RÉSUMÉ
• Une liste d'espèces de poissons a été compilée à partir d'observations effectuées en plongée sous-marine sur 57 des 62 sites d'étude du lagon Nord-ouest (de Yandé à Koumac) de Nouvelle-Calédonie. Environ 90 heures de plongée ont été réalisées lors de l'inventaire, à une profondeur maximale de 30 m.
• Aujourd'hui, en Nouvelle-Calédonie, 1019 espèces de poissons associées aux récifs sont connues. L'étude a permis d'observer 526 espèces, représentant 52% de la diversité connue. Le nombre d'espèces sur les 57 sites analysés allait de 46 à 172, avec une valeur moyenne globale de 117 espèces.
• Les familles dominantes de l'aire d'étude étaient les Labridae, les Pomacentridae et les Gobiidae avec respectivement 75, 71 et 31 espèces observées.
• La plus grande diversité de poissons a été enregistrée à l'extérieur du récif barrière et sur les pentes externes avec une moyenne de 141 espèces par site. En moyenne l'intérieur des récifs barrières contenait 117 espèces par site, les passes 124 espèces, les récifs intermédiaires 127 espèces et les récifs intermédiaires 81 espèces. L'inventaire des poissons sur la plupart des sites du lagon interne, et dans une moindre mesure, du lagon intermédiaire, a été réalisé dans des conditions de mauvaise visibilité.
• L'inventaire a permis d'étendre l'aire de répartition de deux espèces de poissons récifaux jusqu'à présent jamais observés en Nouvelle-Calédonie. Il s'agit d'Asterropteryx striatus de la famille des Gobiidae et de Plectroglyphidodon phoenixensis de la famille des Pomacentridae.
• Une formule de prédiction du nombre total attendu des espèces de poissons récifaux pour l'aire d'étude a été appliquée. La formule prédit environ 773 espèces de poissons susceptibles d'être présentes sur le site. Ce résultat peut être comparé aux 1019 espèces de poissons connues pour tout le lagon et les récifs néo-calédoniens.
• Notre étude a montré l'existence d'une diversité de poissons récifaux relativement importante sur une zone étendue, ce qui indique que le lagon et le système récifal du nord-ouest est, en termes de biodiversité, important sur le plan régional, voire international. Il est tout à fait justifié et essentiel de développer un réseau d'aires marines protégées pour préserver et gérer cette région.
INTRODUCTION
Ce chapitre présente les résultats d'un inventaire des poissons récifaux du lagon Nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie, réalisé en décembre 2007 dans le cadre d'un RAP de Conservation International. Des informations générales sur l'étude et la description des sites concernés se trouvent dans d'autres sections de ce rapport.
L'objectif était d'établir une liste complète des espèces de poissons associées aux récifs. L'inventaire a été réalisé par des observations effectuées au cours de plongées effectuées à des profondeurs présentant peu de risques pour des plongeurs autonomes (jusqu'à 30m). Cette méthode est souvent considérée comme optimale en termes de coûts et de temps passé,. Un travail scientifique considérable a été consacré à l'analyse et la compilation des données obtenues antérieurement grâce à cette méthode sur de nombreux autres sites et par de nombreux plongeurs, permettant ainsi la comparaison de ces sites entre eux. Cependant, cette méthode présente des limites, par exemple elle exclura toujours les poissons estuariens, les espèces de poissons profonds et les espèces pélagiques telles que les exocets, les thons et les poissons à rostre (billfish).
La Nouvelle-Calédonie a fait l'objet de nombreux inventaires marins. Plusieurs institutions basées en Nouvelle- Calédonie ont également effectué des recherches visant à décrire la biodiversité et l'écologie des poissons récifaux du lagon calédonien. Les leaders dans ce domaine sont le Secrétariat général de la communauté du Pacifique, l'Institut de recherche pour le développement (IRD), les organismes gouvernementaux des provinces Nord et Sud et l'université de la Nouvelle-Calédonie. Bien que la plupart des études réalisées sur les poissons des récifs de la Nouvelle-Calédonie aient eues un lien avec le secteur de la pêche, elles contiennent néanmoins de nombreuses informations sur la biodiversité. Kulbicki et al (2000) ont réalisé un inventaire détaillé des stocks de poissons du lagon de la région du nord-ouest tandis que Letourneur et al (2000) ont étudié les communautés de poissons commerciaux et les effets des différents niveaux d'érosion des sols. Ces deux études fournissent une base importante d'informations. Un inventaire de la côte Nord-est ou région du mont Panié, réalisé par Conservation International en 2004, comprenait une étude de la diversité des poissons des récifs coralliens (Evans 2006).
