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La régulation des Déchets d'Equipements Electriques et Electroniques (DEEE) en France et en Italie: traductions et trahisons du principe de responsabilité élargie des producteurs

Authors:
  • Institut Mines-Télécom, Télécom ParisTech School
1
La régulation des Déchets d’Équipements Électriques et Électroniques (DEEE)
en France et en Italie : traductions et trahisons du principe de responsabilité
élargie des producteurs1
Laura Draetta
Telecom ParisTech/LTCI-CNRS
Laura Centemeri
Centro de Estudos Sociais, Universidade de Coimbra
Résumé
A partir des années 1990, le problème de l’accumulation de Déchets d’Equipements Electriques et
Electroniques (DEEE) a été progressivement mis en forme, surtout par la mobilisation des mouvements
environnementalistes, comme menace pour l’environnement et comme problème émergeant à niveau global
demandant ainsi à être régulé. Parmi les initiatives orientées dans ce sens, émerge actuellement le système de
gestion des DEEE que l’Union Européenne a dessiné à travers les Directives « D3E » (2002/96/CE) et
« RoHS » (2002/95/CE). Cette contribution s’intéresse à la mise en œuvre de la Directive D3E en France et
en Italie, en montrant, de manière comparative, les différents mécanismes de réponse/adaptation mis en place
par les entreprises visées et par les autres acteurs concernés par la directive. Dans les deux contextes, des
espaces nationaux de gouvernance du problème des e-déchets ont en effet traduit, de manière différente à
partir de systèmes socio-techniques spécifiques, les principes véhiculés par la norme européenne, en
particulier celui de la responsabilité élargie des producteurs. Cette traduction, même si différenciée dans les
deux pays, semble avoir « trahi », de manière indifférenciée dans les deux cas, l’objectif ultime de la norme,
à savoir l’incitation à l’éco-conception pour la promotion du développement durable en matière
d’équipements électriques et électroniques (EEE).
Introduction
« Les déchets constituent un véritable monde, complexe et symétrique par rapport à celui des
marchandises » (Viale 1994 : p. 7). Dès la naissance de l’économie politique, la définition de
marchandise a toujours impliqué l’idée de « laissez faire » : les marchandises doivent pouvoir être
« abandonnées » au libre jeu de la demande et de l’offre. Au contraire, et parallèlement à cette
liberté accordée aux marchandises, le déchet – état final du processus économique allant de la
production à la consommation d’un bien a toujours fait l’objet de contraintes et de prescriptions
relatives aux manières d’en disposer. Ainsi, une contradiction majeure, intrinsèque au déchet, le
singularise par rapport aux marchandises dont il est issu : le déchet est bien, par définition, ce qui
est abandonné mais il est aussi ce qui ne doit pas être abandonné n’importe comment, au risque de
compromettre la liberté des marchandises de circuler dans l’espace physique et social (ibid.). Dès
lors, une intervention lourde de la règlementation dans l’espace des déchets et de leur traitement
s’impose pour garantir la liberté des marchandises : liberté dans les processus de production et
liberté dans les modalités de consommation.
La dimension critique que le problème des déchets a progressivement atteint depuis
l’industrialisation des sociétés occidentales (avec une production grandissante de déchets dits
1 Pour citer cet article: Draetta L. et Centemeri L., 2011, La régulation des Déchets d’Équipements Électriques et
Électroniques (DEEE) en France et en Italie: traductions et trahisons du principe de responsabilité élargie des
producteurs, in Barthe N. et Rosé J.-J (dir.), La RSE entre Globalisation et Développement Durable, Bruxelles, De
Boeck.
2
« dangereux »2) a amené les pouvoirs publics et la société civile à remettre en questions l’idée que
la gestion des déchets puisse se limiter au traitement, c’est-à-dire à leur réinsertion - réglée et
contrôlée - dans l’environnement. Ainsi, depuis le milieu des années 1970, la nécessité d’en
prévenir la production, afin d’en réduire le futur gisement, s’est progressivement imposée, en
particulier dans l’espace politique et marchand de l’Union Européenne3. Ici, la « réduction des
déchets à la source » s’est en effet imposée comme une priorité, dans le cadre d’un objectif global
de développement économique « durable ». Cette priorité de prévention a conduit le législateur vers
une redéfinition des responsabilités des producteurs et des consommateurs à l’égard des
marchandises, par l’extension des obligations du producteur à l’ensemble du cycle de vie du
produit, jusqu’au stade situé en aval de sa consommation (celui du passage à la « condition » de
déchet).
La définition du principe de Responsabilité Elargie des Producteurs (REP), au début des années
2000 (cf. OCDE 2001)4, a marqué un passage important dans ce processus de redéfinition, en
substituant au régime de la responsabilité de l’acteur public celui de la responsabilité directe et
continue du producteur : le déchet, jusque là considéré comme res nullius et devant dès lors être pris
en charge par la collectivité, devient l’affaire du producteur qui est à présent considéré comme
responsable de la marchandise tout au long de son cycle de vie (infra). Ce changement de registre
dans la définition des responsabilités collectives vis-à-vis du déchet s’accompagne d’une
redistribution entre coûts privés et coûts publics, l’objectif étant de promouvoir l’internalisation de
l’impact environnemental de la marchandise en fin de vie dès sa phase de conception. Cette forme
d’internalisation est dénommée « éco-conception ». C’est l’incitation à l’éco-conception qui est
visée par la réglementation européenne via l’instauration du principe de REP, en tant que
redéfinition du cadre des droits de propriété sur les déchets.
Le terme éco-conception traduit en français le concept anglophone d’eco-design ou de design for
environment, faisant référence à la prise en compte de l’environnement dans la conception des
produits. Il s’agit d’un objectif majeur de la Politique Intégrée de Produits (PIP) proposée par la
Commission Européenne (CE 2001) pour promouvoir le développement d'un marché propice à la
commercialisation de produits plus écologiques. La PIP est une politique de l’environnement
fondée sur une approche globale du produit et orientée sur le cycle de vie, l’objectif étant de réduire
l'impact environnemental des produits à tous les stades de leur cycle de vie (dès l'extraction des
matières premières jusqu’à la gestion des déchets qu'ils engendrent). Dans cette approche, l’éco-
conception est considérée comme une étape fondamentale du processus de décision qui conditionne
l’impact environnemental du cycle de vie des produits et comme pouvant leur apporter des
possibilités d’amélioration, au même titre que « le choix éclairé du consommateur » et la prise en
compte du principe du pollueur/payeur (op. cit.). Entre protection de l’environnement et innovation,
entre REP et PIP, l’éco-conception s’inscrit dans le mouvement de modernisation écologique qui
traverse l’entreprise contemporaine depuis le milieu des années 1990 (Draetta 2003), comme un
outil émergent de « l’approche produit ». C’est une pratique industrielle de conception écologique
de biens ou de services, au moyen de la prise en compte en amont - et de manière systématique,
2 Pour la santé ou l'environnement (via leurs effets directs ou indirects à court, moyen ou long terme). Ces déchets sont
soumis à des régimes de traitement et d’élimination spécifiques (filières) et font l’objet de stratégies institutionnelles et
organisationnelles (au niveau des entreprises) visant à réduire leur production.
3 Presque une dizaine de directives européennes ont vu le jour à partir de cette époque en dessinant le cadre d’une
régulation fondée sur la réduction à la source (cf. la directive 75/442/CEE du 15 juillet 1975 relative aux déchets, la
directive 91/689/CEE du 12 décembre 1991 relative aux déchets dangereux, la directive 94/62/CE du 20 décembre 1994
relative aux emballages et aux déchets d’emballages, la directive 1999/31/CE du 26 avril 1999 concernant la mise en
décharge des déchets, la directive 2002/96/CE du 27 janvier 2003 relative aux déchets d’équipements électriques et
électroniques pour la période 2004-2006, la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006 relative au traitement des déchets
ainsi que la directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative elle aussi aux déchets et abrogeant la précédente).
4 Proposé par l'OCDE en 2001, dans un guide à l'attention des pouvoirs publics, ce principe a été instauré, à l’origine,
par la directive européenne 2002/96/CE réglementant la filière d’élimination des déchets d’équipements électriques et
électroniques.
3
globale et multicritère - de leur impact environnemental, pendant toutes les phases de leur cycle de
vie.
Dans cet article, nous nous intéressons à l’application du principe de responsabilité élargie des
producteurs dans un champ spécifique de déchets, celui des équipements électriques et
électroniques (infra). Ces déchets posent des problèmes à la fois de toxicité, de consommation
d’énergie et de taux de croissance en forte progression. C’est ainsi pour réglementer la gestion et
l’élimination de ces déchets que le principe de REP, à l’origine, a été instauré dans la communauté
européenne. En nous appuyant sur l’approche des controverses de la sociologie de la traduction
(Callon 1986 ; Latour 1989 ; Akrich, Callon, Latour 2006), nous essayerons de montrer comment ce
principe a été d’abord construit comme instrument de la politique environnementale européenne au
travers de des deux directives qui fixent le cadre européen de régulation des déchets d’équipements
électriques et électroniques (la Directive 2002/96/CE, connue sous le nom de « Directive DEEE »
ou « Directive D3E », et la Directive 2002/95/CE connue sous le nom de « Directive RoHS »).
Ensuite, nous viendrons à la mise en place de la Directive D3E en France et en Italie, pour montrer,
de manière comparative, comment ce principe de REP a été déconstruit et puis reconstruit par une
série de mécanismes de réponse/adaptation mis en œuvre par les acteurs visés par cette directive.
Plus précisément, nous montrerons que, en France et en Italie, des espaces nationaux de
gouvernance du problème des e-déchets ont « traduit »5 de manière différente, à partir de systèmes
socio-techniques différents, les principes véhiculés par la norme européenne. Pour finir, nous
essayerons de montrer que cette « traduction », bien qu’elle se présente différente en France et en
Italie, semble avoir « trahi », cette fois-ci de manière indifférenciée dans les deux pays, le principe
de REP : en effet, aussi bien dans sa transposition française et italienne que dans ses applications
opérationnelles, la norme ne semble pas avoir conduit à l’objectif de l’éco-conception tel qu’il
aurait dû être atteint - selon la directive - par la traduction du principe de REP. On verra ainsi que
d’autres dynamiques, pas toujours prévues et attendues, ont été déclenchées dans ce processus de
traduction, au niveau surtout des objectifs de développement durable que la régulation européenne
souhaitait promouvoir.
