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Y a-t-il encore une place pour la psychanalyse en psychiatrie de l’enfant ?

Authors:

Abstract

Is there still a place for psychoanalysis in child psychiatry ? Today the reference to psychoanalysis is strongly challenged in the French child psychiatry field. This development can be attributed to various movements both international and local, which have impacted the field of mental health care, not only as object of care, but as societal and economic issues. This article analyzes the diversity or heterogeneity of these different movements as it shows their convergence. Thus are successively analyzed : « globalization of data », « the force of a certain model of scientific rigor », « the rise of economic issues », « the evolution of patients’ rights. » All converge to a sidelining of a psychodynamic approach to children’s mental disorders such as practiced by child psychiatrists for 30 years. How then, in this new context, is it possible to rethink this psychodynamic approach, and to identify concrete room for maneuver that is still available for those who claim to work with this approach, this is what this article is trying to establish.
Y A-T-IL ENCORE UNE PLACE POUR LA PSYCHANALYSE EN PSYCHIATRIE
DE L’ENFANT ?
Stéphanie Palazzi
Érès | « Nouvelle revue de psychosociologie »
2015/2 N° 20 | pages 97 à 112
ISSN 1951-9532
ISBN 9782749248141
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-de-
psychosociologie-2015-2-page-97.htm
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Stéphanie Palazzi 1
« Le dsm a pris trop de place, conduisant à une psychiatrie de la check-list
qui transforme la poésie du patient en prose dsm. »
Allen Frances, corédacteur du dsm
La psychiatrie de l’enfant s’est développée en France dans un lien
de pensée et de pratique avec la psychanalyse. Dans les années 1960
à 1970, les jeunes psychiatres qui défrichaient une nouvelle façon de
soigner l’enfant avaient quatre outils dans leur besace : la politique de
secteur, garantissant une prévention de proximité et un accès au soin
de qualité pour chacun ; les nouvelles molécules de psychotropes, trai-
tant les symptômes les plus problématiques chez l’enfant, essentielle-
ment l’automutilation ou l’absence de sommeil ; enfin, la psychanalyse,
offrant une compréhension psychodynamique, et son corollaire dans les
lieux de soin, la psychothérapie institutionnelle. Les personnalités ratta-
chées à cette pratique française, Lebovici, Diatkine, Lainé, etc., ne sont
plus, mais nombreux sont les pédopsychiatres de secteur de psychiatrie
infanto-juvénile qui sont issus de cette façon de comprendre l’enfant et
son symptôme, sa douleur.
S’il est normal qu’un domaine médical évolue et ajuste la pratique à
la recherche ou aux besoins des patients, on peut poser que l’évolution
Stéphanie Palazzi, psychiatre, psychanalyste, praticien hospitalier 5e secteur de
pédopsychiatrie du Val-de-Marne. dr.palazzi@gmail.com
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de la pédopsychiatrie en France ne relève pas d’un simple ajustement,
il s’est agi d’un véritable changement de paradigme. Les traitements
ont évolué comme dans les autres branches de la médecine, mais,
avant toute chose, c’est la compréhension des troubles qui a changé et
la psychanalyse qui faisait référence il y a une trentaine d’années est
violemment remise en question. À notre sens, cette mise à distance de
la psychanalyse procède de la convergence d’effets de mouvements
différents, tant internationaux que locaux, qui ont impacté le champ de
la santé mentale, non seulement comme objet de soin, mais aussi comme
enjeu sociétal et économique. Ces différents mouvements interagissent
autour de quelques signifiants comme ceux de « mondialisation »,
« évaluation », « science » et « transparence ». Pour que notre propos
soit clair nous les présenterons à travers le prisme de la pédopsychiatrie
française, mais il est bien sûr nécessaire de les mettre en perspective
dans une compréhension systémique, à échelle internationale.
un partage mondial des données
Le savoir, aujourd’hui, se constitue à l’échelle de la mondialisation
et la santé publique se conçoit comme internationale. La classification
internationale des maladies (cim) mise au point dans les années 1940
par l’Organisation mondiale de la santé (oms), traduite dans quarante-
trois langues et valant pour toutes les spécialités, a ainsi pour fonction
de permettre de « diriger l’action sanitaire mondiale 1 ». Pendant de
nombreuses années, la pédopsychiatrie française a fait coexister sa
propre « classification française des troubles mentaux de l’enfant et de
l’adolescent » (cftmea), avec la cim. Ces classifications avaient une
visée statistique afin de permettre d’élaborer les programmes de santé
publique et, longtemps, n’ont pas semblé devoir influer sur le colloque
singulier médecin-malade.
C’est l’usage par les cliniciens français de la classification du
« Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders » (dsm) de l’Ame-
rican Psychiatric Association (apa) et plus particulièrement du dsm-III qui
a bouleversé la donne. En effet, si les versions précédentes s’appuyaient
encore sur une conception de la psychiatrie héritée de la psychanalyse,
le dsm-III a été conçu dans une volonté affichée de rupture, comme
une classification par catégories, essentiellement descriptive. Le mot
« psychose » a disparu du dsm en 1981 et les névroses ont été déman-
telées dans différentes catégories de troubles : agoraphobie, trouble
panique, phobie sociale, anxiété généralisée, etc. Le dsm a toutes les
apparences d’un outil qui facilite l’arbitrage diagnostic et thérapeutique
et les théories étiologiques en sont bannies afin qu’il n’y ait pas obstacle
à l’utilisation du manuel par des praticiens d’orientations théoriques
1. Voir le site de l’oms http://www.who.int/fr
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différentes. Cependant cette classification est victime de son souhait
d’exhaustivité. À vouloir tout faire rentrer dans des catégories, on court
le risque de glisser vers une lecture qui, loin d’être athéorique, décrit tout
comportement comme signe de trouble.
