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Why LGBT issues matter in education
Pourquoi les enjeux LGBT importent dans le domaine de l’éducation
Gabrielle Richard, PhD
Pour citer ce document : Richard, G. (2015). “Why LGBT issues matter in education/Pourquoi
les enjeux LGBT importent dans le domaine de l’éducation”, Keynote conference, Unite in
Diversity: LGBT, Indigenous Peoples’ and other Minority Rights; 7
e
Congrès d’Education
International, Ottawa, Canada, 19 juillet 2015.
Introduction
En tant qu’adultes, on prend souvent la parole à la place des jeunes. On se conforte en se
disant qu’on a cumulé les années d’expérience et qu’on connaît par défaut mieux qu’eux ce dont
ils ont besoin. Il reste que c’est un exercice parfois périlleux, de parler au nom d’autrui, parce
que ça laisse entendre qu’on comprend leur situation si bien qu’on peut s’en faire le porte-
parole.
Pour commencer, je tiens à inverser cette prémisse. Je veux donner directement la parole à
quelques jeunes. Des jeunes Canadiens, immigrants ou non, mais qui pourraient bien être
Argentins, Belges, Burkinabés, Polonais ou Chinois. Des élèves qui fréquentent
quotidiennement nos écoles, qui sillonnent leurs couloirs, des adolescents qui y évoluent plus de
40 heures par semaine. Je les ai rencontrés lors d’une recherche menée sur les expériences
scolaires des jeunes LGBT. Des collègues et moi avons passé près de deux heures avec
chacun d’entre eux, deux heures au cours desquelles ils nous ont raconté en détails, avec
énormément de courage, avoir été la cible d’insultes, de taquineries répétitives, de rumeurs
méchantes, d’humiliations, d’agressions physiques et sexuelles, alors qu’ils étaient sur les bancs
d’école. Parfois même, entre les quatre murs de leur salle de classe. Sans flancher, ils ont
raconté les doutes qui les ont assaillis, les angoisses qu’il leur a fallu surpasser, la honte de
devoir raconter leur histoire pour obtenir l’aide d’un adulte. Ils nous ont expliqué à quel point les
devoirs et les leçons pouvaient parfois constituer leurs dernières préoccupations.
Ces adolescents ont également partagé avec nous certains des beaux moments de leur
cheminement. Ils nous ont parlé de leurs grands amis, parfois des compagnons d’infortune avec
qui l’amitié s’était forgée dans l’adversité, parfois des amis de longue date qui devenaient des
confidents, voire des protecteurs. Ils ont évoqué les activités sportives et artistiques qu’ils
affectionnaient tout particulièrement, lors desquelles ils pouvaient enfin laisser tomber leurs
gardes et s’évader temporairement, et qui leur permettait d’évacuer de la tension. Aussi, et
surtout, ils ont parlé de leurs enseignants. De ce que leurs enseignants avaient dit ou fait, mais
aussi ce qu’ils n’avaient pas dit, ou pas fait.
Au terme de chacune de ces entrevues, alors qu’on remballait nos sacs respectifs, j’ai risqué
une dernière question. Que manquait-il, selon eux, pour favoriser les expériences scolaires des
élèves LGBT – des jeunes comme eux? Et lorsque mes interlocuteurs avaient décroché :
qu’aurait-il fallu pour que vous restiez à l’école? Voici certaines de leurs réponses.
Intervenir contre l’homophobie. Un enfant qui menace de battre quelqu’un, on ne
devrait pas tolérer ça à l’école. Parce que les adultes sont mal à l’aise avec
l’homosexualité, ils font comme s’ils n’avaient rien entendu, ou ils disent que ce n’est
rien. Mais c’est très important. (Christina, 19 ans, lesbienne)
!
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C’est important que les profs montrent aux élèves qu’à l’école, ils sont supposés se
sentir bien. Je pense que le personnel d’une école doit faire sentir aux élèves qu’ils
sont à leur place et qu’ils vont les protéger. (Nico, 18 ans, gai)
C’est surtout auprès des professeurs qu’il faudrait faire une éducation. On ne
s’imagine pas, mais les élèves s’identifient aux profs. Ce que le prof leur dit, c’est un
argument d’autorité
1
.
(Abdoullaye, 23 ans, bisexuel)
Au cours de cette présentation, je reviendrai sur les souhaits émis par ces jeunes LGBT. Nous
verrons comment faire de nos écoles des environnements plus accueillants et plus inclusifs pour
les jeunes de la diversité sexuelle. Nous verrons ce que plusieurs enseignants, confrontés
comme vous à prendre action sur ces enjeux, identifient comme les principaux obstacles à leur
mobilisation. Je vous présenterai les témoignages d’enseignants qui interviennent contre
l’homophobie et qui tentent de parler d’orientation sexuelle en classe, avec différents niveaux
d’adresse. Nous verrons les actions qui peuvent être prises, dans l’immédiat et à plus long
terme, pour favoriser les expériences scolaires des jeunes LGBT.
