Les fantasmes ou fantaisies sexuelles déviantes jouent un rôle dans l’agression
sexuelle : ceci est une croyance largement répandue dans la littérature anglo-saxonne
(Daluder et al, 1998 ; Howells et al, 2004 ; Marshall et al, 1999 cités dans Sheldon &
Howitt, 2007). Mc Guire, Carlisle et Young (1965) sont les premiers auteurs à avoir écrit
sur le lien entre fantaisies sexuelles et agression sexuelle. Ces auteurs pensaient que les
réponses sexuelles déviantes provenaient d’un conditionnement associant la fantaisie
sexuelle déviante à l’orgasme, et que ce dernier puisse être issu de la masturbation.
Toutefois, certains auteurs tels Swaffer, Hollin et Beech (2000) ont rappelé qu’il était
nécessaire d’en savoir plus sur le lien unissant les fantaisies sexuelles, la masturbation
et les agressions sexuelles. Selon Sheldon et Howitt (2007), le poids théorico-clinique
des fantaisies sexuelles dans l’agression sexuelle a aussi été promu par les recherches
et les écrits de profileur du Federal Bureau of Investigation (FBI). Les fantaisies sexuelles
déviantes seraient communes à de nombreux meurtriers sexuels (Meloy, 2000).
Selon ces auteurs et ces modèles, les fantaisies sexuelles guideraient et dirigeraient
l’agression sexuelle. Cependant, ces modèles, issus de l’analyse de tueurs en série, ne
peuvent être généralisés à l’ensemble des auteurs d’agression sexuelle sur enfant. Dans
ce cadre, de nombreux programmes de traitement de type anglo-saxons, spécifiques à
la prise en charge thérapeutique d’auteurs d’agression sexuelle, ont fréquemment pris
pour cible la modification des fantasmes ou des fantaisies sexuelles déviantes, que ce
soit dirigé vers un reconditionnement ou une diminution (Aubut, Proulx, Lamoureux,
& McKibben, 1998 ; Beckett, 1998 ; Brown, 2005 ; Eldrige & Wyre, 1998 ; Eldrige, 1998 ;
Nicole, McKibben, & Guay, 2005 ; Sheldon & Howitt, 2007). De plus, la reconnaissance
de fantaisies sexuelles déviantes par l’auteur d’agression sexuelle serait le stade ultime
de la reconnaissance totale des faits et de son problème (Conte, 1985 ; Schneider &
Wright, 2001). Enfin, les fantaisies sexuelles déviantes sont présentes dans de multiples modélisations de « chaînes de l’abus » (Aubut, 1993 ; Carich, 1994 ; Carich, Gray, Rombouts,
Stone, & Pithers, 1995 ; Freeman-Longo, & Pithers, 1992 ; Lane, 1991, 1997 ; Salter,
1995 ; Wolf, 1985). Fantasmes et fantaisies sexuelles déviantes, en lien avec d’autres
facteurs, occupent ainsi une place particulière dans le questionnement théorico-clinique
et la littérature scientifique anglo-saxonne.
En France, les rencontres cliniques avec les auteurs d’agression sexuelle incarcérés,
ainsi que la littérature (psychodynamique) sur le sujet mettent l’accent, a contrario,
sur une carence de l’activité fantasmatique, notamment chez les auteurs d’agression
sexuelle sur mineurs (Balier, 1997 ; Ciavaldini, 1999). De ces différences de conceptualisation
naissent plusieurs questions : a) les auteurs d’agression sexuelle décrits dans
la littérature anglo-saxonne et ceux décrits dans la littérature francophone de type
psychodynamique sont-ils différents ? ; b) les concepts de fantasmes et de fantaisies
sexuelles déviantes sont-ils semblables ? ; et enfin c) quels outils standardisés et validés
possédons-nous afin d’évaluer les fantasmes ou fantaisies sexuelles déviantes ?
Ces questions nécessitent réflexion afin de clarifier les discussions cliniques où ces
concepts s’amalgament souvent et sont sources de malentendus. Elles permettraient
aussi de mieux interpréter les résultats de différentes recherches provenant de courants
théoriques distincts. Les différentes parties de cet article portent donc sur : a) Les
auteurs d’agression sexuelle en lien avec les fantasmes et fantaisies sexuelles déviantes :
spécificités dans la littérature anglo-saxonne et dans la littérature psychodynamique
française ; b) Des éclaircissements théoriques sur les fantasmes et les fantaisies sexuelles
déviantes ; c) Une revue de la littérature concernant les instruments d’évaluation
des fantaisies sexuelles déviantes ainsi que la proposition d’un instrument d’évaluation
clinique hétéro-évaluatif standardisé ; et enfin d) une discussion.