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Identité masculine et épreuves de virilisation à l'adolescence

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Abstract

Cet article parle de la masculinité post-moderne, c´est-à-dire, d´une façon de réfléchir les attributs ancestraux de la masculinité en phase avec le présent. On doit chercher à déconstruire le mythe d'une virilité offensive, mais sans oublier qu'il faut comprendre comment les jeunes garçons d'aujourd'hui construisent leur masculinité, et comment ils arrivent à affirmer leur virilité sans tomber dans les travers du machisme. En effet, nous nous demandons : comment parviendront-ils à construire une identité masculine en phase avec les nouvelles normes de l'égalité des sexes?
Identité masculine et épreuves de virilisation à l'adolescence
Intexto, Porto Alegre, UFRGS, n. 32, p. 119-135, jan./abr. 2015.
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Identité masculine et épreuves
de virilisation à l'adolescence
Denis Jeffrey
Doutor; Université LAVAL
denis.jeffrey@fse.ulaval.ca
Résumé
Cet article parle de la masculinité post-moderne, c´est-à-dire,
d´une façon de réfléchir les attributs ancestraux de la
masculinité en phase avec le présent. On doit chercher à
déconstruire le mythe d'une virilité offensive, mais sans oublier
qu'il faut comprendre comment les jeunes garçons d'aujourd'hui
construisent leur masculinité, et comment ils arrivent à affirmer
leur virilité sans tomber dans les travers du machisme. En effet,
nous nous demandons : comment parviendront-ils à construire
une identité masculine en phase avec les nouvelles normes de
l'égalité des sexes?
Mots-clés
Imaginaire. Quotidien. Masculinité. Postmodernité. Corbin.
1 Introduction
L'inégalité des sexes n'a plus sa place dans les démocraties de droits. Être pourvu du
sexe mâle ne procure pas des privilèges que les femmes ne pourraient obtenir. À bien des
égards, des milliers d'hommes acceptent l'égalité avec les femmes. Ils ont réaliqu'ils ne
pouvaient plus être les mêmes (RAUCH, 2000). Toutefois, d'autres hommes, plus
désemparés semble-t-il, rêvent encore d'un monde ancien les femmes étaient réduites
aux rôles de mère aimante, d'épouse soumise, de boniche ou de prostituée. Un monde
ancien où ils pouvaient exprimer sans honte leur plaisir à dominer les femmes et à mépriser
les homosexuels.
En effet, il y a encore des hommes qui s'accrochent à une conception définitivement
machiste de la masculinité. Reconnaissons d'emblée leur malaise, et demandons-nous ce
que peut devenir la masculinité dans le monde de l'égalité des sexes. On doit certes chercher
à déconstruire le mythe d'une virilité offensive (CORBIN; COURTINE; VAGARELO, 2011),
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mais sans oublier qu'il faut comprendre comment les jeunes garçons d'aujourd'hui
construisent leur masculinité, et comment ils arrivent à affirmer leur virilité sans tomber
dans les travers du machisme? En fait, comment parviendront-ils à construire une identité
masculine en phase avec les nouvelles normes de l'égalité des sexes.
Selon les termes d'Antony Giddens (2004), ils doivent d'abord se rendre compte que
les attributs ancestraux de la masculinité ne sont plus en adéquation avec les nouvelles
normes de l'égalité des sexes. Aussi, ils doivent accepter de vivre autrement leur
masculinité. Des millions de femmes en Occident se sont émancipées; il revient maintenant
aux hommes de vivre leur révolution masculine. Simone de Beauvoir, soulignait «[...] que sa
célèbre formule du Deuxième sexe demandait à être complétée par son pendant "on ne naît
pas homme, on le devient"». (BAUDEROT, 2011, p. 159). La masculinité n'est pas donnée au
départ, elle est de l'ordre d'un construit personnel et social. Ce sera notre point de départ
pour explorer les rites de virilité à l'adolescence.
2 Les définitions
Les études sur le genre font dorénavant partie du paysage sociologique contemporain.
Après avoir été l'objet d'une froideur dans certains milieux conservateurs, les théories de la
masculinité ont acquis leurs lettres de noblesse (WELZER-LANG, 2004, p. 335). Elles ont
notamment permis de reconsidérer le sémantisme des concepts utilisés dans le giron du
patriarcat pour définir l'identité masculine. Il est pertinent, d'entrée de jeu, de s'y intéresser.
2.1 Patriarcat, machisme, misogynie et homophobie
Le patriarcat institue la supériorité des hommes sur les femmes. Sous la houlette du
patriarcat, ce qui appartient au monde des hommes est survalorisé, alors que les qualités
féminines sont dépréciées. Cette position de domination, selon Françoise Héritier (1996),
est une constante anthropologique universelle. Dans les sociétés patriarcales, les hommes
hétérosexuels se définissent par opposition au féminin. Devenir un homme, c'est se
différencier du monde des femmes, des enfants et des homosexuels (BADINTER, 1992). Les
hommes se perçoivent comme actifs et s'associent au pouvoir, à la protection, au courage, à
la dureté, etc., alors que les femmes sont supposées passives, émotives, fragiles et instables.
