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Du Conservatoire à l’École normale :
Quelques notes sur A. T. Vandermonde
(1735-1796)
Gilbert Faccarello ∗
∗Essai publié dans les Cahiers d’Histoire du CNAM, n°2/3, 1993, pp. 17-57, Paris :
Conservatoire National des Arts et Métiers. Les quelques modifications introduites sont
purement formelles.
1
Du Conservatoire à l’École normale 2
Parmi les événements remarquables de la Révolution, on pourra compter un
jour la création d’une chaire d’économie politique. – A. T. Vandermonde
Alexandre-Théophile Vandermonde est surtout connu comme “géomètre” et
comme mécanicien et son histoire accompagne celle de l’Académie des sciences
dans les deux dernières décennies de l’Ancien régime. Cette histoire témoigne
aussi des vicissitudes de la vie des savants pendant les premières années de la
Révolution et de l’émergence de nouvelles institutions comme le Conservatoire
des arts et métiers, l’École normale et l’Institut national des sciences et des arts.
Mais Vandermonde s’occupa aussi d’économie politique : c’est à ce titre qu’il
fut lié à l’histoire de l’École normale dans des circonstances telles qu’il y joua,
peut-être involontairement, un rôle qui mérite d’être signalé. Nous noterons
comment cet épisode, apparemment sans liens avec l’histoire du Conservatoire
des arts et métiers (si ce n’est au travers de la personne même de Vandermonde)
possède néanmoins sur cette institution une influence lointaine en raison des
doctrines qui y furent enseignées et qui marquèrent, au début du XIXe siècle,
une certaine spécificité française en économie politique.
I
Notre auteur ne compte malheureusement pas parmi ceux dont l’œuvre a sus-
cité un grand intérêt ou dont la vie a attiré les biographes. Les renseignements
que nous possédons sur lui, à quelques notices près, 1ne nous fournissent que
des indications bien fragmentaires et les maigres archives à notre disposition
1. La contribution de J. Hecht (1971) reste une exception dans le domaine. Une source
classique est la notice que Lacépède consacre à Vandermonde en 1796 (“Notice sur la vie et les
ouvrages de Vandermonde”, Mémoires de l’Institut national des sciences et des arts pour l’an
IV de la république. Sciences mathématiques et physiques, I, xix–xxv). Un siècle et demi plus
tard, environ, Henri Lebesgue (1937–39) évalue l’œuvre mathématique de notre auteur et
A. Birembaut apporte de précieuses précisions biographiques (Birembaut, 1953). Les pages
que D. de Place (1981, 14-30) consacre à Vandermonde en fonction des archives conservées
au CNAM, ainsi que l’article de C. Fontanon (1992), viennent compléter les indications
de A. Birembaut et de J. Hecht ; quelques autres renseignements sont fournis, récemment,
par N. et J. Dhombres (1989). L’intervention de Vandermonde dans le domaine de la pensée
économique est prise en compte plus ou moins brièvement par A. Courtois (1892), S. Moravia
(1974) et J. Hecht (1986, 1988); elle est surtout analysée par H. Baudrillart (1873), J. Hecht
(1971) et G. Faccarello (1989). Signalons enfin que, tout au long du présent article (à de rares
exceptions près), et afin d’en faciliter la lecture, toutes les dates se réfèrent au calendrier
grégorien.
Du Conservatoire à l’École normale 3
sont, à notre connaissance, peu utiles pour notre propos. Un véritable travail
d’historien reste à faire en ce domaine, ce qui est hors de notre compétence.
Nous en sommes donc réduits à rassembler, à grands traits, ce qu’une infor-
mation éparse nous permet d’apprendre.
Vandermonde naquit le 28 février 1735 à Paris dans une famille d’origine
flamande. Son père, Jacques-François (1692-1746), et son demi-frère, Charles
(1727-1762), étaient médecins. Lui-même fit tout d’abord des études de droit (il
acquit les grades de bachelier le 6 septembre 1755 et de licencié le 7 septembre
1757) avant de se consacrer aux mathématiques. C’est comme adjoint-géomètre
qu’il entra à l’Académie des sciences le 20 mai 1771 : préféré à Laplace, il
remplaça l’abbé Bossut qui venait d’être promu associé. Il suivit en quelque
sorte les traces de ce dernier puisqu’il devint associé-géomètre le 17 décembre
1779 lorsque Bossut fut promu pensionnaire. Six ans plus tard, le 23 avril 1785,
il fut lui-même enfin nommé pensionnaire de la classe de géométrie.
En dépit de cette progression, les travaux connus de Vandermonde dans
le domaine des mathématiques sont peu nombreux et se situent au début de
sa carrière scientifique (1770-1772) : les spécialistes s’accordent pour dire que
le plus original est le premier, Sur la résolution des équations, présenté le 28
septembre 1770 2. Mais Vandermonde délaissa en fait rapidement les mathéma-
tiques pures pour se tourner vers d’autres domaines, plus appliqués ou expé-
rimentaux (physique, chimie, expertise de machines et d’inventions diverses),
dans lesquels il ne cessa pas de faire valoir une activité débordante.
En août 1771, il commença à collaborer avec Jacques de Vaucanson. À la
mort de ce dernier, la collection de mécaniques de l’hôtel de Mortagne devint,
on le sait, le “Cabinet des Machines du roi” et Vandermonde en fut nommé
conservateur le 15 octobre 1783. D’autres liens importants furent ceux qu’il
noua avec Antoine Laurent de Lavoisier. En compagnie notamment de Claude
Louis Berthollet, Joseph Louis Lagrange, Pierre Simon de Laplace, et Gaspard
Louis Monge, il fut l’un des habitués des réunions de l’Arsenal au cours des-
quelles Lavoisier préparait et répétait les expériences qu’il présentait ensuite à
l’Académie, et il fut même l’un des premiers adeptes des nouvelles théories en
matière de chimie (Grimaux 1888, 45-49). Avec Lavoisier et Bezout, il co-signa
2. On trouvera les références exactes des travaux publiés dans J. Hecht (1971). Pour leur
analyse, voir D. Lebesgue (1939–39) et Ch. Houzel (1988). “En décembre 1773 il [Vander-
monde] annonce un mémoire Sur une suite d’équations aux différences finies à plusieurs
variables qu’il ne présentera pas” (Birembaut, 1953, 532).
Du Conservatoire à l’École normale 4
un mémoire “sur le froid de 1776” 3. Il fit aussi partie de la commission qui,
sous la direction du chimiste, fut chargée de la publication des volumes des
Arts et métiers sous le patronage de l’Académie.
Commissaire auprès de l’Académie, il dut juger de nombreuses réalisations.
Également commissaire auprès du Bureau du Commerce à partir de 1783, son
expertise technique revêtit alors, quelquefois, un aspect économique. C’est ainsi
que, pendant toute cette période, on le vit se pencher sur d’innombrables pro-
jets, fort différents, allant d’un four de boulangerie, de procédés de fabrication
des limes, d’une nouvelle méthode de blanchisserie ou encore des perfectionne-
ments apportés aux outils de fabrication d’horlogerie, à un “projet d’Hospice
Royalle de Mesdames Tantes du Roi” et à l’introduction en France des ma-
chines d’Arkwright, en passant par le projet d’un “violon harmonique” ou celui
d’un “aménocorde”.
Par ailleurs, en 1784, une mission à Amboise avec Berthollet lui permit
d’étudier différents procédés de fabrication de l’acier et, en 1786, il co-signa
avec Berthollet et Monge un mémoire sur le sujet (Mémoire sur le fer considéré
dans ses différents états métalliques). À la veille de la Révolution, enfin, nous
le retrouvons pensionné du duc d’Orléans dont il est un conseiller technique.
En homme des Lumières, les centres d’intérêt de Vandermonde ne se
limitèrent pas aux domaines strictement scientifiques, théoriques ou appliqués.
Il est vrai que les “applications”, comme toujours à cette époque, menaient fort
loin ; en l’occurrence, par exemple, vers des problèmes de déplacement de pièces
du jeu d’échec dont Vandermonde s’occupa à la suite d’Euler. Il fit aussi une
incursion du côté de la musique et publia un “Système d’harmonie applicable
à l’état actuel de la musique” (Journal des Sçavans, 1778) qui provoqua une
petite polémique. Pris à partie par Jean-Benjamin de La Borde dans son Essai
sur la musique, Vandermonde répliqua par un “Second mémoire sur un nouveau
système d’harmonie applicable à l’état actuel de la musique” lu à l’Académie
le 15 novembre 1780 et publié l’année suivante dans le Journal des Sçavans. La
polémique se poursuivit avec la publication des Mémoires sur les proportions
musicales, le genre énarmonique des Grecs et celui des Modernes (1781), par
3. Expériences faites par ordre de l’Académie sur le froid de 1766, rapport lu au printemps
1776 et publié en 1780 dans les Mémoires de l’Académie pour 1777.
Du Conservatoire à l’École normale 5
La Borde, ouvrage qui inclut, entre autres interventions, des “Observations de
Monsieur Vandermonde” 4.
Enfin, A. Vandermonde s’occupa aussi d’économie politique dans les
années 1780 bien qu’il n’aborda véritablement la discipline qu’assez tard, sous
la pression des circonstances.
II
Les événements de 1789 provoquèrent chez lui un engagement sérieux. Nous
ignorons la marche exacte de l’évolution de ses idées mais, selon A.
Birembaut, sa “prise de conscience politique” se fit progressivement “sous
l’influence de ses amis intimes” G.L. Monge, Jean Nicolas Pache et Jean Henri
Hassenfratz 5. L’hypothèse est vraisemblable mais peut-être réductrice car des
personnes comme Condorcet, qu’il fréquenta longtemps, eurent certainement
une part non négligeable dans cette évolution. Quoi qu’il en soit nous le
retrouvons, avec d’autres académiciens, membre de l’Assemblée des représen-
tants de la Commune de Paris, et, à cette époque, il a même pu passer pour
“dangereux” dans des circonstances peu glorieuses. Nous possédons sur ce point
le témoignage de Gouverneur Morris qui, à la date du 1er novembre 1789,
rapporte l’anecdote suivante. Invité à dîner chez Lavoisier le 5 octobre précé-
dent, il y rencontra Vandermonde qui défendait l’idée selon laquelle Paris était
le soutien du royaume tout entier. Ce à quoi Morris répondit : “Oui Monsieur,
comme moi je nourris les éléphants de Siam”6. Le 1er novembre, Morris apprit
chez Madame de Flahaut que Vandermonde le qualifiait d’intrigant, de mau-
vais sujet, et de partisan du duc d’Orléans. Mme de Flahaut, inquiète, déclara
à G. Morris que Vandermonde était certainement un homme “très dangereux”
qui n’hésiterait pas à l’envoyer à la lanterne; elle proposa d’en parler à La
Fayette, mais l’affaire en resta là (Morris, I, 279).
L’engagement de Vandermonde se manifesta aussi par l’appartenance à des
sociétés de pensée. Il fut membre de la Société de 1789 dès sa création, et,
4. Dans La Borde, 1781, 39–41. Sur ces points, voir aussi J. Hecht (1971, 645–46).
5. Birembaut 1953, 532. N. et J. Dhombres décrivent notamment Hassenfratz comme
appartenant “à l’espèce assez rare du savant animé par un vrai militantisme politique et
idéologique” (1989, 49).
6. En français dans le texte.
Du Conservatoire à l’École normale 6
notamment, du Club de la Sainte-Chapelle. Son affiliation principale, selon
son propre témoignage, finit par être aux Jacobins.