1. Le problème des e-dechets dans l’Union Européenne
La question des déchets est l’une des problématiques « fondatrices » de la politique
environnementale de l’Union Européenne. Une série de cas internationaux (avec en tête le
« scandale » des déchets de l’accident de Seveso)6 ont contribué, dès les années 1970-1980, à attirer
l’attention de l’opinion publique européenne sur le problème de la gestion, du traitement et de
l’élimination des déchets, en particulier de ceux dits « dangereux ». Déjà à partir de 1975 (avec la
Directive 75/442/CEE relative aux déchets)7, la Commission Européenne avait définit un premier
cadre normatif commun aux pays de la Communauté pour prévenir ou réduire la production et la
nocivité des déchets. Cela a contribué à une augmentation progressive des couts de traitement qui a
favorisé, à son tour, l’intensification du trafique des déchets vers les pays de l’Europe de l’Est et du
Sud de la planète. Le problème des déchets en tant que problème environnemental, qui avait é
5 Le terme de traduction ne doit pas être compris ici dans la même perspective que la traduction linguistique. Il désigne
plutôt la construction d’une réalité sociale issue de la mise en relation entre acteurs aux intérêts spécifiques et en
négociation permanente (cf. Callon, op. cit.).
6 Suite au bien connu accident industriel de Seveso (survenu à l’usine ICMESA le 10 juillet 1976), qui causa la
contamination du territoire de la ville de Seveso et d’autres villes de la Brianza milanaise (Centemeri 2006), les
autorités italiennes furent confrontées au problème de devoir gérer de tonnes de déchets dangereux produits au cours
des activités de décontamination. En 1982, après des mois de controverse autour du choix de la modalité d’élimination
la plus sûre pour ces déchets, la société chargée de résoudre le problème - l’italienne Mannesmann - déclara avoir
repéré une décharge “spéciale” en France où pouvoir enfouir les déchets. En 1983, suite à une enquête journalistique,
les déchets furent retrouvés dans un abattoir abandonné de la ville de Saint-Quentin, dans le Nord de la France.
7 La Directive 75/442/CEE a été ensuite abrogé par l’art. 20 de la Directive 2006/12/CE.
4
considéré jusque là comme un problème local, s’impose ainsi avec tout son potentiel de problème
« global ».
En raison aussi de la mobilisation d’associations environnementalistes (en particulier de
Greenpeace), un traité international - connu sous le nom de « Convention de Bâle » - est venu
régler, en 1989, le contrôle, au niveau international, des mouvements transfrontaliers et de
l’élimination des déchets dangereux pour la santé humaine et pour l’environnement. Cette
convention cherchait à réguler le problème de la mobilité et de la « mondialisation » des déchets,
une question qui demeure encore aujourd’hui très débattue et, sous certains aspects, controversée.
En effet, le trafic illégal de déchets dangereux est non seulement le produit de coûts croissants de
traitement dans les pays industrialisés, mais il semble de plus en plus lié au besoin de matières
premières de la part des pays de plus récente industrialisation (Chine et Inde). Ce phénomène
s’avère être particulièrement évident dans le domaine spécifique des déchets d’équipements
électriques et électroniques (DEEE) et, notamment, dans celui des déchets de l’électronique.8
Connus aussi sous le nom de e-déchets (e-waste en anglais), les DEEE représentent une très vaste
catégorie de marchandises allant du téléphone à l'ordinateur, avec ses composants et ses produits
connexes (imprimantes), en passant par les téléviseurs, réfrigérateurs et autres appareils ménagers
(cf. Tab. 1)9. Etant constitués d’éléments toxiques10, ils sont classés « dangereux » par la
réglementation européenne et font l’objet de nouvelles mobilisations environnementalistes, comme
celle de la Silicon Valley Toxics Coalition, qui a dénoncé la « face cachée de l’électronique » (cf.
Smith, Sonnenfeld & Pellow 2006) et les nombreuses campagnes de sensibilisation et de
dénonciation lancées par Greenpeace contre « l’envers du décor de l’industrie hi-tech »11. Mais pour
produire un PC de 24 kg, il faut utiliser non seulement 22 kg de produits chimiques, mais aussi 240
kg de carburants fossiles et 1500 litres d'eau, soit en proportion plus que pour la production d'une
voiture (Flipo et al. 2007). Quant à eux, les téléphones et les ordinateurs portables consomment 3 %
de l'or et de l'argent récoltés chaque année, 13 % du palladium et 15 % du cobalt (UNEP 2010). Les
enjeux environnementaux des e-déchets sont ainsi liés à des problèmes de toxicité, de
consommation d’énergie et d’approvisionnement de matières premières. A ces trois enjeux majeurs,
s’en ajoute un quatrième : un taux de croissance en augmentation de 5% par an soit un taux trois
fois plus élevé que pour les autres déchets (Greenpeace 2010). Aujourd’hui, les e-déchets présentent
8 Dopés par une forte croissance économique et une forte demande intérieure, les pays de nouvelle industrialisation
cherchent à récupérer les métaux sous toutes leurs formes. Ainsi, aux côtés d’une demande d’équipements électroniques
usagés à bon marché, ces pays développent une économie informelle autour des déchets de l’électronique, de leur
réparation et, surtout, de la récupération de matériaux, via la réduction de chaque morceau d’équipement en de plus
petits composants. D’habitude, ces activités sont réalisées dans des conditions à fort risque sanitaire et environnemental
(largement dénoncées par plusieurs ONG) mais elles jouent désormais un rôle non négligeable dans les économies - en
particulier locales - de ces pays. Les e-déchets contiennent à la fois des substances précieuses et nocives (une tonne de
cartes électroniques produit 130Kg de cuivre, 20Kg d’étain et 450g d’or) imposant des traitements ad hoc qui, dans la
plupart des cas, ne sont pas appliqués.
9 Ces déchets sont issus d’équipements électriques et électroniques (obsolètes ou hors usages), tels que : les
équipements informatiques et de télécommunications (ordinateurs et leurs composants dont les cartes électroniques,
imprimantes, photocopieuses, scanners, onduleurs, téléphones, fax, téléphones portables) ; les gros appareils
électroménagers (appareils de lavage et de cuisson, frigidaires) et les petits électroménagers (aspirateurs, machines à
coudre, fer à repasser…) ; le matériel audiovisuel (radios, téléviseurs, caméscopes, lecteurs DVD, chaînes hi-fi,
instruments de musiques. Ces trois catégories d’EEE sont aussi classées par couleur, en produits « gris », produits
« blancs » et produits « bruns ». D’une manière générale, tout appareil professionnel ou domestique possédant des
éléments électriques ou électroniques ou fonctionnant avec une prise électrique, une batterie, une pile ou un
accumulateur, est un EEE.
10 Métaux lourds (dans les cartes électroniques et dans les tubes cathodiques), plomb, PCB (PolyChloroBiphényles) et
PCT (PolyChloroTerphényls) si produits avant 1980, piles ou accumulateurs (principalement sur les appareils portatifs),
CFC et Gaz à effet de serre (cf. Annexe IB de la Directive 2002/96/CE relative aux déchets d'équipements électriques
et électroniques).
11 http://www.greenpeace.org/france/campaigns/toxiques.
5
une augmentation mondiale de 40 millions de tonnes par an (UNEP 2010) ; si on ne considère que
les déchets des ordinateurs hors d'usage, leur augmentation est estimée entre 200 et 400 % d'ici
2020, en Afrique du Sud et en Chine, par rapport aux niveaux de 2007. Quant à la téléphonie
mobile, elle devrait produire sept fois plus de déchets en 2020 qu'en 2007 en Chine, et dix-huit fois
plus en Inde. Restent les déchets de téléviseurs et de réfrigérateurs dont la proportion devrait
respectivement doubler et tripler dans ces mêmes pays (op. cit.). Quant à la France, le gisement
annuel des DEEE ménagers est estimé entre 16 et 20kg/an/habitant (ADEME, 2008). Ces chiffres,
en augmentation, sont liés non seulement au développement d’un marché - mondial - de
l’électronique de masse mais aussi à la réduction de la durée de vie des équipements
électroniques12.
Tableau 1 Les 10 catégories d’EEE
1
Gros appareils ménagers
6
Outils électriques et électroniques
2
Petits appareils ménagers
7
Jouets, équipements de loisir et de sport
3
Equipements informatiques et de
télécommunications
8
Dispositifs médicaux
4
Matériels grand public
9
Instruments de surveillance et de contrôle
5
Matériels d’éclairage
10
Distributeurs automatiques
(ADEME 2008)
La régulation des é-déchets telle qu’elle a été mise en place dans les pays de l’Union Européenne,
nous permet de comprendre les évolutions connues par la politique environnementale
communautaire en matière de déchets. Dans les réglementations de 1ère génération (avant 1975),
les efforts de régulation étaient concentrés sur la définition d’un système contrôlé de traitement des
déchets et de leur mobilité. Les différences d’impact environnemental des divers types de traitement
(réemploi, récupération, recyclage, incinération, mise en décharge), ainsi que l’inégalité de leurs
coûts, n’étaient pas pris en compte, alors que les pratiques à moindre impact environnemental
(récupération et recyclage) - en particulier dans le cas des déchets dangereux - s’accompagnent de
couts très élevés, en raison de la nature techniquement complexe des opérations nécessaires pour
extraire les ressources réutilisables. C’est surtout depuis les années 2000 que la prise en compte de
ces contraintes a poussé l’Union Européenne à la définition de réglementations ad hoc destinées à la
régulation de catégories spécifiques de déchets, notamment les déchets « dangereux », y compris les
DEEE. Deux importantes directives européennes ont vu le jour dans ce domaine en 2002 : la
Directive « RoHS » (2002/95/CE), imposant la limitation de l'utilisation de certaines substances
dangereuses dans les équipements électriques et électroniques13, et la Directive « D3E » concernant
l’obligation de la collecte sélective et du traitement des équipements électriques et électroniques
12 A titre d’exemple, la vie moyenne d’un ordinateur est passée de 4-6 ans, en 1997, à 2 ans en 2005 (Widmer, Oswald-
Krapf et al. 2005).