C’est toujours avec cet objectif de ne rien laisser de côté que
les rédacteurs du dsm-V sont passés de l’approche catégorielle à une
approche dimensionnelle. C’est ainsi que le praticien, supposé objectif,
pourra identifier le degré de sévérité du trouble sur le continuum du
spectre de l’autisme ou du spectre de la schizophrénie. Si d’aventure le
même praticien ne trouvait pas chaussure à son pied dans les descriptions
proposées, il pourrait toujours avoir recours à la nouvelle sous-catégorie
« Trouble autrement spécifié », censée être plus performante que la sous-
catégorie « Trouble non spécifié » du dsm-IV. Ainsi, en mixant approche
par continuum et classement par sous-catégories à la dénomination très
floue, on en vient à ce que chacun puisse être diagnostiqué porteur d’un
trouble. Nous renvoyons ici aux propos d’Allen Frances, corédacteur du
dsm-IV, à ses confrères rédacteurs du dsm-V et leur « forte propension à
vouloir médicaliser tous les problèmes de la vie quotidienne » : « Quand
je leur dis qu’ils ne réfléchissent pas aux conséquences, ils répondent que
ce n’est pas de leur ressort, que ce n’est pas leur responsabilité, que leur
responsabilité s’arrête à la science » (Frances, 2013).
l’oBjectivation scientifique
Le développement, dans les années 1970, de la neuro-imagerie, de
la neurobiologie et de la génétique est apparu comme une opportunité
pour enfin comprendre les mécanismes en jeu dans l’apparition des
troubles psychiques. Notre propos n’étant pas centré sur ce sujet qui ne
permet aucune approximation, nous renverrons ici à l’article exhaustif
de François Gonon, neurobiologiste, dans un numéro de la revue Esprit
de 2011. Celui-ci, après une étude des publications scientifiques anglo-
saxonnes, montre que l’engouement du public et des médias pour une
conception neurobiologique de la psychiatrie ne correspond pas à la réalité
des recherches, car à ce jour « les recherches en neurosciences n’ont
abouti ni à la mise au point d’indicateurs biologiques pour le diagnostic
des maladies psychiatriques ni à de nouvelles classes de médicaments
psychotropes » (Gonon, 2011).
Quant aux recherches sur l’origine génétique des troubles mentaux,
elles confirmeraient plutôt l’importance de l’environnement et l’intérêt
qu’il faut porter à l’épigénétique 2, ainsi que l’écrit Sonuga-Barke (2010) :
2. L’épigénétique correspond à l’étude des changements dans l’activité des
gènes n’impliquant pas de modification de la séquence d’adn et pouvant être
transmis lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations qui affectent
la séquence d’adn, les modifications épigénétiques sont réversibles.
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« Les défenseurs les plus acharnés d’une vision génétique déterministe
revoient leur conception et acceptent un rôle central de l’environnement
dans le développement des troubles mentaux. » Nombreux sont les cher-
cheurs qui l’affirment, à ce jour rien ne permet de penser qu’à l’horizon
de quelques années les troubles « psychiques » pourront être décryptés
comme un dysfonctionnement neurobiologique ou d’origine génétique
de l’organe « cerveau » ; pourtant ce discours séduit non seulement les
médias mais aussi les praticiens, au risque de finir par réduire celui qui
exprime sa souffrance à une collection physico-chimique dysfonction-
nelle : « On essaie de localiser ce qu’on ne connaît même pas, comme
l’esthétique, la conscience ou la morale, que les philosophes peinent déjà
à définir » (Guillaume, 2013).
Ainsi, la pédopsychiatrie est aujourd’hui traversée par cet imaginaire
de l’objectivité et de la vérité pleine et entière, révélée par la science.
Seul le visible ferait preuve et le reste, la parole par exemple, relèverait
de l’artefact, de l’incertain, du supplément d’âme, bref du subjectif, nous
dirions de l’affect et de la pensée.
une standardisation des puBlications à linternational
Même si ce mouvement est articulé à ceux que nous venons de
présenter, il mérite d’être spécifié dans ses effets sur la pratique. En
effet, la nécessité de publier dans des revues classées et l’importance
pour les médecins universitaires d’avoir une ouverture à l’international
ont influé sur la pratique de bon nombre de médecins français et princi-
palement ceux des centres hospitaliers universitaires (chu).
La référence à une clinique psychodynamique est devenue quasi
impossible sur la scène de la recherche internationale, sauf à jouer la
carte du village gaulois, ce qu’une revue « étoilée » ne se risquerait pas
à faire. Et si certains chercheurs souhaitent malgré tout se référer à une
clinique psychanalytique, celle-ci, prônant le singulier et l’historicité du
trouble, se prête beaucoup moins à une mise en forme « scientifique »
qu’une clinique dsm ou un protocole de thérapie cognitivo-comporte-
mentale. La publication dans ces revues reconnues étant indispensable
à la carrière des praticiens universitaires, on en est arrivé, en vingt ans,
à la quasi-disparition des enseignants psychiatres d’orientation analy-
tique des facultés de médecine. Si certains psychologues sont encore
formés à la psychanalyse à l’université, les futurs médecins psychiatres
français peuvent faire tout leur cursus sans en entendre parler autre-
ment que comme un pur objet théorique, voire « historique ». La
pratique analytique finissant ainsi par être perçue comme une pratique
passéiste de psychiatres dans l’incapacité d’intégrer les données de la
science.
