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L'art aux limites nationales. Petite lecture géopolitique et géosymbolique des productions artistiques des frontières

Authors:
L’art aux limites nationales. Petite lecture g´eopolitique
et g´eosymbolique des productions artistiques des
fronti`eres
Anne-Laure Amilhat Szary, Marie-Christine Fourny
To cite this version:
Anne-Laure Amilhat Szary, Marie-Christine Fourny. L’art aux limites nationales. Petite lecture
g´eopolitique et g´eosymbolique des productions artistiques des fronti`eres. Mirmanda, revista de
cultura revue de culture, Catalogne, 2010, pp.92-109. <halshs-00694098>
HAL Id: halshs-00694098
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mirmanda
revista de cultura
revue de culture
NÚMERO 5 2010
mirmanda
2
Mirmanda
Revista de Cultura|Revue de Culture
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editor de la revista Afers), Olivier Poisson (conservador general del Patrimoni), Arnau Pons (Editorial Lleonard
Muntaner, Mallorca), Jean Sagnes (Universitat de Perpinyà) i Pall Skullason (Universitat de Reykjavik).
Edita: Mirmanda
ISSN: 1957-0201
ISBN: 978-2-9529805-3-1
Dipòsit legal: L-288-2007
Imprès a Arts Gràques Bobalà, S L
Sant Salvador, 8 - 25005 Lleida - bobala@bobala.cat
Amb la col·laboració de:
mirmanda
3
Editorial ................................................................ 5
ECONOMIES D’UN TEMPS I D’ARA
TERESA RIBA
Un esbós polític i econòmic de l’espai
transfronterer català ..................................... 10
FRANCESC ROCA
De la «Literatura econòmica 1960-1970»
als vents dels anys 2000-2010 ...................... 18
EMILI GASCH I FRANCESC ROCA
Els economistes dins el debat actual.
Literatura econòmica, 1960-1970 ............... 22
ANNA LLADÓ
Andorra: exili i arrencada econòmica ....... 35
REALITATS PRÀCTIQUES
PERE BECQUE
Sobre un espai econòmic català, de la
construcció a l’Europa que ve .................. 42
WALTER SOUBIRANT
Le Pôle Économique Saint Charles et Saint
Charles International: Un outil de premier
plan au cœur du système économique
nord-catalan ............................................... 56
TURISME I PAÍS
JOSEP JANÉ SOLÀ
Problemes de la nostra Costa Brava ........ 64
MANUEL COSTA-PAU
Davantal a «Consideracions frontereres» 70
MANUEL COSTA-PAU
Consideracions frontereres ........................ 72
VISIONS SOBRE L’ECONOMIA EUROPEA I NACIONAL
MODEST FLUVIÀ I RICARD RIGALL-I-TORRENT
NIMBY i anàlisi econòmica ........................ 78
JOAQUIM LLIMONA
Elements per a internacionalitzar
l’economia catalana ................................. 84
SumARI
Mirmanda
núm. 5 2010
Sumari
mirmanda
4
ADDENDA AFRONTERERA
ANNE-LAURE AMILHAT SZARY I MARIE-CHRISTINE FOURNY
L’art aux limites nationales. Petite lecture
géopolitique et géosymbolique des
productions artistiques des frontières ....... 92
Resums ............................................................... 111
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Qu’est-ce que l’art a à voir avec les frontières? Beaucoup de choses
assurément, si l’on en croit une production abondante ces dernières années.
La gure de la frontière y est saisie de manières diverses, aussi bien dans
un objectif de contestation (Sejla Kameric, Guillermo Gómez Peña et le
Border Art Workshop / Taller de Arte Fronterizo), que sur des arguments
anthropologiques ou en regard d’une réexion esthétique sur la limite (Marc
Mingard, Chris Drury). Mais qu’est-ce que l’art a à voir aux frontières? La
question met en jeu l’importance du lieu, et nous questionne de ce fait en tant
que géographes préoccupés par la signication des lieux et la manière dont
cette signication s’exprime.
Car la frontière n’est pas a priori un objet propice à l’expression
artistique, tant elle relève d’une rationalité politique froide. Certes les discours
nationalistes ont voulu en faire une manifestation naturelle, mais la croyance
en sa matérialité et sa naturalité a de longue date été déconstruite pour en
révéler le caractère intrinsèquement conventionnel (NORDMAN 1998). Cette
invention ctionnelle s’est toutefois inscrite dans le sol et a progressivement
donné une consistance à la ligne de séparation des Etats. Bornes, murs,
barrières, barbelés, fossés, no man’s lands, zones non aedicandi, postes de
douane, ont donné ou donnent encore une réalité à ce qui n’est que pointillés
sur une carte. Ces marques visibles ressortissent du contrôle, de la défense ou
de l’interdiction, dressant un champ sémantique limité et une esthétique des
L’art aux limites
nationales. Petite
lecture géopolitique
et géosymbolique
des productions
artistiques des
frontières
1
1. Les auteurs (de l’Université
J. Fourier / CNRS - UMR PACTE,
Grenoble, France) ont présenté ce
texte dans le cadre du Congrès Inter-
national « Observer les frontières,
voir le monde » organisé par Mir-
manda les 19-21 mars 2010 à Bellver
de Cerdanya.
