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Bull Soc Pathol Exot, 2002, 94, 2, 119-123 119
Introduction
La croissance démographique brutale que connaissent les
pays en développement et leurs conditions économiques
d i fficiles entraînent une urbanisation anarchique diff i c i l e m e n t
contrôlable. Niamey, ville sahélienne dont la population a été
multipliée par 20 au cours de ces quarante dernières années,
n’échappe pas à ce constat. L’équipement hydraulique, mal-
gré plusieurs campagnes de forage, n’a pas suivi l’extension de
la ville ni l’augmentation rapide de la population.
Entre 1984 et 1997, plusieurs enquêtes ponctuelles font état
de pollutions chimiques et/ou bactériologiques (1). To u t e-
fois, la diversité des protocoles utilisés, ainsi que le choix habi-
tuellement non motivé des sites prélevés, ne permettent pas de
préciser l’importance de la pollution ni d’en déterminer l’ori-
gine, ce qui empêche de proposer des solutions à ce pro b l è m e
m a j e u r. Nous avons entrepris un suivi longitudinal d’une
sélection de puits et de forages représentatifs des différents
quartiers de Niamey tenant compte de la qualité du sous-sol
ainsi que de la situation socio-économique de la ville. Ce sont
les résultats de ces prospections, menées entre août 1998 et
décembre 1999, que nous présentons ici avec, comme princi-
pal objectif, de documenter les causes de la pollution pour
trouver son origine et y remédier.
Matériel et méthode
Présentation de la zone d’étude
N i a m e y, capitale du Niger, est situé sur les rives du fleuve
Niger qui sépare la ville en deux parties inégales, la part i e
située sur la rive gauche, au nord de la ville, étant la plus éten-
due. La pluviométrie moyenne est de 564 mm de précipitations
(1905-1994), avec une variabilité inter-annuelle relativement
i m p o rtante (précipitations de 319 mm et 978 mm en 1 9 8 4
et 1998 respectivement pour deux valeurs extrêmes). La sai-
son des pluies s’étend de fin juin à début octobre (2).
Niamey couvre une superficie de 115 k m2et s’étend sur les
deux rives du fleuve dont la cote moyenne se situe à envi-
ron 180 mètres. La ville est divisée en 5 districts, eux-mêmes
Étude de la pollution de l’eau souterraine
de la ville de Niamey, Niger.
Summary: Groundwater pollution in Niamey, Niger.
We conducted a study on chemical and bacteriological groundwater pollution in Niamey, a Sahelian
city of some 700 000 inhabitants. A total of 22 wells and 24 bore-holes were selected on a geolo -
gical and socio-economic basis. The superficial aquifers, located on each bank of the River Niger and
connected to the wells, presented high levels of oxidizable nitrogen and bacteriological pollution
(coliform and faecal Streptococcus) which make the water unfit for human consumption. The deep
aquifer, which supplies pumps, was also polluted but to a lesser degree. Faecal pollution increased
after the rainy season. The lack of sanitation in Niamey and the seepage of polluted matters from
the superficial layers could explain this pollution. Eventually, the use of the groundwater could
increase and constitute a major health risk for the majority of the inhabitants of Niamey.
Résumé :
La pollution chimique et bactériologique des nappes d’eau souterraines de la ville de Niamey, ville
sahélienne de 700000 habitants, a été étudiée. La nappe superficielle, accessible par les puits, pré -
sente une forte pollution azotée et une pollution bactériologique (coliformes et streptocoques
fécaux) qui rendent l’eau impropre à la consommation. La nappe profonde, qui approvisionne les
forages, est également polluée chimiquement (azote oxydable) et bactériologiquement (strepto -
coques fécaux) mais à un degré moindre. La pollution fécale augmente après la saison des pluies.
L’origine des pollutions peut être attribuée à diverses causes: défaut d’assainissement et de collecte
des ordures ménagères, transfert de polluants à partir des couches superficielles, conditions de pui -
sage et structure des installations. À terme, l’utilisation de la nappe phréatique pourrait s’accroître
et constituer un risque sanitaire important pour une majorité des habitants de Niamey.