Pour agir sur l’inclusion des élèves LGBT, il faut en comprendre l’exclusion. Avant de chercher à
améliorer nos pratiques pédagogiques et d’intervention, nous devons comprendre comment nos
écoles peuvent constituer des lieux de violence et d’exclusion sur la base de l’orientation
sexuelle. Comment nous, qui y travaillons, pouvons même être les complices de cette violence.
Le portrait que je m’apprête à vous dresser ne vous plaira pas : il est pourtant le passage
nécessaire vers une prise de conscience de la situation problématique et – souhaitons-le – de la
création d’environnements scolaires pleinement inclusifs pour les jeunes LGBT.
Imaginez ce triangle, comme 3 pôles autour desquels gravite le système d’éducation. Les trois
angles de ce triangle incarnent autant de dimensions de ce système. Nommons-les
respectivement climat scolaire, curriculum formel et pratiques enseignantes.
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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Les citations d’élèves citées dans ce texte sont tirées de Chamberland, L., G. Émond, D. Julien, J. Otis
et B. Ryan, avec la collaboration de M. Bernier, M. Chevrier, M.-P. Petit et G. Richard. (2011).
L’homophobie à l’école secondaire au Québec. Portrait de la situation, impacts et pistes de solution.
Rapport final de recherche. Montréal : UQAM. FQRSC. Disponible en ligne au :
http://homophobie2011.org/documentation/index.html.
climat scolaire
curriculum formel
pratiques enseignantes
!
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Le climat scolaire renvoie très largement à la perception qu’ont les élèves de leur expérience au
sein de l’école. Dans le cas qui nous intéresse, le climat scolaire désignera les relations sociales
entre les individus (les manifestations de solidarité ou de violence, par exemple), le sentiment de
sécurité et le sentiment d’appartenance à l’école.
Le curriculum formel réfère aux apprentissages et savoirs prescrits dans les programmes et les
cursus. Nous ferons surtout état du contenu des manuels scolaires.
Les pratiques enseignantes réfère à tout ce que l’enseignant dit ou ne dit pas, et fait ou ne fait
pas, dans sa classe ou ailleurs dans l’établissement scolaire. Cela inclut les savoirs transmis par
l’école, mais qui ne sont pas explicités dans un programme. Les échanges quotidiens informels
entre enseignants et élèves deviennent donc en soi des contenus d’apprentissages.
Ces trois dimensions, chacune à leur façon, influencent l’expérience scolaire des jeunes LGBT.
Si on cherche à agir sur cette expérience scolaire, c’est-à-dire à la rendre plus inclusive et moins
discriminatoire, il est nécessaire de comprendre et de prendre action sur chacune de ces trois
dimensions. Voyons-y de plus près.
Angle 1. La vérité sur l’homophobie et les violences de genre en éducation
Le premier angle de ce triangle concerne la violence en milieu scolaire, qui a été amplement
documentée. On fait référence ici à l’intimidation ou à la violence homophobe ou transphobe à
l’école, qui ciblent des élèves comme des enseignants. Bref, on se demande si le milieu scolaire
est aussi sécuritaire qu’il prétend l’être pour tous, incluant les personnes LGBT.
Depuis une dizaine d’années, de grandes enquêtes ont été menées dans plusieurs pays, afin de
documenter la fréquence des épisodes de violence homophobe en milieu scolaire, ainsi que
leurs impacts sur le climat scolaire dans son ensemble. La majorité de ces études s’intéressent
aux expériences scolaires des élèves dits de minorités sexuelles et de genre, c’est-à-dire qui
s’identifient comme LGBT, qui questionnent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre,
ou encore qui sont issus de familles homoparentales par exemple. Quatre constats d’importance
peuvent être dégagés de ces études :
1) Les élèves LGBT ne sont pas en sécurité dans nos écoles.
Une proportion très significative des élèves s’identifiant comme LGBT rapportent vivre de la
discrimination sur la base de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre. Les
statistiques oscillent entre 50% et 85%, et ont été documentées dans une diversité de pays
incluant le Chili, le Brésil, le Royaume-Uni, la France, l’Espagne, les Etats-Unis, le Japon,
l’Australie et le Canada. Pour le dire en des termes peut-être plus évocateurs, dans tous les
pays ayant procédé à ce genre d’enquête, plus de la moitié des jeunes LGBT ont été violentés
en-dedans des murs de leur école. Il s’agit clairement du témoignage d’un échec considérable
des établissements scolaires à fournir à l’ensemble de leurs élèves un environnement sûr
réunissant les conditions optimales à l’apprentissage.
