ArticlePDF Available
Vues sur la ville
DOSSIER :
Institut de géographie
1
No 22 Mai 2009
Les évolutions et les transformations de la ville ont de tout temps interpellé les acteurs
«faiseurs» de ville (architectes, ingénieurs, paysagistes, urbanistes, aménagistes, etc.). Ces
derniers se sont en particulier concentrés sur la manière d’appréhender ces phénomènes et
sur les modalités à suivre pour les orienter et mieux les maîtriser.
La révolution technique (production en série de matériaux) et la découverte de nouvelles
ressources présageaient déjà d’un nouveau tournant «qualitatif» dans l’aménagement des
villes. L’édification des grands ensembles, selon la logique des CIAM (Congrès international
d’architecture moderne) et leurs chefs de file Le Corbusier et Walter Gropius, devait offrir une
nouvelle qualité de vie, remédier aux problèmes sociaux et à l’insalubrité issus de la période
industrielle. Si cette époque a en partie atténué certains problèmes, certains des principes
mis en œuvre (ainsi que leur mauvaise interprétation) en ont également et paradoxalement
engendré d’autresqui ont laissé des stigmates sur le territoire actuel (zonages et ses consé-
quences, dysfonctionnement des espaces, dégradation de certains tissus bâti due à l’usage
de matériaux de qualité médiocre, etc.).
C’est d'une réflexion critique sur les precepts fonctionnalistes qu’émerge, dans les années
1970, une prise de conscience de nouvelles problématiques urbaines et environnementales,
et de la nécessité d’une approche holiste de faire la ville. Le sommet de Rio, la Charte d’Al-
borg ou encore l’élaboration d’Agendas 21 sont autant de témoins de l’émergence de ces
nouveaux référentiels dans la conception et l’organisation du territoire. On passe progressive-
ment d’un urbanisme quantitatif marqué par une culture professionnelle de l’aménagement
issue de techniciens au fonctionnement vertical à un urbanisme qualitatif horizontal. Cette
nouvelle façon de concevoir et de construire le projet prenant en compte la complexité et
la diversification des points de vues ouvre à nouveau l’espoir de l’aménagement d’une ville
plus agréable, plus conviviale et plus représentative. Un projet de qualité se décline sous la
forme d’un tout associant plusieurs éléments constitutifs de cette même qualité : dimension
humaine et sensorielle, intensité des lieux, concomitance des échelles et fonctionnalités,
accessibilité et sociabilité.
A l’heure où la qualité devient objet de label (Qualicities, label européen)1 ce numéro propose
de dépasser l’aspect subjectif de la notion et des paradigmes qui y sont associés pour porter
un éclairage sur les éléments qui la constituent. SG
1 Ce label récompense l’ensemble des actions que mène une ville, une entreprise ou une organisation pour accroître
la satisfaction de ses clients, usagers et autres partenaires. Pour plus d’info, voir www.qualicities.org
LA QUALITE
URBAINE
Sommaire
EN VUE 2
QUALICITIES vers une label-
lisation de la qualité de vie
urbaine
DOSSIER 3
La qualité urbaine: quelle
grille de lecture? Quels
principes de conception?
BONNES
PRATIQUES 7
PRE-VUES 8
Vues sur la ville
2
en vue
EVORA
Chef lieu régional de l’Alentenjo (région Sud du Portu-
gal) peuplé de 56'000 habitants, cette ville historique
et reconnue patrimoine mondial de l’UNESCO (1986)
abrite un tissu bâti remarquablement conservé, ville-
palimsespte ou s’entremêlent édifices de la période
romaine jusqu’à la période baroque.
Ces dernières années, des mesures de restriction de
la circulation automobile ont été graduellement appli-
quées, dans le but d’accroître la qualité de vie. Les rues
réservées aux piétons augmentent chaque année. De
même, la Municipalité d’Evora a incité la population à
utiliser des mini-bus et a créé de nombreux parkings,
avec l’objectif de réduire la circulation routière au
centre de la ville. Un vaste programme d’urbanisme
commercial (urbcom) est également en cours. Il com-
porte les volets suivants : requalification des espaces
publics ; rénovation des magasins traditionnels et ani-
mation culturelle des différentes zones du centre his-
torique. Évora est une ville innovante dans le domaine
de la planification urbaine et stratégique. La ville réa-
lise également des programmes de revitalisation pour
le centre historique, un plan intégré des transports et
de la circulation ; un projet de réseau des zones vertes
urbaines ; un plan stratégique de culture ; un projet
de grands équipements culturels qui représentent les
bases du futur. Tous ces projets sont mis en œuvre
dans la mesure des ressources disponibles.
