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Chapitre 5
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des
ambiances et de l’environnement
Nicolas Tixier
La coupe urbaine peut-elle être un lieu de rencontre entre les enjeux
environnementaux globaux et les enjeux locaux d’ambiances situées
prenant en compte les dimensions sensibles de l’espace et les pratiques
habitantes ? Sur cette hypothèse de départ de la coupe urbaine comme
mode de représentation permettant d’articuler ce qui habituellement est
séparé, à savoir les objets construits, le monde sensible et les pratiques
sociales, nous avons mené un travail exploratoire1 appliqué aux
préoccupations environnementales, à travers deux thématiques, celles des
chaleurs urbaines (ville de Grenoble) et celle des déchets solides (ville de
São Paulo)2.
Ces expériences proposent d’éprouver l’opérationnalité de la coupe
urbaine dans deux domaines qui s’imbriquent : la gestion des enjeux
environnementaux dans le développement local et la prise en compte du
récit et des compétences habitantes dans le processus de projet urbain. À
cette double fin, nous proposons d’élargir les champs d’applications
ordinaires de la coupe urbaine avec l’apport d’un outil qui se veut à la fois
une pratique de terrain, une technique de représentation et peut-être même
une posture de projet, à savoir le transect urbain. Ce chapitre développe
principalement la dimension méthodologique de cette proposition en en
montrant ses origines, ses premières applications et en en esquissant
quelques prolongements.
Le terme transect désigne pour les géographes « un dispositif
d’observation de terrain ou la représentation d’un espace, le long d’un tracé
linéaire et selon la dimension verticale, destiné à mettre en évidence une
superposition, une succession spatiale ou des relations entre
phénomènes »3. À la fois, donc, pratique de terrain (dispositif
1 Projet L’ambiance est dans l’air du PIRVE (CNRS-MEDDE), sous la direction de Nicolas Tixier,
Cresson – ENSA Grenoble (UMR CNRS/MCC/ECN 1564 Ambiances, Architectures, Urbanités), en
collaboration avec l’UMR CNRS 5194 PACTE et le département de Santé publique de l’Université de
São Paulo et en partenariat avec le service urbanisme de la ville de Grenoble et l’Agence de protection
environnementale de São Paulo (CETESB).
2 Pour un développement plus précis du travail mené sur chacune d’entre elles, on peut se reporter soit
au rapport de recherche (Tixier, 2011), soit à Melemis, Tixier et al. (2012) et à Brayer et Masson (2012).
Les transects grenoblois ont été principalement construits par Damien Masson, Laure Brayer, Naïm Aït
Sidhoum, Thibaud Candela, Pierre Bouchon ; ceux de São Paulo, par Damien Masson, Laure Brayer et
Ouma Bouslama.
3 M.-C. Robic, art. « Coupe (transect) » [en ligne], in : Hypergeo, consulté le 3 mars 2016,
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 131
d’observation) et technique de représentation, le transect doit être
questionné dans ses applications à l’urbain. Pour nous1, il se présente
comme un dispositif se situant entre la coupe technique et le parcours
sensible empruntant à ces deux techniques pour les hybrider ; le transect se
construit par le dessin, la photo, le texte, la vidéo autant qu’il se pratique in
situ. Mais, tout au contraire de l’attitude du flâneur, celui qui opère un
transect sait qu’il devra effectuer des intrusions, des franchissements. C’est
une coupe qui, loin d’être clinique, engage le corps même de l’observateur
dans une traversée, pour justement… aller voir. Réhabilitant de fait la
dimension atmosphérique dans les représentations architecturales, rendant
possible l’inscription des récits, le transect peut devenir alors un mode
d’interrogation et d’expression de l’espace sensible et des pratiques vécues
à l’articulation entre analyse et conception.
De par différentes recherches et expériences menées, nous faisons donc
l’hypothèse2 que le transect est une posture autant qu’un mode de
représentation et d’expression qui peut devenir un lieu de débat et de
rencontre entre les acteurs de l’urbain (habitants, usagers, techniciens, élus
et concepteurs) et entre les disciplines de l’urbain (techniques, sociales et
design) afin de permettre le croisement des enjeux environnementaux et
des enjeux d’ambiances situés. Cette hypothèse amène à poser deux
questions qui servent de fil problématique aux différents contextes
d’expérience pour l’usage du transect :
• Celle qui concerne les différents registres de connaissance impliqués
lorsqu’on parle d’ambiance et d’environnement, ceci entre techniciens,
élus, scientifiques et usagers. Quand et comment les acteurs arrivent-ils (ou
pourraient-ils mieux arriver) à articuler leurs connaissances du territoire,
qu’elles soient principalement implicites (comme dans le cas des usagers)
ou plutôt explicites (notamment chez les scientifiques) ?
• Celle des outils de représentation, communication, négociation.
