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Author’s Accepted Manuscript. Introductory chapter. Published as: Speedy, K. 2007.
Colons, Créoles et Coolies: L'immigration réunionnaise en Nouvelle-Calédonie (XIXe siècle)
et le tayo de Saint-Louis. Paris : L'Harmattan. Préface de Bernard Brou. ISBN : 978-2-296-
03575-1
Karin SPEEDY
Colons, Créoles et Coolies : l’histoire de l’immigration
réunionnaise en Nouvelle-Calédonie au dix-neuvième siècle et ses
implications pour le développement du tayo de Saint-Louis
Préface de Bernard Brou
Collection Lettres du Pacifique
L’Harmattan
1
Introduction
Afin de comprendre la genèse d’une langue créole donnée, une étude approfondie de
l’histoire sociale de la communauté créolophone qui se sert de cette langue est primordiale.
1
Cette
notion est répandue dans le domaine de la créolistique depuis la publication en 1974 de la thèse de
Robert Chaudenson, Le lexique du parler créole de la Réunion, dans laquelle il déclare :
[ . . . ] nous ne pensons pas qu’il soit possible de s’interroger sur la genèse d’un parler
sans prendre la précaution de rechercher aussi exactement que possible d’où venaient
les hommes qui l’ont fait naître et quelles langues ils parlaient (Chaudenson, 1974, p.
xi).
Les recherches ont amené Chaudenson à formuler plusieurs hypothèses sur l’évolution et le
développement des vernaculaires créoles. Ses théories ont beaucoup influencé le travail de la plupart
des créolistes de notre époque (cf. Chaudenson 1979, 1992, 1995, 2003).
D’abord, cet auteur a proposé de distinguer les parlers « endogènes », qui se sont formés dans
des territoires où la population indigène a été colonisée, des parlers « exogènes », nés dans des
sociétés coloniales, souvent insulaires, ayant une population (noire et blanche) d’immigrés. Étant
donné que la plupart des langues créoles sont exogènes, issues des colonies ayant une histoire
socioéconomique basée sur l’esclavage, Chaudenson, tout comme les autres créolistes, utilise ce type
de société comme modèle pour l’élaboration de ses théories.
Chaudenson souligne qu’au début de toute colonisation exogène, les Blancs sont
généralement plus nombreux que les Noirs et que ces derniers, parlant une variété de langues, se
trouvent obligés d’apprendre la langue de leurs maîtres afin de communiquer avec ceux-ci dans le
cadre du travail. Dans le cas des colonies françaises, cette langue dominante consiste en plusieurs
« variétés populaires de parlers d’oïl [ . . . ] du XVIIème et du XVIIIème siècles » (Véronique, 1997,
p. 194). Lors de cette première phase de colonisation qu’il désigne comme « société d’habitation »,
caractérisée par de petites exploitations agricoles (les habitations) ayant peu d’esclaves, les Noirs sont
intégrés à la famille blanche. Ainsi les Noirs et les Blancs entretiennent des contacts très étroits. Les
maîtres et leurs esclaves travaillent côte à côte aux champs et les unions inter-raciales, officielles ou
officieuses, sont nombreuses, entraînant un rapide métissage de la population. Contrairement à ce que
certains créolistes comme Robert Hall Jr. (1966) ont prétendu, pour Chaudenson ce genre de situation
ne conduit nullement au développement d’un pidgin.
2
Il soutient plutôt que :
[ . . . ] le système de communication colonial de cette première phase est organisé de
façon centripète, en direction d’un français
3
qui est l’idiome usuel et/ou la langue-
cible de tous. On est donc en présence d’un ensemble concentrique de variétés
approximatives de français ; les plus éloignées du centre (le français) consistent dans
le « jargon des commençans » (Mongin) que parlent les nouveaux-arrivants ; les plus
proches du français sont pratiquées par des esclaves créoles ou créolisés qui, selon le
témoignage du même Mongin, pourraient parfois enseigner le français à bien des
Français ! (Chaudenson, 2003, p. 99, c’est lui qui souligne).
4
1
Ce sont les circonstances sociohistoriques du développement des langues créoles qui constituent le facteur le plus important
distinguant la créolisation des autres types de restructuration comme, par exemple, celles que l’on voit dans des variétés de
langues européennes en Amérique du Nord ou en Inde (Mufwene, 1996a, pp. 5-6).