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le pouvoir « clinique » de la puissance puBlique et des acteurs
économiques
En France, la création en 2009 des agences régionales de santé
(ars), chargées du pilotage du système de santé à l’échelon régional,
et la création en 2004 de la Haute Autorité de santé (has 3), institution
publique indépendante à caractère scientifique contribuant à la régulation
du système de santé par la qualité, ont eu des effets déterminants sur la
pratique. Les ars, pour « permettre une approche plus cohérente et plus
efficace des politiques de santé menées sur un territoire 4 », sont à même
de faire des arbitrages quantitatifs mais aussi qualitatifs, privilégiant telle
pratique au détriment d’une autre. Quant à la has, elle a explicitement
pour mission d’accompagner les professionnels dans l’amélioration de
leurs pratiques pour « optimiser la gestion du panier des biens et services
remboursables 5 ». Les tutelles ont ainsi mis en place des évaluations
régulières des pratiques et des consultations d’experts sur l’état de la
recherche, afin de faire des « recommandations de bonnes pratiques 6 ».
Le sujet est vaste, nous nous attarderons sur quelques points spéci-
fiques. Tout d’abord l’évaluation et plus particulièrement l’évaluation
des psychothérapies. Si les praticiens se réclamant de la psychanalyse
cherchent depuis longtemps à trouver des modalités d’évaluation de leur
pratique (Delattre et Widlöcher, 2003 ; Baruch et coll., 2005 ; Thurin et
coll., 2006 ; Thurin et Thurin, 2010), ils s’accordent à dire combien il leur
est difficile de le faire au regard des standards d’évaluation très cadrés et
essentiellement quantitatifs qui font loi. La psychanalyse, qui en appelle
souvent au déroulement du cas clinique pour expliquer de quel processus
elle relève, en fait donc les frais. « De la recherche des preuves scienti-
fiques visant la vérification des propositions des praticiens, on a basculé
vers un dogmatisme artificiel. Tributaires de la logique de evidence based
medicine, ces critères se sont transformés en orthodoxie méthodolo-
gique, en raison du rôle privilégié accordé aux ecr 7 et aux méta-analyses,
brisant l’équilibre entre les résultats obtenus par des protocoles supposés
3. Code la Sécurité sociale article L161-37.
4. http://www.ars.sante.fr/
5. http://www.has-sante.fr/
6. http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_1101438/fr/tableau-des-recomman-
dations-de-bonne-pratique. La première recommandation de la has concerne la
pratique professionnelle du diagnostic de l’autisme (juin 2005) ; la plus récente,
« Conduite à tenir en médecine de premier recours devant un enfant ou un
adolescent susceptible d’avoir un trouble déficit de l’attention avec ou sans
hyperactivité », date de décembre 2014.
7. ecr : études contrôlées randomisées. Ces études nécessitent de répondre aux
exigences suivantes : un protocole intégrant des critères d’inclusion sévères ; la
randomisation des traitements, alloués de manière aléatoire entre les sujets ; la
constitution de groupes de contrôle ; l’utilisation d’un manuel d’intervention ; les
méta-analyses des études primaires.
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de “qualité expérimentale” et des études “naturalistes”, plus proches de
la réalité du travail réel des cliniciens. Cette “méthodolâtrie” ne pouvait
que creuser le fossé existant entre recherche et clinique » (Fischman,
2009, p. 145).
Concernant les avis experts, nous souhaitons pointer le rôle de
l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui,
placé sous la double tutelle du ministère de la Santé et du ministère de
la Recherche, afin d’assurer la coordination stratégique, scientifique et
opérationnelle de la recherche biomédicale, a un rôle central dans les arbi-
trages « cliniques » des politiques publiques. D’après l’Inserm, « ce rôle
central de coordinateur lui revient naturellement par la qualité scientifique
de ses équipes mais également par sa capacité à assurer une recherche
translationnelle, du laboratoire au lit du patient 8 », mais si l’évaluation
de la qualité des soins en médecine ou chirurgie est relativement objecti-
vable avec des données chiffrées, comme le taux de rechutes ou de mala-
dies nosocomiales, il est difficile de trouver des données quantitatives qui
permettraient de déduire une bonne qualité des soins en pédopsychiatrie.