Anne-Laure Amilhat
Szary i
Marie-Christine
Fourny
mirmanda
L’art aux limites nationales. Petite lecture géopolitique et géosymbolique des productions artistiques des frontières Anne-Laure Amilhat Szary i Marie-Christine Fourny
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paysages qui ne l’est pas moins. Or cette aridité, voire cette dureté, qu’offre
l’espace frontalier à une saisie artistique se trouve aujourd’hui remise en cause
par nombre de productions récentes.
Ces productions nous ont interpellées sur deux aspects:
Pour une part, elles manifestent d’une transformation du paysage de la
frontière, ce qui suggère une transformation induite de la symbolique
et de l’imaginaire de ces lieux. On peut alors faire l’hypothèse qu’elles
révèlent les nouvelles signications et représentations des limites
étatiques. Elles révèlent mais participent aussi à leur renouvellement,
et l’interprétation de l’œuvre ne peut faire abstraction de son statut. En
ces sites lourdement chargés d’un point de vue politique le contexte de
la production, selon qu’il s’agisse d’une commande institutionnelle ou
d’une contestation citoyenne, peut mettre en lumière les conits dans les
valeurs et les représentations.
Pour une autre part, cette vitalité artistique se constate dans des
situations frontalières extrêmement différentes: lorsqu’il y a ouverture
et disparition du contrôle frontalier, tel qu’au sein de l’espace Schengen,
ou lorsqu’il y a exacerbation de la fermeture à travers les murs qui
prolifèrent (N & N 2007). Paysages, symbolique,
intentions et discours y sont certes différents, mais peut-on penser que
la concomitance est fortuite? N’y a-t-il pas un même processus à l’œuvre
dans cette mise en scène de la limite à travers des artefacts artistiques?
Entre art et lieu, de l’objet artistique à l’objet géographique, ce sont des
territorialités, c’est-à-dire des rapports culturels à l’espace, qui sont en
jeu.
C’est à l’exploration de ce lien entre la fabrication du lieu et la fabrication
de sens par la production artistique que nous voulons consacrer notre lecture
des nouvelles formes frontalières.
La frontière ouverte
Dans cette situation d’ouverture, les observations faites sur les paysages
de frontières (A S & F 2006; F & C 2003)
montrent des aménagements paysagers et des productions artistiques qui
manifestent d’une symbolique frontalière particulière: le lien, la porte, le
passage, la rencontre, la transgression... Mais toutes, de manière dialectique,
marquent également la distinction et la discontinuité: frontière ouverte certes,
mais frontière tout de même…
En premier lieu, il faut remarquer que ces opérations s’inscrivent en
rupture d’une histoire longue. Elles font avec le lourd héritage politique
de l’Etat westphalien où la frontière est organisée pour la fermeture. Cette
rupture territoriale a produit des espaces de marges et de conns, avec des
formes d’occupations de l’espace sans qualité, caractéristiques des périphéries:
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zones portuaires sur le Rhin, ventas sur la frontière espagnole, no man’s lands
administratifs, friches naturelles, etc. Ou bien elle porte encore les traces des
dispositifs arrogants, sinon violents, du contrôle douanier.
Un paysage fonctionnel du contrôle et de l’interdiction
Le pont du Vourzis est en France. La barrière,
quant à elle, se trouve de l’autre côté de la frontière.
Quelles que soient les continuités culturelles et sociales, la limite
politique a ni ainsi par s’inscrire dans le paysage. Or l’ouverture conduit
à une double obsolescence de ces espaces. D’un point de vue économique
ils représentent des sites mal utilisés et déqualiés, alors que les échanges
augmentent et qu’il faut organiser le franchissement. Dans le cas de zones
d’emploi transfrontalières, ils subissent une importante pression résidentielle
(Frontières et aménagement, 2007). Et, plus généralement, ils représentent une
valeur environnementale pour une demande croissante de loisirs, de nature
et d’aménités paysagères.
D’un point de vue symbolique, ils sont des traces d’une histoire que les
ententes politiques cherchent à dépasser; ils marquent la division, alors que les
nouvelles communautés territoriales, à toutes les échelles, sont en recherche
d’identités communes. Que faire alors des espaces de limites? Et comment
dire la limite de l’Etat postmoderne, ouvert mais néanmoins bien vivant?
C’est là qu’intervient la mobilisation artistique, sous plusieurs modalités.
© Chantal Dervey (www.24heures.ch)
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L’art aux limites nationales. Petite lecture géopolitique et géosymbolique des productions artistiques des frontières Anne-Laure Amilhat Szary i Marie-Christine Fourny
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Une requalification esthétique
Ce premier type de recours à l’art est sans doute le plus évident et le
plus utilitariste. En témoigne la «première “frontière artistique” du monde»,
ainsi que l’annonce un article de Swissinfoch (17 août 2006). Cette œuvre
du sculpteur allemand Johannes Döringer vient remplacer un grillage de
280 mètres marquant la frontière entre Constance (Allemagne) et Kreuzlingen
(Suisse) par 22 sculptures. La notoriété de l’artiste, dont les œuvres gurent
au Musée Guggenheim, au Metropolitan Museum of Art de New York,
ou encore à la Tate Gallery de Londres, contribue à la transformation de
l’image du lieu. Par delà la valeur intrinsèque de l’œuvre, la signature d’une
personnalité internationale est en effet sufsance à faire sens, conférant au site
une «marque» de prestige, propre à en revaloriser l’identité.
La nouvelle esthétique frontalière ne signie pas toutefois la n des
contrôles, les dispositifs de contrôle et de surveillance se sont simplement
dématérialisés pour prendre la forme de caméras vidéo.