J.-P. Chippaux (1, 2, 7), S. Houssier (3, 4), P. Gross (2), C. Bouvier (5) & F. Brissaud (6)
1.Centre de recherche sur les méningites et les schistosomoses,centre collaborateur OMS pour la recherche et la lutte contre les schistosomoses,
CERMES, B.P. 10887,Niamey, Niger
2.Institut de recherche pour le développement (IRD, anciennement ORSTOM), B.P. 11416,Niamey, Niger
3.Coopération française, SCACAmbassade de France, Niamey, Niger
4.Coopération française, Ministère de l’hydraulique, Niamey, Niger
5.Institut de recherche pour le développement (IRD),Montpellier, France
6.Hydrosciences Montpellier, Université de Montpellier 2, France
7.Adresse actuelle : IRD, B.P. 1386,Dakar, Sénégal (chippaux@ird.sn)
Manuscrit n°2322. “Santé publique”. Reçu le 2 mai 2001. Accepté le 12 mars 2002.
water pollution
drinking water
sanitation
Niamey
Niger
Sub-Saharan Africa
pollution des eaux
eau potable
assainissement
Niamey
Niger
Afrique intertropicale
J.-P. Chippaux, S. Houssier, P. Gross et al.
distribués en quartiers dont les limites traditionnelles et
administratives ne se re c o u v rent pas strictement.
La partie située sur la rive gauche, la plus ancienne, est
c o n s t ruite sur un plateau de terrains sédimentaires du Conti-
nental terminal qui surplombe la vallée fluviale. Ce plateau est
l é g è rement ondulé, d’altitude moyenne 220 m, et traversé par
une rivière intermittente, le Gounti Yéna, qui draine les quar-
tiers centraux. La rive droite s’est développée après la constru c-
tion du pont reliant les deux rives en 1972. La ville s’est bâtie
sur la plaine alluviale, inondable en saison des pluies, qui a re m-
placé la couvert u re sédimentaire du Continental terminal (2).
Les altitudes varient entre 180 et 185 m.
On peut distinguer schématiquement trois types d’aquifères
dans la région de Niamey (1, 2, 5; fig. 1):
- l’aquifère lié au Continental terminal, sur la rive gauche: il est
constitué par les strates poreuses et perméables des part i e s
sableuses sur le plateau altéritique du Continental term i n a l ,
qui présente des épaisseurs pouvant atteindre 50 m. Le niveau
statique de la nappe se situe à 210 m d’altitude sur le plateau (soit
à une profondeur moyenne d’environ 10 mètres) avant une
d é c roissance en arrivant au niveau de la vallée du fleuve; cet aqui-
f è re est alimenté par la percolation des eaux pluviales;
- l’aquifère lié aux alluvions du fleuve, sur la rive droite: cet
ensemble sédimentaire ne dépasse pas 15 m d’épaisseur. Le
niveau statique de la nappe se situe à 180 m d’altitude (soit à
une profondeur moyenne de moins de 5m). Cet aquifère est
alimenté essentiellement par le fleuve;
- l’aquifère lié au socle précambrien : constitué de terr a i n s
métamorphiques et magmatiques, le socle aff l e u re en bord u re
du fleuve. L’ a q u i f è re est constitué des zones altérées au contact
du substratum (pouvant atteindre 40 m en certains endroits)
ou plus en profondeur en fonction du réseau de fractures et
de la nature de la roche. On estime que l’aquifère profond est
en communication avec les aquifères superficiels.
