Available via license: CC BY-NC 4.0
Content may be subject to copyright.
- 187 -
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°4, 187-192
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
INFLUENCE DU CONTEXTE
SUR LA PERCEPTION DU VIN
IMPLICATIONS COGNITIVES ET MÉTHODOLOGIQUES
INFLUENCE OF THE CONTEXT ON THE PERCEPTION OF WINE
COGNITIVE AND METHODOLOGICAL IMPLICATIONS
F. BROCHET* et G. MORROT** et 1
*Faculté d’Œnologie, Université Victor Segalen Bordeaux 2, 351, cours de la Libération,
33405 Talence cedex (France)
**Unité de Recherche Biopolymères et Arômes, Institut des Produits de la Vigne,
Centre INRA de Montpellier, 2, place Viala, 34060 Montpellier cedex (France)
Résumé : L'influence du contexte sur la perception d'un aliment est étudiée à travers la dégustation d'un même vin
présenté sous deux conditionnements différents (vin de table et grand cru classé) à un groupe de 57 étudiants
français en œnologie. Les résultats montrent que les conditionnements induisent des jugements différents pour un
même vin. L’analyse lexicale des commentaires de dégustation dans les deux contextes met en évidence deux types
de comportements opposés. Ces résultats sont discutés en considérant les aspects sensoriels et cognitifs intervenant
dans la construction de la perception.
Abstract : The influence of the context on the perception of food is studied by having a group of 57 french oeno-
logy students tasting the same wine in two different packages (common table wine VDT and grand cru classé
GCC). This context modification does not affect the stimulus itself but only the cognitive part of the perception.
Results show that the packaging induces different judgments for the same wine. All the tasters give different marks
for both wines and the GCC wine has significant (52/57) best records. Lexical analysis of wine tasting comments
in both contexts reveals totally opposite describing behaviors of the tasters, most of the subjects looking for faults
in the wine presented as VDT and seekink qualities in the GCC labeled wine. Subjects tend to adjust their sen-
sory perceptions to the quality suggested by the label. From a sensory analysis point of view, our results empha-
size the role of context in food perception. The perceived flavour of the wine is different when it is tasted in a different
context. From a cognitive point of view, these data suggest that the conscious perceptive representation of the food
contains information from different origins and that a subject is not able to selectively extract chemiosensory infor-
mation from this global representation.
Mots clés : perception, sensoriel, cognitif, contexte, vin
Key-words : perception, sensory, cognitive, context, wine
INTRODUCTION
Au cours de l'acte quotidien de consommation ali-
mentaire, l'individu construit une représentation de l'ali-
ment incluant les dimensions sensorielle (visuelle,
somesthésique, olfactive et gustative), culturelle et
contextuelle (ARON, 1999 ; BROCHET, 1999a).
L'existence de ces différentes composantes de la per-
ception est relativement aisée à mettre en évidence à
travers un exemple caricatural : un plat de cuisses de
grenouilles sera considéré comme repoussant ou comme
délicat selon l'origine culturelle de l'individu concerné.
La détermination quantitative de la proportion des com-
posantes culturelle et contextuelle par rapport à la com-
posante strictement chimiosensorielle (olfaction et
gustation) dans la perception de l'aliment est par contre
plus délicate. Il en est de même pour la détermination
de l'origine physiologique des processus cognitifs impli-
qués. Dans l'exemple précédemment choisi, la com-
posante culturelle participe à elle seule pour une
proportion supérieure à celle de la composante chi-
miosensorielle puisqu'elle est suffisante pour interdire
à l'individu la consommation de l'aliment, pourtant
satisfaisant du point de vue alimentaire. Cette obser-
vation permet de montrer l'importance non négligeable
des composantes non chimiosensorielles dans la per-
ception des aliments mais ne permet pas d'accéder à
une estimation quantifiée des proportions de chacune
de ces composantes. Dans ce travail, nous nous sommes
focalisés sur les aspects qualitatifs et quantitatifs de l'in-
1 : correspondance : morrot@ensam.inra.fr
- 188 -
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°4, 187-192
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
MORROT G.
fluence du contexte sur la perception. Des travaux réa-
lisés dans ce domaine ont déjà permis de montrer que
le contexte pouvait avoir une forte influence sur le juge-
ment hédonique et sur les intentions d’achat des
consommateurs (LETARTE et al., 1997 ; SIRET et al.,
1998 ; DELIZA et al., 1998) mais également sur le
degré d’adaptation à une odeur (DALTON, 1996).