Comme beaucoup d’autres savants de l’époque, il mit ses compétences au
service de la Révolution. Tentons de donner un aperçu de ses occupations : elles
furent nombreuses et, bien entendu, la liste suivante de ses fonctions et de ses
missions n’est pas exhaustive. Membre de la commission chargée de comparer
à la toise et à la livre de Paris les mesures utilisées sur tout le territoire, il dut
aussi participer, pour le compte du Comité d’aliénation des biens nationaux
et du Comité ecclésiastique, au choix des biens du clergé à conserver à la
nation : sur cette lancée, lors de la réunion de ces deux comités, il appartint à
la Commission des monuments puis à la Commission temporaire des arts qui
remplaça la précédente. Après la suppression de l’Académie des sciences le 8
août 1793, il fut nommé à la Commission temporaire qui dut poursuivre la
tâche entreprise dans le domaine des poids et mesures. Enfin, sa compétence
s’exerça également en matière de fabrication monétaire. “J’ai été membre du
jury spécial nommé pour la punition des contrefacteurs d’assignats”, déclare-t-il
à ses élèves (1795c, 310). “Je fus appelé par le comité des assignats et monnaies,
avec les citoyens Gatteaux, Firmin Didot et d’autres artistes, pour reconnaître
les premiers [assignats contrefaits] qui parurent à la caisse de l’extraordinaire”
(ibid., 311).
Bien entendu, il poursuivit pendant la Révolution les activités qui avaient
été les siennes auparavant. À partir de l’automne 1791, par exemple, il fut
membre du Bureau de consultation des arts nouvellement créé en vue d’oc-
troyer des encouragements et des récompenses aux inventeurs.
Il continua ensuite à cumuler les fonctions et les missions liées, pour la
plupart, aux efforts de guerre. Lorsque Pache devint ministre de la Guerre
(septembre 1792 - février 1793), Monge, Hassentfratz et Vandermonde le sui-
virent au ministère. Notre auteur fut alors nommé directeur du Bureau de
l’habillement des Armées. Il fit aussi partie, avec nombre d’autres savants (dont
toujours Monge et Hassenfratz), de la Commission des travaux publics auprès
du Comité de Salut public. Le 12 septembre 1793, chargé d’une mission sur les
armes blanches aux manufactures de Klingenthal, dans le Bas-Rhin, il rédigea
un mémoire sur leur fabrication 7. À la même époque, un arrêté du 7 septembre
7. Procédé de la fabrication des armes blanches, publiés par ordre du Comité de salut
public, an II, avec la participation de F. A. Rauch pour les dessins.
Du Conservatoire à l’École normale 7
1793 l’ayant chargé, avec Monge et Berthollet, de rédiger un ouvrage pratique
sur la fabrication de l’acier de forge et de cémentation, il co-signa en novembre
un Avis aux ouvriers en fer sur la fabrication de l’acier. À la suite de cette
mission, le Comité de salut public lui demanda de se pencher sur le problème
de l’utilisation de moulins pour la fabrication des baïonnettes et des canons
de fusils.
En 1794, il dirigea avec Hassenfratz l’Atelier de perfectionnement des armes
portatives ; celui-ci, créé en mai, fut ensuite rattaché au Conservatoire des arts
et métiers, institué le 10 octobre et dont Vandermonde occupa l’un des trois
postes de démonstrateurs. Toujours en 1794, enfin, la Convention lança un
concours pour la rédaction de livres élémentaires dans un certain nombre de
matières 8. La décision, prise le 28 janvier, laissait aux concurrents jusqu’au
19 juin pour soumettre leurs manuscrits – délai qui, en raison de sa brièveté
et de la piètre qualité des soumissions, fut reporté par la suite ; un jury de
14 membres fut nommé le 6 juillet afin de juger de la qualité des envois :
Vandermonde en fit partie.
Lorsqu’il prit ses fonctions au Conservatoire, une mission venait de mener
Vandermonde à Lyon. Cette mission est importante pour notre propos bien
que son but fut tout d’abord militaire : le 5 août 1794, le Comité de salut
public avait ordonné à notre auteur de se rendre à Commune-Affranchie afin
de s’occuper de la “fabrication de 500 aunes de taffetas de qualité supérieure,
destinées aux opérations aérostatiques” ; mais il se trouve qu’elle aboutit aussi,
le 5 novembre, à la remise d’un “Rapport [. . .] sur les fabriques et le commerce
de Lyon” 9qui constitue le premier témoignage direct de la pensée économique
de notre auteur. Trois mois plus tard, le 7 février 1795, Vandermonde fut
nommé professeur d’économie politique à l’École normale de Paris. Entre-
temps, il avait participé aux débats sur la nouvelle politique économique à
mettre en œuvre dans le nouveau contexte politique. Après la fermeture de
l’École, il termina sa carrière 10 à l’Institut (créé le 25 octobre 1795). Il y
fut nommé le 13 décembre 1795 à la classe des sciences physiques et mathé-
8. Voir D. Julia, 1981, chapitre VI.
9. Ce rapport porte la mention “fait par ordre du Comité de salut public”. Nous n’avons
pas retrouvé cet ordre. Le rapport fut-il rédigé à l’initiative de Vandermonde ?
10. Vandermonde fut aussi examinateur du génie, en remplacement de Bossut semble-t-il,
à qui il dut rendre le poste le 30 juin 1795. Le 4 mars de cette même année, il fut aussi
nommé examinateur à l’École centrale des travaux publics.
Du Conservatoire à l’École normale 8
matiques, membre résidant de la section des arts mécaniques. Il assista à la
première séance de travail mais mourut quelques jours plus tard, le 1er janvier
1796.
III
A. Vandermonde, on le voit, contrairement à beaucoup de ses collègues (l’on
pense inévitablement à Condorcet et à Lavoisier) traversa les turbulences ré-
volutionnaires sans trop d’égratignures. Sans doute le dut il à un engagement
politique qu’il est cependant difficile d’évaluer avec exactitude. Il fut jacobin et
protesta, apparemment avec sincérité, lorsqu’il fut exclu du club. Le brouillon
d’une lettre nous est resté : “J’ai appris hier soir, mon cher Delisle, avec un
extrême chagrin que le comité de correspondance des jacobins avait résolu de
m’exclure de la société. C’est, m’a-t-on dit, parce que je suis des clubs n°148
du jardin de l’égalité. Mais ceux qui me connaissent savent bien que je ne suis
pas du nombre des gens dont les opinions et la conduite prennent la teinte des
sociétés où ils se trouvent quelque fois. Je me suis tellement prononcé partout
dans le sens des amis de la liberté et de l’égalité : j’ai toujours été si fran-
chement jacobin dans tous les clubs, et parmi toutes mes connaissances, qu’il
serait étrange que les jacobins seuls ne voulussent pas me reconnaître comme
tel.” 11
Pendant l’été 1793, il fut inquiété en raison de ses relations avec Pache ;
arrêté le 20 juillet 1793 avec les administrateurs de l’habillement, il fut cepen-
dant libéré peu après, le 11 août, “à la suite des démarches de Hassenfratz
et de Desfieux (défenseurs officieux désignés par les jacobins), appuyées des
interventions spontanées du Bureau de consultation des arts et métiers et de
l’Académie des sciences” (Birembaut 1953, 532–33). Le 23 avril 1794, le même
Bureau tenta de venir en aide à Lavoisier, arrêté le 28 novembre 1793. Un
11. La lettre se termine ainsi : “Je vous prie mon cher concitoyen de faire tout ce qui
peut dépendre de vous pour m’éviter un désagrément auquel je serais infiniment sensible, et
que tous ceux de nos frères et amis qui me connaissent personnellement s’empresseront, je
l’espère, de m’épargner. 28 mars. V.” Avec ce post-scriptum : “Je me propose d’aller demain
aux jacobins de très bonne heure. Ne pourrez-vous pas vous y trouver pour m’apprendre
le succès de vous bons offices d’aujourd’hui.” Archives CNAM, Bibliothèque, n°22-2. Nous
ignorons l’année de cet événement : il est tentant de le rapprocher de la tentative d’épuration
des Jacobins dont il va être question. Mais la date de la présente lettre, en calendrier grégo-
rien, ainsi que le l’absence de tutoiement indiquent une rédaction probable non postérieure
à 1793.
Du Conservatoire à l’École normale 9
texte fut rédigé sous la présidence de Lagrange. Vandermonde ne figure pas
parmi les signataires (Dhombres 1989, 27). Il avait même participé à la levée
des scellés au domicile du chimiste emprisonné (Hecht 1971, 650).
Il se peut que Vandermonde ait aussi été inquiété en ce printemps 1794 et
que les menaces qui pesèrent sur lui dictèrent son attitude. Après Thermidor,
le 31 août de cette même année, Grégoire fit un discours à la Convention au
nom du Comité d’instruction publique, dans lequel il fustige le discrédit qui
avait été jeté sur les intellectuels et les savants pendant la Terreur : et, parmi
les personnes inquiétées, il cite le nom de Vandermonde (Archives parlemen-
taires, 1ère série, vol. 96, 153). Peut-être Grégoire se méprit-il et confondit-il
les événements de l’été 93 avec d’autres, plus récents. Mais nous savons aussi
qu’au mois de mars 1794 les Jacobins décidèrent d’exclure de leur société tout
membre qui avait appartenu à la Société de 1789 et que Hassenfratz n’évita
l’exclusion que parce qu’il paya d’audace et fit valoir qu’il avait été exclu, en
son temps, de la Société visée (Le Moniteur, 8 mars 1794). Du côté du Comité
de salut public, en revanche, Vandermonde semble toujours avoir été soutenu.
Les quelques indications que nous livrent les Actes de ce comité se rapportent
aux différentes missions et fonctions confiées au géomètre; celui-ci fut décrit
comme “un citoyen instruit, probe, républicain” (8 décembre 1793), “dans le
patriotisme et les lumières” duquel on peut avoir confiance (10 décembre) :
l’appréciation paraît avoir été maintenue.
Quoi qu’il en soit exactement, l’examen des idées économiques de
Vandermonde nous permettra de revenir sur les opinions politiques qui furent
probablement les siennes.
Les jugements scientifiques sur Vandermonde sont, quant à eux, assez
contrastés. Ceux de l’époque soulignent en général les aspects positifs du
personnage et de sa démarche. Bezout et Condorcet formulèrent un avis sou-
vent cité sur le premier mémoire de mathématiques présenté à l’Académie des
sciences : “Il fallait de la force et bien du courage pour suivre aussi loin une
théorie ausi épineuse et des calculs aussi compliqués”. En l’an V, C.A. Prieur,
dans les Annales de chimie, parla en ces termes du mémoire sur la fabrication
des armes blanches : “l’excellente méthode, la clarté, l’exactitude des descrip-
tions, le rassemblement de toutes les données propres à compléter la connais-
sance d’un objet sont les caractères qui se font remarquer ordinairement dans
les ouvrages de Vandermonde”. Si personne ne mit en doute sa sincérité, sa ca-
pacité de travail, certaines opinions traduisirent cependant quelques réticences.
Du Conservatoire à l’École normale 10
De passage à Paris en 1781, l’astronome russe Lexell écrivit : “M. Vandermonde
passe pour être un homme de talent, quoiqu’il n’en a pas la mise. Sa manière
de s’exprimer n’est pas trop claire. Il est petit et son front ne passerait jamais
pour le front d’un mathématicien” (Birembaut 1953, 531).
Dans le domaine de la recherche que nous appelons aujourd’hui fondamen-
tale, c’est-à-dire de la théorie pure, Vandermonde fut-il réellement à la hauteur
des éloges qui lui furent décernés? Au XIXe siècle, Leopold Kronecker affirma
que “l’essor de l’algèbre commence avec le mémoire présenté par Vandermonde
à l’Académie en 1770”. Au siècle suivant, le jugement d’Henri Lebesgue (qui,
par ailleurs, cite Kronecker) laissa cependant percevoir une pointe d’ironie :
“le déterminant de Vandermonde n’est pas de Vandermonde, sa théorie des
déterminants n’est pas très originale, son étude de géométrie de situation est
un peu enfantine, que reste-t-il ? Il reste son premier mémoire” (1937–39, 22).