Le machisme représente le refus de l'égalité des sexes et la peur de l'homosexualité. Il
est l'expression de la virilité dans une logique de domination. Le machisme semble perdurer
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même s'il est généralement désapprouvé et combattu. Pour certains hommes, en effet, le
machisme demeure un rempart contre leur peur de s'affirmer autrement. Il devient alors
une référence première, presque un fait de nature qu'ils ne veulent pas remettre en
question.
L'homophobie est la haine et le mépris des homosexuels, alors que la misogynie est la
haine et le mépris des femmes. Ces deux formes de haine, dont Freud avait vu qu'elles
relèvent de la peur de ses propres désirs, sont essentiellement hétéromasculines. La
misandrie concerne le mépris et la détestation des hommes. Il existe des formes de
misogynie et d'homophobie entretenues par des hommes qui refusent l'égalité entre les
sexes pour se maintenir dans une position de domination.
2.2 L'identité
Le concept d'identité est devenu important chez les théoriciens des sciences
humaines
1
qui ont porté leur regard sur la modernisation des relations entre hommes et
femmes, sur l'effritement des catégorisations identitaires classiques (prolétaire/bourgeois,
croyant/non-croyant, familier/étranger, célibataire/marié, etc.) et sur la place centrale qu'a
pris l'individu autonome et réflexif dans les démocraties de droits. On pourrait ajouter ici
plusieurs autres phénomènes apparus avec la modernisation des urs et contributifs à
l'émancipation des genres. Parmi les plus remarquables, il y a notamment la libéralisation
des pratiques sexuelles, la prise de distance à l'égard du moralisme religieux et l'accès d'une
plus grande frange de la population aux études supérieures. Mais on doit d'abord considérer
que ces transformations sociales doivent à l'émancipation des femmes et à la remise en
question de l'autorité de l'homme comme chef de famille. Nous pouvons maintenant
souhaiter que la massification scolaire et l'accès rapide par les NTIC aux informations
provenant des quatre coins de la planète contribuent à ébranler les racines les plus
profondes du patriarcat.
Libéré d'une certaine pression sociale qui le contraignait à occuper une place sociale
héritée de sa famille et de sa classe d'origine, l'individu moderne est dorénavant appelé à
construire plusieurs identités sociales en plus de son identité personnelle
2
. L'identité
personnelle renvoie aux signes par lesquels un individu se reconnaît comme sujet de soi
1
On pourrait lire à cet égard, parmi les travaux les plus connus, ceux de Michel Maffesoli, Antony Giddens, Gilles Lipovetsky,
Alain Ehrenberg, Jean-Claude Kaufman, Claude Dubar et Nicole Aubert.
2
Goffman (1973, p. 181) a proposé d'étudier les identités sous deux angles: l'identité personnelle et l'identité sociale. Cette
catégorisation est reprise notamment par Kaufmann et Feldman (2004).
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dans une certaine continuité et dans une certaine permanence. Les signes identitaires à
travers lesquels un individu s'affirme sont multiples et variables. À titre d'exemple, pensons
aux caractéristiques physiques, aux mets, aux odeurs, aux objets fétiches, aux souvenirs et
événements du passé, aux relations interpersonnelles, aux traits de caractère et de
personnalité, aux manières de porter un vêtement, aux couleurs, au maintien corporel, à la
coiffure, aux tatouages et piercings, etc. Un individu habite des signes identitaires qui
s'intriquent les uns aux autres pour former un look qui le représente.
Les identités sociales se construisent en phase avec les groupes d'appartenance, les
statuts, fonctions et rôles sociaux. Les individus sont appelés à incarner une grande diversité
d'identités sociales au cours de leur existence. Dans le champ des relations
interpersonnelles, ces identités sont déjà nombreuses (enfant, fils, frère, neveu, oncle, beau-
frère, père, beau-père, ami, collègue, élève, camarade, partenaire, amant, etc.), et ils ont
tendance à se multiplier avec l'instabilité familiale (par exemple le beau-père des enfants
des conjoints et conjointes) et la multiplication des parcours professionnels. Les individus
apprennent à performer, au cours de leur existence, les différents rôles associés à leurs
identités sociales. Ils sont de plus en plus sensibles à la dimension théâtrale de l'identité et
ils découvrent le plaisir de jouer divers rôles sociaux en accord avec les personnes en
présence et les contextes sociaux (GOFFMAN, 1973). En fait, pour utiliser le concept de
Giddens (2004), les individus modernes font preuve d'une capacité de réflexivité au sujet de
leurs identités sociales. Chacun pose un regard sur lui-même, n'hésitant pas à se faire
critique sur ses performances identitaires. Cette capacité d'autoanalyse n'est pas illimitée
puisqu'un individu peut s'enfermer temporairement ou en permanence dans une bulle
identitaire.
L'identité personnelle et les identités sociales sont en constante mutation. Elles
s'inter-enrichissent, parfois se juxtaposent, mais parfois s'affirment sans nécessairement
être en phase. Par exemple, un politicien cache son identité homosexuelle sur la place
publique et joue la carte de la masculinité térosexuelle. Or, dans l'intimité de la maison
avec son conjoint, il se sent libre d'afficher une identité plus personnelle, moins masquée,
moins contraignante. Pensons également à ce politicien qui, dans l'espace public, se met en
scène dans l'identité d'un chef tyrannique, mais qui, dans l'espace privé, met de l'avant des
attitudes paternelles de compréhension et de coopération. Par ailleurs, le même père peut
jouer la robustesse avec ses garçons et la délicatesse avec ses filles.
