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Pinterest et consommation : une taxonomie des
utilisateurs de plateformes sociales visuelles
Amélie Bériault Poirier
1
et Sylvain Sénécal
2
1
imarklab, Montréal, Canada
amelie.beriault@imarklab.com
2
HEC Montréal, Montréal, Canada
sylvain.senecal@hec.ca
Résumé. Les plateformes comme Pinterest prennent de plus en plus d’ampleur
sur le Web au même titre que leur potentiel en marketing. Ces médias sociaux
visuels s’inscrivent dans le phénomène de commerce social puisqu’ils combi-
nent une dimension sociale et commerciale. Cet article introduit et décrit théo-
riquement le concept de « plateformes sociales visuelles ». Afin de développer
une taxonomie d’utilisateurs, cinq entrevues individuelles et un sondage auprès
de 549 utilisatrices de Pinterest ont été effectués. La taxonomie comprend trois
catégories d’utilisatrices : les « Pratico-pratiques discrètes », les « Épicuriennes
passives » et les « Expressives intenses ». Finalement, les contributions théo-
riques et les implications de ces résultats pour les gestionnaires sont présentées.
Mots clés. plateformes sociales visuelles · segmentation · taxonomie · com-
merce social · Pinterest · médias sociaux · recherche d’information
1 Introduction
De nouvelles plateformes sociales qui mettent de l’avant la dimension visuelle des
produits et services, telles Pinterest, Etsy, Polyvore et Wanelo, sont récemment appa-
rues sur le Web. Elles suscitent actuellement un engouement grandissant. À titre
d’exemple, Pinterest a annoncé avoir atteint 100 millions d’utilisateurs cet automne
[1]. Les plateformes sociales visuelles s’inscrivent dans le phénomène grandissant du
« commerce social » qui fait référence à des activités d’échange effectuées dans le
réseau social d’un individu pouvant aller de la reconnaissance d’un besoin jusqu’aux
étapes suivant l’achat [18]. Elles n’impliquent pas nécessairement de transaction,
mais peuvent jouer un rôle facilitateur à chaque étape du processus d’achat.
L’objectif de cette étude est de dresser un portrait des utilisateurs de plateformes
sociales visuelles articulé autour de : 1) leurs motivations à les utiliser et 2) la façon
dont ils les utilisent. Ultimement, la présente étude a permis l’élaboration d’une taxo-
nomie des utilisateurs de plateformes sociales visuelles dans une optique de recherche
d’information sur des produits et services pouvant aller jusqu’à la consommation.
2 Définition théorique des plateformes sociales visuelles
La littérature existante nous permet de proposer une définition des plateformes so-
ciales visuelles basées sur les dimensions sociale, commerciale et visuelle.
Les plateformes étudiées regroupent des fonctionnalités propres aux médias so-
ciaux : partage, conversations, groupes, identité et réputation [8]. Les fonctionnalités
de partage sont les plus importantes puisqu’elles permettent de télécharger, organiser
et partager du contenu. Grâce à ces fonctionnalités, l’existence de communautés [10],
[14], [2] y est possible. Celles-ci peuvent mener à la création de capital social, soit de
valeur concrète pour les utilisateurs via des commentaires par exemple [10].
La dimension commerciale correspond à l’utilisation des plateformes sociales vi-
suelles pour mener une recherche exploratoire ou orientée vers un but [7] sur des
produits et services dans une optique de consommation ou non. La recherche orientée
vers un but mène soit à un achat ou à une période prolongée de recherche et réflexion
[11]. La recherche exploratoire conduit à une période de navigation hédonique axée
sur l’expérience de magasinage ou la construction du savoir pour des achats futurs.
Les utilisateurs de plateformes sociales visuelles expérimentent une forme de réali-
té virtuelle [9] lorsqu’ils expérimentent virtuellement des produits en manipulant des
images. Plus précisément, il s’agit de consommation digitale virtuelle [5] de différents
produits et services. Cela se traduit par la stimulation des désirs pour des possessions
matérielles ou virtuelles sous forme de lèche-vitrine, la concrétisation des rêveries
lorsque les objets convoités sont possédés virtuellement via des listes de souhaits ou
des tableaux, et la concrétisation de fantasmes lorsque les utilisateurs possèdent vir-
tuellement des biens luxueux qu’ils ne pourraient pas se procurer réellement.
En se basant sur les trois dimensions des plateformes sociales visuelles présentées,
nous proposons la définition suivante : « Les plateformes sociales visuelles sont un
type de média social dont l’interface permet la diffusion et la consultation de contenu
majoritairement visuel. Dans un contexte de commerce social, elles peuvent s’intégrer
dans le processus décisionnel du consommateur allant de l’étape de la reconnaissance
d’un besoin jusqu’à la prise de décision d’achat. ».