Pour être juste, affirma Lebesge, il faut reconnaître que “Vandermonde a créé,
et de toutes pièces, une méthode de résolution qui s’applique, sans qu’on ait
rien à y changer, à toute équation résoluble algébriquement” (ibid., 38). Mais
c’est aussi un fait, ajouta-t-il, “que la puissance de cette méthode n’est connue
et prouvée que grâce aux travaux des successeurs de Vandermonde” (ibid.).
Sans rien ôter à son mérite, ne ressort-il pas qu’il fut, comme il arrive quel-
quefois, innovateur presque par inadvertance et qu’il ne comprit pas lui-même
toute la portée de son premier travail? “Vandermonde n’est jamais revenu sur
ses recherches algébriques parce qu’il n’a tout d’abord senti qu’imparfaitement
leur importance, et s’il ne l’a pas mieux comprise par la suite c’est précisément
parce qu’il n’a pas réfléchi profondément sur elles; il s’est intéressé à tout, s’est
occupé de tout ; il n’a rien pu approfondir lentement” (ibid.).
Quant au reste de l’activité de l’académicien, c’est-à-dire ses jugements,
expertises, et autres écrits didactiques ou de vulgarisation, il n’a évidemment
pas attiré la même attention.
Ces types de considérations, politiques et scientifiques, contribuent à mettre
en perspective les idées économiques de l’auteur. Celles-ci sont exprimées dans
deux écrits principaux : le Rapport rédigé en 1794, publié l’année suivante dans
le premier numéro du Journal des arts et manufactures (1795a), et le cours
dispensé à l’École normale (1795b et 1795c) 12. Un autre document, beaucoup
12. L’année suivante, dans son tome II, pp. 371-383, le Journal des arts et manufactures
publia deux réactions au rapport de Vandermonde. Mais il ne s’agit là que de précisions
apportées à des points de détail.
Du Conservatoire à l’École normale 11
plus bref, peut aussi être pris en compte : une note manuscrite de six pages que
Vandermonde rédigea le 10 décembre 1794 lors du débat qui devait aboutir à
la suppression du maximum le 23 décembre suivant (Vandermonde, 1794) et
qui vient confirmer ou compléter les idées énoncées par ailleurs13.
IV
Instituée le 30 octobre 1794, l’École normale de Paris devait accueillir des
élèves déjà instruits (1.400 environ) et les former à l’enseignement dans un
temps très limité, d’abord fixé à quatre mois 14. Les premiers cours eurent lieu
le 20 janvier 179515 . En raison de difficultés de toutes sortes, la fin des cours
fut décrétée par la suite pour le 19 mai de la même année et l’École disparut.
Les promoteurs de l’École normale voulurent en faire un lieu où la parole eût
pu reprendre ses droits face à l’écrit : il s’agissait d’allier les meilleures qualités
des Anciens à celles des Modernes, qualités si souvent opposées par ailleurs ! Le
rapport sur le règlement des Écoles normales, présenté par Lakanal et Deleyre
le 13 janvier 1795, précisait en effet : “La parole a dominé chez les anciens; elle
a produit les beautés et les égarements de leur génie : le style a dominé chez les
modernes ; il a produit la puissance rigoureuse de leur génie et sa sécheresse.
L’emploi successif de l’un et de l’autre sera peut-être le moyen de réunir ce
qu’il y a de plus éminemment utile dans le génie des modernes et ce qu’il y
a eu de plus beau dans le génie des anciens” (Le Moniteur, 21 janvier 1795).
Les professeurs ne devaient donc pas, en principe, lire les cours mais les dire.
Ces leçons, cependant, ainsi que les propos des intervenants et les réponses des
enseignants lors des discussions, étaient notées par des sténographes pour être
13. Un dernier texte, enfin, mérite d’être signalé ; il s’agit d’un document que Pierre-Louis
Rœderer publia en l’an V dans son Journal d’économie publique, de morale et de politique,
et qui relate une conversation qu’il eut avec Vandermonde : texte peut-être plus politique
qu’économique mais qui touche à un point central de doctrine (voir Rœderer, 1797).
14. Sur l’École en général et sur l’ambiguïté de ses missions (qui évoluèrent en réalité et
furent bien moins claires que le bref résumé donné ici peut le laisser penser), on pourra
consulter P. Dupuy (1895), S. Moravia (1974, 4e partie, chap. II), D. Julia (1981, chap. II),
B. Baczko (1982), N. et J. Dhombres (1989, chap. VII).
15. Les cours prévus à l’origine furent les suivants : mathématiques (Lagrange, Laplace),
physique (Haüy), histoire naturelle (Daubenton), chimie (Berthollet), agriculture (Thouin),
géographie (Buache, Mentelle), histoire (Volney), morale (Bernardin de Saint-Pierre), ana-
lyse de l’entendement (Garat), art de la parole (Sicard), littérature (La Harpe).
Du Conservatoire à l’École normale 12
imprimés et distribués aux élèves. Ils furent par la suite réunis en volumes 16
et c’est ainsi grâce à une volonté d’innovation pédagogique qu’ils ont pu être
connus d’un public plus vaste et parvenir jusqu’à nous.
Le recrutement des élèves se fit, en principe, sur un double critère de “lu-
mières” et de “civisme”. Lors de la séance du 8 décembre 1794, la Convention
décrète que “les seules conditions nécessaires pour être admis en qualité d’élève
à l’École normale sont d’être âgé au moins de vingt et un ans, et de réunir
à des lumières un patriotisme éprouvé et des mœurs irréprochables”17. Le
recrutement des professeurs se fit aussi, en principe, sur les mêmes critères
que celui des élèves.
On ne pensa pas, au départ, insérer un cours d’économie politique dans les
enseignements. La chaire ne fut créée par la Convention que tardivement, après
l’intervention de Jacques-Antoine Creuzé-Latouche18 le 31 janvier 1795, impri-
mée sur ordre de l’Assemblée sous le titre : “Discours sur la nécessité d’ajouter
à l’École normale un professeur d’économie politique”. Les arguments avancés
par l’orateur et les attendus de la création de la chaire sont importants et
reflètent bien les préoccupations du temps que l’on retrouvera, démultipliées,
dans les cours de Vandermonde. Qu’il nous suffise de les résumer ici 19. Le
propos visait d’abord, après les longs mois de propagande extrémiste, jugée
obscurantiste, de réhabiliter l’instruction en opposition aux slogans mettant
l’accent sur la seule éducation ; il dénonçait également les confusions extrême-
ment néfastes engendrées par les références constantes aux Anciens, à une Anti-
quité dont l’économie et l’organisation politique et sociale en général n’avaient
rien à voir avec l’ère moderne. Il soulignait enfin l’importance de l’économie
16. Pour ce qui concerne les débats sur le cours d’économie politique, ceux-ci comportent
des erreurs de datation et de classement, comme il ressort à l’évidence de l’ordre des matières
traitées dans le cours, comparé à celui des débats, et des allusions aux cours et aux dates
que l’on peut trouver dans les débats. Pour ce qui concerne les éditions recensées des cours
et des débats, voir J. Hecht 1971, note 4, 658–59, ou 1986, note 17, 44. Une nouvelle édition
de l’ensemble des leçons professées en l’an III est en cours de publication (Dunod, Paris) : à
ce jour, seul le premier volume (mathématiques, sous la direction de J. Dhombres) a paru.
17. Voir James Guillaume 1901-1907, V, annexes, 268–69.
18. J. A. Creuzé-Latouche (1749-1800) était député de la Vienne. Membre du Comité de
salut public le 4 avril 1795, il fit partie de la commission qui élabora la constitution de l’an
III. Membre du Conseil des Anciens, puis des Cinq-Cents, il entra au sénat en décembre
1799. Il fut un libéral au plan économique et défendit toujours la liberté du commerce des
grains (voir Creuzé-Latouche, 1792, 1793 et 1795).
19. Pour une analyse détaillée, voir G. Faccarello 1989.
Du Conservatoire à l’École normale 13
politique dans les sociétés contemporaines où le marché joue un rôle prépon-
dérant, et surtout la nécessité de sa diffusion dans le public : la prospérité
dépendant du libre fonctionnement des marchés, rien (et surtout pas les préju-
gés du peuple, entretenus par différents pouvoirs pour son asservissement) ne
devait venir perturber les mécanismes de la concurrence. Il soulignait enfin un
retard de la réflexion et de l’enseignement en la matière et indiquait la voie à
suivre : imiter l’exemple de plusieurs pays étrangers, dont la Grande-Bretagne
où fut publié le meilleur livre sur la question (Creuzé-Latouche pense ici à
l’ouvrage de Smith), et qui avaient institué des chaires dans la discipline : “ces
vérités, vous devez en accélérer la découverte et en faciliter la propagation ;
vous devez les répandre parmi le peuple, afin de le garantir des pièges où nous
avons vu ses faux amis s’efforcer de le conduire” (ibid., 3). L’économie po-
litique devait être une véritable “sentinelle” placée dans “l’opinion publique”
(ibid., 10). Ceci est particulièrement important dans un pays démocratique où
chacun peut être appelé à la confection des lois : “les lumières des législateurs
ne peuvent se former naturellement que des lumières qui existent autour d’eux,
dans le même siècle et dans la même nation” (ibid., 5-6).
A. Vandermonde fut choisi par le Comité d’instruction publique le 6 février
1795. Sa nomination fut acceptée par l’Assemblée le lendemain. Ce jour-là,
Lakanal présenta ainsi à la Convention cette nomination tardive : “Citoyens,
vous avez décrété qu’il serait ouvert, à l’École normale, un cours d’économie
politique. Le Comité d’instruction a discuté les titres civiques et littéraires des
publicistes appelés à cette place importante par l’opinion publique ; nous avons
pensé que le professeur d’économie politique, chargé de chercher et d’indiquer
les sources de la prospérité de la grande famille, devait unir les lumières à
l’amour de la République”.
La nomination de Vandermonde suscita cependant quelques remous au sein
du Comité. Le 10 février, mentionne le compte-rendu de séance, “un membre,
après diverses observations, demande que le Comité prenne des
renseignements sur le citoyen Vandermonde, nommé professeur d’économie
politique près l’École normale. Le Comité arrête le renvoi de cette demande
aux représentants du peuple [c’est-à-dire Deleyre et Lakanal] près cette école”
(dans Guillaume, 1901-1907, V, 481). Quelques semaines plus tard, le 16 mars,
Vandermonde est de nouveau mis en cause en compagnie d’autres personnes :
“le Comité, après diverses observations, charge les citoyens Daunou, Villar et
Thibaudeau d’examiner la question de savoir si l’on demandera à la
Convention le rapport des décrets qui nomment le citoyen Vandermonde
Du Conservatoire à l’École normale 14
professeur d’économie politique, et les citoyens Dufourny et Hassenfratz
membres de la Commission temporaire des arts, et d’en faire un rapport à sa
première séance” (ibid., 608). James Guillaume détecte là une revanche sur les
personnes supposées avoir participé, du côté de la Montagne, aux événements
du printemps 1793. Dans la séance de la Convention du 9 mars, remarque-t-
il, “Pémartin avait demandé la punition des auteurs de la journée du 31 mai.
On sait que Dufourny avait été un de ceux qui préparèrent, à l’Évêché, le
mouvement du 31 mai; et que Hassenfratz avait lu, le 1er juin, à la barre
de la Convention, la pétition de la commune de Paris demandant la mise en
accusation de vingt-sept Girondins. Quant à Vandermonde, comme il avait
été maintenu dans la Commission des poids et mesures lors de l’épuration du
3 nivôse an II (mais Monge, Lagrange et Berthollet, ses collègues à l’École
normale, étaient dans le même cas), il pouvait passer pour jacobin” (ibid.,
608–9, note 3).
