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Du poison pour la vie aquatique
11
Dans les écosystèmes aquatiques, les or-
ganismes sont exposés à une multitude
de micropolluants, d’origine naturelle ou
anthropique. Parmi ceux-ci, on retrouve
les métaux dont certains comme le cuivre,
le zinc ou le fer sont essentiels à la vie. Le
mercure (Hg) qui n’a pas de rôle connu dans
les métabolismes est un métal non-essentiel,
qui est présent dans les eaux naturelles (ri-
vières, lacs, océans etc.) à de très faibles
concentrations (de l’ordre du ng/L). Depuis
l’avènement de l’ère industrielle, les activités
humaines ont provoqué l’augmentation de
la quantité de Hg présent dans la biosphère,
et ce d’une manière globale (cf. contribution
de Loizeau, p. 9). Ainsi, même les régions les
plus éloignées du globe se retrouvent tou-
chées par le Hg qui se transporte par voie
atmosphérique loin des sources de pollution
locale. De graves empoisonnements, notam-
Le très toxique méthylmercure parvient très
facilement dans les organismes aquatiques.
Par la chaîne alimentaire, il atteint les poissons
et ses consommateurs: aussi les hommes.
du mercure
sur les écosystèmes aquatiques
Dr Séverine Le Faucheur, Genève
L’impact
ment ceux observés sur les villageois de la
baie de Minamata (Japon), ont mis en évi-
dence la n des années 150 la danerosité
du Hg. Depuis, le Hg est un métal intensive-
ment étudié car plusieurs caractéristiques le
distinguent des métaux classiques.
Bioamplication le long
de la chaîne alimentaire
La dangerosité des micropolluants vient
de leur capacité à se bioaccumuler dans les
organismes, c’est-à-dire que leurs concen-
trations dans les individus deviennent su-
périeures à celles mesurées dans le milieu
ambiant. De larges facteurs de bioconcentra-
tion 1
0
10
6
, v. Fi. p. 1 sont ainsi mesu-
rés entre le Hg mesuré dans l’eau et celui
mesuré dans le phytoplancton.
1
À ceci peut
s’aouter la bioamplication, qui provoque
l’augmentation du polluant le long de la
chaîne alimentaire. Ce phénomène concerne
essentiellement les composés organiques
tels les polluants organiques persistants et
rarement les métaux. La forme inorganique
du Hg (Hg
II
ne se bioamplie pas, con-
trairement à sa forme méthylée (CH
Hg).
Ainsi, la quantité de CH
Hg s’accroît le long
de la chaîne trophique, devenant une me-
nace pour les organismes supérieurs et leurs
consommateurs, incluant les humains. Les
facteurs de bioamplication c’estdire le
rapport entre la concentration mesurée dans
le prédateur et celle dans la proie) varient
entre 2 et 5 entre caque maillon tropique.
2
Les concentrations de CH
Hg étant très fai-
bles dans les eaux naturelles, les poissons
obtiennent majoritairement leur CH
Hg par
la nourriture.
Du méthylmercure dans
les poissons
Les poissons peuvent ainsi contenir en-
tre 0 et de sous forme métlée.
Ce phénomène s’explique notamment par
l’assimilation efcace du
Hg par les or-
ganismes et sa faible élimination. Une étude
réalisée sur le transfert trophique entre une
diatomée (microalgue) et un copépode (in-
vertébré) a démontré que le Hg
II
se trou-
vait principalement sur les membranes des
diatomées au contraire du CH
Hg qui était
1 Le Faucheur S., Campbell P.G.C., Fortin C. and
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California Press, Berkeley and Los Angeles, California,
S, pp 121.
Le mercure est aussi très toxique pour les organismes aquatiques. Le poison revient chez l’homme par la chaîne alimen-
taire. Lac Léman. © Jean-Luc Loizeau
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Du poison pour la vie aquatique
surtout dans le cytoplasme de l’algue, par-
tie la plus biodisponible pour le consomma-
teur.
Ainsi le broutage de la diatomée par
le copépode a par la suite mis en évidence
que le CH
Hg présent dans le cytoplasme
était mieux ingéré par le copépode que le
Hg
II
membranaire principalement éliminé
dans les fèces. Le contenu en CH
Hg dans
les poissons dépend de nombreux facteurs
biologiques comme l’âge, le sexe, la taille, le
poids et la position du poisson dans la chaîne
alimentaire mais aussi de plusieurs paramè-
tres physico-chimiques de l’eau ambiante. Le
pH, la concentration en matière organique
dissoute ou la température sont aussi con-
nus pour jouer un rôle prépondérant dans
le contenu en CH
Hg des poissons. En effet,
ces caractéristiques inuencent son compor-
tement dans les eaux et donc sa biodisponi-
bilité pour les organismes aquatiques.