Une autre requalication emblématique est certainement celle du «Jardin
des Deux Rives» de part et d’autre du Rhin dans l’agglomération franco-
allemande de Strasbourg et Kehl. Formé d’anciennes parcelles industrielles
en friche et d’une ancienne promenade (aménagement vieilli et peu entretenu
côté Français), le site constituait un conns dégradé (R, Z et al.
2002). Si les fonctions de clôture et de contrôle avaient bien disparu, la rupture
spatiale restait marquée par l’inoccupation du terrain. Pour y remédier, les
opérations de réhabilitation récentes ont restructuré un ensemble de part et
d’autre du Rhin. Les zones vertes situées de part en d’autre de la frontière
constituent à présent un vaste zone espace de verdure commun relié par une
passerelle et situé à proximité du cœur de l’agglomération.
La frontière «avant» et la frontière «après»
<www.swissinfo.ch/media/cms/images/keystone/20> Photo: Fritjof Schultz-Friese <www.bodensee-woche.de>
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Le recours à la nature
La requalication de friches et de no man’s land frontaliers passe également
en de nombreux cas par des aménagements paysagers où les espaces de
nature abandonnée laissent la place à une nature équipée et valorisée pour
l’agrément ou la pratique touristique. L’ancienne frontière entre les deux
Allemagne est ainsi devenue sentier de randonnée (C 2006) et, entre
Moselle et Sarre, lieu pour la randonnée cycliste.
2. <http://www.espaces-
transfrontaliers.org/affiche_projet.
php?affiche=projet/proj_jardins.
html>.
La nature cultivée et humanisée est également fréquemment convoquée
à travers le jardin. L’Allemagne en particulier apprécie les traditionnelles
vertus fédératrices du jardinage à travers des expositions horticoles
transfrontalières: elles ont permis la création d’espaces verts transfrontaliers
entre Bâle et Weil am Rhein, Frankfurt/Oder et Slubice. Le jardinage représente
là un retour à la terre, à une sorte d’activité originelle pré-conictuelle, pré-
moderne et pré-étatique. Dans la région transfrontalière Saar-Lor-Lux, un
ensemble de communes frontalières, autour de Schengen a créé les «Jardin
sans frontières». Le dépassement de la frontière se fait par la structuration
d’un réseau de jardins ainsi que par un discours sur la symbolique « sans
frontière » et multiculturaliste de la nature: « Ce jardin raconte le travail
positif de l’homme sur la nature. Comment, grâce à l’horticulture, une plante
sauvage se transforme, plus de séparation entre l’espace jardiné et la nature.
Les “mauvaises herbes” ont aujourd’hui le droit de transgresser les frontières
et de pénétrer dans nos jardins. Il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition de
belles mauvaises herbes mais véritablement d’une tapisserie végétale où se
mêlent orties grises et renoncules dorées, trèes argentés, sureaux à eurs
noires et pourpres».
2
Le rôle de la nature dans l’aménagement de la frontière — support et
cadre pour de nouveaux usages ou bien commun — ne peut toutefois exister
qu’en raison de sa «plasticité» symbolique. A l’opposé de l’idéologie de la
frontière naturelle, la nature offre paradoxalement la possibilité de dépasser
«Du rideau de fer à la ceinture verte».
Dessin d’Arcadio, paru dans The
Independent, 10 juillet 2008
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L’art aux limites nationales. Petite lecture géopolitique et géosymbolique des productions artistiques des frontières Anne-Laure Amilhat Szary i Marie-Christine Fourny
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les signications historiques de la frontière. Elle renvoie en effet à une
dimension non culturelle et non sociale de l’espace, qui s’oppose au caractère
humain et donc articiel des limites politiques. Elle marque en quelque sorte
une origine commune, qui transcende les différences culturelles et politiques
(F 2005). Cette valeur se renforce par ailleurs de l’image de l’harmonie
qui est mobilisée dans les activités offertes dans les espaces de nature: la
randonnée, le jeu, l’effort physique ou encore le jardinage.
Une sémantique du lien
Les gures d’universalité et de commun véhiculées par l’idée de nature
se retrouvent déclinées avec force dans les œuvres d’art situées dans les
nouveaux aménagements frontaliers. Ainsi, dans le jardin des Deux Rives
à Strasbourg, lors de l’exposition d’œuvres de nature (Landesgartenschau)
les œuvres ont toutes joué sur les signiants de la relation. Les sièges de
l’artiste Sylvie Brochier invitait « à engager la conversation ». Une autre
installation offrait un «lieu de contemplation de l’autre rive», les conques
de Akio Suzuki « renvoient l’écho, propagent les murmures » d’un côté
à l’autre. Plus monumentale, la passerelle pérenne de Marc Mimran fait se
rejoindre physiquement la rive allemande et la rive française du Rhin. Celle-
ci toutefois n’est pas d’un seul tenant, les deux parties ne se situent pas dans
l’alignement l’une de l’autre, mais nissent par se rejoindre dans une plate-
forme située au milieu du euve. Sans effacer la frontière ni occulter l’altérité,
elles s’inscrivent dans le «face à face», la mise en miroir de soi et de l’altérité
ou le franchissement des nouveaux espaces de limites qui acquièrent un rôle
de vitrine, deviennent écrin paysager où les territoires s’exposent à l’autre en
exposant leurs ns. Le jeu est ainsi double: la mise en scène du face à face est
aussi mise en scène d’une relation qui conduit à leur mise en valeur esthétique.
