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OCL 2015, 22(6) D602
c
S. Bertucelli, Published by EDP Sciences 2015
DOI: 10.1051/ocl/2015047
Disponible en ligne :
www.ocl-journal.org
Oilseeds & fats Crops and Lipids
OCL
Research Arti cl e –Dossier Open Access
FLAX AND HEMP
Lin et chanvre
La filière du chanvre industriel, éléments de compréhension
macroéconomiques
Sylvestre Bertucelli
Interchanvre, 20 rue Paul Ligneul, 72000 Le Mans, France
Reçu le 5 juin 2015 – Accepté le 10 août 2015
Résumé – La filière du chanvre industriel est d’une dimension économique faible, sans être dans le champ de la
microéconomie. Fournisseuse de fibres, de granulats végétaux (la chènevotte), de graines oléagineuses et de protéines,
elle a dû au cours de son histoire se séparer de son cousin germain le cannabis drogue. Bien que modeste, sa dimension
économique est de régionale à mondiale selon les matières produites. Cette filière est très encadrée par ses organismes
structurants, nationaux et européens.
Mots clés : Chanvre /fibres /chènevottes /graines oléagineuses /tétrahydrocannabinol /agriculture /filière /secteur
économique
Abstract – The French branch of industrial hemp: macroeconomics insights. The branch of industrial hemp is
of low economic dimension, without being in the field of microeconomics. Supplying fibres, plant aggregates (shives),
oilseeds and proteins. The branch has had historically to separate itself from its cousin, the drug cannabis. Although
small, its economical dimension is from regional to global according to produced materials. This sector is very strongly
regulated by its national and European structuring.
Keywords: Hemp /fibre /shives /oilseeds /tetrahydrocannabinol /agriculture /branch /economical sector
1 Le chanvre, ce n’est pas du cannabis?
Cette question, qui colle à la filière du chanvre comme le
sparadrap au Capitaine Haddock doit être abordée sur le fond
et sur la forme, tant elle est complexe et récurrente.
1.1 Sur le plan botanique
Il n’existe définitivement qu’une espèce : le Cannabis
sativa L. La large dissémination de cette espèce, présente à
l’état natif entre les deux cercles polaires, couplée à sa forte
réactivité au photopériodisme et à la chaleur, a naturellement
différencié des types de populations de Cannabis sativa L.
plus ou moins riches en tétrahydrocannabinols. À l’état natif,
les populations les plus septentrionales (dénommées chanvres
« russes») sont celles qui présentent le taux de delta 9 tétrahy-
Correspondance :
sylvestre.bertucelli@interchanvre.org
drocannabinol (THC) le plus bas (0,5 %1) alors que les popu-
lations tropicales présentent les taux de THC les plus hauts (2
à5%).
1.2 Sur le plan sélection
L’homme a concentré le pool génétique en deux voies.
–La recherche du caractère fibre, à partir des chanvres
« russes » pour créer une « sous-espèce » de chanvre dont
les taux de THC résiduels sont inférieurs à 0,3 % : le
Cannabis sativa sativa.
–La recherche du caractère drogue, à partir des chanvres
« tropicaux », dont le taux de THC est supérieur à 5 %,
le Cannabis sativa indica.
1Taux relevé avec la méthode communautaire d’analyse des
variétés (Règlement (CE) No. 1122/2009 de la Commission du
30 novembre 2009).
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Dossier
S. Bertucelli : OCL 2015, 22(6) D602
La capacité de croisement totale entre les deux sous-espèceset
la complète fertilité des descendances, très largement utilisée
par les sélectionneurs, est la preuve, si nécessaire, qu’il existe
une seule et unique espèce.
Sur le plan règlementaire, il existe là aussi un seul groupe
de codes douaniers (NC 5302 et 5302 10 00), un seul article
au Code de la santé publique français (Article R5132-86),
une seule rubrique au catalogue communautaire des espèces
de grandes cultures (A 63). La différenciation vient de l’aspect
légal ou non de telle variété ou de tel usage.