2) Beaucoup d’élèves hétérosexuels sont victimes d’homophobie.
Rares sont les enquêtes ayant cherché à donner la parole aux observations des jeunes
hétérosexuels sur la place réservée à la diversité sexuelle dans leur école. Les quelques-unes
l’ayant fait ont mis en évidence un phénomène d’importance : environ un élève hétérosexuel sur
trois rapporte avoir vécu de l’homophobie « parce qu’on le présume gai/lesbienne/bisexuel ». En
d’autres termes, paradoxalement, l’homophobie ne discrimine pas en raison de l’orientation
sexuelle. L’homophobie touche tous les étudiants.
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3) L’homophobie est avant tout une violence basée sur le genre.
Il s’agit là d’une importante clé de compréhension du phénomène. On entend habituellement le
terme « homophobie » lorsqu’on cherche à faire référence à l’intimidation et à la violence ciblant
un individu qui n’est pas – ou qui ne serait pas – hétérosexuel. Cette définition n’est pas fausse,
mais elle est grandement incomplète. Nous venons de voir qu’une bonne proportion d’élèves
hétérosexuels dit avoir vécu de l’homophobie à l’école. Il ne s’agit de toute évidence pas
d’élèves s’identifiant comme LGBT, mais bien d’élèves que l’on présume être LGBT. Pour
quelles raisons peut-on présumer de l’homosexualité d’une personne? Les discours populaires
associent communément l’homosexualité masculine à la faiblesse, la couardise et la féminité.
Un homme, un « vrai », doit faire preuve de courage, de virilité et du sens de l’initiative. Un
adolescent hétérosexuel peut donc être ciblé par la violence homophobe s’il rechigne à jouer à
se battre avec ses amis, s’il ne manifeste pas d’intérêt pour le sexe opposé ou s’il est « trop »
studieux, par exemple. À l’opposé, on s’attend d’une « vraie » femme qu’elle soigne son
apparence, qu’elle soit délicate et qu’elle cherche à plaire (mais pas trop) aux membres du sexe
opposé. Une jeune fille ne correspondant pas à ces attentes risque de se le faire reprocher (par
les autres filles comme par les garçons), et cela peut passer par la victimisation homophobe.
L’homophobie, il faut donc le comprendre, opère comme une police du genre.
Les violences genrées (puisque c’est de cela qu’il s’agit) sont de plus en plus identifiées comme
l’un des deux principaux motifs de discrimination et d’intimidation à l’école, généralement
second après l’apparence du corps et le poids.
4) L’homophobie a des impacts majeurs sur la réussite scolaire.
La victimisation en milieu scolaire constitue un frein majeur à la réussite scolaire des jeunes. Les
jeunes qui en sont victimes sont plus susceptibles de manquer des journées d’école, d’avoir de
piètres résultats scolaires, d’envisager décrocher ou de le faire, ou encore de voir leurs
aspirations scolaires amoindries. Ces conséquences sont d’autant plus désastreuses que la
victimisation augmente en fréquence et en intensité.
Je vous invite à prendre ces quatre constats comme autant de clés de compréhension du
phénomène. Il est possible de rester les bras croisés devant l’homophobie quand on considère
qu’il s’agit d’un phénomène marginal, ou quand aucun élève n’est ouvertement LGBT dans notre
école. Est-ce à dire que le problème ne nous concerne pas? Bien au contraire. Vous aurez
compris que l’homophobie ne doit pas être comprise comme désignant uniquement les
violences ciblant directement une personne homosexuelle ou bisexuelle. Les violences
homophobes sont fortement genrées puisqu’elles répriment les garçons et les filles, les hommes
et les femmes, qui sont perçus comme inadéquats dans leurs comportements, dans leurs
préférences vestimentaires et dans les attributs dont ils disposent. En ce sens, ces violences
homophobes et genrées concernent tout le monde.
Angle 2. L’éducation inclusive des enjeux LGBT
Le deuxième angle du triangle concerne l’éducation inclusive à proprement parler, c’est-à-dire
les différentes réalités présentées dans les contenus scolaires. Les exemples donnés en classe
tiennent-ils compte de la diversité sexuelle? Les manuels scolaires présentent-ils un portrait
fidèle de la société en incluant des personnes LGBT? Bref, les jeunes LGBT voient-ils des
« gens comme eux » lorsqu’ils sont sur les bancs d’école?