2
Selon Hall Jr. la créolisation est synonyme de « nativisation ». Pour lui, avant que la créolisation puisse avoir lieu, il faut
qu’un pidgin se développe comme langue de communication d’une communauté plurilingue. Lorsque ce pidgin est adopté
comme langue maternelle par un groupe de locuteurs de cette communauté, lorsqu’il est « nativisé », il devient alors un
créole. Ce concept a joui d’une vogue dans le domaine de la créolistique pendant une trentaine d’années.
3
Il faut comprendre que le « français » dont il parle est une koinè française d’oïl « marquée par des traits et des emprunts
dialectaux nombreux, mais aussi par des évolutions structurelles déterminées par les tendances autorégulatrices de la langue.
Ces évolutions étaient rendues plus efficientes par l’absence de pression normative et les situations de communication
partiellement exolingues » (Chaudenson, 2003, p. 188).
4
Mongin est le Révérend Père Mongin qui a écrit en 1679 « Lettres du Révérend Père Mongin : l’évangélisation des
esclaves au XVIIe siècle », texte établi et annoté par M. Chatillon, Bulletin de la Guadeloupe, 61-62, 3e et 4e trimestre, 1984,
cité in Chaudenson (2003).
2
La deuxième phase de colonialisation, « la société de plantation », est une période dans
laquelle le système économique dépend d’une vaste unité de production. Les cultures comme la canne
à sucre ou le café nécessitent une main d’œuvre nombreuse et, par conséquent, la colonie commence
l’importation massive et constante d’esclaves parlant diverses langues. L’évolution du schéma
économique veut dire que ces nouveaux-venus ou « bossales » n’ont pas le même contact avec le
maître, et donc avec la langue-cible, en l’occurrence le français koinè, qu’avaient leurs confrères
pendant la phase d’habitation. Ce sont plutôt avec les esclaves créoles
5
qu’ils ont affaire et la variété
approximative de français de ces derniers devient leur langue-cible. Chaudenson nous donne plus de
détails :
Tout apprentissage d’une langue étrangère consiste dans la mise en œuvre de
stratégies d’approximations de la langue-cible et dans la constitution de « grammaires
approximatives », successives et provisoires [ . . . ]. Or, ces bossales de la phase II ne
vont pas avoir pour langue-cible le français, comme l’avaient ceux de la phase I qui
vivaient en interaction constante avec des francophones, mais la périphérie [ . . . ] [
d’ ] un état de langue qui consiste déjà lui-même dans des approximations du
français. Le phénomène essentiel est donc, on le comprend, un passage à la
puissance de l’approximation du français, une approximation au carré qui me
paraît être le véritable moment et lieu de la créolisation : l’autonomisation de ce
système approximatif par rapport au français (Chaudenson, 1992, p. 121, c’est lui
qui souligne).
Ce n’est donc qu’avec le développement de la société de plantation qu’une langue créole apparaît.
Chaudenson a aussi forgé la notion de « générations » de parlers. Un parler de première
génération est un parler qui se forme dans une colonie donnée sans l’influence des parlers de
populations venues d’une autre colonie. Le bourbonnais (ancien parler de l’île de la Réunion) ou
l’ancien créole de Saint-Christophe sont deux exemples de parlers de première génération. Afin
d’accélérer l’installation de l’infrastructure et de faciliter le développement économique d’une
colonie, des colons expérimentés, venant de colonies plus anciennes, étaient encouragés, parfois
financièrement, à s’établir dans des colonies plus jeunes. Ces colons avaient comme rôle d’instruire
ceux qui étaient récemment venus d’Europe en leur transmettant leur expérience du climat, du terrain
et des conditions de la région et en leur enseignant les techniques de défrichement, de culture etc. Ils
le faisaient, bien évidemment, dans leur idiome local, un parler qui contribuera à la genèse d’un parler
de deuxième génération. Chaudenson prend comme exemple le bourbonnais (parler de première
génération) qui aurait influencé le mauricien (deuxième génération) qui, à son tour, aurait joué un rôle
dans le développement du seychellois (troisième génération).