Vandermonde, une nouvelle fois, se tire de ce mauvais pas. “Déjà des mal-
veillants cherchent à soulever l’opinion contre celui qui a été choisi pour fournir
des textes à votre discussion”, se plaint-il lors de son premier cours. “Citoyens,
son embarras est extrême : la faiblesse de son organe, l’inhabitude de parler
en public, la confusion des notes qu’il n’avait recueillies que pour lui, et qu’il
n’a pas le temps de ranger dans un ordre systématique, tout l’intimide. S’il
faut encore qu’il soit victime de la calomnie, si vous ne le couvrez pas de votre
bienveillance, il vous deviendra tout-à-fait inutile : car il faut une entière liberté
d’esprit pour traiter les questions délicates de l’économie politique” (1795b, II,
233–34). Dans une séance de débats, cependant, il nous livre une information
qui est susceptible de relativiser l’accusation de jacobinisme mise en avant par
J. Guillaume. Vandermonde déclare en effet à ses auditeurs (1795c, 309 : “J’ai
pu dire [. ..] qu’ici je parlais, portes fermées, à des hommes instruits et revêtus
de la confiance de leurs concitoyens; et qu’ainsi j’étais dans un cas très diffé-
rent de celui qui irait dans un lieu public prêcher telle ou telle doctrine : mais
je ne me connais aucune pensée qui puisse mériter le blâme, quoique je puisse
en énoncer quelquefois qui prêtent le flanc à la calomnie à laquelle je suis en
butte”. Mais si ce sont les propos tenus par l’orateur pendant ses cours, ou cer-
taines idées de son rapport, qui ont pu choquer – ou servir – ses détracteurs,
l’accusation n’a pas dû être celle de “jacobinisme” mais, au contraire, celle de
prêcher le luxe et la dépravation des mœurs, comme il ressortira par la suite :
en bref, d’abandonner bien des idées “jacobines”.
Du Conservatoire à l’École normale 15
On peut aussi s’étonner de voir Vandermonde nommé, même tardivement,
en économie politique aux côtés de beaucoup de célébrités du temps qui ensei-
gnaient, elles, les matières correspondant à leurs spécialités. D’autres personnes
eussent sans doute beaucoup mieux fait l’affaire : Pierre-Louis Rœderer, par
exemple, ne serait-ce qu’en raison de son expérience au Lycée 20 ; il est vrai qu’il
ressortait à peine de l’ombre et qu’il avait toujours contre lui son comporte-
ment lors des événements du 10 août 1792 : mais ne fut-il pas lui-même nommé,
peu de temps après, professeur de législation dans l’une des Écoles centrales
de Paris 21 ? Doit-on voir dans la nomination de Vandermonde une manifesta-
tion d’un “lobby” (ou tout au moins d’un état d’esprit) scientifique qui, à cette
époque, remodelait le système éducatif français ? Lors de sa première séance de
cours, Vandermonde laisse entendre qu’il travaille sous contrainte : “Je n’avais
pas entrepris un livre sur l’économie politique”, déclare-t-il lors de son premier
cours ; “j’avais jeté une immense quantité de notes sur le papier : mais l’obli-
gation qui m’est imposée va me faire penser mieux à ces observations, que je
n’accumulais que pour ma propre satisfaction” (1795b, II, 239–40). De quelle
obligation s’agissait-il ? De mettre de l’ordre dans ses notes ou, de manière plus
essentielle, d’enseigner? La remarque selon laquelle il n’avait pas “entrepris un
livre sur l’économie politique” peut nous mettre sur la voie et nous fournir
un élément vraisemblable d’explication. Nous avons noté plus haut la partici-
pation de Vandermonde au jury institué afin de juger de la qualité des livres
élémentaires soumis au concours ouvert en janvier 1794. Les premiers manus-
crits reçus ayant été jugés inadaptés ou fort médiocres, le Comité d’instruction
publique “se dispose dès le [. . .] [22 octobre 1794] à faire rédiger les livres élé-
mentaires 22 par un certain nombre de savants éminents. Ceux-ci sont donc
tout naturellement désignés pour être les futurs formateurs des instituteurs et
Lakanal lui-même reconnaît le lien entre la rédaction des livres élémentaires et
la constitution des écoles normales” 23. Le lien s’étendit probablement aussi aux
membres du jury. Car parmi les professeurs nommés à l’École le 30 octobre se
20. Sur le Lycée, voir Ch. Dejob (1889 et 1894).
21. Dans son cours, Vandermonde salue la création des Écoles centrales. Par ailleurs, le
Magazine encyclopédique du 1er Floréal (20 avril 1795) annonce la nomination, pour Paris, et
aux chaires qu’il intitule “économie politique et législation”, de personnes que l’on s’attend
effectivement à voir occuper ce type de poste : Morellet, Dupont, Roubeau et Rœderer
(James Guillaume 1901-1907, VI, note 1, 115).
22. Ces livres élémentaires concernaient l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, la
grammaire, la morale, la géographie, l’arithmétique, etc., mais pas l’économie politique.
23. D. Julia 1981, 156 ; voir aussi 240 et note.
Du Conservatoire à l’École normale 16
trouvent Buache, Daubenton, Garat, Lagrange et Monge, tous membres, avec
Vandermonde, du jury institué le 6 juillet précédent. Par la suite, lorsqu’il s’est
agi de nommer le titulaire de la chaire d’économie politique, peut-être a-t-on
simplement procédé de la même façon : n’oublions pas que Vandermonde ve-
nait de remettre un rapport remarqué, que ses intérêts en matière d’économie
étaient sans doute connus, qu’il venait de participer au débat sur l’abolition du
maximum, et que ses écrits de vulgarisation, en matière de chimie notamment,
étaient appréciés.
Après l’expérience de l’École normale, Vandermonde fut nommé, on le sait,
à l’Institut : mais il y retrouva sa spécialité d’origine. J.-A. Creuzé-Latouche et
P.-L. Rœderer, en revanche, firent partie (le premier dès le début, le second au
printemps 1796) de la Classe des sciences morales et politiques dans laquelle
l’économie politique fut insérée.
V
Les cours d’économie ne commencèrent que le 21 février, un mois après ceux des
autres disciplines 24. Dès la première leçon, Vandermonde reconnut
volontiers que, ayant été nommé professeur de manière inattendue et ayant
dû débuter très vite son enseignement, il n’était pas du tout préparé à cette
nouvelle tâche. Il demanda qu’on excusât le professeur et “la confusion des
notes qu’il n’avait recueillies que pour lui” (1795b, 233). “Il m’est impossible
de mettre de l’ordre dans les leçons du cours ; je n’étais pas préparé : je
dirai les choses comme elles viendront. Il me semble que ce ne sera pas un
grand malheur. À la fin du cours, je compte faire une récapitulation générale,
dans laquelle tous les objets pourront entrer dans des tableaux analytiques
qui en faciliteront la comparaison [.. .]. Nos réflexions communes m’aideront
dans ce travail” (ibid., 239). Il trouva d’ailleurs une parade préventive en se
comparant à .. . Montaigne. “Si je vous communique mes observations sans
ordre, comme Montaigne, vous serez tenté d’y mettre de l’ordre vous-même ;
alors vous n’exercerez plus votre mémoire, mais votre intelligence : mieux le
professeur dit la chose, moins l’auditeur s’occupe à la dire autrement [. ..]. Il
sera humiliant pour le professeur de n’avoir pas d’ordre ; les élèves n’en pro-
fiteront que mieux” (ibid., 240). Bien entendu, cette “méthode” ne donna pas
entière satisfaction aux élèves.
24. A l’exception toutefois du cours d’agriculture qui ne put avoir lieu.
Du Conservatoire à l’École normale 17
Pour couronner le tout, Vandermonde vit son état de santé décliner sérieu-
sement et dut cesser ses leçons avant même la fermeture de l’École. Le 22 avril,
il termina son dernier cours par ces mots : “Je reviendrai tridi prochain sur
les conséquences de tout ce que j’ai dit dans cette séance, et j’entamerai, si
le temps le permet, la question des effets de l’abondance du numéraire sur
les prix” (ibid., V, 109). La maladie l’en empêcha. Le Comité d’instruction
publique, en vue de la fermeture anticipée de l’École, arrêta le 29 avril “que les
professeurs de l’École normale seront invités à se rendre à la première séance
du Comité pour y présenter leurs vues sur l’interprétation de l’art. 4 de la loi
du 7 du présent, portant que les professeurs [.. .] qui n’auront pas fini leurs
cours le 30 floréal [19 mai] prochain donneront le complément de leurs cours
dans le Journal de l’École normale, lequel complément sera distribué gratuite-
ment à tous les élèves”. Le 1er mai, “le citoyen Vandermonde représente que son
cours, commencé d’ailleurs longtemps après l’ouverture des écoles, ne pourra
être terminé pour le 30 [floréal] [. . .]; il promet en conséquence d’en donner le
complément dans le Journal de l’École normale”, ce qui, à notre connaissance,
n’a pas été fait.
Le programme des leçons annoncé par Vandermonde, par ailleurs, était
extrêmement vaste (voir ci-dessous, annexe) et le fait d’avoir pu prévoir de
le traiter en trois ou quatre mois, à raison de quelques heures par décade,
montre assez le manque d’habitude en la matière. Il est vrai que, à bien
des égards, notre auteur innovait : il n’y avait presqu’aucun précédent sur
lequel il pût s’appuyer. Il y avait bien, dans les pays de langue allemande, une
tradition d’enseignement des “sciences camérales” : Vandermonde n’y fait pas
référence. Des expériences avaient eu lieu en Italie : mais notre auteur ne
semble pas connaître les cours d’Antonio Genovesi (Delle lezioni di commercio
o sia d’economia civile, Naples, 1765–67), et les leçons d’économie politique de
Cesare Beccaria ne furent publiées qu’en 1804 par les soins de Pietro Custodi
sous le titre de Elementi di economia pubblica. Les références de Vandermonde
restent principalement britanniques, mais ni Steuart, ni Smith, n’avaient en-
seigné leurs livres ; Smith seul avait exposé certains aspects primitifs de la
Richesse des nations dans ses cours de “jurisprudence”, plus de dix ans avant
la publication de l’œuvre.
Il faut enfin remarquer que, à dire la vérité, une très grande partie des cri-
tiques de tout ordre que l’on peut adresser à l’enseignement de Vandermonde
et bien des travers que l’on peut relever dans les cours ou les débats se re-
trouvent dans la plupart des disciplines. Peut-être résultent-ils de l’ambiguïté
Du Conservatoire à l’École normale 18
même du projet et du fonctionnement de l’École, que nombre de contemporains
stigmatisèrent 25.
À proprement parler, par exemple, Vandermonde n’enseigna pas véritable-
ment. Il suivit implicitement l’ordre des matières indiqué dans le programme,
mais sans aucune progression didactique. Il se borna à aborder quelques points
et à émettre sur ceux-ci des considérations plus ou moins précises, comme
s’il parlait, en réalité, à un public déjà au fait de la discipline. En ouvrant
la troisième leçon, et à la demande d’un élève, il donna quelques références
bibliographiques et recommanda la lecture de la Richesse des nations de Smith
et des Principes de Steuart : le plan du cours s’inspire d’ailleurs de ceux de
ces ouvrages. “Le traité de la richesse des nations, par Adam Smith : ce livre
excellent, je dois le regarder comme étant entre les mains de tout le monde.
Il y en a un moins connu, que je recommanderai d’une manière particulière,
il est plus étendu. Je ne connais point de traité complet sur l’économie poli-
tique ; aucun ne rassemble toutes les connaissances qu’on a acquises jusqu’à ce
moment-ci sur cette matière : mais le plus complet que je connaisse, celui qui
me paraît le plus digne d’être étudié, c’est le livre intitulé, Essais sur les prin-
cipes de l’économie politique [sic], par James Steuart” (1795b, II, 447-448). À
la fin de la dernière séance du cours, il renvoya également à l’Essai analytique
sur la richesse et sur l’impôt que Jean-Joseph Graslin avait publié en 1767.