1.3 Sur le plan agronomique et agricole
Il existe de fait deux cultures, tant elles sont différentes au
vu de la production recherchée.
–Implantation de l’ordre de 1 pied/m2en culture « drogue »,
pour favoriser la dominance axillaire de ces variétés, le
THC étant un exsudat présent au niveau des poils sé-
créteurs concentrés prioritairement sur les fleurs puis les
feuilles. L’intérêt pour la plante de la présence du THC n’a
jamais été compris par ailleurs. Il pourrait avoir un effet ré-
pulsif contre les prédateurs. On remarque que les variétés
aux taux de THC les plus bas subissent plus d’attaques des
petits mammifères et des insectes.
–Implantation de l’ordre de 150 pieds/m2en culture
« fibre », favorisant la dominance apicale de ces variétés,
les fibres se trouvant dans la tige.
1.4 Sur le plan image et communication, la différence
est plus floue
–Le chanvre « fibre », tout en cherchant à se forger une
image complètement déconnectée de la drogue, a parfois
joué sur l’attractivité générée par le cannabis pour véhicu-
ler son marketing.
–Le cannabis « drogue» a toujours essayé de créer des ponts
psychologiques avec son demi-frère, en véhiculant le mes-
sage du chanvre « bon à tout faire », qui de ce fait ne peut
pas être mauvais, y compris pour l’aspect psychotrope.
1.5 Sur le plan économique
En Europe et en Amérique du Nord du moins, la différen-
ciation était jusqu’à ce jour claire :
–Fibres, chènevotte et graines sont l’apanage de la filière
« chanvre ».
–Le THC est l’apanage de la filière « drogue » et de la
médecine.
L’engouement récent au niveau mondial sur le cannabidiol,
sorte de THC non euphorisant, et ses vertus réelles ou sup-
posées pour le traitement de troubles neurologiques, rend plus
floue la dichotomie prévalant à ce jour.
La chaîne de biosynthèse des cannabinoïdes est la sui-
vante (De Meijer et al.,2003,2005):
Les variétés « fibres » classiques contiennent 20 fois plus de
CBD que de THC. Les variétés drogues contiennent 20 fois
plus de THC que de CBD. les variétés intermédiaires ont des
taux de CBD et de THC entre ces deux limites. Pour les usages
médicaux, le CBD doit toutefois être purifié du THC résiduel,
ce qui se révèle compliqué vu la proximité des deux molécules.
Les variétés sans THC n’ont pas de CBD non plus, la
chaîne de biosynthèse des cannabinoïdes étant interrompue
après le cannabigérol par absence des enzymes de transforma-
tion (Fournier, 2000).
En résumé, cette dualité chanvre/cannabis, est toutefois
mieux acceptée que celle entre chien et loup, au vu du carac-
tère végétal de l’espèce.
2 La filière du chanvre : vision horizontale
et verticale
Il n’existe pas de définition absolue de ce qu’est une fi-
lière économique, et les contours flous de cette notion peuvent
mener à des rapprochements hâtifs. Nous utiliserons ici la dé-
finition personnelle suivante : « Une filière est une succession
de maillons économiques interdépendants ayant conscience de
cette interdépendance.» La filière s’arrête au premier acteur
n’ayant pas conscience de cette interdépendance, car ce sera le
premier à agir dans son seul intérêt et à ne pas intégrer ami-
nima les intérêts des autres acteurs de la filière dans ses choix
stratégiques.
Ainsi donc, la filière chanvre peut-elle être appréhendée
géographiquement (ou horizontalement) comme d’amont en
aval (verticalement). Nous présenterons ici les deux visions.
