Cent quarante-huit restes humains ont été découverts au cours des fouilles effectuées de 1964 à 2014 dans la Caune de l’Arago à Tautavel dans les Pyrénées-Orientales. Ils ont été recueillis dans un contexte stratigraphique précis qui a permis d’individualiser 15 unités archéostratigraphiques avec présence humaine dont l’âge est compris entre 550 ka pour l’unité Q à la base et 400 ka pour l’unité C au sommet (SIO 14 à 10). Pendant cette longue période de temps, l’Homme a connu deux périodes de climat froid et sec (ensemble stratigraphique I et III) séparées par une période tempérée-humide (ensemble stratigraphique II). La majorité des restes humains a été recueillie dans les unités F et G de l’ensemble stratigraphique III du complexe moyen dans un environnement steppique, froid et venté. Les restes humains étaient mêlés individuellement au matériel archéologique et aux déchets de faune chassée et consommée. L’inventaire des restes humains met en évidence une majorité d’éléments crâniens et en particulier, la portion antérieure d’un crâne, Arago XXI, découvert le 22 juillet 1971, qui a fait connaître pour la première fois, l’aspect physique des premiers européens. L’ensemble, 5 mandibules, 123 dents sur arcade alvéolaire ou isolées, quelques fragments de squelette post-crânien : 9 éléments du membre supérieur, 19 éléments du membre inférieur, permet de repérer 30 individus décédés, soit 18 adultes et 12 enfants. L’étude de ces fossiles permet de les rapprocher des formes d’Homo erectus connues en Asie et en Afrique avec lesquels ils partagent des caractères communs. Cette constatation entraîne le questionnement de l’existence de ce groupe en Europe. Ainsi, l’apport de la collection de fossiles humains de l’Arago présente un triple intérêt, paléontologique, populationnel, comportemental. La multiplicité des restes permet d’avoir une estimation de la biodiversité et de la composition de cette petite population. L’attention est attirée par son originalité vis-à-vis de Mauer, l’ancêtre classique européen Homo heidelbergensis. Les fossiles de l’Arago présentent des caractères archaïques, non retrouvés sur la mandibule de Mauer, en particulier, la grande extension antéro-postérieure de l’arcade convexe en avant, la prédominance des dents prémolaires et de la M2, le corps mandibulaire à indice de robustesse élevé, le planum alvéolaire sub-horizontal et la ligne mylohyoïdienne saillante peu inclinée. D’autre part, le crâne n’a pas encore réduit sa face au profit du cerveau, processus qui sera mis en évidence ultérieurement. Le crâne est bas, avec un frontal à grande extension, une face très prognathe et un appareil masticateur puissant avec des crêtes temporales et un torus angularis saillants, qui lui donnent en coupe coronale, une forme pentagonale, contrairement à la convexité régulière observée sur les crânes de La Sima de los Huesos et des Néandertaliens. Une analyse comparée avec la population bien documentée découverte dans La Sima de los Huesos permet de constater un stade plus évolué chez cette dernière qui la rapproche de la forme néandertalienne sans l’éloigner de la mandibule de Mauer. En présence des fossiles humains européens, dont nous disposons, le scénario peut se résumer ainsi. Homo georgicus, une forme proche du groupe habilis-rudolfensis porteur des industries préoldowayennes et oldowayennes, est présent aux portes de l’Europe, il y a 1,8 Ma environ. À partir de 1,2–0,8 Ma, les documents, quoique fragmentaires d’Atapuerca, Elefante, Gran Dolina-TD6, pourraient être rattachés à cette lignée première. Les premiers Homo erectus porteurs des cultures à bifaces qui ont quitté le berceau africain arrivent aux portes de l’Europe, il y a environ 1,2 Ma, comme l’atteste la découverte de la calotte crânienne de Kocabaş en Anatolie, proche des fossiles de Buia en Erythrée et de Daka en Éthiopie, datés eux-mêmes de 1 Ma environ. À partir de 0,55 Ma avec l’ensemble des 148 restes humains et en particulier avec le crâne Arago XXI, nous sommes en présence d’une nouvelle forme (indépendante de Mauer) bien documentée que nous proposons de rattacher au taxon Homo erectus tautavelensis, en attribuant à cette sous-espèce une connotation géographique. Les caractéristiques morpho-fonctionnelles et culturelles d’Homo erectus tautavelensis signent la souche d’une longue lignée européenne, à l’origine de la néandertalisation.