Le contexte est l'ensemble des conditions et élé-
ments matériels qui vont participer activement ou non
à la présentation de l'objet. Au sein de ce contexte, on
peut distinguer deux catégories. D'une part, un contexte
dont l'action première est de modifier l'objet (tempé-
rature, éclairage,…) et d'autre part un contexte qui agit
sur la perception par le sujet de l'objet sans modifier
l'objet lui même (prix, renommée, rareté, ambiance,
habitudes alimentaires…). On doit considérer ici les
deux aspects, sensoriel et cognitif (MORROT, 1999),
intervenant dans la construction de la représentation
perceptive par le sujet. Dans le premier cas, le contexte
agit sur la nature de l'information sensorielle afférente
et donc sur la composante sensorielle de la construc-
tion perceptive. La perception des modifications induites
par ce type de contexte dépendra donc des capacités
sensorielles de l'individu considéré. Dans le deuxième
cas, le contexte agit sur la composante cognitive de la
perception. La nature de la réponse sera fonction de
la connaissance et de la compréhension que le sujet
possède de l'argument contextuel. A défaut d'agir sur
l'objet, ce deuxième type de contexte agit sur la com-
posante culturelle du sujet, ce qui a pour effet de modi-
fier la construction perceptive de l'objet dans une
direction qu'il n'est pas toujours aisé de prévoir.
Ce rôle uniquement modulateur du contexte fait
qu'il représente la composante la plus contrôlable parmi
les trois composantes intervenant dans la construction
d’une représentation cognitive (objet, sujet, contexte).
Sans que l'on puisse totalement éliminer son influence,
il est possible de minimiser les effets du contexte en
contrôlant les propriétés physico-chimiques des objets
proposés et en fournissant le minimum d'informations
au sujet, comme cela se pratique en analyse sensorielle
(EVALUATION SENSORIELLE, 1998). En contre-
partie, on s'éloigne des conditions naturelles de consom-
mation ou d'utilisation de l'objet en créant un nouveau
contexte dont il est difficile de prévoir les effets.
L'amplitude de l'effet du contexte est également liée
à la complexité de la tâche à accomplir par le sujet. Plus
le sujet rencontrera de difficultés pour accomplir la
tâche demandée et plus les éléments contextuels auront
d'effets sur sa décision. Les données de la littérature
suggèrent qu'il n'existe pas à proprement parler de com-
plexité strictement sensorielle (MORROT et
BROCHET, 1999). En effet, le nombre d'informations
issues du codage d'une stimulation olfactive ne dépend
pas de la composition du stimulus (BROCHET, 1999b).
La complexité d'une tâche est donc liée à l'analyse réa-
lisée à partir de cette information sensorielle, c’est-à-
dire à l'aspect cognitif de la perception.
Au moyen d'une expérience simple, nous avons
cherché à quantifier la part du contexte dans la per-
ception d'un aliment. Notre choix expérimental s'est
porté sur la dégustation de vin. En plus de sa grande
complexité chimique, le vin véhicule une composante
culturelle considérable, ce qui le rend très propice à une
expérimentation sur le contexte. En France, plus
qu'ailleurs, une grande importance est donnée au clas-
sement et à l'appellation des vins. Certains auteurs fran-
çais ont été jusqu'à préconiser des méthodes de
dégustation spécifiquement réservées aux vins d'ap-
pellation (ANDRÉ et al., 1963). Le même vin sous
deux étiquettes et des conditionnements différents (sans
appellation pour l'un et provenant d’une dénomination
prestigieuse pour l'autre) a été proposé pour analyse
descriptive et notation à un panel de 57 personnes fami-
lières du vin (étudiants en œnologie).
