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«Comunicazioni sociali», 2015, n. 2, 191-207
© 2015 Vita e Pensiero / Pubblicazioni dell’Università Cattolica del Sacro Cuore
CHRISTINE THOËR - FLORENCE MILLERAND - CAROLINE VRIGNAUD - NINA DUQUE -
JUDITH GAUDET*
“SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDÉOS, DES SÉRIES
ET DES ÉMISSIONS”: CATÉGORISATION ET SÉLECTION DES CONTENUS
DE DIVERTISSEMENT VISIONNÉS EN LIGNE PAR LES JEUNES DE 12 À 25 ANS1
“I Watch Videos, Series and Programmes Online”: Categorization and Selection of Entertainment
Content Viewed Online by Young People Aged 12 to 25
Abstract
More and more adolescents and young adults watch entertainment (movies, television series, web
series, and videos) on the Internet. This trend seems linked to the growth in available content, to
the profound changes taking place within the cultural industries, and to the rapid development of
mobile devices. The transformation of the audio-visual landscape is causing formats, genres and
categories traditionally associated with conventional television content to evolve.
This empirical study’s purpose, then, is to understand how youth audiences (teenagers and
young adults) experience these new online viewing practices and how they categorize and de-
scribe them. What content are they watching on the Internet for entertainment purposes? How
much time do they spend watching audio-visual entertainment content online? How do they label
the online content that they watch? What place does classic television viewing still hold? And
lastly, do these processes vary by age and gender?
Our analysis was based on an exploratory qualitative design. We held 10 focus groups with
young Quebecois people aged 12 to 25 (28 girls/women and 33 boys/men) from diverse cul-
tural and social backgrounds. Our ndings indicate that the Internet is becoming the primary
viewing source for entertainment, especially among young adults. We found that the time spent
online varies according to gender and age. Furthermore, adolescents and young adults watch a
wide-ranging pool of online audiovisual content, with different things at different times of day,
as the participants naturally create personal viewing schedules. Adolescents distinguish between
two key forms of online entertainment content: long formats chiey comprising original televi-
sion content (reality shows, dramas, sitcoms and lms) and shorter formats more suited to orig-
inal web productions and accessed usually via YouTube or Facebook. Most of the young people
questioned feel no need to categorise the content they watch online beyond liking or disliking it.
We found, however, that some young people, especially young adults, systematize content into
multiple diverse categories based on classic ction classications, context of viewing (where and
with whom), enjoyment levels (moderate or intense) and attributes relating to the websites used to
access it or the YouTube channels’ names.
* Département de communication sociale et publique, Université du Québec à Montréal:
‒ thoer.christine@uqam.ca;
‒ millerand.orence@uqam.ca;
‒ vrignaud.caroline@uqam.c;
‒ duque.nina@courrier.uqam.ca;
‒ judith.gaudet@videotron.ca.
1 Cette recherche est nancée par une subvention du Conseil de recherche en sciences humaines du
Canada (CRSH).
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192 CHRISTINE THOËR ET AL.
Keywords
Internet; youth; entertainment; content classication.
1. introduction
Internet constitue un mode d’accès aux contenus de divertissement audiovisuels de plus
en plus populaire auprès des jeunes. Au Québec, 50% des 18-24 ans regardent des lms,
des séries télévisuelles, des Web séries ou des émissions télévisées de manière connec-
tée2. YouTube est actuellement le site préféré des jeunes canadiens âgés de 8 à 15 ans,
avant les sites de réseaux sociaux3 et le temps passé devant les écrans est en progres-
sion constante. Les jeunes québécois passent en moyenne 23 heures par semaine devant
l’écran d’un d’ordinateur, d’une télévision ou d’une console de jeux vidéo4.
La multiplication des appareils, l’augmentation de la taille des écrans des cellu-
laires et la progression de la qualité des réseaux Internet contribuent fortement à rendre
le divertissement connecté attractif 5. Mais cette popularité croissante est avant tout liée
au développement de l’offre de contenus sur Internet. Celle-ci résulte de mutations pro-
fondes au sein des industries culturelles, et notamment, de l’association plus fréquente
des acteurs des industries de la communication à la production et à la diffusion de conte-
nus de divertissement6. Sous l’impulsion des chaînes câblées, entre autres américaines,
qui ciblent des marchés niches, l’offre de ctions sérielles s’est diversiée et accrue
depuis une vingtaine d’années. Plus récemment, les réalisateurs de lms et de séries té-
lévisuelles se sont engagés dans la production de contenus destinés uniquement au Web,
avec des formats souvent plus courts.
Les utilisateurs, et notamment les jeunes, participent également à la production de
contenus audiovisuels sur Internet. Les caméras insérées dans les téléphones intelligents
et plusieurs applications disponibles sur Internet facilitent cette production et diffusion.
À ces pratiques s’ajoutent celles de contributeurs indépendants, plus investis et recon-
nus pour leurs productions qui créent des chaînes sur YouTube pour diffuser leurs séries
de sketchs7. Les vidéos, qu’elles soient produites par des professionnels ou des ama-
teurs, gurent parmi les contenus les plus populaires sur Internet auprès des 18-24 ans,
suivies des ctions sérielles8.
Les jeunes ont ainsi à leur disposition des contenus extrêmement disparates, mêlant
des formats et des genres associés à différents supports (télévision, cinéma, radio), qui sont
2 CEFRIO, “Divertissement en ligne : le téléviseur branché, un incontournable”, Netendances, 5, 3
(2014). Accessed February 11, 2015, http://www.cefrio.qc.ca/media/uploader/2014-09-20-Divertissementen-
ligne-Versionnale_2.pdf.
3 V. Steeves, Young Canadians in a Wired World, Phase III: Life Online, Ottawa: MediaSmarts, 2014.
4 D. Du Mays, M. Bordeleau. “Les activités sédentaires chez les jeunes: qui les pratique et quelle en est
l’évolution depuis 2007?”, Zoom Santé, 50 (2015). Accessed June 1, 2015, http://www.bdso.gouv.qc.ca/docs-
ken/multimedia/PB01671FR_zoom_sante_50_sedentarite_jeunes2015H00F00.pdf.
5 J. Davidson, E. Martellozzo, “Exploring Young People’s Use of Social Networking Sites and Digital
Media in the Internet Safety Context ”, Information, Communication & Society, 16, 9 (2013): 1456-1476.
Accessed February 13, 2015, DOI: 10.1080/1369118X.2012.701655.
6 P. Bouquillion, “Concentration, nanciarisation et relations entre les industries de la culture et indus-
tries de la communication”, Revue française des sciences de l’information et de la communication, 1 (2012),
http://doi.org/10.4000/rfsic.94.
7 E. Anizon, “Norman, Cyprien, Hugotoutseul et les autres… les stars de la webrigolade. ;-)”, Télérama,
April 16, 2012. Accessed June 1, 2015, http://www.telerama.fr/medias/norman-cyprien-les-stars-de-la-webri-
golade,80135.php.
8 CEFRIO, “Divertissement en ligne : des activités qui se conrment au Québec”, Netendances, 3, 2
(2012). Accessed May 15, 2015, http://www.cefrio.qc.ca/media/uploader/2_divertissement_ligne.pdf.