Bien qu’il ne nie pas l’apport des langues parlées par les esclaves à la formation d’une langue
créole, Chaudenson privilégie la thèse que « l’essentiel du matériau linguistique vient du français
d’origine » (Chaudenson, 2003, p. 170), c’est-à-dire que la plupart des traits présents dans un créole
peuvent être attribués à des restructurations des variétés de la langue-cible.
Comme Chaudenson, Philip Baker est un créoliste qui a exercé une grande influence sur la
théorie de la créolistique en s’appuyant sur l’importance des recherches sociohistoriques des
territoires créolophones. Son ouvrage, Isle de France Creole : affinities and origins, écrit en
collaboration avec Chris Corne est peut-être le livre le plus cité par ceux qui voient dans la
créolisation un plus grand rôle pour les « substrats » ou les langues des esclaves. Dans ce livre, Baker
et Corne émettent l’hypothèse que les différences entre le réunionnais et le mauricien s’expliquent par
l’histoire sociale respective de chacune de ces îles. Prenant le contre-pied de Chaudenson, ils
soutiennent que les Bourbonnais n’étaient pas, ou très peu, présents à Maurice au début de sa
colonisation et qu’il est donc impossible que le mauricien soit un parler de deuxième génération.
Pour expliquer le processus de créolisation qui amène à des différents parlers créoles, c’est-à-
dire pourquoi certains créoles sont plus proches de la langue européenne ou « lexificatrice » et
d’autres sont plus éloignés, Baker a formulé une hypothèse dite d’« événements » dans laquelle il
5
Les esclaves créoles sont ceux qui sont nés dans la colonie.
3
attribue un rôle décisif à trois événements démographiques dans l’évolution d’une société et donc
d’une langue créole (Baker 1984, Baker et Corne 1987). Ces événements sont déclenchés :
1. lorsque le nombre d’esclaves a dépassé le nombre de membres de la « classe
dirigeante » ;
2. lorsque le nombre d’esclaves nés sur place a dépassé le nombre de membres de la
classe dirigeante (nés à l’étranger et/ou nés localement) ;
3. lorsqu’ont cessé les arrivées régulières d’esclaves immigrants
(Baker et Corne, 1987, p. 74).
Cette hypothèse, à la différence de celle de l’approximation du français de Chaudenson,
propose que le nombre élevé de langues des esclaves aient pu être un facteur important dans le
développement des langues créoles dans les territoires où les locuteurs d’une langue ou même d’un
groupe de langues serviles formaient une majorité à l’époque où la langue créole était en voie de
stabilisation. Autrement dit, plus les langues des esclaves étaient homogènes, plus leur apport à la
langue créole émergeante aurait été important (cf. aussi Singler, 1993). De plus, selon cette théorie,
c’était les enfants des esclaves qui étaient les principaux agents de créolisation.
En donnant aux enfants ce rôle significatif, Baker se base sur l’hypothèse du
« bioprogramme » langagier de Derek Bickerton (1981, 1984), théorie « universaliste » qui privilégie
le rôle des enfants dans l’élaboration d’un créole au moyen d’une faculté humaine pour les langues
qui leur permet, de façon naturelle, de « réparer » une interlangue ou un « pidgin ».
Baker postule, grosso modo, qu’avant l’événement 1 personne n’avait comme langue
maternelle un créole. Bien qu’il suppose que les enfants des esclaves apprenaient à la fois les bases de
leurs langues ancestrales et le pidgin utilisé comme langue de relation et, comme ce pidgin était
linguistiquement très pauvre, qu’ils employaient les règles grammaticales du « bioprogramme » afin
de réparer ou de faire de ce pidgin une langue créole, il pense que tant que la classe dirigeante restait
majoritaire, les pressions sociales faisaient qu’en grandissant ces enfants ont été obligés d’abandonner
ce créole pour acquérir la langue dominante.
Entre l’événement 1 et l’événement 2, le nombre croissant d’esclaves par rapport à celui de la
classe dirigeante entraîne une exposition bien moindre des esclaves nés dans la colonie à la langue
dominante. Par conséquent, à l’âge adulte, ils avaient moins de chances d’acquérir cette langue et ils
parlaient plutôt une variété contenant plus de traits créoles dérivés du « bioprogramme ». Ainsi, un
continuum entre le créole émergeant et la langue de la classe dirigeante s’est développé. Plus les
années passaient, plus « le pôle créole du continuum se voyait [ . . . ] progressivement favorisé au
détriment du pôle français » (Baker et Corne, 1987, p. 75).