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Même s’il y a des exceptions notables, la réponse demeure globalement négative. Des études
ont cherché à analyser le contenu des manuels scolaires en ce qui concerne les représentations
de la diversité sexuelle dans différents pays de l’OCDE. Ici encore, on peut résumer ces études
en quelques constats :
5) Les manuels ne parlent (presque) pas d’orientation sexuelle.
Vous n’êtes probablement pas surpris d’apprendre que les références à l’orientation sexuelle ou
à l’homosexualité sont dans la grande majorité des cas, pratiquement inexistantes dans les
contenus scolaires. Ceci dit, ce constat devrait plutôt nous surprendre. L’école se targue en effet
de former des futurs citoyens habiletés à fonctionner en société. On y aborde communément
des questions liées aux droits civils, au respect d’autrui, à l’éthique personnelle et à la diversité
humaine, des sujets au sein desquels pourrait aisément, à mon sens, se glisser l’évocation de la
diversité des orientations sexuelles.
6) Les manuels évoquent l’homosexualité dans des contextes excessivement réducteurs.
L’homosexualité est ainsi par défaut associée à des sujets comme la discrimination, le suicide,
le VIH/sida, l’holocauste, l’abus sexuel ou la prostitution. Même les cours d’éducation à la
sexualité, lorsqu’ils existent, ne sont pas bien plus prompts à associer l’orientation homosexuelle
ou bisexuelle à des contextes « normaux » ou « positifs », comme la vie conjugale ou familiale,
la découverte de soi et l’exploration de sa sexualité, le plaisir sexuel, etc. Même le traitement
graphique de ces représentations a été étudié. Lorsque l’homosexualité est évoquée dans un
manuel scolaire, c’est plus souvent qu’autrement en retrait physique des autres contenus. Le
passage fait l’objet d’un bref encadré, disposé à l’écart du texte principal.
7) Les manuels scolaires accentuent une « normalité » hétérosexuelle.
L’observateur inattentif s’est rendra plus difficilement compte, mais les contenus scolaires se
font les porte-parole d’une normalité hétérosexuelle. En effet, s’il existe un agenda quelconque
dont l’école fait la promotion, c’est celui de l’hétérosexualité. Comment, me demandez-vous? En
présentant par défaut le modèle de couple comme étant homme-femme, en réitérant l’exemple
de la famille dite traditionnelle, en insistant sur la complémentarité des sexes, par exemple. Les
cours d’éducation sexuelle présentent la sexualité presque uniquement à travers la lorgnette de
la reproduction humaine, une approche pour le moins limitée pour une majorité d’élèves, toutes
orientations sexuelles confondues.
Le curriculum scolaire formel transmet donc un message sans équivoque au sujet de
l’homosexualité : elle n’existe pas. Les chercheurs parlent d’un silence institutionnalisé, voire de
« code du silence ». Le message que les jeunes LGBT en retirent, c’est que ce qu’ils vivent
n’existe pas, que ce qu’ils ressentent n’est pas légitime, ne mérite pas d’être discuté.
Il y a des exceptions. Il existe des programmes compréhensifs d’éducation à la sexualité qui se
font un devoir de s’affranchir du message selon lequel loin de l’hétérosexualité, point de salut.
Des programmes d’éducation anti-oppressive ont été mis sur pied afin de questionner l’idée
selon laquelle les sexes sont nécessairement différents, opposés, et complémentaires. Les
détracteurs parlent de « promouvoir l’homosexualité et la confusion des genres », mais il n’en
est rien. Il s’agit uniquement de faire de l’école un lieu où les jeunes LGBT peuvent obtenir
réconfort et validation, plutôt que discrédit et honte. Il est possible de faire autrement. Il est
urgent de faire mieux.
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Angle 3. Les enseignants aux prises avec la diversité sexuelle
Étudier ce qui se passe informellement en salle de classe revient souvent à braquer les
projecteurs sur les attitudes, comportements et pratiques des enseignants. L’objectif de cette
démarche n’est pas d’évaluer les pratiques en question, mais bien de comprendre ce qui peut
constituer des obstacles ou des difficultés à la mise en œuvre de pratiques inclusives de la
diversité sexuelle.
Par souci de cohérence avec ce dont nous avons discuté ici, je vous propose de regarder les
pratiques des enseignants à la fois sous l’angle de l’intervention et sous celui de l’enseignement.
Au niveau de l’intervention : Comment les enseignants rapportent-ils intervenir lorsqu’ils sont
témoins de violences à caractère homophobe, ou lorsqu’on les leur rapporte? Au niveau de
l’enseignement : Parlent-ils d’homosexualité avec leurs élèves? Dans quelles circonstances, et
avec quels types de conséquences? Voici les réponses à ces questions que j’ai posées moi-
même à plus de 250 enseignants.
