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8ème Journée technique du CIVB 13 mars 2007, 90-101.
REFLEXION SUR LE DEVENIR D’INSECTES DU
VIGNOBLE DANS LE CONTEXTE D’UN
RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE GLOBAL.
Denis THIERY & Julien CHUCHE
UMR INRA-ENITAB 1065 en Santé Végétale, ISVV,
BP81, 33883 Villenave d’Ornon cedex.
thiery@bordeaux.inra.fr
jchuche@bordeaux.inra.fr
RESUME-
Le réchauffement climatique annoncé est aussi un facteur d’inquiétude concernant l’évolution
des problèmes phytosanitaires qui se posent en vignoble. Dans cet article, nous proposons une
réflexion liée à l’entomofaune classique des vignobles européens. Cela concerne les
déprédateurs qui se nourrissent tout simplement des organes végétaux, mais aussi les insectes
qui transmettent des maladies des plantes. Les changements climatiques peuvent se traduire par
des modifications des durées de cycles reproducteurs des insectes mais aussi du niveau de
population et de leurs aires géographiques d’activité. Ces modifications ne conduisent pas
forcément par une augmentation du nombre de ravageurs à court ou moyen terme. Les
changements climatiques peuvent aussi avoir des effets positifs en favorisant l’activité
biologique des parasites et prédateurs de ces insectes nuisibles. Toutefois, nous manquons
d’études suivies sur plusieurs années et à échelle du vignoble nous permettant de tirer des
conclusions certaines. Nous manquons aussi de données éco-éthologiques sur un certain nombre
de ravageurs potentiels qui nous permettrait d’envisager l’évolution de leurs populations. A
travers quelques exemples, nous essayons de tracer quelques pistes d’un avenir possible en
vignoble en limitant cette réflexion à l’entomofaune.
MOTS CLES- Réchauffement climatique, dynamique de population, insectes, vigne, ravageurs,
parasitoides
INTRODUCTION-
Au cours des 100 dernières années, la moyenne globale des températures à la surface du globe a
augmenté de 0,6°C et devrait, selon les estimations, s’accroître de 1,4 à 5,8°C pour des
concentrations de CO2 comprises entre 540 et 970 ppm d'ici 2100 (IPCC, 2001). Ces tendances
sont confirmées par la dernière conférence du GIECC (2007). Le réchauffement climatique n'est
pas sans conséquences sur les activités humaines, et en particulier sur l'agriculture (Rosenzweig
& Hillel, 1995). La viticulture va devoir s'adapter aux nouvelles conditions climatiques, et en
particulier en France. La première action du réchauffement passe par la modification de
phénologie de la culture (Duchêne & Schneider, 2005). Une étude centrée sur le Médoc (Chevet
et Soyer, 2006) montre toutefois la capacité de la vigne à compenser les variations climatiques,
bien que cette vision semble encore source de débats. Jones et Davis (2000) montrent en effet
une tendance à des phénologies plus précoces de la vigne Bordelaise depuis une cinquantaine
d’années (Fig 1). La qualité du produit final, le vin, montre par contre une certaine stabilité
(Jones et al., 2005), ce qui pourrait indiquer un potentiel de compensation de la plante. Les
effets directs sur l'entomofaune du vignoble et en particulier les ravageurs sont très
certainement plus marqués. En première approximation, les espèces les plus à même de
s'adapter aux changements climatiques sont celles qui sont le plus mobile et qui se reproduisent
le plus vite (Harrington et al., 2001) ; mais des études au cas par cas sont nécessaires.