Choix des sites de prélèvement
La plupart des 1500 puits et les 200 forages de Niamey ont été
recensés et géoréférencés. Une pre m i è re sélection de 23 puits
(18 en rive gauche et 5 en rive droite) et de 8 forages (tous en
rive gauche) s’est fondée sur des critères géologiques, par rap-
p o rt aux formations du sous-sol de Niamey, et sur une répar-
tition représentative des caractères socio-économiques de la
ville, basée sur les aménagements urbains et l’ancienneté des
constructions. Leur prospection s’est déroulée tous les deux
mois, entre août 1998 et janvier 1999. Une seconde série de cinq
campagnes de prélèvements, entre février et décembre 1999,
a été menée uniquement sur les forages intéressant la nappe
profonde et a concerné 25 forages (18 en rive gauche et 7 en
rive droite) incluant les 8 ouvrages suivis lors de la première
série de campagnes de prélèvements (fig. 2). Certains sites ont
été abandonnés au cours du suivi pour des raisons techniques:
altération de la stru c t u re rendant difficile le prélèvement, re f u s
de l’accès par le pro p r i é t a i re ou panne du matériel d’exhaure .
Lorsque cela était possible, un ouvrage voisin, aussi semblable
que possible du premier, a été utilisé en remplacement.
Modalités de prélèvements
Les prélèvements ont été effectués à l’aide de bouteilles préa-
lablement autoclavées. Les échantillons ont été conservés en
g l a c i è re réfrigérée pendant le transport jusqu’au laboratoire où
les analyses ont été aussitôt effectuées. Certains paramètres ont
été mesurés in situ: pH, conductivité et O2dissous. Le niveau
dynamique de la nappe a été mesuré à chaque prélèvement.
Après un premier prélèvement effectué le matin, les puits
ont été traités par chloration l’après-midi afin d’éliminer
toute trace de contamination de l’eau, des parois et de l’en-
v i ronnement immédiat du milieu poreux. Le lendemain, une
double vidange rapide du puits
a été obtenue grâce à une
pompe puissante, de façon à
obtenir un remplissage du
puits avec de l’eau pro v e n a n t
de la nappe et exempte d’oxy-
dant chimique résiduel. Un
nouveau prélèvement d’eau a
été alors pratiqué dans les
mêmes conditions techniques
que le pre m i e r. Avant chaque
prélèvement au niveau des
pompes, les robinets ont été
stérilisés par brûlage.
Santé publique 120
Tableau I. Figure 2.
Figure 1.
Teneur moyenne en coliformes totaux (CT) et streptocoques fécaux (SF) de
l’eau des puits échantillonnés (concentrations moyennespour100 ml d’eau).
Mean of total coliforms (CT) and faecal S t re p t o c o c c u s concentrations
in water of selected wells (per 100 mL).
campagne 1 campagne 2 campagne 3
CT avant vidange 28320 13260 25 060
nappe de la CT après vidange 42 313 24868 47 460
plaine (r. droite) SF avant vidange 29 000 12 064 14 850
SF après vidange 43 860 25872 27 820
CT avant vidange 18989 13587 19 796
nappe du CT après vidange 14 330 14 630 29 365
plateau (r.gauche) SF avant vidange 23 808 10 596 11723
SF après vidange 20 229 11262 12 208
Situation des nappes phréatiques de Niamey.
Localisation of the aquifers of Niamey.
Localisation des prélèvements effectués à Niamey.
Localisation of the samples performed in Niamey.
Université
40 m
Bull Soc Pathol Exot, 2002, 94, 2, 119-123 121
Pollution de l’eau souterraine de la ville de Niamey, Niger.
Les analyses pratiquées avant et après chloration et vidange
des puits apportent donc une double information:
- dans un premier temps, avant vidange, elles caractérisent
l’état de l’eau contenue dans le puits qui a pu être contaminée
par les utilisateurs du puits ou, accidentellement, par des élé-
ments extérieurs à l’aquifère (vent, animaux, etc..);
- après vidange, elles évaluent le degré de pollution de la nappe
phréatique. En effet, l’appel d’eau brutal provoqué par la
vidange aspire l’eau de l’aquifère qui sera analysée avant d’avoir
pu être souillée par des agents extérieurs, la chloration ayant
auparavant décontaminé les parois de l’ouvrage.