13 La directive RoHS (Restriction of the use of certain Hazardous Subustances in electrical an electronic equipment)
impose des limites à l’utilisation de certains métaux lourds et de certains retardateurs de flamme dans les équipements
électriques et électroniques. Selon cette directive, depuis le 1er Juillet 2006, les nouveaux EEE mis sur le marché ne
devront plus contenir de plomb, de mercure, de cadmium... ni d’autres substances dangereuses (listées en annexe de la
directive). En interdisant l’utilisation de ces substances dans la production des EEE, la directive se propose comme un
dispositif de gestion du risque sanitaire et environnemental. En effet, avec la restriction de l’utilisation des substances
déjà citées, elle vise à augmenter les possibilités de recyclage des DEEE, mais aussi à réduire leur impact nocif sur la
santé des travailleurs dans les stations de recyclage. Afin de réduire/éliminer l’utilisation de ces substances dangereuses,
la directive oriente les producteurs vers l’abandon de certaines technologies déjà consolidées mais considérées à risque,
pour trouver des alternatives de qualité équivalente mais à moindre impact environnemental.
6
(2002/96/CE)14. Ces directives sont destinées à fixer le cadre réglementaire européen de la gestion
du problème des DEEE, en amont (par la directive RoHS) et en aval (par la directive D3E) du
processus de production. Pour ce faire, elles ont introduit des objectifs spécifiques de pourcentage
de recyclage (4Kg/habitant/an) à atteindre en matière de DEEE15 et ont introduit le principe de la
Responsabilité Elargie des Producteurs (REP) qui définit aujourd’hui le cadre de la régulation des é-
déchets en Europe.
2. E-déchets et Responsabilité Elargie des Producteurs
Le principe de la responsabilité élargie des producteurs (en anglais Extended Producer
Responsibility) est le « nouveau paradigme » dans le domaine de la gestion des déchets. L’OCDE
définit la REP comme une approche de politique environnementale dans laquelle la responsabilité
du producteur16 à l’égard du produit, tant matérielle que financière, est « élargie » jusqu’à couvrir la
phase de la post-consommation du cycle de vie du produit (OCDE 2001). En accord avec le
principe du « pollueur-payeur », une politique de responsabilité élargie du producteur implique que
le coût de traitement du déchet soit assumé par le producteur de la marchandise devenue déchet, de
manière à être internalisé dans le processus de production (c’est-à-dire, pris en compte parmi les
coûts de production). Conformément à la définition économique du déchet en tant qu’externalité
(Porter 2002), il s’agit donc ici d’une logique d’internalisation qui passe par une « redéfinition du
cadre des droits de propriété » (Coase 1960). En effet, selon le principe directeur de REP, une fois
les produits passés à la condition de déchets par l’action des consommateurs qui décident de s’en
débarrasser, ils restent la propriété du producteur qui en est ainsi responsable. Dans cette
perspective, l’acheteur, par son acte d’achat, n’acquière qu’un droit d’usage alors que le producteur
garde la propriété de l’objet matériel devenant responsable de cet objet pendant toute la durée de
son cycle de vie, y comprise celle de la mise au rebus. Dans la pratique, la responsabilité (matérielle
et/ou financière) de la gestion des déchets, jusque assumée à part entière par les collectivités
territoriales, devient l’affaire des producteurs qui, du fait de leur nouveau droit de propriété,
acquièrent le devoir de restituer à la collectivité les ressources pouvant être extraites du déchet lors
du recyclage. C’est ainsi que la REP oblige les producteurs à participer au financement du système
de recyclage assuré par les collectivités territoriales.
Mais le principe de responsabilité élargie des producteurs ne se limite uniquement à attribuer à ces
derniers une responsabilité financière sur le déchet, et sa politique ne se traduit pas en un simple
mécanisme de répartition des coûts entre organisations privées et organisations publiques. En
réalité, au travers de cette reconfiguration du partage des coûts, c’est une dynamique plus en amont
qui est attendue, celle de la prise en compte – de manière préventive - de l’impact environnemental
du déchet lors de sa conception en tant que produit (Lindqvist 2000 ; OCDE 2001 ; Tojo 2004 et
2006). Ainsi, c’est par un mécanisme de répartition des couts que la REP vise à être un mécanisme
d’incitation à l’éco-conception.
14 La directive DEEE, en anglais WEEE (Waste from Electrical and Electronic Equipment), se donne l’objectif de
réduire à la source la production de déchets d’équipements électriques et électroniques, et de favoriser la réutilisation et
le recyclage, ou, d’une manière générale, toute forme de récupération qui permette de réduire le volume des déchets
générés par les EEE pour en faciliter l’élimination. Pour ce faire, la directive vise l’implication directe des producteurs,
par la conception de produits prenant en compte l’environnemental dans toutes les phases de leur cycle de vie. Dès lors,
l’objectif devient celui de l’incitation à une conception « écologique » (ou éco-conception) qui permette de faciliter le
démontage, la récupération, la réutilisation et le recyclage des DEEE et de leurs composants.
15 Pour une analyse de ces directives et de leur impact sur l’industrie des EEE, cf. le volume Ecologie des
infrastructures numériques (Flipo, Draetta, Boutet, Deltour 2007).
16 On considère producteur, un acteur individuel ou organisationnel qui fabrique, vend ou revend des EEE sous sa
propre marque (cas des marques de distributeurs par exemple) ou qui importe sur le marché national des EEE à titre
professionnel.
7
Jusqu’à présent, les recherches qui portent sur l’impact de la REP au niveau de la performance
environnementale des produits sont encore assez rares. L’explication est double : d’une part, les cas
d’entreprises pratiquant l’éco-conception n’abondent pas à ce jour, notamment dans le domaine des
technologies de l’information et de la communication (Draetta et al. 2009) ; d’autre part, il s’avère
difficile - dans les analyses - de mesurer la relation de cause à effet entre la prise en compte de la
REP et les pratiques d’éco-conception. Néanmoins, certaines études sur la Suède et le Japon, deux
pays pionniers dans ce domaine (Toyo 2004 ; 2006), ont déjà montré quelques dynamiques issues
de cette politique environnementale. Parmi celles-ci, émerge l’anticipation des entrepreneurs et le
rôle que ces anticipations ont joué, dans les faits, aussi bien au niveau de la filière de production des
EEE qu’au niveau de la filière de gestion de leurs déchets. Dans ses études de cas, Naoko Tojo
montre en effet comment les producteurs, confrontés à une évolution de la règlementation
environnementale de plus en plus orientée vers la REP, se soient construits des espaces d’action
essayant d’anticiper la réglementation, avec un objectif d’avantage stratégique17. Nous verrons que
ces actions d’anticipation repérées en Suède et au Japon, se sont produites aussi en Italie, les
industriels des EEE, une fois la directive européenne entrée en vigueur, ont profité du « vide
réglementaire » national pour organiser, de manière anticipative, un système de gestion des DEEE
« opportuniste », aussi bien au plan de l’avantage stratégique que de l’engagement effectif des
producteurs dans ce système de gestion (infra).
Ainsi, l’application du principe de REP semble pouvoir induire une pluralité d’approches, liées soit
à des obligations soit à des actions volontaires (anticipatives) des entreprises (cf. tab. 2). En matière
de DEEE, l’Union Européenne a choisi la voie réglementaire pour promouvoir la REP, via la
directives RoHS et la directive D3E : la première porte sur le choix des matériaux en amont du
processus de production, lors de la conception du produit (par l’interdiction de l’utilisation de
certaines substances dangereuses18) ; la seconde porte sur le traitement en aval, en imposant des
niveaux obligatoires de recyclage et une contrainte de reprise des équipements électriques et
électroniques de la part des producteurs.
Tableau 2- Approches de la REP
Exemples
Programmes obligatoires de reprise
Normes de produit
Interdiction de substances et matériaux dangereux
Niveaux obligatoires de recyclage
Programmes volontaires ou négociés de reprises
Codes de conduite
Partnerships public/privé
Labels
Taxes
Aides financières
(Adapté de Widmer et al. 2005)
Plus en particulier, les deux directives affichent quatre objectifs principaux : a)- la réduction de
l’utilisation de substances dangereuses ; b)- la prévention de la production de DEEE à travers des
mesures touchant la phase de conception des équipements ; c)- la promotion de la réutilisation, du
17 Ces mêmes études montrent, parallèlement, que le rôle joué par les consommateurs, en tant que source de pression
vis-à-vis de l’éco-conception, reste inexistant ou très faible.
15 Chrome hexavalent, cadmium, mercure, plomb, polybromobiphényles (PBB), polybromodiphényléthers (PBDE). Ces
substances sont très utilisées dans les composants électroniques. Par exemple, une large majorité des soudures est
réalisée en utilisant un alliage plomb-étain.
8
recyclage et d’autres formes de traitement systématique des DEEE19 afin d’en réduire la quantité à
éliminer ; d)- l’amélioration, du point de vue environnemental, de l’action des différents acteurs de
la filière des DEEE, à partir des producteurs jusqu’aux opérateurs en charge du traitement et en
passant par les distributeurs et les consommateurs.
De cette manière, un lien explicite est établi entre la REP et l’objectif de promotion de l’éco-
conception des EEE : la Directive D3E impose en effet aux fabricants et aux importateurs
d'équipements électroniques et électriques de prendre en charge, sur la base d’une responsabilité
financière individuelle ou collective, les coûts de collecte et de traitement des DEEE.
En réalité, les obligations financières des producteurs diffèrent en fonction de la nature des déchets
(selon qu’ils soient ménagers ou professionnels) et de la période de mise sur le marché de
l’équipement devenu déchet. En effet, dans le cadre de la gestion des déchets ménagers historiques
(mis sur le marché avant le 13 août 2005)20, il est parfois impossible de remonter aux producteurs
des équipements qui les ont générés. Pour ces déchets, la Directive prévoit alors une responsabilité
financière collective. Cette responsabilité est assumée par les producteurs à travers la création d’un
éco-organisme, chargé de gérer, pour le compte de ses membres (les producteurs), l’infrastructure
de la collecte et du traitement des déchets.
Il a déjà été dit que le mécanisme incitatif qui est la base du principe de REP repose sur
l’imputation des coûts de traitement des déchets sur les producteurs, de manière à les pousser à
améliorer la performance environnementale de leurs produits s’ils veulent réduire les coûts
d’élimination des déchets. De ce fait, la question des modalités de définition de la responsabilité
financière - sur base individuelle ou sur base collective - devient cruciale (Van Rossem, Tojo &
Lindhqvist 2006 ; Glachant 2005). Comme nous invitent à le faire Van Beukering et Hess (2002),
pour analyser correctement un programme de REP, il est très important de distinguer deux
domaines différents sur lesquels cette responsabilité s’exerce : le mode de collecte et de traitement
des déchets, d’une part, et le mode de financement, d’autre part. Dans les deux cas, une modalité
individuelle et une modalité collective d’exercice de la responsabilité du producteur sont possibles
(cf. Tab. 3).