Tiré du site : www.qualicities.org/
Photographie : Evora, 2009
QUALICITIES : UNE VOLONTÉ D’OFFRIR
UN CADRE DE VIE ET DES SERVICES DE
QUALITÉ
Récemment créé par les villes et territoires histo-
riques membre de l’Alliance des Villes Européennes
de Culture (A.V.E.C.)
2
et co-financé par l’union Euro-
péenne, le label Qualicities (Quality – cities) certifie
l’engagement politique vers le développement durable
et la valorisation du patrimoine des villes et territoires
historique d’Europe. Cet outil de travail permet aux
collectivités d’appliquer concrètement la charte de
l’Alliance des Villes Européennes de Culture
3
. Outre
la volonté de dépasser le registre de la conservation
formelle du patrimoine, pour en faire un bien vivant,
évolutif et partagé, la démarche qualité «Qualicities»
met aussi l’accent sur la mise en valeur des compé-
tences du personnel, la transversalité des services pu-
blics et les synergies créées au sein de la collectivité
avec les entreprises, les citoyens et les services publics.
Cet outil, visant à améliorer en permanence la qua-
lité des activités, services ou produits des collectivités,
est basé sur la création d’un référentiel commun de
bonnes pratiques, qui permet aux villes engagées de se
différencier et de faire reconnaître leurs efforts par les
citoyens et les visiteurs. Plusieurs axes de travail sont
entrepris dont par exemple :
• l’engagement dans une démarche agenda 21 ;
• la gestion des compétences et l’évolution des
métiers liés au tourisme et au patrimoine ;
• la veille des réglementations en
vigueur dans les domaines de la sau-
vegarde du patrimoine, dans la gestion
de l’environnement et du cadre de
vie, etc.
• l’offre en signalétique de qualité ;
• l’accessibilité ;
• la gestion des patrimoines ;
• la mise en œuvre de Journées de
formation / information des profes-
sionnels liés aux patrimoine et au
tourisme ;
• l’organisation d’évènements.
2 Pour plus d’info: http://www.avecnet.net/
3 Pour plus d’info: http://www.avecnet.net/charte/charte.
html
QUALICITIES vers une labellisation de la
qualité de vie urbaine
Vues sur la ville 3
dossier
de besoins fondamentaux communs au genre hu-
main, qui filtreraient notre regard sur les espaces
de vie : besoins physiologiques, sociaux, de sécu-
rité et aussi de sens, qui nous feraient considérer
l’environnement comme un agencement d’oppor-
tunités et de contraintes4. Les registres de signifi-
cation permettent de proposer un certain nombre
d’orientations pour l’analyse de la qualité urbaine.
Autrement dit, la compréhension des modalités
fondamentales de l’être au monde permettrait de
poser un regard nouveau et pertinent sur la qua-
lité des configurations urbaines. Il ne s’agit pas de
proposer des recettes toutes faites de la qualité ur-
baine, mais de fonder une nouvelle grille de lecture,
un langage qui puisse être partagé par les usagers
et les concepteurs et sur la base duquel mieux
questionner les aménagements urbains.
Comme le rappelle Lussault, trois espaces-types
constituent la base du répertoire spatial que les
sociétés mettent en œuvre pour arranger leurs es-
paces : le lieu, le territoire et le réseau. Cet article
s’intéresse d’abord à la qualité des lieux publics ur-
bains, définis comme «plus petites unités spatiales
complexes», constituant «l’espace de base de la vie
sociale»5 : places, parcs, rues, mais aussi commerces,
cafés, places de jeu, etc. On abordera aussi la ques-
tion de leur agencement au sein des «territoires»
que sont les quartiers. On partira de quatre registres
de signification des espaces de vie que sont l’oppor-
tunité, la convivialité, l’accessibilité et la cohérence.
Ces registres de signification seront mis en rapport
avec les dimensions des lieux sur lesquelles devrait
porter la conception de la qualité urbaine : les fonc-
tions, les configurations et les normativités des lieux,
ainsi que leurs agencements au sein des territoires.
UNE DIALECTIQUE FONDAMENTALE: LE
COLLECTIF ET LE PRIVATIF
La vie humaine est fondamentalement placée sous
le signe d’une dialectique de l’intimité et de la vie
communautaire, pour reprendre un titre fameux6 :
4 Maslow A. H., Ed. (1954), Motivation and personality.
New York ; Evanston etc., Harper & Row.