Différentes études montrent que l’augmentation de la température moyenne, plus que tout
autre paramètre lié aux changements climatiques, est le principal facteur ayant un effet direct
Figure 1 : Evolution
du nombre de jours
entre la floraison et la
vendange en fonction
des années depuis
1948 dans la région de
Bordeaux (Cépages
merlot et cabernet-
sauvignon) (Données
sources dans Jones &
Davis, 2000).
sur les insectes phytophages (Bale et al., 2002). Elle peut induire des changements de durée du
cycle de développement, du nombre de générations par an, de densité de population, de taille
des individus, de composition génétique, de distribution géographique (extension ou diminution
de l’aire de répartition) et/ou de gamme de plantes hôtes (Bale et al., 2002). Elle peut aussi
perturber la synchronisation entre des insectes et leurs plantes hôtes en découplant le cycle de
l’insecte et celui de sa ressource alimentaire. Même si ce thème de recherches est actuellement
à la mode, nous manquons d’études suivies sur plusieurs années et à échelle du vignoble nous
permettant de tirer des conclusions certaines. Les effets à moyen et long terme ne sont pas
forcément une augmentation systématique des dégâts des ravageurs. En effet, les régulations
qui s’opèrent dans l’écosystème peuvent contrebalancer les augmentations de population de
ravageurs.
Dans cet article, nous réfléchissons aux conséquences possibles que pourraient avoir ces
changements climatiques sur la dynamique des populations de quelques uns des ravageurs les
plus connus, mais aussi sur l’apparition d’espèces nouvelles soit par extension d’aire
géographique, soit par changement de plante hôte.
Cet article traitera de quelques exemples des ravageurs de vignobles de la zone septentrionale,
principalement les tordeuses de la grappe et les cicadelles, ainsi que des insectes auxiliaires.
1- EXTENSIONS OU CHANGEMENTS D’AIRE GEOGRAPHIQUE.
En général, sous l'influence du réchauffement, la plupart des espèces d'insectes ont
tendance à voir leur distribution géographique progresser vers le nord (Fig. 2).
Ainsi, une étude portant sur 35 espèces sédentaires de papillons européens a montré que 65%
d'entre elles ont progressé vers le nord au cours du XXème siècle (de 35 à 240 km), contre 3% vers
le sud (Parmesan et al., 1999). Ces variations de l'aire de répartition peuvent se faire à
103
107
111
115
119
123
1948 1958 1968 1978 1988 1998
Année
Nombre de jour
s
Figure 2: Evolution de l’aire de distribution européenne de Pararge aegeria (Lépidoptère) actuelle
(a) et simulée pour la période 2070-2099 (b). d'après Hill et al. (1999).
superficie constante ou être accompagnées d'une diminution ou d'une augmentation. Dans le cas
présent, 63% des espèces de papillons ont vu leur aire de distribution progresser.
Si la hausse continue de la moyenne des températures est un facteur expliquant l’expansion
géographique de certaines espèces d’insectes, il ne faut cependant pas sous-estimer
l’importance des anomalies de température sur des courtes périodes. En effet, l’extension ou la
réduction d’aire géographique peut se faire de manière constante et progressive, mais aussi par
"bonds" lors d'importantes, mais transitoires, hausses de température. Les températures
nocturnes anormalement élevées de la période comprise entre juin et août 2003 ont ainsi permis
l’installation permanente de populations de la processionnaire du pin, Thaumetopoea
pityocampa (Lepidoptera, Notodontidae) à de hautes altitudes dans les Alpes où elles étaient
absentes (Battisti et al., 2006).
A priori, on peut penser que les espèces polyphages, donc capables de se développer sur
d’autres plantes que la vigne, seraient plus aptes à augmenter leur aire géographique. Les
changements d’aires de certaines plantes, ou les changements d’associations végétales
pourraient alors amplifier les changements d’aire géographique. Les espèces spécialistes, au
contraire, sont très dépendantes de la répartition et du développement de leur plante hôte
(Fig.3).
Figure 3 : Modèle montrant
comment les durées de
développement d'un insecte
et de sa plante hôte à
différentes températures
peuvent déterminer les
limites de distribution d'un
insecte phytophage
spécialiste. Aux faibles
températures (limites Nord
de distribution), la plante
croît trop lentement pour
permettre le développement
de l'insecte, tandis qu’aux
fortes températures (limites
Sud), elle croît trop
rapidement d'après Bale et
al. (2002).