Comment, et grâce à quels moyens de représentation, arrive-t-on à croiser
des données et à faire le passage du domaine de la réflexion à celui du
projet ? Si le transect n’est pas en soi garant de ce croisement, sous quelles
conditions, en étant soumis à quel protocole, pourrait-il donner lieu au
processus collaboratif et de négociation, ceci à la fois dans la production de
connaissances, dans l’activité de projet et enfin, dans les mouvements
réciproques entre l’un et l’autre ?
http://www.hypergeo.eu/spip.php?article60.
1 La plupart des travaux ont été réalisés en collaboration. Un fort compagnonnage au Cresson s’est mis
en place depuis plusieurs années avec en particulier : Pascal Amphoux, Laure Brayer, Damien Masson,
Guillaume Meigneux, Steven Melemis, et Jean-Paul Thibaud – et avec des chercheurs d’autres
laboratoires : Carlos Celso Do Amaral, Elena Cogato Lanza, Gilles Debizet, Patricia Mendes, Cintia
Okamura, Frédéric Pousin, Jean-Michel Roux.
2 Cette hypothèse s’appuie sur un ensemble de travaux menés depuis quelques années tant en recherche
(dans le cadre du laboratoire Cresson) qu’en projet (dans le cadre du collectif Bazar Urbain).
132 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
Nous proposons d’interroger la nature du transect, sa mise en place et
son efficacité selon trois médiums1, qui entretiennent entre eux de
nombreuses relations : la coupe urbaine, le parcours et le dispositif
vidéographique. Nous débattrons en conclusion du rôle possible de ce type
d’approche comme espace de négociation et d’énonciation de controverses
situées. Négociations entre acteurs qui entretiennent des rapports
différents au lieu, entre disciplines de l’urbain et de l’environnement, entre
les phases d’analyse et les phases de projet – négociations qui se retrouvent
en jeu lors de l’organisation de « tables longues ».
Coupes urbaines
Qualifiant les situations d’interactions sensibles dont on fait
l’expérience à un moment donné dans un lieu donné, la notion
d’ambiances architecturales et urbaines2 resitue l’expérience de l’usager et
le rapport écologique qu’il entretient avec le monde, au cœur des enjeux
urbains et des logiques d’habiter. La dimension atmosphérique prend alors
toute son importance, que ce soit dans l’analyse ou dans le projet. Devant
la difficulté à représenter les ambiances, les conventions graphiques liées
aux disciplines architecturales et urbaines présentent quelques
opportunités. Si le plan peine à rendre compte de la complexité des
ambiances, à moins de démultiplier les couches et calques tel un Système
d’Information Géographique, la coupe se révèle apte à les intégrer et à les
mettre en dialogue. Une vision en plan risque paradoxalement d’échouer à
nous faire prendre de la hauteur et par là même à intégrer l’air,
l’atmosphère, la hauteur à laquelle les individus pratiquent et respirent la
ville. La coupe, au contraire, met en avant le volume architectural, espace
des usages, réceptacle de lumière et d’air, et permet de comprendre la
composition de l’enveloppe construite dans sa capacité à modifier ou à
déterminer des conditions climatiques. Ce faisant, elle met en avant les
diversités entre le dedans et le dehors ainsi qu’elle permet de distinguer les
différentes ambiances intérieures aux édifices. En même temps, elle laisse
deviner les formes tridimensionnelles en nous montrant quelque chose de
leurs silhouettes.
À l’échelle architecturale, la coupe est traditionnellement le mode de
représentation statique, technique, voire clinique des données
constructives, mais dès qu’elle s’anime en présentant ou en suggérant une
synchronie de gestes pratiques, elle gagne en sens puisqu’elle propose une
véritable ouverture vers le récit (vers une multiplicité de récits possibles).
1 Au sens de l’esthétique allemande, médium désignant plus largement que le terme média, l’ensemble
des relations conditionnées par un dispositif technique spécifique (incluant le système des arts, sans se
limiter à celui-ci). Voir Kracauer (2010).
2 Sur la notion d’ambiance, cf. par exemple Augoyard (1995) ou Tixier et Laporte (2007).
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 133
Ainsi en est-il, pour ne citer que deux exemples architecturaux
remarquables, les coupes et les coupes-maquettes1 de l’opéra Garnier au
XIXe siècle, et plus récemment les nombreuses coupes et coupes-
maquettes de l’agence Rogers Stirk Harbour + Partners exposées à Paris au
Centre Pompidou2 où on peut clairement lire les articulations
programmatiques et en creux les continuités et contiguïtés narratives.