2.1 Vision géographique
2.1.1 Un marché mondial, la graine
Cette graine oléagineuse, appelée chènevis, dont le rende-
ment est de l’ordre de 1 t/ha est très majoritairement utilisée
dans l’alimentation d’oiseaux d’agréments (90 %) et dans les
appâts de pêche. Son prix et sa rareté lui interdisent l’accès à
l’alimentation animale de production. Le marché de l’alimen-
tation humaine se développe lentement mais régulièrement,
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surtout en Europe du Nord et en Amérique du Nord (et prin-
cipalement en agriculture biologique) au vu de l’équilibre in-
téressant en oméga 6/oméga 3 de 4/1, alors que la consom-
mation humaine de graisse dans les pays riches de l’ordre de
20/1(10/1 en France) est beaucoup trop riche en oméga 6
(ratio idéal 5/1). Les tonnages de graines produits en Union
européenne sont de l’ordre de 7000 à 10 000 T, et les im-
portations d’origine chinoise, arythmiques, peuvent être d’au-
tant. Parmi les acteurs d’aval, seuls ceux de grande dimension
comme Triballat, Hempro et Bafa Neu, sont impliqués dans
la filière chanvre. Nous notons une forte volatilité des cours
du chènevis conventionnel, le caractère imprédictible de ces
cours et des retournements de tendance brusques et parfois dé-
couplés de toute réalité du marché physique.
Les cours, hors évènements extérieurs, évoluent en sym-
pathie avec ceux du tournesol et avec un décalage temporel de
six mois. Or, dans les formules d’aliment pour oiseaux, le chè-
nevis est surtout substituable par le millet et l’alpiste. Une des
explications peut être la fluctuation des importations chinoises
sur le marché européen. En Chine, la production de chanvre,
donc de chènevis, n’est pas structurée et est disséminée sur
un très grand nombre d’exploitations, ce qui rend la collecte
complexe. Les estimations vont de 10 000 à 100 000 ha de
culture annuelle. Il semblerait que le frein à l’exportation soit
le manque de camions affectables à ce marché. En cas de
hausse du prix du tournesol, la flotte de camions est allouée
à son transport vers les ports, d’où une diminution des expor-
tations de chènevis vers l’Europe et une hausse des prix. En cas
de baisse des cours du tournesol, des camions sont disponibles
pour le transport du chènevis.
Le second élément est le volume et la qualité de la
production communautaire, particulièrement française (5000
à 7000 t). Les acteurs français tentent avec difficulté de limi-
ter les fluctuations en contractualisant avant récolte. Derniè-
rement, nous notons une forte demande à destination de l’ali-
mentation humaine, particulièrement en agriculture biologique
(dont les prix sont découplés du conventionnel). L’huile de
chanvre et la protéine de chanvre sont très prisées en Amérique
du Nord. Le Canada, avec 20 000 ha de production à destina-
tion graine exclusivement, alimente majoritairement ce mar-
ché. Nous notons en 2015 dans l’Union européenne une crois-
sance forte et imprévue des emblavements à destination graine
exclusivement (2000 ha sur 20 000 ha de production commu-
nautaire) en Italie, dans les Balkans et dans les pays baltes. Les
acteurs impliqués n’ont pas d’usine de décorticage des pailles,
ce qui pose deux questions :
–Quel est l’équilibre économique dans l’Union européenne
pour une production exclusive de graines ?
–Comment se débarrasser des pailles, très difficiles à broyer
au champ et pouvant être un handicap pour la culture
suivante ?
Au Canada, la question ne se pose pas, les variétés utilisées
étant très courtes. Les pailles ayant passé l’hiver sous la neige
sont détruites au printemps.
Le cours de la graine de chanvre conventionnelle fluctue
de 350 e/t à plus de 1000 e/t. Pour le chènevis produit en agri-
culture biologique, les prix peuvent aller de 1000 à 1500 e/t.