Les estimations actuelles du nombre total d'espèces de poissons associés aux récifs coralliens sont variables. Les chiffres continueront à augmenter lorsque de nouvelles zones feront l'objet d'inventaires intensifs et lorsque les nouvelles espèces collectées seront décrites. Allen (2006) indique un chiffre de 1019 espèces pour la Nouvelle-Calédonie. Une publication récente de l'IRD indique 1694 espèces côtières (Fricke et Kulbicki 2006). La liste récapitulative de l'IRD prend en compte les poissons présents jusqu'à une profondeur de 100 mètres ainsi que les espèces d'estuaire, ce qui explique cette différence.
La Nouvelle-Calédonie occupe une situation importante, à la limite de la plaque tectonique indo-australienne. L'Indonésie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, où les plus hauts niveaux de diversité de poissons coralliens au monde sont enregistrés, se trouvent au nord. Les sites centrés autour de l'Indonésie ont une diversité qui représente environ le double de celle de la Nouvelle-Calédonie. Historiquement, des espèces de la région indo-australienne sont arrivées en Nouvelle-Calédonie en suivant les courants tropicaux chauds et descendants. La proximité du « Triangle de corail » signifie que l'ichtyofaune de la Nouvelle-Calédonie est importante sur le plan mondial et se situe à un rang élevé par rapport à d'autres régions. La Nouvelle-Calédonie est reconnue comme faisant partie d'un important centre régional d'endémisme (Olsen et Dinerstein 2002; Roberts 2002).
Les méthodes d'inventaire rapide appliquées lors de cette étude peuvent fournir une image globale intéressante de la diversité des poissons récifaux sur des zones importantes. Dans la plupart des cas, les espèces rares et menacées ou les espèces indicatrices peuvent être observées et leur présence comparée à celle sur d'autres zones. Les données collectées permettent également d'appréhender la pression de pêche ou la présence de perturbations environnementales affectant la composition des communautés de poissons ou leur abondance. A un niveau plus fondamental, la connaissance de la diversité des poissons est utile et importante pour avoir des données de référence sur la structure et l'abondance des communautés. Cette information peut également être utilisée dans le cadre de futures études qui permettront de suivre l'évolution de la situation ou l'efficacité des actions de gestion de la pêche ou de protection de la biodiversité.
Ces méthodes d'inventaire peuvent toutefois conduire à une sous-estimation de la diversité globale d'un endroit donné à cause de la nature cryptique de certaines espèces et des limites du plongeur qui établit un contact visuel avec les espèces. Gerald Allen (2002a, 2002b, 2005a) a mis en place une méthode d'estimation du nombre total d'espèces de six familles dominantes de poissons à partir du nombre effectivement identifié par le plongeur. Cette méthode d'extrapolation est basée sur une analyse statistique détaillée de sites connus et d'efforts d'inventaire similaires. Elle nous permet d'extrapoler les chiffres de cette étude pour estimer le nombre total d'espèces attendues. Par ailleurs, ce nombre total estimé nous permet d'effectuer des comparaisons avec d'autres régions et pays qui ont fait l'objet d'un inventaire selon des méthodes similaires.
MÉTHODES
La méthode employée ici est très similaire à celle du RAP numéro 42 de Conservation international effectué sur le lagon Nord-est de la Nouvelle-Calédonie (Evans 2006). Environ 90 heures de plongée sous-marine, à une profondeur maximale de 30 m ont été réalisées. Une liste des espèces observées a été compilée pour chaque site. Le plongeur couvre, sur chaque site, tous les niveaux de profondeur et les différents habitats en une seule plongée durant de 60 à 110 minutes. Le nom de chaque espèce observée est noté au crayon sur une feuille en plastique attachée à un pressepapier. La technique implique de descendre jusqu'à 30 m le long du récif ou, lorsque la profondeur est inférieure à 30 m, jusqu'à la base du récif c'est à dire au niveau des sédiments. Pour une profondeur inférieure à 30m, on consacre 5 à 10 minutes à l'observation des espèces présentes sur les sédiments avant d'aller vers le récif. L'effort d'inventaire est divisé entre les différents niveaux de profondeur ; on consacre plus de temps à la zone située entre 1 et 12 mètres, où l'abondance et la diversité de poissons récifaux sont en général les plus élevées. Le plongeur se déplace lentement et en zigzaguant à travers les habitats à la recherche des espèces nageant librement tout en passant plus de temps à rechercher des espèces les plus cryptiques cachées dans le substrat. Chaque plongée couvre un échantillon représentatif des principaux fonds et habitats présents sur le site. Les habitats typiquement rencontrés ont été les zones intertidales rocheuses, les platiers, les tombants escarpés, les grottes, les graviers et le sable ou un mélange sable/boue et les bancs à fonds meubles.