Tableau 3- Responsabilités collectives et individuelles dans les programmes de REP
Responsabilité de collecte et de traitement
Responsabilité financière
Niveau individuel
Chaque entreprise organise la gestion des
déchets générés par ses produits
Chaque entreprise paye sur la base du
coût spécifique de la collecte et du
traitement des produits qu’elle a mis sur
marché
Niveau collectif
Les entreprises organisent collectivement la
gestion de leurs déchets
Chaque entreprise paye sur la base d’un
coût moyen de collecte et de traitement
des déchets
(Glachant 2005)
La possibilité de cette double modalité (individuelle/collective) d’exercice de la responsabilité
financière et de la responsabilité de collecte et de traitement des déchets, implique à son tour que la
collecte et le traitement puissent être gérés de façon collective par les producteurs, tout en gardant
un mode de financement sur base individuel. Il est donc important de bien remarquer que la
19 Par exemple, la récupération de certains composants (comme les cartes de circuits imprimés) et de substances dites
dangereuses (comme mercure, CFC, …).
20 La principale différence entre les DEEE ménagers et professionnels consiste dans le fait que les producteurs n'ont pas
d'obligation de reprise pour les déchets professionnels historiques (la responsabilité de ces déchets incombant encore
sur le détenteur). Par contre, dans le cas des DEEE ménagers historiques, les producteurs sont obligés à prendre en
charge leur enlèvement et leur traitement.
9
responsabilité individuelle imposée par la Directive D3E est de l’ordre financier et ne touche pas
aux modalités de collecte et de traitement, qui peuvent ainsi être collectives. Evidemment, pour
qu’une modalité collective de collecte et de traitement puisse se conjuguer avec une responsabilité
financière individuelle, le calcul de la contribution de chaque producteur à l’éco-organisme de
gestion devra se baser sur les coûts de collecte et de traitement de ses propres déchets.
Comment cet aspect du programme de REP dessiné à travers la Directive D3E a été transposé dans
les législations nationales des Etats membres ? Quelles différences entre les systèmes de gestion des
DEEE mis en place dans les différentes pays, aussi bien au plan des textes de loi transposant la
directive qu’au plan des dispositions prises par les acteurs concernés ? Nous essayerons de répondre
à ces questions à partir d’une comparaison entre le cas de la France et celui de l’Italie.
3. La transposition de la Directive D3E : traductions du principe de responsabilité élargie des
producteurs21
Comme le remarquent Van Rossem, Tojo et Lindhqvist (2006) dans leur rapport sur l’application de
la Directive D3E, les méthodes de transposition employées par les différents Etats membres ont
parfois limité l’impact visé par la Directive, trahissant, au fond, son « esprit ». Cette « trahison »,
qui se manifeste notamment au niveau de l’objectif d’incitation à l’éco-conception, s’accompagne
de traductions multiples relatives aux différentes modalités, choisies d’abord par les Etats membres
pour transposer la Directive en droit national, et puis par les industriels de la filière pour appliquer,
voire anticiper, la législation. Ces traductions multiples concernent notamment deux aspects
essentiels de la Directive : l’exercice de la responsabilité des producteurs et les caractéristiques des
systèmes de gestion des DEEE mis en œuvre dans les Etats membres.
En matière de responsabilité des producteurs à l’égard des e-déchets, le texte réglementaire
européen prévoit explicitement une responsabilité financière individuelle, de chaque producteur,
vis-à-vis des DEEE « nouveaux » (c’est-à-dire non « historiques »). Or, seulement douze22 Etats
membres des vingt-sept qui composent l’Union Européenne ont respecté cette disposition, alors que
huit autres23 ont uniquement pris en compte les DEEE historiques avec la prévision d’un
financement collectif à partir des quotas de marché courants. Parallèlement, trois pays (la France, le
Danemark et la Pologne) on attribué aux producteurs une responsabilité collective pour les déchets
à la fois historiques et nouveaux, alors que les deux pays restants (Hongrie et Lettonie) n’ont pas
fait de distinctions.
Si on reste dans le cas des douze pays majoritaires qui ont adopté une responsabilité individuelle
pour les déchets nouveaux, on remarque néanmoins qu’ils ont découragé la création de systèmes de
reprise « brand specific », c’est-à-dire gérés individuellement par un seul producteur. Ce frein
consiste à imposer, aux producteurs qui optent pour un système individuel de reprise, une obligation
de garanties financières réelles (compte bancaire bloqué ou assurance) devant accompagner la mise
de nouveaux produits sur le marché. Nous remarquons également que ces garanties ne sont pas
demandées aux producteurs lorsqu’ils assument leur responsabilité de manière collective, à travers
l’adhésion à un éco-organisme, cette adhésion étant considérée comme une garantie suffisante.
21 La recherche dont cet article est issu a débuté en 2007 et est encore en cours. Elle a été conduite à partir d’une analyse
documentaire et d’une enquête ethnographique auprès d’acteurs institutionnels et industriels de la filière des DEEE, en
France et en Italie. En particulier, une observation directe a été réalisée en Italie, en 2007, à l’occasion de « tables de
concertation » pour la traduction opérationnelle de la réglementation en matière de DEEE. L. Centemeri remercie le
groupe de travail « RAEE » de la Fondation Politecnico de Milano (coordonné par A. Casula) pour lui avoir donné
accès à ce terrain d’observation.
22 Autriche, Chypre, République Tchèque, Allemagne, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays Bas, Portugal, Slowacki,
Espagne, Suède.
23 Belgique, Estonie, Grèce, Lituanie, Malte, Slovénie et Royaume Uni.
10
Comme il a déjà été dit, la responsabilité collective de collecte et de traitement peut aller avec la
responsabilité financière individuelle. Pour que cela se réalise, il est important de pouvoir garder
une trace des produits et de leur lien avec le producteur (par exemple à l’aide de technologies de
traçabilité telles la RFID24). La définition de standards de traçabilité pour les e-déchets n’ayant pas
abouti pour le moment à des solutions consensuelles, un fonctionnement correct de l’incitation à
l’éco-conception demeure difficile. En effet, la viabilité de cette incitation passe par un traitement
collectivisé des déchets et par un prix de traitement pouvant être imputé directement au producteur,
sur la base d’une comptabilisation de son gisement de déchets. Le cas des Pays-Bas (qui ont
appliqué la consigne de la responsabilité financière individuelle), montre que l’imputation d’une
responsabilité financière individuelle en présence d’un système collectif de collecte et de traitement
est bel et bien possible, même en l’absence d’un système d’identification (Glachant 2005). En effet,
aux Pays-Bas, deux éco-organismes sont en charge des DEEE, l’un (ICT Milieu) réunissant les
producteurs de produits « gris », et l’autre (NVMP) réunissant les producteurs des EEE « blancs » et
« bruns » (supra). Plus en particulier, ICT Milieu a adopté une facturation ad hoc pour des déchets
triés par marque (une fois collectés)25; dans ce cas, l’éco-organisme facture à chaque producteur la
collecte et le traitement de ses propres déchets. Il est à noter que cette organisation s’accompagne
néanmoins de coûts de gestion très élevés dont les bénéfices, en termes d’incitation à la prévention
de la production de déchets, ne sont pas encore connus.
Une ultérieure mise à l’épreuve du principe de responsabilité élargie des producteurs vient du rôle
joué par les collectivités territoriales dans la collecte sélective des déchets. La Directive européenne
prévoit que les producteurs financent au moins at least »), outre leur traitement, la reprise des e-
déchets dans les lieux où ils sont entreposés par les usagers (chez les distributeurs ou dans les sites
habituels de collecte de déchets). Le « au moins » implique que la part de responsabilité des
producteurs pourrait s’étendre jusqu’au financement des coûts de fonctionnement du système de
collecte qui incombe habituellement aux communes ou aux communautés d’agglomération ou de
communes. Dans la pratique, on observe que, dans plusieurs Etats membres (comme l’Allemagne,
l’Autriche, le Danemark, la France et l’Italie), les collectivités territoriales se chargent de la collecte
des e-déchets, l’inscrivant dans la continuité de celle des autres déchets; dans ce cas, elles font
participer les producteurs aux coûts supplémentaires apportés par les DEEE. Ainsi, dans ces pays, il
a été décidé que les producteurs versent une compensation aux collectivités. Cependant, les niveaux
de cette compensation restent définis de manière très inégale d’un pays à l’autre : en Italie par
exemple, les montants des compensations ont été établis par les producteurs.
La mise en œuvre de la Directive D3E dans les pays membres semble donc se caractériser par des
formes différentes de transposition selon la manière dont les différents acteurs concernés ont
répondu aux contraintes et aux opportunités définies par le texte réglementaire. D’une manière
générale, il est possible de constater que ces différentes « traductions » se fondent sur des
spécificités culturelles sans doute, mais aussi sur des systèmes socio-techniques spécifiques à
chaque pays et qui sont déjà en place au niveau de la gestion habituelle des déchets autres que les
DEEE. Ces traductions ne seraient donc que des mécanismes d’adaptation à une contrainte
développés par les acteurs concernés, sur la base d’enjeux spécifiques et de ressources disponibles.
Nous nous appuierons sur une comparaison entre les cas de la France et de l’Italie pour essayer de
mettre en lumière certaines des dynamiques qui fondent ces différentes traductions ainsi que leur
impact sur les incitations à l’éco-conception.
3.1 France
Huit ans après la publication des deux directives européennes relatives respectivement à la gestion
des déchets d’équipements électriques et électroniques et à l’élimination de certains substances
24 Identification par radiofréquences.
25 Alors que NVMP utilise une redevance fixe non incitative par catégorie de produit.
11
dangereuses des mêmes équipements, quelles organisations ont été mises en place en France pour,
d’une part, favoriser l’éco-conception des produits et, d’autre part, assurer la collecte et le
traitement des déchets ?
La France a transposé la Directive D3E26 en droit national par le Décret n°2005-829 du 20 juillet
2005. Issu d’une large concertation, dès 2002, ce décret a été complété par 12 arrêtés d’application
(dont le dernier date de 200927) fixant le cadre de la mise en place de collectes sélectives et de
traitement des DEEE et précisant, dans ce cadre, le rôle et les obligations de tous les acteurs de la
filière, des producteurs aux citoyens, en passant par les distributeurs et les collectivités (cf. Figure
1). Cette filière est opérationnelle depuis le 15 novembre 2006.