Une forme biodisponible
encore inconnue
La forme biodisponible d’un métal est la
www.aefu.ch
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Cycle biochimique et formes du mercure dans l’écosystème aquatique. © Dranguet Perrine, et al., Chimia, 2014, vol. 68, no. 11, p. 799-805
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Dr Séverine Le Faucheur a réalisé sa
thèse à l’EAWAG (ETH) de Zurich.
usqu’en 2011, elle a travaillé comme
post-doctorante et chercheuse associée
l’INS anada. epuis, elle of-
cie l’université de enve, en tant
que première assistante du groupe bio-
géochimie environnementale et écotoxi-
cologie à l’institut Forel.
www.unige.ch/forel/fr/
severine.lefaucheur@unige.ch.
Du poison pour la vie aquatique
forme qui est absorbée par les organismes.
Cette forme est très importante à connaître
car elle va déterminer l’effet que va produire
le métal sur les organismes. Dans les eaux
naturelles, les métaux existent sous forme
particulaires et dissoutes (métaux présents
aprs une ltration des eau 0,5 m. La
forme dissoute se compose en plus de plus-
ieurs espèces métalliques dépendamment de
la présence de ligands dans les eaux (OH-,
Cl-, CO
2
-, SO
2
-, etc.). Plusieurs études
ont démontré l’importance de prendre en
compte cette spéciation (forme chimique)
des métaux en solution pour établir un lien
entre la réponse d’un organisme (inhibition
de la croissance, mobilité, mortalité, etc.) et
l’exposition au métal. La forme libre a ainsi
été reconnue comme étant un bon indica-
teur de la biodisponibilité d’un métal en so-
lution tandis que la présence de ligands ou
d’autres cations dans le milieu ambiant peut
moduler cette biodisponibilité, tel que décrit
dans le modèle du ligand biotique.
Dans le cas du Hg, la forme biodisponible
n’est toujours pas connue parmi les es-
pèces dissoutes qui existent dans les eaux.
Parmi ses formes, on retrouve des espèces
telles que Hg(OH)
2
, HgCO
, HgClOH,
CH
HgOH, CH
HgCl etc. Les petits com-
plexes neutres lipophiles du Hg (HgCl
20
,
CH
HgCl
0
et HgS
20
) ont longtemps été
décrits comme étant les espèces prises en
charge par les organismes par diffusion
passive. Cependant de récentes études ont
montré que d’autres formes de Hg pou-
vaient aussi pénétrer dans les organismes.
Ainsi la présence de certains acides aminés
favoriserait la prise en charge du Hg par les
bactéries, suggérant un tran-sport actif du
Hg. La connaissance précise de la forme bio-
disponible du Hg et de son mode d’entrée
dans les organismes est primordiale pour
établir des critères de protection des eaux
adéquats pour protéger les écosystèmes
aquatiques des méfaits du Hg.
Toxicité
À la différence de la majorité des autres mé-
taux, les organismes aquatiques sont expo-
sés à deux formes de Hg à travers deux voies
d’exposition différentes, majoritairement
l’eau pour le Hg
II
et la nourriture pour le
CH
Hg. Les deux formes sont connues pour
provoquer des effets au niveau du système
nerveux central des poissons. Le CH
Hg qui
traverse facilement la barrière sang-cerveau
est considéré comme la forme la plus tox-
ique.
5
Un des mécanismes de toxicité recon-
nus du Hg est la production de dérivés ré-
actifs l’one eactive en Species,
S qui enendre un stress odatif dans
les organismes.
6
Ce stress oxydatif a par
exemple été montré dans des saumons de
l’Atlantique nourris avec de la nourriture
enrichie en CH
Hg et Hg
II
pendant mois.
Ainsi, bien qu’aucun effet du Hg sur la crois-
sance ou la mortalité des poissons n’ait été
observé, une série de réponse cellulaire liée
la production de S a été mesurée et
des plus faibles concentrations en CH
Hg
qu’en Hg
II
. Ce stress se produit aussi chez
les microalgues modèles (cultivées en
laboratoire) mais à des concentrations très
élevées en Hg et irréalistes d’un point de
vue environnemental. Pourtant de très ré-
centes études menées dans notre groupe
suggèrent que des expositions à long-terme
à des concentrations très faibles en Hg (de
l’ordre de la dizaine de ng/L) auraient un
effet sur certaines espèces de microalgues
périphytiques (microalgues poussant sur
des substrats dans les rivières), entra’inant
un changement dans les communautés. Il est
donc important de mener des études écotox-
icologiques à long-terme et à de faibles con-
centrations en Hg
II
et CH
pour identier
les effets observables dans l’environnement.
e rands dés attendent donc encore les
écotoxicologistes étudiant le Hg dans ces
prochaines années. Les effets du réchauffe-
ment climatique restent encore par exem-
ple à être élucidés. D’après les données ac-
tuelles, une augmentation de la productivité
dans les eaux naturelles est attendue dans le
futur, ce qui pourrait modier randement
les scémas de bioamplication et de toi
cité que nous connaissons actuellement.
ioamplication du mercure le long de la cane alimentaire es èces montrent la concentration de mercure à fois supérieure cez le consommateur par rapport à celle con-
tenue dans la proie appelée facteur de bioamplication ’après lac et aldans ercur in te environment, editeur an,