6
Une fois que le nombre d’esclaves créoles a dépassé celui des bossales, le parler auquel ces
nouveaux-venus étaient de plus en plus exposés est le créole émergeant des esclaves nés dans la
colonie. Le pidgin des bossales se basait donc sur le créole plutôt que sur la langue des maîtres. Si les
importations importantes des bossales continuaient pendant les années après l’événement 2, une
rupture dans le continuum se produirait et une langue créole homogène en serait le résultat. Ceci
aurait été le cas à l’île Maurice. Par contre, si l’événement 3 avait lieu peu de temps après
l’événement 2, et que par conséquent le nombre de locuteurs de pidgin était réduit, le développement
d’une langue créole homogène serait renversé, voire empêché, et le continuum linguistique pourrait
survivre, comme nous voyons à la Réunion.
Dans le schéma de Baker, ainsi que dans ceux de Chaudenson, les langues des maîtres, puis
celles des esclaves créoles constituent des langues-cibles. Ainsi, la formation d’une langue créole
implique que la population servile a échoué quelque part dans son acquisition de la langue de la
classe dirigeante. Baker, depuis les années 1990 (cf. Baker 1990, 1992, 1993, 1994, 1995) a donc
rejeté cette notion de langue-cible en faveur de son hypothèse « créativiste ». Il la décrit de la façon
suivante :
Mettant en doute la validité même de la notion de « langue-cible » dans le
développement du pidgin et du créole, je suggère que des personnes venues d’une
6
Ceci se fait l’écho au « français zéro » de Chaudenson.
4
grande variété de milieux ethnolinguistiques, obligées de vivre et de travailler
ensemble – esclaves, propriétaires d’esclaves, et autres individus n’appartenant ni à
l’une ni à l’autre de ces catégories – pourraient bien avoir eu pour but réel, sinon
inconscient, de créer un moyen de communication interethnique (MCI). Autrement
dit, les pidgins et créoles représentent la réussite positive de sociétés polyglottes qui
s’appuient sur la totalité de la gamme des ressources linguistiques à leur disposition,
plutôt que la malheureuse conséquence d’un apprentissage linguistique bâclé ou d’un
entretien langagier loupé (Baker, 1992, p. 1).
7
À l’encontre de l’hypothèse d’événements, l’hypothèse créativiste ne privilégie pas le rôle des
enfants dans le processus de créolisation. Ce sont plutôt tous les membres d’une société plurielle qui y
contribuent en utilisant « la gamme complète des sources à leur disposition et en innovant » afin de
« résoudre un problème de communication » (Baker, 1992, p. 13).
8
La polémique entre les vues de Chaudenson, dites « superstratistes » et celles de Baker forme
la base des débats théoriques sur la genèse du tayo. Chris Corne, le chercheur qui a effectué la plupart
des recherches sur le tayo,
9
a été fortement influencé par les idées de Baker. C’est l’hypothèse
créativiste qu’il évoque le plus souvent dans ses travaux sur cette langue. Selon lui, les Mélanésiens
de Saint-Louis étaient motivés à créer leur langue créole afin de répondre aux « besoins
communicatifs à l’intérieur du village, entre habitants de langue ancestrale différente » (Corne, 2000a,
p. 66).
La langue vernaculaire du village de Saint-Louis en Nouvelle-Calédonie, le tayo, est le seul
créole français du Pacifique. Les circonstances de sa genèse sont différentes, à première vue au moins,
de celles des anciennes colonies esclavagistes. Tout d’abord, il n’y avait pas d’esclavage à Saint-
Louis qui était, dès le début, une mission catholique. Grâce aux recherches de Chris Corne et de
Sabine Ehrhart (1992, 1993), nous sommes assez bien informés sur l’histoire de l’implantation des
Kanak
10
à Saint-Louis. En 1860, les Maristes avaient établi la mission à Saint-Louis à 15 kilomètres
de la capitale Nouméa et ils ont ensuite fait venir des Mélanésiens, convertis catholiques et leurs
familles, pour fonder un village sur leurs terres. Ces Mélanésiens, venant de régions différentes,
parlaient des langues diverses. D’abord, il y avait les Touho qui étaient locuteurs de cèmuhî et les
Kanak de Yahoué, du Mont-Dore, de l’île Ouen et de Païta qui parlaient des langues du groupe de
l’Extrème-Sud ; le drubéa et le numèè. Puis, à partir de 1880, à la suite de l’insurrection Kanak, il y
avait des réfugiés de Bouloupari, locuteurs du xârâgurè et du xârâcùù, qui se sont installés dans le
village.