MATÉRIEL, MÉTHODES
ANALYTIQUES ET
EXPÉRIMENTALES
Vin : Le vin utilisé pour l’expérimentation est un
Bordeaux Supérieur rouge, récolte 1997 provenant
d’une coopérative de la Gironde. Il est issu à 60 p. cent
de Cabernet Sauvignon et 30 p. cent de Merlot. Il est
conservé à la Faculté d’Œnologie de Bordeaux dans
des fûts en acier inoxydable sous atmosphère d’azote.
La mise en bouteilles pour les deux expériences a été
réalisée à partir d’un même fût. Les conditionnements
pour les deux vins sont les suivants :
VDT : bouteille étoilée de 1 litre, capsule plastique,
étiquette portant le nom d’une marque de vin de table
connu, la mention « Vin de Table » est clairement indi-
quée.
GCC : bouteille de 750 ml modèle « Bordeaux tra-
dition » verte, bouchée au moyen d’un bouchon de liège
44/24, étiquette d’un vin très réputé de l’appellation
Pauillac millésime 1992 avec la mention « Grand-Cru
Classé » clairement indiquée.
Sujets : Les sujets sont tous des étudiants en œno-
logie âgés de 18 à 41ans. Le sex ratio est équilibré.
Conditions expérimentales : Tous les vins sont ser-
vis à température de la salle, soit 18°C. Les sujets se
servent eux-mêmes dans des verres AFNOR. Chaque
sujet est placé assis dans un boxe, séparé de ses voisins
par des vitres dépolies et fait face à la chaire de l’ensei-
gnant. L’éclairage de la salle est général et restitue une
lumière blanche. Cette dégustation est proposée dans
le cadre des travaux pratiques de dégustation proposés
aux élèves.
La question posée aux sujets est : « Décrivez ce vin
et attribuez lui une note qualitative sur 20 ».
Analyse lexicale : nous avons utilisé le logiciel
d'analyse lexical ALCESTE conçu au CNRS par Max
REINERT et distribué par la société Image (REINERT,
1986) qui permet d'extraire d'un texte les groupes de
mots cooccurrents. Ces groupes représentent des
champs lexicaux, chacun de ces champs exprimant une
idée forte du texte. La mise en relief de ces idées fortes
permet d'accéder à l'organisation interne du texte et
donc aux aspects cognitifs de l'analyse réalisée par les
dégustateurs. Le nombre et la composition des champs
lexicaux sont déterminés par un test statistique (Chi-2
d’association) de la valeur de cooccurrence des mots
au sein de chaque groupe.
RÉSULTATS
Les résultats présentés ici montrent et quantifient
l'effet d'un contexte particulier sur la perception d'un
vin. Le même vin est dégusté deux fois par le même
groupe de sujets à quinze jours d'intervalle. La seule
différence réside dans la présentation du vin sous la
forme d'un vin de table (VDT) lors de la première
séance et sous la forme d'un grand cru classé (GCC),
vin prestigieux et connu de tous les sujets, au cours de
la deuxième séance. Les sujets, considérés comme
« connaisseurs », ont été amenés à noter et à commenter
les deux vins. Le test de Student apparié sur la distri-
bution dans les deux conditions montre une différence
significative au seuil de 1 p. cent (t < 10-7). Les
moyennes des notes sur 20 obtenues dans les contextes
VDT et GCC sont respectivement 8.4 ± 2.2 et 12.8 ±
3.0. On obtient donc une différence de 4.4 points pour
des extrêmes de notation compris entre 4 et 18 (soit
31.4 p. cent de l’écart maximum). La répartition des
notes dans chacun des contextes se présente sous la
forme d'une courbe de Gauss (figure 1).
L'habillage GCC confère majoritairement (52 sujets
sur 57) au vin une plus-value (figure 2). L'analyse tex-
tuelle des commentaires montre que les descripteurs
les plus représentatifs de chaque vins sont différents.