À l’échelle paysagère, elle est, plus récemment, mais déjà couramment,
le mode de représentation des géologues, géographes et paysagistes. Au
début du XXe siècle, l’urbaniste écossais Patrick Geddes avait insisté sur le
potentiel « synoptique » de la coupe, c’est-à-dire sur sa capacité à rendre
visibles des rapports, issus de longues durées historiques et observables
dans le présent, qui lient des formes de vie collective humaine à des cadres
de géographie physique3. Son utilisation de cette projection graphique
visait par ailleurs à faire rencontrer des perspectives disciplinaires
différentes dans une seule et même représentation visuelle. Cela explique
sans doute que, depuis les mêmes années, il s’esquisse une rencontre entre
les conventions graphiques et culturelles de la coupe architecturale et celles
du transect, pratiqué dans les domaines de la géographie humaine et des
sciences de la vie. La reprise de la célèbre Valley Section, imaginée par
Patrick Geddes cinquante ans plus tôt, par Team X4, issue à son tour des
travaux géographiques de Humboldt ouvre la possibilité d’une hybridation
des deux genres au service du projet architectural et urbain qui, jusqu’à ce
jour, reste peu développée.
C’est bien ce potentiel métonymique de la coupe qui permet d’inscrire
en filigrane dans une représentation graphique et statique les récits de vie
autant que les perceptions d’ambiances. La coupe n’implique pas de
dominante disciplinaire ni d’exhaustivité des données pour un lieu ; bien au
contraire, elle sélectionne tout ce qui se trouve sur son fil et autorise,
précisément, les rencontres entre les dimensions architecturales, sensibles
et sociales, entre ce qui relève du privé et ce qui relève du public, entre le
mobile et le construit, etc. Et, si on prend un peu du recul, elle peut
permettre la lecture des strates historiques autant que des répartitions
programmatiques. Cette dimension verticale et cheminatoire permet
d’échapper aux logiques de zonage et d’articuler de nombreuses couches
programmatiques déjà fortement présentes dans toutes les villes. Les
éléments de récits et d’analyse disposés le long de la coupe dialoguent entre
eux par des mises en regard réciproques et par leur adhérence au contexte.
1 Coupe longitudinale de l’Opéra, dessin de Karl Fichot et Henri Meyer, gravure de F. Méaulle (Le
Journal illustré, 28 févr. 1875), puis sa maquette réalisée entre 1984 et 1986 par Richard Peduzzi (H. 240 ;
L. 578 ; P. 110 cm), Paris, Musée d’Orsay.
2 « Richard Rogers + Architectes », exposition du 21 nov. 2007 au 3 mars 2008, Centre Pompidou.
3 Les premières publications de Patrick Geddes de ses célèbres coupes sur la vallée datent de 1925
(Geddes, 1925 a et b). Pour une archéologie de cette idée, se référer à Federico Ferretti (2012).
4 Cf. la célèbre feuille « The Doorn Manifesto » par Peter Smithson (1968).
134 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
Néanmoins, en dehors des représentations maintenant classiques de profils
de chaussées et gabarits de rues (cf. les travaux précurseurs d’Eugène
Hénard, réédités en 2013), donnant des règles et servant à l’exécution ou à
la compréhension d’un système pour partie enterré, la coupe reste encore
rarement utilisée à l’échelle urbaine comme espace de présentation des
enjeux urbains et de co-conception entre acteurs, en particulier à la lumière
des problématiques environnementales et sociales contemporaines,
croisant enjeux locaux et enjeux globaux.
Parcours et récits du lieu
S’intéresser à la fabrique ordinaire de la ville nécessite bien souvent de
recueillir ce que l’on peut appeler le récit du lieu. Ce récit, tout en étant à
chaque fois singulier, n’est jamais un. Par nature, il est pluriel et polyglotte.
Il s’intéresse aux pratiques et aux ambiances. Il mélange passé, présent et
futur et nous renseigne, habitants, décideurs comme concepteurs sur ce qui
fait le quotidien urbain, pour soi, tout autant que pour les autres.
Si, pour beaucoup, recueillir ces récits ne relève pas encore du projet,
c’est au moins une mise en situation d’écoute, de réflexion et d’énonciation
de son territoire et c’est, pour quelques-uns, déjà être « en projet »1. À cette
fin, de nombreuses méthodes ont été formalisées, issues le plus souvent de
la recherche urbaine : parcours commentés, itinéraires, observation
récurrente, techniques de réactivation (Grosjean et Thibaud, 2001)… Le
lieu est énoncé alors par la parole, la photo, le dessin, la vidéo ou même
l’expression du corps. Chaque lieu, chaque contexte de projet et d’acteurs,
devient l’occasion d’éprouver et de modifier des méthodes pour collecter
et faire se rencontrer les perceptions et les représentations de chacun.