Analyses chimiques et bactériologiques
Les formes azotées ont été estimées par mesure des nitrates
(NO3¯), par réduction au cadmium, des nitrites (NO2¯), par
diazotation, et de l’azote total par oxydation à l’aide du per-
sulfate à chaud, en milieu basique, puis dosage des nitrates
par réaction en milieu acide sur l’acide chromotopique. La
teneur en azote Kjeldahl est déduite de la concentration en
azote total par soustraction des formes minérales NO3¯ et
NO2¯. Les mesures sont effectuées par colorimétrie à l’aide
d’un spectrophotomètre Hach DR 2010.
Le potassium, le magnésium, le calcium, les chloru res, les sul-
fates et les phosphates ont été dosés par colorimétrie à l’aide
d’un spectrophotomètre Hach DR 2010.
Les paramètres microbiologiques ont été déterminés en filtrant
des aliquotes homogènes de 100 ml dilués dans de l’eau sté-
rile de façon à obtenir un nombre d’unités formant colonie
(UFC) compris entre 30 et 300. Le taux de dilution a été cal-
culé empiriquement au cours des campagnes de prélèvements.
Chaque aliquote a été filtrée sur une membrane dont le dia-
mètre des pores était de 0,45µm. Les membranes ont ensuite
été placées sur des milieux sélectifs pendant 24h e u res à 37 ° C .
Les colonies ont été dénombrées selon une grille fournie par
le fabricant. Nous avons utilisé les milieux suivants: NKS
S t a n d a rd, NKS Endo et NKS Azide (Sartorius, Paris) qui per-
mettent de dénombrer respectivement les germes totaux, les
coliformes totaux et les streptocoques fécaux.
Résultats
Aquifère superficiel du plateau (rive gauche)
La profondeur des puits varie entre 10 et 23 m (moyenne
16m). La teneur en nitrates augmente sensiblement au cours
de la saison sèche mais reste en deçà des normes habituelle-
ment admises. En revanche, la teneur en azote oxydable, c’est-
à - d i re azote organique + N-NH4, évolue peu au cours de
l’année, mais elle dépasse fréquemment la norme et est même
préoccupante dans le tiers des points d’eau (tableau II).
La conductivité moyenne reste constante au cours des saisons
( e n v i ron 300µ S.c m - 1 ) et sensiblement supérieure à celle des eaux
n a t u relles. L’alcalinité est faible. Il y a peu de sulfates ; le cal-
cium et le magnésium sont compris respectivement entre 10 et
3 5 m g.l- 1 et entre 1 et 40 m g.l- 1. Les concentrations en chlo-
ru res et en potassium sont beaucoup plus hétérogènes.
Tous les puits présentent une pollution bactériologique d’ori-
gine fécale: la présence constante de coliformes et de stre p t o-
coques fécaux ne semble pas suivre une variation saisonnière
nette. Certains points d’eau re n f e rment une concentration
franchement inquiétante d’agents microbiens d’origine fécale
(tableau I). La comparaison des résultats avant et après chlo-
ration et vidange des puits ne montre pas de diff é rence, ce qui
indique que la contamination mesurée est celle de la nappe, et
non celle induite localement par les conditions d’exploitation
et par l’occupation du sol à proximité immédiate des puits.
Aquifère superficiel de la plaine alluvionnaire
(rive droite)
Les puits de cette zone ont une profondeur qui varie entre 6
et 14 m (moyenne 11 m). La teneur en nitrates augmente en
saison sèche mais reste inférieure aux normes. L’azote Kjel-
dahl est constamment au-dessus de la norme de l’Union Euro-
péenne (1 m g.l- 1). La teneur en nitrites reste en deçà des limites
admises par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et
celles de l’Union européenne (tableau II).