Quant aux données qualitatives, elles peuvent permettre d’évaluer les
conditions du soin (accueil, locaux…) mais il y en a peu qui soient à
même d’évaluer le soin lui-même. En 2001, la Direction générale de la
santé (dgs) a commandé à l’Inserm une expertise sur une comparaison
de trois approches psychothérapeutiques, l’approche psychodynamique
(psychanalytique), l’approche cognitivo-comportementale (tcc ou théra-
pie cognitivo-comportementale), la thérapie familiale et de couple. À l’arri-
vée, les thérapies cognitivo-comportementales paraissent efficaces dans
un plus grand nombre de troubles, mais la méthodologie laisse perplexe
(Assaraf, 2005). Les experts eux-mêmes constatent que l’évaluation de
l’efficacité des différentes thérapies est difficile car « la description des
pathologies cibles et la définition des objectifs thérapeutiques peuvent
être différentes selon les études en fonction des cadres théoriques sous-
jacents aux approches psychothérapiques » (inserm expertise collective,
2004) et que de nombreuses interférences liées aux événements de
vie et à l’environnement du patient influent sur le cours d’une psycho-
thérapie. On conviendra qu’après toutes ces réserves il est difficile à un
esprit scientifique de cautionner la validité d’une telle étude. C’est en
2005 que l’Inserm a publié un rapport sur les « Troubles des conduites
chez l’enfant et l’adolescent » dont les conclusions ont provoqué des
réactions très vives 9 face à l’ambiguïté idéologique entre prévention et
détection de « l’enfant à risque » dans le cadre d’un suivi systématisé de
8. http://www.inserm.fr/qu-est-ce-que-l-inserm/missions-de-l-institut
9. http://www.pasde0deconduite.org/appel/ : « Pas de 0 de conduite pour les
enfants de 3 ans : Appel en réponse à l’expertise Inserm sur le trouble des
conduites chez l’enfant » (près de 20 000 signatures électroniques enregistrées
depuis le 29 janvier 2006).
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la grossesse à la fin de l’adolescence (Golse, 2006 ; Giampino et Vidal,
2009 ; Thibierge et Hoffmann, 2007).
Enfin, concernant les prises de position cliniques des tutelles, on
notera que lorsqu’en mai 2013 Mme Carlotti, ministre 10, a présenté le troi-
sième Plan autisme (2014-2017), elle a usé d’une légitimité de gestion-
naire pour se poser en clinicienne anti-psychanalyse. « En France, depuis
quarante ans, l’approche psychanalytique est partout […] Il est temps
de laisser la place à d’autres méthodes pour une raison simple : ce sont
celles qui marchent et qui sont recommandées par la Haute Autorité de
santé […] Que les choses soient claires, n’auront les moyens pour agir
que les établissements qui travailleront dans le sens où nous leur deman-
derons de travailler 11. »
Nous ne nous attarderons pas sur les effets des acteurs écono-
miques, mais cela ne doit pas laisser penser que nous les minimisons.
En effet, qu’il s’agisse d’une économie de marché comme celle des
laboratoires et des assurances ou de gestion des fonds publics pour
la Caisse primaire d’assurance maladie ou les collectivités locales, les
enjeux financiers façonnent la clinique. Les laboratoires favorisent la
démarche quasi marketing du « un trouble, un médicament », tandis que
l’Assurance maladie revendique un droit de regard sur le coût du soin et
donc sur les protocoles de soin choisis par les praticiens. Très clairement,
dans le secteur public avec un calcul sur le court terme, une thérapie ou
un groupe thérapeutique pour un enfant « revient plus cher », en temps
de travail salarié, qu’une thérapie cognitivo-comportementale ou qu’une
prescription de psychotrope.
le droit des patients, linformation des parents
Les droits du malade ont eu des effets sur la pédopsychiatrie, plus
que sur toute autre spécialité médicale. Le premier effet notable est la
place maintenant donnée aux parents dans le soin à leur enfant, l’autre est
une remise en question radicale de la pratique psychanalytique par l’en-
semble du corps social. Nous isolerons trois faits à l’origine de ces chan-
gements : le premier est d’ordre réglementaire et législatif ; le deuxième
est à rattacher au développement des réseaux sociaux ; le troisième est
lié à l’émergence d’un discours militant chez les associations de parents.
Sur le plan réglementaire et juridique, en 2002 la loi « relative aux
droits des malades et à la qualité du système de santé », dite « loi
10. Ministre déléguée auprès de la ministre des Affaires sociales et de la Santé,
chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion.
11. http://www.lemonde.fr/sante/article/2013/05/02/autisme-depistage-des-18-
mois-et-changement-de-methode_3169354_1651302.html : « Dépistage dès
18 mois et changement de méthode », Le Monde.fr avec afp, 2 mai 2013.
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Kouchner 12 », a officialisé l’autorisation pour le patient d’avoir accès
à son dossier médical et la loi « rénovant l’action sociale et médico-
sociale 13 » a défini dans le secteur médico-social la mise en place d’outils
(livret d’accueil, charte des droits et libertés, contrat de séjour) qui forma-
lisent la relation entre l’institution et les parents des patients mineurs. De
fait, la psychanalyse est moins bien adaptée à ce type de formalisation
que les thérapies proposant des protocoles de soin balisés.
Quant à la vulgarisation médicale sur Internet, elle s’est emparée du
champ de la pédopsychiatrie plus que d’autres spécialités plus absconses,
et ce sont quelques diagnostics médiatisés (autisme, hyperactivité) ou
moins inquiétants que la maladie psychiatrique (haut potentiel, dyslexie)
qui tiennent le haut du pavé avec moult propositions de chacun sur la
meilleure conduite à tenir. Pour l’instant nous avons rarement vu sur les
forums Internet (mais nous n’avons pas tout lu…) un parent se risquer
à expliquer la complexité de faire un diagnostic chez l’enfant, défendre
l’intérêt d’un traitement par psychothérapie ou encore décrire comment
l’approche psychanalytique l’a amené à faire un travail sur lui-même,
bénéfique pour les interactions parent-enfant.