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Dans les sociétés prémodernes, les hommes pensaient que leur nature biologique
fournissait une identité préconçue de père, et dès lors qu'ils ne pouvaient que la reproduire.
Séduits par l'idée d'une «nature paternelle», ils ne faisaient pas valoir leur liberté de
construire une identité de père différente de celle héritée de leur culture familiale.
Dorénavant, avec la libéralisation des mœurs, plusieurs hommes expérimentent des
nouveaux comportements paternels, et par le fait même participent à la construction des
modèles de père de demain.
En somme, la construction de l'identité est un processus continuel puisque de
l'enfance à la fin de la vie un individu est appelé à performer des identités sociales liées à
son genre, à son statut dans la famille, aux étapes de la vie (enfant, adulte, personne âgée), à
ses relations amoureuses, à ses désirs sexuels, à son profil professionnel, à sa nationalité, à
sa religion, etc. Il n'a pas à inventer chacune de ces identités puisqu'il existe des modèles
d'identité qu'il peut reproduire ou ajuster à son identité personnelle. Mais il lui est
également possible de prendre une distance face à un modèle d'identité et, pourquoi pas,
d'essayer de se construire des identités inédites.
L'identité permet aux individus à la fois de se distinguer les uns des autres, mais aussi
de se reconnaître et se rassembler. En essayant de dire qui il est à travers l'une ou l'autre de
ses identités, un individu exprime en même temps qui il n'est pas. Ce qui montre que
l'identité est moins un état stable qu'une relation aux autres. Un individu arrive à dire qui il
est par rapport à d'autres qui ne sont pas comme lui. Par conséquent, une identité ne peut
s'apprécier que par différenciation, et elle s'élabore dans les interactions entre individus
(GOFFMAN, 1973). En ce qui concerne le genre, l'identité masculine s'acquiert
traditionnellement par différenciation avec l'identité féminine. Dit autrement, le masculin se
construit dans un rapport différentiel avec le féminin. Dans le régime patriarcal, les hommes
ont pris l'habitude de s'affirmer par la négative: «Je ne suis pas une femme, je ne suis pas un
enfant, je ne suis pas un homosexuel». (BADINTER, 1992). Ils s'excluaient de toutes activités
et attitudes qu'ils associaient aux femmes. Soulignons par ailleurs que cette logique de
différenciation, qui induit des frontières étanches entre le masculin et le féminin, devient
problématique avec l'égalité des sexes.
Nul n'a une parfaite connaissance de chacune de ses identités. Chacun se sent différent
en tant qu'il est Français, Brésilien, Québécois, étudiant, professeur, homme, père, ingénieur
ou prêtre, mais personne ne saurait nommer l'ensemble des caractéristiques qui le
distingue de ceux qui n'ont pas la même identité que lui. Que signifie aujourd'hui le fait
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d'être Français, Brésilien ou Québécois? Cette question est ambitieuse et complexe, car nous
savons que l'identité nationale est un processus et non un état. On observe, sur la scène des
grandes compétitions internationales comme les Jeux olympiques que des individus, peu
enclins à affirmer un sentiment patriotique, défendent avec ferveur leur identité nationale.
En jachère en d'autres temps, l'identité nationale devient alors un véritable culte. Aussi,
nous savons qu'un Brésilien ou un Canadien, pour donner ces exemples, met de l'avant son
identité nationale dans certaines situations pour se différencier ou se comparer à des
individus d'autres pays, par exemple lors d'un voyage. Lorsque les voyageurs établissent des
comparaisons entre leur culture et celles des pays visités, ils expriment alors ce qui les
distingue. Or, nous ne pouvons pas toujours indiquer précisément ce qui nous distingue des
autres. Un Français n'arrive pas toujours à bien nommer ce qui le distingue d'un Anglais.
Toutefois, un voyage en Angleterre lui permet de constater les différences, mais aussi les
ressemblances entre les deux cultures. En France, tous reconnaissent un provençal à
l'intonation chantante de sa langue, à son style décontracté et à son teint ensoleillé. Ils ont
une identité singulière. Or le savoir sur soi, sur son identité, demeure imprécis, incertain,
problématique.
L'identité se construit par tissage de signes identitaires (images, ressentis, symboles,
marques corporelles, souvenirs, narrations) à partir desquels les individus se prospectent,
se jaugent, se reconnaissent, se distinguent, se miroitent les uns dans les autres, se
discréditent ou se séduisent. Elle est jeu d'images et de représentations de soi, mais elle est
aussi réflexivité et engagement éthique. À vrai dire, l'identité sert à dire, dans les diverses
scènes du théâtre social, qui nous sommes, qui nous aimerions être, qui nous avons été.
2.3 L'identité sexuée
L'identité sexuée renvoie à la séparation biologique des individus en sexe mâle et sexe
femelle. L'identité sexuée du garçon renvoie au pénis comme attribut anatomique. Il s'agit
d'un constat empirique sans aucun jugement de valeur. Toutefois, le pénis ne détermine ni
l'identité de genre ni le sentiment de virilité ni les désirs sexuels. Les différences
anatomiques constituent une base et non un destin pour la construction des identités de
genre. Nous devons considérer diverses formes de transsexualité pour les individus
porteurs d'attributs sexués à la fois mâles et femelles, et l'intersexualité pour les bébés dont
le sexe n'est pas déterminé à la naissance (LE MANER-IDRISSI, 1997). Des individus
développent le genre qui leur convient le mieux indépendamment du sexe auquel ils
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appartiennent. Dans la lignée des travaux de Butler (2006), le genre est performé, c'est-à-
dire mis en scène à travers des ritualisations qui indiquent l'appartenance au masculin, au
féminin ou à un mixte des deux genres. Ainsi, l'identité sexuée est le plus souvent constatée
3
,
alors que l'identité de genre est construite.