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‘‘SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDEOS, DES SERIES ET DES EMISSIONS’’ 193
rendus accessibles via une multitude d’écrans connectés à Internet. La question se pose de
savoir comment les formats et les genres traditionnellement associés aux contenus audio-
visuels (séries, lms, documentaires, émissions de variétés, clip etc.) évoluent, notamment
concernant les contenus télévisuels, et sont perçus par les spectateurs. Le développement
des chaînes de télévision câblées et la délinéarisation des pratiques de consommation ont
déjà incité à revisiter les catégories avec lesquelles on parle de télévision, de même que les
classications utilisées pour décrire les contenus, comme le souligne Esquenazi9 qui a ana-
lysé leur évolution dans la presse de programmes télévisuels. En effet, les genres télévi-
suels ne sont pas seulement des attributs du texte mais constituent des catégories uides et
évolutives qui s’inscrivent dans un contexte culturel donné10. Esquenazi note ainsi qu’avec
l’apparition de canaux spécialisés le terme de genre a progressivement désigné moins des
émissions que des chaînes, pour s’appliquer au canal et non à l’émission (par exemple le
genre sport pour désigner une chaîne de contenus sportifs). La multiplication des chaînes
et des émissions a également provoqué l’éclatement des noms de genre usuels et cer-
taines émissions se sont même passées de genre pour exister en elles-mêmes, notamment
celles associées à des personnalités (“émission de untel”) ou mêlant les cartes (à cheval
entre le talk-show, la variété et le magazine)11. Ces réexions sur les catégorisations n’ont
toutefois pas porté sur la façon dont les spectateurs se les approprient, les « bricolent »
ou en construisent de nouvelles dans un contexte de visionnement connecté. Saisir ces
catégorisations de genre nécessite comme le souligne Mittell12, qui propose une approche
culturelle des genres télévisuels, de s’intéresser aux pratiques discursives entourant la dé-
nition des contenus et établissant leur signication et leur valeur culturelle. Ces pratiques
discursives émanent des publics et d’autres acteurs tels que l’industrie ou les journalistes,
qui dans le cadre de leurs pratiques de production ou de réception des contenus, comparent
et lient les contenus entre eux au sein de catégories génériques:
Genre emerge only from intertextual relations between multiple texts, resulting in a common
category. But how do these texts interrelate to form a genre? […] Audiences link programs
together all the time (“This show is just a clone of that one”), as do industrial personnel
(“imagine Friends meets the X-Files”).
Dans le cadre de la recherche présentée ici, nous avons choisi de nous intéresser aux
contenus de divertissement que les jeunes de 12 à 25 ans visionnent de manière connec-
tée et aux catégories qu’ils utilisent pour les décrire. Nous adoptons ainsi une posture
qui consiste à s’intéresser à l’activité réexive des acteurs13.
Les nouvelles modalités de visionnement en ligne offrent en effet une plus grande
autonomie en matière de sélection des contenus et favorisent une prise de distance à
l’égard de la programmation télévisuelle, tant à propos de la logique de ot, que de sa
dimension nationale14. Le téléspectateur passe du statut d’usager d’un nombre limité
de programmes et de contenus à celui de consommateur, qui choisit parmi une offre de
9 J.P. Esquenazi, “Le renouvellement d’un jeu de langage: genres et canaux”, Réseaux, 15, 81 (1997):
103-118.
10 J. Mittell, “A Cultural Approach to Television Genre Theory”, Cinema Journal, 40, 3 (2001): 3-24.
11 Ibid., 3-24.
12 Ibid. (6).
13 A. Hennion, “Réexivités. L’activité de l’amateur”, Réseaux, 153, 1 (2009): 55-78.
14 L. Barra, M. Scaglioni, “TV Goes Social: Italian Broadcasting Strategies and the Challenges of Con-
vergence”, Journal of European Television History and Culture, 3, 6 (2014): 110-124.
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plus en plus large et diversiée qu’il peut agencer selon ses préférences et son horaire15.
Huet16 qualie ces nouvelles pratiques de consommation de modèle de “juke-box” dans
lequel la fonction d’organisation des contenus est directement prise en charge par le
consommateur. Ces transformations amènent comme le soulignent Van den Broeck,
Pierson et Lievens17 qui s’intéressent aux pratiques de consommation de vidéo à la de-
mande (VOD), à réexaminer l’articulation entre les trois dimensions que sont le conte-
nu, le contexte et le temps du visionnement, celles-ci devenant plus indépendantes. La
“désolidarisation des contenus et des contenants, la possibilité de transmettre tous les
contenus par tous les tuyaux et sur tous les terminaux”18 permet en effet de repenser la
notion de rendez-vous traditionnellement associée aux logiques de programmation des
médias audiovisuels19. Elle rend aussi possible le visionnement de contenus audiovi-
suels sur différents écrans (autres que le téléviseur) et dans différents contextes au sein
et en dehors du foyer20. De plus, le numérique fait éclater l’association classique entre
pratique et support en permettant à la fois (et souvent en même temps) d’écouter de la
musique, de regarder un lm, d’écrire, de faire ses devoirs etc. comme l’ont montré
différentes études réalisées auprès de publics jeunes21. En plus d’être plus actifs, les té-
léspectateurs ont, dans ce contexte de visionnement connecté, la possibilité de participer
à la promotion, la circulation, l’évaluation, et même la production des œuvres, au travers
notamment des interactions avec d’autres usagers22.
Le développement de l’offre de contenus audiovisuels de différentes natures sur
Internet et la mobilité et la plasticité des dispositifs qui permettent le visionnement
en ligne, incitent ainsi à repenser les pratiques de consommation de ces contenus par
les usagers. Ce questionnement n’est pas nouveau, plusieurs chercheurs se sont par
exemple, intéressés à comprendre comment la télévision numérique terrestre (TNT)
qui s’accompagne en Europe d’une offre de contenu augmentée ou encore le déve-
loppement de services de vidéo à la demande (VOD) transforment les pratiques de vi-
sionnement et d’appropriation des contenus télévisuels et s’articulent aux pratiques de
consommation télévisuelle existantes23. Ces travaux s’inscrivent dans la perspective de
15 P.J. Benghozi, T. Paris, “De l’intermédiation à la prescription : le cas de la télévision”, Revue fran-
çaise de gestion, 29, 142 (2003): 205-228. Accessed June 1, 2015, DOI: 10.3166/142.205-228.
16 F. Huet, “Plus d’images, moins de télévision ? Discussion d’un scénario d’évolution et de conver-
gence pour l’industrie des médias”, paper presented at the conference Mutation des industries de la culture, de
l’information et de la communication, France, September 25-27, 2006.
17 W. Van den Broeck, J. Pierson, B. Lievens, “Confronting Video-On-Demand with Television Viewing
Practices”, in Innovating for and by Users, edited by J. Pierson et al., Opoce, 2008, 13-26.
18 T. Paris, “L’audiovisuel à l’ère du Web. Éclatement des marchés et nouvelles prescriptions”, in Per-
manence de la télévision, edited by G. Delavaud, Éditions Apogée, 2011, 49-56 (51).
19 J.L. Missika, La n de la télévision, Paris: Seuil, 2006.
20 Van den Broeck, Pierson, Lievens, “Confronting Video-On-Demand with Television Viewing Prac-
tices”, 13-26.
21 F. Gire, F. Granjon, “Les pratiques des écrans des jeunes français. Déterminants sociaux et pratiques
culturelles associées”, RESET - Recherches en Sciences Sociales sur Internet, 1, 1 (2012). Accessed March 22,
2015, http://www.journal-reset.org/index.php/RESET/article/view/4.
G. Doyle, “From Television to Multi-Platform Less from More or More for Less?”, Convergence: The
International Journal of Research into New Media Technologies 16, 4 (2010): 431-449. Accessed March 22,
2015, DOI: 10.1177/1354856510375145; N. Sonnac, J. Gabszewicz, L’industrie des médias à l’ère numé-
rique, Paris: La Découverte, 2013.
22 L. Shuchen, C. Wei, On Audience Research in New Media Context”, 2nd International Conference on
Advances in Social Science, Humanities, and Management (ASSHM 2014), Atlantis Press, (2014), 313-316.
23 P. Aroldi, N. Vittadini, “Transnational Digital Audiences? ‘Moral Economy of the Households’ and
Digital Television”, paper presented at the ECREA 2010: 3rd European Communication Conference”, Ham-
burg, October 12-14, 2010. Accessed June, 23, 2015, http://www.ecrea2010hamburg.eu/.