Le programme annoncé ne fut évidemment pas couvert. Dès le troisième
cours, le professeur note son retard. “Dans la dernière séance”, déclara-t-il, “j’ai
été pressé par le temps. La leçon qui avait précédé la mienne, avait excité tant
d’intérêt, que j’ai été agité par la peur ; car j’ai encore peur : je n’ai pas dit
le quart de ce que je m’étais proposé de dire” (ibid., 448). Le septième cours
(et avant dernier) s’ouvrit sur cette constatation : “Il est temps de terminer
aujourd’hui mon exposé sur la nature, la formation et la distribution des ri-
chesses; ce n’est encore que le premier des six chapitres du premier titre, selon
la division que j’ai adoptée dans le programme [. ..]. Il me reste, comme vous
voyez, une quarantaine de notes sur le premier chapitre; et il me serait impos-
sible dans le cours de la séance, d’insister sur chacune d’elles, autant que je le
désirerais. Je ne pourrai que les parcourir” (IV, 452–53).
25. Voir P. Dupuy 1895; D. Julia 1981, 154–171 ; N. et J. Dhombres 1989, 578–96.
Du Conservatoire à l’École normale 19
VI
Les leçons de Vandermonde, même si elles possèdent certaines particularités
remarquables, s’insèrent néanmoins dans les mouvances théoriques du moment.
La France avait vécu des décennies de controverses théoriques animées qui
s’étaient un peu calmées à la veille de la Révolution. L’école physiocratique,
notamment, était largement discréditée depuis longtemps aux yeux du public
éclairé alors que les principes libéraux étaient toujours en vogue. En 1795,
encore, Creuzé-Latouche stigmatisait cette école qui s’était couverte de “ridi-
cule” à cause de sa “manie sectaire” et de son “jargon mystique” (1795, 2), et
l’accusa même d’être en partie responsable d’un “retard” pris par l’économie
politique en France.
Le discrédit qui frappa les physiocrates précéda d’ailleurs la publication
d’une œuvre qui vint quelque peu brouiller les cartes en France à la fin des
années 1770 : les Recherches sur la nature et les causes de la richesse des na-
tions, d’Adam Smith, qui trouvèrent tout de suite un écho – plus ou moins
critique, mais un écho important – parmi les personnes qui s’intéressaient aux
problèmes économiques. En 1787 par exemple, Rœderer qualifia la Richesse
des nations d’ouvrage “qui est à la science de l’économie publique, ce que
l’Esprit des lois est à la science du gouvernement politique et civil” (1787, 26).
Une traduction française, infidèle, fut publiée par Blavet dès la fin des années
70 et fut rééditée dix ans plus tard. Une seconde, plus exacte, le fut par les
soins de Roucher en 1790-179126 . Ce sont des extraits de cette traduction que
Condorcet, Le Chapelier et Peysonnel publièrent en 1790 dans les tomes III
et IV de la Bibliothèque de l’homme public, lui donnant ainsi un écho non né-
gligeable. Le témoignage de Roucher lui-même est significatif. “On demandait
depuis longtemps une traduction française de l’ouvrage de M. Smith” affirma-t-
il. “On la demande surtout, aujourd’hui, que l’Assemblée nationale s’occupe de
régénérer la fortune publique [. ..]. Quiconque aspire au bonheur de vivre sous
un gouvernement qui respecte les droits sacrés de la liberté et de la propriété,
trouvera dans ces Recherches les principes immuables qui doivent gouverner les
26. Le Moniteur du 24 août 1790 accueillit très favorablement la publication des deux
premiers volumes de la traduction nouvelle. “Ces matières sont devenues à la portée de tout
le monde, et depuis que chaque citoyen peut avoir part au gouvernement et doit y prendre
un intérêt direct, tous se croient obligés d’en étudier les mouvements et les ressorts, d’en
bien connaître toutes les parties [. . .]. Nous nous contenterons de remarquer qu’aucun livre
ne contient de système plus complet d’économie sociale et qu’aucun par conséquent n’offre
plus de moyens d’instruction et d’utilité.”
Du Conservatoire à l’École normale 20
chefs des nations. La France a produit sans doute des ouvrages qui ont jeté des
lumières partielles sur les différents points de l’économie politique. Ce serait
trop d’ingratitude que d’oublier les services rendus à la patrie par les travaux
des Écrivains Économistes [les physiocrates]. Les jours de la détraction et du
ridicule sont passés [.. .]. Mais l’Angleterre a sur nous l’avantage d’avoir donné
au monde un système complet de l’économie sociale. Cette partie, la plus belle
et la plus utile de toutes celles qui composent l’ensemble des connaissances
humaines, se trouve dans l’ouvrage de Smith, approfondie et développée avec
une sagacité qui tient du prodige” (1790, vii–ix).
Vandermonde, bien entendu, connaissait ces débats. Il y participa même
de manière implicite en faisant traduire et publier le traité de Steuart27 ; il
s’inséra dans le courant général et, à l’occasion, s’emporta lui aussi contre
Quesnay et ses disciples. Dans son rapport de 1794, il les accusa même d’avoir
fait inconsciemment le jeu de l’Angleterre : “ce n’est pas à dater de la révolution
seulement, que les Anglais connaissent l’usage des pensions et gratifications à
des meneurs adroits, chargés d’agiter la France par leurs impulsions et sur
leurs plans” écrit-il. “Ces imprudents sectaires [les physiocrates] qui ont tant
jeté de fausses idées parmi nous sur le commerce, et qui s’arrogeaient le nom
d’économistes qu’ils ont rendu ridicule, ignoraient qu’ils n’étaient que des man-
nequins” 28 (1795a, 5–6). Le renvoi à l’ouvrage de Graslin également (pour ne
pas parler de ceux de Steuart et de Smith) et l’appréciation qu’il formula à
27. Dans Le Moniteur du 24 juin 1790, un article signé M. Desmond annonça en ces termes
la parution de l’ouvrage : “Si toutes les connaissances utiles ont de grandes obligations aux
Anglais ; si nous devons à Newton la théorie des lois qui règlent le monde physique, à Locke
celle de l’âme ou des facultés intellectuelles de l’homme; si ce peuple éclairé a fixé les limites
et établi l’équilibre entre tous les pouvoirs publics, qu’il a le premier réduit en science soumise
à des règles, nous ne lui sommes pas moins redevables d’une grande partie des progrès que
nous avons faits dans une science non moins difficile, mais peut-être plus importante que
toutes les autres, celle de l’administration intérieure ou de l’économie politique, en tant
qu’elle est distinguée du gouvernement proprement dit, c’est-à-dire de l’exécution des lois
et de l’administration de la justice. L’ouvrage le plus profond, nous ne craignons pas de le
dire, et en même temps le plus lumineux qui ait paru en Angleterre sur cette matière, est
celui du chevalier Steuart, dont nous annonçons ici la traduction ; et nous ne doutons pas
que le public ne partage et notre étonnement et nos regrets de ce qu’un ouvrage de cette
importance ait été connu si tard en France [. . .], l’Assemblée nationale ayant successivement
saisi presque toutes les matières traitées dans cet ouvrage, qui doit faire le code d’économie
des nations modernes”.
28. Un jugement plus mesuré est porté dans le cours : “J’aurai l’occasion de combattre
quelquefois leurs opinions. Je les désigne sous le nom de partisans du système de Quesnay.
S’il m’arrivait d’en parler ici avec le ton du mépris, ce serait une grande faute : je me le
reprocherais beaucoup à moi-même : leurs idées ne sont pas conformes aux miennes ; mais
c’est à vous d’en juger” (II, 461–62).
Du Conservatoire à l’École normale 21
son propos 29 dénotent une optique anti-physiocratique. Le combat contre la
physiocratie, en France, pouvait d’ailleurs toujours sembler d’actualité au plan
politique : dans les débats autour de la citoyenneté, dans les propositions qui
visaient à restreindre le droit de vote aux propriétaires fonciers, la théorie éco-
nomique physiocratique et les conséquences politiques que ses adeptes avaient
tirées depuis longtemps jouaient un certain rôle30.
Pour autant, les références de Vandermonde sont plus vastes que celles stric-
tement relatives à ces controverses, du moins pour autant que nous puissions
en juger car, tout comme ses contemporains, il ne multiplie pas ses références.
Il fait preuve d’une grande ouverture d’esprit; ses préférences vont à quelques
auteurs étrangers récents et les noms les plus souvent cités, outre Smith, sont
James Steuart (à qui il associe l’œuvre antérieure de John Law) et Arthur
Young (qu’il a probablement connu chez Lavoisier). Il semble faire preuve,
aussi, d’une véritable curiosité intellectuelle : il connaît et apprécie, par exemple
(1795b, III, 152–54), l’essai de James Anderson sur la rente différentielle qui
devait jouer un si grand rôle dans l’histoire de l’économie politique (pour une
toute autre raison, cependant, que celle avancée par Vandermonde).
Mais en dépit de ces qualités, la manière dont il perçoit et cite les dif-
férents auteurs marque les limites de sa réflexion en économie : il manque
manifestement de recul et de largeur de vues théoriques. Le nez plongé dans
ses notes, il place tous les écrits, et souvent les problèmes, à un même niveau
d’importance. Les principes théoriques sont quelquefois exposés de manière
obscure et leur mise en œuvre pratique manque la plupart du temps de
précision. Une illustration frappante peut être donnée à ce propos : procé-
dant à une avancée théorique appréciable, il développa une théorie du travail
productif susceptible de déplacer la question de la formation des revenus en
liaison avec la théorie de la valeur ; mais il n’en tint aucun compte dans sa
théorie des prix ni, surtout, dans sa critique de la physiocratie où elle eût été
dévastatrice, critique pour laquelle il utilisa au contraire les développements,
plutôt contestables, de Hocquart de Coubron. Quant aux développements et
autres raffinements en matière de théorie des prix, ils laissent perplexe.
29. “Je le regarde comme un des meilleurs livres qui ait été écrit en France sur l’économie
politique” (1795b, V, 107).
30. Sur ce sujet, la lecture de l’article d’E. Allix (1910) s’impose toujours.
Du Conservatoire à l’École normale 22
On remarquera enfin, sans s’en étonner outre mesure, l’aspect quelquefois
“scientiste” que revêt le propos : Vandermonde insista sur le rôle des inven-
tions techniques qui ont changé les modes de vie et, irréversiblement, adouci
les mœurs, apporté et approfondi la liberté. Il est d’ailleurs en cela en bonne
compagnie puisque Smith, par exemple, ne dédaigna pas ce type de considé-
ration. Au sein du cours, cependant, ces développements prennent une place
disproportionnée.
Il existe malgré tout une ligne directrice dans la pensée économique de
Vandermonde et l’on peut même dire du cours que jamais économie n’avait
donné une impression plus politique. En réalité, en 1794 et 1795, Vandermonde
se battit sur deux fronts entre lesquels il tenta de préserver une position mé-
diane. D’un côté, il refusa les idées jacobines extrémistes et, sur ce point, il
eut fort à faire face à un auditoire sélectionné à l’automne 94, dans toute la
France, pour son “civisme”, et qui vivait encore sur certaines idées fortes et
simples propagées pendant de longs mois auparavant ; non pas que l’auditoire
eût été hostile, si l’on en croit du moins ce qui transparaît des propos du cours
et des débats : il tint cependant à certaines idées et ne souhaita pas les aban-
donner sans discussions ! Mais d’un autre côté, Vandermonde refusa également
d’admettre la nécessité d’une “concurrence indéfinie” sur les marchés, c’est-à-
dire la mise en œuvre stricte du programme de liberté économique : sur ce plan,
il resta interventionniste, même si c’est de manière modérée et en critiquant
la manière irréfléchie dont les jacobins l’avaient été. La ligne médiane qu’il
adopta est plutôt celle d’un Galiani 31, ou même, certaine différences mises à
part – sur les greniers publics notamment –, celle d’un Necker (jamais cité, et
pour cause, en ces temps difficiles).