Le cas des vers de la grappe : L'Eudémis (Lobesia botrana) est un insecte considéré comme
ravageur de la vigne en France depuis seulement 1890 (Thiéry, 2005) et qui a colonisé
progressivement l’ensemble du vignoble Français. Cette extension ne peut pas être attribuée au
réchauffement climatique actuel puisque qu’elle a eu lieu durant la vingtaine d’années qui a
suivi cette date. Les dégâts actuels ainsi que les niveaux de population observés ne semblent pas
plus importants ces dix dernières années qu’il y a une cinquantaine d’années. Il faut toutefois
considérer le contrôle de cet insecte (chimique ou par confusion sexuelle) actuellement plus
performant qu’il ne l’était avant. A l’inverse d’autres espèces peuvent voir leur zone se réduire
lorsque les zones qu’elles occupaient deviennent trop chaudes et incompatibles avec leur bonne
reproduction. La Cochylis (Eupoecilia ambiguella) pourrait en être l’illustration. On sait que cet
insecte supporte très mal la sécheresse, celle-ci bloquant la ponte et induisant de très fortes
mortalités des œufs (Thiéry, 2007). Les températures maximales d’été en vignobles supérieures
à 32,5°C ont été décrites comme bloquant le vol de ces insectes et celles supérieures à 38°C
tuant les œufs (Geoffrion, 1959).
Il est aussi très difficile d’élever cet insecte dans des conditions d’humidité relative
inférieures à 40%. On sait aussi que la Cochylis a besoin de périodes de froid lors de son entrée
en diapause en fin d’été pour que celle-ci s’effectue correctement (Roehrich & Boller,1991). Un
réchauffement durant ces périodes peut donc engendrer des mortalités. Au début du 20ème
siècle, c’était un ravageur important des vignobles de l’Aude, d’une partie des Pyrénées
orientales mais aussi du Bordelais : quelques grands domaines de l’actuelle appellation Pessac
Léognan souffraient alors d’une pression importante en Cochylis. Actuellement, et à part des
zones sous influence micro-climatique fraîche et humide, la Cochylis n’est plus présente dans
ces vignobles que de manière anecdotique. Une hypothèse serait qu’un réchauffement
progressif, même faible, pourrait faire remonter la Cochylis vers le nord, probablement sa zone
d’origine.
2- LA DYNAMIQUE DES POPULATIONS PEUT EVOLUER.
2-1 Durée des cycles reproducteurs.
Les arthropodes sont des espèces poïkilothermes dont la vitesse de développement varie
avec la température. La vitesse de développement des stades larvaires des insectes (incluant les
œufs) est fonction de la température : l’œuf d’Eudémis se développera en 10 jours à 17°C
(température constante), mais aura besoin de 4,5 jours de moins à 22°C (Götz, 1941).
Il en va de même pour les chenilles, les températures plus élevées se traduisant au final par une
durée de cycle reproducteur (d’œuf à œuf par exemple) plus courte, et donc la possibilité pour
les espèces multivoltines d’effectuer une génération de plus. Une illustration de ce phénomène
peut nous être fournie par l'enchaînement des générations de l’Eudémis de la vigne en
aquitaine. Ainsi, Feytaud observait en 1911 (Feytaud, 1913) 3 générations de cet insecte très
nettement séparées dans le temps (Figure 4). On remarquait alors une 3ème génération tardive en
septembre. Ces dernières années, on ne discerne plus de séparation nette des générations. De
plus, une quatrième génération est souvent observée dans les vignobles aquitains avec la
présence de larves sur des grappes non vendangées jusqu’au mois de novembre.
Figure 4 : Etude comparée de la dynamique de capture d’Eudémis dans le Sauternais : en 1911 à
Château Suduirault (en haut) et en 2006 à Château Climens (en bas). Outre le début du cycle
annuel qui peut varier d’une année sur l’autre, on s’intéressera aux trois générations nettement
séparées en haut - ce qui est de moins en moins le cas actuellement- ainsi qu’au début de la 3°
génération (barre pointillée) qui est nettement plus précoce actuellement. Données de Château
Climens, gracieusement fournies par F. Nivelle.