V. Araújo, G. Cardoso, R. Espanha, “Digital Television in Portugal: New Technology, New Uses?”, paper
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‘‘SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDEOS, DES SERIES ET DES EMISSIONS’’ 195
la théorie de la domestication24 qui envisage le foyer comme une «économie morale»
et invite à situer et interpréter les modalités d’appropriation des objets techniques par
les membres d’un ménage (ici l’équipement médiatique familial), en lien avec l’iden-
tité familiale et notamment son mode de fonctionnement, les dynamiques d’interaction
entre les membres, ainsi que leurs habitudes et historique de consommation de produits
culturels et technologiques. Cette “économie morale du ménage” s’articule à l’ordre
économique formel plus large auquel elle contribue. Ces travaux présentent l’avantage
de situer les modalités d’appropriation des contenus audiovisuels à l’ère numérique dans
la culture matérielle et symbolique du foyer. Aroldi et Vittadini (2010) mettent ainsi en
évidence trois formes d’appropriation de la TNT par les ménages italiens, selon que cette
appropriation s’inscrit dans un contexte où les pratiques de consommation télévisuelle
dominent, ne constituent qu’un type de consommation culturelle parmi d’autres, ou en-
core convergent vers l’ordinateur. Leur recherche montre aussi comment la gestion de
l’espace au sein des foyers affecte les modalités d’appropriation de la TNT.
Dans le cadre des pratiques de visionnement connecté, le rôle du support est éga-
lement à prendre en compte. Un contenu ne se présente pas tout à fait de la même façon
et ne s’apprécie pas selon les mêmes termes selon qu’il se donne à voir sur un écran
de télévision, d’ordinateur portable ou de cellulaire25. Les apports de la sociologie des
usages26 offrent sur ce plan des perspectives intéressantes pour enrichir les cadres d’ana-
lyse des travaux sur la réception centrés sur l’activité d’interprétation et la spécicité des
contextes, en ajoutant la dimension du rapport tangible au dispositif, qui passe d’abord
par la manipulation et le contact étroit avec la technologie. Nous appuyant sur les pers-
pectives de la théorie de la domestication et de la sociologie des usages, nous tentons
au travers de cet article qui vise à apporter un éclairage empirique sur les pratiques de
visionnement en ligne chez de jeunes Québécois, de répondre aux questions suivantes:
1. Quels contenus audiovisuels les jeunes regardent-ils sur Internet à des ns de di-
vertissement, Quel temps y consacrent-ils? Et quelle place y tient l’écoute de la télévision?
2. Comment catégorisent-ils et nomment-ils les contenus qu’ils visionnent en
ligne? Ces processus varient-ils selon l’âge et le genre?
2. stratégie méthodologique
Notre analyse est basée sur une approche qualitative exploratoire visant, dans la tradition
des études sur la réception qui postulent un récepteur actif, à donner la parole aux usa-
gers pour qu’ils décrivent leurs pratiques de visionnement connecté et les signications
qu’ils construisent autour de ces pratiques. Plus spéciquement, nous avons privilégié la
méthode des groupes focus qui aide à mieux saisir la façon dont les individus discutent,
nomment et construisent des signications autour des contenus qu’ils visionnent27. Nous
presented at the conférence Obsercom, Lisbon: Portugal, November 23, 2009. Accessed June 25, 2015, http://
www.academia.edu/645313/DIGITAL_TELEVISION_IN_PORTUGAL_NEW_TECHNOLOGY_NEW_USES; Van
den Broeck, Pierson, Lievens., “Confronting Video-On-Demand with Television Viewing Practices”, 13-26.
24 R. Silverstone, E. Hirsh, D. Morley, “Information et Communication Technologies and the Moral
Economy of the Household”, in Consuming Technologies: Media and Information in Domestic spaces, edited
by R. Silverstone, E. Hirsh, London: Routledge, 1992, 15-31.
25 C. Combes, “La pratique des séries télévisées : une sociologie de l’activité spectatorielle”, PhD diss.,
ENMP, Paris, 2013, http://www.theses.fr/2013ENMP0010.
26 F. Jauréguiberry, S. Proulx, Usages et enjeux des technologies de communication, Ramonville, Érès, 2011.
27 P. Lunt, S. Livingstone, “Rethinking the Focus Group in Media and Communication Research”, Jour-
nal of Communication, 16, 2 (1996): 79-98.
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avons ainsi lorsque cela était possible, constitué des groupes naturels, c’est à dire com-
posés de participants qui se connaissaient, ce qui était le cas de tous les participants âgés
de 12 à 19 ans et de la moitié des participants au sein des groupes des plus âgés.
Nous avons réalisé 10 groupes focus, d’une durée d’une heure trente à deux heures
avec des jeunes Québécois âgés de 12 à 25 ans que nous avons divisés en quatre tranches
d’âges (12-13 ans, 14-16 ans, 17-19 et 20-25 ans), correspondant aux cycles scolaire et
universitaire québécois, et par sexe pour privilégier l’homogénéité intergroupe et favo-
riser les échanges. Nous avons ainsi rencontré un total de 61 participants (28 lles et
33 garçons), d’origine culturelle variée, qui fréquentaient des établissements d’ensei-
gnement en français et vivaient à Montréal. Les jeunes ont été recrutés de différentes
manières : par réseaux de connaissances (2 groupes 12-13 ans et 2 groupes 17-19 ans),
dans une école secondaire publique (2 groupes 14-16 ans) et un centre jeunesse de l’Ile
de Montréal (2 groupes 14-16 ans) localisés dans des quartiers diversiés sur le plan so-
cioéconomique, et par annonces diffusées à des étudiants d’une université montréalaise
francophone (2 groupes 20-25 ans). Le critère de recrutement était de regarder au moins
deux contenus de divertissement en ligne par semaine
Nous débutions les groupes focus en invitant les jeunes à énoncer tous les contenus qu’ils
avaient visionnés dans une perspective de divertissement, au cours des 3 derniers mois. Nous
leur demandions alors, pour chaque contenu mentionné, de spécier la nature du contenu, la
manière avec laquelle ils y accédaient ou le sélectionnaient, et à nommer la catégorie dans
laquelle ils les classaient.
Le groupe était animé par deux personnes, dont une prenait en note les contenus et les
catégories énoncés sur un grand tableau. Les participants pouvaient ainsi visualiser les
catégories an de les réaménager et de les compléter tout au long de la séance. Nous
amenions ensuite les participants à nous parler du temps consacré à chacune des catégo-
ries de contenus, à décrire les contextes et les expériences de visionnement et les façons
dont ils découvraient ou partageaient les contenus qu’ils visionnaient.
Il est intéressant de noter que la catégorie “divertissement” est très large et inclut
des contenus dont la diversité et l’étendue varient selon les participants. Certains y in-
cluent par exemple, des émissions ou vidéos d’actualité économique ou politique, des
magazines sur la nance, ou encore des contenus éducatifs (cours en ligne). Si les jeunes
rapportaient spontanément les titres des contenus visionnés, la technique du groupe fo-
cus favorisant par entrainement la mémorisation et l’évocation de ces contenus, ils res-
taient perplexes lorsque nous leur demandions de quelle catégorie de contenus ils rele-
vaient. Ainsi, hormis les catégories énoncées à prime abord (les séries, les émissions TV,
les lms et les vidéos), les autres catégories de contenus se sont précisées et construites
au fur et à mesure de la discussion entre les participants. L’animateur intervenait pour
valider les catégories produites par les participants en veillant à ne pas imposer de ca-
tégories préétablies.
Au début du groupe focus, les participants complétaient un questionnaire visant à
recueillir leurs informations sociodémographiques et leurs estimations du temps qu’ils
passaient sur Internet lors d’une journée type, incluant le visionnement connecté de
différents types de contenus de divertissement. Nous les interrogions également sur le
temps dédié aux activités de divertissement en ligne et hors ligne, dans une semaine
type. Tous les participants ont rapporté avoir eu des difcultés à évaluer le temps qu’ils
consacraient aux activités et contenus de divertissement en ligne. Plusieurs raisons
étaient mentionnées. Tout d’abord, les jeunes s’engagent dans plusieurs activités simul-
tanées sur Internet et trouvent peu aisé d’identier le temps consacré à une activité en
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particulier. Ensuite, évaluer le temps consacré à visionner des contenus au format court,
comme les vidéos sur YouTube, leur est difcile parce qu’ils en regardent un grand
nombre d’aflée, et ne savent pas dire au nal combien ils en ont vus. Par ailleurs, pour
les plus jeunes, qui regardent des contenus télévisuels à la télévision ou sur Internet
(entre autres sur les sites de replay), identier ce qui est visionné de manière connectée
ou via la télévision traditionnelle ne semble pas toujours évident, et ce d’autant plus que
le téléviseur peut être utilisé pour accéder à des contenus en ligne, par exemple via une
console de jeux connectée.