2.4 Identité de genre
Chaque individu développe une identité de genre indépendamment du sexe auquel il
appartient. L'identité de genre couvre le large champ des activités, attitudes,
comportements, expressions corporelles et émotives associées, selon les us et coutumes de
chaque société, à la féminité et à la masculinité. Un individu indique son genre par des
détails dans son look, dans ses manières et ses comportements. Un homme et une femme
peuvent avoir les cheveux longs, mais un homme va éviter les lulus ou les élastiques roses à
moins qu'il veuille montrer une tendance androgyne. Pour performer son identité de genre,
chacun emprunte aux modèles des genres hérités des traditions patriarcales qui varient
entre l'hyperféminité et l'hypermasculinité. On doit admettre qu'il semble difficile d'éviter
les stéréotypes
4
traditionnels qui sont les marqueurs du genre. Ainsi, dans plusieurs
sociétés, la passivité et l'émotivité sont féminines alors que le fait d'être actif et bagarreur
appartient au masculin.
L'identité sexuée est constatée, mais l'identité de genre est construite. Le genre est de
l'ordre des représentations, des apparences, des symboles. La question des orientations
sexuelles ajoute une grande complexité à cette question. En effet, il y a des lesbiennes qui se
présentent sous des apparences très masculines et il y a des homosexuels hyper-efféminés.
Cela montre une grande diversité de styles et de manières d'annoncer son identité de genre.
Dès lors, on doit reconnaître qu'une personne de sexe féminin peut s'incarner dans une
apparence masculine et qu'une personne de sexe masculin peut s'incarner dans une
apparence féminine.
Un regard sociologique plus approfondi montre que les représentations de la
masculinité et de la féminité sont arbitraires à l'instar de l'usage du rose et du bleu pour
identifier le genre des enfants, de la boutonnière d'une chemise à droite ou à gauche, de la
3
On doit considérer le cas des enfants hermaphrodites dont l'identité sexuée est choisie par le médecin, les parents ou l'enfant
lui-même.
4
Un stéréotype est un modèle de comportement à partir duquel les individus construisent leur identité. D'autres s'en inspirent
pour créer les images qui les représentent. En fait, certains individus adhèrent sans aucune réflexivité aux stéréotypes de
genre, alors que d'autres comprennent qu'ils sont aussi porteur de préjugés et de discriminations.
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coloration des ongles ou de l'épilation de certaines régions du corps. Enfin, dans les sociétés
égalitaires, les signes qui indiquent les genres tendent à s'interchanger même si les femmes
s'approprient plus librement les signes identitaires masculins, alors que les hommes
résistent à adopter les signes identitaires féminins.
L'identification du jeune garçon à ce qu'il considère appartenir au genre masculin
apparaît dès les premières années d'existence. Les processus d'identification sont
complexes. Ils ne sont ni linéaires ni prédéterminés (DUBAR, 2000). Dès l'âge de deux ans,
les enfants commencent à organiser leurs conduites en fonction des genres. À trois ans,
l'enfant connaît son identité sexuée (LE MANER-IDRISSI, 1997). Il va expérimenter,
distinguer et appréhender à travers diverses situations d'interactions sociales ce qui lui
apparaît féminin et masculin. La prise de conscience de posséder un organe sexuel mâle ne
conduit pas irrémédiablement le jeune garçon à l'identification à ce qui est masculin. Les
demandes du milieu doivent être considérées dans l'appropriation du genre. Les parents en
premier lieu, mais également tous les individus qui interagissent avec un enfant ne sont pas
neutres. Ils ne se conduisent pas de la même manière avec un enfant de sexe masculin et un
enfant de sexe féminin. Malgré les pressions socialisantes du milieu, la construction de
l'identité de genre n'est jamais définitivement fixée. Elle peut en revanche être fétichisée,
c'est-à-dire considérée comme irrévocables. Toutefois, l'identité de genre, malgré une
certaine permanence, reste ouverte à de multiples transformations et adaptations au cours
de l'histoire de vie des individus.
Deux conceptions s'opposent sur la notion d'identité de genre. La première considère
l'identité de genre comme quelque chose de naturel (JEFFREY; LACHANCE, 2013). C'est une
conception naturaliste. Pour les tenants de cette position, il y aurait un destin de genre. En
se développant, le petit garçon deviendrait naturellement homme. Il y aurait un
déterminisme génétique qui déclencherait, au bon moment dans le processus
ontogénétique, les traits, attitudes et manières corporelles du masculin. Cette conception est
encore largement répandue et défendue par l'Église catholique et par les théoriciens de la
sociobiologie. La seconde conception est historiciste. Pour les tenants de cette conception, il
n'y a pas d'éternel masculin, ni par ailleurs d'éternel féminin. La masculinité est un statut
devant être acquis, elle n'est pas donnée à la naissance. Simone de Beauvoir inaugure cette
conception historiciste de l'identité de genre avec ces célèbres mots: «on ne naît pas femme,
on le devient». Elle insiste donc, sur le devenir autre, c'est-à-dire sur la possibilité même
d'une histoire dans le développement des genres. Cette conception s'oppose au destin
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biologique de la masculinité. L'historicisme ouvre la possibilité pour chaque homme de se
transformer lui-même pour devenir autre (WULF, 2005). Dans une perspective historiciste,
l'être humain est défini par sa capacité à «devenir autre» à se transformer continuellement,
à se voir et à se définir autrement. Dans cette perspective, l'identité de genre n'apparaît pas
comme un fait de nature, mais comme une production personnelle. La masculinité devient
alors l'affaire d'un homme qui s'approprie les signes identitaires que lui offrent sa culture
première et les autres cultures dans lesquels il découvre des nouvelles manières d'être
homme.