3 Méthodologie
Avant la collecte de données principale par questionnaire, cinq entrevues indivi-
duelles semi-dirigées ont été réalisées de façon exploratoire avec des femmes utilisant
au moins une des plateformes sociales visuelles identifiées dans le cadre de la re-
cherche sur une base hebdomadaire. Cette étape a permis de définir quelle place oc-
cupent les plateformes sociales visuelles dans la vie des gens de façon générale et au
niveau de leurs habitudes sur le Web, et de comprendre leurs habitudes et motivations
par rapport à ces plateformes ainsi que les différentes utilisations qu’ils en font.
L’outil Mechanical Turk d’Amazon a été utilisé afin de distribuer un questionnaire
auprès de 549 femmes de 18 ans et plus ayant un compte Pinterest et visitant la plate-
forme au moins une fois par mois. Il a été choisi de cibler des femmes puisqu’elles
sont les principales utilisatrices de ce média social [12]. Le questionnaire a été axé sur
Pinterest exclusivement puisqu’il s’agissait de la plateforme sociale visuelle avec le
plus grand nombre d’utilisateurs à travers le monde au moment de l’étude.
Le questionnaire a été construit sur la base de l’analyse des entrevues individuelles
de la recherche préliminaire pour mesurer le profil Web des utilisatrices, leur utilisa-
tion des plateformes sociales visuelles et de Pinterest, leur type de personnalité [17] et
leur profil sociodémographique. Plus précisément, le questionnaire mesurait notam-
ment l’intention de cliquer sur un hyperlien rattaché à une image intéressante [13], le
rôle de Pinterest dans le processus décisionnel d’achat [18], le leadership d’opinion
par rapport à Pinterest [4], l’attachement au contenu de son compte [3], et l’intensité
de la consommation digitale virtuelle dans l’utilisation [5].
4 Résultats
Une analyse de regroupement a été conduite avec la méthode hiérarchique de Ward
[6] sur les données rattachées aux motivations et à l’utilisation en lien avec Pinterest
exclusivement. L’analyse de regroupement a permis l’identification de trois groupes
distincts dans l’échantillon. Le Tableau 1 présente la répartition des observations dans
les trois groupes identifiés sur la base de la variation du gain en hétérogénéité obtenu
grâce au coefficient d’agglomération fourni par le logiciel SPSS. Le passage de deux
à trois groupes représentait le dernier gain important en hétérogénéité (79,28%). Il
était de moins de 50% lors du passage de trois à quatre groupes (46,21%).
Tableau 1. Répartition des observations dans les trois groupes identifiés
Fréquence
Pourcentage
Groupe 1
51
9,7
Groupe 2
325
61,6
Groupe 3
152
28,8
TOTAL
528
100,0
À l’aide de tests statistiques entre les groupes, des différences significatives ont été
identifiées pour le contexte d’utilisation, l’intensité d’utilisation des différentes fonc-
tionnalités de Pinterest et l’utilisation globale de la plateforme (attitude envers Pinte-
rest et attachement au contenu de son compte), et la personnalité (valeur-p < 0,5).
Au terme de ces analyses, les trois groupes ayant émergés ont pu être décrits avec
comme base, les différences significatives entre eux. Trois catégories d’utilisatrices
ont donc été nommées en fonction de leurs motivations, et utilisation de Pinterest.
4.1 Groupe 1 : les « Pratico-pratiques discrètes »
Les membres du premier groupe utilisent moins l’ordinateur que celles des autres
groupes pour accéder à Pinterest, et ont plus tendance à consulter la plateforme en
déplacement. Elles sont surtout motivées par son aspect « pratique ». Elles la consul-
tent davantage pour leur emploi et moins pour se divertir. Leur contexte d’utilisation
est principalement rattaché à l’utilité, d’où leur attitude moins positive envers Pinte-
rest. Elles se démarquent par leur forte utilisation des fonctionnalités pour créer des
tableaux privés, envoyer des messages privés, et cesser de suivre des membres et des
tableaux. Bien qu’elles soient moins portées à naviguer sur le Web quotidiennement
que les autres utilisatrices, elles effectuent plus fréquemment des achats en ligne. En
quête d’efficacité, elles sont plus enclines à faire des recherches orientées vers un but
que des recherches exploratoires sur les plateformes sociales visuelles, et ce, avec un
penchant pour l’achat direct lorsqu’il est question de produits ou de services [11].
4.2 Groupe 2 : les « Épicuriennes passives »
Les membres du Groupe 2 sont les plus portées à utiliser Pinterest dans un contexte de
divertissement en soirée ou la nuit. Elles se distinguent pour leur faible utilisation des
fonctionnalités permettant de créer des tableaux publics, envoyer des épingles
(« pins ») à d’autres utilisateurs, partager des images sur Facebook, importer des
images à partir de leur ordinateur et poster des commentaires. Lorsqu’il est question
d’achats, Pinterest joue un rôle moins grand dans leur processus décisionnel que dans
celui des autres utilisatrices. Ce résultat s’explique en partie par la sous-utilisation des
fonctionnalités « sociales » de la plateforme [8]. En considérant la prédominance du
divertissement pour ces utilisatrices, on peut s’attendre à ce qu’elles soient davantage
portées à naviguer de façon hédonique qu’utilitaire [11].