La graine de chanvre est récoltée avec une moissonneuse-
batteuse avant la récolte des pailles. Ce type d’outil est acces-
sible et permet un équipement individuel des exploitations. Un
autre système de récolte est utilisé, bien que d’une technolo-
gie moins éprouvée. Des automoteurs de type ensileuses mo-
difiées (cf. le paragraphe « fibres techniques ») sont équipées
d’une barre de coupe de moissonneuse pour récolter pailles et
graines en un seul passage. Le coût de ces outils ne permet pas
un équipement individuel.
2.1.2 La fibre, un marché de dimension européenne
La fibre n’est plus depuis les années 1950–1960 majori-
tairement utilisée dans le textile. Seule une part infime de la
production communautaire est aujourd’hui destinée à ce mar-
ché, malgré une demande croissante.
i. Process textile (fibres longue >500 mm)
Historiquement la plante était arrachée manuellement,
rouie à l’eau et décortiquée manuellement.
Le rouissage des pailles est l’attaque biochimique par des
bactéries détruisant préférentiellement le « bois » de la
paille (la chènevotte) composé d’hémicellulose et libé-
rant la cellulose. Il n’est efficace en chanvre à ce jour
queparimmersiondansl’eau,enbassinouenrivière.Il
s’ensuit une pollution olfactive et une eutrophisation des
cours d’eau depuis longtemps inacceptables en Europe de
l’Ouest. Des méthodes alternatives, enzymatiques ou chi-
miques ont été testées, sans efficacité économique. L’étape
suivante est un décorticage faiblement mécanisé fortement
consommateur de main d’œuvre, donc cher. En effet la
filière du chanvre n’a pas pu, ou pas su, s’inspirer de la
mécanisation de la filière lin, basée en amont sur une ex-
cellente homogénéité en taille des pailles, dimensionnées
aux environs de 1,2 m, permettantles process d’arrachage,
de parallélisation au sol, rouissage au champ, retourne-
ment, enroulage, déroulage, teillage, peignage et filature,
tout cela en conservant une longueur du faisceau de fibre
supérieure à 500 mm.
La production de fibres longues de chanvre existe aujour-
d’hui en Chine, dans des quantités non estimables, pays où
l’acceptabilité sociale des nuisances du rouissage à l’eau
est plus importante, et les coûts de main d’œuvre plus
faibles. Toutefois, les acteurs européens travaillent (en R
et D à ce jour) à mettre au point des process permettant
l’extraction de fibres longues de chanvre pour le textile,
en liant des facteurs génétiques (pailles courtes, variétés
déficientes en chlorophylle) et mécaniques (machinisme
dédié). Parée de nombreuses vertus comme toute matière
première difficilement accessible, la fibre de chanvre tex-
tile offrirait une forte protection contre les ultraviolets, se-
rait hypoallergénique et thermorégulatrice (confort d’été).
Nous y voyons surtout une démarche marketing de diffé-
renciation de gamme ciblant une catégorie de consomma-
teurs en recherche de naturalité. À ce jour, aucune donnée
de marché sérieuse n’existe pourla fibre textile de chanvre.
ii. Process papetier (fibre courte <30 mm)
La fibre papetière est issue d’un process agro-industriel
tout à fait différent : ce process d’extraction des fibres
de chanvre quasi-exclusif de 1970 à 2000 en Europe
de l’Ouest est basé sur un décorticage mécanique par
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broyage, secouage, criblage et dépoussiérage d’une paille
de chanvre.
