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17 au 19 juin 2015
à Toulouse
Colloque International
Fiche synthétique de communication
Evolutions organisationnelles et communication en ligne – étude de cas : la Digital
Acceleration Team et la communication de Nestlé sur les médias sociaux
Auteurs :
Grégoire TARDIN, Assistant diplômé*, gregoire.tardin@unifr.ch
Dominique BOURGEOIS, Professeure*, dominique.bourgeois@unifr.ch
Bruno ASDOURIAN, Maître d’enseignement et de recherche*, bruno.asdourian@unifr.ch
* Université de Fribourg, Suisse.
Supports théoriques :
Notre cadre de recherche intègre le concept de communication bidirectionnelle symétrique (Grunig & Hunt,
1984) adapté aux médias sociaux (Etter, 2014) ; les caractéristiques des médias sociaux (Boyd & Ellison,
2010) et leurs implications communicationnelles (Charest & Gauthier, 2012) ; les notions de processus
organisant (Giroux, 1997), de maîtrise des risques et de retour d’expérience des crises (Bouzon, 1999).
Problématique / Question :
La mise en place par certaines grandes entreprises d’une structure opérationnelle en vue de gérer la
communication en ligne permet-elle une évolution notable de leurs communications numériques ?
Terrain et Méthodologie :
Le terrain d’étude est celui de la communication de l’entreprise Nestlé sur les médias sociaux. La période
d’analyse s’étend de mars 2010 à février 2015. La méthodologie retenue dans cette recherche est de type
qualitatif : analyse de contenu et interview d’un membre de l’ « équipe d’accélération numérique » – Digital
Acceleration Team (DAT) – de Nestlé.
Résultats :
Le changement organisationnel a amené deux changements communicationnels : une communication externe
proactive orientée vers la viralité (plutôt que sur les conversations) ; une communication interne en réseaux
caractérisée par des interactions synergiques entre les membres dans les espaces physiques (locaux) et
numériques (internationaux) optimisant la réactivité de Nestlé sur les médias sociaux lors des périodes
sensibles.
Implications pour la thématique du colloque :
Le réseau mondial des DATs illustre la mutation des processus communicants-organisants dans l’ère
numérique : de nouvelles formes d’interactions – physiques et digitales – entre les communicants conduisent
à une évolution significative de la communication vers le public en ligne.
Grégoire TARDIN, Dominique BOURGEOIS, Bruno ASDOURIAN
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Grégoire TARDIN
Assistant diplômé, Sciences de la Communication et des Médias.
Université de Fribourg, Suisse.
Thèmes de recherche : médias sociaux, communication d’entreprise, communication de crise
Prof. Dr Dominique BOURGEOIS
Professeure, Sciences de la Communication et des Médias.
Université de Fribourg, Suisse.
Thèmes de recherche : nouveaux médias, économie de l’information et des médias, usages des
TIC
Dr Bruno ASDOURIAN
Maître d’enseignement et de recherche, Sciences de la Communication et des Médias.
Université de Fribourg, Suisse.
Thèmes de recherche : innovation et médias sociaux, réseaux et communautés, journalisme en
ligne
Évolutions organisationnelles et communication en ligne
– étude de cas : la Digital Acceleration Team et la
communication de Nestlé sur les médias sociaux
Résumé : La mise en place par certaines entreprises d’unités organisationnelles dédiées à la
gestion des médias sociaux témoigne de l’importance qu’elles accordent aux nouveaux outils de
la communication. Le réseau mondial des « Digital Acceleration Team » implémenté par Nestlé
depuis 2012 illustre la mutation des processus organisants dans l’ère numérique. De nouvelles
formes d’interactions physiques et digitales internes conduisent à une évolution significative de
la communication numérique externe.
Mots-clés : communication – médias sociaux – relations publiques – organisation en réseau –
mutations organisationnelles – processus organisants.