5 Lussault M. (2007), L’homme spatial: la construction
sociale de l’espace humain, Paris, Seuil, p. 91-98
6 Alexander C., Chermayeff A. (1972), Intimité et vie
communautaire – vers un nouvel humanisme
architectural, Paris, Dunod.
Les zones de villas sont pointées du doigt comme
formes antiurbaines, antisociales et antiécologiques,
les quartiers d’immmeubles résidentiels pour leur
apparent anonymat. Mais à quoi ressemble la ville
qu’on aime ? Aime-t-on ses rues trépidantes ou ses
recoins secrets ? Ses boutiques de mode ou son mar-
ché traditionnel ? Apprécie-t-on d’y rencontrer ceux
qu’on connaît ou de s’y confronter à l’aigre-doux de
l’altérité ? Tout cela à la fois, sans aucun doute.
Mais comment concevoir une ville qui offre ces quali-
tés, qui permette cette diversité ? Alexandre Chema-
toff, célèbre architecte en charge de la transforma-
tion de l’île de Nantes, affirme dans un entretien que
«les villes sont faites pour faire des expériences».
Qu’est-ce que cela signifie pour l’urbaniste ? On peut
considérer que toute expérience a deux volets : elle
implique un «faire», une possibilité d’action, ainsi
qu’un «sentir», c’est-à-dire un ensemble de percep-
tions, un cadre pour cette action. Concevoir la qua-
lité urbaine impliquerait donc de penser les fonctions
(les supports du faire) en même temps que le cadre
de ces fonctions (les supports du percevoir). Mais
quelles fonctions ? et quels cadres ? L’expérience de
l’enfant n’est pas celle de la personne âgée, la ville
du promeneur n’est pas la ville de l’automobiliste.
Les significations potentielles de la qualité urbaine
sont infinies. Le défi posé aux concepteurs de l’ur-
bain consiste à définir un programme «de qualité»
pour tout espace urbain en sachant - ou souvent en
ne sachant pas - que ce qu’est la qualité sous un
certain regard ne l’est pas sous un autre. La qualité
urbaine ne peut donc pas se contenter de normes
techniques, mais doit être pensée pour offrir un sup-
port à la multiplicité des significations qu’y projet-
tent les usagers. Mais au-delà de la profession de foi,
sur quels principes baser la mise en oeuvre, comment
ne pas être inhibé par la vertigineuse diversité des
vécus et des représentations ?
Cet article souhaite proposer quelques pistes pour
faire dialoguer deux réalités en apparence inconci-
liables : l’univers infiniment foisonnant des représen-
tations subjectives et le monde circonscrit et objectif
des formes urbaines. Ce qu’on cherchera à montrer,
c’est qu’au-delà de leur diversité, les représentations
des usagers s’inscrivent dans un certain nombre de
registres partagés par tous. L’origine de ces registres
de signification serait à chercher dans un ensemble
La qualité urbaine : des registres de signication
aux principes de conception
Vues sur la ville
4
dossier
frir des opportunités pour faire ses achats, se dépla-
cer, se rencontrer, mais aussi jouer, se détendre, se
cultiver, s’informer. A l’époque des modernes, mar-
quée du sceau de la technique et de l’hygiénisme,
on préconisait la séparation de ces fonctions. Or la
réalisation d’un besoin est souvent l’opportunité de
répondre à d’autres besoins : si on peut aller en voi-
ture dans une grande surface, a contrario la dispo-
nibilité de commerces de proximité dans le quartier
permet de faire ses achats à pied, et de tirer profit
de l’activité physique, de rencontrer des personnes
connues ou inconnues, de prendre connaissance
des transformations de la nature et du bâti, de se
détendre sur un banc, etc. Ainsi la qualité implique-
t-elle de dépasser le zonage monofonctionnel pour
aller vers plus de mixité fonctionnelle aux dif-
férentes échelles. L’enjeu est aussi, pour une fonc-
tion donnée, d’encourager la multimodalité, c’est
à dire différentes manières de réaliser une activité
par différents usagers : la mobilité doit être facili-
tée pour les piétons et les vélos, l’offre commerciale
s’adresser aux différentes catégories de revenus,
etc.
LA QUALITÉ COMME CONVIVIALITÉ : LES
CONFIGURATIONS
Si les lieux ont un rôle en termes de fonctions, la
qualité est aussi liée aux modalités d’aménagement,
au contexte social, à l’ambiance. Ainsi la qualité est
aussi la convivialité7, un ressenti qui trouve son ori-
gine dans l’agrément des lieux, ainsi que dans leur
innocuité (maîtrise des nuisances) et leur sécurité
(maîtrise des risques). Cette convivialité s’exprime
sous l’angle des configurations techniques, sociales
et sensorielles.