Ils ont globalement un sens positif pour le GCC et néga-
tif pour le VDT (tableau I).
DISCUSSION
Avant toute discussion des résultats, nous suppo-
serons que les dégustateurs n'ont pas remis en doute le
fait de se trouver effectivement en présence des deux
vins proposés. Les commentaires des sujets sont en
accord avec cette hypothèse sauf pour deux d’entre eux
ayant émis l'hypothèse qu'il s'agissait du même vin et
pour quatre autres ayant deviné qu'il ne s'agissait pas
du GCC indiqué sur l'étiquette. Parmi ces six sujets,
quatre ont noté plus sévèrement le GCC que le VDT.
Parmi les 51 sujets n'ayant pas douté de l'identité des
vins proposés, un seul a donc attribué une note plus
basse au GCC (sujet n° 51 sur la figure 2).
En ne prenant en compte que les sujets ayant tota-
lement adhéré à l’expérience, c’est-à-dire les 51 sujets
n’ayant pas remis en doute la nature des deux vins, les
moyennes obtenues pour le VDT et pour le GCC sont
- 189 -
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°4, 187-192
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
Influence du contexte sur la perception du vin
Fig. 1 - Fréquence des notes sur 20 obtenues pour le
même vin présenté sous l’apparence d’un vin de table
(VDT) ou d’un grand cru classé (GCC) par 57 sujets.
Fig. 1 - Distribution of scores out of 20 for the same wine
presented as a common table wine (VDT) or a grand cru
classé (GCC) by 57 tasters.
Fig. 2 - Notes sur 20 obtenues pour le même vin
présenté sous l’apparence d’un vin de table (VDT)
ou d’un grand cru classé (GCC) par 57 sujets.
Fig. 2 - Scores out of 20 for the same wine presented
as a common table wine (VDT) or a grand cru classé (GCC)
by 57 tasters.
Nombre de notes attribuées
Notes sur 20 Sujets
Notes sur 20
respectivement 8.0 ±2.1 et 13.2 ± 2.5. Cette différence
de notation représente alors 37.1 p. cent de l’écart maxi-
mum.
L'analyse lexicale des commentaires de dégusta-
tion montre que les sujets ont utilisé des stratégies dis-
cursives très différentes pour les deux vins. Le tableau I
montre que les sujets vont puiser dans deux champs
lexicaux différents les termes qu'ils utilisent pour la
description des deux vins. Tout se passe comme s'il
existait une valeur qualitative associée à l'objet au des-
sus de laquelle le sujet n'est plus juge mais jugé. Il s'éta-
blit une relation d'infériorité-supériorité entre le sujet
et l'objet. Pour un objet de la classe « inférieure », le
sujet n'a aucune réticence à exprimer son avis et ses
critiques. Pour un objet de la classe « supérieure », le
sujet « flatte » l'objet en amplifiant ses points positifs
et en minimisant ses aspects négatifs. Non seulement
le GCC est mieux noté, mais ses défauts sont a priori
excusés par des circonstances refusées au vin de
consommation courante. Lors de la dégustation du
GCC, le sujet essaye, dans son jugement, d'être à la
hauteur du vin. Cette idée est d'ailleurs exprimée de
façon explicite dans certains commentaires, princi-
palement sous la forme d'un constat d'échec. Plutôt que
d'accepter ce qu'ils ressentent et expriment dans leurs
commentaires, à savoir les défauts du vin, certains sujets
remettent en question leurs propres capacités de dégus-
tation. Un commentaire négatif vis-à-vis du vin GCC
est considéré comme une incapacité à « comprendre »
ce vin. L'importance culturelle associée à ce vin lui
donne une part de vérité absolue à laquelle le sujet se
conforme. La notion de classement ou d'appellation
est en France si forte que seuls les sujets ayant refusé
l'idée qu'il s'agissait d'un GCC ont osé le noter plus
sévèrement (à l'exception d'un sujet sur 57).