La paille, haute de plus de 2 m et d’un rendement de
l’ordre de 8 t/ha, est coupée au champ soit par une fau-
cheuse latérale de type « Busatis » (outil classique pour
le foin) et couchée au sol, soit par une faucheuse condi-
tionneuse trainée du type Hesston, qui brise la paille gros-
sièrement. Il n’est pas pratiqué de rouissage régulé. Le
but est de sécher la paille au plus tôt pour sécuriser la
récolte. Un ou plusieurs andainages sont pratiqués pour
permettre un meilleur séchage et faciliter le pressage. La
paille, pressée en balles rondes, est ensuite guillotinée en
usine, puis broyée. De ce fait, la longueur unitaire du fais-
ceau de fibres est de 30 mm au maximum. Le princi-
pal critère qualitatif est le taux de charge résiduel (masse
de chènevotte présente dans la masse totale). De manière
standard, il est de 15 %. Les prix de cette matière sont
de l’ordre de 400 à 500 e/t départ usine. Ces prix re-
lativement stables sont négociés annuellement, au moins
pour les plus gros fournisseurs. La production communau-
taire est de l’ordre de 20000 t/an à destination des papiers
spéciaux et papiers fins : papiers médicaux, isolants élec-
triques, filtration, cigarettes. Ce process nécessite un ma-
tériel agricole abordable permettant un équipement indivi-
duel des exploitations.
iii. Le process « fibre technique »
La fibre « technique» est issue d’un process intermédiaire
entre les deux précédents. Mis au point en Pologne dans
le début des années 2000, ce process a pour but de conser-
ver au faisceau de fibres une longueur minimale sans pas-
ser par un process d’arrachage et de rouissage à l’eau.
La paille est fauchée par une ensileuse modifiée dont le
nombre de couteaux est réduit à un, deux ou trois au lieu
des 24 ou 36 couteaux classiquement installés. La paille est
tronçonnée en morceaux très homogènes (de 40 à 60 cm
selon les réglages). Il s’agit en fait de l’anticipation au
champ de l’étape du guillotinage, mais en conservant de
la longueur à la fibre. La paille peut être ensuite pressée en
balles parallépipédiques haute densité (dites « balles car-
rées »), optimisant le transport et le stockage. La suite du
process est similaire à celui du chanvre papetier, mais la
fibre issue peut aisément conserver une longueur de fais-
ceau de 150 mm, ouvrant les portes du marché des mats
d’isolation, des renforts p lasturgiques et du paratextile. Les
critères de qualité sont le taux de charge, qui doit être
entre 0 et 3 % pour ces marchés, la longueur des faisceaux
de fibres et leur couleur, qui est l’indice du niveau d’at-
taque bactérien induisantla résistance de la fibre et surtout
l’odeur, élément important en milieu confiné (construc-
tion, transport). Le prix de ces matières est de l’ordre
de 750 à 850 e/t. Le marché communautaire est de l’ordre
de 10 000 t. La filière s’astreint à conserver une stabilité
importante aux prix de ces fibres, élément nécessaire pour
une fourniture pérenneà l’industrie de la construction et du
transport. En cela, elle se démarque positivement des fibres
concurrentes (fibres de coton, fibres de lin). Le coût de
l’équipement de récolte ne permet pas un investissement
agricole individuel. Il doit être amorti sur au moins 250 ha
de cultures annuelles.
2.1.3 La chènevotte : un marché régional à national
Jusque dans les années 1980, la chènevotte était un sous-
produit de la filière, très mal valorisé. La dégradation régulière
des marges de l’activité en chanvre, en lien avec la diminu-
tion des soutiens communautaires à la production de chanvre,
a poussé la filière à valoriser cette matière (4 t par ha). La chè-
nevotte est passée en 20 ans du statut de sous-produit à celui
de coproduit, à équivalence de poids économique avec la fibre
et la graine.
Initialement la filière française (La Chanvrière de l’Aube
en particulier) a créé ex nihilo le marché du paillage équin puis
du paillage horticole. Le paillage pour les animaux de produc-
tion (bovins, volailles) est limité au marché de proximité, la
matière étant trop chère et trop peu abondante pour envisager
une stratégie régionale ou nationale.