La passerelle de l’architecte Marc Mimran, entre Strasbourg (F) et Kehl (D)
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Une pérennisation de la limite et de l’altérité
Paradoxalement, ces aménagements de l’espace frontalier n’effacent pas
totalement la discontinuité. Ils la nuancent, l’affaiblissent, la resémantisent,
sans la faire disparaître. Ainsi, dans ce projet de paysage à Bourg-Madame,
une grande «couture verte» doit permettre la tenue de manifestations festives
et ludiques offrant de nouvelles occasions de rencontre entre les populations
(J 2006). Mais elle laisse clairement apparaître la ligne de couture. Le
vide n’est plus opéré par le délaissement lié à l’éloignement des lieux qui
comptent, mais est qualié par une nature conçue comme un objet esthétique.
Croquis d’Akio Suzuki: les conques
Les artefacts artistiques quant à eux dénotent le lien et la rencontre, mais
reproduisent dans le même temps l’idée d’altérité. Passerelle disjointe, objets
de communication, place commune, ne nient pas la différence, ne prétendent
pas effacer les distinctions sur le Rhin, mais les mettent en relation. L’usage
du lieu de la frontière comme sa symbolique participent à représenter le
composite, à dessiner «l’unité de la mosaïque» (B 2003). La limite
ainsi requaliée apparaît comme un nouveau type d’espace public, non plus
centré sur un territoire mais né de la confrontation de la diversité: un espace
public de l’inter-territorialité.
Entre Puigcerdà et Bourg-Madame, Projet de n d’études d’A. Jammes, 2006.
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L’art aux limites nationales. Petite lecture géopolitique et géosymbolique des productions artistiques des frontières Anne-Laure Amilhat Szary i Marie-Christine Fourny
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Une forme donnée à l’abstraction de la convention
Allons plus loin encore dans notre lecture géopolitique et symbolique.
Aménagements paysagers et œuvre d’art donnent une visibilité à la limite, tout
en la dotant de signications qui lui permettent de s’insérer dans les valeurs
politiques de la coopération interétatique. Mais de surcroît, la dimension
conventionnelle et virtuelle de la ligne frontière parvient à se concrétiser et à
s’actualiser dans le sol. L’espace est encore convoqué pour rendre manifeste
le découpage politique.
La proposition artistique ci-dessous en est parfaitement explicite. Proposé
dans le cadre d’un concours pour un site du bassin genevois (le Salève) il
vise à dessiner sur le sol les limites des collectivités territoriales pour, dit son
auteur, «rendre chacune des parties responsables».
Ce n’est là plus seulement une limite qui s’ancre dans la réalité, mais la
représentation même de la frontière — le signe cartographique conventionnel
du trait — qui devient artefact de la frontière. Alors que la perte de la
dimension pratique de la frontière devrait conduire logiquement à son
invisibilité, le maintien de son existence politique ou l’intérêt de territorialiser
certaines valeurs politiques (la responsabilité pour cet exemple) conduisent à
une expression formelle de cet objet géographique.
Ce processus qui voit la matérialisation de conventions politiques par
des artefacts géographiques, la convocation de la nature pour produite une
nouvelle symbolique de la frontière, n’est pas sans présenter des analogies
avec l’argumentaire des frontières «naturelles». En effet, de la même manière
que le discours sur le caractère naturel des limites a permis de légitimer la
construction territoriale de l’Etat, les valeurs postmodernes qui sont celles
de l’art et de la nature, permettent aux territoires de se donner à voir, et
de se mettre en scène. On peut penser qu’ils pallient ainsi leur légitimité
politique ageolante par cette forme de légitimité très contemporaine, qu’est
Institut d’Architecture de l’Université de Genève, 2000:
Entre terres et ciel, le site du téléphérique du Salève, concours d’idées pour étudiants
européens, Université de Genève / Fondation Braillard Architectes, Genève.
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la visualisation. Pour en nal «re-naturaliser» l’Etat. Mettre l’accent sur la
matérialisation de la frontière dans ce contexte d’ouverture peut permettre
des comparaisons stimulantes avec ce qui est en jeu sur les frontières fermées
où, de plus en plus nombreux, des murs sont érigés.
Le mur: l’arme paysagère
L’artefact frontalier que représente le mur est là instrumentalisé dans
des rapports de pouvoir excluant l’échange et la négociation aussi bien que
la relation entre les populations de part et d’autre. A la violence du mur
s’oppose son détournement. Il permet une prise de paroles par les populations
avec lesquelles on refuse de communiquer; devient un support pour des
productions qui développent différentes gures de contestation.
Le corpus d’images et de productions artistiques qui a été constitué
rend compte des types de production selon les acteurs qui s’en saisissent. De
nombreux murs apparaissent ainsi investis par les migrants, habitants, riverains,
qui utilisent cette surface comme moyen d’expression et de protestation (grafti,
objets mortuaires,…) dans une démarche qui relève du politique et du sensible.
Ils sont aussi investis par des artistes qui cherchent à déchiffrer cette sémiologie
de la violence et à la transformer en parole artistique et militante (peinture,
sculptures, jeux de lumière, performances,…) qui mettent en scène suret par
le mur, le passage et l’obstacle, la violence faite au paysage, aux regards, aux
corps. Dans d’autres exemples c’est un déni du mur par des trompe-l’œil
reconstituant la vue originelle. Ce corpus concerne tout particulièrement les
frontières israélo-palestiniennes et Mexique/États-Unis.