Enfin, sur cette vague de partage de l’information, les associations
de parents et plus particulièrement d’enfants autistes ont bousculé la
pratique de la pédopsychiatrie en remettant en question les modalités
de soins du secteur public et principalement l’intérêt d’une approche
psychanalytique. Ainsi, quand en 2012, sur l’insistance de nombreux
cliniciens, la psychanalyse est passée dans les recommandations de la
Haute Autorité de santé du statut de « pratique non recommandée »
à « pratique non consensuelle 14 », les réactions de certaines associa-
tions de parents ont été très vives : « Vaincre l’autisme affirme que la
psychanalyse est nocive pour les enfants, adolescents et adultes atteints
d’autisme. […] Cette modification, effectuée sous la pression du lobby
de psychiatrie psychanalytique, renvoie la France à son retard historique
et met en cause la crédibilité de la has 15. »
quels effets sur la pratique ?
Si ces trente dernières années la psychanalyse a été attaquée
jusqu’à être marginalisée, voire disqualifiée, force est de constater que la
12. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFT
EXT000000227015
13. http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFT
EXT000000215460
14. « L’absence de données sur leur efficacité et la divergence des avis exprimés
ne permettent pas de conclure à la pertinence des interventions fondées sur les
approches psychanalytiques et la psychothérapie institutionnelle » (http://www.
has-sante.fr/).
15. http://www.vaincrelautisme.org/
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majorité des psychanalystes ne l’ont pas aidée. Certains, par négligence,
naïveté, optimisme, ont pensé que rien ne pourrait remettre en question
la validité de la psychanalyse, dont ils voient tous les jours les effets
thérapeutiques. D’autres, avec la condescendance de ceux qui savent ce
qu’il en est du monde, ont renvoyé en vrac ces questions de réduction
des coûts, de science et de droit à l’information à des épiphénomènes du
mal qui rongerait notre société : avènement du Moi et désir de contrôle,
négligeant par là même que certaines critiques adressées à la psycha-
nalyse méritaient qu’on s’y arrête, mais aussi que l’Imaginaire et l’idéal
de contrôle des uns, fussent-ils gestionnaires, finit par faire principe de
réalité pour les autres, surtout s’ils sont soignants en secteur public.
Quant aux positions de certains analystes sur les évolutions de la famille,
elles ont achevé de faire passer la psychanalyse pour une pratique norma-
tive, voire réactionnaire 16 (Melman, 2005 ; Miller, 2013).
Pendant ce temps, les thérapies cognitivo-comportementales se sont
développées comme l’antithèse de ce que serait la psychanalyse : scien-
tifiques, héritées des théories de l’apprentissage, de la neuropsychologie
cognitive et de l’information 17, proposant une relation thérapeute-patient
collaborative pour travailler sur le symptôme et incluant dans le protocole
une évaluation avant le démarrage de la thérapie et en fin de contrat
thérapeutique (Mirabel-Sarron et Docteur, 2013). Dans ce contexte en
forte évolution, les pédopsychiatres de secteur public de formation analy-
tique ont donc été contraints tout à la fois par les tutelles, les assertions
de leurs confrères chercheurs et les interrogations des parents en consul-
tation de questionner leur pratique. Ils ont intégré les quelques avancées
réelles de la recherche ; tenus par les restrictions budgétaires, ils ont dû
expérimenter de nouveaux modes de prise en charge moins coûteux en
temps de travail, parfois avec succès et, pris dans les obligations régle-
mentaires, ont découvert de nouvelles façons de s’adresser aux parents
et de rendre compte de leur travail. Enfin, concernant la scolarité de leurs
jeunes patients, ils ont constaté de formidables avancées, tout d’abord
avec cette nouvelle terminologie des troubles des apprentissages qui
permet aux enfants de se vivre comme dyslexiques ou dyspraxiques et
non plus incapables, mais aussi dans les effets bénéfiques d’une scolarité
précoce pour les enfants avec des troubles autistiques. Jusqu’il y a peu, la
plupart de ces praticiens ont aimé évoluer et ont pensé que leurs patients
pouvaient tirer profit de ces questionnements forcés, puisque cela ne
les empêchait pas de continuer à travailler comme avant. Ils pouvaient
encore prendre le temps d’écouter, de comprendre leurs patients et
16. Voir le débat sur l’homoparentalité « Psychanalystes : le grand divan
médiatique », Le Monde Culture et idées, http://abonnes.lemonde.fr/societe/
article/2015/03/19/le-grand-divan-mediatique_4597194_3224.html.
17. Voir le site du Psycom, organisme public d’information sur la santé mentale :
http://www.psycom.org/Soins-et-accompagnement/Therapies/Therapie-
comportementale-et-cognitive-tcc.
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Nouvelle Revue de psychosociologie - 20
106
leurs familles, de proposer des tests et des rééducations de dyslexie
ou dyspraxie avec parcimonie, mais aussi des thérapies de groupe ou
individuelles articulées à une compréhension psychodynamique du sujet.
Mais progressivement, ils ont dû se rendre à l’évidence (Palazzi, 2010) :
la multiplicité des professionnels d’obédiences théoriques différentes
commençait à mettre en péril la cohérence et la qualité du soin.