Par la suite, la filière (française principalement) s’est pen-
chée sur les possibilités d’usage de la chènevotte comme maté-
riau de construction, sous forme de « béton » de chanvre (béton
=mélange d’un liant minéral et d’un granulat). Cela a abouti
à la création en 1999 de l’association Construire en Chanvre
(cf. le paragraphe structuration). En France, en 2014, le ton-
nage utilisé dans la construction est de l’ordre de 4000 t, soit
de l’ordre de 10 % de la chènevotte produite. Ce segment de
marché, sur lequel la filière investit depuis longtemps, tarde à
s’ouvrir. Le marasme actuel du marché et le conservatisme in-
hérent à ce secteur sont potentiellement en cause. La filière,
ayant vu s’ouvrir le marché des renforts plasturgiques après
dix ans d’effort, continue à parier sur le béton de chanvre.
Les prix de la chènevotte peuvent être très fluctuants (de
150 à 300 e/t vrac départ pour le paillage), sa production res-
tant incidente à la production de fibre.
2.1.4 Les autres composés, THC et CBD : un marché
virtuel ?
Nous parlons ici du marché légal de ces molécules. Le
THC médical est disponible aujourd’hui sous une seule forme
médicamenteuse en Europe, le Sativex. Le CBD est pour
l’instant toléré à la vente, exclusivement par correspondance.
Concernant ce dernier, s’il est avéré qu’il présente des ver-
tus médicinales, il y a fort à parier que le législateur en as-
surera à court terme la règlementation. Le poids économique
et le volume d’activité représentés par ces deux molécules
sont méconnus. La filière est en questionnement concernant la
prise en charge ou non de cette problématiquedans son champ
d’activité.
2.2 Structuration de filière, vision verticale
Les filières française et européenne se sont dotées d’orga-
nismes structurants qui ont eu un rôle majeur dans le maintien
de cette filière et dans son développement actuel. La filière
française fait figure de modèle (Meynard, 2013).
Des années 1960 à 1980, la filière française a travaillé
en sélection avec l’Institut National de la Recherche Agro-
nomique (INRA). Par la suite, l’INRA a abandonné ce pro-
gramme. La filière a repris cette activité à son compte
par l’intermédiaire de la Fédération Nationale des Produc-
teurs de Chanvre (FNPC), organisme associatif représentant
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l’ensemble des bassins de productions nationaux (taux de re-
présentativité en 2015 : 94 % de l’activité). La FNPC est gé-
rée par un conseil d’administration d’agriculteurs élus dans
des syndicats, groupements et associations régionaux. Sa prin-
cipale activité est la sélection variétale, en chanvre exclusi-
vement. Les variétés sont mises à dispositions d’organismes
de multiplication, comme la Coopérative Centrale des Pro-
ducteurs de semences de Chanvre (CCPSC) pour le marché
européen. Cet exemple unique de sélection variétale considé-
rée comme un bien commun de la filière marque la très forte
conscience de l’importancede cette activité. Qui dit bien com-
mun ne dit pas gratuité mais mise à disposition équitable pour
tous. La FNPC partage une équipe technique d’une quinzaine
de personne avec la CCPSC, structure dédiée exclusivement à
la multiplication de cette espèce, et qui fournit 95 % des se-
mences utilisées dans l’Union européenne.
La FNPC siège au titre du collège producteur dans une in-
terprofession reconnue par le Code rural, Interchanvre, aux cô-
tés de l’Union des Transformateurs de Chanvre, qui regroupe
la grande majorité des acteurs industriels nationaux (représen-
tativité : 92 % de l’activité).
Interchanvre collecte, sur la base d’un accord interprofes-
sionnel, des Cotisations Volontaires Obligatoires (CVO), c’est-
à-dire des cotisations volontairement décidées par la filière et
rendues obligatoires au paiement par décision conjointe des
Ministres des Finances et de l’Agriculture. Avec ces fonds, In-
terchanvre réalise des actions de développement et de repré-
sentation, en partenariat avec Terres Inovia.
Cette structuration facilite par son aspect forum (création
de lieux d’échanges), la fluidité relationnelle amont-aval ainsi
que l’organisation du marché.