Le monde de flux induit par l’ouverture globale sème le trouble et
la confusion
La fermeture des frontières contemporaines peut sembler très
contradictoire vis-à-vis du discours dominant sur l’ouverture. Pourtant, les
fonctions de contrôle des ux ne disparaissent pas, mais elles sont dispersées
en une multitude de points reliés entre eux, notamment dans les aéroports
et les gares. La frontière perd sa forme linéaire pour revêtir un aspect de
plus en plus réticulaire. «Les frontières cessent d’être des réalités purement
extérieures, elles deviennent aussi et peut-être avant tout ce que Fichte dans
ses Reden an die deutsche Nation avait superbement appelé les “frontières
intérieures”: innere Grenzen, c’est-à-dire, il le dit lui-même, invisibles, situées
“partout et nulle part”» (F, Discours à la Nation allemande, 1807, cité
par B 1996b). Dans ce contexte, si les limites frontalières ne contiennent
plus les circulations, on peut se demander à quoi elles servent, et cette
confusion mène le héros de la bande dessinée belge La frontière invisible dans
un trouble profond (bulle n°1).
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L’art aux limites nationales. Petite lecture géopolitique et géosymbolique des productions artistiques des frontières Anne-Laure Amilhat Szary i Marie-Christine Fourny
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Dans cette œuvre, il apparaît très vite que la seule façon de parer au
désordre engendré par ce nouvel état du monde est de faire apparaître, à tout
prix, ces frontières dont le sens se perd. Malgré les apparences en effet, le monde
actuel vit plutôt une recrudescence qu’une disparition des limites politiques:
«Depuis 1991, plus de 26000 km de nouvelles frontières internationales ont
été instituées, 24 000 autres ont fait l’objet d’accords de délimitation et de
démarcation, et si les programmes annoncés de murs, clôtures et barrières
métalliques ou électroniques étaient menés à terme ils s’étireraient sur plus
de 18000 km. Jamais il n’a été autant négocié, délimité, démarqué, caractérisé,
équipé, surveillé, patrouillé » (F 2007). Derrière cette comptabilité
Extraits de: La frontière invisible, Schuiten/Peeters 2004.
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déjà dépassée par les nouveaux murs en construction en Asie et au Moyen-
Orient (sur la péninsule arabique notamment), on perçoit un enjeu inédit: il ne
s’agit plus seulement de séparer des entités politiques mais aussi de montrer
l’effectivité du geste politique.
On peut interpréter les murs contemporains comme l’expression d’un
nouveau matérialisme géopolitique: il s’agit en effet de rendre visible et
tangible des faits pour leur donner un sens différent. Traditionnellement, la
frontière marque le lieu de la séparation, de la différenciation, mais également
celui de la négociation de l’altérité: on a montré qu’elle était autant suture
que coupure (A S & F 2006). Or l’artefact frontalier que
représente le mur est là instrumentalisé dans des rapports de pouvoir excluant
l’échange et la négociation aussi bien que la relation entre les populations de
part et d’autre.
Comprendre les murs impose de nouvelles clés de lecture du paysage:
celui-ci est traditionnellement abordé le paysage comme la traduction d’un
ordre politique. Le pouvoir peut également instrumentaliser des gures qu’il
va inscrire dans l’espace (Z 1991). Mais si l’on privilégie l’approche par le
regard, on perçoit à quel point la gure du mur permet de mettre en évidence
que le paysage peut devenir une arme.
Si «les frontières ne sont plus le bord du politique mais (…) des objets,
disons plus exactement des choses dans l’espace même du politique »
(B 1996a), alors cette mise en scène du pouvoir en ses limites permet de
comprendre l’évolution des enjeux du rapport du politique à l’espace. L’objet
«mur» pourtant n’est pas inédit:
3
ce sont les murs postérieurs à la guerre
froide qui nous intéressent plus particulièrement ici. Il semble qu’ils expriment
un besoin d’inscription dans l’espace de l’intention qui en soi est nouveau. En
anthropologie politique, c’est G. Balandier a, le premier, insisté sur la possibilité
de lire l’arène politique comme une véritable «scène» théâtrale (B
1980). Dans une démarche comparable, nous nous intéressons à la façon dont
le pouvoir politique prend conscience de son pouvoir d’intervention sur la
représentation qu’il donne de lui-même. La représentation constitue dès lors
une la possibilité de renvoyer à la collectivité que ce pouvoir incarne (celle
même qui l’a élu, en démocratie), une image de «cohérence et cohésion» et
d’«efcacité du lien» (A 1990, A & J 1997). Le mur serait là
pour témoigner de l’existence d’une communauté nationale de plus en plus
insaisissable.
De la ligne politique à la surface artistique: le mur est une page
Le mur fournit une surface d’expression dont les artistes vont s’emparer:
le mur de Berlin en est l’exemple caractéristique, même s’il n’a été peint
que d’un côté. Est-ce parce que « la matérialisation d’un mur en béton ne
symbolise pas seulement la fonction de barrière de toute frontière, mais elle
3. «La tentation du mur n’est
pas nouvelle. Chaque fois qu’une
culture ou qu’une civilisation n’a pas
réussi à penser l’autre, à se penser
avec l’autre, à penser l’autre en soi,
ces raides préservations de pierres,
de fer, de barbelés, ou d’idéologies
closes, se sont élevées, effondrées,
et nous reviennent encore dans de
nouvelles stridences »: E. G
& C P.: Quand les murs
tombent, Paris, Ed. Galaade, Institut
du Tout-monde, 2007.