Colette Guillaumin (1992) écrivait que ce ne sont pas des traits physiques qui fondent
le masculin, pas davantage des traits psychiques «spontanés» dérivés des traits physiques,
ce sont des traits sociaux, culturels. Par conséquent, des traits transmis par l'éducation, mais
aussi acquis par imitation, par identification, par miroitement, par modelage social
5
. Selon
Margaret Mead (1963), «Toutes les discussions sur la condition des femmes, sur le
caractère, le tempérament des femmes, sur la soumission et l'émancipation des femmes,
font perdre de vue ce fait fondamental que la distinction des deux sexes est conçue selon
une trame culturelle servant de base aux rapports humains, et que le petit garçon qui
grandit est modelé tout aussi inexorablement que la petite fille selon un moule particulier et
bien défini». La perspective historiciste est plus appropriée pour comprendre comment les
jeunes garçons construisent leur identité de genre et comment ils cherchent à éprouver leur
virilité. Dans cette perspective, le devenir homme et le devenir femme sont compris comme
des enjeux sociaux et des enjeux de subjectivation.
3 Penser la virilité en postmodernité
La virilité renvoie principalement à diverses manifestations de la masculinité
hétérosexuelle, quoiqu'une femme et une personne homosexuelle puissent faire preuve de
virilité. Dans leur Histoire de la virilité, Corbin, Courtine et Vigarello (2011) montrent
comment les modèles de l'homme viril ont évolué depuis l'antiquité tardive jusqu'à nous.
Avec l'égalité des sexes, les marques de virilité offensives sinon agressives sont devenues
inacceptables. À bien des égards, le code de virilité fondée sur la force physique, l'honneur et
la logique de domination des femmes est en réelle mutation. Les hommes sont dorénavant
5
Le modelage social représente l'ensemble des processus (pressions morales, conditionnements, influences, etc.) qui visent à
amener un enfant à adapter des attitudes et des comportements choisis pour lui.
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appelés à s'ajuster à l'égalité des sexes, c'est-à-dire à expérimenter des nouvelles manières
d'éprouver leur virilité.
La virilité touche trois dimensions: des comportements très ritualisés, des ressentis
personnels et une quête de reconnaissance jamais tout à fait satisfaite. Les rites de virilité
sont issus de normes culturelles et forment un code. Dès le plus jeune âge, les garçons les
apprennent et les intériorisent. Les ressentis associés à la virilité sont propres à chaque
homme même si les signes et attributs de la virilité sont foncièrement culturels. Être un
homme, c'est d'abord se sentir homme. La virilité est quête de reconnaissance face à
d'autres hommes. C'est pourquoi elle prend tant de place dans les interactions sociales
masculines. En fait, chaque homme hétérosexuel cherche à prouver sa valeur virile devant
d'autres hommes. Différemment de la féminité (RIVIÈRE, 2005, p. 34), la virilité doit
continuellement être produite et reconnue. Le sentiment de virilité n'est pas permanent. À
cet égard, les ressentis de virilité fluctuent selon les circonstances et les situations. La
pression des pairs ou un contexte festif peut exacerber les expressions viriles. En revanche,
dans le giron de la famille ou du cercle amoureux, un homme ressent moins la pertinence de
rendre visibles les signes de sa virilité.
L'expression rituelle de la virilité prend régulièrement la forme de jeux d'épreuves au
cours desquelles un homme prouve sa virilité lorsqu'il montre à la fois une maîtrise de soi et
une capacité de libérer spontanément son trop-plein d'énergie. Pensons aux jeux martiaux,
aux compétitions sportives, aux rivalités pour obtenir un objet convoité ou bien encore aux
rixes et bagarres de rue. Ces rites de virilité varient d'un groupe d'hommes à un autre,
comme d'une société à une autre. Mais l'enjeu demeure identique: prouver n'être pas
comme les femmes, les homosexuels et les enfants. La participation à ces jeux et le succès
remporté ne suffisent pourtant pas pour maintenir le sentiment de virilité. À cet égard, les
hommes doivent manifester leur virilité, dans les situations d'interactions entre hommes,
par des attitudes et des manières de se comporter, des schèmes de pensée, des postures
corporelles, des actes de communication, des activités spécifiquement masculines, des
objets de consommation, le style vestimentaire, l'esthétisation du corps, en somme, par une
grande diversité de signes identitaires appartenant à la culture masculine.