Cette parole tout à la fois ordinaire et experte nous est donnée le plus
souvent in situ et en parcours ; le lieu intervient alors comme un tiers entre
le récitant et l’enquêteur. Ces méthodes ne sont pas en soi des outils de
concertation, mais elles permettent d’abord d’énoncer les caractéristiques
d’un site avec ses ambiances et ses pratiques, révélant par là même les
éléments de son patrimoine ordinaire. Elles permettent ensuite dans le
rendu de ces paroles une connaissance entre acteurs des représentations et
des enjeux de chacun (maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, maîtrise
d’usage). Elles permettent enfin, par leur synthèse, de dégager des enjeux,
des désirs, de repérer des leviers et d’inventorier des idées pour le projet.
Mais ces paroles données prennent un sens tout particulier lorsque,
quelque temps après, elles sont rendues matériellement à leur propriétaire
1 Les situationnistes à Paris l’ont décrit, le groupe Stalker en Italie, ensuite, l’a pratiqué, et quand
l’artiste-promeneur Hendrick Sturm, équipé d’un dispositif de géolocalisation, l’utilise à Marseille pour
dire la ville, il rend compte de la nécessaire transgression pour justement… aller voir. Sur ces
approches, nombreuses, on renvoie principalement à Thierry Davila (2002).
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 135
selon trois régimes : la retranscription de son propre récit (texte intégral,
photos prises, etc.), la mise en forme des éléments du récit des autres
(abécédaire, albums photos commentées, parcours polyglottes, etc.) et la
synthèse thématisée dégageant caractéristiques et enjeux pour le lieu.
L’attention à ces paroles ordinaires, la possibilité de se relire, de lire les
paroles des autres et de réagir à nouveau transforment l’enquêteur comme
l’enquêté.
Dispositifs vidéographiques
Marcher. Noter. Photographier. Filmer. Si les pratiques de traversées
urbaines utilisant la photo ou la vidéo sont nombreuses ; elles sont plus
souvent réalisées dans le cadre de productions artistiques ou de
communications post-projet, mais elles sont encore assez peu utilisées
pour projeter ou débattre des situations et des enjeux. Trois pistes, parmi
d’autres possibles, nous semblent prometteuses pour tenter des
coupes/transects vidéographiques : la notion de taskscape (pour articuler
dans une même composition l’activité et l’urbain), le compositing (comme
outil de montage permettant d’agencer de façon originale espaces,
temporalités et usages) et la notation vidéographique (comme outil permettant
des « regards signés » pluridisciplinaires).
Le taskscape, « paysage des activités » ou encore « paysage en pratique »
selon la définition que lui confère l’anthropologue Tim Ingold (1993),
permet de saisir dans un même mouvement l’échelle et les rythmes des
activités humaines avec l’échelle plus grande de l’urbain, voire de la
métropole. Cette notion, proposée par Ingold à partir de l’analyse de
tableaux et de photographies, est-elle utile pour appréhender ce que
révèlent les plans, les séquences et les constructions vidéographiques du
monde urbain ? Quels sont ces « paysages en pratique » qui s’en dégagent ?
Laure Brayer (2014) tente de répondre positivement par tout un ensemble
d’expérimentations sur le choix des plans, sur les cadrages effectués et
surtout sur les temporalités saisies ou restituées. Deux exemples parmi de
nombreux autres possibles permettent d’illustrer cette démarche : les
vidéos réalisées dans les années 1970 par William H. Whyte à New York
avec The Social Life of Small Urban Spaces et plus récemment, en 2010, les
chroniques vidéos sur l’ordinaire urbain de la ville de Washington1.
Le compositing, nous dit Guillaume Meigneux (2015), est une technique
permettant principalement de mélanger au sein d’une seule image-
mouvement une multitude d’autres images-mouvement. En d’autres
termes le déroulement linéaire, horizontal de l’image-mouvement inhérent
1 B. de la Cruz, As the city sleeps, 2010 ; W. Shefte, Moving through Metro, 2010. Podcast disponible sur le
site internet du Washington Post.
136 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
au cinéma (via le montage) est ici enrichi d’une construction verticale de (et
dans) cette même image. Cette technique permet par des agencements de
plans vidéographiques et de mouvement à travers ces plans de rendre
compte d’une ambiance architecturale et urbaine en mettant en scène dans
un temps resserré (mais non accéléré) et par un espace recomposé (mais
non déformé) la multiplicité des activités, la variation des rythmes
journaliers, les perceptions d’espace et de ses différentes échelles que peu
ressentir un usager. Une recomposition qui tente de mettre en scène des
éléments du taskscape du lieu. Il nous semble possible grâce à ce type de
travail de commencer à parler alors de coupe ou de transect
vidéographique.