3. les contenus visionnés de manière connectée et le temps
consacré à cette pratique
Les jeunes rencontrés déclarent visionner une multitude de contenus en ligne dans une
perspective de divertissement. Le temps qu’ils estiment consacrer au visionnement de
contenus de divertissement en ligne est important (moyenne de 3h37 par jour) comme le
souligne une jeune lle (13 ans): “On passe notre vie, je pense, sur YouTube et Netix”.
Le temps quotidien consacré au divertissement en ligne varie toutefois grandement se-
lon les jeunes (allant de 20 minutes à 10h45), le genre (50% des lles visionnant 4
heures et plus de contenus de divertissement en ligne par jour, alors que pour les garçons
la médiane est de 3 heures). Cette différence semble résulter du temps de visionnement
de séries plus important chez les lles. Par ailleurs, le temps consacré au visionnement
connecté semble progresser avec l’âge, les plus âgés visionnant des contenus très tard
dans la nuit (v. g. 1). Enn, on observe des variations selon les types de contenus, les
vidéos étant visionnées par 87% des jeunes rencontrés alors que 40% d’entre eux, no-
tamment parmi les plus jeunes, ne regardent pas ou peu de lms (v. g. 2). Les vidéos
occupent d’ailleurs une plus grande portion du temps que consacrent les plus jeunes au
visionnement connecté de divertissement (41% du temps total des 12-13 ans contre 30%
du temps des 20-25 ans) (v. g. 3).
Figure 1 - Temps de visionnement connecté quotidien de contenus de divertissement
(lms, vidéos et séries) autoévalué par tranche d’âge
Figure 1 - Temps de visionnement connecté quotidien de contenus de divertissement (films, vidéos et
séries) autoévalué par tranche d’âge
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
12 à 13 ans 14 à 16 ans 17 à 19 ans 20 à 25 ans
Plus de 8 h
De 6 h à 8 h
De 4 h à 6 h
De 2 h à 4 h
De 1 h à 2 h
Moins d'1 h
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198 CHRISTINE THOËR ET AL.
Figure 2 - Temps quotidien de visionnement connecté de trois types de contenus
de divertissement (vidéos, séries ou web séries, lms) autoévalué par les 12-25 ans
Figure - Temps quotidien de visionnement connecté de trois tpes de contenus
de divertissement (vidéos, séries ou e séries, films) autoévalué par les ans
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
idos ies ou e sies ils
Plus de 3 h
De 2 h à 3 h
De 1 h à 2 h
De 30 in à 1 h
De 15 in à 30 in
Moins de 15 in
e eade as
Figure 3 - Temps quotidien de visionnement connecté de trois types de contenus
de divertissement (vidéos, séries ou web séries, lms)
autoévalué par chaque tranche d’âge
Figure - Temps quotidien de visionnement connecté de trois tpes de contenus
de divertissement (vidéos, séries ou e séries, films) autoévalué par chaque tranche d’âge
4120
3040 2569 2971 3145
2004 4110 5387 3598 3774
3875 2850 2044
3431 3081
0%
10%
20%
30%
40%
50%
60%
70%
80%
90%
100%
12 à 13
ans
14 à 16
ans
17 à 19
ans
20 à 25
ans
ous
ils
ies ou e ies
idos
Le visionnement de contenus de divertissement se ferait-il exclusivement en ligne? Pas
tout à fait, puisque les plus jeunes regardent encore la télévision, notamment avec leurs
parents, et qu’elle reste une source d’accès importante aux contenus chez les plus défa-
vorisés – qui n’ont pas nécessairement de connexion Internet à leur domicile, de forfait
illimité, d’abonnement à Netix ou à un autre service de VOD, ou encore d’équipement
Com soc 2-15.indb 198 23/09/2015 13:46:00
‘‘SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDEOS, DES SERIES ET DES EMISSIONS’’ 199
mobile leur permettant un visionnement individuel. “Tout ça, ça coute de l’argent. Net-
ix, c’est 8 dollars, les Apple TV, faut avoir une télé spéciale, la connexion, acheter
des projecteurs et toutes ces affaires… C’est vraiment cher. Nous, Madame, on est des
Monsieurs Samsung” (garçon 14-16 ans). Le visionnement connecté gagne toutefois
clairement en importance, puisque plus de la moitié des jeunes rencontrés, notamment
les plus âgés, disent ne plus regarder la télévision (plusieurs n’en sont pas équipés)
même s’ils visionnent en ligne des contenus télévisuels.
Le temps de visionnement connecté se répartit sur différentes périodes de la jour-
née, mais deux moments sont clairement associés à des contenus particuliers. La soirée,
après le souper, constitue une période de visionnement mentionnée par tous; elle est
généralement dédiée au visionnement de séries ou d’émissions télévisées. On observe
certains rendez-vous, qui suivent en partie la programmation télévisuelle, notamment
le calendrier des émissions et des sorties des séries américaines (un calendrier que la
plupart des jeunes respectent, parfois avec un décalage de quelques jours pour éviter
de se faire “spoiler” l’intrigue). La exibilité permise par Internet à l’égard des grilles
de programmation télévisuelle est particulièrement appréciée, tous soulignant le côté
pratique du streaming: “Si ça passe à 11 h le matin, ben moi, je vais soit dormir, être au
travail ou en train de faire autre chose […] alors qu’Internet me permet au moment qui
me convient d’aller rechercher le contenu que je désire” (garçon 20-25 ans).
Nos participants rapportent enchainer plusieurs épisodes de séries chaque soir (au
moins deux) et expliquent que les plateformes de streaming incitent au visionnement en
rafale: “(sur) Netix, tu vas nir un épisode genre de 20 minutes et après ça va dire : le
prochain épisode va commencer dans 10 secondes […] pis, là tu n’as pas le choix […].
Je peux écouter comme deux saisons à cause des 10 secondes” (lle 12-14 ans). Ils se
construisent ainsi chaque soir un programme de divertissement personnalisé, combinant
au choix, des épisodes d’une même ou de séries différentes, des émissions télévisées et
des vidéos sur Internet.
Pendant cette période, qui peut se poursuivre tard dans la nuit, notamment chez
les plus vieux, le visionnement se fait le plus souvent seul ‒ c’est un moment tranquille
avec soi ‒ dans la chambre, sur l’ordinateur portable, sur une tablette pour les rares par-
ticipants qui en possèdent ou sur le téléphone cellulaire que privilégient les plus jeunes
(12-17 ans). La taille réduite des cellulaires permet de regarder discrètement, et même
de se dissimuler sous les draps, et ainsi de s’affranchir des limites imposées par les pa-
rents tant en termes de choix de contenus (“On regarde seule parce qu’on veut pas être
dérangée, parce que s’il y a une action explicite, je veux pas que mon père ou ma mère
voit ça”, lle, 14-16 ans), que du temps consacré au visionnement en ligne:
Garçon 1: J’ai un couvre-feu, mais c’est environ... Je peux dépasser.
Animateur: C’est quoi l’heure limite?
Garçon 1: 10h30. Mais, je peux escalader.
Garçon 2: Et comment est-ce que tu fais pour escalader?
Garçon 1: Je m’allonge sur mon lit et je prends mon cellulaire.
Garçon 2: Mais toi tu escalades l’Everest, parce que 10h00… mais des fois je te vois en ligne
à 2 heures (du matin).