En somme, la virilité réfère à des modèles de comportement plutôt stéréotypés qui
véhiculent des valeurs attribuées culturellement à l'identité masculine. La virilité est
historiquement déterminée. Par exemple, dans les sociétés prime un code de l'honneur,
le courage du guerrier, la force physique et la domination sur autrui sont les principales
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qualités de la virilité masculine (PITT-RIVERS, 1997, p. 49). À ces qualités peut aussi
s'ajouter la puissance sexuelle. Être père est considéré comme une marque de virilité dans
un grand nombre de sociétés. Un homme d'honneur protège la pureté sexuelle de sa mère,
de sa femme et de ses filles. En tant que chef de famille, son autorité justifie l'usage de la
force pour défendre son honneur s'il venait à être cocufié.
Dans les sociétés modernes, diverses figures de l'héroïsme masculin deviennent des
modèles exacerbés de virilité. Les héros masculins fictifs tels Superman, Batman et Captain
America se multiplient à partir des années 1950. Apparaissent également les héros
cinématographiques tels le cow-boy, le spécialiste des arts martiaux, l'agent James Bond,
Sylvester Stallone en Rambo ou Arnold Schwarzenegger en Conan le Barbare. Or, l'héroïsme
n'étant pas un attribut uniquement masculin, puisque les femmes accomplissent également
de tels exploits, les performances héroïques masculines de la virilité se démarquent par
leurs exploits physiques et sexuels, mais aussi par une brutalité gratuite. Les cultes de la
virilité se diversifient pour prendre parfois des formes homo-érotiques tels les «dieux du
stade
6
». Aussi, les cultes classiques de la virilité sont rénovés et reviennent avec les
nouveaux aventuriers, les dandys à la moustache, les SM musclés ou les hommes à tête
rasée. Malgré la diversité de ses manifestations, parfois iconiques parfois parodiques, la
virilité comporte inconditionnellement le défi d'être reconnu par d'autres hommes.
4 Preuves et épreuves de virilité à l'adolescence
Dans les sociétés traditionnelles, l'accès à l'âge adulte implique des épreuves
corporelles qui visent notamment à prouver la virilité de l'initié, c'est-à-dire sa force
physique et son courage (JEFFREY; GOGUEL D'ALLONDANS, 2008). Le rite se termine
lorsque le jeune acquiert l'autorité pour fonder une famille. Il devient alors égal aux autres
hommes du village. Les épreuves de virilité ne s'arrêtent pas à ce stade, car sa valeur virile
sera mise en doute s'il n'a pas d'enfants. Aussi, il devra se faire valoir dans les compétitions
et les combats pour protéger les siens. En fait, la virilité, nous l'avons souligné, n'est jamais
définitivement acquise.
Les sociétés de l'égalité des sexes offrent peu de modèles aux jeunes garçons pour
construire et ressentir une virilité qui ne soit pas machiste. À quoi peut ressembler, en fait,
une virilité qui n'est pas fondée sur une logique de domination des femmes? Les modèles de
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Il s'agit ici d'un clin d'œil aux joueurs de l'équipe française de foot qui acceptent d'apparaître nus dans des poses homo-
érotiques.
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Intexto, Porto Alegre, UFRGS, n. 32, p. 119-135, jan./abr. 2015.
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la virilité machiste sont surreprésentés dans le cinéma, les clips de la musique populaire, les
magazines masculins et les jeux vidéo. Le guerrier vengeur, charmeur de femmes et
aventurier n'a pas perdu son pouvoir d'attraction sur les jeunes garçons. Dans les
représentations contemporaines du masculin, trônent encore les caractéristiques révélées
en 1975 par Falconnet et Lefaucheur: force physique, intrépidité, héroïsme, plaisir de
dominer et de protéger, puissance sexuelle, penchants pour les jeux de hasard et les
conduites à risque, brutalité ludique et réactive, style canaille ou voyou, etc. Les valeurs et
les qualités qui manifestent la virilité n'ont donc pas tant changé depuis l'émancipation des
femmes.
Un jeune garçon se sent obligé de faire la preuve de sa virilité sous le regard de ses
pairs. Cela représente une double obligation: d'une part, ressentir sa virilité et d'autre part
montrer qu'il n'est pas une femme et un enfant. Ces obligations l'entraînent dans des
épreuves qui ont pour but de garantir ses sentiments de virilité et de le distinguer du monde
féminin. Claude Rivière (2005) souligne qu'il n'y a guère de civilisation dans laquelle les
hommes ne soient pas confrontés à la nécessité de prouver leur virilité dans des épreuves
rituelles. Cela vaut pour les sociétés anciennes comme pour nos sociétés modernes. Or, dans
les sociétés anciennes, les épreuves de virilité sont minutieusement ritualisées (VAN
GENNEP, 1969). À la suite des épreuves, un jeune garçon est définitivement devenu un
homme et il est reconnu comme tel.
Badinter (1992) présente une excellente synthèse des épreuves de virilisation. Elles
notent qu'ils engagent des épreuves corporelles et morales passablement difficiles,
douloureuses et parfois cruelles. Les jeunes garçons poussent l'effort à l'extrême pour
acquérir les qualités masculines. Ils font preuve d'un courage ou d'une grande
détermination pour surmonter leurs peurs et les douleurs qu'on leur inflige. C'est dire que
les qualités masculines ne sont pas intrinsèques à l'homme, elles doivent être acquises.
Dans les sociétés modernisées, les épreuves de virilisation ne sont plus instituées.