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L’art aux limites nationales. Petite lecture géopolitique et géosymbolique des productions artistiques des frontières Anne-Laure Amilhat Szary i Marie-Christine Fourny
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empêche aussi de voir ce qui se passe de l’autre côté de la frontière. Ainsi,
l’autre côté devient invisible et inconnu» (N 2003) qu’elle renforce le
désir d’intervention sur l’artefact même? Tout se passe comme si la fermeture
d’une frontière non seulement réactivait la production culturelle sur la limite
internationale, mais en transformait également le sens. Sur la frontière USA /
Mexique par exemple, il semble que, depuis 2006, l’érection de la barrière de
sécurité ait été accompagnée d’une recrudescence artistique, il en va de même
sur le mur tracé entre Israël et les territoires palestiniens.
Sur le mur, des procédés au «décodage simple», tels que la mise en
abime ou le trompe l’œil sont fréquents: on peint l’autre côté pour faire
oublier que le béton ou la tôle font écran, ou bien l’on peint le mur sur le mur,
comme le montre la photo ci-dessous prise sur le mur de Berlin, le premier à
avoir été ainsi investi par les arts graphiques. D’autres interventions littérales
sont nombreuses, comme les nombreux autels spontanés, décorés, érigés à la
mémoire des migrants décédés lors de leur tentative de passage de la frontière
USA / Mexique.
Trois figures récurrentes de l’expression artistique sur les murs
A la violence du mur s’oppose son détournement. Il permet une prise
de paroles par les populations avec lesquelles on refuse de communiquer;
devient un support pour des productions qui développent différentes gures
de contestation. Quand il est guratif, l’art plastique semble mettre en scène
deux thématiques principales: les barbelés d’une part, le corps d’autre part, le
tout dans une recherche de uidité visuelle, que nous considérons comme la
troisième gure récurrente de l’expression artistique sur les murs.
Berlin, © L. Szary, 2009
Qalandya Checkpoint, © AL. Amilhat Szary, 2010
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Les barbelés représentent une première métaphore de la fermeture, mais
aussi de sa violence (R 2000). Ils sont très présents dans le travail du
collectif Border Art Workshop. L’une de leurs œuvres les plus inspirantes sur
ce thème est le Burning Fence («Grillage en feu») de Michael Schnorr: l’artiste
a reproduit une barrière grillagée en bois recouvert de tissu, qu’il a imbibé
d’essence auquel il met le feu au moment de la présentation (1991).
Le deuxième thème récurrent est celui la corporéité. Le corps est souvent
présenté comme souffrant. L’incarnation de la frontière par des artistes engagés
en appelle certainement à la biopolitique foucaldienne qui pourrait se révéler
une piste d’analyse fertile si elle était approfondie. Dans les trois œuvres ci-
dessous, on voit d’abord des gures géantes, métalliques, semblant vivre avec
et par la tôle du mur contre lequel elles prennent appui dans des poses variées.
Cette œuvre a la particularité de n’avoir pas été produite à Tijuana / San
Diego, lieu de résidence de la majorité des artistes de cette frontière, mais dans
un atelier sis à Nogales, ville récemment touchée par l’extension de la barrière
de sécurité: les espaces de l’art déclinent ceux de l’expression politique de la
sécurité. Dans le deuxième exemple, c’est un artiste brésilien, Valeskia Soares,
qui intervient à l’extrémité de la dyade USA / Mexique, là où la ligne traverse
le «parc de l’amitié», lieu où la frontière est longtemps restée «respirante»
pour permettre les communications vocales de part et d’autre, pour les familles
divisées (ce qui est impossible depuis 2009 du fait du renforcement de la
frontière). L’artiste a exposé des miroirs: là où l’on cherche l’autre on ne trouve
que son propre reet, la frontière fuit; des phrases extraites des Villes invisibles
de I. Calvino sont gravées, à l’envers: elles seraient lisibles par quelqu’un situé
de l’autre côté de la ligne si seulement le miroir était une vitre! Enn, l’œuvre
de Cristina Fernandez, installée dans les quartiers pauvres de Tijuana, travaille
avec le regard du spectateur, encouragé à utiliser les instruments de navigation
des Conquistadors pour aller au-delà de la limite.
M. Schnorr, Burning Fence, 1991, BAW/ TAF (photo extraite de: FOX 1999)
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On observe enn de nombreuses œuvres mobiles marquées notamment
par la vidéo et la performance, comme si la xité imposée par la ligne inférait
une réponse uide. Cette gure thématique permet de faire le lien entre des
représentations issues d’une grande variété d’arts visuels, et mettant l’accent
sur l’acte de performance. Dans ce domaine, ce sont les œuvres de Guillermo
Gomez-Peña qui sont les plus célèbres, mais il a été accompagné dans cette
dynamique par de nombreux artistes. De fait, la performance est une forme
d’expression artistique assez développée en Amérique Latine, avec notamment
de célèbres « performeurs » colombiens qui trouvent dans cette modalité
d’expression la possibilité de reformuler et de partager leurs interrogations
sur la violence politique et sociale de leur pays. Elle s’étend vers l’Amérique
centrale, avec un groupe désormais reconnue de femmes «performeuses»,
4
parmi lesquelles María Adela Díaz, qui travaille directement la question
de la frontière (dans Caution, ou bien Borderline, performance au cours de
laquelle elle s’enferme dans une caisse en bois jetée à la mer pour dénoncer
le problème de l’immigration illégale). Un exemple intéressant de cette
perspective fut un événement présenté lors de l’édition 2005 de la foire InSite.