8. Les enseignants sont confrontés à l’homophobie et à des questions sur l’homosexualité.
Une bonne proportion des enseignants disent qu’ils n’abordent pas la diversité sexuelle de leur
propre chef avec leurs élèves. Les raisons évoquées sont variées : la matière enseignée ne s’y
prête pas, ils estiment que ce n’est pas leur responsabilité, ils sont mal à l’aise, ne savent pas
exactement quoi dire, ou encore craignent de froisser certaines personnes.
Ceci dit, presque la totalité des enseignants sondés rapportent que le sujet de la diversité
sexuelle vient à eux. Un élève leur pose une question sur l’homosexualité. Ils doivent intervenir
pour faire cesser une dispute à caractère homophobe. Un évènement de l’actualité nationale ou
international portant sur les personnes LGBT est évoqué en classe.
Mes élèves devaient écrire un poème. Un élève avait choisi : « l’homosexualité, ça
me dérange ». Parmi tous les sujets possibles! Ce n’était pas méchant, il n’y avait
pas de mots durs. C’était juste un poème là-dessus. Il avait une copine dans la
classe, il aurait pu en faire un sur elle ! [rires]
2
- Mélanie, enseignante de français, hétérosexuelle
Ignorer le sujet n’est donc pas une option réaliste. Ce n’est pas non plus une option viable pour
les enseignants. Les questions spontanées d’élèves, les conflits interpersonnels, il s’agit là
d’autant de situations qui arrivent quotidiennement en classe et lors desquelles les enseignants
sont appelés à intervenir, à prendre la parole. Par conséquent, les enseignants parlent souvent
d’homosexualité parce qu’ils sont confrontés au sujet malgré eux. Ils n’ont par conséquent pas
nécessairement eu le temps de planifier leur intervention, de peser leurs mots, de se renseigner
ou de considérer les implications de ce qu’ils diront. Pour toutes ces raisons, les enseignants
sont souvent en réaction à plutôt qu’au devant de leur milieu quand vient le temps de parler de
diversité sexuelle en classe.
9. L’homophobie est comprise de façon limitée.
Je précise : il ne s’agit pas là d’une limite spécifique aux enseignants. J’en ai parlé plus tôt,
l’’homophobie est de manière générale un concept amplement utilisé mais mal compris par une
large proportion de la population. Les enseignants n’y font pas exception. La difficulté, c’est
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
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Les citations d’enseignants citées dans ce texte sont tirées de Richard, G (2014). Pratiques
enseignantes et diversité sexuelle. Analyse des pratiques pédagogiques et d’intervention d’enseignants
de l’école secondaire québécoise. Thèse de doctorat en sciences humaines appliquées. Montréal :
Université de Montréal. Disponible en ligne au http://bit.ly/GabrielleRichard
!
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justement qu’en raison de leur rôle, ils sont confrontés à cette prise de parole, mis au devant de
situations qui nécessitent leur intervention. Bien entendu, ne pas intervenir demeure une option
dont se prévalent plusieurs enseignants. Par contre, ne pas intervenir lorsqu’on entend des
propos homophobes correspond à implicitement cautionner les propos tenus, ou à tout le moins
à suggérer qu’ils ne sont effectivement pas problématiques.
De l’autre côté, adopter une intervention qui n’est pas entièrement réfléchie peut s’avérer contre-
productif. Cela peut donner lieu à des interventions incomplètes, inadéquates et problématiques
dans leurs conséquences. Ici, un exemple s’impose.
Quand mon élève a dit que l’homosexualité était une maladie, je lui ai dit : « Non,
c’est une question de chromosomes. Toi, tu es né avec des chromosomes comme
ça, eux sont nés avec des chromosomes inversés ».
Corrige-moi si je me trompe… Je voulais surtout clarifier que ce n’était pas une
maladie mentale.
- Catarina, enseignante de français, hétérosexuelle
Cette citation de Catarina mérite qu’on s’y attarde. Elle nous explique vouloir déconstruire la
perception selon laquelle l’homosexualité serait une maladie mentale. Pour ce faire, elle énonce
l’idée selon laquelle les gais et les lesbiennes seraient nés avec « des chromosomes inversés ».
En quoi est-ce problématique ? D’une part, il faut préciser que, scientifiquement parlant, c’est
impossible de faire ce type d’affirmation. Les données dont nous disposons ne nous permettent
pas d’identifier les causes de l’orientation sexuelle, et encore moins d’affirmer que ces causes
sont chromosomales. Affirmer que l’homosexualité est causée par l’inversion des chromosomes
n’est pas seulement scientifiquement erroné, c’est une affirmation qui contribue à réitérer que
l’homosexualité est une anormalité biologique. On peut se demander à quel point ce type
d’intervention est à même de faire réfléchir ses élèves à ce sujet.