Une notation vidéographique permettant commentaires, images, signes,
traitement local de l’image peut bien entendu être déployée sur l’image
même de la vidéo, à l’instar de ce que l’on peut réaliser sur une coupe
dessinée. Cette première piste est riche et permet de combiner une saisie
vivante du terrain avec des éléments d’analyses ou d’esquisse de projet
dans un même plan. Mais une autre piste d’annotation est celle proposée
par l’IRI1 (Institut Recherche et Innovation) avec son logiciel Ligne de
Temps. Ce logiciel dédié initialement à l’analyse de séquences
cinématographiques, mais aussi de conférences enregistrées, de parcours
d’expositions, et pour ce qui nous concerne, de traversées ou de travellings
urbains, permet la fabrication de « regards signés ». Nous pouvons ajouter
autant de lignes de temps parallèles que nous le souhaitons donc à la
séquence vidéo initiale. Elles permettent avec des signets et des segments
d’annoter par des marqueurs, des textes, des valeurs numériques ou même
des images des moments de la séquence vidéo. Une lecture verticale des
lignes de temps, tels des calques d’un système d’information géographique,
est alors possible, tout comme une lecture critique de différents regards
signés se répondant les uns les autres pour un même segment, ou encore
tout comme la fabrication automatique de nouvelles séquences
vidéographiques, montages originaux issus de critères de sélection
appliqués sur différentes lignes de temps.
Ces trois pistes sont bien entendu compatibles et modulables entre elles
et peuvent être agencées dans des dispositifs multimédia. Mais du parcours
à la coupe, en passant par des productions photographiques et
vidéographiques, comment justement mettre ces dispositifs de
représentation en débats ? Depuis quelques années, nous expérimentons
avec Pascal Amphoux ce qu’il nomme maintenant « La table longue ».
1 www.iri.centrepompidou.fr.
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 137
Figure 5.1 (en haut). « Santo Domingo n°863 » : Mosaïque vidéo d’un caracole à Santiago
(espace commercial) – le compositing permet ici de « présenter dans le même plan de projection
l’ensemble des pratiques et des usages que l’espace permet (ou génère) sur un temps donné (dans ce
cas présent deux mois d’observation) » ; « On se retrouve face à un film composé d’une multitude
de plans tous restitués simultanément dans la même surface de projection et représentant
l’ensemble de l’espace d’origine en fonction des pratiques qui s’y déroulent. »
Figure 5.2 (en bas). Guillaume Meigneux « Santo Domingo n°863 » : installation vidéo,
HD couleur, boucle de 8 min, production BVNM et Le Fresnoy, Studio National des Arts
Contemporains, 2007
138 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
L’exploitation du transect : le passage de la table ronde à
la table longue
Le dispositif de la table longue consiste à matériellement disposer…
d’une longue table sur laquelle on déploie la coupe urbaine réalisée, celle-ci
devant comporter un minimum d’éléments exprimant les enjeux à traiter
selon le projet en cours (paroles d’habitants, paroles d’experts,
photographies, expression des usages, données quantitatives, zoom sur un
point particulier, éléments de diagnostic et d’enjeux, esquisses de projet,
etc.). Il s’agit ensuite de convoquer des acteurs concernés par le lieu ou la
question à traiter et de procéder à une mise en débat grâce à la coupe par la
provocation de réactions à ce qui est déjà inscrit ou à propos de ce qui
manque, par l’ajout de commentaires, d’informations ou de récits
nouveaux, par l’écoute des discussions qui ont lieu à différents endroits
autour de la table, etc. Cette situation de mise en débat des enjeux autant
que des acteurs a l’avantage, par la présence de la coupe devant soi ou
entre soi, de toujours garder le contexte au cœur des échanges ; quand le
passage à la table ronde (nécessaire comme prise de distance) met souvent
le débat au niveau d’une énonciation de postures ou par des prises de
position qui peuvent s’éloigner des caractéristiques du site. L’amorce pour
obtenir des commentaires est en soi un travail d’animation, d’écoute et de
mise en débats des acteurs avec soi et entre eux. Trois propriétés servant à
un diagnostic prospectif sont possibles avec ce type de méthode : un
dispositif générateur de paroles, un dispositif collecteur de notations, un
dispositif révélateur de réalités vécues. La multiplicité des expériences
menées dans différents contextes a rapidement permis de dégager aussi
quelques principes qui participent d’une meilleure efficacité du dispositif :
• Après les premières tables longues réalisées, il est rapidement apparu
important d’avoir des éléments de « descriptions denses » (thick description,
cf. Clifford Geertz, 1973) ne visant pas trop vite une synthèse qui empêche
de rentrer dans l’épaisseur de la situation (par une représentation qui serait
trop technique) et des vécus (par des récits qui seraient trop simplifiés).
• Positionner tout le long du transect un ensemble de données qui se
regardent les unes les autres (« deux images et c’est déjà une histoire »,
aime à dire Jean-Luc Godard), et qui du fait du dispositif graphique ont
une adhérence au contexte, permet de garder chaque élément apporté dans
son mode d’énonciation propre (un texte reste un texte, une image une
image, une mesure une mesure, etc.). On s’écarte en cela très fortement des
logiques de calques thématiques superposables propres aux systèmes
d’information géographique nécessitant en général une codification
(couleurs, hachures, valeurs, marqueurs, etc.).