La conductivité est comprise entre 400 et 2400 µ S.c m- 1. Le pH
est voisin de la neutralité et les eaux sont relativement bien oxy-
génées. Le calcium varie entre 40 et 100m g.l- 1 et le magnésium
entre 10 et 80 mg.l-1. Ces eaux sont généralement très riches
en sulfates (jusqu’à 115 m g.l- 1) et en chloru res (plus de
130 mg.l-1 dans la plupart des puits).
Tous les puits sont contaminés par des agents d’origine fécale.
Leur concentration peut être considérable et dépasser
50 0 0U F Cp o u r100 ml d’eau (tableau I). Contrairement à ce
que l’on observe en rive gauche, la comparaison des résultats
avant et après chloration et vidange des puits montre en
moyenne une augmentation importante du nombre d’agents
présents dans les échantillons, quelle que soit la saison du
prélèvement (tableau I). Le même phénomène s’observe pour
la conductivité électrique. Les pompages modifient l’organi-
sation des écoulements dans l’aquifère en faisant converger vers
le puits les eaux de son environnement. L’augmentation, à la
suite de la vidange des puits, de la contamination bactérienne
et de la conductivité traduit donc probablement la présence
de sources de contamination pro c h e s: effluents de latrines,
lixiviats de dépôts d’ordures… Le niveau général de conta-
mination est alors celui qui est mesuré avant chloration et
v i d a n g e: il est élevé, équivalent à celui de la nappe en rive
gauche, et montre que la nappe elle-même est polluée par
d’autres facteurs plus généraux.
Aquifère profond du socle cristallin
En pro f o n d e u r, la qualité de la nappe a été analysée à partir des
forages des rives gauche et droite, dont les profondeurs sont
de l’ord re respectivement de 70 m en moyenne et de 50 m. La
concentration en nitrates et en nitrites reste dans les limites de
potabilité avec une très faible variation saisonnière. En
Tableau II.
Teneur moyenne,après chlora t i o n ,en azote, n i t rates et nitrites des 17 puits sur
les 23 échantillonnés ayant bénéficié d’au moins 4 prélèvements (en mg.l-1) .
Mean of nitrogen, nitrate and nitrite concentrations after chlorinating the 17
out of the 23 sampled wells, on the basis of at least 4 samples (mg.l- 1) .
quartiers azote Kjeldahl nitrates nitrites
valeur limite UE 1 50 0,1
valeur indicative OMS - 50 3
rive droite
Gaweye 50,3 20,7 0,107
Lamordé 5,5 5,3 0,044
Mosquée 14,8 7,7 0,016
Saguia 4,9 8,9 0,076
rive gauche
Bagdad 5,8 11,7 0,016
Bandabari 5,4 12,9 0,026
Bandabari 2 4,8 8,4 0,011
Bani Fandou 2 0,8 0,9 0,004
Bar Souvenir 60,0 34,1 0,057
Boubiel 1 0,6 1,7 0,024
Boubiel 2 0,8 1,7 0,007
CEG 10 10,3 15,8 0,020
Goudel 3,7 3,5 0,094
Kalley Est 27,6 23,9 0,023
Kouara Me 9,5 14,1 0,010
Lazaret 0,8 0,8 0,005
Ryadh 2,8 4,4 0,016
Santé publique 122
revanche, l’azote oxydable dépasse ces seuils dans 60 à 90%
des échantillons; la teneur en azote oxydable est, toutefois, loin
d’atteindre le niveau des nappes en surface (tableau III).
La conductivité est comprise entre 300 et 800 µS.c m- 1. Le pH
est stable dans le temps et l’espace et proche de la neutralité.
Les concentrations en calcium sont homogènes et avoisinent
2 6m g.l- 1. Le taux de magnésium fluctue entre 12 et 35 m g.l- 1.
Les teneurs en sulfates oscillent entre 10 et 150m g.l- 1 et celles
des chlorures sont toujours inférieures à 25 mg.l-1.
Il y a une grande stabilité chimique, en dehors des sulfates, à
la fois dans le temps et l’espace.