Animateur: Comment tu le vois en ligne?
Garçon 2: Parce que moi aussi j’y suis (rires). (garçons, 14-16 ans)
La deuxième période de visionnement en ligne largement mentionnée par nos parti-
cipants commence dès le retour de l’école ou de l’université et se poursuit jusqu’au
souper. Elle est vue comme un moment pour «se relaxer», qui marque le retour au foyer,
Com soc 2-15.indb 199 23/09/2015 13:46:00
200 CHRISTINE THOËR ET AL.
pendant lequel les jeunes privilégient des contenus aux formats plus courts, qu’ils vi-
sionnement de manière moins concentrée. Ces contenus courts, vidéos sur YouTube ou
sur d’autres plateformes (Vine, Buzzfeed), séries de 20 minutes (sitcom, dessin animé)
sont particulièrement appréciés par les plus jeunes: “Quand je vois des vidéos de 25
minutes, ça me décourage. J’arrête à la moitié” (lle, 12-14 ans). Pendant cette période,
le visionnement est souvent mené en parallèle d’autres activités comme lire les “actua-
lités” sur sa page Facebook, échanger avec des amis par message texte, suivre d’un œil
la télévision qui fait “background”, “quand j’ouvre la télé, c’est juste […] pour avoir
du son. Des fois, je ne sais même pas c’est quoi” (lle 12-13 ans), faire ses devoirs ou
préparer le souper (pour les plus âgés).
À ces deux grands moments de visionnement en ligne, s’ajoutent en semaine, et
pour certains, deux autres périodes distinctes. Certains visionnent le matin, avant de
partir à l’école ou pendant l’heure du lunch (notamment pour les plus âgés) des contenus
généralement courts: “Pour me réveiller le matin, j’aime ça regarder soit des petites cap-
sules YouTube, soit des petites émissions de téléréalité que je n’ai pas pu voir la veille.
[…] Ensuite, je dirais qu’à midi […], je vais prendre une heure pour regarder des petites
vidéos ou des petites émissions qui vont ‘timer’ mon lunch” (lle, 20-25 ans). Le souper
est généralement dédié au visionnement d’une série (courte ou longue) qui accompagne
le repas et constitue un rituel pour certains qui ne vivent plus chez leurs parents et pour
d’autres qui les regardent à la télévision ou en ligne avec un de leur parent. Les pauses
dans le courant de la journée, ces interstices où l’on n’a “rien à faire”, constituent aussi
des occasions de se divertir en ligne (via le téléphone cellulaire en particulier). Celui-ci
permet une grande mobilité du visionnement à l’intérieur du foyer notamment (dans la
chambre, aux toilettes), mais aussi à l’extérieur (dans les transports publics, à l’école,
à l’université, au travail etc.). “J’écoute tout sur le téléphone ‒ petit truc ‒ parce que tu
peux l’apporter partout où tu veux. Parce que l’ordinateur de maison, je ne peux pas
l’apporter à la toilette […] avec mon téléphone je peux écouter quand je me brosse les
dents” (lle 12 -14 ans). Enn, le week-end est dédié à différents contenus et notamment
au visionnement de lms et de séries en rafale.
4. des catégories “fourre-tout” et d’autres qui ne font pas consensus
La façon de concevoir et de catégoriser les contenus varie tout d’abord selon les formats
et les plateformes utilisées. De manière générale, tous les jeunes rencontrés distinguent
les formats longs des formats courts. Les formats longs sont plus souvent des contenus
issus de la télévision; il s’agit notamment de séries, principalement américaines, que les
jeunes visionnent en grand nombre, d’émissions de téléréalité d’affaires publiques, talk-
show, documentaires etc., diffusés sur les sites des chaînes ou sites de “replay”, comme
tou.tv et sur les sites de streaming illégal (DPStream, SolarMovie, Popcorn Time,
Couchtuner etc.) ou légal (Netix). Les formats courts sont essentiellement constitués
de vidéos de toutes sortes qu’ils regardent sur différentes plateformes, comme YouTube,
et dont ils apprécient particulièrement la courte durée: “En fait, je suis plus sur YouTube
parce que c’est plus facile à accéder. Tu fais juste cliquer et c’est genre trois minutes les
vidéos. Mais, genre, une série tu dois rester 20 minutes minimum” (garçon, 14-16 ans).
Parmi les formats longs, les jeunes évoquent en priorité les séries, dont ils citent
de nombreux titres. A l’exception des séries animées (Les Simpsons, South Park), et
notamment les mangas, qui sont prisées par tous les groupes d’âge, seule une minorité
des participants, les plus âgés, évoque des intérêts pour des genres de séries particuliers.
Com soc 2-15.indb 200 23/09/2015 13:46:00
‘‘SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDEOS, DES SERIES ET DES EMISSIONS’’ 201
Ces participants font alors référence aux catégories traditionnelles de classication des
ctions sérielles, qui renvoient au contexte de l’action (séries policières, fantastiques,
historiques) aux types de personnages représentées (séries de vampires, de supers hé-
ros), ceux-ci étant parfois décrits de manière très ne (séries avec des femmes fortes,
séries avec des lesbiennes, séries avec des femmes noires), au public (série pour adoles-
cents, séries de lles, dessins animés de 18 ans et plus), au format (sitcom, téléromans,
mangas, «animés»), certains participants situant aussi les contenus qu’ils regardent par
rapport à d’autres séries qui font référence en matière de genre (“State of affairs. C’est
une série type CSI”). Un tiers des participants a également évoqué les webséries, que
certains décrivent comme “des séries uniquement disponibles en ligne”, d’autres ajou-
tant des critères relatifs à la facture de production (“peu de moyens”) ou au format (“des
épisodes courts”). Pour les autres, cette catégorie reste oue, un participant soulignant
aussi qu’il ne dirait jamais qu’il regarde “une websérie mais plutôt une série”, et qu’il
ne sait d’ailleurs pas reconnaître les webséries à moins que celles-ci soient identiées
comme telles “je sais que c’est une websérie parce que c’est écrit ‘web série’ ou ‘exclu-
sivité web”’ (garçon 20-25).
Les catégories utilisées pour décrire les séries peuvent aussi référer au contexte du
visionnement et notamment aux personnes avec lesquelles la série est regardée (“une
série que je regarde avec ma mère”, “une série que je regarde avec mon chum”, “des
séries pour enfant que je regarde avec ma petite sœur” ou encore à la gratication de
l’écoute: “une série légère”, genre privilégié lors du retour au foyer ou lorsque l’on fait
d’autres activités en même temps (devoirs, cuisine etc.).
Les jeunes mentionnent regarder moins de lms que de séries, parce que les pre-
miers mobilisent une période de temps longue, qui s’inscrit moins facilement dans leur
quotidien. De plus, contrairement aux séries, les lms nécessitent un investissement
sans cesse renouvelé alors qu’avec une série, on se retrouve vite dans un univers fami-
lier. Les jeunes semblent en effet très attachés à cette continuité temporelle qu’offrent
les séries: “Les lms contrairement aux séries, tu as deux heures d’action et tu dois
attendre deux ans avant leur suite. Alors, qu’une série à chaque épisode il y a quelque
chose qui se passe de magique” (garçon, 14-16 ans). Ils considèrent par ailleurs que
les lms offrent “moins de rebondissements”, certains soulignant aussi que le choix de
lms disponibles en ligne est trop restreint. Ils utilisent peu de catégories pour désigner
les genre de lms qu’ils visionnent, sinon pour évoquer les “lms à gros budget” qu’ils
préfèrent voir au cinéma, les “lms québécois” que veulent défendre certains des jeunes
âgés de 20 à 25 ans ou le “lm familial” que tous ceux qui vivent avec leurs parents
évoquent et qui est généralement visionné avec d’autres membres de la famille sur le
téléviseur du salon (vidéo sur demande, locations de vidéos), la catégorie désignant à la
fois un contenu convenant à tous et un contexte de visionnement.
Les jeunes témoignent également d’un fort intérêt pour les émissions en général.