Aujourd’hui, deux pratiques pédopsychiatriques coexistent avec diffi-
culté. D’un côté, la pédopsychiatrie « médicale » se réclame de la science
avec des modalités de traitement relativement standardisées (Palazzolo,
2012 ; Mirabel-Sarron et Vera, 2014) et regarde au mieux avec la
condescendance qu’on réserve à un ancêtre de province, au pire avec
mépris, ces pédopsychiatres de secteur qui seraient aveuglés par l’obs-
curantisme psychanalytique, dépassés par les avancées scientifiques,
ralentis en quelque sorte. De l’autre côté, la pédopsychiatrie d’inspiration
analytique demande à prendre du temps avant de poser un diagnostic,
refuse de considérer l’hyperactivité ou les troubles oppositionnels comme
un dysfonctionnement qu’il s’agirait de rééduquer par une musculation
du Moi sur une vingtaine de séances, mais les comprend comme un
signe. Un signe qui dit quelque chose d’une impossibilité pour l’enfant
ou pour l’enfant et ses proches et demande à être exploré avec déter-
mination et délicatesse. Bien sûr, on nous opposera que si l’autisme est
d’origine génétique ce genre de phrase relève du bavardage, nous répon-
drons qu’un enfant, fût-il autiste, a le droit d’être considéré comme une
personne et que, contrairement à ce que certaines méthodes purement
rééducatives prônent, nous refusons de considérer l’angoisse comme
secondaire au regard des objectifs de progrès et d’y répondre par une
technique comportementale du type « renforcement-extinction 18 ». La
mise au travail que propose la psychanalyse relève plus d’une proposition
à « questionner ensemble » que du partage d’un savoir que le soignant
aurait et auquel le malade ou ses parents auraient droit. Cela ne veut
pas dire que le pédopsychiatre est passif, bien au contraire. Ceux qui
critiquent cette approche psychodynamique au prétexte de son manque
de rigueur et d’efficacité n’ont jamais fait ce patient travail d’aider un
parent, un enfant, à s’approcher de ce qui fait souffrir, ce qui fait honte
ou ce qui ne fait pas sens. Ils ne savent pas combien cela demande de
temps, de rigueur, de connaissances et de subtilité, et combien cela est
efficace et change le mode d’être des patients quel que soit leur âge, et
au long cours.
Aujourd’hui, ce sont les patients qui font les frais de ce clivage
qui traverse la pédopsychiatrie française. Certains pédopsychiatres
18. « Les réponses problématiques sont explicitement non renforcées et
on procède à l’extinction : le comportement inadéquat est ignoré de façon
systématique. Il va alors s’éteindre de lui-même puisqu’il n’est jamais renforcé ni
socialement, ni d’aucune façon » (http://www.abaautisme.org).
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Y a-t-il encore une place pour la psychanalyse en psychiatrie de l’enfant ? 107
hospitalo-universitaires consultés par des parents peuvent aller jusqu’à
prescrire un protocole de soin sans prendre la peine d’en informer le
pédopsychiatre de secteur qui voit revenir l’enfant avec une prescription
(quatre séances d’orthophonie par semaine) que les moyens de l’hôpital
public ne permettent pas de mettre en place. Au final, les parents, effarés
devant la pénurie de structures de la pédopsychiatrie publique (deux à six
mois d’attente pour une consultation, un à deux ans d’attente pour un
hôpital de jour), pensent devoir reprocher cet état de fait à l’hégémonie
de l’inertie psychanalytique : « Ils avaient l’air si efficaces, les pédopsy-
chiatres qui donnent un avis en une consultation à l’hôpital puis renvoient
sur le secteur pour la mise en œuvre… »
Il existe fort heureusement des parents contents des soins proposés
par les pédopsychiatres d’intersecteur, et ils sont nombreux, mais ils
sont comme M. Jourdain, si dans les consultations avec un psychiatre
de formation analytique ils bénéficient d’une approche héritée de la
psychanalyse, c’est le plus souvent sans le savoir. Ils n’ont dès lors pas
de raison de prendre position pour la défendre et les soignants que nous
sommes se sont jusqu’à présent, peut-être finalement à tort, interdit tout
prosélytisme, convaincus que ce sont les patients qui doivent être au
cœur de la consultation et pas les préoccupations du psychiatre.
quel avenir pour la psychanalyse dans la pédopsychiatrie
française ?
On l’aura compris, le conflit entre tenants de la psychanalyse et les
autres n’est pas comme certains le croient, une querelle des Modernes
et des Anciens autour d’enjeux scientifiques, mais plutôt le haut de
l’iceberg d’un désaccord qui dépasse de loin le champ de la psychiatrie.
La question n’est pas celle de la place de la psychanalyse dans la pédo-
psychiatrie, mais celle de la représentation du Sujet dans son rapport au
monde. L’ampleur de la question nous rend modestes sur d’éventuels
« pronostics ». Nous avons des raisons d’être pessimistes, mais aussi
quelques raisons de reprendre espoir. Les raisons d’être pessimistes sont
nombreuses. Même si on décidait de ne pas porter crédit à la parole des
cliniciens d’orientation analytique en les accusant de prêcher pour leur
chapelle, on ne peut passer outre, depuis une dizaine d’années, les alertes
des chercheurs en neurobiologie, en génétique, en psychologie ou en
sociologie sur le risque qu’il y aurait à se soumettre à l’illusion de la vérité
scientifique qui subsumerait toutes les autres. Ils alertent sur le risque
des classifications réductrices (Frances, 2012) qui pourraient mettre un
frein à de réelles avancées cliniques. Ils déconstruisent ce mythe de la
science qui apporterait la solution aux souffrances psychiques, décrivent
les tours de passe-passe faits par les chercheurs pour conclure au bien-
fondé de leur hypothèse (Gonon, 2013) et l’erreur d’une vision scienti-
fique de la psyché (Jeannerod, 2002 ; Gonon, 2011) : cette illusion « […]
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Nouvelle Revue de psychosociologie - 20
108
naturalise l’esprit, le faisant apparaître comme une donnée intangible sur
un écran plutôt que comme le produit d’une histoire et de circonstances ;
elle gomme ainsi la contribution du contexte culturel et socio-historique
au développement de la pensée et des sociétés. Elle neutralise enfin la
dimension subjective et autonome de la construction de l’expérience
humaine, reformulée dans les termes des sciences naturelles » (Clément
et coll., 2014, p. 64). Enfin, ils alertent sur la différence qu’il y a entre
une prévention qui joue sur l’environnement et le tissu relationnel et une
détection qui cherche l’enfant à risque pour mieux le cadrer (Giampino
et Vidal, 2009).