11
En 1923, le développement du village en quatre quartiers reflétait les origines tribales et
linguistiques des Kanak : St-Paul (cèmuhî), St-Thomas (drubéa), St-Jean (numèè) et St-Tarcicius
(xârâgurè et xârâcùù).
La mission comprenait des écoles et des internats pour les filles et les garçons mélanésiens et
métis, une église, une école de catéchistes tertiaires et un séminaire. Contrairement à l’objectif initial
de leur formation religieuse (le retour comme missionnaire dans leur tribu d’origine), en grandissant
les élèves des écoles de la mission avaient plus tendance à s’installer dans le village. Selon les
témoignages recueillis par Ehrhart (1993), les filles de l’école de la mission, la plupart d’origine mixte
Kanak-européenne, parlaient, très bien le français. Ces filles se mariaient souvent avec les hommes
mélanésiens venus des tribus diverses, formant les couples de la première génération. D’après Corne
(2000a), les enfants de ces couples avaient une mère « francophone », qui servait comme interprète
quand il fallait communiquer avec l’administration, et un père qui parlait une langue mélanésienne
ancestrale et une variété pidginisée du français.
7
Pendant les années 1990, les hypothèses de Baker ont inspiré le travail sur les genèses des créoles divers. Voir, par
exemple : Speedy (1994, 1995, 2002), Jennings (1995), Parkvall (2000).
8
Voir aussi : Baker (1994, 1995).
9
Voir : Corne (1989, 1990a, 1990b, 1991, 1993, 1994, 1995a, 1995b, 1997, 1998, 1999, 2000a, 2000b, Ehrhart-Kneher et
Corne, 1996). Sabine Ehrhart a écrit le seul livre sur le tayo (cf. Ehrhart, 1993). Cependant, comme son ouvrage a un but
descriptif, à la fois linguistique et sociolinguistique, elle n’y entre pas trop dans une analyse théorique de la genèse de ce
parler.
10
Dans cet ouvrage, j’emploie l’adjectif invariable en nombre et genre « Kanak » et le nom invariable en nombre et genre
« Kanak ».
11
Selon l’hypothèse de John McWhorter (1999), un créole s’est formé à Saint-Louis parce qu’il y avait plus d’un substrat
qui se parlaient dans le village.
5
Parallèlement à leurs activités religieuses, les Maristes ont fait de Saint-Louis un centre
agricole important. On y cultivait le riz, la canne à sucre et les légumes et les Maristes y ont fait
construire une scierie et une sucrerie.
12
Ces activités ont attiré des travailleurs d’origines diverses y
compris des Néo-Hébridais, des bagnards, des Indiens en provenance de la Réunion et des Javanais.
Le contact que les Kanak de Saint-Louis avait avec ces groupes de travailleurs ou avec les
colons du voisinage n’intéressait point Corne qui voyait dans le tayo une langue d’inspiration Kanak.
Pour lui, c’était les besoins de communication au sein du village qui ont motivé la création du tayo car
les Kanak de Saint-Louis :
(i) ne partageaient pas au début une langue commune mais au contraire parlaient des
langues mutuellement inintelligibles ;
(ii) ont tous été exposés au français, à des degrés différents selon leur situation
personnelle ;
(iii) avaient quelquefois une mère francophone ;
(iv) avaient presque dès le départ besoin de communiquer entre eux (et
accessoirement avec des francophones) (Corne, 2000a, p. 66).