La catégorie “émission” constitue une catégorie “fourre-tout” qui comme le souligne
Esquenazi28 “ne signie rien d’autre que le fait de nommer un échantillon de diffusion
télévisuelle”. Amenés à préciser les types d’émissions qu’ils regardent, les participants
ont surtout évoqué les “téléréalités” qui peuvent porter sur des thèmes variés (Les anges
de la téléréalité, MasterChef, Qui perd gagne), “les émissions de variété” (The Voice,
America’s Got Talent), les retransmissions sportives pour les garçons (notamment “les
28 Esquenazi, “Le renouvellement d’un jeu de langage: genres et canaux”, 103-118 (107), DOI: 10.3406/
reso.1997.2888.
Com soc 2-15.indb 201 23/09/2015 13:46:00
202 CHRISTINE THOËR ET AL.
séries du Hockey”), les talk-shows (Tout le monde en parle) et certaines émissions d’ac-
tualité pour les plus vieux. Cet effort de catégorisation était toutefois loin d’être évident:
“Koh-Lanta, on le met dans quelle catégorie? – Variété […] téléréalité?” (garçon 14-16
ans). De même, la catégorie «actualités» renvoie selon les participants à des réalités
diverses. Les plus vieux y incluent les émissions d’affaires publiques et les reportages
d’actualité, d’autres ne l’utilisent que pour désigner “le Téléjournal” dont plusieurs sou-
lignent que la sortie du foyer les a libérés:
depuis que je ne vis plus vraiment chez mes parents, je n’ai plus tellement accès aux médias
et je me suis rendu compte que ça fait un bien fou. De ne plus avoir les infos, de ne plus
savoir ce qui se passe dans le monde. La vie continue pour moi. C’est un peu égoïste, mais
ça fait…ça libère (garçon 20-25 ans).
À côté des contenus issus de la télévision, les jeunes déclarent presque tous visionner
des vidéos en ligne qu’ils regardent en très grand nombre. Ces contenus au format court
présentent la spécicité d’être disponibles uniquement sur le Web. Ils accèdent à ces vi-
déos principalement via des réseaux sociaux (YouTube, Vine, Facebook, et Twitter pour
les plus âgés etc.), YouTube étant la plateforme la plus souvent mentionnée, ainsi que
via d’autres plateformes Web (Buzzfeed, Vine etc). Comme pour les émissions, les vi-
déos renvoient à une catégorie générique “fourre-tout” qui inclut une multitude de sous
catégories sur lesquelles les jeunes s’accordent plus ou moins et qui s’afnent chez les
plus âgés: bandes-annonces, clips vidéos, extraits d’émissions ou de lms, vidéos hu-
moristiques, actualités, discours politiques, vlogues, critiques de lms, critiques de jeux,
vidéos éducatives, vidéos de catastrophes naturelles etc. Certains contenus semblent
difciles à étiqueter et les jeunes y référaient en évoquant le nom précis de la chaine
YouTube ou de la plateforme Web, en décrivent leur contenu, ou encore, en le compa-
rant à d’autres types de vidéos ou d’émissions:
- Fille 1: Buzzfeed. C’est comme des tests et parfois, c’est des petits documentaires, mais
c’est plus le fun, drôle.
- Fille 2: Ouais, c’est drôle. Mettons, la première fois que des Indiens essayent du Nutella,
ou des trucs comme ça (lles, 12-13 ans).
On observe un intérêt partagé pour les vidéos humoristiques (vidéo d’animaux, parodies
d’émissions télévisées), notamment celles où des individus ou groupes d’individus se
font piéger (“pranks”, “fake”) et celles où certains groupes (les adolescents, les mères,
les aîné etc.) sont amenés à réagir à des situations (les “social experiments”) ou à des
contenus culturels (vidéos de la chaîne YouTube “React”, par exemple: “Teens react to
Movember”, “Teens react to Hunger Games”) ainsi que différentes vidéos de “ratage”
(les “fail”). Il est intéressant de noter que les termes utilisés pour ces vidéos drôles font
plus l’unanimité chez les jeunes qui parfois les utilisent pour accéder à ces contenus à
partir de Google ou YouTube. Les vidéos humoristiques peuvent aussi être nommées en
référence à la plateforme qui les diffuse comme la catégorie très large “vidéo YouTube”
ou plus précise “Vine”. Ces vidéos sont aussi qualiées par certains garçons de 20-25
ans de vidéos “perte de temps” ou de vidéos “de partage” en référence à la façon dont
elles sont consommées.
Les jeunes sont également friands de tutoriels, dont le choix varie surtout selon
le genre (maquillage, mode et décoration chez les lles, apprentissage d’un instrument
de musique, d’un sport, ou d’un logiciel, chez les garçons). Ils aiment aussi les vidéos
apportant des réponses concrètes et imagées à des problèmes pratiques (ex: faire un
Com soc 2-15.indb 202 23/09/2015 13:46:00
‘‘SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDEOS, DES SERIES ET DES EMISSIONS’’ 203
nœud de cravate, cuire un œuf). Ils réfèrent à ces contenus de différentes façons, “tuto-
riels” étant le nom le plus évoqué, certains participants proposant des appellations plus
précises pour les qualier (“home made”, “do it yourself”, “how to”, “how to basic”).
La différenciation genrée des contenus visionnés se retrouve aussi dans le choix des
YouTubers, décrits comme “des personnes qui ont des chaînes YouTube” que les jeunes
affectionnent et suivent sur Internet. En effet, si certains YouTubers sont appréciés par la
majorité de nos participants (Pew Die Pie, Squeezie, Cyprien, Norman), d’autres attirent
plus spéciquement les garçons (Bob Lennon), ou les lles (II Superwoman II, Alisha
Marie, May Baby). Mais là encore la catégorie “YouTuber” ne semble pas clairement
délimitée comme en témoigne cet échange dans un groupe, lorsque les jeunes énumèrent
le nom des YouTubers qu’ils regardent :
- Fille 1: Il y a aussi Studio bagel.
- Fille 2: Ça Studio bagel, ce n’est pas des YouTubers…
- Fille 1: Si, aussi
- Fille 2: C’est un groupe
- Fille 1: Ouais, ils ont leur propre page (lles 17-19 ans).
Plusieurs des participants expliquent d’ailleurs que la catégorie “YouTuber” regroupe
des contenus différents et que certaines de ces vidéos s’apparentent à des émissions
télévisées de courte durée. Les plus âgés soulignaient d’ailleurs que la facture de pro-
duction souvent assez professionnelle de certaines vidéos les distinguent des contenus
produits par des utilisateurs ordinaires (“Les vidéos que les gens prennent sur ce qui se
passe dans le monde”).
Les jeunes, et dans une plus grande proportion les garçons, ont également mention-
né «les vidéos de jeux» comme une catégorie à part entière dans laquelle on retrouve
les “gameplay” qui permettent de suivre l’écran d’un joueur qui commente son jeu, et
les “play through”, montrant le déroulement de jeux en ligne. Enn, certains ont men-
tionné regarder des “vidéos porno”, notamment de courte durée, surtout les garçons,
qui l’avouent peut-être aussi plus facilement, la plupart des lles déclarant ne pas en
visionner et qu’il s’agit là d’une pratique typiquement masculine.
Les catégorisations des vidéos (et des séries dans une moindre mesure) peuvent
aussi renvoyer à l’indice de popularité dont elles bénécient. Les dispositifs techniques
des plateformes offrent en effet des systèmes permettant d’évaluer ou de “liker” des
contenus dont la popularité s’afche de manière très évidente, et qui deviennent alors
incontournables pour les jeunes. Ceux-ci rapportent visionner les “vidéos les plus popu-
laires sur YouTube” ou les “les vines de soir” présentant “les highlights. Comment on
dit, les meilleurs, les faits saillants, […] avec une musique de fonds assez mouvementée
et dynamique” (garçon, 14-16).