Le cadre de gestion des DEEE, tel qu’il est établi par ces textes juridiques, se fonde tout d’abord sur
la définition des acteurs et sur la spécification de leurs rôles et obligations. Il s’agit d’un système
socio-technique composés de huit catégories d’acteurs regroupées en acteurs « productifs » et
acteurs « centralisateurs », les premiers étant au cœur de la filière, les seconds étant chargés de son
organisation. Rentrent dans la catégorie des acteurs « productifs » les producteurs, les distributeurs
et les consommateurs, alors que la catégorie des acteurs « centralisateurs » est composée par les
éco-organismes agréés, un organisme coordonnateur agréé (OCA3E), les prestataires de
logistique/traitement, les collectivités territoriales et, enfin, les opérateurs du réemploi. Nous ne
rentrerons pas dans les détails des rôles et des obligations de chacune de ces catégories d’acteurs,
d’autres l’ayant déjà fait avant nous (cf. Flipo et al., op. cit.). Cependant, il nous semble important
de reprendre les définitions relatives à certaines de ces catégories car elles nous permettrons
d’identifier quelques différences au niveau des traductions « nationales » du principe de REP. Il
s’agit des producteurs, des éco-organismes, de l’organisme coordonnateur et des opérateurs du
réemploi.
Figure 1 - Flux financiers entre les différents acteurs de la filière DEEE
(SYCTOM 2006)
Les producteurs sont définis, par le décret français, comme des acteurs individuels ou
organisationnels qui fabriquent, importent, vendent ou revendent (sous leur propre marque) des
équipements électriques ou électroniques. Sur la base du principe du « pollueur-payeur » et de celui
de « responsabilité élargie des producteurs » (qui traduit le premier en principe du « producteur-
payeur »), cette catégorie d’acteurs est identifiée, par la directive et par le décret français, comme
26 L’eco-conception et la gestion des déchets d’EEE faisant l’objet specifique de la directive D3E, nous nous
concentrerons sur cette derniere en laissant la discussion de la directive RoHS à une autre occasion.
27 Arrêté du 30/06/2009 sur le Registre des producteurs (abrogeant l’arrêté du 13/03/2006).
12
devant assurer l’organisation et le financement de l’enlèvement et du traitement des DEEE.
Toutefois, si la directive prévoit explicitement une responsabilité financière individuelle, de chaque
producteur28, à partir des quantités de produits mises sur le marché, le décret français fait plutôt
référence à une responsabilité collective à partir des quotas de marchés courants. Cette
responsabilité financière est établie aux fins de supporter les coûts des opérations de collecte et de
traitement des déchets mises en place par les acteurs « centralisateurs » (c’est-à-dire ceux qui
assurent le fonctionnement de la filière d’élimination : les collectivités territoriales, les éco-
organismes, l’organisme coordonnateur, les prestataires de logistique/traitement, les operateurs du
réemploi). Ainsi, les producteurs peuvent exercer leur responsabilité vis-à-vis des e-déchets issus
des équipements qu’ils mettent sur le marché de deux manières : a)- en délégant la collecte aux
collectivités ou l’enlèvement et le traitement aux éco-organismes, et en versant dans ce cas une
compensation financière29 ; b)- en mettant en place individuellement leur propre dispositif de
collecte devant être approuvé par les pouvoirs publics. Au jour d’aujourd’hui, aucun producteur n’a
retenu cette dernière solution. Pour assumer leur nouvelle responsabilité technique et financière, les
industriels ont plutôt choisi de se regrouper en adhérant tous à des éco-organismes afin de gérer
collectivement les déchets dont ils ont la responsabilité.
Les éco-organismes sont des structures privées chargées d’organiser l’enlèvement, le tri, le
recyclage et l’élimination des équipements collectés sélectivement soit par les distributeurs (selon le
système du « un pour un »30), soit par les collectivités territoriales (dans les déchetteries
communales ou intercommunales)31. Quatre éco-organismes existent à ce jour en France : Eco-
systèmes, Ecologic, ERP (European Recycling Platform) et Récylum. Les trois premiers sont
chargés de l'ensemble des catégories de DEEE, sauf les lampes et luminaires qui sont de
compétence exclusive de Recylum. Agréés par les pouvoirs publics, ces éco-organismes sont
organisés pour le compte des producteurs et créés par ces derniers32. Ces organisations ont passé des
contrats avec des logisticiens et des installations de traitement afin d’assurer la gestion des déchets
en conformité avec la réglementation. Elles ont ainsi sélectionné, par appel d’offre, des prestataires
spécialisés de collecte et de traitement. La mission des éco-organismes est donc d’organiser les
filières de gestion des déchets à moindre coût et de répercuter les frais sur les producteurs qui, à leur
tour, les répercutent sur les acheteurs via l’éco-participation (ou éco-contribution) perçue lors de la
vente33.
28 Notamment, vis-à-vis des DEEE « nouveaux », c’est-à-dire mis sur le marché après le 13 août 2005.
29 Cette compensation financière sera reversée aux éco-organismes sous forme d’adhésion annuelle et aux collectivités
territoriales via un organisme coordonnateur, chargé de reverser la contribution à chaque collectivité.
30 Le distributeur est tenu d’accepter la prise gratuite d’un appareil usagé lors de l’achat d’un produit neuf du même
type.
31 Les déchetteries représentent en France environ 2 000 points de collecte et plus de 38 millions d’habitants fin octobre
2007 (MEDAD 2007).
32 Eco-systèmes a été créé par le groupement interprofessionnel des fabricants d’appareils ménagers (GIFAM), la
fédération du commerce et de la distribution (FCD) et le syndicat des industries de matériels audiovisuels et
électroniques (Simavelec). Parmi ses créateurs, figurent 33 producteurs et distributeurs dont Auchan, Boulanger,
Carrefour, Casino, Darty, Miele, Panasonic, Samsung, Whirlpool ; il détient la plus grande part du marché des DEEE
(73%). Ecologic est issu d’une initiative concertée entre la Fédération des entreprises internationales de la mécanique et
de l’électronique (FICIME) et l’union professionnelle Alliances TICS ; avec des fondateurs comme Brother, Epson,
Fujifilm, Kodak, Pioneer et Sagem, il s’adresse aux producteurs de petits électroménagers et gère aujourd’hui 16% du
marché des DEEE. European Recycling Plateform (ERP) a été créé en 2002, à l’occasion de la promulgation de la
directive D3E. Ses membres fondateurs sont quatre grands producteurs d’équipements électriques et électroniques :
Hewlett Packard, Sony, Electrolux et Braun-Gillette. Cet éco-organisme affiche une approche proactive en matière
d’éco-conception, via les exemples de ses fondateurs et une formation organisée auprès de ses adhérant pour les inciter
à concevoir des produits « éco-compatibles » (plus faciles à démonter, à recycler…). Enfin Recylum est spécialisé dans
les lampes et luminaires à décharge (tubes fluorescents, lampes à économie d’énergie et à led, …) ; il a été créé par
Philips Lighting, Osram, General Electric et Sylvania Lighting International pour gérer spécifiquement la filière
l’élimination de ces lampes contenant des substances dangereuses.
33 Le montant de l’eco-participation varie selon l’equipement consideree et l’eco-organismes auquel le producteur
adhere.
13
Figure 2 – Parts de marché des éco-organismes pour 2008 (estimation au prorata du tonnage total
d’équipements mis sur le marché)
(MEEDDM 2010)
Les collectivités territoriales (communes, communautés de communes, communautés
d’agglomération) sont incitées à mettre en place une collecte sélective des DEEE ménagers dans les
déchetteries dont elles ont la charge. Les coûts supplémentaires engendrés par cette collecte sont
pris en charge par les producteurs par l’intermédiaire d’un organisme coordonnateur qui regroupe
les quatre éco-organismes. La mission principale de l’organisme coordonnateur est donc d’assurer
les relations entre les producteurs ou les éco-organismes et les collectivités territoriales. De ce fait,
cet organisme doit passer des contrats avec le producteur individuel ou l’éco-organisme agréé, pour
rembourser les collectivités des coûts de collecte qu’elles supportent34. A cette mission d’interface,
s’en ajoutent deux autres : a)- celle de fixer les conditions dans lesquelles seront répartis les lots de
DEEE collectés sélectivement dans les déchetteries ; b)- celle d’organiser l’information des
utilisateurs d’EEE sur la filière mise en place et d’informer aussi les pouvoirs publics sur les
quantités collectées sélectivement par les collectivités territoriales. Même si la réglementation
prévoit la possibilité d’en créer plusieurs, en France un seul organisme coordonnateur a été créé et
agréé : la société OCAD3E. Cet organisme a été fondé par les quatre éco-organismes et agréé en
2006.
Comme on vient de le dire, l’une des missions de l’organisme coordonnateur, est d’informer les
pouvoirs publics sur les quantités collectées sélectivement par les collectivités locales (supra). Cette
information va alimenter le « registre national des producteurs d’équipements électriques et
électroniques ». Depuis le 1er septembre 2006, ce registre - constitué, exploité et tenu à jour par
l’ADEME35 (mandatée par le MEDAD36) - recense désormais chaque année les informations
relatives à la mise sur le marché et à l'élimination des équipements électriques et électroniques. Ce
registre a plusieurs objectifs : 1)- il doit permettre de référencer les producteurs et de centraliser les
informations relatives aux organisations créées pour établir la filière ainsi que les données
concernant les quantités de produits mises sur le marché, collectées et traitées par les producteurs ;
2)- il doit diffuser les informations nécessaires au suivi de la filière et à son contrôle par les
pouvoirs publics ; 3)- il doit permettre, via les données qu’il contient, de réaliser un « rapport
annuel du fonctionnement de la filière ». En pratique, les producteurs d’EEE, désormais
responsables de l'enlèvement et du traitement des déchets issus de leurs produits, ont l'obligation de
s'enregistrer sur ce registre, qui est disponible sur Internet. Les producteurs avaient jusqu’au 1er
décembre 2006 pour le faire ; depuis, ils transmettent des informations concernant la nature, les
quantités, les codes et les modalités d’élimination des EEE qu’ils mettent sur le marché.
34 Le barème de compensation financière proposé aux collectivités territoriales n’est pas précisément connu. Il
comporterait une part fixe, prenant en compte les investissements nécessaires (par exemple une déchèterie) et les
actions de communication. Cette part serait réduite au fil du temps. Une autre part serait proportionnelle aux quantités
de DEEE collectées.
35 Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie.