La notion d’ergonomie réfère à la qualité technique
des aménagements : le revêtement du sol facilite-
t-il les divers modes de déplacement, le banc est-il
confortable, le terrain de sport est-il sécurisé ? Sous
l’angle social, on peut parler d’hospitalité. Il s’agit
de veiller en particulier à ce que les lieux puissent
véritablement être utilisés par ceux auxquels ils sont
destinés, et prévenir les phénomène d’usurpation.
Automobilistes monopolisant la rue ou bande d’ado-
lescents privant les enfants d’une place de jeu. Un
7 Pour Illich, la convivialité serait « l'ensemble des rapports
autonomes et créateurs entre les personnes d'une part,
et des rapports entre les personnes et leur environnement
d'autre part » : Illich I. D., Ed. (2003) La convivialité,
Points 65. Essais. Paris, Ed. du Seuil.
l’ouverture au collectif est dictée par la nécessité
de se procurer diverses ressources, et implique le
contact à l’altérité au sein d’espaces partagés, alors
que la prise en compte de l’individuel nécessite le re-
trait dans des espaces plus privatifs où les identités
particulières peuvent s’exprimer, notamment dans le
sens de l’intériorisation, des relations plus intimes et
du repos. Plus généralement, toute interaction avec
nos espaces de vie peut être caractérisée selon un
gradient d’extraversion ou de focalisation, nécessi-
tant un contexte plus ou moins ouvert et stimulant
ou au contraire calme et protégé.
Cette réalité anthropologique peut se lire à toutes
les échelles de l’urbain : de l’appartement à l’agglo-
mération en passant par l’immeuble et le quartier,
on observe une articulation d’espaces d’expansion
et de retrait : lieux collectifs de la découverte, du
mouvement et, souvent, du contrôle social d’une
part ; lieux privatifs du retrait, de la station et d’une
plus grande liberté d’autre part. Au sein du quartier
par exemple, on peut différencier les lieux publics
sur un gradient qui va de l’intérêt le plus général
(la rue, le supermarché, le parc) à l’intérêt le plus
particulier (le bar branché, l’épicerie «ethnique», le
terrain de sport).
On pose comme principe de base que la qualité
urbaine consiste en une prise en compte équilibrée
de l’intérêt général et des multiples intérêts parti-
culiers au sein des lieux publics. De manière plus
large, la qualité urbaine consisterait en une juste
modulation des intensités : la notion d’inten-
sité présente un intérêt certain pour qualifier la sa-
turation des différentes dimensions de l’urbain. En
effet, la modulation des intensités embrasse tout
à la fois l’idée d’un équilibre entre des densités
fortes et plus faibles, entre mixité fonctionnelle et
spécialisation, entre public et privé, entre les lieux
de la visibilité et de l’intimité, entre centralité et
périphéricité, entre temporalités continues ou dis-
continues, entre flux forts et faibles, etc. C’est une
des clés pour affronter l’enjeu du vivre ensemble
et différents.
LA QUALITÉ COMME OPPORTUNITÉ : LES
FONCTIONS
Vivre la ville implique la possibilité d’y agir, de s’y
impliquer, d’y réaliser commodément l’ensemble de
ses activités quotidienne. C’est le rôle des fonctions
(commerciales, de loisirs, de mobilité…) que d’of-
Vues sur la ville 5
dossier
LA QUALITÉ COMME COHÉRENCE :
L’AGENCEMENT DES TERRITOIRES
Les lieux ne sont pas appréhendés par les usagers
comme des entités séparées, mais s’articulent aux
lieux voisins pour former des territoires plus ou
moins cohérents, par exemple les quartiers. Ainsi
l’évaluation de la qualité urbaine est toujours
globale, contextualisée, systémique. Force est de
constater que c’est une des capacités de l’être
humain que de saisir les associations d’éléments
comme des globalités, où il est capable de percevoir,
de manière plus ou moins intuitive, l’harmonie ou le
chaos, l’équilibre ou la confrontation. Ce sens nous
vient probablement de l’intellect qui procède par
associations et distinctions, et du fait que nombreux
sont dans la nature les exemples d’entités à la fois
individuelles et faisant partie d’un collectif, à com-
mencer par l’individu au sein de sa famille. Il semble
que ces structures perçues soient à mettre en lien
avec deux registres de signification : celui de la dif-
férenciation, de l’autonomie, de la diversité et de
la liberté en ce qui concerne les éléments ; celui de
l’appartenance, de la cohérence, de la sécurité et de