Mais il faut se rendre à l’évidence, ces alertes sont très peu relayées
par les médias, inconnues du grand public et ont peu ou pas d’effets
sur les politiques publiques et donc sur la pédopsychiatrie. Rien ne
diminue le pouvoir de séduction du supposé protocole scientifique de
la pédopsychiatrie : un trouble, un test, un diagnostic, un traitement.
Nous voyons à cela plusieurs raisons. Tout d’abord des raisons d’ordre
économique, telles que nous les avons pointées plus haut (intérêt des
lobbys, évitement des politiques de prévention coûteuses, réduction des
budgets hospitaliers) : les approches de thérapies comportementales et
cognitives ou les rééducations reviennent moins chers que des soins de
thérapie analytique, fussent-ils en groupe, qui s’inscrivent sur une plus
longue durée. Puis des raisons d’ordre imaginaire, en prise directe avec
notre « modernité » qui laisse à penser d’une part que tout problème a
sa solution, mais aussi que l’individu, même s’il est en devenir, tels les
enfants que nous recevons, doit gérer ses faiblesses ou ses manques
pour réussir. Derrière le choix du réductionnisme scientifique et des
thérapies cognitivo-comportementales se cache une position volontariste
et finalement morale. S’il y a dysfonctionnement, agitation, opposition,
il faut que l’individu travaille sur ses patterns cognitifs dysfonctionnels
pour changer. Si, quant à nous, le déterminisme neurobiologique et
génétique nous paraît effrayant, il semble que pour beaucoup il paraisse
moins effrayant ou moins étranger que la question du Sujet dans son
rapport à l’autre et, pourrions-nous dire, à l’Autre. L’illusion du dsm et
des thérapies cognitivo-comportementales a ceci de rassurant que rien
n’y excède le sujet, tout est dit : « Les neurosciences ont acquis une telle
valeur, malgré leurs très faibles résultats […], car elles allient le prestige
de la science la plus moderne et de la technologie de pointe à l’idéal de
l’individu autonome […] Les notions de compétence et de capacité sont
aujourd’hui une préoccupation sociale forte et un ensemble de modes
d’action noués à l’autonomie généralisée. Les neurosciences font partie
de cette dynamique générale qui consiste à traiter le patient en individu
conçu comme l’agent de son propre changement […] » (Ehrenberg,
2008, p. 101).
Quant aux raisons que nous aurions de reprendre espoir, elles sont
minimes, mais elles comptent. La première est la forte mobilisation des
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Y a-t-il encore une place pour la psychanalyse en psychiatrie de l’enfant ? 109
cliniciens de toutes générations 19. En effet, depuis quelques mois, même
les psychanalystes les plus rétifs commencent à lâcher tout à la fois la
superbe de celui qui sait et la plainte de celui qu’on malmène pour s’expo-
ser, réfléchir, s’opposer si besoin et redonner à ce débat sa dimension
scientifique et politique. De leur côté, les jeunes internes démunis avec
les seuls outils « scientifiques », dans leurs entretiens face au patient,
portent un réel intérêt aux questions posées par les anciens. La seconde
raison de garder espoir est l’intérêt que montrent nos patients et leurs
parents à l’écoute qu’ils rencontrent 20. Après un parcours fait de tests et
de bilans pour comprendre l’hyperactivité de leur enfant ou ses troubles
oppositionnels, nombreux sont les parents qui se sentent soulagés du
point d’arrêt qui leur est proposé quand ils entendent qu’ici, avant toute
chose, on va prendre le temps de parler avec leur enfant et avec eux, le
temps qu’il faudra…
Quant à leur enfant qui passe, au décours d’une consultation, du
statut d’enfant qui a un trouble d’hyperactivité à celui d’enfant agité par
quelque chose qui fait question à l’adulte qui l’écoute, il passe lui aussi
d’une définition de son problème à une question sur son symptôme ; il
montre à tout coup son intérêt et le travail peut commencer…
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mireille-battut-presidente-de-lassociation-la-main-a-loreille-a-marie-arlette-carlotti-
au-sujet-de-la-presentation-du-3eme-plan-autisme/
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stéphanie palazzi, y a-t-il enCoRe une plaCe pouR la psyChanalyse en
psyChiatRie de lenfant ?
résumé
Aujourd’hui la référence à la psychanalyse est fortement remise en question
dans le champ de la pédopsychiatrie française. On peut imputer cette évolution à
différents mouvements, tant internationaux que locaux, qui ont impacté le champ
de la santé mentale non seulement comme objet de soin, mais aussi comme enjeu
sociétal et économique. Cet article analyse la diversité, voire l’hétérogénéité,
de ces différents mouvements autant qu’il montre leur convergence. Ainsi sont
successivement analysées la « mondialisation des données », la « force d’un
certain modèle de rigueur scientifique », la « montée en puissance des enjeux
économiques », « l’évolution des droits des patients ». Tous convergent vers
une mise à l’écart d’une approche psychodynamique des troubles psychiques de
l’enfant telle que les pédopsychiatres la pratiquaient depuis trente ans. Comment
alors, dans ce nouveau contexte, repenser cette approche psychodynamique et
comment déterminer les marges de manœuvre concrètes qui s’offrent encore à
ceux qui s’en réclament, c’est ce que cet article s’efforce d’établir.