36 Le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable de l’époque.
14
Enfin, le dernier maillon de la filière des DEEE est constitué par les operateurs du réemploi, c’est-à-
dire les organisations d’économie sociale et solidaire. Les acteurs de l’insertion, présents
historiquement sur les activités de réemploi, collecte et traitement des DEEE avant le démarrage de
la filière, on été intégrés dans le nouveau système de gestion mis en place, en France, suite à la
directive D3E. Plusieurs accords, notamment nationaux, entre ces acteurs (ENVIE, EMMAUS…) et
des éco-organismes ont été signés, l’objectif étant de préserver l’accès des acteurs du réemploi aux
gisements de DEEE collectés. Actuellement, plus de 100 points de collecte ont été recensés dans le
domaine de l’économie sociale et solidaire. Il est important de signaler que cette place qui a été
créée, dans les faits, pour les acteurs de l’insertion, n’était pas prévue par la réglementation, le
milieu associatif n’étant pas reconnu en tant qu’acteur de la filière ni par la directive D3E ni par le
décret français de transposition.
3.2 Italie
En Italie, la Directive D3E ainsi que la Directive RoHS ont été transposées dans le Décret Législatif
151du 25 Juillet 200537. Bien qu'il ait été promulgué en juillet 2005, ce décret n'a pas été suivi
directement par la mise en place du nouveau système de gestion des DEEE qu'il établit. En effet,
pour cette mise en place, le décret prévoit la promulgation de 14 décrets ministériels (l'équivalent
des arrêtés d'application en France) censés donner acte, d'un point de vue opérationnel, aux lignes
générales fixées dans le décret. La définition du contenu des décrets et leur approbation ont été
particulièrement longues et complexes (infra) et le nouveau système de collecte de DEEE n’a pu
démarrer qu’en Janvier 2008, bien que certains des décrets d’application restent encore à
promulguer. Il serait trop long de décrire ici, dans les détails, le système mis en place à travers le
décret38 : il nous paraît plus pertinent de préciser, d’abord, les catégories d’acteurs considérées par
la législation italienne comme étant concernées par les DEEE (en comparant cette définition à celle
française), et puis de se concentrer sur le rôle joué par les producteurs dans la construction de ce
système et dans la définition des décrets d’application.
Tableau 4Les acteurs de la filière des DEEE en France et en Italie
France
Italie
Acteurs productifs
Producteurs
Producteurs
Distributeurs
Distributeurs
Consommateurs
Collectivités locales
Acteurs centralisateurs
Eco-organismes
Operateurs de la filière
Eco-organismes
Organisme coordonnateur
Centre de coordination
Prestataire du traitement
Operateurs du traitement
Collectivités territoriales
Centres de collecte
Operateurs du réemploi
Comité de vigilance et de
contrôle
Quatre catégories d'acteurs sont identifiées, par la nouvelle législation italienne, comme sujets actifs
de la collecte et du traitement des e-déchets : les municipalités (ou collectivités locales), les
distributeurs, les producteurs et les opérateurs de la filière (cf. Tab. 4). Les municipalités sont
chargées de garantir le fonctionnement, l’accessibilité et l’adéquation des systèmes de collecte et de
37 Decreto Legislativo 25 luglio 2005, n. 151 « Attuazione delle direttive 2002/95/CE, 2002/96/CE e 2003/108/CE,
relative alla riduzione dell'uso di sostanze pericolose nelle apparecchiature elettriche ed elettroniche, nonche' allo
smaltimento dei rifiuti » (GU 2005).
38 Pour un approfondissement sur le système de gestion mis en place par le décret, cf. Draetta, Centemeri 2007a et
2007b.
15
tri des DEEE, afin de donner aux détenteurs finaux et aux distributeurs la possibilité de confier
gratuitement leurs déchets aux centres de collecte. Les distributeurs interviennent dans le système
au moment de l’acquisition d’un nouvel équipement électrique ou électronique par un foyer
domestique : à ce moment, le distributeur doit garantir le retrait gratuit de l’EEE usagé, sur la base
du principe du "un pour un". Quant aux producteurs, ils doivent financer, sur une base individuelle
ou collective, les opérations de collecte, de traitement, de récupération, de recyclage et
d’élimination des DEEE. Enfin, les operateurs de la filière sont une grande catégorie réunissant
tous les acteurs opérationnels et correspondant, à quelque différence près, aux acteurs
centralisateurs du système français.
En Italie, le législateur a rencontré, plus qu’en France, des difficultés importantes dans l’élaboration
des décrets d’application. Ces difficultés peuvent être attribuées principalement à des problèmes de
coordination entre ces différents acteurs, au sujet notamment de la définition de leurs
responsabilités (économiques). Des « tables de concertation » ont été ouvertes par le législateur
pour inviter les producteurs à s’exprimer à ce sujet et pour amener l’ensemble des acteurs concernés
à envisager un système consensuel de gestion des e-déchets. Ce processus de concertation a été
marqué par le rôle central joué par les producteurs au niveau de la définition du système de gestion.
En raison de la responsabilité que la législation leur attribuait en matière de financement de ce
système (dans sa globalité), les producteurs ont en effet revendiqué un rôle central dans la définition
de son organisation. L’acteur public leur a accordé cette liberté d’auto-régulation, en se gardant,
quant à lui, un simple rôle de ratificateur.
Dans cet objectif d’auto-régulation, les producteurs ont créé des lieux stables de discussion et de
confrontation, en finançant des « groupes de projet », ouverts aux parties prenantes du système de
gestion des DEEE (distributeurs, associations environnementalistes, professionnels des filières, élus
locaux). L'objectif principal de ces think-tanks - toujours coordonnés par des producteurs - était de
proposer au législateur italien des recommandations sur la mise en place du système de gestion des
DEEE. La base de concertation donnée à ce processus de définition de recommandations a
certainement influé positivement sur sa légitimation vis-à-vis de l’acteur public. Il s’agit là d’un
rôle actif (et, au fond, politique) que les producteurs ont décidé de jouer pour revendiquer, face à la
« responsabilité directe » qui leur avait été attribuée, un droit à l'auto-régulation du système de
gestion des DEEE ; ce droit à l’auto-régulation devait ouvrir sur un système de gestion propice aux
intérêts de la catégorie (à bas coût tout en garantissant des standards de qualité environnementale).
Confronté aux difficultés techniques de la mise en place du nouveau système de traitement des
DEEE, l’acteur public a laissé libre jeu à l’action des producteurs, en les invitant même à être
acteurs actifs de la construction du système. Ces derniers ont ainsi anticipé, sous la forme d’une
action proactive et volontaire, certaines des mesures prévues dans les décrets d’application. Les
décrets ont ensuite ratifié les solutions déjà mis en place de facto par les producteurs.
Le rôle de régie joué directement par la catégorie des producteurs aide à mieux comprendre la
complexité et les difficultés qui ont caractérisé, en Italie, le processus de confrontation qui devait
donner lieu à la définition du nouveau système de gestion des DEEE. En effet, contrairement aux
producteurs, les autres acteurs concernés présentaient des degrés très inégaux de coordination et, de
toute manière, moins développés. Cette situation eu pour conséquence ultime une situation de
déséquilibre de pouvoirs, d’abord entre producteurs et opérateurs de la filière de traitement, ensuite,
à l’intérieur même de la catégorie de ces derniers. En fait, d’une part, les producteurs ont pu
construire eux-mêmes le nouveau système de gestion des DEEE en l’imposant aux opérateurs de
traitement ; d’autre part, ces derniers, très peu coordonnés, ont accepté de mettre en place un
système de gestion fondé sur la concurrence interne au désavantage des PME (infra). Il est
important de noter ici qu’à cause de leur manque de coordination, les opérateurs du traitement, en
raison aussi de la taille très variable de leurs entreprises (qui sont pour la majorité des PME), sont
intervenus dans le processus de confrontation avec des formes de représentation collective plutôt
faible, ce qui les a amenés à ne pas pouvoir contrebalancer les revendications des producteurs.
16
Nous avons déjà examiné le rôle central joué par les producteurs dans le dessin du système de
gestion des DEEE. Nous avons vu que leur lobbying profite du vide réglementaire ainsi que du
manque de coordination et, par conséquent, du faible pouvoir de négociation de la catégorie des
opérateurs du traitement des déchets. Ce rôle central, proactif et stratégique, joué par les
producteurs, se répercute aussi au niveau d’une autre modalité de traduction de la Directive D3E, à
savoir sur l’exercice opérationnel de la responsabilité qui incombe aux producteurs mêmes.
Le Décret de loi pour l’application de la Directive D3E reprend la distinction prévue par cette
dernière entre déchets « historiques » et déchets « nouveaux ». A l’instar de la Directive, le décret
italien attribue aux producteurs une responsabilité financière collective pour les déchets historiques
lorsqu’ils sont d'origine domestique. Cette décision garantit un traitement pour des DEEE dits
« orphelins », c'est-à-dire les déchets dont le producteur n’est plus présent sur le marché39.
Cependant, dans le cas des déchets « nouveaux » (issus d’EEE mis sur marché après le 13 août
2005), qu’ils soient professionnels ou ménagers, les producteurs en sont responsables
individuellement. Cela implique que tout producteur, à chaque fois qu'il introduit sur le marché un
EEE, est obligé de constituer une garantie financière qui couvrira les coûts de traitement, de
récupération, d'élimination de l’équipement électrique et électronique une fois devenu déchet. Le
producteur peut remplir ses obligations de financement individuellement, ou par l'adhésion à un
système collectif, même si la responsabilité reste dans les deux cas une responsabilité individuelle.
Or, comme il a déjà été signalé (supra), cette responsabilité individuelle est difficile à acter du fait
de l’impossibilité de faire le lien, à chaque moment du cycle de gestion, entre un DEEE et son
producteur (alors que le décret impose l’obligation de ce lien). L'introduction d'un système
européen d’identification du producteur semble donc nécessaire, bien qu’il n’existe pas à ce jour.
Pour faire face à ce vide structurel et dans l’attente d’y trouver remède, le décret italien prévoit alors
une disposition transitoire qui va à l’encontre du principe de la responsabilité individuelle : selon
cette disposition, les DEEE « nouveaux », en l’absence d’un système de traçabilité qui permette de
remonter au producteur de l’EEE à l’origine du déchet, doivent être gérés de la même manière que
les DEEE « historiques », c’est à dire à travers une responsabilité financière collective.
On voit bien comment le problème de la traçabilité des déchets est central pour qu’une
responsabilité individuelle puisse être opérationnelle. En même temps, cette traçabilité s’avère être
pour l’instant très couteuse à mettre en place, sans pour autant garantir des effets réels en termes
d’incitation à l’éco-conception.