Un autre exemple peut amener de l’eau à notre moulin. Considérons la citation suivante, tirée
d’une entrevue avec Marcel, un enseignant de français.
« Une personne sur dix est homosexuelle. Ça veut dire qu’il y en aurait quelques-
uns dans la classe ». Un prof ne peut pas dire ça. C’est trop ciblé, tout le monde se
retourne [sur les élèves qui pourraient être concernés].
- Marcel, enseignant de français, hétérosexuel
Ici encore, on comprend l’intention motivant l’intervention évoquée par Marcel. Il s’agit d’un désir
de banaliser l’homosexualité, c’est-à-dire de clarifier auprès de ses élèves que l’homosexualité
n’est pas une réalité lointaine et étrangère à eux, mais qu’ils sont directement concernés par ces
problématiques. Ceci dit, une intervention de ce type peut paradoxalement nuire aux élèves
LGBT qu’elle cherche à protéger. En suggérant qu’au moins un élève de la classe pourrait
s’identifier comme LGBT, il participe malgré lui à une chasse aux sorcières qu’il cherche
pourtant à combattre.
Marcel est à même de prendre ce pas de recul parce qu’il a été formé sur les enjeux relatifs à la
diversité sexuelle. Il est par conséquent capable de comprendre en quoi ses interventions, si
bien intentionnées soient-elles, peuvent participer à nourrir un climat scolaire hostile aux élèves
LGBT. À moins d’être particulièrement formés ou informés sur ces enjeux, les enseignants ont
beaucoup à perdre et peu à gagner à investir le terrain miné de la diversité sexuelle.
!
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10. Les enseignants ont besoin de formation sur les enjeux spécifiques à la diversité sexuelle.
On a vu dans les exemples précédents que, malgré les bonnes intentions de la grande majorité
des enseignants, leurs interventions peuvent témoigner d’une méconnaissance des conditions
propres aux individus LGBT ou aux dynamiques d’étiquetage homophobe. Cela m’amène tout
naturellement à parler de la formation des enseignants.
D’abord, on sait que les enseignants formés sur l’homophobie ou sur la diversité sexuelle sont
plus susceptibles d’intervenir contre l’homophobie et d’aborder la diversité sexuelle avec leurs
élèves. Il s’agit de deux dimensions qui sont étroitement liées à la création d’un climat scolaire
inclusif pour les élèves LGBT. Ensuite, le besoin de formation est soulevé par les enseignants
eux-mêmes. Dans le cadre d’une enquête, j’ai demandé à des enseignants d’établir leur niveau
d’accord avec deux énoncés. Le premier énoncé se lisait comme suit : « Ma formation
universitaire m’a suffisamment outillé(e) pour parler de diversité sexuelle avec mes élèves ».
88,3% des enseignants se sont dits en désaccord ou totalement en désaccord avec cet énoncé,
un constat commun à une diversité de répondants, sans distinction d’âge ou de nombre
d’années d’ancienneté.
Le second énoncé était formulé ainsi : « Les administrations scolaires devraient mieux soutenir
les enseignants dans la lutte à l’homophobie, notamment par des formations sur le sujet ». Ici,
88,8% des enseignants ont déclaré être en accord ou totalement en accord avec cette idée. Ce
besoin d’appui énoncé par les enseignants me donne l’occasion de passer immédiatement au
point 4.
11. Les enseignants veulent légitimer leurs pratiques liées à la diversité sexuelle.
En d’autres termes, ils ont besoin de signes formels sur lesquels s’appuyer et rapportent s’y
arrimer lorsqu’ils sont disponibles. Ils évoquent les règlements et les politiques scolaires au sujet
de l’homophobie – encore faut-ils qu’ils existent. Ils calquent leurs interventions sur les contenus
scolaires dûment prescrits. Ils interviennent contre l’homophobie en corrigeant l’usage d’un
vocabulaire erroné, ce qui constitue un terrain d’action convenu de l’enseignant. Ils cherchent à
obtenir l’appui et la validation de leurs collègues ou de l’administration. Bref : ils semblent vouloir
clarifier qu’il ne s’agit pas de l’initiative personnelle d’un enseignant particulièrement intéressé
par la question, mais bien de l’incarnation d’une démarche cohérente initiée par l’ensemble du
milieu scolaire. En l’absence de signes tangibles, les enseignants n’en sont pas moins sollicités.
Ils se retrouvent juste à devoir porter cette responsabilité sur leurs seules épaules, avec la prise
de risque que peut représenter une démarche isolée.
