Une mission à caractère scientifique s’est effectuée sur l’atoll de Clipperton-La Passion du 6 au 13 août 2018 dans le cadre de l’expédition Tara Pacific qui a débuté en mai 2016 et qui se terminait par ces récifs sous juridiction française avant un 32ième site sur l’île de Coiba au Panama. Tara Pacifique, dont la direction scientifique est assurée par le CRIOBE USR3278
EPHE-CNRS-UPVD et le Centre Scientifique de Monaco, se focalise sur la compréhension de la résilience des récifs coralliens face aux changements globaux actuels et opère sur la base de prélèvements de coraux et de poissons, de même que la collecte d’eau océanique et côtière, pour étudier la flore microbienne de ces différents compartiments. A ces opérations de routine menées par sept scientifiques appuyés par un équipage de six personnes et deux opérateurs média, se sont rajoutés deux volets traitant respectivement des requins et des poissons, co-financés par le Ministère de de la transition écologique et solidaire. Servie par une fenêtre météo de 48h, la goélette Tara a quitté Cabo San Lucas au Mexique le 2 août pour atteindre l’atoll de Clipperton le 6 août, soit deux jours avant la coupure décalée de sa trajectoire par l’ouragan John. Sur place, les conditions de mer, dominées par une houle de Sud-Ouest, ont été très favorables aux débarquements à partir du mouillage situé à l’Est de
l’atoll, en face de l’ex-camp américain. En mer, trois sites principaux d’investigation ont été mis en oeuvre, respectivement à l’Est, au Sud et à l’Ouest de l’atoll, sur lesquels s’est opérée la méthodologie classique de Tara Pacifique. Les résultats préliminaires démontrent un état de santé du corail exceptionnellement bon à l’échelle du Pacifique. La diversité corallienne est certes faible avec trois espèces (massives, encroûtantes et à branches très courtes) très dominantes, à savoir des Porites, Pavona et Pocillopora, mais la couverture moyenne en corail vivant est autour de 70%, et les signes de maladies ou de blanchissement relativement faibles. La présence de l’espèce Millepora platyphylla a été mise en évidence pour la première fois sur l’atoll, et une carotte d’une longueur exceptionnelle de 133 cm a été
prélevée dans un des Porites géants de la zone. Conformément au protocole Tara Pacific, dix spécimens de chirurgien bagnard Acanthurus triostegus ont été prélevés, de même que cinq indivdus de poisson cocher Zanclus cornutus, afin d’étudier leur microbiome
associé. A ces deux espèces clefs, se sont rajoutés le prélèvement de plus de 200 échantillons d’ADN parmi 38 espèces de poissons de récifs différentes, en se focalisant sur les espèces endémiques telles que le poisson ange de Limbaugh Holacanthus limbaughi
dont une courbe de croissance pourra être calculée afin de mieux appréhender sa résilience. Deux nouvelles espèces de poissons (connues mais jamais observées sur Clipperton) ont été identifiées, à savoir le poisson ange royal Holacanthus passer, et le poisson perroquet étoilé Calotomus carolinensis. Les peuplements ichtyologiques sont apparus en très bonne santé, avec une biomasse en meso-prédateurs (notamment les gros mérous et murènes) extrêmement importante. Concernant les requins, en comparaison avec les observations alarmantes de 2016, les observations convergent vers une augmentation de la densité et de la taille des individus, en particulier sur l’espèce dominante qui est le requin à pointes blanches Carcharhinus albimarginatus. D’une moyenne de 4,2 requins observés par plongée en 2016, la moyenne est passée à environ 11 requins par plongée, soit quasiment trois fois plus. La deuxième espèce en densités observées est le requin des Galapagos C. galapagensis, au sein de laquelle dominent aussi les individus d’une longueur inférieure à 90 cm (64%), mais les adultes de plus de 120 cm de long sont aussi présents. Le requin corail Trianodon obesus, qui n’avait pas été obervé en 2016, a lui aussi été observé à plusieurs reprises, dont certains individus > 150 cm LT. idem pour le requin marteau à festons Sphyrna lewinii, dont une demi-douzaine d’individus entre 250 et 400 cm LT ont été observés en plongée, en deçà de 20 m de profondeur. Outre les observations, de la pêche à partir des bateaux et des biopsies sous-marines (à l’aide d’une arbalète) ont permis de collecter une vingtaine d’échantillons de requins à pointes blanches et de requins des Galapagos, de même que quatre échantillons de requin corail. Dans le cadre d’une étude sur la connectivité spatiale des requins à l’échelle régionale, trois récepteurs acoustiques ont été installés sur Clipperton en 2010. Des résultats préliminaires montrent des déplacements des requins entre l’archipel des Revillagigedo (Mexique) au Nord et l‘archipel des Galapagos (Equateur) au Sud et ce, via Clipperton (France) au sein de ce que l’on considère comme le ‘corridor du Pacifique Tropical Est’. Les batteries de ces récepteurs ont été changées et les données
récupérées. Elles montrent la présence d’une vingtaine de requins différents, dont certains sont potentiellement extérieurs à Clipperton, ce qui confirmerait de nouveau la nécessité d’envisager la gestion de ces espèces migratrices à une échelle internationale. A terre, plusieurs débarquements ont permis de remettre en place un drapeau français sur la stèle à l’ouest de l’atoll, et de constater que la plaque commémorative posée en 2015 par le député Folliot avait disparue, probablement victime d’un acte de vandalisme. L’atoll est toujours jonché d’une quantité impressionnante de déchets, essentiellement en plastiques et venus par la mer. Subsistent néanmoins aussi les traces encore très visibles de la présnece humaine dans le camps de Bougainville et l’ancien camps américain au sein duquel
de nombreux obus désamorcés ont été empilés dans des sacs à gravas pour apparement être exportés de l’atoll, opération qui semble ne pas avoir aboutie, ce qui donne une piètre image de l’endroit. Il n’y a pas de nouvelle épave conséquente de bateau à déplorer, et les anciennes s’érodent inexorablement. Deux tombes datées de 2016,
apparemment humaines, ont été observées au Nord-Est de l’atoll. La mesure des cordons littoraux au niveau des anciennes passes naturelles, montre une stabilité depuis 2016,
malgré des signes d’érosion omniprésents autour de l’atoll. La largeur la plus étroite mesurée au niveau du rocher au Sud débouche sur 15 m (14 m mesurée en 2016) et 35 m au Nord-Est, alors qu’un passage fréquent d’eau semble exister dans une dépression du socle
phosphato-calcaire, sur une longueur de 47 m. La végétation rampante semble en extension, de même que les cocotiers (>1400 de plus de 1 m de haut contre 800 en 2016). En revanche, les crabes Johngarcia planatus, les rats Rattus rattus et les populations d’oiseaux, notamment de fous masqués Sula dactylactra (<30 000 individus au sol entre 7h et midi) semblent en baisse. Les frégates Fregata minor (>500) et nodis bruns Anous stolidus (>800) semblent en revanche en hausse.