Cette divergence dans les conclusions concernant
un seul et même vin au cours des deux séances pose la
question de la proportion occupée par la perception des
flaveurs dans la perception plus générale du vin. Quelle
est la part du goût et de l'odorat au sens strict, c’est-à-
dire résultant uniquement de l'interaction des compo-
sants physico-chimiques du vin avec les récepteurs
chimiosensoriels et au niveau conscient existe-t-il une
représentation correspondant à cette seule interaction ?
En d'autres termes, la représentation perceptive
consciente est-elle constituée d'un ensemble d'images
différant selon leur origine (sensorielle, culturelle,
contextuelle) ou d'une seule image possédant toutes
les informations ?
Considérons dans un premier temps que les sensa-
tions du goût et de l'odorat soient perçues et véhiculées
de façons indépendantes des autres sensations jusqu'aux
centres cérébraux correspondant à un niveau de
conscience. Les sujets auraient alors accès à une infor-
mation objective leur permettant de décrire les pro-
priétés organoleptiques du vin et donc ses qualités et
- 190 -
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°4, 187-192
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
MORROT G.
TABLEAU I
Nombre et pourcentage d’occurrence des termes les plus représentatifs des classes GCC
(termes « positifs ») et VDT (termes « négatifs ») déterminées par le logiciel ALCESTE.
Table I - Number and percentage of terms specific for GCC (positive terms)
and VDT (negative terms) determined by the ALCESTE software.
Termes positifs GCC VDT
Agréable 22 79 % 621 %
Ample 787 % 113 %
Beaucoup 6100 % 00 % Court(e)
Clair(e)
Aucun(e)
Termes négatifs
1
3
0
GCC
14 %
25 %
0 %
6
9
9
VDT
86 %
75 %
100 %
Bien 16 64 % 936 % Défaut 830 % 19 70 %
Bois(é) 28 93 % 27 % Déséquilibré 117 % 583 %
Bon(ne) 40 77 % 12 23 % Disparaître 00 % 3100 %
Complexe 16 73 % 627 % Ecurie 117 % 583 %
Déjà 4100 % 00 % Faible 925 % 27 75 %
Encore 4100 % 00 % Fluide 00 % 6100 %
Equilibré 36 65 % 19 35 % Pas 35 38 % 56 62 %
Excellent 3100 % 00 % Peu 62 44 % 78 56 %
Frais 4100 % 00 % Piqué 321 % 11 79 %
Fumé 6100 % 00 % Plat 732 % 15 68 %
Long(ueur) 15 79 % 421 % Sans 11 34 % 21 66 %
Onctueux 4100 % 00 % Simple 00 % 3100 %
Premier 23 74 % 826 % Volatile 00 % 4100 %
Rond 16 100 % 00 %
défauts. La connaissance de l'origine du vin intervien-
drait par un jugement de cohérence entre la qualité
du vin goûté et son image culturelle mémorisée. On
pourrait s'attendre à ce que des défauts considérés
comme acceptables dans le VDT ne soient pas tolérés,
et donc plus sévèrement jugés, dans le GCC. Le résul-
tat devrait donc être inverse de celui observé, c’est-à-
dire une notation plus sévère du GCC.
Il est plus vraisemblable que la seule information
à laquelle ait accès de façon consciente le dégusta-
teur contienne l'ensemble des informations. Le contexte
n'est pas un artefact qui va conduire le sujet à inter-
préter l'information sensorielle de façon erronée. La
représentation consciente résulte d'une reconstruction
réalisée à partir d’informations sensorielles générées
par le stimulus et d'informations « culturelles » précé-
demment mémorisées par le sujet. A deux contextes
différents correspondent les constructions cognitives
de deux représentations topographiquement différentes
et donc la perception de deux objets différents. On peut
noter que parmi tous les sujets ayant participé à l’expé-
rience, aucun n’a attribué la même note aux deux vins
(figure 2) pourtant identiques du point de vue stricte-
ment chimiosensoriel. La plus-value accordée au GCC
résulte de l'association positive entre la qualité d'un vin
et son classement ou son appartenance à une appella-
tion, association généralement fortement acceptée chez
les sujets de culture vinicole française. C'est la mise en
commun de l'ensemble de ces informations sous forme
d'une image sensori-cognitive finale unique qui repré-
sente la perception du vin pour le sujet. Il est vraisem-
blable que cette expérience aurait fourni des résultats
différents avec des sujets possédant une culture vini-
cole différente.