• Pour qu’ils s’appliquent au mieux, les deux points précédents nécessitent
justement de passer le moins possible par des codes qui renvoient à une
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 139
légende pour être interprétés. Si une donnée nécessite une légende qui
permet de la contextualiser ou de la préciser, il est dans le dispositif du
transect bien plus clair de l’indiquer tout simplement comme une
information sous la donnée même.
L’analyse tout au long du déroulement de la table longue s’affine avec
les échanges entre les acteurs présents. Elle fait apparaître des consensus
ou au contraire exprime de fortes controverses locales, basculant souvent
dans des esquisses de projets à toutes échelles (de l’intervention habitante à
l’orientation urbaine) visant à conforter ou à faire évoluer la situation
(construite, sociale, autant que sensible). Une façon plurielle de mettre le
quotidien en débat et en projet.
Figure 5.3. Contexte pédagogique, ENSA Nantes, oct. 2010 : table longue mettant en débat
étudiants, techniciens et habitants – Enseignement P. Amphoux et collaborateurs
140 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
Figure 5.4. Section de coupes : « Chaleurs urbaines », ville de Fontaine, juin 2012
Figure 5.5. Atelier citoyen : « Chaleurs urbaines », ville de Fontaine, juin 2012
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 141
Application aux questions environnementales : l’exemple
des chaleurs urbaines
Par deux fois nous avons pu tester un transect et l’organisation d’une
table longue sur les questions de chaleurs estivales en milieu urbain : à
Grenoble et à Fontaine, deux villes situées dans la cuvette grenobloise, peu
ventilée et très chaude en été avec des forts phénomènes d’îlots de
chaleurs.
Deux quartiers à Grenoble ont été étudiés : les quais de l’Isère, quartier
ancien situé au pied des contreforts de la Chartreuse, et le nouveau quartier
de la Caserne de Bonne, écoquartier se prolongeant avec les grands
boulevards requalifiés à l’occasion de l’arrivée du tramway. Le tracé des
coupes a été choisi pour passer par – c’est-à-dire traverser – les bâtiments
et les espaces publics les plus représentatifs de ces quartiers (cf.
illustrations).
Figure 5.6. « Chaleurs urbaines » – Situations grenobloises
choisies pour réaliser les coupes urbaines
Les coupes ont été réalisées grâce aux éléments cadastraux et à un
travail de relevé photographique. Il s’agissait de mettre en évidence les
profils de rue, les cours intérieures, les appartements, les espaces sous
toitures, autant que ceux en sous-sol, les quais et la végétation, les
situations de pauses autant que les espaces de mobilités, bref, tout ce que
permet une coupe, si on accepte de lui donner un peu d’épaisseur en
concentrant le long d’un fil (le trait de coupe) ce qui est représentatif et
semble pertinent à cette problématique.
Sur ces coupes a été ajouté tout un ensemble de mesures, qui venaient
soit d’une campagne réalisée précédemment par la ville de Grenoble, soit
de nos propres relevés réalisés dans une optique de comparaison relative
142 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
(et surtout pas en valeur absolue) des variations de températures dans le
secteur concerné, permettant facilement de lire les différentiels entre le
haut et le bas, le devant et le derrière, le dedans et le dehors, la rue minérale
et les espaces verts, etc.
Un travail d’entretien a ensuite été effectué. Les entretiens ont été
réalisés le plus souvent in situ, c’est-à-dire, à ou près de l’endroit concerné.
Ils étaient menés selon une double technique (Grosjean et Thibaud, 2001) :
• la réactivation par un document : l’entretien avait lieu avec la coupe sous
les yeux autant que sous la main, support aux échanges et espace
d’inscription en direct d’une partie des éléments énoncés ;
• et la récurrence entre les entretiens : à la fin de l’entretien on met en
débat quelques éléments amenés (parfois déjà annotés sur la coupe) par les
entretiens précédents afin de les affiner ou de les nuancer.
L’entretien, une fois la problématique et le contexte de l’étude amenés,
est non directif et vise plutôt à recueillir des mini-récits qui sont de fait
situés. Ces entretiens ont été réalisés avec des habitants des quartiers, des
commerçants, des techniciens de la ville qui s’occupent des questions
environnementales, des spécialistes des questions d’îlots de chaleur urbain,
etc. Il s’agit alors, manuellement, de sélectionner dans les différents
entretiens des passages qui permettent de saisir telle ou telle question
environnementale, telle ou telle configuration spatiale, telle ou telle
pratique sociale collective autant qu’individuelle, puis de les disposer le
long de la coupe pour les mettre en adhérence à une situation et/ou de les
mettre si nécessaire en complément et en débat avec d’autres données.