VII
Vandermonde fut certes jacobin ; ses propos, ses missions, ses amitiés le
prouvent. Peut-être, aussi, sa position a-t-elle évolué. Selon toute probabilité,
cependant, il ne fut jamais extrémiste comme Hassenfratz a pu l’être, et, en
matière économique, il n’approuva jamais, à notre connaissance, les mesures
économiques rigoureuses qui avaient été édictées pendant la Terreur, et notam-
ment les lois sur le “maximum”. Il demeura lucide et vit bien qu’une grande
31. “On a dit de lui qu’il avait de l’esprit [.. .] : je l’ai trouvé plein de génie” (1795b, IV,
174).
Du Conservatoire à l’École normale 23
partie de la propagande, sous le Gouvernement révolutionnaire, menait im-
manquablement à des situations catastrophiques dans le domaine économique.
Le rapport sur les manufactures de Lyon donne le ton; l’intervention de l’au-
teur dans le débat sur le maximum poursuit l’analyse et d’autres idées sont
enfin développées au cours des séances de l’École normale. Notons les grands
thèmes.
Vandermonde reprit et développa d’emblée un point fondamental qui avait
été à la base du discours de J. A. Creuzé-Latouche en faveur de la création de
la chaire d’économie politique. Puisque les sociétés contemporaines consistent
en des équilibres socio-économiques complexes reposant sur le bon fonctionne-
ment des marchés, les références constantes aux Anciens, à leurs mœurs et à
leurs institutions ne peuvent qu’induire en erreur et faire prendre des décisions
désastreuses pour tous, engendrant un processus de régression et de misère.
Deux idées-forces permettent d’organiser le propos.
La première est celle d’une opposition irréductible entre le système des
Anciens et celui des Modernes. “Tous les jours”, remarque l’auteur, “on en-
tend comparer les français ou les anglais, les peuples modernes enfin, avec les
peuples anciens. Il n’y en a point aujourd’hui qui ressemblent aux grecs, ni
aux romains, encore moins aux carthaginois [. ..]. C’est un malheur que de
se livrer à de fausses analogies. Je désire que vous vous persuadiez tous qu’il
faut étudier l’état présent, sans songer à l’état passé; il y a trop de difficulté
et de danger à les comparer” (1795b, II, 449). Le conseil est réitéré (ibid.,
457). “Nos nouvelles machines politiques”, insiste Vandermonde, “sont des ou-
vrages compliqués qu’il faut étudier avant de les juger. Elles ressemblent, dans
plus d’un sens, aux ouvrages modernes de l’horlogerie, dont il eût été difficile
aux anciens de se former une juste idée” (ibid., IV, 169). La raison de tout
ceci réside essentiellement dans la complexification de la structure économique
due à l’apparition des “besoins factices” ; ceux-ci ont simultanément permis,
à la longue, la disparition de l’esclavage, la multiplication des inventions en
tout genre et l’enrichissement général. Le lien social passe à présent par la
dépendance mutuelle des individus au travers de leurs besoins et des activités
économiques qui ne peuvent être que marchandes et libres si l’on veut qu’elles
soient efficaces. La satisfaction des besoins, le fonctionnement des marchés
requièrent la propriété privée et la liberté économique32 ; misant sur le jeu des
32. Vandermonde critiqua très sévèrement ceux qu’il appelle les “niveleurs”. “Je crois qu’il
y a eu des hommes passionnés, voulant profiter des erreurs du peuple pour l’asservir, et
Du Conservatoire à l’École normale 24
intérêts privés, elles exigent par là – et amènent progressivement – la liberté
politique, la résistance à la tyrannie et l’adoucissement des mœurs33 : en bref,
elles œuvrent dans le sens de l’intérêt général.
Fortement inspiré de Smith en particulier 34 et adapté aux circonstances
tendues du moment, ce discours général va à l’encontre de bien des idées
politiques révolutionnaires : n’avait-on pas mis l’accent sur le refus du luxe, de
la corruption des mœurs et de la décadence que ce luxe était censé produire, et
n’avait-on pas prôné une nouvelle vertu, ou une vertu régénérée, sur le modèle
spartiate ? Vandermonde insista au contraire sur les “besoins factices”, sur leur
nature, leur rôle et leur importance ; il s’efforça aussi de neutraliser, en quelque
sorte, le mot “vertu”, en lui donnant un sens historique changeant (voir 1795b,
II, 294–95 et 300–301). Ces thèmes forment véritablement l’ossature du cours
et, surtout, des débats car les élèves furent surpris par la tonalité d’un propos
qui allait si franchement à l’encontre des opinions qu’on leur avait inculquées :
“je dois paraître m’écarter encore davantage de la saine morale. Je vous dois là-
dessus quelques explications”, reconnut l’orateur (1795b, II, 292). La question
est sans cesse reprise. La réaction d’un auditeur nommé Moline est caracté-
ristique à cet égard : “Je vous avoue, citoyen professeur, que ces paroles ne
m’ont pas seulement étonné; elles ont brouillé tous mes principes. Ce n’est pas
une nuance, c’est un contraste” (1795c, 353). La longue intervention de Moline
fut très applaudie par l’auditoire. Mais la discussion put néanmoins avancer :
“Ce n’est pas, citoyen professeur, que je veuille ridiculement introduire la vie
et le gouvernement patriarcal” conclut l’élève. “La France compose une grande
nation, célèbre par les sciences et les arts qu’elle cultive. Voici [. ..] sous quel
point de vue j’aurais désiré exposer votre proposition. Je lui aurais donné
la forme d’un problème d’économie politique ; j’aurais dit : soit donnée une
grande nation nouvellement rendue à la liberté, au sein de laquelle les progrès
qu’ils ont pu [. . .] donner au peuple de fausses idées [. ..]. Ces hommes-là étaient, je ne dis
pas seulement méchants, mais [. . .] véritablement extravagants. Il n’y aurait pas de culture,
pas de perfectionnement dans aucun genre, s’il n’y avait pas de propriété, s’il n’y avait pas
de certitude de jouir de ce qu’on aurait acquis, de ce qu’on aurait hérité de ses pères. Je ne
puis pas laisser cette idée sans la couler à fond [. . .]. Quant à l’idée ‘qu’il faut égaliser les
fortunes, qu’il faut qu’il n’y ait pas d’hommes plus riches les uns que les autres’, c’est, selon
moi, le rebours du bon sens” (1795b, III, 151).
33. Voir 1795b, deuxième leçon en particulier ; le thème de l’importance des “besoins
factices” pour le soutien de l’économie affleure dans le rapport (1795a, 2-3) étant donné
la nature des manufactures lyonnaises. Voir aussi les trois séances de débats, 1795c.
34. Vandermonde s’éloigne ici quelque peu de Steuart qui, d’une certaine manière, faisait
quelquefois référence à l’Antiquité.
Du Conservatoire à l’École normale 25
de la révolution se seraient étendus aussi loin qu’ils pourraient aller; trouver le
moyen de faire concourir ses arts, son luxe, et tout ce qui alimente ses besoins
factices à la prospérité nationale ; y diminuer, autant que possible, la tendance
naturelle qu’ont toutes ces choses vers l’effémination” (ibid., 355–56).
L’économie politique devient alors une science indispensable. Impensable
chez les Anciens, elle est consubstantielle à la modernité. “L’objet de cette
science est la théorie des richesses, considérées dans leurs rapports avec la
prospérité publique. Dès le premier pas il faut prendre un parti tranché sur
le but qu’on se propose à cet égard. Si les hommes s’entendaient pour adop-
ter les principes de la saine morale qui attache le bonheur à la modération
des désirs, si la paix perpétuelle était assurée [. . .] ; alors tout l’échafaudage
de l’économie politique moderne s’écroulerait [. . .]. Mais tant qu’il y aura de
grands peuples livrés à la cupidité, tant que la civilisation, le commerce, la po-
litique et l’art de la guerre, y feront de continuels progrès, l’économie politique
moderne sera une science indispensable et pour ces peuples, et pour tous les
autres” (Vandermonde, 1795b, II, 234).
La deuxième idée-force est l’affirmation de l’inexistence de tout système
intermédiaire et donc de la vanité de toute tentative dans ce sens. Il faut
choisir entre le “système patriarcal” et le “système moderne”, il ne faut “point
de système bâtard ; il n’engendrerait que des contradictions”. C’est le système
moderne qui doit rallier les suffrages sous peine d’une régression économique et
sociale et d’un retour en force de l’obscurantisme ; car, dans la logique du choix
inverse, ou de la recherche d’un moyen terme, toute mesure partielle, intermé-
diaire, ou de compromis provoque le déroulement d’un engrenage inéluctable :
“Êtes-vous d’avis de repousser les villes dans les campagnes? Voulez-vous que
tous les hommes soient cultivateurs ? Demandez-vous que leurs moyens de
bonheur soient non seulement égaux, mais qu’ils soient semblables ? Cherchez-
vous à les délivrer des besoins factices, et à dissoudre les liens de leur dépen-
dance mutuelle à cet égard? Ayez de la suite : conseillez franchement de brûler
les bibliothèques, de briser les statues, de déchirer les tableaux, de détruire
les manufactures et ne calomniez point le respectable Jean-Jacques, qui voyait
cette conséquence, et qu’elle n’effrayait pas.” Et l’orateur de conclure : “Si elle
vous arrête, si vous sentez qu’un grand peuple placé sur un sol généralement
fertile, entre des nations policées, ne peut pas être longtemps heureux s’il n’est
fort, et que pour qu’il soit fort, il faut aujourd’hui qu’il soit riche; alors étudions
ensemble” (1795b, II, 235 ; voir aussi 1795c).
Du Conservatoire à l’École normale 26
Des mesures qui pouvaient ressembler à des tentatives d’instaurer un
système intermédiaire, la France en avait connu dans le domaine économique,
avec, notamment, les lois sur le maximum sévèrement critiquées, dans le
rapport, en raison de leurs incohérences. “Fixer à moitié en sus du prix de
1790, des denrées étrangères, ou des objets qui en nécessitent l’emploi, c’était
manifestement les interdire; c’était forcer à la fraude et provoquer l’excès de
renchérissement qui en résulte. Comment nos colonies même eussent-elles pu
nous envoyer leurs indigos au prix du maximum? En, 1790, le fret était à
deux sous et l’assurance à trois ou quatre pour cent ; à présent le fret est à
huit sous et l’assurance à cinquante ou soixante” (1795a, 44–45). Le gouver-
nement peut, en période de crise, intervenir sur les prix : mais cette interven-
tion doit être articulée à la logique de la production marchande, sous peine
de voir les sources d’approvisionnement se tarir. Un prix maximum doit être
juste, c’est-à-dire permettre le remboursement des frais matériels de production
et la rémunération des services producteurs : un tel “juste prix” s’apparente,
selon Vandermonde, au prix naturel de Smith. Les éléments qui entrent dans sa
composition sont cependant si variés que seuls les agents économiques peuvent
le connaître de manière à peu près certaine. “Qu’on nous permette seulement
de remarquer qu’il n’était pas si difficile qu’on le présume, de faire arbitrer
équitablement le juste prix des choses, par ceux même qui en font le commerce ;
ni même de convaincre la masse du peuple de la sincérité de leur estimation.
Il y a des questions complexes dont la solution ne peut pas être renfermée
dans une formule de quatre mots; et ce n’est pas une question simple que
celle du juste prix de tous les objets de consommation. Chaque négociant a les
vrais éléments de la solution particulière qui le concerne, et il n’y avait rien
d’absurde à compter sur la bonne foi des mieux famés d’entr’eux” (ibid., 45).