En plus de la présence d'une espèce, on note son abondance relative sur chaque site. Si une espèce n'est observée qu'une seule fois sur un site, sa note d'abondance est de 1 (rare). Une note de 2 (occasionnelle) est attribuée lorsque 2 à 10 individus d'une espèce sont observés ; une note de 3 (commune) est attribuée pour 11 à 50 individus observés, enfin une note de 4 (abondante) est donnée lorsque plus de 50 individus ont été vus. On calcule ensuite la moyenne des côtes d'abondance pour chaque espèce sur l'ensemble des sites ce qui permet de définir un indice d'abondance relatif ou de déterminer une description de chaque espèce présente.
On ne note le nom des poissons que lorsque l'identification est certaine. Dans le doute, on essaie de photographier l'individu pour en faire l'identification après la plongée. Dans tous les cas, les feuilles de données sont immédiatement vérifiées après la plongée et les photos prises sont analysées pour finaliser la liste d'espèces observées. Lors de ces vérifications, les autres plongeurs apportent leurs contributions à travers des observations ou des photographies d'espèces qui, une fois vérifiées, sont rajoutées à la liste. Compte tenu du peu de temps disponible et de la complexité des communautés de poissons observées, il est essentiel que le plongeur ait une grande expérience de l'identification des poissons récifaux.
Aucune méthode invasive telle que l'empoisonnement ou la pêche n'a été employée. Ces méthodes ont été utilisées pour des inventaires antérieurs et ont permis de dénombrer plus d'individus de certaines familles, en particulier les espèces cryptiques des familles de Gobiidae, de Blenniidae et de Trypterygiidae. La capture est une pratique importante pour un travail taxonomique ou pour l'identification des espèces nouvelles ou rares, mais ce n'était pas un objectif spécifique de cet inventaire. Toutes les photographies prises ont été archivées et classées par site.
RÉSULTATS ET DISCUSSIONS
Composition générale de la communauté de poisons
Aujourd'hui, 1019 espèces de poissons associées aux récifs sont connues dans le lagon de la Nouvelle-Calédonie (Allen 2006). Lors de cet inventaire, des espèces de poissons ont été observées et répertoriées sur 57 des 62 sites étudiés. Un total de 526 espèces a été identifié sur le lagon Nord-ouest, ce qui représente 52% de la diversité connue. L'abondance moyenne de chaque espèce est présentée dans une liste en annexe 2.
Le tableau 2.1 présente la diversité spécifique des treize familles les mieux représentées sur l'ensemble des sites. Les familles sont classées en ordre décroissant de diversité. Les trois premières familles en termes de diversité, c'est-à-dire les Labridae (75), les Pomacentridae (71) et les Gobiidae (31) constituent 34 % des espèces répertoriées. Les 10 premières familles (Labridae, Pomacentridae, Gobiidae, Acanthuridae, Chaetodontidae, Serranidae, Scaridae, Lutjanidae, Apogonidae et Blenniidae) représentent 63% du total.
L'ordre de classement et d'importance des familles répertoriées lors de cet inventaire est similaire aux résultats obtenus par d'autres études (Allen 2006) avec quelques exceptions notables. En général, la famille des Gobiidae se situe au premier rang ou proche du premier rang. Il en est de même pour la famille des Blenniidae qui est généralement en sixième ou en septième position. Lors de cet inventaire, les Gobiidae se classaient 3ème et les Blenniidae 10ème. Il est probable que ces deux familles aient été sous-échantillonnées pour plusieurs raisons : elles contiennent de nombreuses espèces de petite taille et cryptiques, qui se cachent littéralement dans le substrat de corail et sont très difficiles à observer ; les différents observateurs peuvent avoir consacré une durée variable à trouver ces espèces difficiles et il faut un niveau d'expérience élevé pour identifier ces espèces; enfin, les inventaires antérieurs utilisés pour la comparaison ont généralement employé des techniques d'empoisonnement ou de capture en plus de l'observation visuelle. Nous n'avons pas employé ces techniques invasives qui auraient fait une différence importante au niveau de la diversité spécifique observée, en particulier pour les espèces cryptiques et de petite taille.