mots-clés
Pédopsychiatrie, psychanalyse, neurosciences, recherche scientifique, dsm,
économie de la santé, droit du patient.
stéphanie palazzi, is theRe still a plaCe foR psyChoanalysis in Child
psyChiatRy ?
aBstract
Today the reference to psychoanalysis is strongly challenged in the French child
psychiatry field. This development can be attributed to various movements both
international and local, which have impacted the field of mental health care, not
only as object of care, but as societal and economic issues. This article analyzes
the diversity or heterogeneity of these different movements as it shows their
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Nouvelle Revue de psychosociologie - 20
112
convergence. Thus are successively analyzed : « globalization of data », « the
force of a certain model of scientific rigor », « the rise of economic issues », « the
evolution of patients’ rights. » All converge to a sidelining of a psychodynamic
approach to children’s mental disorders such as practiced by child psychiatrists
for 30 years. How then, in this new context, is it possible to rethink this
psychodynamic approach, and to identify concrete room for maneuver that is
still available for those who claim to work with this approach, this is what this
article is trying to establish.
KeyWords
Child psychiatry, psychoanalysis, neurosciences, scientific research, dsm, health
economics, patients’rights.
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... The latter introduced a more transversal relationship with the health care professions obliging them to be transparent regarding care, diagnosis, therapy, and all health procedures. This formalisation was considered less suitable for psychoanalysis and psychodynamic psychotherapy than behavioural methods relying on standardised protocols (Palazzi, 2015). ...
... Furthermore, P&PP remain a source of inspiration for the exercise of psychotherapeutic techniques along with the use of institutional psychotherapy (Botbol, 2018;Botbol & Gourbil, 2018). In the field of practice with children and adolescents, P&PP is still largely privileged even if developmental, educational, and behavioural approaches are growing (Borelle et al., 2019;Palazzi, 2015;Roussillon, 2010). Psychoanalysis and psychodynamic approaches also remain common in the field of forensic psychology and forensics. ...
Article
Even if psychoanalysis no longer prevails with the extraordinary enthusiasm it inspired after World War II, it still retains an important place for many in the mental health field. This paper’s objective is to describe the current situation of psychoanalysis and psychoanalytic therapies in the French health system, showing how, in our country, it has developed to this unique position. So far, influenced by the evolution of psychoanalysis in France, historical, cultural, and societal factors added with a strong lobby from psychodynamic scholars and strong support offered by clinical psychology, psychoanalysis and psychoanalytic psychotherapies have maintained a significant practice framework in France. Despite being challenged by the dominant global position of DSM psychiatry and cognitive psychology, psychoanalysis’ influence remains strong as it does not affect only psychology and psychiatry but also extends to the humanities and social sciences. New practice types and future directions for psychoanalysis and psychoanalytic therapies are then discussed.
Article
Full-text available
Nos capacites a nouer des relations sociales et a vivre avec les autres se trouvent-elles dans notre cerveau ? La curiosite pour le fonctionnement cerebral touche desormais le grand public. Elle alimente aussi de vastes programmes d’etudes portant sur la sympathie et la sociabilite. Elle se diffuse d’autant plus facilement qu’elle s’appuie sur une idee de la societe dans laquelle tout se limite a des relations entre individus. Faut-il s’inquieter de cette approche reductrice du vivre-ensemble ?
Article
Full-text available
Using specific instruments of research to characterize a psychotherapy within the natural framework of practice This article describes the instruments used in the research protocol on the evaluation of psychotherapies in the framework of the Practice Based Research Network on Psychotherapy. The framework of the study is defined. The instruments are presented by specifying why each one was chosen, its framework of construction by its authors and how it has to be used. The instruments presented are the Case Formulation, the Health Sickness Rating Scale (HSRS), Luborsky (1975), the Psychodynamic Functioning Scales (PFS), Hoglend and al. (2000) and the Psychotherapy Process Q-set (PQS), Jones (2000).
Article
What is the future for mental illness classifications? A summary of recent Anglo-American criticism In recent years, senior representatives of Anglo-American psychiatry have vigorously criticized the American classification of mental illnesses, the DSM, but these criticisms are not very well known in France. This paper proposes a synthesis. They show that the reliability of DSM-IV is satisfactory for severe pathologies whereas it is mediocre for others. In addition, its validity is weak since most patients suffer from a combination of mental health disorders supposedly distinct and the supposed distinct limit between normal and pathological has proven to be very inaccurate in clinical practice. This lack of scientificity merely reflects our ignorance regarding mental disorders. The DSM is however widely used by a variety of caregivers. Based on American studies, this article then presents some of the consequences of the current DSM.
Article
Epistemological models of psychotherapic evaluation and methodology of research in psychoanalysis The author deals with many objections raised by the research in psychotherapy’s assessment, according to the princeps of the Empirically Supported Psychotherapy. This methodology seem not able to evaluate the specificity of psychoanalytic psychotherapy. Epistemological and methodological comments are made about the different ways for an hermeneutic and idiographic models of validity and for the empirical research, with special attention to the single-case designs for the proper assessment of the psychoanalytical process.