4.3 Groupe 3 : les « Expressives intenses »
Les répondantes du Groupe 3 utilisent la majorité des fonctionnalités plus intensément
que les autres et s’affichent davantage. Elles ont plus d’abonnés et suivent plus de
comptes. Elles utilisent aussi plus intensément les fonctionnalités pour aimer des
images, éditer des épingles et tableaux ainsi qu’ajouter des épingles à partir d’autres
sites web. Elles se démarquent pour leur forte utilisation des fonctionnalités permet-
tant d’épingler des images et de visiter les sites web d’où proviennent les images con-
sultées. Par contre, elles se disent moins enclines que les autres à cliquer sur un hyper-
lien rattaché à une image intéressante, mettant davantage l’emphase sur le contenu de
Pinterest que le contenu externe. Il leur arrive plus fréquemment d’effectuer des re-
cherches spécifiques. Il y a donc une forte utilisation des fonctionnalités de « par-
tage » au niveau de l’organisation et de la diffusion de contenu, et de « statut » pour
les caractéristiques des abonnements. Étant donné que ces utilisatrices ont des
comptes bien remplis, elles sont les plus attachées au contenu de leur compte Pinterest
et expérimentent une forme plus intense de consommation digitale virtuelle.
5 Conclusion
Cette étude contribue à la compréhension du comportement des consommateurs dans
le contexte des plateformes sociales visuelles. En considérant l’ampleur du phéno-
mène, il y a un intérêt pour les gestionnaires d’approfondir leur compréhension des
utilisatrices des ces médias sociaux pour les intégrer à leur stratégie Web. Leur poten-
tiel est clair. Parmi les « Pratico-pratiques discrètes » de l’échantillon, 82,4% ont dit
considérer que Pinterest a déjà eu une influence sur leurs décisions d’achat. Ces pour-
centages sont de 78,2% et 92,8% respectivement pour les « Épicuriennes passives » et
les « Expressives intenses ». Or, il n’est pas simplement question d’afficher des publi-
cités, les marques doivent s’intégrer naturellement dans la navigation des utilisateurs.
Sachant que la « Pratico-pratique discrète » mise sur l’efficacité, une entreprise au-
rait intérêt à publier des images présentant de l’information claire, brève et précise
pour l’inciter à cliquer sur un lien. Ce groupe est intéressant pour ce qui est de
l’utilisation au travail. Il indique que les plateformes sociales visuelles pourraient être
exploitées dans un contexte B2B. Pour ce qui est des « Épicuriennes passives »,
l’enjeu est de leur fournir de belles images divertissantes afin de gagner en visibilité.
Finalement, les « Expressives intenses » risquent d’être réceptives aux appels à
l’action. Des campagnes web impliquant la création de tableaux permettant de
s’exprimer en partageant des images risquent de les intéresser. Leur contribution au
partage peut devenir un levier pour rejoindre les utilisatrices moins actives comme les
« Épicuriennes passives ». Alors que tous les groupes présentent un potentiel com-
mercial, le groupe des « Expressives intenses » est sans doute le plus attrayant d’un
point de vue marketing de bouche-à-oreille, ou plutôt yeux-à-yeux dans ce contexte.
Les conclusions de cette étude s’appliquent à l’ensemble des plateformes sociales
visuelles telles Etsy ou Polyvore. Or, la généralisation doit s’effectuer avec réserve.
L’échantillon était constitué de femmes répondant à des critères spécifiques (ex. :
utilisation au moins mensuelle) et le questionnaire ciblait spécifiquement Pinterest
afin d’obtenir une taxonomie représentative des principaux utilisateurs. L’analyse des
traces de navigation d’utilisatrices aurait été pertinente pour valider les résultats.
Plusieurs avenues de recherche sont à considérer pour enrichir notre connaissance
des plateformes sociales visuelles. Chacune des dimensions identifiées (sociale,
commerciale et visuelle) pourrait faire l’objet d’une étude distincte. Par exemple, une
étude approfondie de la dimension sociale permettrait d’inclure autant les posters, soit
les utilisateurs à l’origine de la majorité du contenu diffusé en ligne dans les commu-
nautés virtuelles [15] que les lurkers préférant observer et parcourir l’information
disponible [16]. Il serait aussi pertinent d’explorer en détails le rôle des plateformes
sociales visuelles à chaque étape du processus décisionnel d’achat [18], mettre
l’emphase sur la différenciation entre les comportements hédoniques et utilitaires, et
s’intéresser aux différentes formes de consommation digitale virtuelle sur ces plate-
formes [5]. Une autre avenue de recherche plus fondamentale est liée à la définition
de l’inspiration. Qu’est-ce que l’inspiration dans un contexte de consommation ?
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