Résumé de l'HDR en Sciences de gestion à l'Université de Nantes de Thierry Garrot, 22 janvier 2016, sur « Le pilotage de l'action collective complexe »
Le document présente le parcours d'un sujet au sens de Michel Foucault, c'est à dire un « Être sujet » conscient de ce qu'il veut être, se préparant pour l'action et se projetant dans sa vie, en évitant de se considérer comme l’objet de ses propres recherches (Gros F. 2014). Pourtant cette personne a été, ou est encore parfois, porteuse d'au moins trois handicaps. Le premier est lié au caractère téléologique de la recherche en sciences de gestion et à son développement dans un contexte épistémologique néo-positiviste. Cette science au service de l’action et de la décision cherche à révéler LA réalité et LA vérité sur les savoirs permettant l'action. Les méthodes de recherche associées ont éloigné les chercheurs des hésitations habituelles dans la construction des savoirs des praticiens. Nous avons, dans ce contexte, trop souvent négligé le principe « d'action intelligente » cher à Jean-Louis Le Moigne (1990). Le second handicap est hérité du paradigme formulé par Descartes, la disjonction d'un côté du sujet, impliqué dans la philosophie, la méditation intérieure… et d'un autre côté, l'objet, la chose, appartenant à la connaissance scientifique, à la mesure et à la précision. Nous avons trop longtemps accepté
que le sujet capable de réflexion ne pouvait pas participer à la construction de savoir objectif,et que le savoir objectif ne pouvait pas penser et réfléchir sur lui-même (Morin E., 2005). Le troisième handicap vient de l'ignorance d'une partie des apports de Max Weber sur la production des savoirs. Si l'on connaît « les faits démontrables logiquement ou établis empiriquement » nous avons trop longtemps ignoré « les évaluations pratiques, éthiques ou les conceptions du monde » pour lesquelles il pose des conditions à leur enseignabilité. Il faut avoir accès aux valeurs du chercheur, car ce dernier ne peut révéler que ce qui fait sens à ses yeux. Il ne peut plus alors revendiquer le monopole des idées « car les objets mêmes de ses analyses, les acteurs, sont des êtres de consciences, symboliques, historiques dont il convient de comprendre les systèmes de signification » (Martinet A. C. et Pesqueux Y., 2013).
Dans une première partie, nous abordons l’épistémologie et la méthodologie. Notre point de départ est l'une des spécificités de notre parcours, à savoir notre rapport intime à nos terrains de recherche successifs. Nous nous sommes toujours beaucoup impliqué dans nos rapports avec les praticiens ayant du mal à participer à une recherche « objective » et distancié du terrain. Par la compréhension notre implication sur le terrain, nous nous interrogeons sur notre conception de la réalité. Cela nous permet d'étudier différents positionnements ontologiques et d'identifier celui se rapprochant le plus de nos travaux. Nous croisons ensuite ces premiers
éléments avec le projet de connaissances que nous poursuivions : quels types de connaissances cherchons nous à élaborer ? Quelle vérité poursuivons-nous ? Nous abordons alors les questions épistémologiques au sens strict et nous nous positionnons sur les axes ontologie et épistémologie, plutôt dans le cadran relativiste/non-essentialiste (Allard-Poesi F. et Maréchal G., in Thietart R.-A., 2014). Dans un vocabulaire moins savant, cela signifie : la réalité existe bien mais elle n’est pas reçue, perçue et donc décrite de la même manière par
tout le monde. Ma conception de la réalité dépend des sujets qui la vivent et dépend aussi de l’observateur qui va la saisir, en quelque sorte elle est le produit de plusieurs sujets. Cela est diamétralement opposé au paradigme le plus courant dit « positiviste » qui considère que la réalité « objective », extérieure au sujet, s’imposant à tous, existerait. Du point de vue de la vérité, nous la considérons comme relative et non pas objective. Nous envisageons la vérité comme une construction réalisée par plusieurs acteurs, elle est donc située par rapport à des individus, à un contexte et à une période donnée. Avec ces éléments, nous nous tournons enfin vers les questions de méthodes où nous décrivons un parcours quasi-exclusivement nourri d’approches qualitatives. Nous présentons pour ce chapitre, non pas l’exhaustivité mais quelques exemples illustrant notre évolution méthodologique. Cette phase d’approfondissement nous permet de mieux assumer l’ensemble des travaux de recherche que nous avons produits et notamment notre travail doctoral avec lequel nous avons pu renouer
une relation positive.