l’ordre en ce qui concerne les ensembles. On postule
que ces significations se projettent dans l’évaluation
de nos espaces de vie, où l’on cherche à lire à la fois
la diversité de lieux ainsi que la cohérence de leurs
agencements au sein des ensembles. La diversité,
qui dans le meilleur des cas forme une complétude,
peut s’exprimer en termes de fonctions, de confi-
gurations sociales, d’ambiances, etc. La cohérence
quant à elle est portée par la subordination des lieux
à certains principes minimaux d’unité, par l’exis-
tence de dénominateurs communs : par exemple,
les diverses fonctions d’un quartier peuvent avoir
pour programme commun d’amener une plus-value
pour les activités quotidiennes des habitants ; la co-
hérence sociale peut quant à elle être favorisée par
l’existence d’espaces publics encourageant diverses
interactions, ou d’activités communes renforçant
des vécus partagés porteurs d’identité (fêtes de
quartier, activités associatives). La cohérence for-
melle est portée par des dispositions architecturales
d’ensemble (matériaux, hauteurs, typologies), mais
surtout, comme l’a bien montré Lynch8, par la lisi-
bilité de l’agencement des bâtis et des vides, l’exis-
tence de marqueurs symboliques, la délimitation de
secteurs, la hiérarchie des densités. JPD
8 Lynch K. (1977), L’image de la cité, Paris, Dunod
équilibre des intérêts des différents groupes doit
être trouvé. Finalement, la qualité est aussi liée à
l’ambiance, à savoir aux configurations visuelles,
sonores, tactiles, olfactives ou kinesthésiques qui
rendent l’expérience sensorielle plus ou moins
agréable et signent en partie l’identité des lieux. Un
équilibre est à penser entre le naturel et le culturel,
le végétal et le minéral, l’animation et le calme.
LA QUALITÉ COMME ACCESSIBILITÉ:
LES NORMES
Tout espace social est approprié, tout lieu est aussi
un territoire. Cela signifie qu’à chaque lieu sont
liées des règles d’accès qui définissent l’éventail
des permis et des possibles d’une part, des inter-
dits ou des restrictions d’autre part. On peut parler
ici de la normativité des lieux, qui s’exprime aussi
bien en termes de perméabilité et de tolérance que
de délimitation et de contrôle. La normativité
sociale réfère au statut public ou privé des lieux,
que ce statut soit légalisé ou non. La normativité
fonctionnelle a trait à la latitude des pratiques
et usages autorisés en un lieu, régulation inscrite
dans des règlements ou socialement implicite : bien
que d’accès public, un cimetière présente une nor-
mativité fonctionnelle très forte. La normativité
formelle, quant à elle, est la manière dont s’ins-
crivent les deux normativités précédentes dans la
matérialité : un espace privé est en général forte-
ment délimité et d’accès restreint ; la configuration
fermée et monumentale d’un temple signifie sym-
boliquement le contrôle des usages. La proximité
ou l’éloignement d’un lieu définissent quant à eux
une accessibilité géographique qu’on peut qualifier
de normativité spatiale.
Sous cet angle, penser la qualité implique de jouer
sur les différents types de normativité pour tenir
compte au mieux des intérêts collectifs et parti-
culiers. Par exemple, nombreux sont ceux qui ont
dénoncé la privatisation et la commercialisation de
certaines rues du centre-ville dont la vocation serait
d’être véritablement publiques et d’accueillir une
diversité d’usages non exclusivement marchands.
Par ailleurs, quelques propriétés privées retranchées
derrière de hauts murs pourraient au nom de l’inté-
rêt général autoriser une certaine porosité visuelle
ou un droit de passage lorsque cela se justifie.
Vues sur la ville
6
dossier
L’ÉQUITÉ D’ACCÈS À LA QUALITÉ
URBAINE
La conception de ce qu’est la qualité urbaine varie
en fonction des lieux et des époques. Cependant,
on peut considérer que la valorisation de la valeur
d’usage du sol par opposition à sa valeur d’échange
constitue une condition de cette qualité. Certes la
qualité architecturale, paysagère ou écologique du
tissu urbain n’exige pas qu’une telle condition soit
satisfaite, toutefois, la question des bénéficiaires de
l’amélioration de la qualité du cadre de vie peut être
considérée comme centrale. La prise en compte des
besoins de la population dans la construction de la
ville exige donc que soit prise en compte la valeur
d’usage du sol.