Les mortalités peuvent être très importantes sur les insectes qui passent l’hiver en diapause et
qui présentent donc un stade immobile long (chrysalides d’Eudémis et de Cochylis sous les
écorces et au sol, œufs de Scaphoideus titanus par exemple). On s’attend à ce que l’humidité et
la douceur de l’hiver favorisent la flore entomopathogène du sol et ainsi augmente la mortalité
des chrysalides, ce qui réduirait alors la taille des populations fondatrices de printemps. Dans ce
cas un réchauffement hivernal pourrait avoir un rôle très négatif sur les populations de ces
insectes en supprimant une grosse partie des individus qui fondent les populations de vignobles
au printemps.
L'augmentation des températures en hiver peut ainsi avoir un effet variable sur les populations
d'insectes (Harrington et al., 2003), en changeant la mortalité hivernale, mais aussi en affectant
l’entrée en diapause où la vitesse de réactivation de printemps (voir figure 5).
0
200
400
600
800
1000
1200
0
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12/5
26/5
9/6
23/6
7/7
21/7
4/8
18/8
1/9
15/9
29/9
13/10
Figure 5 : Températures requises pour la croissance et la diapause du papillon Saturnia pavonia.
La gamme de températures favorables est représentée en blanc, les températures létales en noir,
et les températures critiques en gris. D'après Bale et al. (2002).
2-2 Synchronisation avec la ressource végétale.
Au printemps, un des problèmes majeurs que doivent résoudre les populations d’insectes
phytophages consiste à se synchroniser avec l’entrée en végétation de la culture afin de disposer
de nourriture rapidement : c’est donc un élément capital de la survie de ces insectes. Le facteur
majeur expliquant la sortie de diapause de la plupart des insectes de vignobles que nous
connaissons actuellement est la température. Des augmentations de températures en fin d’hiver
et au printemps peuvent alors avancer de manière significative le cycle de l’insecte. Par
exemple, il a été montré que l'augmentation des températures printanières affecte la
synchronisation de l'arpenteuse tardive, Operophtera brumata (Lepidoptera, Geometridae), avec
le débourrement du chêne pédonculé aux Pays-Bas (Visser & Holleman, 2001). L'éclosion des
œufs peut se faire jusqu'à 3 semaines avant l'apparition des premières feuilles. Dans ce cas
précis cela produit un effet délétère sur la population du ravageur en engendrant des mortalités
énormes des jeunes chenilles.
Une stratégie reproductrice assez répandue chez les insectes phytophages et qui permet de
synchroniser suffisamment d’individus avec la phénologie de la plante est celle dite de
l’étalement du risque (bet-hedging des anglo-axons) (Menu & Deshouant, 2002 ; Soula & Menu,
2003). Elle consiste par exemple pour une population à étaler dans le temps les vitesses de
développement des émergences des adultes ou les vitesses de développement des chenilles. Les
espèces le plus capables d’exprimer efficacement de telles stratégies seront très certainement
favorisées dans un cadre de changements climatiques progressifs ou brutaux.
3- DES ESPECES NOUVELLES PEUVENT APPARAITRE.
3-1 Les ravageurs de baies.
Deux lépidoptères causent des dégâts aux grappes avant la vendange dans la plupart des
vignobles méditerranéens : Cryptoblabes gnidiella, et Ephestia parasitella (Lepidoptera,
Phycitinae). Ils sont pour l’instant rarement décrits dans nos vignobles, sauf dans la partie sud
du vignoble Français. Sans être alarmiste, un réchauffement pourrait favoriser leur entrée dans
nos vignobles. On remarquera que E. parasitella a été observé en bordelais (Xuéreb et al, 2003)
mais sa présence est pour l’instant occasionnelle.
D’autres ravageurs de baies sont encore assez peu présents dans nos vignobles, comme les
guêpes, les drosophiles agents de la pourriture acide, mais aussi des cochenilles qui peuvent se
développer sur les baies.
3-2 Les Insectes piqueurs.
L’entrée en vignobles de nouvelles espèces d’insectes piqueurs pourrait être plus
inquiétante, notamment par leur fréquent rôle de vecteurs de virus, bactéries et autres
phytoplasmes.