Les témoignages des enseignants suggèrent donc qu’il existe plusieurs obstacles à leur prise de
parole et d’action. Au lieu de condamner les enseignants pour leur inaction, prenons plutôt ces
obstacles pour ce qu’ils sont : les indices de lacunes du milieu scolaire à leur fournir les appuis
nécessaires.
12. Les enseignants LGBT sont dans une situation particulièrement précaire.
La situation des enseignants LGBT est pour le moins particulière et mérite d’être discutée. Les
pratiques qu’ils se permettent d’adopter sont étroitement liées à la visibilité qu’ils se permettent
d’avoir en tant qu’homme ou que femme LGBT à l’école. Lorsqu’ils sont connus comme LGBT
auprès de certains de leurs collègues, ils sont souvent identifiés comme personnes-ressources
sur la diversité sexuelle. On fait appel à eux lorsque des problématiques surviennent à ce sujet,
et on s’attend à ce qu’ils soient nécessairement à l’aise de prendre la parole parce qu’ils sont
eux-mêmes LGBT.
!
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Certains s’accommodent relativement bien de ces tâches, et peuvent aller jusqu’à mobiliser leur
propre orientation sexuelle pour intervenir :
Cette année, j'ai fait venir [une équipe sportive professionnelle]. Quand les joueurs
sont sortis des vestiaires, deux élèves ont dit : « Je vous dis que ce ne sont pas des
tapettes ! ». (...) Le cours suivant, j'ai dit à toute la classe : « J’aime les hommes. Ça
me touche directement quand vous dites [des propos homophobes] ».
- Sylvain, enseignant d’éducation physique, homosexuel
Ceci dit, un enseignant dont les élèves ne connaissent pas l’orientation sexuelle se gardera,
sauf exception, d’adopter des pratiques inclusives qui pourraient attirer une attention non
désirée sur sa personne. C’est notamment le cas de John, un enseignant gai qui a rapporté en
entrevue se tenir à distance de toute référence à la diversité sexuelle de peur d’alimenter les
rumeurs au sujet de sa propre homosexualité.
For example: “This is Maya Angelou’s poem Still I rise and it is about a black woman
who is called nigger and how she dealt with that”. I could probably talk about that as
a black woman. But if I show a poem by Walt Whitman about him struggling with his
orientation… As a gay man, I completely identify with this poem. I wish I could talk
about it, but in front of a class, I don’t feel comfortable.
- John, enseignant d’éthique et culture religieuse, homosexuel
John dit qu’il aimerait pouvoir discuter de l’homosexualité de Walt Whitman et de l’impact que
cette homosexualité a pu avoir sur son œuvre. Il dit clairement s’empêcher d’évoquer ce sujet
par crainte que sa propre orientation sexuelle ne vienne à faire l’objet de questions de la part
d’élèves. On voit que John se tient malgré lui à distance de pratiques inclusives, potentiellement
bénéfiques pour des élèves LGBT, parce qu’il en craint les conséquences sur sa propre visibilité
d’homme gai.
Que faire ?
Avec les années, j’ai remarqué que quand je présente les résultats de mes recherches menées
sur les enseignants, j’attire deux types de réactions. Des réactions enthousiastes, d’une part, de
la part d’enseignants qui se reconnaissent dans le portrait que je dresse de leur réalité. Mais je
remarque aussi des réactions de découragement devant l’ampleur de la tâche à accomplir. J’ai
donc pensé vous proposer quatre pratiques inclusives de la diversité sexuelle. Il s’agit de
pratiques que vous pouvez adopter dès maintenant, et qui sont susceptibles de faire une réelle
différence auprès des jeunes LGBT que vous côtoyez, peut-être sans le savoir.
1. Intervenez systématiquement contre l’homophobie et contre les violences genrées
Dans les enquêtes, les élèves LGBT rapportent de façon accablante que leurs enseignants
n’interviennent pas contre l’homophobie. Pourtant, un simple arrêt d’agir peut faire la différence,
et leur signaler qu’ils ne sont pas seuls et qu’ils ont des alliés potentiels en milieu scolaire. Vous
n’avez pas nécessairement besoin d’investir le sujet de l’homosexualité si vous n’êtes pas prêts
à le faire. Le message qu’on veut transmettre, c’est qu’on encourage un climat de classe (et
d’école) sécuritaire, et qu’il n’existe pas de hiérarchie dans les discriminations.