Le «droit à la ville» – tel qu’il a été énoncé par Henri
Lefebvre9 notamment, à la fin des années 1960
pourrait être reformulé aujourd’hui comme un «droit
à la qualité urbaine» : chacun devrait avoir le droit
d’habiter dans un espace agréable et un environne-
ment sain. Ce principe, qui guide le champ théorique
de la justice environnementale, implique que l’amé-
lioration de la qualité du cadre de vie puisse béné-
ficier en priorité aux habitants des quartiers les plus
déqualifiés.
L’enjeu de la requalification de la ville questionne
donc explicitement la fabrique de l’urbain : qui fait la
ville, et comment ?
LA MISE EN ŒUVRE
La fabrique urbaine mobilise essentiellement trois
sphères : celle de l’élu, de l’expert et du citoyen.
Pendant les deux premiers tiers du XXe siècle, l’ur-
banisme était essentiellement l’apanage d’experts-
techniciens, agissant selon leur conception du bien
commun. Cet urbanisme fonctionnaliste va faire l’ob-
jet de vives critiques : d’une part les préoccupations
des populations n’ont pas toujours été au cœur des
interventions urbanistiques ; d’autre part les dimen-
sions culturelles et politiques ont été écartées de la
fabrique de la ville, au nom de la modernité.
Reposant sur une acceptation pluridimensionnelle et
globale de la qualité urbaine, une nouvelle pratique
urbanistique va apparaître dans le troisième tiers du
XXe siècle, sous la notion de projet urbain. L’outil de
projet vise à travailler sur des territoires fragmen-
taires, souvent déshérités, en privilégiant l’échelle de
l’espace vécu par les habitants : le quartier. Dans le
cadre d’une gestion toujours plus complexe et incer-
taine de la ville, cet outil vise un retour du politique
9 Lefebvre, H. (1968), Le droit à la ville, Paris : Anthropos.
par la participation. Mais le projet urbain a récem-
ment investi d’autres échelles que celle du quartier :
projet de ville, d’agglomération, de territoire sont
devenus des outils introduisant à toutes les échelles
l’idée d’une vision partagée, prospective et flexible de
l’avenir du développement territorial.
L’idée de projet implique des transformations dans les
modalités de l’exercice de l’action collective – basée
sur une négociation explicite, permanente entre les
techniciens, le politique et les habitants dans une
logique processuelle de coproduction itérative de la
ville. Autrefois hiérarchique, le système de décision
tend à devenir un réseau polycentrique d’acteurs
complémentaires et en concurrence (Novarina, 2000).
LES RISQUES
Deux écueils menacent la qualité urbaine, telle
qu’elle peut être réalisée aujourd’hui. Le premier
est la conséquence de l’importance grandissante du
«marché» dans la production de la ville. Dans certains
contextes, on observe une tendance à la privatisation
de l’aménagement, notamment des espaces publics.
Répondant à une logique de valorisation essentielle-
ment économique, ce mode opératoire comporte le
danger de produire un effet restrictif sur la compo-
sition sociale des bénéficiaires de la qualification ur-
baine. Nous pouvons citer ici les exemples des street
mall à l’américaine (rues commerçantes mais entiè-
rement privatisées) qui ont commencé à faire leur
apparition en Europe. La manière de faire intervenir
les acteurs associatifs et la société civile constitue le
second écueil. Il n’est pas rare que la planification de
l’espace, sous couvert d’une production démocra-
tique «participative» alibi, reste, dans les faits, une
action plus ou moins instrumentalisée par l’Etat.
POUR UNE COPRODUCTION DE LA QUA-
LITÉ URBAINE
Que la participation ne soit pas un prétexte mais une
manière de faire entrer le politique dans l’action col-
lective constitue donc une condition sine qua non de
réalisation de la qualité urbaine. Dans l’idée de rendre
l’action collective plus démocratique, le moment clé de
la participation n’est pas dans l’élaboration de solutions,
mais dans la construction du diagnostic des problèmes
à résoudre et des besoins auxquels répondre, soit dans
la mise à l’agenda politique d’un problème socialement
construit. Car les conflits se trouvent souvent plus dans
la définition du problème que dans les modalités de mise
en œuvre de solutions. Le « droit à la qualité urbaine »,
en raison de la relativité et de la pluralité des signifiants
qu’elle revêt, est donc aussi un droit à participer à sa
définition et à sa mise en œuvre. YB, MT
L’équité d’accès à la qualité urbaine
Vues sur la ville 7
bonnes pratiques
L’AIR, LA MOBILITÉ ET NOTRE BIEN-ÊTRE
EN VILLE.