Pour le travail sur les chaleurs estivales à Fontaine, nous ne disposions
pas d’une campagne de mesures et l’objectif de la commande était tout
autant de saisir et de comprendre des situations face à cet enjeu que de
débattre d’interventions possibles. La coupe visait à traverser toute la ville
en se positionnant par segments, parfois non continus, afin d’être
représentative de la variété des typologies des espaces publics et des
bâtiments de cette commune. Plus de 80 entretiens ont été menés in situ,
cette fois-ci uniquement avec des habitants et des usagers des différents
quartiers traversés. Ces entretiens ont permis de saisir plus de 100 mini-
récits (de cinq lignes à une page) qui étaient disposés sur des fiches bristol
qui comportaient au verso une information factuelle sur la personne
entretenue (âge, sexe, type d’habitat et quartier). Ces récits ont ensuite été
disposés verticalement sur la table longue (17 m de long). L’ensemble des
personnes entretenues était invité à cet atelier ouvert à tous.
Trois extraits de courts récits :
« Pour ce qui est de chez nous, on n’a pas le choix avec la chaleur.
On est obligés d’habiter là. Mais sous les toits il fait chaud. Des fois on
dort en bas, parce que la chaleur monte. On ne peut pas rafraîchir par
le jardin. C’est un peu particulier, il y a plusieurs appartements dans la
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 143
même maison, on ne peut pas faire comme on veut. »
« Nous avons une nouvelle aire de jeu mais ça fait deux ans qu’on
leur a réclamé quelque chose pour l’été parce qu’il y a beaucoup de
personnes âgées ici qui craignent le soleil. On peut pas jouer ici, c’est
pas possible alors on vient se mettre sur la petite bande où il y a de
l’ombre et on attend. »
« Moi j’ouvre la fenêtre la journée mais pas la nuit. La nuit je ferme
tout, à cause des moustiques. Des fois, je vais sur la digue, le matin ou
le soir, quand il fait frais. »
Figure 5.7.
« Chaleurs
urbaines » : entretien
avec des habitants,
discussion autour des
coupes
L’atelier public a consisté à ce que chacun prenne connaissance des
situations traversées et de leurs récits, tout en permettant que de nouveaux
récits soient écrits et disposés à leur tour sur la table longue par ce
processus cumulatif décrit plus haut. Un deuxième temps a consisté à
débattre collectivement des contenus lus ou énoncés, un troisième temps à
inventorier les actions possibles (intervention construite, paysagère,
médiatrice, informationnelle, etc.).
Une des ouvertures rendues possibles par ce type d’approche est aussi
de pouvoir déployer entre acteurs et disciplines un principe générique qui
est qu’un objet – c’est-à-dire pour nous un dispositif spatial ou technique –
serve aussi à autre chose que ce à quoi il sert. Constater des doubles voire
triples usages existants, en chercher, en proposer d’autres et mettre en
débat des configurations, des transformations qui ne soient pas
uniquement techniques et monofonctionnelles mais qui touchent aussi aux
usages et au contrôle des ambiances : à savoir dans le cas concret, par
exemple, d’une installation de panneaux solaires en toiture, la possibilité
d’agrandir un espace sous celle-ci pour rendre la surface habitable, offrir
une vue, améliorer les entrées solaires en hiver et s’en protéger en été,
permettre une ventilation transversale et une ouverture même en cas de
pluie, etc. ; ou encore, pour prendre un autre exemple classique, dans le cas
144 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
d’une isolation à faire par l’extérieur d’un bâtiment existant, regarder les
possibilités de créer des doubles fenêtrages offrant un espace intermédiaire
ou permettant la création de mini-balcons, l’installation de systèmes de
persiennes ou de brise-soleil intégrés, la mise en place d’un dispositif
végétal, etc. L’innovation n’est plus alors uniquement dans le domaine de
la nouveauté, qu’elle soit technique ou esthétique, mais se loge dans
l’hybridation toujours singulière de différents enjeux propre à chaque
situation existante (Amphoux, 2009).
Avec ces deux expériences sur les chaleurs urbaines, nous pouvons
dégager quelques traits des éléments récités ou débattus qu’il est difficile
d’obtenir habituellement avec un seul outil (Melemis et al., 2012) : 1)
l’expression des effets vécus de la chaleur dans l’espace en question ; 2)
l’appréciation de composants du cadre de vie imposés ou donnés à
l’usager ; 3) les pratiques, les parcours habituels en temps de grande
chaleur ; et 4) les savoir-faire tactiques vis-à-vis de l’espace habité en ces
moments (stratégies, ruses, dispositifs, etc.).
Mais nous touchons aussi à d’autres éléments de récit : 1) la mémoire et
des souvenirs personnels ou collectifs ; 2) les moments où, en parlant de la
chaleur urbaine, on évoque des éléments qui lui sont connexes (l’écoute
d’un bailleur social, un problème technique avec ses volets, la sensation de
l’humidité, le prix d’un trajet en voiture pour partir au frais en
montagne…) ; 3) les évocations des scènes ou décors d’été (le parc avec les
vieux sur les bancs, des jeunes qui se retrouvent sur les quais…) ; et 4)
jusqu’à parfois des récits relatés ou des « mises en intrigues ».