Le travail de Javier Téllez intitulé One Flew Over The Void/Bala perdida («Vol
au-dessus du vide / Balle perdue») se terminait par un spectacle inspiré par
les réalisation de Dave Smith, le fameux «homme-obus». Le spectacle mettait
en scène des patients d’une institution de santé mentale avec lesquels l’artiste
avait longuement travaillé, questionnant ainsi toutes les sortes de frontières
que l’homme érige ou subit, puis l’artiste se faisait lancer par un canon au-
dessus d’une reproduction, sur une plage proche, de la palissade frontalière
de Tijuana / San Diego: il s’agissait ainsi de mettre en évidence les tensions
croissantes autour de la frontière!
Taller Yonke (Nogales, Mexique) 2003. Valeskia Soares, Picturing paradise,
Insite 2001.
Llegadas y Salidas,
Cristina Fernandez,
Insite 97 (photo extraite
de
iglesias prieto 2007)
4. Elles interviennent dans
«Elles@centrepompidou», une exhi-
bition organisée par le Musée Pom-
pidou entre les mois de mai 2000 et
mai 2010, dédiée aux femmes artistes
dans les collections d’art moderne.
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La subversion et son impact
A la violence du mur s’oppose son détournement. Il permet une prise
de paroles par les populations avec lesquelles on refuse de communiquer;
il devient un support pour des productions qui développent différentes
gures de contestation. Dans un premier temps pourtant, les murs semblent
universels. Portée par la muraille, la gure de l’enfermement semble stable,
de nombreux graftis rappellent le ghetto. Le point commun entre un certain
nombre de murs aujourd’hui, dans un contexte post-guerre froide, est
néanmoins d’avoir été construits par des démocraties.
Bulles de Rio Río Yañez qui réunit l’icône de performances de la frontière
Guillermo Gomez-Peña et Batman
(http://soundtastetypepad.com/sound_taste/mouthing_of/)
© A. L. Amilhat Szary 2004
<mexilios.blogspot.com-2007_11_15>
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Si une analyse contextualisée permet de nuancer ces afrmations
premières, on observe néanmoins des formes intéressantes de mise en réseau
de formes d’opposition à cette fermeture des frontières: Il apparaît également
que les opposants à cette évolution des frontières sont également en train de se
structurer de cette façon comme le révèle la dissémination des manifestations
des No-border Camps en Europe. En ce qui concerne plus spéciquement le
phénomène d’inscription territoriale des frontières, cela semble prendre
une dimension plus importante encore, alors que des «artistes frontaliers»
ou « artistes des murs » sont invités à rendre visite et inuencer d’autres
espaces frontaliers que ceux sur lesquels ils ont l’habitude d’intervenir.
Quand des artistes mexicains furent invités en 2004 à Bethléem, tout comme
lors l’intervention de Thierry Noir, célèbre peintre du mur de Berlin, sur la
barrière USA / Mexique en novembre 2009, on semble assister à un transfert
symbolique. L’artiste français JR semble aller plus loin avec son projet: ses
portraits, pris de part et d’autres du mur Israël / Palestine pour donner
à voir de chaque côté cet «autre» souriant et drôle que l’on ne connaît ni
n’espère, ont ensuite été afchés sur différents murs urbains, se dotant ainsi
de transformer toute façade grise en mur de séparation, en frontière fermée.
<http://www.jr-art.net/>
Conclusion: quel sens peut-on donner à ces
productions?
Les nouveaux espaces de limites qui acquièrent un rôle de vitrine,
deviennent écrin paysager où les territoires s’exposent à l’autre en exposant
leurs ns. La mise en scène du face à face est aussi mise en scène d’une relation
qui conduit à leur mise en valeur esthétique. Le vide n’est plus opéré par le
délaissement lié à l’éloignement des lieux qui comptent, mais il est qualié
<http://electronicintifada.net/v2/article3346.shtm>
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par une nature conçue comme un objet esthétique, façonnée pour marquer
le cadre d’un inter-espaces. Lorsque le paysage n’est plus signiant, ce sont
des artefacts artistiques qui viennent inscrire dans l’espace le sentiment de
distinction qui perdure. L’esthétisation de la limite vient en défaire l’aspect
tragique hérité de l’histoire.
Dans le travail artistique se joue une resémantisation de la relation d’un
côté et de l’autre de la frontière qui, pour autant, n’efface pas les distinctions.
La limite ainsi requalifée apparaît comme un nouveau type d’espace public,
non plus centré sur un territoire mais né de la confrontation de la diversité: un
espace public de l’inter-territorialité?
Le mur constitue une coupure qui sépare et rassemble tout à la fois, y
compris dans l’opposition qu’il suscite. Ainsi, la fermeture d’une frontière non
seulement réactive la production culturelle sur la limite internationale, mais
en transforme également le sens. La production artistique stimulée par le mur:
en constitue en premier lieu une forme de franchissement symbolique,
permet aussi de mettre en évidence à quel point l’intervention paysagère
constitue un acte politique.