Interchanvre est partenaire/administrateur de la Confédéra-
tion Européenne du Lin et du Chanvre, organisme de promo-
tion, de communication et de défense de ces deux filières, de
European Industrial Hemp Association, acteur de représenta-
tion politique au niveau communautaire et centre de ressource
(think thank).
Interchanvre est partenaire/administrateur de Construire en
Chanvre, association de développement du marché du chanvre
dans la construction au niveau français. Construire en Chanvre
est impliqué dans la formation des artisans, maîtres d’œuvre et
architectes, dans la recherche et le développement, dans l’in-
formation et dans la représentation d’intérêt. Elle regroupe ver-
ticalement les acteurs du chanvre bâtiment :
–producteurs de matière végétale (chènevotte);
–producteurs de liants minéraux ;
–professionnels de la construction ;
–centres de recherches ;
–organismes de représentation régionale.
2.3 Stratégie politique et soutiens d’État
Le chanvre ayant longtemps été un élément majeur de
la marine (voiles, cordage), sa culture et son industrie ont
longtemps été considérées par les nations comme un élément
essentiel des forces navales. Le chanvre recevait même des
subventions à la cultureen 1880 en France, soit bien longtemps
avant la Politique AgricoleCommune. .. De 1970 à 2000, pen-
dant les années d’abondance de crédits communautaires, le
chanvre et le lin étaient généreusementsoutenus par une Orga-
nisation Commune de Marché (OCM) dédiée, qui a pu long-
temps perdurer dans la discrétion grâce à sa petite dimension.
Le mouvement global d’uniformisation de l’OCM Unique a
marqué à partir de 2000 une baisse des soutiens communau-
taires. En faisant valoir sa spécificité de culture en l’absence
totale de traitement phytosanitaire et ses débouchés « puits de
carbone » se substituant à des matières fortement énergivores
(fibres minérales) et/ou éléments de systèmes constructifs for-
tement isolants (béton de chanvre, « laines » de chanvre), la fi-
lière chanvre a dans différents pays de l’Union Européenne pu
bénéficier d’avantages tels que des soutiens couplés ou d’inté-
gration dans les politiques « vertes ».
3 Quel avenir pour le chanvre?
Au niveau européen, le chanvre représente 20000 ha
sur 180 000000 ha de surface agricole utile – soit 1 ha/9000
–(1ha/2500 en France). Avec ce faible niveau de représenta-
tivité, le chanvre ne doit, sur le long terme, sa survie passée
et future qu’aux qualités intrinsèques de ses acteurs. La valo-
risation actuelle de tous ses composants et la forte structura-
tion de la filière sont des gages de pérennité, au moins dans
le schéma actuel. La vraie question est le passage du statut de
« cryptoactivité » économique d’avant 2000 à la mise en lu-
mière économico-médiatique, sur les segments très versatiles
de l’économie verte, du paramédical et de l’habillement.
La filière française semble vouloir avancer pas à pas en as-
surant chacun de ceux-ci, et sécuriser les marchés industriels
de la construction, des renforts plasturgiques et de l’alimen-
taire, avant de se lancer corps et âme dans les autres marchés
(médical, habillement). Les autres acteurs communautaires,
classiquement moins conservateurs, sont déjà en chemin sur
les sentiers mal balisés du médicament. Reste à savoir quelle
est la bonne stratégie.
Références
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phenotype in Cannabis sativa L. (II) : cannabigerol predominant
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d’Agriculture de France 86: 209–217.
Meynard J-M, Messéan A, Charlier A, et al. 2013. Freins et leviers à
la diversification des cultures : étude au niveau des exploitations
agricoles et des filières. OCL 20: D403.
Cite this article as: Sylvestre Bertucelli. La filière du chanvre industriel, éléments de compréhension macroéconomiques. OCL 2015, 22(6)
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