L'apparition de nouvelles maladies vectées peut être due à trois évènements (Maixner, 2005): (1)
l'introduction d'un pathogène dans une zone où existe des vecteurs potentiels, (2) les
mouvements de vecteurs à l'intérieur d'une aire de présence d'un pathogène de la vigne, (3) la
dispersion des pathogènes et des vecteurs dans des zones non affectées par la maladie. Si les
activités humaines peuvent être la cause de l'apparition de nouvelles maladies, comme ce fût le
cas de l'introduction de Scaphoideus titanus en France, le réchauffement climatique est aussi
capable d'induire l'apparition de nouvelles maladies. C'est ainsi, que l'on voit progresser vers le
nord des maladies qui était restreintes à des zones plus méridionales où le vecteur pouvait se
développer. On peut citer l'exemple de la Flavescence dorée. Le vecteur de cette
phytoplasmose, S. titanus, à besoin de températures estivales suffisamment élevées pour
compléter son cycle de développement (Boudon-Padieu, 2000). L'aire de distribution de cette
cicadelle ne cesse de progresser vers le Nord, sûrement grâce au changement climatique actuel
(Maixner, 2005). La répartition géographique de S. titanus est supérieure à celle du
phytopalsme, si ce dernier est introduit dans une zone où le vecteur est présent mais exempte
de maladie, on se trouvera dans le cas (1). Si l'augmentation de la température peut être
indirectement responsable de l'apparition de nouveaux ravageurs et vecteurs en vignoble, elle
peut aussi conduire à un accroissement des populations déjà présentes ainsi qu'à une plus grande
sévérité des maladies présentes.
3-2-1 Augmentation de température et comportements des vecteurs.
Une cicadelle vectrice de la maladie de Pierce pour la vigne en Californie (Graphocephala
atropunctata ; Homoptera, Cicadellidae), voit son activité de vol varier en fonction de la
température (Feil et al., 2000). Un seuil de température cumulé est nécessaire au début du vol
de printemps. De plus, le nombre d'individus capturés en vol est corrélé avec le cumul
thermique quotidien. Ainsi, plus les températures sont élevés en début d'année est plus les vols
commencent tôt et plus les températures journalières sont élevées et plus il y a de vecteurs qui
se déplacent de ceps à ceps. Les températures élevées favorisant le déplacement du vecteur,
elles favorisent également la propagation de la maladie. Ces mêmes températures élevées
diminuent la période d'incubation et augmentent la proportion de vecteur infectés chez
Macrosteles quadrilineatus (Homoptera, Cicadellidae), un vecteur d'un phytoplasme responsable
de la jaunisse de l'aster (Murral et al., 1996). Si de telles réponses à des températures élevées
existent chez S. titanus, on peut s'attendre à une augmentation de la dissémination du
phytoplasme responsable de la Flavescence dorée et donc à une extension de la maladie.
3-2-2 Etablissement d’espèces thermophiles.
Le réchauffement du climat pourra permettre l'établissement sous nos latitudes d'espèces
thermophiles. Ainsi, on peut aisément envisager que des populations de cicadelle africaine de la
vigne, Jacobiasca lybica (Homoptera, Cicadellidae), provenant de la péninsule ibérique ou
d'Italie puissent s'installer dans les vignobles français dans un futur proche. Cette espèce peut
causer des dégâts important notamment des grillures importantes. Les dégâts n'affectent pas
seulement la qualité et la quantité des raisins mais aussi la récolte future par suite de
l'épuisement de la plante (HYPP Zoologie, 1998). De plus, cette cicadelle présente 5 générations
par an et l'on peut s'attendre, comme pour toute espèce polyvoltine, à une augmentation du
nombre de génération et donc du nombre total d'individus du fait de l'élévation de la
température moyenne. Ainsi, Yamamura et al. (2006) ont montré qu'une élévation des
températures hivernales moyennes au Japon induit une augmentation des populations de la
cicadelle verte du riz, Nephotettix cincticeps (Homoptera, Cicadellidae).