La contamination fécale est avérée par la présence de strep-
tocoques fécaux, même si le nombre d’agents reste très infé-
rieur dans les eaux de forage par rapport à ce qui est observé
au niveau des puits. On observe une augmentation nette de la
pollution générale, part i c u l i è r ement fécale, après la saison des
pluies, au moment des hautes eaux et avant la baisse de celles-
ci au cours de la saison sèche (fig. 3).
Discussion
Plus de 70 % de la population de Niamey (700000 habitants)
est actuellement approvisionnée en eau par les puits et
forages des nappes souterraines (1). La protection de la qua-
lité de ces eaux est donc un objectif prioritaire.
Nos résultats confirment la pollution générale des nappes
s o u t e rraines de Niamey, à des degrés divers, en fonction de la
localisation et de la profondeur des aquifères. Les 18 puits de
la rive gauche renseignent sur le niveau superficiel de l’aqui-
f è re du plateau, les 5 puits de la rive droite concernent le
niveau superficiel de l’aquifère de la plaine alluvionnaire. Les
25 forages informent sur la qualité des eaux de la nappe pro-
fonde du socle cristallin. La surveillance longitudinale confirm e
la stabilité saisonnière du phénomène. La distribution des
sites permet de valider nos observations sur l’ensemble de la
ville.
La pollution azotée est moindre que lors des études précé-
dentes, ce qui peut être en rapport avec notre technique de pré-
lèvement, notamment la chloration des puits. Il n’en demeure
pas moins que l’azote Kjeldahl dépasse fortement les norm e s
e u ropéennes et celles de l’OMS dans 13 puits sur 17 et 17
forages sur 20. Les teneurs en nitrates n’excèdent jamais le
seuil et celles des nitrites sont supérieures dans 1 puits sur 17
et 6 forages sur 20. La pollution bactériologique est larg e-
ment confirmée dans la plupart des puits ou forages.
Les mesures de conductivité électrique, de concentration en
c h l o ru res et en azote, des teneurs en bactéries, pratiquées
avant et après chloration et vidange des puits, montrent que
la pollution touche la nappe phréatique superficielle sur les
deux rives (tableau I) et ne peut être seulement imputée à une
contamination locale des eaux des puits liée aux conditions
d’exploitation. Les facteurs de pollution découlent donc de
problèmes majeurs et tiennent essentiellement au manque de
salubrité. Ils sont très probablement liés à l’absence de dispositif
d’assainissement approprié à la protection des eaux souterr a i n e s
et au défaut de collecte des ord u res ménagères. En matière
d’assainissement individuel, les équipements correspondent
dans la grande majorité des cas à des latrines et puisards très
mal entretenus et proches de la nappe. La gestion des ord u re s
ménagères est rudimentaire : les 264 bennes mobiles servant
à la collecte des ord u res ménagères ne sont pas réparties au pro-
rata de la densité de population; le ramassage n’est pas assez
fréquent pour empêcher la décomposition sur place des
o rd u res. De plus, ces dern i è res servent à combler les voies
ravinées par le ruissellement des eaux de pluies. Plus d’un
millier de dépotoirs sauvages se sont ainsi créés au cours des
années (6).
Si les origines potentielles de la pollution des nappes super-
ficielles sont bien identifiées, il reste cependant difficile d’en
c o m p re n d re les mécanismes de transfert. BO U V I E R et al. (3) ont
montré que la vitesse d’infiltration à la surface du sol est faible,
de l’ordre de 5 mm.h-1, du fait de la présence généralisée de
c roûtes superficielles dans les premiers centimètres du sol.
