensité, ne sont pas intégrés dans ce système règlementaire. Cet aspect
est retenu comme l’une des critiques pouvant être faite sur l’organisation d’annonce des crues
lors de l’épisode de novembre 1999. D’autre part c’est le contexte règlementaire en lui-même
qui doit être appréhendé afin de comprendre les défaillances. La Figure 0.24 résume la
transmission des informations et la chaîne d’alerte, depuis la prévision météorologique et
hydrologique jusqu’à l’annonce aux populations exposées.
33
Figure 0.24 Chaîne d'alerte et organisation du système d’annonce des crues à la population en 1999
Afin de synthétiser brièvement ce système d’organisation à l’œuvre, les centres
météorologiques interrégionaux de Météo-France, les CMIR, émettent des bulletins d’alertes
réguliers et des bulletins régionaux d’alerte météorologiques lors de dépassement de seuils
(précipitations et orages). Ces BRAM sont transmis aux services de sécurités civils
(CIRCOSC) ainsi qu’au Service d’Annonce des Crues (SAC). Les bulletins d’alertes peuvent
également prendre la forme de bulletin d’alerte précipitation lorsque des valeurs seuils
déterminées au préalable par les SAC sont atteints ou en voie d’être surpassés (Audette et al.,
2005). Dans un second temps, le CIRCOSC transmet à son tour les bulletins d’alertes aux
services de secours départementaux ainsi qu’aux préfectures et au Service Interministériel de
Défense et de Protection Civile (SIDPC, ancien SDIS). Le préfet a alors en charge d’envoyer
si nécessaire le BRAM aux maires concernés par l’annonce des crues (c'est-à-dire à ceux dont
la commune se trouve sur un cours d’eau surveillé), et à transmettre une première alerte aux
services de secours. D’un autre côté, le SAC convient de son côté d’envoyer une
recommandation de mise en alerte aux préfectures pour les cours d’eau concernés (Lefrou et
al., 2000). Le rôle de la préfecture apparaît dans ce contexte primordial dans la transmission
de l’alerte aux populations. Une première alerte peut être envoyée par téléphone afin de
diffuser les informations des prévisionnistes des centres météorologiques. Les maires sont par
la suite relancés régulièrement pour suivre la situation, soit à la préfecture, soit dans certains
cas directement aux SAC. En parallèle, les services de secours (qui peuvent recevoir
également des informations locales provenant d’informateurs sur le terrain) peuvent interagir
avec les autorités communales pour décider finalement de placer la ville en alerte et d’alerter
la population. Le rôle des maires apparaît dans ce contexte règlementaire comme l’échelon
34
déterminant pour la décision d’une alerte auprès de la population locale et la décision d’une
évacuation. Cette dernière est donc dépendante des informations reçue par les autorités
communales. La prise d’informations par les médias reste néanmoins possible si Météo-
France a communiqué sur le sujet (comme ce fut le cas un peu tardivement en 1999).
4.5.2. Défaillances en 1999 dans la transmission de l’alerte aux populations
Lors de l’évènement, c’est le schéma général d’annonce des crues et d’alerte aux populations
qui est remis en cause. Effectivement certaines défaillances sont relevées lors de l’évènement,
ce qui a sans aucun doute accentué la gravité de l’évènement : davantage de dommages et de
victimes suite à la non-indication de la crue et l’absence d’évacuation. Outre la vulnérabilité
des réseaux, durement endommagés par les inondations, trois facteurs sont ici explorés.
► Insuffisance spatiale du réseau de mesures hydrométriques
Comme dit précédemment, le réseau de surveillance des cours d’eau s’est montré insuffisant.
De nombreux cours d’eau parfois de petits bassins versants ont généré de vastes submersions
et d’importants dommages. La localisation des victimes au sein de ces petits bassins qui sont
de plus soumis à des crues éclairs illustre bien cet aspect de l’inondation. (Figure 0.22).
D’autre part, les informations relevées par les mesures hydrométriques se contentent souvent
du relevé d’une cote d’inondation et sa transmission. La simulation était alors une pratique
rare. En 1999, seul le SAC du Tarn a eu pour objectif de simuler la crue sur la rivière du
même nom (Lefrou et al., 2000).
► Incompréhension des prévisions météorologiques
Les bulletins météorologiques envoyés aux préfets puis aux maires des communes affectées
ont été jugés souvent comme trop techniques et de manière générale mal interprétés par l’un
ou l’autre des acteurs. Aucune précision concernant la gravité de l’évènement n’est fournie en
même temps que la transmission du message et de l’alerte aux maires (Vinet, 2003). Ce flou
technique régnant autour des messages prévisionnistes a parfois conduit à la sous-estimation
du phénomène pluvieux qui était à l’œuvre et la prise de mesures adéquates.
« A l'échelon départemental, sauf dans les Pyrénées-Orientales, les BRAM n'ont pas été interprétés
comme traduisant le risque d'un événement exceptionnel. Plusieurs BRAM “ fortes précipitations ” avaient
été publiés dans l'année et n'avaient pas eu de conséquences hydrologiques graves. Or les chiffres de
précipitation annoncés en fin d’après-midi du 12 novembre, même s'ils se sont révélés inférieurs à la réalité,
étaient exceptionnels. Faute d’échelle de référence, ils n'ont pas entraîné la prise de conscience de l’ampleur du
phénomène » (Lefrou et al., 2000).
La mauvaise prise de conscience de l’intensité pluviométrique par les autorités a en ce sens
renforcé les manquements dans la transmission de l’alerte aux populations (Ledoux, 2006).
Afin de pallier ce constat, rapport Lefrou, établi suite à la crise, préconise l’envoi
d’informations graduées au cours de l’évolution de l’épisode ainsi que la formation des
autorités à la bonne lisibilité des bulletins prévisionnistes. La communication de l’information
aux habitants arrive dans le contexte de 1999 au dernier plan de la chaîne de transmission de
35
l’alerte ce qui a sans nul doute pu entraîner l’aggravation des dommages constatés. La
responsabilité des maires a ici pu jouer un rôle important. Certains ne voulaient pas faire
évacuer à tort les habitants de leur commune, d’autant plus devant des prévisions dont le
message reste flou à leurs yeux.
► La non-diffusion des BRAM aux maires concernés
En plus de la difficile interprétation des bulletins prévisionnistes, il faut souligner un
manquement dans la chaîne de diffusion de l’information des préfectures vers les maires des
communes affectées. Ces derniers étaient en effet prévenus par la préfecture par le biais d’un
appel téléphonique. Or, les pannes engendrées par la rupture des réseaux électriques ont
parfois empêché toute alerte dans le bassin de l’Aude. Ces derniers ne pouvaient pas non plus
suivre l’alerte en temps réel afin de cerner l’évolution de la crise (Vinet, 2007).
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