Des formes symboliques aux formes organisationnelles : une matérialisation des organisations par et dans le jeu des
médiations
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Introduction
Le paradigme de communication intégrant les
médias sociaux (Charest & Gauthier, 2012)
contraint les entreprises à revoir leur approche
des relations publiques avec les internautes. Ce
changement de logique communicationnelle
s’accompagne de mutations organisationnelles.
Exploitant le retour d’expérience de crises
passées (Bouzon, 1999), de nombreuses grandes
entreprises ont mis en place des équipes digitales
dédiées à la gestion des médias sociaux. La
présente recherche étudie l’effet de
l’implémentation d’un réseau mondial de Digital
Acceleration Team (DAT) sur la communication
en ligne de Nestlé : la communication en réseaux
entre la DAT centrale implantée au siège social
de l’entreprise à Vevey (Suisse) et ses équivalents
locaux implémentés dans le monde entier illustre
la mutation des processus organisants à l’ère
numérique.
Cadre théorique
Les trois stratégies de communication sur
Twitter identifiées par Etter (2014) sont
inspirées des modèles de relations publiques de
Grunig et Hunt (1984). La « stratégie de
diffusion » consiste en une communication
unidirectionnelle alors que la « stratégie
réactive » et la « stratégie d’engagement »
impliquent une conversation entre l’entreprise et
les publics. Si la stratégie réactive est bien
caractérisée par une interactivité entre les
internautes et l’organisation, celle-ci se limite
seulement aux réponses aux questions et
remarques des utilisateurs. L’approche
communicationnelle est différente dans la
stratégie d’engagement. Elle est marquée par une
proaction de l’entreprise qui s’enquiert de l’avis
du public par le truchement de questions et
autres sollicitations des internautes. Etter (2014)
indique que cette stratégie permet l’identification
d’intérêts et d’objectifs communs et fournit un
socle pour un engagement à long terme entre
l’organisation et les parties prenantes.
Le modèle idéal-typique de la « communication
bidirectionnelle symétrique » (Grunig & Hunt,
1984) se révèle ainsi tout à fait pertinent pour
appréhender les relations publiques des
entreprises à l’ère des réseaux socionumériques.
Il est caractérisé par une compréhension
mutuelle entre l’organisation et les publics
stratégiques. Ce modèle se distingue des trois
autres modèles développés par Grunig et Hunt –
« promotion », « information publique » et
« communication bidirectionnelle asymétrique »
– dans lesquels l’organisation est une « source »
et les publics un simple « récepteur ». Avec
l’approche symétrique, en revanche, la
communication est utilisée pour gérer les conflits
et mieux comprendre les publics. La
communication prend ainsi forme à travers le
dialogue, la négociation et l’écoute (Grunig,
1992). Nous retrouvons de manière récurrente
ces notions dans la littérature liée aux médias
sociaux en ligne.
Charest et Gauthier (2012) avancent que
l’avènement des médias sociaux engendre un
changement de paradigme communicationnel
pour les relationnistes. Sur les réseaux
socionumériques, les acteurs sont constamment
en situation d’échange (Badillo, Bourgeois,
Asdourian, 2010). Les organisations se trouvent
dès lors contraintes d’abandonner le paradigme
d’une communication linéaire et dogmatique
pour embrasser les nouvelles exigences
d’interactivité et de compréhension mutuelle des
plateformes sociales en ligne. Boyd et Ellison
(2010) isolent notamment une catégorie
d’ « amitié » (Friendship) numérique particulière :
les relations unidirectionnelles qui ne requièrent
pas l’approbation des deux parties pour être
entérinées. Ce type de liens – tels les « fans » sur
Facebook –, implique de nouveaux
comportements dans le domaine des relations
publiques.
La présence des entreprises sur les médias
sociaux offre ainsi un terrain fertile pour
repenser les relations publiques en tant que
processus organisants. L’étude ci-après met en
effet en lumière un « processus de création de
signification [et] d’élaboration de la connaissance
se réalisant par et dans la communication »
(Giroux, 1997). Les interactions se font tant dans
des espaces physiques (locaux) que dans des
espaces numériques (internationaux) qui sont
organisés en réseau (Assens, 1996). La
transformation des processus organisants a une
double origine : la nécessité de s’adapter aux
nouvelles exigences communicationnelles de
l’ère numérique ; l’utilité d’exploiter le retour
d’expérience des crises passées (Bouzon, 1999).