Ceci limite a priori la re c h a rge directe verticale de la nappe par
les eaux pluviales. De fait, LE D U C et al. (7) estiment que la
recharge de la nappe s’effectue à partir de zones d’accumula-
tion d’eau très localisées, notamment par les mares de sur-
face, alimentées par les eaux de ruissellement consécutives
aux pluies (4). Dans ce cadre d’hypothèses cohérentes, les
échanges verticaux entre nappe et surface paraissent limités,
et les polluants entraînés par les eaux pluviales transitent pro-
bablement par les mares et diverses collections d’eau pouvant
se former en saison des pluies. La concentration en surface des
polluants peut d’ailleurs représenter un avantage pour leur
traitement, par rapport à une source diffuse. Pour les eaux
usées collectées par les puisards, les valeurs de perc o l a t i o n
peuvent être sensiblement diff é rentes de celles du niveau
s u p e rficiel. Dans ce cas, l’hypothèse d’un transfert vert i c a l
est très vraisemblable. Il est probable que les eaux ménagères
et les eaux vannes s’infiltrant dans le sol parviennent à la nappe
phréatique sans avoir pu bénéficier d’une filtration efficace, et
occasionnent une multitude de pollutions ponctuelles.
J.-P. Chippaux, S. Houssier, P. Gross et al.
Tableau III.
Figure 3.
Teneur moyenne en azote, nitrates et nitrites des 20 forages sur les 25
échantillonnés ayant bénéficié d’au moins 4 prélèvements (en mg.l-1).
Mean of nitrogen, nitrate and nitrite concentrations after chlorinating the 20 out
of 25 sampled bore-holes, on the basis of at least 4 samples (mg.l- 1).
quartiers azote Kjeldahl nitrates nitrites
rive droite
Nogaré 8,1 2,8 0,609
Saguia 11,0 4,7 0,102
rive gauche
Aviation (1) 2,3 0,4 0,009
Aviation (2) 1,0 0,5 0,011
Lazaret 1,4 0,7 0,010
Saga (1) 7,9 2,3 0,159
Boukoki I 1,4 0,2 0,024
Tourakou 8,6 4,6 0,043
Yantala 16,2 7,3 0,067
Goudel (1) 5,2 0,8 0,149
Goudel (2) 8,6 2,4 0,213
Sabon Gari 1,1 0,3 0,005
Gamkallé 21,1 7,3 0,100
Saga (2) 2,6 0,72 0,031
Foulan kouara (1) 9 2,3 0,064
Foulan kouara (2) 0,8 0,5 0,010
Foulan kouara (3) 0,3 0,4 0,007
Couronne Nord 0,8 0,9 0,019
Tafa Kouara (1) 13,8 1,1 0,112
Tafa Kouara (2) 1,8 1,5 0,020
Évolution saisonnière du nombre de streptocoques fécaux
dans les eaux de forage en 1999.
Seasonal variation of the number of faecal streptococci
observed in bore-holes in 1999.
La pollution des niveaux superficiels des nappes ne se limite
pas à une pollution bactériologique. Les métaux lourds ne
sont pas concernés, en raison du manque d’industries à Nia-
m e y. En revanche, la présence d’azote doit être soulignée.
Une origine géologique est exclue. Cette pollution azotée
peut provenir soit des fertilisants utilisés dans les périmètres
i rrigués et les plantations maraîchères installées le long du
fleuve et en périphérie de la ville, soit d’une contamination par
les matières organiques humaines et animales infiltrées. La
quantité de fertilisants utilisés par les agriculteurs de la ville
de Niamey est relativement faible, ce qui conduit à privilégier
la seconde hypothèse sauf, peut-être, pour certains puits de la
rive gauche. La forte contamination d’origine fécale s’ac-
compagne très naturellement d’une pollution azotée, que l’on
voit bien à travers les teneurs en azote organique. Une fois dans
le milieu souterrain et en conditions oxydantes, l’azote se
nitrifie. Il est très vraisemblable que l’azote ammoniacal stocké
dans le sol par adsorption pendant la saison des pluies s’oxyde
au fur et à mesure de la baisse du niveau piézométrique et de
la pro g ression de la zone non saturée en saison sèche. L’ a z o t e
nitrique étant une forme très mobile – au contraire de
N-NH4 – il se retrouve rapidement dans la nappe.