Au nal, les contenus visionnés sont très diversiés et les catégories utilisées pour
les décrire mutiples. Ces catégories sont toutefois relativement peu utilisées pour accé-
der aux contenus. Les jeunes rapportent en effet que les contenus qu’ils visionnent sont
souvent conseillés par des pairs, hors ligne comme en ligne, et repérés au cours de leur
navigation sur les médias sociaux. Tous les jeunes rencontrés ont par ailleurs mentionné
visionner les vidéos proposées par les systèmes de recommandations personnalisées et
automatisées. Ces suggestions automatisées les entrainent d’une vidéo à l’autre, étirant
le temps de visionnement: “Souvent sur YouTube, mettons j’ai aimé plein de YouTu-
bers, puis là, ça me fait genre des suggestions basées sur ce que j’aime […] je suis
comme “hey, il a l’air cool celui-là”, je clique dessus et il y a plein d’autres affaires”
(lle, 12-13 ans). Se laisser guider par les suggestions constitue pour certains une straté-
Com soc 2-15.indb 203 23/09/2015 13:46:00
204 CHRISTINE THOËR ET AL.
gie de recherche en soi (penser à un contenu connu que l’on a aimé pour en faire surgir
d’autres): “je n’ai pas d’idée précise, donc, je pense, à un lm, et il y a beaucoup de
suggestions, que ce soit sur YouTube, ou sur Google, il y a toujours des liens vers autre
chose, lms annexe ou connexe” (garçon, 20-25 ans). En prenant pour point de départ
un contenu qu’ils ont aimé, les jeunes n’éprouvent pas le besoin de rééchir au genre
précis auquel il appartient.
5. conclusion: des pratiques en définition ou se reconfigure le rapport
aux contenus audiovisuels
Les jeunes visionnent en ligne une grande variété de contenus. Cela résulte de la dis-
ponibilité d’une offre de plus en plus conséquente sur Internet. Le temps consacré au
visionnement connecté varie, notamment en fonction de l’âge, mais semble en augmen-
tation, s’ajoutant, voire se substituant chez les plus âgés, au visionnement télévisuel tra-
ditionnel, notamment lorsque les jeunes souhaitent s’affranchir du contrôle parental ou
qu’ils quittent le foyer familial. L’affranchissement du ux télévisuel semble toutefois
moins facile pour les jeunes issus de quartiers plus défavorisés. Nous observons toute-
fois, une disparition plus évidente de l’écoute télévisuelle, chez les plus âgés notamment
(17-25 ans), tendance qui semble moins marquée en France comme le montrent les
enquêtes françaises29, ce qui est sans doute à mettre en rapport avec le caractère cultu-
rel de l’offre et des pratiques. Toutefois, nos résultats devront être conrmés par une
enquête auprès d’un échantillon représentatif de jeunes Québécois. Rappelons de plus,
que les jeunes que nous avons rencontrés ont rapporté éprouver beaucoup de difcultés
à évaluer le temps qu’ils consacrent au visionnement connecté de divertissement. Cer-
ner avec précision le temps dédié à chaque type de contenu visionné en ligne constitue
un dé méthodologique que l’utilisation de journaux de pratique pourrait permettre de
relever en partie. Nous envisageons y avoir recours en complément d’entrevues indivi-
duelles dans une prochaine phase de la recherche.
Si le temps consacré au visionnement semble en progression, les grandes périodes
de visionnement se maintiennent: le retour au foyer, le début de soirée et la n de soi-
rée, comme l’ont aussi constaté Van den Broeck et al. qui analysent les transformations
accompagnant le développement des services de VOD30. La période de n de soirée
semble toutefois prendre de l’importance, notamment pour les plus jeunes qui possèdent
un cellulaire ou une tablette et disposent d’un accès Wi, ces dispositifs leur permettant
un visionnement discret, dans la chambre et libéré du contrôle parental. La chambre,
espace de construction identitaire et d’autonomisation pour les adolescents31 constitue
d’ailleurs le lieu privilégié du visionnement connecté des jeunes qui vivent chez leurs
parents, qui se fait essentiellement de manière individuelle au sein du foyer. Les modes
de fonctionnement du foyer, la taille de la cellule familiale, l’accès à l’équipement tech-
nologique, le type d’abonnement aux services Internet et de VOD, les habitudes télévi-
29 H. Glevarec, “La diversication numérique. Contenus, modes et supports des pratiques médiatiques
des 11-24 ans”, L’Observatoire, 9, 3 (2015). Accessed May 26, 2015, http://www.observatoire-culture.net/
rep-edito/ido-259/herve_glevarec_la_diversication_numerique_contenus_modes_et_supports_des_pra-
tiques_mediatiques_des_11_24_ans.html.
30 Van den Broeck, Pierson, Lievens., “Confronting Video-On-Demand with Television Viewing Prac-
tices”, 13-26.
31 H. Glevarec, La culture de la chambre: préadolescence et culture contemporaine dans l’espace fami-
lial, Ministère de la culture et de la communication, 2010.
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‘‘SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDEOS, DES SERIES ET DES EMISSIONS’’ 205
suelles familiales, continuent ainsi de façonner les pratiques de visionnement des jeunes
au sein du foyer32. Ceux qui vivent à la maison rapportent visionner plus régulièrement
des contenus avec leurs parents, leurs frères et sœurs, qui participent à leur sélection et
dont la présence teinte l’expérience du visionnement.
Grâce à la mobilité que permet le cellulaire et à la multiplication des modalités
de visionnement, les pratiques de visionnement de vidéos et de séries courtes ont éga-
lement investi d’autres espaces hors foyer, et d’autres espaces-temps, se glissant dans
les interstices de la journée. On observe ainsi une redénition de l’articulation entre
les dimensions de temps, de contenu et de contexte, qui ne semblent toutefois pas de-
venir complètement indépendantes, le visionnement connecté hors foyer appelant par
exemple, le choix de contenus de courte durée ou de contenus acceptables pour un
visionnement dans un contexte public33. La mobilité des technologies de l’information
et la communication fait toutefois émerger de nouveaux espaces et moments de vision-
nement pour les jeunes, dont il serait intéressant de cerner les signications et les liens
avec la “culture de la chambre”34.
Sans aucun doute, les pratiques conrment une émancipation à l’égard de la grille
de programmation télévisuelle. La personnalisation de la sélection et l’articulation des
contenus aux différents moments de la journée en témoignent. Les nouvelles façons de
regarder conrment la rupture avec le mode linéaire et séquentiel associé à la télévision
et montrent une écoute fragmentée, multiple à certaines périodes, hyperpersonnalisée,
intimement liée aux contextes, où différents types de contenus sont regardés en paral-
lèle, sur différents supports. Par ailleurs, le rôle des dispositifs techniques apparait très
important dans l’accès aux contenus. À ce titre, précisons que l’ensemble des jeunes ont
dit apprécier tout particulièrement la facilité et la convivialité de la plateforme YouTube;
la qualité de l’expérience de visionnement constituant une partie intégrante de l’expé-
rience d’usage35. Ils se sont montrés par ailleurs très friands des contenus courts – d’où
la popularité des vidéos. Ces constats vont dans le sens d’études américaines récentes
qui montrent que les contenus de courte durée sont de plus en plus populaires auprès
des jeunes, la durée moyenne de visionnement étant désormais descendue à moins de 4
minutes36.
Le travail de catégorisation réalisé par les jeunes pour désigner les contenus qu’ils
visionnent de manière connectée apparaît être le fruit d’adaptations de catégories exis-
tantes étroitement liées aux catégories venues du cinéma (lm, documentaire) et de
la télévision (émissions de variété, de téléréalité). Les catégories très hétéroclites ren-
voient à la fois aux genres ctionnels traditionnels qui font l’objet d’une segmentation
toujours plus ne, au contenu représenté (par exemple, « gameplay »), qui peut amener
la création de noms de chaîne YouTube (React channel), au format du contenu (sitcom,
téléroman, bande-annonce), au statut ou à l’identité de l’énonciateur (vidéo de Youtu-
ber, Norman,), aux gratications attendues de l’écoute (série légère), voire encore, au
32 Silverstone, Hirsh, Morley, “Information et Communication Technologies and the Moral Economy
of the Household”, 15-31.
