La recherche scientifique ayant porté sur les agresseurs sexuels d’enfants avec contact a mis en lumière l’importance des facteurs cognitifs en lien avec le passage à l’acte délictueux et la récidive sexuelle (p. ex., Helmus, Hanson, Babchishin et Mann, 2013). Les premières recherches portaient sur l’identification des produits cognitifs, aussi nommés distorsions cognitives, des agresseurs sexuels d’enfants, ainsi que sur le développement d’instruments psychométriques pour la mesure des distorsions cognitives (p. ex., l’Échelle de molestation ; Bumby, 1996). Plus récemment, un pan de la recherche a contribué au développement des connaissances sur les structures cognitives (c.-à-d., schémas cognitifs, également nommées théories implicites), lesquelles sont présumées représenter les croyances profondes des délinquants sexuels à propos du monde et de leurs victimes. Ces recherches portent toutefois une attention particulière sur les agresseurs sexuels avec contact, négligeant ainsi d’examiner les individus qui s’engagent dans des délits sexuels en ligne. Les résultats préliminaires des études s’y étant intéressées suggèrent que les cyberdélinquants présenteraient des structures cognitives distinctes de celles agresseurs sexuels avec contact (Bartels et Merdian, 2016), indiquant ainsi la nécessité d’étudier davantage ce construit psychologique auprès de cette population. La présente thèse vise donc à contribuer au développement des cognitions qui soutiennent la cyberdélinquance sexuelle commise envers les enfants.
Cette thèse présente les résultats de trois études distinctes, mais complémentaires, ayant tentées de faire la lumière sur la nature, la mesure et le rôle des cognitions qui soutiennent la cyberdélinquance sexuelle. À partir d’un échantillon de soixante interrogatoires policiers de cyberdélinquants sexuels, une analyse thématique de discours a permis d’identifier huit théories implicites partagées par les consommateurs de matériel d’abus sexuels d’enfants et par les auteurs de leurre d’enfants : 1) les délits sexuels ne causent pas de torts aux enfants ; 2) le monde est incontrôlable ; 3) les enfants sont des êtres sexuels ; 4) le droit d’agir à sa guise ; 5) le monde est dangereux ; 6) les enfants sont des partenaires de vie ; 7) l’univers virtuel n’est pas réel et ; 8) l’internet est incontrôlable. Les résultats issus de cette analyse ont servi de base pour le développement, suivant la Théorie classique des tests et la Théorie de la réponse à l’item, du questionnaire psychométrique intitulé Cognitions sur les crimes sexuels sur l’internet (C-CSI), lequel a été validé auprès d’un échantillon indépendant constitué de 241 délinquants sexuels en ligne et avec contact ainsi qu’auprès de délinquants non sexuels. L’examen de l’échelle a révélé d’excellentes propriétés psychométriques, incluant une vaste gamme d’items représentant un continuum de difficulté à être en faveur des cognitions soutenant la cyberdélinquance sexuelle, en plus d’une bonne capacité à discriminer parmi les sous-groupes de délinquants. La troisième étude visait à examiner l’association de ces cognitions, combinées à la sexualité atypique, l’autorégulation problématique et la perception de l’anonymat, à la cyberdélinquance sexuelle commise envers les enfants. Les résultats révèlent que les cognitions soutenant les comportements sexuels en ligne sont associées à la cyberdélinquance sexuelle, alors que les cognitions soutenant l’agression sexuelle sont associées à la commission de délits sexuels commis avec contact envers les enfants. De plus, les résultats indiquent que les cognitions modèrent la relation entre la préoccupation sexuelle et la cyberdélinquance sexuelle chez les hommes fortement préoccupés par la sexualité.
Les résultats issus de cette thèse ont de nombreuses retombées, tant pour le bénéfice de la recherche scientifique que pour la pratique clinique. D’abord, cette thèse a permis de contribuer à l’avancement des connaissances concernant la nature des cognitions en identifiant les structures cognitives des cyberdélinquants sexuels liées aux délits des consommateurs de matériel d’exploitation sexuelle d’enfants et des auteurs de leurre d’enfants. Ensuite, elle a fourni le premier outil psychométrique spécifiquement validé pour la mesure des cognitions soutenant la cyberdélinquance sexuelle, lequel permettra entre autres, une mesure du changement en contexte thérapeutique. Enfin, une meilleure connaissance cognitions qui supportent la cyberdélinquance sexuelle contribuera à l’élaboration de meilleures cibles de traitement pour les hommes qui s’engagent dans l’exploitation sexuelle des enfants sur l’internet.