A L’EXTÉRIEUR
S’il est déjà bien connu que, en ville, le vélo (à assis-
tance électrique ou non) est le moyen de déplacement
le plus rapide, beaucoup ne savent pas encore que la
petite reine nous permet d’être moins exposés à
la pollution routière (CO, FN, NO, NO2, benzène, to-
luène, pm10, etc.) que, de manière générale, les autres
moyens de transport, avant tout la voiture10 ! Com-
parés aux cyclistes, seuls les piétons sont encore plus
protégés des polluants nocifs (et, selon la trajectoire et
le polluant, les voyageurs en métro et parfois ceux ayant
choisi le bus). Emprunter les pistes cyclables, si elles
existent11, permet d’atténuer l’inhalation de polluants,
qui augmente forcément avec une respiration plus in-
tense. Et si vous pouvez éviter les heures de pointe, tant
mieux (par ailleurs, le matin et en hiver, peu importe le
moyen de déplacement, l’air est plus pollué que le soir
et en été). Et puis, les petits chemins sympa, peu, voire
non pollués n’attendent que vous, piétons et cyclistes !
Pour les trajets de moins de cinq kilomètres, pré-
férez donc le vélo ou la marche à pied, les véhicules
motorisés polluant deux fois plus le premier kilomètre
que les autres. Le vélo peut se transformer facilement en
accompagnateur d’un piéton, par exemple pour trans-
porter des courses lourdes à porter ou pour de petits
déménagements. L’utilisation du vélo et la marche à
pied pour ces petits trajets vous permettront d’atteindre
facilement vos 30 minutes d’exercices physiques
quotidiens recommandés. Et si votre ville est en pente,
l’exercice cardiovasculaire est d’autant plus efficace,
que vous soyez à pied ou à vélo !
Mais bon, parfois, le mauvais temps, le froid ou d’autres
raisons nous font préférer un autre moyen de transport.
Les transports publics, le covoiturage, l’auto-partage ou
un véhicule motorisé écologique sont alors des alter-
natives. N’hésitez pas à combiner ces différents
moyens de transport selon vos besoins. D’ailleurs,
si vous prenez la voiture, une conduite souple dite
« Eco-Drive » réduira votre consommation de carburant
et donc les émissions nocives. Si l’on sait qu'en Europe
plus de la moitié des maladies et des décès liés à la pol-
lution atmosphérique sont à attribuer au trafic12 et que
10 Voir l’étude de la référence http://www.prefecture-police-
paris.interieur.gouv.fr
11
Airparif, l’association de surveillance de la qualité de l’air
en Ile-de-France, a montré récemment que, à Paris en tout
cas, les pistes cyclables permettent une moindre exposi-
tion à la pollution routière (voir http://www.lefigaro.fr/
sante/2009/02/18/01004-20090218ARTFIG00331--paris-
moins-de-pollution-a-velo-que-dans-une-voiture-.php).
12 Voir http://www.geneve.ch/maisonsante/fr/themes/
pollutionair/welcome.html
l’on connaît les solutions pratiques à la résolution de ce
problème, pourquoi pas y contribuer de temps en
temps, et contribuer par là-même à une meilleure
qualité urbaine ?
A L’INTÉRIEUR
Une fois arrivés à destination, gardons en tête que l’air
extérieur est toujours de meilleure qualité que
celui d’un espace fermé, même en ville, et même
au bord d’une route. Aérer grand ouvert durant cinq
minutes trois à cinq fois par jour permet d’amélio-
rer la qualité de l’air intérieur – tout en ménageant les
frais de chauffage. Les fenêtres laissées mi-ouvertes, par
contre, sont à éviter, aussi bien du point de vue du re-
nouvellement de l’air que du point de vue de la consom-
mation d’énergie !
Pour un air de qualité, aérer c’est important, mais ce
n’est pas suffisant. Passer l’aspirateur régulièrement
et nettoyer son appartement de préférence aux chif-
fons en microfibres est tout aussi important afin de
chasser microbes, acariens et compagnie. Les bougies
parfumées (aux composants chimiques ….) et la diffu-
sion d'huiles essentielles par une bougie, ce qui peut
produire des molécules toxiques, sont à éviter. Une
simple bougie ou une goutte d’huile essentielle
(biologique) purifiant l’air sur un mouchoir en tissu ou
en papier feront l’affaire. Mais attention, les huiles es-
sentielles sont à utiliser avec modération et précaution.
Renseignez-vous auprès d’une personne compétente.