Philaenus spumarius (Homoptera, Aphrphorinae) est une espèce polyphage qualifiée "d'espèce
compagne" par Bonfils et Schvester (1960) mais capable de transmettre efficacement la maladie
de Pierce à la vigne (Purcell, 2001). Le fait que la diapause de cet insecte soit levé par le froid
et qu'il n'y ait qu'une seule génération laisse supposer que l'élévation de la température moyenne
perturbera la levée de cette diapause et donc maintiendra à de faibles niveaux de population
cette espèce.
Cependant, l'existence de vecteur d'une maladie au sein de la culture est une menace
potentielle qui peut devenir réelle en cas de contact avec l'agent causal de la maladie. On peut
logiquement supposer que les nouvelles conditions climatiques mettront en contact des
pathogènes, des plantes et des insectes vecteurs qui ne l'étaient pas auparavant. On ne peut pas
exclure que de tels évènements ne puissent conduire à l'apparition de nouvelles associations
entre ces trois partenaires et conduire à l'apparition de nouvelles maladies.
Des températures estivales élevées sont le facteur thermique déterminant de la survie de
Metcalfa pruinosa (Homoptera, Flatidae) (della Giustina & Navarro, 1993), un Homoptère proche
des cicadelles. L'augmentation des températures, particulièrement l'été, serait donc favorable à
l'expansion de cet insecte originaire d'Amérique du Nord. Il a été signalé pour la première fois
dans le Sud-Est de la France en 1986 par della Giustina et depuis son expansion n'a cessé. Dans
les secteurs où cet insecte polyphage s'est installé, il est souvent difficile de trouver des plantes
indemnes. Si elle n'entraîne des mortalités de plantes qu'en cas de très fortes pullulations, elle
peut tout de même affaiblir les plantes sur lesquelles elle s'alimente. Cependant, le miellat,
sous-produit de son alimentation, qu'elle dépose sur la plante entraîne le développement d'un
champignon noir formant la fumagine qui réduit la photosynthèse et constitue une souillure
pouvant interdire la commercialisation de la plante ou du fruit. L'emploi d'insecticides est
difficile car le corps cet insecte est recouvert de cires protectrices. Seules les jeunes larves en
sont dépourvues, mais l'étalement des éclosions étant important, il faudrait réaliser de
nombreux traitements. De plus, l'utilisation du miellat par les abeilles, conduit à l'utilisation de
produits "non dangereux pour les abeilles". Cependant, les résultats de l'INRA d'Antibes sur
l'utilisation du parasitoïde Neodryinus typhlocybae (Hymenoptera, Dryinidae) dans la lutte
contre M. pruinosa sont encourageants.
La dynamique des populations (durée de développement de l'œuf à l'adulte, poids et
taille des adultes) de Graminella nigrifrons (Homoptera, Cicadellidae) a été étudiée au
laboratoire à 5 températures sur plantules de maïs, avoine et sorgho vivace par Larsen et al.
(1990). Si les températures plus basses donnent des adultes plus grands et plus lourds, les
températures les plus élevées procurant les durées de développement les plus courtes. La
température semble aussi jouer un rôle significatif en déterminant l'adéquation des plantes
comme hôtes convenant au développement de l'insecte phytophage. En effet, les G. nigrifrons
se développent mieux sur des graminées vivaces qu'annuelles aux températures les plus basses,
alors qu'aux plus hautes températures, c'est l'inverse.
4- LES PERFORMANCES DU CONTROLE ENTOMOPATHOGENE PEUVENT AUSSI CHANGER.
4-1 Les auxiliaires
Yamamura & Kiritani (1998) ont développé un modèle montrant que sous un climat
tempéré, une élévation de 2°C de la moyenne des températures entrainerait l'apparition de 1 à
5 générations supplémentaires par an pour les espèces d'insectes polyvoltines. Cependant, ces 2
auteurs, précisent que la hausse du nombre de génération d'hôtes peut s'accompagner d'une
augmentation synchronisée du nombre de générations annuelles de parasitoïdes. Ce qui peut
conduire à une baisse de la densité de la population d'hôtes. Cependant, ils citent les travaux de
Hassel et al. (1993) qui montrent qu'un plus grand nombre de générations de l'hôte peut
conduire à une désynchronisation des relations hôtes-parasitoïdes et ainsi créer un effet de
refuge pour les hôtes qui ne seraient plus, ou dans une moindre mesure, soumis à la pression des
parasitoïdes.