Tableau 2.1. Classement par diversité spécifique des treize familles de poissons récifaux les plus représentées. La colonne espèce donne le nombre d'espèces observées pour chacune de ces familles lors de l'inventaire du lagon du nord-ouest (Yandé à Koumac) en Nouvelle-Calédonie.
Structure de la communauté de poisons
La composition de la communauté locale de poissons récifaux dépend de la variabilité de l'habitat en Nouvelle- Calédonie et plus généralement dans la région indopacifique. La richesse relative de la faune calédonienne provient de la grande diversité de l'habitat du lagon nord-ouest. Les 62 sites d'étude visités ont été choisis de manière à inclure tous les habitats récifaux disponibles. Pour les besoins de l'analyse de la diversité des poissons, les sites ont été ainsi classés par catégorie de récifs : (1) récifs barrières externes, pente interne ou externe, (2) passes de récifs barrières externes, (3) arrière de récifs barrières, (3) récifs du lagon intermédiaire (4) récifs du lagon interne. Ces classes de récifs présentent de nombreuses variations en termes d'influence des courants, d'exposition et de sédimentation. Tous ces facteurs influencent la structure des communautés de poissons. Nous n'avons pu analyser nos résultats qu'au niveau des classes globales d'habitat présentées ci-dessus. La diversité de l'habitat se traduit par une grande variation du nombre d'espèces répertoriées. Sur le site présentant la plus grande diversité, le nombre d'espèces observées était de 172, un chiffre proche du niveau exceptionnellement élevé (200 espèces et plus) relevé dans le centre de grande diversité de la région en Indonésie, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et aux îles Salomon, appelé le « Triangle de corail » (Allen 2002a, 2002b, 2005a, 2006).
Tableau 2.2. Nombre d'espèces de poissons récifaux observées sur chaque site lors de l'inventaire de la côte Nord-ouest (Yandé à Koumac) de Nouvelle- Calédonie. Le niveau de visibilité sous-marine et la classification du récif et de l'habitat sont indiqués. Pour l'inventaire des poissons, les catégories de récifs utilisées sont les suivantes : (1) avant des récifs barrières externes noté comme barrière externe, avant; (2) passes de récifs barrières externes noté comme barrière externe, passe ; (3) arrière des récifs barrières externes noté comme barrière externe, arrière; (3) récifs du lagon intermédiaire et (4) récifs du lagon interne.
Le tableau 2.2 présente le nombre d'espèces trouvées sur chaque site. Les chiffres varient entre 46 et 172 espèces sur les 57 sites analysés, avec une moyenne de 117 espèces par site. Quatre sites de l'inventaire (34, 57, 30 et 31) n'ont pas été inclus dans l'analyse. Le site 57 est un récif du lagon intermédiaire avec une visibilité d'1 mètre tandis que les trois autres sites sont des récifs du lagon interne avec une visibilité comprise entre 1 et 2 mètres, un niveau bien inférieur aux limites pratiques des méthodes employées.
Les sites les plus riches en poissons récifaux
Les résultats montrent que les habitats proches des principales passes doivent posséder une grande diversité de poissons (hotspots). Ceci s'explique sans doute par la présence de structures complexes d'habitat, de courants très dynamiques et variés dans ces zones, de l'effet des entrées et sorties des poissons à travers les passes ainsi que de la situation semiabritée favorable à la plupart des espèces.
Quatre autres sites parmi les 10 premiers en termes de diversité (sites 7, 6, 9 et 80) sont des pentes internes de récifs barrières situés à proximité des passes. Ce résultat n'est pas vraiment une surprise compte tenu de l'influence des courants océaniques, de la grande propreté de l'eau et de la grande complexité physique des récifs à ces endroits. Vu la situation de ces sites, il est également possible que la proximité des principales passes aient une influence positive sur la diversité des communautés. Il faut noter que quatre des dix premiers sites se trouvent près de l'île de Yandé. Deux autres sites de cette île sont classés entre la 11 et la 20ème place en termes de diversité.
L'analyse de la diversité des poissons (tableau 2.3) en fonction des sites indique que les récifs barrières externes présentent la plus grande diversité avec 141 espèces par site. La diversité la plus faible est enregistrée sur les récifs de lagon interne avec 81 espèces en moyenne.