La pollution bactériologique de la nappe profonde est plus
inquiétante car elle pourrait signifier une insalubrité générale
des eaux souterraines de la ville. Il reste cependant diff i c i l e
de préciser l’origine et le caractère généralisé de cette pollu-
tion. Elle pourrait être due à la percolation verticale des pol-
luants contenus dans les niveaux superficiels. Les observ a t i o n s
d ’HO U S S I E R (6), montrant l’influence de pompages en pro-
fondeur sur le niveau piézométrique de la nappe superf i c i e l l e ,
c o n f i rment l’existence d’échanges verticaux entre les aqui-
fères superficiels et profonds.
La contamination pourrait, pour partie, provenir des défauts
d’installation de pompage. Cette supposition est re n f o rc é e ,
d’une part, par de grandes diff é rences observées le même
jour entre deux forages voisins et, d’autre part, par les varia-
tions importantes enregistrées sur le même forage lors de
deux prélèvements diff é rents. Ainsi pourrait s’expliquer l’aug-
mentation du nombre d’agents bactériens après une utilisa-
tion peu intense du forage par les usagers, ce qui réduit le
renouvellement de l’eau des tubages. Là encore, afin de mieux
préciser les sources de pollution et les aménagements à pro-
m o u v o i r, il est recommandé d’étudier soigneusement les
t r a n s f e rts de l’eau et des polluants dans la zone saturée.
Conclusion
Di ff é rentes enquêtes menées depuis 1987 avaient déjà sou-
ligné la pollution des nappes souterraines de la ville de
Niamey avec, pour conséquence, des risques sanitaires inquié-
tants. Mais il était difficile d’en évaluer l’importance en raison
des diff é rences méthodologiques observées. Notre étude per-
met, de ce point de vue, de préciser l’importance de la pollu-
tion et ses origines potentielles.
Les nappes superficielles, accessibles par les puits, apparais-
sent fortement contaminées par des matières organiques d’ori-
gine humaines et animales. Cette pollution trouve très
probablement ses origines dans l’insuffisance des infrastruc-
tures d’assainissement et de collecte des ordures ménagères.
L’éventualité d’une pollution bactériologique de la nappe pro-
fonde doit être envisagée sérieusement, surtout si l’on pro p o s e
une exploitation systématique de cette re s s o u rce naturelle en
eau. En effet, une ponction intense et régulière du contenu de
la nappe profonde pourrait augmenter significativement la
c i rculation des eaux souterraines, par appel d’eau, et aggraver
la contamination de la nappe profonde par les polluants de sur-
face. Par ailleurs, des essais sont actuellement en cours, visant
à améliorer l’entretien des ouvrages hydrauliques afin de
réduire leur contamination bactériologique et déterminer si
celle-ci concerne ponctuellement les installations ou, plus
généralement, la nappe en profondeur.
Les études doivent se poursuivre pour surveiller l’évolution
de la pollution de la nappe, notamment en profondeur. Les
modes de transfert de l’eau et des polluants dans la zone non
saturée d’une part, dans la nappe d’autre part, doivent main-
tenant être impérativement caractérisés afin de hiérarc h i s e r
les diff é rents facteurs de pollution et pre n d re les mesure s
conservatoires appropriées.
Remerciements
Ce travail a été financé conjointement par l’IRD et la Coopération
française. Nous exprimons notre gratitude à MM. Roland LO U V E Le t
Olivier FA U G E R E (SCAC, Ambassade de France à Niamey) et M.
Christian LE D U C (IRD, Montpellier) pour leur soutien constant lors
de l’élaboration et la réalisation de ce travail. Nous re m e rcions égale-
ment MM. Daniel CO U R E T et Sylvain TH E RYpour leur aide technique.
Pollution de l’eau souterraine de la ville de Niamey, Niger.
Bull Soc Pathol Exot, 2002, 94, 2, 119-123 123
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