La pression exercée par les parasitoïdes sur les espèces locales peut aussi favorisée l'invasion
d'une nouvelle espèce de ravageur. C'est ainsi que E. a progressé vers le Nord dans les années 80
en Californie en remplaçant les populations locales de E. elegantula (Homoptera, Cicadellidae).
L'installation de l'espèce invasive au détriment de l'espèce locale s'est faîtes grâce à la pression
parasitaire de Anagrus epo (Hymenoptera, Mymaridae) que subissait fortement E. elegantula et
faiblement E. variabilis (Settle & Wilson, 1990).
Il existe de nombreuses espèces de parasitoïdes, mais aussi de prédateurs, parfois très efficaces
contre les chenilles de vers de la grappe. Un des parasites les plus efficaces, Campoplex
capitator (Hymenoptera Ichneumonidae) parasitoïdes de chenilles, est actif dans la plupart des
vignobles Européens (Thiéry et al., 2001 ; Xuéreb & Thiéry, 2006 ; Bagnoli & Lucchi, 2006). Il
semble donc s’adapter assez bien à différentes conditions climatiques. Un autre parasitoïde,
Phytomyptera nigrina (Diptera, Tachinidae), est lui très fréquemment observé en Grèce,
Espagne, Italie et dans le sud de la France (Thiéry et al., 2006). Une éventuelle remontée vers le
nord pourrait contrôler l’extension de Lépidoptères ravageurs, dont l’eudémis.
4-2 L’efficacité de méthodes actuelles de lutte peut varier.
Si le réchauffement climatique peut changer la pression exercée par les insectes
ravageurs, il peut aussi modifier le contrôle chimique de ceux-ci. En effet, les dates
d'application, la stabilité et la toxicité des principes actifs pourront varier en fonction des
températures ainsi que du comportement et de la sensibilité des insectes (Harrington et al.,
2001). Des premières observations laissent penser que des toxines spécifiques aux Lépidoptères
comme la toxine Bt verraient leur efficacité augmenter avec la température. De telles
observations permettent de fonder quelques espoirs quand aux possibilités futures de contrôler
d’éventuelles augmentations de populations de ravageurs.
5-CONCLUSION-
Alors qu'il y a de solides raisons de craindre une augmentation globale des problèmes
causés par certains insectes, il est plus difficile d’imaginer une réduction de leur incidence sur
les cultures. Toutefois les quelques exemples que nous présentons suggèrent qu’il n’y ait pas
forcément une seule tendance et que les interactions complexes entre les différents niveaux
trophiques, mais aussi les relations de compétition en insectes phytophages peuvent se charger
d’assurer une régulation du niveau de population.
Il apparaît par contre évident, ne serait-ce qu’au travers des exemples que nous présentons ici,
qu’une meilleure connaissance des variations de potentiel reproducteur mais aussi des
interactions avec la plante dans des contextes de variations climatiques est nécessaire. Une
meilleure connaissance de la dynamique des populations de nombreux insectes ravageurs est
indispensable afin de construire les modèles de prévisions de risque qui permettront d’anticiper
des éventuelles augmentations de dégâts.
Nous avons tenté de proposer des tendances d’évolution des populations de ravageurs en
vignobles, mais des études d’évolution de la dynamique des populations sur les dernières années
sont indispensables pour une bonne compréhension des phénomènes dont nous sommes
actuellement les témoins. La caractérisation de la structure génétique des populations de
ravageurs nous paraît aussi essentielle. On peut postuler que les populations les plus
polymorphes seraient les plus à mêmes à s'adapter aux changements environnementaux.
6- REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES-
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