En tirant son inspiration de l’hypothèse d’événements de Baker et en utilisant le tayo comme
modèle,
13
Corne a formulé sa propre théorie pour expliquer la genèse des créoles et d’autres langues
de contact :
[ . . . ] pour les langues dites « créoles » mais aussi pour d’autres cas (tels que le
mitchif au Manitoba ou certains pidgins du Pacifique comme le bislama), on peut
toujours dire qu’avant telle ou telle date, telle ou telle langue n’existait pas, alors
qu’après telle autre date son existence ne fait pas de doute. Ainsi peut-on affirmer
qu’avant 1860, date de l’implantation permanente de la mission de Saint-Louis, il n’y
avait pas de nouvelle langue, alors que le tayo (pas encore connu, semble-t-il, sous
cette appellation) était devenu la langue « maternelle » (L1) des enfants nés à Saint-
Louis à partir de 1910 environ. Il semble acquis que c’est la première génération née
à Saint-Louis qui constitue la charnière, au sein de cette première cinquantaine
d’années, entre les langues ancestrales et la stabilisation (relative) de la nouvelle
langue. On comparera ces quelques cinquante ans (trois générations : G1 – les
immigrants, langues ancestrales, pidginisants du français ; G2 – la première
génération née sur place, langues ancestrales et nativisation du pidgin ; G3 – leurs
enfants monolingues) à la lente évolution sur plusieurs siècles du latin vulgaire en
gallo-romain puis en ancien français. Ce qui constitue une des différences majeures
entre ces deux cas de figure, c’est la continuité d’une part et la rupture d’autre part, de
la transmission langagière de génération en génération (latin vulgaire > gallo-romain
> ancien français > français ; langues ancestrales + français >
mauricien/tayo/louisianais). (Corne, 1995a, 168).
Pour Corne, la créolisation se produisait au cours d’une période d’une cinquantaine d’années,
le temps qui s’écoule généralement entre l’arrivée des premiers immigrants (les pidginisants) et la
présence des enfants de la troisième génération pour qui la nouvelle langue communautaire est leur
langue « maternelle ». Ce modèle, appelé « the fifty year/three generation language shift »
14
(cf.
12
Voir Brou (1982) pour plus de détails sur le développement économique de la mission de Saint-Louis. Selon Alain Kihm,
le fait que les Kanak de Saint-Louis s’engageaient dans des activités agricoles pour les Pères faisait que les conditions dans
le village ressemblaient à celles d’une plantation. A son avis, donc, le tayo peut être classifié comme un créole de plantation
(Kihm, 1995).
13
Le tayo a l’avantage d’être très « jeune » ce qui donne au chercheur l’occasion de l’observer « telle qu’elle est parlée
actuellement par les membres survivants de la première génération pour laquelle elle fut la seule langue maternelle » (Corne,
1995a, 169).
14
Une mutation langagière qui se serait produite après cinquante ans ou trois générations. En Louisiane (cf. Speedy, 1994,
1995) et à Cayenne (cf. Jennings, 1993, 1995) ce même phénomène de mutation langagière dans l’espace de cinquante ans
aurait également eu lieu.
6
Corne 1994), permet à Corne de modifier l’hypothèse de Baker en suggérant que ce qui se passait
entre l’événement 2 et l’événement 3 était l’élaboration d’un créole qui avait déjà pris forme lors de la
troisième génération.
Ce processus de créolisation assez rapide par rapport à celui des langues dites « naturelles » a
été facilité à Saint-Louis par le fait que les langues substratiques étaient toutes des langues
austronésiennes. Quoique ces langues ne soient pas mutuellement intelligibles, elles partagent certains
traits sur le plan grammatical. Ces congruences faisaient qu’au début les Kanak de tribus différentes
qui utilisaient leur propre grammaire et le lexique du français pour communiquer avaient plus de
chances de se comprendre. Malgré ce que nous dit la tradition orale (cf. Ehrhart, 1993), le tayo n’est
pas, selon Corne, une simple relexification du drubéa car la grammaire du tayo, de type mélanésien
certes, est moins complexe que n’importe quelle langue ancestrale (cf. Corne, 2000b). Pour Corne, le
tayo doit la plupart de sa grammaire aux « cryptotypes » mélanésiens (cf. Manessy, 1989) qui ont
aussi une convergence avec le français. En tayo, des traits Kanak dans le système grammatical tels
que les marqueurs de temps et d’aspect, le système pronominal, la relativisation, la thématisation, le
verbe impersonnel indépendant na, certaines interrogations, l’impératif, le causatif et la négation, ont
été retenus. Cependant, les traits retenus ne reflètent de façon exacte aucun système grammatical dans
une des langues ancestrales. Ce sont plutôt les traits que les langues Kanak ont en commun et qui
s’accordent avec l’usage en français. L’apport du français ainsi que des innovations comme, par
exemple, le pronom indice du sujet le, montrent que le tayo est bien plus qu’une langue mélanésienne
relexifiée.