D’ailleurs, pour que les narines puissent bien faire
leur travail de filtrage, il est important de les nettoyer
aussi ! Nettoyez-les à l’eau salée. L’effet est sur-
prenant !
Enfin, aux toilettes, le moyen le plus efficace et le
plus naturel de vous débarrasser des mauvaises odeurs
est de faire brûler une allumette durant quelques se-
condes. Vous verrez que les odeurs partent toutes seules
– et vous vous éviterez de respirer de l’air pollué par les
particules chimiques provenant des purificateurs d’air
«classiques».
Voilà donc quelques astuces qui nous permettent de
contribuer à une «vi(ll)e aérée» qui peut nous procurer
un réel bien-être. A nous tous de jouer maintenant ! AG
POUR PLUS D’INFORMATIONS:
Les Astuces durables «Les transports» de l’association
UniPoly, www.unipoly.ch
PACCHIONI Isabelle : 100 réflexes air pur.
Guide pratique anti-pollution, Paris : LEDUC.S
Editions. ISBN : 978-2-84899-235-8
Ma vi(ll)e aérée !
Vues sur la ville
8
pré-vues
Institut de géographie
EDITEUR : IRIS-ECOLOGIE
Ont collaboré à la rédaction de ce numéro : UniPoly : Angela Santini (AS), IGUL:
Sandra Guinand (SG), Yves Bonnard (YB), Jean-Philippe Dind (JPD), Antonio da Cunha
(AC), Marianne Thomann (MT)
Impression : Institut de Géographie, Université de Lausanne
Toute correspondance est à adresser à l’
Observatoire universitaire de la Ville et du Développement
durable
Institut de Géographie
Université de Lausanne
Dorigny-Anthropole, CH-1015 Lausanne
Téléphone : ++41 21/692 30 70
Fax : ++41 21/692 30 75
Courriel : marcia.curchod@unil.ch Tirage: 1’350 ex.
La densité s'apprécie le plus souvent à travers la morphologie du cadre construit et se mesure à l'aide d'indices qui décrivent une matérialité figée de la ville. Il
apparaît cependant que cette description correspond de moins en moins à la réalité de structures urbaines qui évoluent en fonction des acteurs qui les animent
et de temporalités confuses.
En effet, les structures territoriales sont animées par des centralités et des intensités plus ou moins perceptibles mais tout à fait réelles qui s'organisent et se
développent en fonction de dynamiques qui leurs sont propres. Comment affirmer aujourd'hui que les centralités et les intensités, visibles ou non visibles, se
développeront là où les planificateurs l'ont décidé ? Comment intégrer le précepte de développement durable et la notion de contexte au concept de densité ?
Comment le ressenti des acteurs et les différents âges de la vie peuvent-ils devenir les enjeux d'intensités en devenir ?
C'est à travers les regards croisés de professionnels et de chercheurs suisses et français de l'urbanisme que cette journée se propose d'enrichir l'actualité des
territoires et, pourquoi pas, de rouvrir certains débats qui auraient pu sembler définitivement clos.
UNIVERSITÉ DE LAUSANNE, TIMENT ANTHROPOLE, SALLE 2024, 9H00 – 16H30
Journée d'échange franco-suisse 2009
Densités, centralités, intensités
Quelles perceptions ? Quelles réalités ?
Quelles représentations ?
PUBLIC-CIBLE :
Membres des associations partenaires, étudiants et enseignants UNIL/EPFL/
HES, professionnels et chercheurs de l'architecture et de l'urbanisme suisse et
français, ainsi que toute personne intéressée
ORGANISATION :
Urbanistes des Territoires (UT)
Fédération suisse des urbanistes, section romande (FSU)
Observatoire universitaire de la ville et du développement durable (OUVDD)
INSCRIPTIONS :
Par e-mail jusqu'au 30 juin 2009 auprès de :
Jean-Philippe Dind, OUVDD : jean-philippe.dind@unil.ch
RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES :
Suisse : Thierry Merle, FSU/ UT : thierry.merle@vd.ch
France : Bernard Lensel, UT : blensel@yahoo.fr
INSCRIPTION GRATUITE, RESTAURATION SUR PLACE,
REPAS À CHARGE DES PARTICIPANTS
INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES :
www.urbanistesdesterritoires.com
www.unil.ch/ouvdd
Lausanne - 3 juillet 2009
Urbanistes des Territoires
Association des Professionnels de l’Urbanisme
des Collectivités et Territoires
F S U
Section romande
Fédération
suisse
des urbanistes
ResearchGate has not been able to resolve any citations for this publication.
ResearchGate has not been able to resolve any references for this publication.