S’il faut donc surveiller les prix en période de troubles, il faut le faire de manière
souple et en respectant les producteurs 35. Pour la même raison, l’auteur se dé-
clare opposé aux greniers d’abondance, ou greniers publics, dans le commerce
des blés (1795b, IV, 464–65).
35. Voir aussi 1794, article troisième, ainsi que les propos tenus sur les prix dans les
dernières leçons du cours.
Du Conservatoire à l’École normale 27
VIII
Pour autant, Vandermonde ne fut pas un partisan inconditionnel de la liberté
du commerce. Celle-ci, à ses yeux, est strictement nécessaire, mais elle possède
aussi des limites dont le législateur doit être conscient et par rapport aux-
quelles il doit fonder ses interventions dans le domaine économique (tout en
respectant cependant la logique qui préside au bon fonctionnement des mar-
chés). Le domaine du commerce extérieur, qui met en jeu la richesse et la
puissance nationale, le niveau d’emploi du pays36 , est un exemple de point
sensible où le laissez-faire peut se révéler néfaste. C’est là une des raisons pour
lesquelles l’auteur s’opposa aux physiocrates et au traité de commerce qu’ils
firent conclure en 1786 entre la France et l’Angleterre : “Ils ont accrédité le
mot Laissez faire et Laissez passer, sans se douter que le cabinet britannique
et ses souffleurs gagés n’y avaient vu pour nous que le conseil, laissez faire le
mal et laissez passer votre ennemi” (1795a, 6). C’est pourquoi, également, il
s’opposa à G. Filangieri et fit remarquer ses incohérences : “Ce même auteur
s’est déclaré aussi pour la maxime des disciples de Quesnay, laissez faire et
laissez passer ! et cependant il a le bon ton de dire [. . .] : ‘C’est dans l’art de
connaître les cas où l’on doit ordonner, et ceux où l’on doit laisser faire, que
consiste toute la science du gouvernement.’ Ces contradictions font honneur à
sa bonne foi” (1795b, IV, 466-467). La position est réitérée lors du débat sur
le maximum, en décembre 1794 : il est faux qu’il n’y ait rien à redouter de
la “concurrence indéfinie” du commerce, et ceci dans les situations normales
comme dans celles, exceptionnelles, de troubles intérieurs et extérieurs.
À la même époque, le rapport sur les manufactures de Lyon soulignait
d’autres points sur lesquels la doctrine de la “concurrence indéfinie” allait trop
loin. Pour des raisons liées à la formation de la main d’œuvre, et pour les
besoins des débouchés et du commerce, Vandermonde admettait la nécessité
d’une réglementation souple : en conférant des labels de qualité pour les ma-
nufacturiers et les artisans qui auraient souhaité donner un signe extérieur de
reconnaissance et de confiance à leurs produits, les règlements pouvaient main-
tenir la “morale mercantile” en écartant les fraudes manifestes et en protégeant
la propriété industrielle ; ils étaient aussi susceptibles de stabiliser les prix des
marchandises en favorisant une spéculation stabilisatrice (les spéculateurs ne
36. Vandermonde suit une doctrine de la “balance du commerce” dans la version “balance-
travail” exposée, notamment, par Steuart.
Du Conservatoire à l’École normale 28
peuvent agir rapidement et efficacement que s’ils sont certains de la qualité
de la marchandise achetée), et en fin de compte de réguler les revenus des
artisans et manufacturiers et de perpétuer la transmission des savoir-faire et
des techniques. “En général, tout règlement doit cesser avec le temps de conve-
nir à l’état des choses, puisque celui-ci change toujours. Ce n’est point une
raison pour n’en point avoir, c’en est une seulement pour convenir d’un mode
de révision à des époques déterminées” (1795a, 30).
Vandermonde se démarqua enfin également de la plupart des libéraux qui, à
quelques exceptions près comme Creuzé-Latouche, étaient hostiles aux
assignats. Dans son cours, il défendit cette monnaie qu’il présenta comme la
meilleure de toutes dans l’absolu : “je regarde l’assignat comme une grande
découverte, comparable à celle de la boussole et de l’imprimerie” (1795b., II,
455) ; il n’est pas seulement “la monnaie de la révolution, mais [. . .] la meilleure
de toutes ; et ici, et aujourd’hui, et partout, et toujours” (ibid., III, 159). Il
n’ignorait pas, bien entendu, le phénomène inflationniste important induit par
les émissions successives, ainsi que la crise de confiance qu’elles engendrèrent,
perturbant ainsi gravement les mécanismes de l’économie. Dans son rapport,
il avança cependant une explication astucieuse tendant à dégager ce type de
monnaie des accusations portées contre lui et, de façon originale, mit l’accent
sur le rôle des différents agents, de leurs stratégies d’information et d’anticipa-
tions, dans la spirale de la dépréciation du papier-monnaie 37. C’est la défense
des assignats qui poussa Vandermonde à souligner l’importance des écrits de
John Law en qui il voyait leur lointain initiateur, et à conseiller la lecture du
traité de Steuart 38.
La réhabilitation de Law et les références appuyées à Steuart confirment
d’ailleurs, si besoin en était, la tendance interventionniste de Vandermonde.
L’éloge des Principes de 1767 est éloquent : “ce livre [.. .] a été traduit en 1789,
à ma sollicitation. La traduction a été faite par un irlandais qui ne savait pas le
français, mais elle a été revue par un homme de beaucoup d’esprit [. ..]. Steuart
37. Sur ce point comme sur les développements analytiques en général, voir G. Faccarello
1989.
38. “Je voudrais vous citer, à cet égard, les paroles mêmes d’un homme bien décrédité, qui
a été chassé de France et déshonoré pour avoir eu raison. C’est le fameux Jean Law, l’auteur
du trop fameux système, dont il a fallu attendre qu’un Anglais nous dévoilât le secret,
cinquante ans après. Voyez l’histoire que donne Steuart, de notre banqueroute de 1720. Le
petit traité sur les monnaies, publié par Law en 1715, m’a toujours paru un chef-d’œuvre.
Vous y trouverez cette découverte, que je vous ai tant vantée, celle de nos assignats” (1795b,
IV, 462–63).
Du Conservatoire à l’École normale 29
paraît rebutant à celui qui y jette les yeux pour la première fois; il est difficile
à lire : peut-être est-ce une cause du peu de succès qu’il a eu en Angleterre.
J’invite ceux qui veulent approfondir l’économie politique, à se procurer ce
livre, et à ne point se rebuter” (1795b, II, 448). Steuart est d’ailleurs, la plu-
part du temps, préféré à Smith. Revenons par exemple sur le problème des
règlements. Adam Smith, peut-on lire sous la plume de Vandermonde (1795a,
24–5), “a beaucoup déclamé contre les corporations et contre les règlements
d’apprentissage dans les trois derniers livres de son traité sur la richesse des
nations” ; il avait pourtant “remarqué dans son premier livre, qu’au défaut
de corporations légales, il s’en forme de volontaires dont l’effet, dit-il, est le
même 39 contre la libre concurrence. Cette contradiction pourrait seule déceler
l’attention dans laquelle ont été écrits ces derniers livres, si inférieurs aux deux
premiers ; et on ne s’étonnerait plus de l’affectation avec laquelle ils ont été
vantés par des meneurs en France, où le traité de James Steuart sur l’économie
politique, écrit avant cette époque avec tant de force de raisonnement dans des
principes contraires, était demeuré inconnu”.
Quant à l’“homme de beaucoup d’esprit” évoqué par Vandermonde, ce n’était
autre qu’Étienne de Sénovert à qui l’on doit aussi une édition d’écrits de Law
(1790). Les avantages que Sénovert vit à la diffusion des idées de Steuart sont
caractéristiques et traduisent vraisemblablement aussi l’opinion de
Vandermonde : “Le premier sera de convaincre, sans doute, que la révolution
qui s’opère sous nos yeux était dans l’ordre des choses nécessaires : nous de-
vons donc en être d’autant moins alarmés sur les inconvénients inséparables
d’un pareil changement, et convenir que si une administration tout à fait in-
sensée n’eût pas pu l’accélérer de dix ans, la plus éclairée et la plus sage n’eût
pas été capable non plus de la retarder d’autant. Le second avantage sera
de convaincre les bons esprits, qui auront lu avec attention, combien il est
difficile de réduire l’économie politique en système ; ils verront que si les prin-
cipes en administration sont nécessaires, rien, au contraire, n’est plus perfide
que les maximes, dont la raideur ne se plie jamais à aucune des nombreuses
inconstances qui en contrarient l’application. Ces maximes ont l’inconvénient
de favoriser l’ignorance et la paresse sur un sujet qui ne peut s’en accommoder.
Qu’un administrateur généralise ses idées, il le faut ; il donne en cela la preuve
d’un esprit capable d’embrasser, à la fois, un grand nombre de combinaisons,
et il place, en même temps, chaque fait dans la classe à laquelle il appartient :
39. Vandermonde tente même de prouver que cet effet est pire (1795a, 25–7).
Du Conservatoire à l’École normale 30
mais il s’égarerait bientôt si, perdant de vue les circonstances collatérales, il
prenait pour la réalité ce qui n’est que l’opération de son esprit. Que serait-ce
encore si, au lieu de suivre les maximes que sa propre méditation a pu lui
fournir, il recevait aveuglément celles des autres?” (1789, ix–xi).
IX
Certains aspects purement analytiques du cours de l’École normale doivent éga-
lement être soulignés. Nous avons développé ailleurs les plus intéressants40 :
contentons-nous, ici, de reprendre très brièvement quelques points. Premier
aspect remarquable : une conception purement théorique de l’économie poli-
tique, détachée a priori de toute préoccupation statistique et préfigurant, de
manière étonnamment moderne, ce que nous appelons aujourd’hui un modèle
théorique. “Le professeur d’économie politique ne doit même traiter son su-
jet que d’une manière abstraite”, note Vandermonde. “Les applications à tel
pays, à telle époque, à telle circonstance, exigent des connaissances de détail
qui ne sont pas de son ressort. Il lui suffit de montrer combien le résultat
des principes doit varier selon les hypothèses, et de faire sentir les difficultés
que doivent éprouver le législateur et l’administrateur instruits, pour adopter,
dans chaque circonstance, la conclusion qui se déduit de la combinaison des
principes. On peut assimiler nos résultats généraux à des formules analytiques
qui renferment une multitude d’indéterminées; les solutions dépendent de la
substitution des nombreuses données, nécessaires pour parvenir à l’applica-
tion” (ibid., 237–38). L’économie politique est donc dissociée des statistiques,
c’est-à-dire de l’arithmétique politique au sens traditionnel du terme, cette
dernière discipline paraissant encore comme bien trop incertaine et n’offrant le
plus souvent que des résultats contradictoires 41. Accessoirement, c’était aussi
là douter des tentatives de Lavoisier ou de Lagrange dans ce domaine, par
exemple, et prendre parti contre les physiocrates et leur prédilection pour les
calculs empiriques ou prétendus tels qu’ils présentaient non seulement comme
40. En matière de théorie monétaire et de statut des différentes sortes de capitaux en
particulier. Les développements sur le droit de propriété sont aussi intéressants, ainsi que
ceux qui développent l’idée selon laquelle il existe des “justes fortunes” tout comme il y a
des “justes prix”. Ils ne sont cependant pas très originaux et beaucoup de partisans de la
liberté du commerce partagèrent ces idées.
41. Vandermonde 1795b, II, 457 ; voir aussi 1795c, I, 306–7.
Du Conservatoire à l’École normale 31
des illustrations, mais aussi comme des preuves à l’appui de leur démarche
théorique et de leurs propositions de politique économique.