Toutefois, Corne et Ehrhart étaient tous les deux d’accord que le tayo est une langue créole
endogène de première génération. Ehrhart précise qu’il « est né sur le Territoire et n’a pas été
introduit à partir d’autres zones créolophones dans le monde » (Ehrhart, 1992, p. 148). Elle soutient
que les conditions sociohistoriques à Saint-Louis ressemblaient à celles d’une société de plantation.
L’isolement géographique et culturel, la présence de locuteurs de langues multiples, la forte
hiérarchisation entre les groupes sociaux et l’apprentissage incomplet du français faisaient de Saint-
Louis un lieu idéal pour la « naissance » d’une langue créole. « Sans le vouloir, » écrit Ehrhart, « les
Pères ont ainsi créé une société de type ‘créole’ dans ce nouveau village ‘artificiel’ » (Ehrhart, 1992,
p. 149). Comme Corne, elle exclut la possibilité des influences extérieures sur le développement du
tayo. Cette hypothèse a été mise en question par Chaudenson dans son compte-rendu du livre
d’Ehrhart publié dans la revue Études Créoles en 1994. Chaudenson (1994, 2003) a avancé la théorie
selon laquelle le tayo est peut-être un parler de deuxième génération ayant comme grande influence le
créole réunionnais. Il a basé cette théorie sur le fait qu’il y avait des campements de Malabars
(Indiens) près de Saint-Louis,
15
qu’il y a certains traits linguistiques d’ordre phonologique, lexical et
grammatical que partagent le tayo et le réunionnais et qui ne se trouvaient certainement pas dans le
français des prêtres et sur l’attestation d’un vieil homme, habitant aux alentours de Saint-Louis, dont
les ancêtres étaient Réunionnais. Cet homme, cité par Ehrhart, dit que le tayo aurait été importé de la
Réunion : « À St-Louis, je ne vois pas d’où ça pourrait venir si ce n’est pas de La Réunion ; ça vient
des Réunionnais, ils sont venus à St-Louis pour faire du sucre » (Ehrhart, 1993, p. 46).
16
Encore que Corne (1995a, 1995b, 1997, 1998, 1999, 2000a, 2000b) et Ehrhart (1992, 1993,
1994a, 1994b) reconnaissent la présence des Réunionnais et des Malabars dans les environs de Saint-
Louis au dix-neuvième siècle, ils nient un apport réunionnais dans la genèse du tayo. Ehrhart soutient
que les Réunionnais et les Malabars, venus à la suite de la crise de l’industrie sucrière chez eux,
n’étaient pas assez nombreux dans la partie sud du pays pour pouvoir influencer le créole qui se
développait à Saint-Louis. Comme elle n’a trouvé que très peu de références aux Réunionnais ou aux
Malabars dans la correspondance des missionnaires, elle a supposé que les contacts entre ces groupes
et les Kanak de Saint-Louis aient été minimes et que la théorie que le tayo s’était développé « par
15
En constatant l’importation des travailleurs réunionnais en Nouvelle-Calédonie pour développer l’agro-industrie sucrière,
Chaudenson évoque sa théorie de générations de créoles qui se formaient grâce aux mouvements des personnes
expérimentées d’une colonie à une nouvelle colonie. « On retrouve ici le même principe de colonisation que précédemment :
faire venir d’une autre colonie (en l’occurrence la Réunion) des spécialistes d’une activité professionnelle, dans le cas de la
Nouvelle-Calédonie, des ouvriers indiens spécialisés dans l’agro-industrie sucrière » (Chaudenson, 2003, p. 86).
16
Toutefois, ce même Monsieur nie avoir fait le rapprochement entre le réunionnais et le tayo lors d’un deuxième entretien
avec Ehrhart (Ehrhart, communication personnelle, le 4 août 2006).
7
contagion » était donc peu probable.