Tableau 2.3. Nombre de sites effectués par catégories de récif ainsi que moyenne et gamme du nombre d'espèces observées lors de l'inventaire. Pour l'inventaire des poissons, les catégories de récifs utilisées sont les suivantes : (1) avant des récifs barrières externes noté comme barrière externe, avant; (2) passes de récifs barrières externes noté comme barrière externe, passe; (3) arrière des récifs barrières externes noté comme barrière externe, arrière; (3) récifs du lagon intermédiaire et (4) récifs du lagon interne.
Les inventaires de la plupart des récifs internes, et dans une moindre mesure des récifs intermédiaires ont été réalisés dans des conditions de mauvaise visibilité. Le nombre relativement faible d'espèces répertoriées sur les récifs internes peut s'expliquer par les difficultés d'échantillonnage causées par le manque de visibilité. Il est probable que le niveau important de sédiments dans la colonne d'eau ait, à la longue, un impact négatif sur la qualité de l'habitat et par conséquent sur la diversité de poissons. La relation de cause à effet entre les niveaux de sédiments, l'impact sur l'habitat et la diversité ne peut être déterminée par la méthode employée ici.
Indice de diversité des poissons coralliens (CFDI)
Gerald Allen (1998) a développé une formule permettant d'estimer le nombre total d'espèces de poissons attendues à partir du comptage de six familles dominantes de poissons récifaux. La technique utilise une formule basée sur une analyse statistique approfondie de données collectées sur un vaste ensemble de sites d'étude. L'autre grand avantage de cette analyse est la possibilité de comparer plus précisément la diversité et la structure des communautés de poissons entre différentes zones géographiques et d'examiner les changements enregistrés suite aux actions de gestion ou à l'évolution de la situation environnementale.
Pour analyser les résultats de cette étude, nous avons utilisé la formule développée pour les zones relativement restreintes (surface marine environnante inférieure à 2000 km²) :
Nombre total attendu d'espèces de poissons des récifs
La valeur du CFDI pour cette étude est obtenue en additionnant le nombre d'espèces répertoriées pour les six familles suivantes : Labridae (75), Pomacentridae (71), Acanthuridae (29), Chaetodontidae (28), Scaridae (20) et Pomacanthidae (11). La valeur du CFDI est de 234.
Le résultat indique que le nombre théorique d'espèces de cette zone est d'environ 773. Ce chiffre ne correspond ni au nombre d'espèces connues de 1019 pour la Nouvelle- Calédonie ni au chiffre de 526 espèces déterminé lors de cette étude.
Le tableau 2.4 présente les valeurs du CFDI, le total estimatif d'espèces de poissons prédit par la formule de CFDI et le nombre connu d'espèces pour un ensemble de pays du Pacifique, classés d'est en ouest. Les résultats de cet inventaire sont conformes à la tendance biogéographique globale qui place la Nouvelle-Calédonie à la limite du « Triangle de corail », zone connue pour posséder la diversité mondiale la plus forte. Globalement, le niveau de diversité est supérieur ou comparable à toutes les zones sauf au centre de diversité des récifs coralliens Indonésie/Papouasie-Nouvelle- Guinée/îles Salomon. Les chiffres trouvés ici sont également comparables à ceux déterminés lors de l'inventaire effectué par Conservation International des récifs coralliens au large du mont Panié (lagon du nord-est) en Nouvelle-Calédonie (Evans 2006).
Tableau 2.4. Index de diversité des poissons coralliens (CFDI) pour des localités spécifiques de la région indopacifique. Toutes les données proviennent d'Allen (2002a, 2002b) sauf de la présente étude (Kerr) et du lagon du mont Panié en Nouvelle Calédonie d'après Evans (2006) (les deux sont en gras).
Espèces menaces
Onze espèces répertoriées lors de cet inventaire font partie de la Liste rouge de l'UICN (tableau 2.5). Ce sont des espèces remarquables et présentes sur un certain nombre de sites.
Nouvelles observations pour la Nouvelle-Calédonie
Cet inventaire a permis d'étendre l'aire de répartition de deux espèces (tableau 2.6) jusqu'à présent jamais observée en Nouvelle-Calédonie. Affirmation soutenue sur la base de la liste établie par Fricke et Kulbicki (2006).