33 Van den Broeck, Pierson, Lievens., “Confronting Video-On-Demand with Television Viewing Prac-
tices”, 13-26.
34 S. Livingstone, Young People and New Media: Childhood and the Changing Media Environment,
London, UK: Sage, 2002.
35 M. Syuhaidi Abu Bakar, R. Bidin, “Engaging Users Using Movie Mobile Advertising: Technology Ac-
ceptance and Purchase Intention”, Asian Social Science, 10, 7 (2014): 129-135, DOI: 10.5539/ass.v10n7p129.
36 L. Benhamou, “Les vidéos courtes, nouveau média du millénaire”, La Presse, October 14, 2014.
Accessed May 13, 2015, http://techno.lapresse.ca/nouvelles/internet/201410/14/01-4809030-les-videos-cour-
tes-nouveau-media-du-millenaire.php.
Com soc 2-15.indb 205 23/09/2015 13:46:00
206 CHRISTINE THOËR ET AL.
contexte de visionnement (“une série que je regarde avec ma mère”). Malgré la volonté
de vouloir faire entrer les divers contenus visionnés dans des catégories préexistantes, la
diversité et disparité des contenus sur Internet complexie la tâche et donne naissance
à un nouveau mode de catégorisation où se mêlent à la fois type de contenu, support et
genre.
Deux grandes catégories émergent parmi l’ensemble des contenus visionnés: les
contenus télévisuels qui comprennent essentiellement les séries et les émissions, majo-
ritairement regardées “en dehors de la télévision”37 et les vidéos sur Internet, auxquelles
les jeunes accèdent le plus souvent via YouTube et Facebook. Les contenus visionnés
en ligne sont d’ailleurs, mis à part les vidéos, essentiellement des contenus télévisuels
– mais pas forcément des productions locales. Les contenus de divertissement préférés
des jeunes proviennent de toutes les télés du monde auxquelles s’ajoutent toutes les
productions Web (dont les vidéos).
Si les catégories “séries”, “lms” et “vidéos” font consensus, les sous-catégories
contenues dans les catégories “fourre-tout” que sont les “émissions” et les “vidéos sur
Internet” sont multiples et variables selon les groupes d’âge et le genre, témoignant des
intérêts diversiés et même éclectiques des jeunes et de l’absence de consensus en ce
qui a trait à la plupart des dénominations. Cela est particulièrement vrai des émissions
télévisées auxquelles les jeunes référaient en recourant au nom précis de l’émission
(“Tout le monde en parle”) mais pour lesquelles ils avaient beaucoup de mal à propo-
ser une catégorie de genre plus précise que celle d’“émission”, d’où la production lors
des groupes focus de catégories très variables pour décrire ces contenus. Cela résulte
peut-être en partie du fait que, les visionnant en ligne, les jeunes ne se réfèrent pas aux
téléhoraires ou aux grilles de programmation des chaines câblées, et n’ont donc pas ac-
cès aux dénominations fournies par l’industrie. De la même façon, tandis que certaines
catégories de vidéos sont nommées spontanément par le plus grand nombre (vidéos de
YouTubers, tutoriels), d’autres ne sont identiées nement que par certains participants,
souvent les plus âgés (“webséries”). On constate toutefois que certaines vidéos faisant
l’objet de désignations précises émanant des acteurs professionnels ou semi-profession-
nels du Web et qui correspondent aux noms des chaînes YouTube ou aux noms des
“célébrités du web” qui les produisent, étaient largement connues des jeunes rencontrés
(“pranks”, “react”, “fail” etc.). Les plus âgés de nos participants utilisent aussi des ca-
tégories très nes pour désigner les genres des séries qu’ils affectionnent, qui renvoient
pour la plupart à des catégories proposées par le service de VOD payant Netix.
Cette multiplication des appellations des contenus visionnés en ligne témoigne de
la spécialisation des contenus et de l’hybridation des formats d’émissions – un phéno-
mène déjà mis en évidence dans le contexte télévisuel38 qui semble prendre une nouvelle
ampleur avec le développement de l’offre de divertissement connecté. La proposition
d’Esquenazi39 de ne plus diviser « la diffusion télévisuelle […] en genre d’émissions,
eux-mêmes divisés en sous-genres (mais) de la segmente(r) selon l’origine du diffu-
seur et selon des modes de ux différenciés pourrait d’ailleurs s’appliquer aux contenus
visionnés en ligne, car les noms des plateformes sont souvent repris pour qualier les
37 H. Glevarec, “La diversication numérique. Contenus, modes et supports des pratiques médiatiques
des 11- 24 ans”, L’Observatoire, 9, 3 (2015). Accessed May 26, 2015, http://www.observatoire-culture.net/
rep-edito/ido-259/herve_glevarec_la_diversication_numerique_contenus_modes_et_supports_des_pra-
tiques_mediatiques_des_11_24_ans.html.
38 Esquenazi, “Le renouvellement d’un jeu de langage: genres et canaux”, 103-118. DOI: 10.3406/
reso.1997.2888.
39 Ibid., 103-118 (116).
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‘‘SUR LE WEB, JE REGARDE DES VIDEOS, DES SERIES ET DES EMISSIONS’’ 207
contenus (“vidéos YouTube”, “vines”). Il serait intéressant, en s’appuyant sur le cadre
proposé par Mittell40 de poursuivre cette réexion sur la construction des catégories uti-
lisées par les utilisateurs et les producteurs et diffuseurs de contenus de divertissement
en ligne.
Cette hétérogénéité des appellations est aussi à mettre en lien avec le fait que le
“spectateur (est) actif et critique (et qu’on) ne peut simplement pas dénir le genre
comme la forme de l’émission. Car s’il y a communication, la signication de cette
forme dépend d’abord de la réaction du public”41. A ce titre, si ces dénominations ne vont
pas de soi, c’est sans doute aussi parce que les jeunes ne jugent a priori pas nécessaire
de nommer les contenus pour les trouver et les regarder. Comme l’évoquait Esquenazi42,
ce ou apparaît d’abord aux yeux de l’analyste! En l’occurrence, nos répondants ne s’en
sont jamais plaints. Il reste que certaines catégories semblent s’imposer (tutoriels) alors
d’autres restent très oues. Il serait pertinent d’investiguer plus en profondeur les usages
de ces catégories et leur évolution, par exemple en recourant à des récits de pratique de
visionnement. Finalement, cette difculté à distinguer les contenus, cette mise à plat
apparente, pourrait-elle signaler une certaine forme de démission critique, notamment
en ce qui concerne les vidéos sur YouTube où se confondent toutes sortes de genres et de
formats? Le rôle que semblent jouer les indicateurs de popularité dans les modes d’éva-
luation mais aussi de dénomination des contenus, incite à prendre la question au sérieux.
Par ailleurs, il semblerait que le travail de comparaison qui permet de lier les contenus
entre eux au sein d’une catégorie de genre soit de plus en plus personnalisé. Dans le
cadre des nouveaux médias, l’intertextualité est en effet encore plus poussée43, tant les
contenus sont liés entre eux du fait des liens hypertextes que proposent les systèmes de
recommandations personnalisées. Ce foisonnement des catégories risque-t-il d’entrainer
la disparition de catégories qui font sens pour tous?
40 J. Mittell, “A Cultural Approach to Television Genre Theory”, Cinema Journal, 40, 3 (2001): 3-24.
41 S. Livingstone, P.Lunt, “Un public actif, un téléspectateur critique”, in La reception, edited by C.
Meadel, Paris: CNRS, 2009,109-132 (114).
42 Esquenazi, “Le renouvellement d’un jeu de langage: genres et canaux ”, 103-118.
43 S. Livingstone, “The Challenge of Changing Audiences Or, what is the Audience Researcher to do in
the Age of the Internet”, European Journal of Communication, 19, 1 (2004): 75-86.
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