Grégoire TARDIN, Dominique BOURGEOIS, Bruno ASDOURIAN
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Question de recherche et hypothèse
Nous formulons la question de recherche
suivante : la mise en place de nouvelles unités
organisationnelles dédiées aux médias sociaux
permet-elle une évolution notable de la
communication numérique d’une grande
entreprise ? La recherche porte sur le cas de
Nestlé, entreprise multinationale dont le siège
social est à Vevey (Suisse) et qui a
considérablement changé son système
organisationnel dédié aux médias sociaux au
cours des années récentes.
Notre hypothèse de recherche est que le
changement organisationnel entrepris par la
firme agroalimentaire lui permet effectivement
de modifier sa communication en ligne. Deux
sous-hypothèses précisent les modalités de ce
changement :
- H1a : La communication s’inscrit dans une
stratégie de communication réactive.
La sous-hypothèse H1a s’inspire de Etter (2014),
à qui la notion de stratégie réactive est reprise,
et de Bouzon (1999), qui postule qu’une
entreprise peut capitaliser sur l’expérience d’une
crise pour prévenir la réitération de situations
comparables et améliorer les procédures mises
en place. L’idée est ici que Nestlé, après avoir
subi en 2010 une crise importante sur Facebook
en raison de sa réaction trop tardive et
inappropriée (Niedermeir, 2012), a exploité le
retour de cette expérience pour améliorer sa
réactivité sur les réseaux socionumériques via
l’implémentation du programme DAT.
- H1b : La communication ne s’inscrit pas, ou très
peu, dans une stratégie de communication
proactive.
La sous-hypothèse H1b s’inspire également de
l’étude de Etter (2014) dans laquelle l’auteur
démontre que seules 13% des entreprises
appliquent une stratégie d’engagement dont la
caractéristique principale est une approche
proactive de la communication. L’idée est ici que
Nestlé suit la même trajectoire que la majorité
des organisations étudiées par Etter.
Méthodologie
La méthodologie de notre recherche est double.
Elle consiste d’une part en un entretien avec un
membre de la Digital Acceleration Team de Nestlé,
1 Les arguments développés dans cet article sont ceux
des auteurs.
et d’autre part en une analyse de contenu des
messages publiés par Nescafé sur Facebook. Les
deux méthodes de récolte des données sont de
type qualitatif.
L’entretien s’est déroulé en anglais le 4 février
2015 avec l’interviewé A1, un employé de Nestlé
en Afrique venu au siège de la firme pour suivre
une formation pratique poussée de huit mois aux
médias sociaux. L’entretien a duré une demi-
heure et a porté sur trois thèmes principaux : les
tâches de la DAT, les aspects organisationnels, et
les règles de fonctionnement ainsi que les
interactions entre les membres.
L’analyse de contenu porte sur les messages
publiés (posts et commentaires) par Nescafé sur
Facebook lors de deux périodes : avant et après
la mise en place de la DAT. L’objectif sous-
tendant le choix de deux périodes d’analyse est
de déterminer si des changements sensibles sont
observables entre la communication numérique
de Nestlé sans la DAT, et avec la DAT. Le fait de
restreindre notre analyse de contenu à la marque
Nescafé résulte de l’impossibilité d’analyser
l’ensemble de la communication de Nestlé sur les
médias sociaux (la firme, par l’intermédiaire de
ses nombreuses marques, possède des centaines
de comptes et pages sur les différents médias
sociaux). Les questions de faisabilité nous ont
amené à étudier une seule marque. Le choix de
Nescafé a été motivé par une information
donnée par l’interviewé A. Ce dernier a précisé
qu’il travaillait à fournir du contenu pour la page
Facebook internationale de Nescafé dans le
cadre de son travail à la DAT de Vevey. Etudier
cette page assure donc de pouvoir observer
l’effet de la DAT sur la communication de Nestlé.