Mais les jeunes garçons sont pressés de se conduire comme des hommes. Ils doivent
prouver qu'ils appartiennent au genre masculin. Or, puisque les rites de virilité ne sont plus
organisés par les adultes, les jeunes doivent les aménager eux-mêmes. Ils se lancent parfois
tête première et souvent à l'aveugle dans des épreuves difficiles au risque de leur vie pour
prouver qu'ils sont réellement des hommes. En fait, ils sont prêts à supporter les pires
souffrances et à accepter de faire les pires bêtises pour prouver leur valeur virile et être
considérés ainsi comme de vrais hommes.
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Les rites de virilité que les jeunes garçons initient d'eux-mêmes, observe Le Breton
(2007), sont encore centrés sur les épreuves corporelles souffrantes, difficiles et
nombreuses. Chaque garçon construit peu à peu son identité masculine et son sentiment de
virilité à travers des épreuves qui appartiennent à sa génération. Dans nos sociétés, ces
épreuves prennent parfois des formes douces, comme l'initiation aux jeux amoureux et
sexuels dans des conditions heureuses, ou la ritualisation d'une première fois à une danse,
un festival, un concert, etc. Elles peuvent aussi prendre des formes plus violentes, plus
risquées, plus excessives dans des attitudes festives, dans le domaine sportif, dans
l'affrontement à l'autorité, dans des élans suicidaires. La consommation de drogue et
d'alcool, le rodéo sur les trains, la quête éperdue d'excitation et d'aventure improvisée
servent aussi à prouver la virilité. On doit considérer également les prises de risque en moto
ou en auto, les comportements sexuels à risque, les comportements d'intimidation,
d'ostracisme et d'agression, le jackass, les agressions sexuelles, le slapping, la strangulation,
les mutilations corporelles, les décorations et esthétisation du corps, l'engagement
révolutionnaire, la participation à des émeutes ou à des affrontements contre les policiers,
aux duels, à la bagarre, à la casse, aux fugues et conduites asociales de toutes formes. La
violence gratuite dans la destruction de biens publics ou dans la bousculade peut également
servir à manifester la virilité. On connaît les conduites ancestrales de virilisation comme la
tauromachie, la guerre et les conquêtes. Elles ne sont pas disparues. L'enjeu pour un jeune
garçon est de prouver son appartenance au masculin et d'acquérir des sentiments par
lesquels il s'éprouve comme homme. Or, une épreuve en commande une autre parce que la
virilité n'est jamais définitivement établie.
Pour les plus jeunes, les situations où ils affrontent le froid hivernal en sortant dehors
sans vêtements chauds, ils mangent jusqu'à saturation ou jeûnent plusieurs jours sont
vécues comme des épreuves de virilisation. Les épreuves de virilisation, en fait, sont
multiples puisque chaque jeune suit son propre parcours pour construire son identité
masculine. On ne doit pas s'étonner de la diversité des épreuves que des jeunes garçons
cherchent à surmonter pour ressentir leur virilité et faire reconnaître leur masculinité.
D'ailleurs, la théorie des épreuves de ritualisation permet de comprendre plusieurs
comportements de jeunes garçons dont le sens profond nous échappait. À cet égard, Sylvie
Ayral (2011) montre que les transgressions commises par les jeunes garçons à l'école sont
des rites de virilisation: «La plupart des transgressions masculines, notamment les actes de
défi, d'insolence et de violence physique, sexiste ou homophobe, doivent être pensées non
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plus comme des problèmes de comportement, mais, au contraire, comme des conduites
sexuées ritualisées». (AYRAL, 2011, p. 6). En fait, toutes activités qui comportent une
épreuve, une limite à surmonter ou un interdit à transgresser peuvent servir la virilité,
pourvu qu'elles soient pratiquées avec intensité, qu'elles impliquent une dimension
corporelle et qu'elles soient pratiquées dans le cadre d'interactions masculines.
Les épreuves de virilisation, en fait, ont en commun trois caractéristiques.
Premièrement, les jeunes garçons doivent se montrer forts, se dépasser, braver autrui,
endurer une douleur pour prouver qu'ils se maîtrisent. Par ses épreuves, ils apprennent à
surmonter leurs peurs, autant celles qui proviennent du monde intérieur que du monde
extérieur. Les épreuves de virilisation ne sont des ordalies (LE BRETON, 1994). Il ne s'agit
pas de jouer le tout pour le tout puisque le sentiment de sa virilité est variable d'un individu
à un autre. Certains ressentent le besoin de l'éprouver jusque dans la mort (terrorisme,
guerre, etc.), mais ce sont des situations circonstancielles. L'épreuve virilisante est de
l'ordre d'un affrontement contre soi, contre ses craintes, contre ses peurs. La faiblesse du
jeune garçon et son manque de courage seraient les signes d'un manque de virilité. C'est
pourquoi l'épreuve est morale dans le sens où la discipline personnelle en est l'objet.
Deuxièmement, l'enjeu est corporel. Le corps est le premier matériau de l'épreuve. La
virilité est un ressenti corporel. Ce ressenti doit s'inscrire dans le corps et sur le corps,
laisser des traces, des marques sur le corps: une balafre, une cicatrice, un piercing, un
tatouage, une manière de parler, de regarder, de parader devant les autres, etc. Les
sentiments de virilité doivent apparaître sur le corps.