Une espèce de la famille des Gobiidae qui n'avait pas été auparavant observée en Nouvelle-Calédonie a été trouvée. L'identification de cette espèce s'est basée sur Allen et al (2005b) et Fricke et Kulbicki (2006). Le poisson a été identifié comme Asterropteryx striatus, au nom commun anglais de « striped gobi » donné par Allen. Il a été trouvé sur onze sites. Trois photos d'identification de qualité faible à modérée d'Asterropteryx striatus ont été prises et archivées. La deuxième nouvelle espèce pour la Nouvelle-Calédonie était Plectroglyphidodon phoenixensis de la famille des Pomacentridae. Elle a été observée sur deux sites et une photo de bonne qualité a été prise et archivée. Ces deux nouvelles espèces pour la Nouvelle-Calédonie avaient été auparavant observées en Indonésie ou encore dans la région de la Grande barrière de corail. On pouvait donc s'attendre à les trouver en Nouvelle-Calédonie.
Une autre observation notable était celle, faite sur un seul site (49), d'une espèce de la famille des Gobiidae appelée Tomiyamichythys oni, au nom commun anglais de « monster shrimp goby » donné par Allen. Cette espèce n'a été répertoriée qu'une seule fois auparavant, lors d'un inventaire en 2006 réalise par le WWF dans le lagon nord de la Nouvelle- Calédonie (G. Allen com. pers.). Une photographie de bonne qualité a été prise et se trouve en possession de l'auteur.
Tableau 2.5 : espèces observées pendant l'inventaire et présentes sur la Liste rouge de l'UICN. Leur statut selon cette liste indiqué à coté de chaque espèce. Les espèces sont classées par famille en ordre alphabétique.
RECOMMANDATIONS DE CONSERVATION
La Nouvelle-Calédonie a des connexions biogéographiques importantes avec le « Triangle de corail » (Roberts et al 2002). Compte tenu des menaces liées au réchauffement climatique, la situation de la Nouvelle-Calédonie qui se trouve à une latitude inférieure présente un intérêt régional important en matière de conservation de la biodiversité et de sa planification. Alors que les systèmes récifaux situés plus au nord connaissent d'avantage d'épisodes de blanchissement corallien à cause de « points chauds océaniques » (augmentation de la température de la mer) plus fréquents, le lagon de la Nouvelle-Calédonie peut jouer un rôle important en tant que refuge pour la biodiversité de la région indopacifique. Ceci renforce l'importance de la création d'un réseau d'aires marines protégées (AMP) en Nouvelle-Calédonie.
Le lagon nord-ouest de la Nouvelle-Calédonie présente une diversité presque exhaustive des habitats de récifs coralliens. Certaines zones peuvent être décrites comme subissant peu d'impact anthropique De tels endroits sont de plus en plus rares dans le Pacifique. Deux zones sont particulièrement remarquables : l'île de Yandé et sa passe ainsi que la passe de Kendec. Elles sont fortement prioritaires et méritent d'être incluses dans un réseau d'AMP. L'île de Yandé et sa passe présentent une grande complexité d'habitats et un ensemble unique de facteurs géologiques. Il s'agit d'une île élevée près d'un passe importante. Il en résulte un ensemble très complexe de courants et de conditions d'exposition, créant un les conditions optimales pour la diversité des poissons. Les sites autour de l'île de Yandé et de la passé de Yandé sont classés premiers sur les 10 sites à plus forte diversité.
Tableau 2.6. Nouvelles observations de poissons récifaux pour la Nouvelle- Calédonie. La famille et le nom spécifique des nouvelles espèces ainsi que les sites d'observation sont indiqués.
La passe de Kendec est similaire à la passe de Yandé car il s'agit aussi d'une passe large avec un fort courant et une diversité d'habitats importante. Les sites de la passe de Kendec présentent une diversité relativement élevée de poissons malgré des indices qui laissent supposer une certaine pression de pêche possiblement significative. Nos résultats montrent que cette zone est très productive et importante pour la diversité des poissons. Il est probable que les récifs de cette zone réagiront très favorablement à une protection de haut niveau. Compte tenu de la forte biodiversité, de la valeur des habitats et de la menace d'une pression de pêche accrue, cette zone devrait être également considérée prioritaire pour la conservation et incluse dans un réseau d'AMP.
L'autre recommandation essentielle de la planification des AMP est d'inclure, dans la mesure du possible, tous les différents types d'habitats de la région. Cette stratégie permettra de protéger le plus vaste ensemble possible de poissons tout en apportant un appui à toutes les fonctions écologiques telles que la connectivité et les éléments essentiels aux différentes étapes du cycle reproductif de certaines espèces ayant des exigences particulières. Il faut noter que cette approche est également prudente car elle permet de protéger de façon optimale des espèces qui n'ont pas encore été observées et/ou des fonctions écologiques qui sont encore mal comprises. La liste des choses que nous ignorons des écosystèmes récifaux est encore longue.
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