Les catégories ont été élaborées en reprenant la
typologie de Etter (2014) et en l’adaptant à notre
cas d’étude. Les messages récoltés sur Facebook
sont répartis en trois catégories : diffusion de
contenu ; communication réactive ; et
communication proactive. La première catégorie
« diffusion de contenu » contient tous les
messages de Nescafé qui revêtent un caractère
unidirectionnel. Il s’agit d’une simple
dissémination de contenu qui ne vise pas à
susciter la réaction des internautes ou un
dialogue avec eux. C’est le cas des messages de
Des formes symboliques aux formes organisationnelles : une matérialisation des organisations par et dans le jeu des
médiations
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promotion des produits de la marque. La
catégorie « communication réactive » comprend
les messages de réaction de Nescafé à des
questions ou remarques d’internautes. Ils
revêtent un caractère bidirectionnel. Cependant,
l’initiative de l’interaction revient aux internautes
et non à l’entreprise. C’est ce qui distingue la
catégorie « communication proactive » : elle
englobe les messages postés par Nescafé afin de
susciter une réaction chez les internautes.
La catégorie « communication proactive » est
apparue en cours de recherche comme
nécessitant d’être affinée pour mieux
appréhender les spécificités de notre cas d’étude.
La réaction suscitée chez les internautes par un
message proactif d’une organisation peut être de
différente nature. Lors de l’entretien, le
communicant de Nestlé a précisé que la
formation effectuée à la DAT mettait l’accent sur
le contenu mis en ligne. Celui-ci doit être original,
attrayant pour le consommateur, « socialement
attirant et social par sa conception-même »2. Le
but du message est de devenir viral. L’objectif
poursuivi par ce genre de contenu proactif n’est
donc pas tant l’engagement d’un dialogue avec
l’usager que le partage de post de l’entreprise. Le
contenu posté peut également chercher à
susciter le dialogue et la réaction par son
caractère pertinent par rapport aux événements
qui se passent au sein d’un pays (par exemple des
manifestations sportives ou culturelles) ou au
contexte. Ainsi, trois subdivisions ont été
élaborées dans la catégorie « communication
proactive » : questions et événements In Real Life
(IRL) ; contenus originaux visant la viralité ; et
contenus en rapport avec le contexte. La
première sous-catégorie correspond à la
proaction « classique ». Elle consiste à la fois à
poser des questions ou à approcher des usagers
(Etter, 2014), ainsi qu’à poster des photos dans
lesquelles l’entreprise est allée à la rencontre de
ses clients. Ces rencontres se font en présentiel
et s’inscrivent dans une démarche IRL. Les deux
dernières sous-catégories ont été établies en
prenant appui sur les informations issues de
l’interview.
Pour l’analyse de contenu les données ont été
extraites au moyen du logiciel NVivo. Tous les
2 Notre traduction
3 URL :
https://www.facebook.com/Nescafe?brandloc=DISA
BLE
messages récoltés sur les deux périodes
d’analyse ont été codés manuellement. Au total,
444 messages ont été récoltés et codés. Ils se
répartissent comme suit : 210 datent d’avant la
mise en place de l’équipe d’accélération
numérique (1ère période d’analyse : du 18 février
2011 au 17 février 2012), les 234 autres ont été
publiés après l’implémentation du programme
DAT (2ème période d’analyse : du 1er mars 2014
au 28 février 2015). Les posts et commentaires
ont été recueillis sur deux pages Facebook de la
marque Nescafé : la page Nescafé International3
et la page Nescafé Suisse4. Le choix d’étudier
deux pages Facebook d’une même marque est
motivé par la volonté d’avoir une comparaison
spatiale « local/global » entre la page s’adressant
au public suisse et la page destinée au public
international.