C’est le statut du visible dans l’analyse sociale contemporaine que
questionne notre approche. Comme la muraille induit le mouvement du
regard qui butte contre elle, comme au cinéma le mur déchire le cadre, la
frontière murée peut constituer un objet qui fait dévier l’approche scientique
paysagère.
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... Under such conditions of confinement, artistic development occurs through breaks with the past and reinvention rather than through accumulation and imitation as a way of expressing freedom and resistance. 66 As Edgar Morin reminds us, "a crisis both reveals and enacts: it has an aspect of awakening about it, one that in theory instructs us about possibilities both for surviving and for transforming a crisis situation". 67 The case of contemporary art in Gaza is a striking example of a crisis situation that does not necessarily lead to a break or a disturbance, but one that reveals the creativity of a society as a whole. ...
Article
Despite the political and economic turmoil since the beginning of the 2000's, the Gaza Strip has witnessed great vitality in its artistic scene. Most Palestinian artists actually come from Gaza, and a significant number of them have recently managed to gain international visibility. Besides the capacity of art to provide alternative visual narratives of a besieged city, art in this context is a tool that participates in construction of the city itself. This article aims to explore the interaction between art production and the backdrop of war within an urban landscape. It bears witness to the great artistic vitality of the Gazan people and moreover highlights Gaza's emerging cultural scene and the role increasingly played by the media and social networks, in contrast with the simplistic images often being conveyed. Based on both semi-structured interviews held with Gazan artists and participant observation in the local visual arts scene, this article seeks to shed light on the relationship between art and city in a context of urban crisis, through recognising Gaza's place as a Palestinian urban centre. Central to the issue of Palestinian national question and to potential breakthroughs in the Israeli-Palestinian conflict, Gaza is also relevant to understanding a number of challenges facing Arab and Muslim societies. Examining Gaza's art production in this specific context is crucial to comprehending how art participates in building a new city, beyond the media's narrowly stereotyped images.
Article
Full-text available
Attraverso un’analisi interdisciplinare, il testo affronta il caso studio Prototypes, consistente nella proposta dell’artista C. Büchel di considerare i prototipi di muro di confine tra USA e Messico dei monumenti nazionali. Tramite gli strumenti teorici garantiti dai border studies, dalla filosofia analitica e dalla storia dell’arte contemporanea, lo studio avanza un’interpretazione dell’oggetto d’analisi in termini di difficult heritage (MacDonald 2008) contemporaneo e apporta alcune inedite e significative note a margine, riportando l’attenzione sui diversi livelli di lettura della vicenda.
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Walls and graffiti in Palestine’s refugee camps tell a border story. As people in camps continue to consider themselves refugees from the 1948 Nakba, and as long as their freedom of movement is either denied or at the least controlled by Israel, the border is embodied by each inhabitant of the camp, who is transborderized (Iglesias-Prieto, 2012). The graffiti movement was born in the camps as part of the resistance during the first Intifada, both as a means of expression for the community, and as a way to build the community through public space. This paper aims to explore the relationship between the particular urban structure of a refugee camp (focusing on Dheisheh and Aïda in Bethlehem) and graffiti. Through an examination of visual elements on the walls of refugee camps today, I propose an understanding of the relationship to public space as one where politics is at play, outside of any institutional structures. © 2017, Articulo - Journal of Urban Research. All rights reserved.
Article
Full-text available
This paper raises the question whether it is possible to develop a theory of bordering which will encompass the diverse types of border and boundary experience. I have previously argued that the only way to create a common language between the different disciplinary languages (including geographers, political scientists, anthropologists, sociologists, economists and others) is to create a common set of theoretical constructs and frameworks which can be used as a generalized explanatory model for understanding changing border/boundary phenomenon (Newman 2003). In essence, this paper reiterates a question asked long ago in one of the classic studies of international boundaries, namely how are boundaries (borders) to be redefined in the settings of contemporary time and place (Jones 1959).
Article
Les coopérations transfrontalières constituent une forme de franchissement de frontières dans la mesure où elles nécessitent de penser différemment l’espace voisin. Comme le terme de coopération lui-même l’indique, l’intégrité et la singularité des entités en présence sont maintenues dans les rapports qu’elles développent. La frontière devient le point de départ de la collaboration et la montagne – sa conception et ses pratiques – devient le référent qui oriente le dépassement des différences. Ces modes d’identification nous intéressent en tant que tels mais plus encore dans ce qu’ils peuvent qualifier une relation “ trans-territoriale ” : comment un territoire transfrontalier peut-il se constituer à partir de l’articulation d’identités territoriales distinctes ? Si le rapport entre identités locales ne peut plus se développer selon un mode hégémonique, de domination ou d’assimilation d'un territoire sur l'autre, comme il a pu se faire lors de la formation du territoire national ou lors de regroupements contraints, comment se définissent les qualités communes ? Comment se transforment les référents de l’altérité, dont en particulier la frontière ? Ces questions n’ont pas toutes une réponse, bien sûr, mais des éléments intéressants apparaissent à l’étude des programmes Interreg II des deux départements de Savoie, du Val d’Aoste et du Valais.
Drawing the Line. Boundaries, Identity and Hybridity in Transboundary Spaces
  • J Fall
Fall, J., Drawing the Line. Boundaries, Identity and Hybridity in Transboundary Spaces, Aldershot, Ashgate, 2005.
The Fence and the River
  • C F Fox
Fox, C. F., The Fence and the River. Culture and Politics at the U.S. – Mexico Border, Minneapolis, University of Minnesota Press: 1999.