L'absence vraisemblable d’une composante de la
représentation perceptive ne contenant que les infor-
mations olfactives ou gustatives est illustrée par la per-
ception du boisé. L'élevage en barrique est
systématiquement réalisé pour les grands crus mais pas
pour les vins de table. En accord avec ces données
connues de tous les sujets, le mot « boisé » est statis-
tiquement (chi-2 d'association le plus élevé) le mot le
plus représentatif des mots de la classe GCC (tableau I).
Il n’est présent que dans deux des commentaires concer-
nant le VDT pour signaler l'absence de ce caractère.
Par un mécanisme qui reste à déterminer, l'interac-
tion du signal chimiosensoriel et du signal culturel
mémorisé a engendré un signal contenant la percep-
tion du boisé dans le cas du GCC et ne la contenant pas
dans le cas du VDT. Pour le GCC, les sujets ont, pour
la plupart, signalé et décrit le type de boisé perçu, alors
que le vin proposé n'a été à aucun moment en contact
avec le bois au cours de son élevage.
On peut conclure qu'une même personne buvant le
même vin dans deux contextes différents ne « boit »
pas exactement le même vin. En effet, les perceptions
obtenues pour un même vin consommé dans deux
contextes différents sont différentes car les représen-
tations conscientes élaborées vraisemblablement au
niveau cortical sont différentes. Le seul fait que le même
objet puisse être perçu de façons différentes en fonc-
tions de paramètres autres que ceux résultant de sa com-
position physico-chimique prouve que cet objet ne peut
se résumer à la somme de ses composants physico-chi-
miques et ne peut donc être décrit à l’aide de ces seuls
paramètres.
Le contexte intervient ici de façon inconsciente en
faisant vraisemblablement intervenir des processus
impliquant une mémoire qualifiée par certains modèles
d’implicite (ROEDIGER, 1990). Des informations
provenant d’autres sources participent également à la
construction de cette représentation perceptive (dif-
férentes modalités sensorielles, hédonisme, émotions,
état de veille du cerveau, etc.). Des données récentes
montrent que chez le rat, des informations d’origine
contextuelle peuvent s’intégrer très précocement au
cours du cheminement de l’information olfactive (KAY
et LAURENT, 1999). En modifiant de façon quanti-
tative ou qualitative la nature du signal afférent, les pro-
jections des différentes parties du cerveau ne vont pas
ajouter des composantes à la représentation perceptive
finale mais contribuer à la construction d’une repré-
sentation perceptive différente. Dans ces conditions,
le sujet n’aura plus accès dans cette représentation à
des éléments sélectivement associés à une modalité
sensorielle particulière. Nos résultats sont en accord
avec ce modèle. Les sujets ayant intégré l’idée qu’ils
avaient en face d’eux un vin de table ou un vin de
grande notoriété ont perçu et décrit ces vins comme
tels.
CONCLUSION
Les résultats présentés dans ce travail montrent que
la composante culturelle associée à un aliment modi-
fie fortement la perception olfactive et gustative de cet
aliment. Du point de vue de l’analyse sensorielle, cette
constatation conduit à deux conclusions :
- La bonne connaissance d'un produit alimentaire
par les moyens de l’analyse sensorielle ou de la psy-
chophysique nécessite une maîtrise rigoureuse du
contexte qui du point de vue expérimental est un élé-
ment contrôlable. Comme on l'a vu, l'effet du contexte
dépend lui-même de la composante culturelle propre
à chaque sujet, composante incontrôlable par l'expéri-
mentateur. La seule possibilité pour restreindre l'in-
fluence du contexte sur la perception de l’aliment est
- 191 -
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°4, 187-192
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
Influence du contexte sur la perception du vin
de minimiser le contexte en ne donnant aucune infor-
mation sur le produit avant sa consommation.