Résultats
Un premier résultat doit être noté : que ce soit
avant ou après la mise en place de la DAT, sur la
page suisse ou sur la page internationale, la
communication proactive représente à chaque
fois la majorité absolue des messages online (voir
graphique 1, en annexe).
Cependant, avec l’implémentation du
programme DAT, des changements importants
sont observables dans la communication, à deux
niveaux : la communication externe online
proactive est devenue orientée vers la viralité et
une communication interne s’est développée en
réseaux, caractérisée par des interactions
synergiques entre les membres.
Le changement communicationnel pour la
communication externe se trouve dans le type de
communication proactive qui s’oriente vers la
viralité. Le graphique 2 (en annexe) montre de
manière très claire un passage d’une
communication proactive « traditionnelle »,
basée sur des « questions et événements IRL »,
vers une conversation proactive axée sur des
« contenus originaux visant la viralité ». Cette
observation est valable aussi bien pour la page
suisse que pour la page internationale, avec une
tendance plus marquée pour cette dernière.
4 URL :
https://www.facebook.com/Nescafe.CH?fref=ts
Grégoire TARDIN, Dominique BOURGEOIS, Bruno ASDOURIAN
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L’observation du changement communicationnel
valide l’hypothèse H1 – la mise en place du
programme DAT permet à Nestlé de modifier sa
communication en ligne – mais infirme la sous-
hypothèse H1b (La communication ne s’inscrit pas,
ou très peu, dans une stratégie de communication
proactive). En effet, la communication numérique
de Nestlé s’inscrit dans une logique de proaction,
et ceci que ce soit avant ou après la mise en place
de la DAT. Le changement communicationnel se
trouve dans le fait que l’on passe d’une
communication proactive de type « questions et
événements IRL » à une communication
proactive de type « contenus originaux visant la
viralité ». Celle-ci est caractérisée par la
publication sur Facebook de contenus créés
spécifiquement pour les réseaux sociaux. Après
la mise en place du programme DAT, les posts
sont – pour plus de 80% d’entre eux – basés sur
une image ou une vidéo designée (pour reprendre
l’idée de « social by design » avancée par
l’interviewé A) pour les médias sociaux.
La sous-hypothèse H1a – la communication
s’inscrit dans une stratégie de communication
réactive – est, quant à elle, infirmée par les
résultats de l’analyse de contenu. La stratégie de
communication de Nestlé ne s’inscrit pas dans
une logique de réaction. Après la mise en place
du programme DAT, seuls 25% des messages de
Nescafé Suisse et 19% des messages de Nescafé
International sont de type réactif. Toutefois, il est
évident que ces messages de réaction, de la part
d’une entreprise, sont plus fréquents si cette
dernière traverse une période sensible, telle une
crise. Or, que ce soit sur la page Nescafé Suisse
ou sur la page internationale, aucun épisode de
ce genre ne s’est présenté lors des deux périodes
d’analyse retenues dans cette recherche. Nous
avons pu tester la sous-hypothèse H1a plus en
profondeur grâce aux informations obtenues
durant l’entretien avec l’interviewé A.
Le second changement communicationnel, qui
constitue notre troisième résultat, est identifié
grâce aux données récoltées pendant l’interview.
Il s’agit de la mise en place d’une communication
interne en réseaux qui est renforcée lors des
périodes délicates. D’une manière générale, les
interactions entre les membres des DATs se font
tant dans les espaces physiques (locaux) que
numériques (internationaux). Elles optimisent la
réactivité de Nestlé sur les médias sociaux lors
des périodes sensibles. Deux situations sensibles
concernant des marques du groupe Nestlé («
DiGiorno » et « Crunch ») se sont récemment
présentées sur Twitter. Nous ne nous
attarderons pas ici sur la description des deux cas
mais plutôt sur la manière dont ils ont été pris en
charge par Nestlé. Dans les deux situations, la
DAT centrale de Vevey a vu le problème, mais
ne l’a pas traité elle-même. C’est en effet le
« marché » – c’est-à-dire le compte Twitter mis
en cause – qui a la responsabilité de gérer la
crise. La DAT centrale de Vevey intervient
uniquement dans le processus de gestion de la
situation sensible à travers le transfert
d’informations aux équipes numériques locales.