Après avoir abordé le positionnement de nos travaux par rapport à la réalité et au terrain de recherche (ontologie), par rapport aux connaissances à produire (épistémologie) et enfin par rapport aux méthodes utilisées (méthodologie), nous présentons nos travaux par rapport au fond : les apports de notre parcours de chercheur. Ayant un positionnement de type relativiste non-essentialiste, attaché principalement à des paradigmes épistémologiques relevant du constructivisme ingénierique ou du postmodernisme, et tourné vers des méthodes de type étude de cas, enquête ethnologique et recherche intervention, l’honnêteté nous semble exiger
de présenter les valeurs que nous défendons dans nos travaux, c’est-à-dire notre positionnement axiologique (Allard-Poesi F. et Perret C., i n Thietart R.-A., 2014). Nous présentons des travaux assumant une très grande proximité avec le terrain allant jusqu’à co-construire les objets de recherche, les analyses ou encore les résultats en partageant notre rôle de sujet avec les personnes impliquées en tant que praticiens dans nos recherches. Nous souhaitons mener une recherche « utile » dans le sens où elle serait socialement impliquée avec les acteurs et dans la société.
Notre deuxième partie est consacrée à notre projet de recherche. Notre curiosité alliée à un certain goût pour l’éclectisme, guidé parfois par nos expériences avec les praticiens, a eu pour conséquence une certaine difficulté à nous situer dans UN champ des sciences de gestion. L’identification d’une communauté de chercheurs et le positionnement de nos travaux de recherche dans des champs plus larges, que ceux dans lesquels ils avaient été initialement développés, ont muri progressivement pour nous permettre dans ce document d’identifier les problématiques des sciences de gestion auxquelles nous avons contribuées. La première partie nous appelle à révéler un certain nombre de valeurs que nous avons, en fait, toujours voulu défendre et qui ont guidé nos choix tout au long de notre parcours. Elles permettent de définir un projet ambitieux et passionnant auquel nous prêtons un avenir. Il s'agit du pilotage des actions collectives complexes. Cet énoncé simpliste contient des termes lourds de sens et cachent des valeurs présentes dans les projets que nous avons poursuivis et les résultats, certes, partiels mais toujours en adéquation avec les situations étudiées. Pour nous, si l'action, l’agir veut être efficace il doit nécessairement se penser dans le collectif. L'action individuelle devient assez rapidement une action collective. Or, cette action a besoin être représentée, et le processus axé sur la prestation finale de l'organisation assure selon nous une meilleure efficacité. Même au niveau inter-organisationnel, l'efficacité semble devoir passer par un agir collectif à l'intérieur d'un réseau avec tous les participants à la prestation finale. C'est-à-dire, chacun des partenaires impliqués dans la chaîne de valeur pour le client. Mais l’agir collectif ne se décrète pas, il nécessite un pilotage. Ce pilotage doit être capable de prendre en compte l'environnement dans une dimension systémique. Nous sommes aussi convaincu qu'il doit s'appuyer sur un outil regroupant tous les aspects déterminants de la valeur « sociale » (coût, qualité, délai, sécurité, accessibilité, acceptabilité). Il nous paraît aussi nécessaire qu'il assume une représentation symbolique commune formant une base collective pour le diagnostic et l'élaboration de solutions par chacun des participants à la situation. Enfin, nous abordons la
question de la complexité, car elle nous donne un cadre de référence pour le projet de recherche auquel nous participons actuellement. Piloter des actions collectives en situation complexe implique, selon nous, d'avoir un écosystème centré sur l'humain. De la même façon, il sera nécessaire de disposer d'un outil de représentation commun interprofessionnel, inter-organisationnel et interdisciplinaire. Nous aboutissons finalement, en croisant les « savoirs pour l'action » (Avenier M.-J. et Schmitt C., 2007) et les situations d'actions développées par
Elinor Ostrom (1990) à affirmer que le pilotage d'une action collective complexe nécessite la genèse constante de savoirs pour l'action collective complexe.