Troisièmement, les épreuves de virilisation visent la reconnaissance, c'est-à-dire
l'appartenance à un groupe d'hommes. Une épreuve solitaire aurait peu d'effet sur l'acte de
reconnaissance qui les conclut à moins qu'elle soit racontée et accueillie. De toute façon, loin
des yeux de ses pairs masculins, un jeune garçon est moins tenté par les épreuves de
virilisation. Avec sa famille, dans le giron maternel, il ne sent pas nécessairement la honte
d'être plus ou moins viril, de se conduire d'une manière plus ou moins masculine. En famille,
le même garçon qui pratique des conduites plutôt hards pour se viriliser peut très bien se
comporter comme un enfant. Mais il peut aussi poursuivre ses tentatives de virilisation à la
maison en essayant de contrôler les membres de sa famille, en créant un conflit qui lui
permet d'être agressif, effronté et méprisant.
La virilité est à la fois un impossible et une référence, une initiation à l'identité
masculine légitime, mais inachevée. La référence qui donne la mesure du masculin n'est
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qu'une fiction. Même s'il s'habille comme un homme, même s'il marche comme un homme,
qu'il se tient comme un homme, qu'il s'anime et gesticule comme un homme, qu'il parle fort
comme un homme, en somme, même s'il ritualise son identité comme l'homme qu'il
souhaite être, il semble qu'il ne puisse avoir l'assurance tranquille que son identité
masculine est définitivement reconnue.
5 Conclusion
On ne peut plus induire ce qu'est un homme à partir de l'identité sexuée. Les qualités
et les valeurs caractéristiques du masculin n'émanent pas de déterminations anatomiques.
La capacité d'avoir une érection n'engendre pas la libido dominandi. Les hommes sont
appelés à construire leur identité masculine en phase avec l'égalité des sexes. Or, il est
difficile de prévoir ce qui adviendra de l'identité masculine. Par contre, nous savons que le
sentiment de virilité, de se sentir homme, demeure crucial. Dans les sociétés modernes, les
rites de virilité étaient une opération importante dans la construction de l'identité
masculine. Dorénavant, la preuve de la virilité se constitue dans des épreuves rituelles, et
nous supposons que des milliers de jeunes garçons recherchent ces épreuves par lesquelles
ils se sentent hommes et ils montrent qu'ils sont des hommes.
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Identidade masculina e provas de virilização
na adolescência
Resumo
Este artigo trata da masculinidade pós-moderna, ou seja, de
uma forma de refletir sobre os atributos ancestrais da
masculinidade ancorada no presente. Busca-se desconstruir o
mito de uma virilidade ofensiva, mas sem esquecer que é
necessário compreender como os rapazes de hoje constroem
sua masculinidade e como eles afirmam sua virilidade sem cair
nos senões do machismo. A questão central é: como os
adolescentes conseguem construir uma identidade masculina
em consonância com as novas normas de igualdade de gênero?
Palavras-chave
Imaginário. Cotidiano. Masculinidade. Pós-moderno. Corbin.
Male identity and the evidence of virilization
in adolescence
Abstract
This work studies postmodern masculinity, that is, it studies how
to reflect on the ancestral attributes of masculinity while
anchored in the present. The study seeks to deconstruct the
myth of an offensive virility whilst keeping in mind that it is
necessary to understand how young men today form their
masculinity and how they assert it without falling back into
chauvinism. The central question is: how are teenagers able to
build a male identity in line with the new standards of gender
equality?
Keywords
Imaginary. Daily life. Masculinity. Postmodern. Corbin.
Recebido em 01/09/2014
Aceito em 22/03/2015
... Não obstante, vários deles assinalaram que seguir brincando na nova idade era motivo de "vergonha". Esse achado converge com a literatura sobre socialização que aponta a introjeção das normas sociais como em grande parte inconsciente, fazendo com que as restrições sociais pareçam óbvias ou fruto de escolhas individuais (Jeffrey 2015;Guimarães 2018). ...
... [Rui,13] A ausência de uma vocalidade sobre a própria sexualidade reflete na dificuldade expressa em falar sobre si e de refletirem sobre suas experiências sem a mediação do objeto "menina". Muitos dos ritos de iniciação sexual e jogos entre meninos consistem em relatar façanhas sexuais (não importa serem reais ou não), performando uma disputa de poder, reconhecimento e popularidade (Jeffrey 2015;Gaussel 2016). A objetificação das meninas igualmente apareceu associada ao consumo de pornografia como fonte de letramento em relação às práticas sexuais pelos rapazes. ...
Article
Full-text available
This article analyses the processes of transition from childhood to adolescence. The ethnographic research was conducted in a peripheral neighbourhood in the city of São Paulo, Brazil, with adolescents between 11 and 16 years old. The methodological instruments used were observation, ethnographic conversations and open interviews. The interaction with the teenagers took place in spaces of youth sociability and a public school. The transition experience is based on the discourses and practices that daily ground the identity negotiation within the intricacies of the symbolic, social and material boundaries of adolescence. Despite the tendency to de-standardize the course of life, culturally, roles and statuses are still socially recognized ways of manifesting passages between phases. The social learning of age is operationalized in power relations and scientific knowledge rooted in the social imaginary that both establishes norms for the constitution of adolescents, and supports the reproduction of traditional models of gender and sexuality.