Dans le cas « DiGiorno », la DAT centrale de
Vevey a aidé la DAT locale (en l’occurrence
l’équipe des Etats-Unis) en réalisant rapidement
un rapport indiquant de quelle importance était
le problème et à quelle vitesse il grandissait.
L’interviewé A explique : « Nous leur avons
envoyé le rapport et cela a contribué aux
décisions qu’ils ont prises. ». Dans le cas du bad
buzz lié à la marque Crunch, la DAT centrale a
également été impliquée. « Nous avons participé
au suivi de la situation, nous avons essayé de la
comprendre et de définir comment la contenir »
(Interviewé A).
Les cas présentés lors de l’interview illustrent les
caractéristiques de la communication interne en
réseaux dans les DATs : des interactions
synergiques entre les membres dans les espaces
physiques (locaux) et numériques
(internationaux) optimisant la réactivité de
Nestlé sur les médias sociaux. Les interactions
numériques citées ci-dessus sont rendues
possibles par un système de chat interne à
l’entreprise grâce auquel les employés des
équipes numériques du monde entier peuvent
échanger entre eux et avec leurs supérieurs. Les
interactions physiques ont quant à elles lieu dans
les salles (« DAT rooms ») où travaillent les
membres des DATs centrale et locales.
L’entretien avec le communicant de Nestlé
permet d’apporter des éléments
complémentaires à l’analyse de contenu qui
éclairent la sous-hypothèse H1a (relative à la
réactivité) sous un nouveau jour. Certes la
stratégie de communication de Nestlé ne s’inscrit
pas dans une stratégie réactive, mais la réactivité
des différentes pages et comptes des marques
Nestlé sur les réseaux sociaux est accrue lors des
périodes sensibles grâce au réseau mondial des
Des formes symboliques aux formes organisationnelles : une matérialisation des organisations par et dans le jeu des
médiations
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DATs. La sous-hypothèse H1a peut donc être
partiellement validée.
Discussion
Les résultats de notre étude de cas valident
l’hypothèse générale de recherche H1 – la
communication en ligne de Nestlé étant bien
différente après la mise en place de la DAT – mais
pas selon les modalités que nous attendions : la
sous-hypothèse H1b est rejetée et la H1a n’est
que partiellement validée. Le premier
changement communicationnel mis en lumière
est une communication externe proactive visant
la viralité plutôt que la recherche de
conversations et d’échanges avec les publics en
ligne. La stratégie de Nestlé remet sur ce point
en cause le modèle de la « communication
bidirectionnelle symétrique » de Grunig et Hunt
(1984). Toutefois, même s’il n’est pas – ou pas
uniquement – poursuivi via des échanges, il
ressort de l’entretien avec l’interviewé A que
Nestlé déclare accorder une importance
particulière à la compréhension des clients. C’est
un élément-clé de la théorie des deux auteurs
que l’on retrouve dans la notion de
« compréhension mutuelle », mais aussi dans le
paradigme de communication de Charest et
Gauthier (2012).
Les résultats de la recherche mettent en lumière
de nouvelles formes de processus organisants à
l’ère numérique. Les informations collectées lors
de l’entretien indiquent que les membres des
DATs – centrale et locales – s’efforcent de
comprendre au mieux les préoccupations des
clients mais aussi les contenus qu’ils aiment sur
les réseaux sociaux, ceci dans une optique de
viralité. Cette compréhension des différents
besoins des consommateurs se fait par une
écoute des médias sociaux au moyen de
différents logiciels de monitoring, mais aussi par
des échanges physiques et virtuels entre les
communicants visant à définir quel contenu sera
le plus attirant pour tel ou tel type de client.