Si donc la législation italienne retient le principe d’une responsabilité financière individuelle pour
les nouveaux déchets, dans les faits les difficultés techniques crées par l’identification des déchets
et de leur producteurs ont amené à adopter une responsabilité financière collective (comme dans le
cas des déchets « historiques »). En réalité, il ne s’agit pas seulement d’une question de difficulté
technique de traçabilité : c’est aussi une question d’opportunité créé par le vide réglementaire, qui a
permis aux producteurs d’organiser la gestion de leur responsabilité sur des bases moins
contraignantes, inspirées donc d’une logique de responsabilité collective. Cette logique a réduit
fortement la place pour le fonctionnement correcte des mécanismes d’incitation à l’éco-conception
passant par le coût du traitement des déchets. L’incitation à l’éco-conception reste ainsi liée à des
mesures publiques de financement prévues (mais non spécifiées) par le décret et visant à aider les
entreprises engagées dans des démarches d’éco-innovation du produit. Par contre, la logique
d’organisation qui a guidé les producteurs a abouti à promouvoir l’idée d’introduire un mécanisme
de concurrence parmi les différents éco-organismes créés. Cela afin de produire une réduction des
coûts de traitement des déchets à travers le fonctionnement d’un marché des DEEE. Mais il s’agit là
d’un aspect qui n’est pas spécifique à l’Italie. Nous y reviendrons dans la partie suivante, pour
39 Dans ce cas seulement le producteur peut indiquer sans en avoir l'obligation le coût de sa participation au système
de gestion ; ce coût est affiché à coté du prix de vente du produit : on parle dans ce cas de contribution visible (visible
fee, dans la directive) ou d’éco-contribution.
.
17
montrer en quoi la définition d’un système de marché pour la gestion des DEEE est un résultat
général de la directive D3E, constituant en quelques sortes une « trahison » des objectifs visés par la
réglementation européenne.
4. La transposition de la Directive D3E : trahisons de l’objectif d’éco-conception
Le système de gestion des DEEE mis en place dans les pays membres (par transposition de la
directive européenne) se fonde sur la création, de la part des producteurs, d’éco-organismes chargés
d’organiser la collecte et le traitement des DEEE. Si, depuis 2006, on peut compter 4 éco-
organismes en France, en Italie on en compte 15. Leur création repose sur une logique commune :
collectiviser les couts liés à la responsabilité élargie des producteurs, qui, dans le texte de la
directive européenne, est une responsabilité individuelle. Cette collectivisation représente une
première trahison de l’approche de REP promue par la Directive D3E.
Le mode de fonctionnement des éco-organismes ne se fonde pas seulement sur une collectivisation
des coûts. Il s’accompagne également d’une volonté de réduire (ou de contrôler) ces mêmes coûts, à
travers des actions de pression que les éco-organismes peuvent exercer sur les acteurs de la filière,
notamment sur les prestataires de logistique/traitement, pour la France, et sur les operateurs du
traitement, pour l’Italie. Ces acteurs du traitement dépendent donc des éco-organismes. Le fait que
les DEEE soient devenus la « propriété » des producteurs, implique en fait que les acteurs du
traitement puissent accéder aux déchets uniquement à travers un accord signé avec les producteurs
ou leurs éco-organismes. Les éco-organismes se trouvent ainsi dans la position de pouvoir choisir
les prestataires/operateurs de traitement à qui confier leur déchets. Ce choix est guidé par deux
critères : le prix de traitement et le standard de qualité environnementale. Dès lors, ces opérateurs de
la filière se retrouvent dans la situation de devoir garantir à la fois des prix bas et des standards de
qualité élevé. Il est évident que cette contrainte implique une situation d’avantage compétitif pour
les grands opérateurs (qui sont aussi, en général, les mieux organisés), pour qui les économies
d’échelle vont garantir la possibilité de baisser les prix. Il s’agit là d’un effet indirect de la mise en
place du système des DEEE qui va fortement affecter les prestataire de la filière de traitement des
déchets, en causant la disparition des opérateurs plus petits et, notamment, de ceux qui sont
spécialisés uniquement dans les DEEE. Cette configuration participe d’une seconde trahison du
principe de responsabilité élargie des producteurs dans la mesure où le système ainsi mis en place
assure une gestion des DEEE qui n’incite pas à l’éco-conception comme moyen de réduction des
coûts des producteurs, puisque cette réduction est garantie ailleurs.
La présence de plusieurs éco-organismes semble liée, elle aussi, à la volonté de créer les conditions
d’un marché concurrentiel, dans l’idée que la dynamique concurrentielle puisse réduire les coûts du
traitement des déchets et garantir l’efficience du marché. Il est évident que, dans la pratique, la
définition du système de traitement des DEEE ne vise pas à garantir le fonctionnement de
mécanismes d’incitation à l’éco-conception mais plutôt à promouvoir l’efficience du système de
traitement, dans l’objectif de réduire les coûts supportés par les producteurs. Le cas italien, avec ses
15 éco-organismes, est particulièrement emblématique. C’est en raison du caractère exemplaire que
la « trahison » du principe de REP assume en Italie, que nous revenons ici sur certains aspects
spécifiques de l’action des producteurs dans ce contexte national.
En 2010, en Italie, on peut compter 13 éco-organismes généralistes - traitant l’ensemble des DEEE -
et 2 éco-organismes spécialisés (Ecolight et Ecolamp, opérant sur le créneau des lampes et
luminaires). La présence d’autant d’éco-organismes, en Italie, est explicitement voulue par les
industriels avec pour objectif de créer les conditions d’un marché concurrentiel pour contrôler le
coût de la filière de traitement.
Figure 3 – Le modèle de gestion des DEEE en Italie
18
(EcoqualIT, Consorzio EuroTech 2007)
Comme le montre la Figure 3, deux acteurs-clé apparaissent aux côtés des éco-organismes dans
l’organisation de la filière des DEEE : le Centre de coordination et le Comité de vigilance et de
contrôle. Le premier a été créé en mars 2007 par les éco-organismes des producteurs d’EEE, sur la
base d’un accord volontaire, le second relève du Ministère de l’Environnement et est en charge de
la supervision pour le bon fonctionnement du système.
Concernant le Centre de coordination, son rôle rappelle celui de l’Organisme coordonnateur
français, avec, toutefois, des enjeux de fond et des champs d’action plus importants. En Italie
comme en France, il s’agit bien d’indemniser les collectivités territoriales lorsqu’elles assurent la
collecte sélective des DEEE. Mais il s’agit surtout de garantir les conditions pour qu’un système
concurrentiel « vertueux » puisse s’installer dans l’ensemble de la filière. En effet, la présence de
plusieurs éco-organismes en concurrence pour obtenir des DEEE à traiter aurait pu conduire à une
situation de concurrence à l’égard des déchets « faciles et peu onéreux » (Da Lio 2006). Le territoire
italien se caractérise par de fortes inégalités de production de DEEE et par la difficulté logistique de
leur collecte. En l’absence de régulation, cela aurait pu se traduire en une situation de concurrence
centrée sur une course aux DEEE les plus rentables et, donc, éventuellement, à un service de
collecte non garanti dans les zones moins avantageuses (difficiles d’accès et avec une production
faible de DEEE). En outre, le nombre d’éco-organismes aurait été destiné à diminuer
« naturellement ». Le Centre de coordination se présente donc comme un « arbitre » devant garantir
que la concurrence s’exerce plus sur la réduction des coûts de traitement que sur l’appropriation des
DEEE le plus rentables. Pour cette raison, le Centre de coordination a soigneusement dessiné, à
l’aide d’outils mathématiques et informatiques, le marché des DEEE.
C’est le Centre de coordination qui a pris directement en charge les fonctions fondamentales de : a)-
définir les quotas de marché de chaque producteur et, par conséquence, de chaque éco-organisme40 ;
b)- cartographier l’ensemble des centres de collecte autorisés et leur distribution entre les éco-
organismes (selon un principe d’équité quant aux avantages et handicaps)41 ; c)- optimiser le
40 Le calcule de ces quotas se base sur les EEE qui ont été mis sur marché. Les quotas sont ensuite employés pour
définir les quotas de DEEE que chaque éco-organisme est censé traiter pour répondre aux obligations de loi. Ces
obligations prévoient, dans la responsabilité collective, qu’on contribue au financement de système en proportion à son
quota de marché.
41 Chaque éco-organisme doit se voir attribués autant de centres de collecte rentables que de centres de collecte non
rentables. L’attribution des centres de collecte doit évidemment respecter les quotas établis. Cela signifie que les centres
de collecte attribués à chaque éco-organisme doivent être à même de produire un fluxe de DEEE qui garantit le respect
des obligations qui se basent sur les quotas de marché. L’attribution des centres de collecte aux éco-organismes se fait
donc sur une classification préventive des centres selon les flux estimés de production. Cette opération est gérée à l’aide
d’un algorithme mathématique qui a été spécifiquement dessiné ainsi à incorporer les contraintes qui doivent être
respectées pour que la distribution permette à tous les éco-organismes d’avoir leur marché.
19
système de collecte en centralisant l’information42 ; d)- définir des accords avec les opérateurs du
traitement pour établir des normes communs de qualité environnementale. Comme on peut le
constater, il s’agit d’une véritable construction socio-technique du marché (Callon 1998), au sens
d’un système construit sur la base de lois qui sont supposées garantir les conditions du
fonctionnement optimal d’un marché concurrentiel.
En France, la logique à l’œuvre est la même que dans le cas italien, bien que dans un cadre national
l’acteur public a gardé un rôle de régulateur. On ne retrouve pas, dans le cas français, le rôle
proactif et quasiment « suppléant » que les producteurs ont joué en Italie pour combler/profiter du
vide législatif créé par l’absence de décrets d’application. La concertation qui a conduit à définir le
système de traitement des DEEE en France a donc abouti à un dessin caractérisé par un équilibre
plus important entre les intérêts des différentes parties prenantes. Ce caractère plus équilibré du
système de gestion des DEEE est lié non seulement à une action régulatrice de l’Etat - qui a fait
défaut dans le cas italien - mais également à des différences dans la composition de la filière des
DEEE en termes d’acteurs du système. Face à une représentation collective très faible des PME de
la filière en Italie, en France le rôle des acteurs de l’insertion, avec leur visibilité publique et
politique, a aidé à prendre en compte des enjeux autres que la réduction des coûts. C’est ainsi qu’en
France le système de traitement des DEEE intègre explicitement une volonté de préserver les
formes d’économie sociale et solidaire qui se sont développée autour du traitement des DEEE. Dans
le cas italien, bien que ces formes d’économie sociale et solidaire existent, elles manquent d’une
représentation collective forte et d’une visibilité publique, comme c’est plutôt le cas pour des
organisations comme EMMAUS ou ENVIE. Elles sont de ce fait absentes du système italien de
gestion des DEEE.