- Toute analyse sensorielle conduite dans un
contexte différent de celui de sa consommation natu-
relle conduit à la perception d'un objet différent. Les
représentations perceptives élaborées dans les deux
conditions de dégustation sont différentes. Il en résulte
probablement une information ne pouvant s'appliquer
à la consommation du produit dans des conditions natu-
relles. Si c'est cet aspect qui l'intéresse, l'expérimenta-
teur se devra de développer une approche intégrant le
contexte et, par conséquence, le sujet dans l’étude de
la perception de l'aliment.
D’un point de vue cognitif, nos résultats montrent
que les informations contextuelles participent à la
construction de la représentation consciente d’une per-
ception au même titre que les informations sensorielles.
Ces données suggèrent que du point de vue physiolo-
gique, la représentation de la perception ne contient
pas d’éléments strictement chimiosensoriels.
L’ensemble des informations sensorielles et contex-
tuelles contribuent à la construction d’une représenta-
tion perceptive globale.
Remerciements : Les auteurs remercient le CNRS, l’INRA et
l’Université Bordeaux 2.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANDRÉ P., CHARNAY P. et VIOT R., 1963. Recherche
d'une méthode de dégustation rationnelle applicable
aux vins à appellation d'origine. Bull. I.N.A.O. des Vins
et Eaux-de-Vie, 86, 1-18.
ARON L., 1999. Du vin du culte au culte du vin. Evolution
de la pensée magique du vin. J. Int. Sci. Vigne Vin,
n° hors série « La dégustation », 45-51.
BROCHET F., 1999a. Le goût du vin en conscience. J. Int.
Sci. Vigne Vin, n° hors série « La dégustation »,
19-23.
BROCHET F., 1999. Le langage des sensations. J. Int. Sci.
Vigne Vin, n° hors série « La dégustation », 39-44.
DALTON P., 1996. Odor perception and beliefs about risk.
Chem. Senses, 21, 447-458.
DELIZA R., MACFIE H., FERIA-MORALES A. et
HEDDERLEY D., 1998. Can labelling change pro-
duct attributes perception ? In : Third Pangborn
Sensory Science Symposium, Alesund, p.42.
ÉVALUATION SENSORIELLE, 1998. Manuel métho-
dologique. Ouvrage collectif sous la direction de F.
Sztrygler et F. Depledt, 2eéd., Tech. & Doc. Lavoisier
ed., Paris
KAY L.M. et LAURENT G., 1999. Odor- and context-
dependent modulation of mitral cell activity in beha-
ving rats. Nat. Neurosci., 2, 1003-1009.
LETARTE A., DUBE L. et TROCHE V., 1997. Similarities
and differences in affective and cognitive origins of
food likings and dislikes. Appetite, 28, 115-129.
MORROT G. et BROCHET F., 1999. Ce que le nez peut
dire. J. Int. Sci. Vigne Vin, n° hors série « La dégus-
tation », 15-17.
MORROT G., 1999. Peut-on améliorer les performances
du dégustateur ? J. Int. Sci. Vigne Vin, n° hors série
«La dégustation », 31-37.
REINERT M., 1986. Un logiciel d'analyse lexicale :
ALCESTE. Les Cahiers de l'Analyse des Données,
11, 471-484.
ROEDIGER H.L., 1990. Implicit memory. Retention without
remembering. Am. Psychol., 45, 1043-1056
SIRET F., TRUCHOT D., ISSANCHOU S. et
SAUVAGEOT F., 1998. Image and influence of tra-
dition on consumers the case of two pork meat pro-
ducts. In : Third Pangborn Sensory Science Symp.,
Alesund, p. 167.
- 192 -
J. Int. Sci. Vigne Vin, 1999, 33, n°4, 187-192
©Vigne et Vin Publications Internationales (Bordeaux, France)
MORROT G.
Reçu le 18 novembre 1999
accepté pour publication le 10 décembre 1999