La communication interne en réseaux de Nestlé
est explicitée via deux exemples (DiGiorno et
Crunch) issus de périodes sensibles. Dans les
deux cas, les interactions synergiques physiques
et digitales entre les membres des différentes
équipes numériques décrites par l’interviewé A
montrent la façon processuelle dont la
signification et la connaissance sont créées « par
et dans la communication » (Giroux, 1997) au
sein d’un groupe travaillant à la gestion des
médias sociaux. La création de signification se fait
à travers des communications orales et en ligne
(chat) qui débouchent sur l’élaboration de
connaissances rendues explicites sous forme de
rapports. Ces rapports sont ensuite utilisés pour
éviter que des situations similaires ne se
présentent à nouveau. Concernant le bad buzz
qui a touché la marque Crunch, l’interviewé A
explique : « Nous avons réalisé des rapports pour
nous aider à comprendre comment le problème
avait commencé, quelle en était la raison sous-
jacente, ceci dans l’optique d’en tirer des
enseignements pour le futur ». Nestlé souhaite
ainsi tirer profit du retour d’expérience (Bouzon,
1999) des crises passées pour maîtriser au mieux
les risques (Idem) dans les périodes suivantes.
Conclusion
La présente étude montre tout d’abord que dans
le contexte de mutation de la communication des
entreprises à travers les médias sociaux, le
changement organisationnel opéré par Nestlé lui
permet de modifier sa communication
numérique. Le réseau mondial des DATs illustre
la reconfiguration des processus organisants
aussi bien dans les espaces physiques locaux – par
des interactions interpersonnelles dans chacune
des DATs – que dans les espaces virtuels
internationaux – via des échanges à distance
(chat) entre les DATs. Cette reconfiguration a
permis de profonds changements de la
communication interne et externe en ligne.
Une deuxième conclusion concerne la
communication de crise et d’après-crise. Les
processus organisants identifiés durant l’étude
permettent une meilleure réactivité de Nestlé
durant les périodes sensibles grâce aux
interactions synergiques entre les membres des
équipes numériques. L’analyse de ces périodes
est formalisée dans des rapports sur lesquels
l’entreprise capitalise pour gérer au mieux les
risques et éviter l’apparition de nouveaux bad
buzz.
Une troisième conclusion porte sur le modèle de
communication externe en ligne qui semble
dominer dans le cas étudié. Si Nestlé se
conforme bien à certains critères du modèle
bidirectionnel symétrique de Grunig et Hunt tels
que l’écoute et la volonté de compréhension du
public, d’autres critères, tels le dialogue et la
négociation avec les publics, semblent réservés
Grégoire TARDIN, Dominique BOURGEOIS, Bruno ASDOURIAN
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aux périodes sensibles. La firme agroalimentaire
se rapproche de ce fait plus d’un modèle
bidirectionnel asymétrique qui n’implique pas un
réel dialogue et qui est décrit comme moins
efficace en cas de conflit important avec le public
(Grunig et Hunt, 1994).
Enfin une quatrième conclusion peut être tirée
par l’observation des interactions synergiques
physiques et digitales entre les membres des
différentes DATs : l’étude montre la façon
processuelle dont la signification et la
connaissance sont créées par et dans la
communication. C’est en effet par une
communication interne orale et en ligne (chat)
organisée en réseaux que la création de
signification se fait. Un retour d’expérience peut
alors s’opérer dans des communications sous
forme de rapports. Ce retour d’expérience
apparaît dans la communication réactive de
l’entreprise dans les situations sensibles afin de
réduire les risques réputationnels.
Références bibliographiques
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au modèle organique : l’organisation en réseau.
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- Grunig, J. E. (Ed.). (1992). Excellence in public
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International Research Group on Crisis
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Des formes symboliques aux formes organisationnelles : une matérialisation des organisations par et dans le jeu des médiations
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Annexes
Graphiques
Graphique 1 : Type de communication en ligne de Nescafé avant et après DAT
Grégoire TARDIN, Dominique BOURGEOIS, Bruno ASDOURIAN
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Graphique 2 : Type de communication proactive en ligne de Nescafé avant et après DAT