Le transect urbain, un dispositif ouvert
Réaliser un transect consiste à élaborer une méthodologie de
prélèvement, de sélection et de montage. En visant ensuite un dispositif
projectif qui nécessite la comparution de l’existant dans sa répétitivité et
ses différences, on introduit la question du devenir de cet existant en
montrant autant qu’en suggérant des gestes, des expériences, des
transformations possibles pour l’habiter comme pour les flux (des
personnes, des activités, du végétal, de l’atmosphère, etc.). Le transect n’est
pas cadré par une discipline, mais se veut ouvert aux savoirs et aux
représentations de chaque discipline qui potentiellement peuvent se mettre
en dialogue de façon multipolaire. Il emprunte à l’inventaire sa volonté de
repérer et de collecter les situations singulières autant que paradigmatiques.
Il emprunte à l’album sa capacité à mettre en regard des choses et des
situations. Mais il reste ouvert, tels les atlas Mnemosynes d’Aby Warburg1.
Il n’oblige pas à des cadrages similaires et à une unité des modes de
représentation. On peut passer d’une échelle à une autre, d’un document à
1 Cf. sur cette réflexion, P.-A. Michaud (2012) et G. Didi-Huberman (2013).
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 145
un autre. Il est littéralement un plan de travail (une table, un mur,
numérique ou physique) partageable et amendable où les documents en se
côtoyant entre eux et dans leur rapport à un contexte donné par le fil de la
coupe produisent du sens.
Loin d’opposer les enjeux locaux (correspondant à la compétence
usagère) et globaux (reflétant les savoir et savoir-faire d’acteurs et de
scientifiques de l’urbain), cette démarche nécessite :
• l’implication des instruments techniques dans la recherche ou le projet,
qu’ils soient ceux des rendus environnementaux autant que ceux des outils
de communication, de médiation et de participation des usagers ;
• la redéfinition de nouveaux enjeux pour la production de connaissances
liées à des pratiques et à des processus situés et en cours ;
• l’expérimentation d’un dispositif de recherche ou de projet qui ne
séparerait plus la production de connaissance générale, l’implication
territoriale et la réflexion d’outils de représentation et de communication.
En résumé, le transect urbain, tel que nous en esquissons l’usage, se
met en œuvre par : la production de représentations partageables, la mise
en situation et en débat des enjeux et des acteurs et l’implication dans une
logique de projet.
D’une façon structurelle, le transect ouvre un espace singulier et une
temporalité non hiérarchique permettant l’éclosion de cent et un projets ou
expériences à mener. L’ensemble n’est plus d’abord un projet défini par le
jeu classique des échelles (lecture du territoire, définition d’un plan-masse,
conception architecturale, réalisation des détails), il ne se limite pas non
plus à l’application d’une solution technique, il n’est ni un projet qui
s’impose uniquement par des concepteurs ou inversement qui ne naît que
de la pratique des usagers. Il s’agit plutôt d’un espace intermédiaire, de
dialogue et de négociation, où tous les acteurs du territoire (de l’habitant au
concepteur, du politique au gestionnaire) peuvent trouver matière à projet
à leur échelle, dans leurs domaines et en fonction de leurs pratiques. Le
transect apparaît comme un décadrage par l’interdisciplinarité et les
échanges qu’il oblige et peut-être même comme une critique implicite du
zonage et de ses règlements, pour remettre au centre des débats les
singularités locales et les pratiques habitantes, afin de travailler le devenir
des choses par et avec leur milieu en quelque sorte. Renforçons alors
l’hypothèse qu’un bâtiment, un quartier, un territoire ne sera durable qu’à
une double condition :
• d’une part, que les transformations architecturales, urbaines, paysagères
ou culturelles s’appuyent sur des qualités et des potentiels existants, qu’il
convient d’identifier et de mobiliser dans une logique de projet ;
• d’autre part, que les citadins soient impliqués dans le processus de
formulation et d’appropriation de ces transformations.
146 Les sens de la ville : théories, expériences et mesures
Figure 5.8. « Chaleurs urbaines » : zoom sur une coupe au niveau des berges de l’Isère
Transects urbains. Pour une écriture corrélée des ambiances et de l’environnement 147
Entre le grand récit d’une ville, et les micro-récits d’usages, le transect
urbain, dans sa capacité à ouvrir sur une dimension narrative acceptant la
juxtaposition en fragments et par sa prise en compte de la dimension
atmosphérique, pourrait peut-être nous aider à mieux penser ensemble les
ambiances et l’environnement urbains en particulier, et peut-être quelques
traits de l’expérience du monde urbain en général.
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