Une autre innovation du cours d’économie professé à l’École fut, elle,
promise au plus bel avenir et révolutionnait quelque peu la discipline. Les
physiocrates pensaient que le surplus dégagé chaque année dans l’économie, le
produit net, prenait son origine dans le seul secteur agricole, et en tiraient non
seulement d’importantes conclusions au plan de la théorie et de la politique
économiques mais aussi de leur doctrine politique tout court, en hiérarchisant
les différents types de propriétés et en donnant la prééminence au seul proprié-
taire foncier. Smith réagit contre le fait de ne considérer que la terre comme
“productive” ; selon lui, tout travail effectué dans un secteur quelconque était
à l’origine du produit national (pour utiliser une expression moderne). Mais il
subsistait encore des ambiguïtés dans sa doctrine et il semble bien que seul le
travail qui se trouve à l’origine de produits matériels ait été considéré par lui
comme productif. Vandermonde franchit un pas décisif : peut-être influencé
par une tradition française qui mettait au premier plan le rôle des sensations
et de l’utilité au même titre que des coûts dans l’explication des prix et le jeu
de l’offre et de la demande, il déplace le problème de la productivité du travail
et de l’origine du revenu national en soulignant que seule importait, précisé-
ment, la production de services, d’utilité, quel que soit son support (matériel
ou immatériel) et sa destination.
L’innovation est de taille, mais il est vraisemblable que, comme pour ses
découvertes dans le domaine mathématique, Vandermonde ne se rendit pas
véritablement compte de l’importance de ses propos : d’autres, et en premier
lieu Jean-Baptiste Say, recueillirent l’héritage et le firent fructifier. La façon
par laquelle Vandermonde introduisit son innovation est d’ailleurs fort caracté-
ristique : une manière latérale, conséquence de considérations plus politiques.
Car si Vandermonde refusa finalement toute distinction entre travail
productif et improductif, c’est en se fondant sur le principe de l’égalité des
hommes entre eux, inscrit en tête de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen. Cette égalité concentre en effet l’attention sur l’homme, son travail,
le service qu’il rend à un autre homme et à la société : tous les services sont
donc, par nature, équivalents ; tout revenu issu d’une telle activité en constitue
la contrepartie. “Quant aux revenus” souligna Vandermonde, “ma façon de voir
est peut-être un peu bizarre, mais vous m’avez promis de l’indulgence. On les
a beaucoup distingués ; ces distinctions sont bonnes : mais je crois plus utile
Du Conservatoire à l’École normale 32
de les montrer sous un seul point de vue. Je les attribue à une source unique.
Ils proviennent des équivalents obtenus par des services rendus “ (1795b, II,
458). Ce point est important, y insista l’auteur, même si le propos est inhabi-
tuel. “Un propriétaire tire un revenu de sa terre; un chanteur tire un revenu de
son talent; voilà deux espèces de revenus, dont l’origine paraît très différente;
selon moi, elle est la même” (ibid., 458–59). Vandermonde développa alors son
exemple afin qu’aucune ambiguïté ne subsiste dans l’esprit de ses auditeurs :
“Je suis cultivateur; un propriétaire me loue sa terre ; je lui paie un prix de
bail ; qu’est-ce que cela? Il me prête son droit de cultiver ; c’est un service
qu’il me rend, et je lui en donne l’équivalent. Je suis un chanteur; vous aimez
la musique; je vous fais passer une heure agréable ; vous me payez : c’est un
équivalent pour le service que je vous ai rendu.” Cette analogie entre l’agri-
culteur et le chanteur, ajouta-t-il, “est bonne à remarquer par des républicains
qui ont établi l’égalité” (ibid., 459).
X
Vandermonde occupa à l’École normale la première chaire publique d’économie
politique en France. Certains cours avaient bien eu lieu auparavant, au Lycée
notamment, mais il s’agissait là d’enseignements privés. L’an III parut donc
marquer un tournant décisif à cet égard. Malheureusement, l’embellie ne fut
que de très courte durée et l’histoire de l’enseignement de l’économie politique
demeura, pour longtemps, extrêmement chaotique42 , toujours liée à des enjeux
institutionnels et politiques. Dans la longue série d’événements qui aboutit, fort
tard, à l’institutionnalisation de la matière comme discipline académique dans
les Universités, le Conservatoire des arts et métiers joua un rôle non négligeable.
D’une certaine manière, il n’est pas faux de dire que cette institution fut un
premier refuge véritable pour le témoin transmis par notre géomètre. Il n’est
sans doute pas inutile d’en dire deux mots en conclusion.
Le cours de Vandermonde, et donc les idées novatrices qu’il comporte, fut
imprimé et distribué aux élèves; il fut également inclus dans les recueils édités
et réédités par la suite. Mais, dans l’immédiat, il inspira aussi certains ensei-
gnements dans les Écoles centrales qui venaient d’être créées lorsque l’École
42. Outre les articles de H. Baudrillart (1873) et A. Courtois (1892), déjà cités, des
contributions classiques sont celles de L. Reybaud (1864), A. Liesse (1901), É. Levasseur
(1905) et M. Marion (1932). Les études sur le sujet ont été reprises et approfondies récem-
ment (voir particulièrement L. Le Van-Lemesle, 1980 et 1986).
Du Conservatoire à l’École normale 33
normale ferma ses portes. Beaucoup d’élèves, de retour de Paris, devinrent
professeurs dans les nouveaux établissements, et, dans leur tâche, s’inspirèrent
naturellement des cours qui leur avaient été dispensés.
Bien sûr, l’économie n’était pas une matière prioritaire et l’on sait, par
exemple, que les cours les plus fréquentés étaient ceux de dessin, puis ceux de
sciences. Mais son enseignement avait été prévu 43 dans l’ensemble des cours
proposés, et c’était déjà un point important ; il avait sa place dans l’enseigne-
ment de “législation”44 , comme le rappelle encore une circulaire du Ministre de
l’intérieur en l’an VII, cours qui devait venir couronner les études des élèves.
Mais il est aussi bien connu que, dans le type d’enseignement à la carte offert
par les Écoles centrales, les professeurs faisaient souvent ce qu’ils voulaient.
Selon les témoignages retrouvés par G. Coirault (1940) pour le Centre-Ouest
de la France, les attitudes variaient grandement d’une école à l’autre et, lors-
qu’elles étaient favorables à l’étude de l’économie politique, elles n’étaient
pas toujours comprises des élèves ou de l’entourage académique. À Saintes,
note G. Coirault, “le citoyen Maublanc, selon un rapport du jury d’instruc-
tion de l’an VI, prétend n’enseigner que l’économie politique. . . Le jury s’en
indigne [. ..]. Aussi, le jury propose de déclarer Maublanc incapable !” (1940,
331–32). À Limoges, l’économie est favorablement accueillie et le titulaire de
la chaire peut écrire : “Si les vérités économiques avaient été plus généralement
répandues parmi nous, le hideux vandalisme n’aurait pas exercé ses ravages
sur le territoire français ; le papier-monnaie n’aurait jamais excédé la masse
de un milliard. Nous n’aurions jamais entendu parler non plus de la ‘loi du
maximum’, loi désastreuse, chef d’œuvre d’ineptie, plus digne d’un sauvage
ivre que des mandataires d’un peuple civilisé !” (cité par Coirault, ibid., 332).
Nous possédons aussi le témoignage précieux et direct d’un élève de
Vandermonde, Jacques Berriat Saint-Prix, professeur de législation à l’École
centrale de l’Isère. Répondant au vœu du Ministre de l’intérieur qui invitait
les professeurs de législation à faire des cours séparés, notamment d’écono-
mie politique, J. Berriat Saint-Prix annonce l’ouverture d’un tel cours et son
discours-programme est immédiatement publié par Rœderer dans le premier
tome des Mémoires d’économie publique, de morale et de politique (J. Berriat
Saint-Prix, 1799). La lecture de ce discours est saisissante : beaucoup de thèmes
43. Après, certes, quelques péripéties (G. Faccarello 1989, 85–6).
44. Enseignement véritablement nouveau par rapport à celui des anciens collèges. Voir par
exemple Coirault 1940, 325–34.
Du Conservatoire à l’École normale 34
traités par Vandermonde s’y retrouvent, tout comme quelques exemples spé-
cifiques ou encore les auteurs cités en référence. Le cas, peut-être, est isolé :
il n’en est pas moins symptomatique. Au demeurant, ce type de thème était
aussi d’actualité et quelques accents semblables à ceux de Vandermonde se
retrouvent, par exemple, dans l’introduction de l’Abrégé de Germain Garnier
(1796) et, plus tard, dans les cours que Rœderer donne de nouveau au Lycée
(Rœderer, 1800-1801).
Chez Rœderer, cependant, l’interventionnisme de Vandermonde n’est pas de
mise et c’est la tradition issue de Turgot qui est maintenue. C’est
précisément cette tradition que poursuivit Jean-Baptiste Say lorsqu’il aborda,
à son tour, l’économie politique dans son Traité de 1803, dans ses cours à
l’Athénée puis au Conservatoire des arts et métiers et, de manière fort brève,
au Collège de France : mais une tradition naturellement enrichie des débats
révolutionnaires et des idées de Vandermonde. Say ne cite pas volontiers les
auteurs dont il s’inspire; de nombreuses pages, cependant, sont très caracté-
ristiques de l’héritage qu’il assume. Le premier écrit conséquent : Olbie (1800),
le “Discours préliminaire” du Traité, certains chapitres de ce traité, ou en-
core un texte non daté : Erreurs où peuvent tomber les bons auteurs qui ne
savent pas l’économie politique, charrient et synthétisent, dans un cadre stric-
tement libéral, bien des thèmes abordés de front par Vandermonde. Le cours
de l’an III marqua donc une étape importante. Et c’est tout particulièrement
la reprise et le développement systématiques de la nouvelle théorie du travail
productif énoncée dans les leçons de l’École normale, l’accent exclusif placé
sur la production d’utilité par les différents types de services, qui conférèrent
originalité et modernité à l’économie politique française, à partir de Say, jus-
qu’à son nouveau point de cristallisation, quelques décennies plus tard, chez
Léon Walras.
Annexe – Le programme du cours d’économie politique
(Vandermonde, 1795b, II, 235–37)
I. Occupons-nous de la nature, de la formation et de la distribution des
richesses; recherchons les principes de la valeur et du prix des objets,
ainsi que du rapport entre la valeur des produits bruts et celle des mêmes
produits quand ils ont reçu toutes leurs façons ; considérons la population
et les suites de son accroissement; traitons des principes politiques de
l’agriculture, et du commerce des grains ; examinons enfin succinctement
les parties de l’instruction publique qui sont relatives à tous ces objets :
car cette instruction est aussi un principe de richesse.
Du Conservatoire à l’École normale 35
II. De là nous passerons aux considérations sur l’industrie et le
commerce, et nous développerons ce que nous aurons été forcés d’en dire
auparavant ; nous insisterons particulièrement sur la vogue et la mode,
article sur lequel les auteurs paraissent avoir glissé trop légèrement ; nous
traiterons du monopole nature et du monopole légal ; des corporations
et des privilèges exclusifs ; des règlements de fabrique et de commerce;
des gratifications et encouragements; des inventions dans les arts, et
particulièrement des machines. Nous nous occuperons enfin du commerce
extérieur, et de la balance du commerce.
III. Les contributions publiques fixeront ensuite notre attention; nous
examinerons particulièrement l’impôt territorial, et un autre genre
d’impôt qui serait perçu par les marchands en détail.
IV. De là nous serons conduits à traiter du crédit public et des ressources
qu’il procure, de la circulation, du taux de l’intérêt, et de l’agiotage.
V. Nous nous occuperons enfin de la monnaie, du numéraire et des
assignats, des changes étrangers, des banques de différentes natures, des
opérations de finances, des dettes nationales et des violations de la foi
publique.
C’est là que nous bornerons nos recherches : et cependant cette vaste
carrière n’épuise pas la science de l’économie politique.
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séance du 23 ventôse, ou 13 mars 1795; et pp. 437–45 : 3 germinal ou 23
mars), au tome IV (pp. 168–80 : 13 germinal ou 2 avril; et pp. 452–71 : 23
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9.)