Enfin, un discours à part mérite la filière des DEEE professionnels. Car ici aussi, indépendamment
de la distinction entre déchets historiques et déchets nouveaux, ce sont les utilisateurs finaux (les
détenteurs d’EEE dans le cas des déchets historiques) qui risquent de devoir assumer, au final, la
responsabilité de la fin de vie des équipements. En effet, bien que la loi statue le principe de la
responsabilité des producteurs, elle donne la possibilité aux producteurs de déléguer cette
responsabilité aux utilisateurs finaux des équipements dont les déchets sont issus, dans le cadre
d’une relation contractuelle directe. Or, d’autres modes d’exercice de cette responsabilité sont
légalement prévus : a)- la mise en place d’un système individuel de collecte et de traitement, sans
nécessité d’agrément de la part des pouvoir publics ; b)- l’adhésion à un éco-organisme agréé pour
la collecte et le traitement. Mais aujourd’hui aucun éco-organisme n’est agréé pour le domaine
professionnel et les producteurs peuvent s’orienter indifféremment vers le mode de l’organisation
individuelle ou vers celui de la délégation de responsabilité à l’utilisateur final. Encore une fois, en
France comme en Italie, le principe européen de responsabilité élargie des producteurs semble trahi
et, avec lui, l’objectif d’éco-conception aussi.
Conclusion
L’analyse présentée jusqu’ici nous a permis de mettre en lumière comment le principe de la
responsabilité élargie des producteurs, affiché dans la Directive D3E, a été concrètement traduit
dans la définition d’un cadre de traitement des DEEE dans les systèmes français et italien. Cette
mise en place se présente sous la forme de traductions multiples liées aux caractéristiques
structurelles des contextes socio-institutionnels des pays en question. Mais au delà des spécificités
42 Cela signifie que les centres de collecte, où les DEEE sont physiquement déposés et séparés selon le classement des
DEEE définit dans le Décret 151/05, ont le Centre de coordination comme interlocuteur unique. Toute l’information en
provenance des centres de collecte est donc centralisée par le Centre de coordination qui va ensuite la distribuer à
chacun des éco-organismes. Egalement, toute l’information en provenance des éco-organismes (par exemple sur les
quantités de recyclage) est centralisée par le Centre de coordination qui va ensuite la transmettre au Comité de
vigilance.
20
de cette traduction, le résultat final s’avère univoque car, dans les deux cas, il témoigne d’une
trahison du principe de responsabilité individuelle du producteur. Des formes collectives d’exercice
de la REP ont été privilégiées et elles se sont accompagnées d’une restructuration, au sens
industriel, de la filière de traitement des DEEE. Si la logique qu’on a retrouvé dans les deux
contextes nationaux est la même, néanmoins des différences ont été remarquées au plan des
dispositifs mis en place.
Le cas italien se caractérise par le fait que la transposition, voire la traduction des Directives dans la
normative nationale est fortement influencée par le rôle joué par les producteurs. L’acteur public
laisse aux producteurs la liberté de dessiner le système de régulation des DEEE : il a reconnu aux
producteurs, aux cotés de la responsabilité de financement, un droit à l’auto-organisation du
système. Il s’agit là d’un aspect qui renvoie plus en général à la tendance de l’acteur public italien à
promouvoir des formes de subsidiarité horizontale, c’est à dire de participation des acteurs privés à
la gestion de problèmes publics. Comme l’exemple des DEEE le montre clairement, parfois cette
logique de subsidiarité se traduit dans la transmission aux acteurs privés de responsabilités de type
politique ; dans ce cas spécifique des DEEE, il s’agit de la définition de la logique qui sous-entend
un système de régulation (qui est censé adresser un problème public, celui des déchets). L’acteur
public limite ainsi son rôle à celui de vigilance et de ratification.
Nous avons vu comment cette liberté d’auto-organisation a été instrumentée, en Italie mais aussi en
France (même si en moindre mesure) par les producteurs, en créant un système où les incitations à
l’œuvre agissent plus dans le sens d’une organisation plus efficiente de la filière de traitement que
dans celui de la promotion de l’éco-conception des produits. Dans les faits, les producteurs ont
dessiné un système de gestion des DEEE qui leur permet, au moins en partie, d’externaliser à
nouveau les coûts de traitement des déchets, en faisant peser sur les opérateurs de la filière la
demande d’une baisse des coûts de traitement. Le résultat pourrait être le déclanchement d’une
dynamique où les grandes entreprises de recyclage sont avantagées aux dépends des PME. C’est au
fond une incitation à la réorganisation industrielle de la filière du traitement qui vient ainsi à se
produire.
Ainsi, le système socio-technique mis en place, en France comme en Italie, pour gérer les DEEE et
leurs acteurs, semble plus inciter à une organisation de la filière par son industrialisation (et sur la
base de critères d’efficience) qu’à une redéfinition en amont des caractéristiques des EEE, dans un
but de réduction, à la source, des déchets qui en résultent. La « trahison » du principe de REP et de
l’objectif d’éco-conception véhiculés par la réglementation européenne parait avérée. Mais seule
une enquête de terrain auprès de producteurs d’EEE pour connaitre leurs démarches d’éco-
conception pourrait valider cette conclusion.
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This book is the first comprehensive examination of the impacts of electronics manufacturing on workers and local environments around the world. The contributors to this volume include many of the world’s most articulate, passionate and progressive visionaries, scholars and advocates involved in documenting and challenging the social and environmental impacts of the global electronics industry. From Asia, North America, Europe, and Latin America, the authors are renowned for their contributions to the science and the politics of environmental and social justice, and bring these perspectives to the high-tech sector throughout the book. The book's twenty-five chapters not only document the unsustainable practices of the growing electronics sector over its first quarter of a century, but also propose and chronicle creative ways in which community and labor activists, government agencies, and others have attempted through resistance, regulation, and other means to introduce more sustainable systems of production into that sector. Electronics is one of the world's largest manufacturing sectors, with social, economic, and ecological impacting six continents across the planet. The production of electronics and computer components contaminates the air, land, water, and human beings with nearly unrivalled intensity. These in turn are problems also of labor rights (particularly occupational safety and health) and environmental injustice in that the people whose health is being compromised in this "new economy" are largely working class, poor, female, and often from immigrant, and ethnic minority populations. This volume documents and contributes to an important international discourse of citizens, workers, health professionals, academics, labor leaders, environmental activists, and others, developing alternative visions for the regulation and sustainable development of electronics manufacturing, assembly/ disassembly, and waste disposal around the world.
Chapter
Electrical and Electronic Equipment (EEE) is regarded as a priority for diversion from landfills and incinerators because of its increasing overall volume1 and the hazardous substances it contains. The rapid advancement of technology has increased the variety and complexity of EEE, making it difficult for conventional municipal collection and recycling infrastructures to handle the volume. The situation becomes even worse when adequate information (e.g., the location of hazardous substances or the means of disassembly) is not transferred from the manufacturers to the treatment facilities. These interrelated features make EEE waste problematic in terms of both quality and quantity. A handful of studies (e.g., Lindhqvist 2000; OECD 1998; Raphael and Smith, this volume; Stevens 2004; Zoboli 2000) has suggested that extended producer responsibility (EPR) promotes changes in product design. However, empirical studies indicating the effectiveness of EPR programs in promoting upstream changes have been limited, especially for such complex products as EEE. Indeed, despite the recognition of regulation's role in stimulating innovation (Ashford, Heaton, and Priest 1979; Barde 1995; Norberg-Bohm 2000; Porter and van der Linde 1995), empirical research is rare, and no standard methods for evaluating environmental policy instruments have been established (Hild́en et al. 2002). Evaluating an environmental policy becomes even more difficult when it contains many instruments addressing multiple goals, as is the case with many EPR programs. This chapter reports on a study of the effectiveness of EPR legislation in promoting the environmentally conscious design of EEE manufacturers in Japan and Sweden.2 Primary data, mainly qualitative in nature,were collected with in-depth, open-ended interviews with 24 representatives from 13 EEE manufacturers (9 in Japan and 4 in Sweden). Manufacturers were selected based on the contact possibility and availability of the interviewees during the study's timeframe.3 Information gathered from manufacturers was complemented by interviews with experts on product policy and environmental product design, and with personnel in relevant governmental agencies. Information regarding the development of relevant regulations, government reports, and newsletters also were reviewed.
Book
Au début des années 80, un groupe de chercheurs de l'école des mines se penche sur un aspect du monde contemporain négligé par les sciences sociales : les sciences et les techniques. Comment sont-elles produites? Comment leur validité ou leur efficacité sont-elles établies ? Comment se diffusent-elles ? Comment contribuent-ils à transformer le monde ? Ces travaux donnent naissance à une approche aujourd'hui reconnue : la sociologie de la traduction, dite aussi théorie de l'acteur réseau, avec ses concepts clefs, la traduction, l'intéressement, le script, la controverse, etc. Cette théorie est si féconde que les sciences sociales mobilisent désormais très largement ses concepts, mais aussi ses règles de méthodes et ses outils de travail. Or, nombre de ses textes fondateurs n'étaient pas ou plus disponibles en français. En rassemblant des textes de trois de ses pionniers, Madeleine Akrich, Michel Callon et Bruno Latour, on permettra au lecteur de comprendre les développements de la sociologie de la traduction et la manière dont elle a interrogé le lien social, les machines, les objets, les usagers, les pratiques scientifiques.
Article
Electronic waste, or e-waste, is an emerging problem as well as a business opportunity of increasing significance, given the volumes of e-waste being generated and the content of both toxic and valuable materials in them. The fraction including iron, copper, aluminium, gold and other metals in e-waste is over 60%, while pollutants comprise 2.70%. Given the high toxicity of these pollutants especially when burned or recycled in uncontrolled environments, the Basel Convention has identified e-waste as hazardous, and developed a framework for controls on transboundary movement of such waste. The Basel Ban, an amendment to the Basel Convention that has not yet come into force, would go one step further by prohibiting the export of e-waste from developed to industrializing countries.