2. Utilisez un langage inclusif
Les mots qu’on utilise peuvent exclure des individus sans qu’on s’en rende nécessairement
compte. Ainsi, dans nos échanges quotidiens, on présume souvent de l’hétérosexualité de nos
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interlocuteurs, par exemple en demandant à une élève adolescente si elle a un amoureux. Sans
le savoir, vous mettez ainsi vos interlocuteurs LGBT dans l’embarras. Ils doivent choisir entre
vous révéler leur homosexualité ou leur bisexualité (en contestant votre affirmation) et mentir (en
acquiesçant à cette prémisse). Les formulations inclusives (« Es-tu en couple ? ») permettent de
ne pas présumer de l’orientation sexuelle ou du parcours identitaire d’un individu.
3. Remettez en question les idées préconçues
Il existe un certain nombre de lieux communs, d’idées préconçues sur la diversité sexuelle. Voici
certaines d’entre elles : les gais ne peuvent pas mener une vie « normale », l’homophobie est un
passage obligé, la bisexualité n’est qu’une phase. D’autres idées stéréotypées – plus subtiles
celles-là – concernent les filles et les garçons : les garçons ont besoin de bouger davantage et
sont moins capables de concentration que les filles, les filles sont plus studieuses que les
garçons, etc. Gardez-vous de les reconduire en tant qu’enseignant. En les verbalisant, vous leur
donnez votre aval et vous contribuez probablement malgré vous à limiter les possibles pour les
élèves qui vous écoutent.
4. Adoptez une pédagogie neutre au niveau du genre (gender-neutral pedagogy)
On demande de plus en plus aux enseignants de faire de la pédagogie inclusive ou différenciée,
c’est-à-dire d’adapter leur enseignement aux élèves qui composent leur classe. Je m’inscris bien
sûr dans cette lignée, mais suggère qu’il est rarement pertinent de scinder les élèves en fonction
de leur sexe. Enlevez le genre partout où il n’est pas nécessaire. Évitez de séparer vos élèves
par sexe. Offrez à vos élèves différentes opportunités d’apprentissage, sans leur apposer une
étiquette ou présumer de leurs goûts, de leurs aptitudes et de leurs intérêts en fonction de leur
sexe biologique. Vous contribuerez ainsi à les encourager à découvrir leur personnalité propre.
L’importance de comprendre, l’urgence d’agir
Il a été question de beaucoup de choses depuis le début de cette présentation. Le portrait qu’on
a dressé est plutôt sombre, il faut en convenir. On a parlé du climat scolaire qui est, à différents
degrés selon les régions, hostile aux élèves LGBT. On a évoqué le grand silence du curriculum
formel au sujet de la diversité sexuelle, qui fait qu’il est possible, en 2015, dans un pays comme
le Canada, pour un élève de terminer sa scolarité obligatoire sans avoir jamais entendu parler
d’homosexualité à l’école. On a parlé de la difficile posture des enseignants, sur qui reposent
beaucoup de responsabilités mais qu’on n’outille, ne forme et n’appuie pas suffisamment.
Comment aller de l’avant à partir de ces constats? Dans un monde idéal, je vous dirais qu’il faut
agir sans tarder sur les trois angles du triangle dont nous avons discuté ce matin. Agir sur le
climat scolaire, en adoptant des politiques interdisant et pénalisant spécifiquement la violence
homophobe et basée sur le genre. En outillant les membres du personnel scolaire à identifier les
multiples formes que peuvent prendre ces violences. En mettant en place des mécanismes par
lesquels les élèves victimes ou témoins peuvent porter plainte de façon anonyme sans craindre
d’en subir les répercussions.
Agir sur les contenus du curriculum formel, en faisant pression pour rendre les programmes
scolaires existants plus inclusifs d’une diversité de représentations. En diversifiant la collection
de livres de votre bibliothèque scolaire. En disposant des affiches faisant la promotion du
respect sans égard à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre.
Agir sur les pratiques enseignantes, en misant sur la formation des maîtres. En s’assurant
qu’avant de mettre le pied en classe, les enseignants aient été minimalement informés au sujet
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de la diversité sexuelle. En les outillant pour qu’ils se sentent confortables et légitimes dans
leurs interventions quotidiennes.
Vous avez sûrement déjà entendu ces recommandations. Sachez qu’elles sont toutes
scientifiquement fondées.
Je ne veux pas conclure sur un discours trop idéaliste. Je sais bien trop combien les contextes
sont différents. Je conclurai en citant le récent rapport de l’UNESCO, « le harcèlement
homophobe est un problème éducatif qui doit être traité par le secteur de l’éducation (…)
indépendamment du fait que l’homosexualité soit ou non acceptée dans un contexte
spécifique » (UNESCO, 2013 : 23). Les élèves LGBT sont des êtres humains qui méritent le
respect et qui ont le droit à une éducation de qualité.
Références
United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (2013). Réponses du secteur
de l’éducation au harcèlement homophobe. Brochure 8. Paris, France : UNESCO.
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