17
Quant à Corne, il a écarté les arguments linguistiques avancés
par Chaudenson en déclarant qu’ils « reposent pour la plupart sur une méconnaissance de la
grammaire du tayo » (Corne, 2000a, p. 72).
18
Tout en établissant l’histoire du peuplement mélanésien de Saint-Louis, en s’appuyant surtout
sur le travail de l’historien Bernard Brou (cf. surtout Brou 1982, mais aussi 1973 et 1980b) et la
tradition orale de la tribu de Saint-Louis (cf. Ehrhart, 1993), Corne et Ehrhart n’ont pas entrepris le
travail sociohistorique approfondi de la région sud de la Nouvelle-Calédonie qui serait nécessaire pour
vraiment défendre leur thèse d’une genèse purement locale de première génération.
19
Ehrhart, dans
des articles inédits (1994a, 1994b), a analysé la correspondance des missionnaires de Saint-Louis et a
consulté certains documents historiques de la période mais n’a pas fait les recherches d’archives qu’il
fallait afin de pouvoir décrire de façon détaillée l’immigration réunionnaise et son impact linguistique
sur le village de Saint-Louis.
Pourquoi ont-ils rejeté si rapidement et sans réelle preuve d’ordre sociohistorique les idées de
Chaudenson ?
20
Il est question, sans doute, d’une différence d’approche théorique. Étant donné la
forte influence des hypothèses de Baker dans le travail de Corne, les hypothèses qui, certes, ont des
similarités avec celles de Chaudenson mais qui se trouvent diamétralement opposées quant aux rôles
attribués au « superstrat » et aux « substrats » dans le développement d’une langue créole, il n’est pas
surprenant que Corne n’ait pas privilégié les suggestions de son « adversaire » - d’autant plus qu’il
s’agissait de la notion de générations de créoles, la théorie de Chaudenson que Baker et Corne avaient
essayé de démontrer dans Isle de France Creole : affinities and origins (Baker et Corne, 1982).
Corne, dans son rôle de directeur de recherche d’Ehrhart aurait, à son tour, eu une influence sur
l’approche théorique favorisée par son étudiante.
21
De plus, Jim Hollyman, linguiste réputé, spécialisé à la fois des langues océaniennes du
Pacifique et du français parlé en Nouvelle-Calédonie, et qui a été lui-même le directeur de thèse de
Corne, était persuadé que le réunionnais était sans grande importance dans l’évolution du français
calédonien. « Nous ne connaissons pas de référence à l’emploi d’un français créole par les
Réunionnais ou les Malabares [ sic ], et les traces linguistiques qui restent sont en effet minimes »
(Hollyman, 1976, p. 31). En fait, dans son étude sur le lexique du français calédonien, il n’avait repéré
que six unités lexicales en provenance de la Réunion (cf. Hollyman, 1971, p. 920). Ses affirmations
ont sûrement joué un rôle dans la réfutation, de la part de Corne et d’Ehrhart, de l’hypothèse d’un
apport réunionnais au tayo.
Le débat entre Chaudenson d’un côté et Corne et Ehrhart de l’autre n’a jamais été résolu
d’une manière satisfaisante. Jusqu’à sa mort en 1999, Corne tenait toujours pour certain que le tayo
était une langue vernaculaire endogène de première génération. Ehrhart, pour sa part, se concentrait
plus sur les aspects sociolinguistiques, surtout dans le domaine de la scolarité, du tayo et d’autres
langues calédoniennes. Dans son livre publié en 2003, Chaudenson n’a fait que répéter les mêmes
arguments qu’il avait avancés en 1994 sans pour autant ajouter aux informations sociohistoriques.
Sans ces données, sa thèse, tout comme celle de Corne et Ehrhart, était difficile à soutenir.
La situation aurait pu demeurer telle quelle. Cependant, en 2002, pendant que je complétais
mes études doctorales à l’Université d’Auckland, la fortune m’a souri. On m’a demandé de traduire
17
Ehrhart a concédé que « des lacunes dans l’information sur une époque peuvent être aussi parlantes que des textes écrits »
(Ehrhart, 1994b, p. 28). D’après Mgr Vitte, les Malabars se comportaient de façon « peu catholique » et c’était peut-être à
cause de ce mauvais comportement qu’ils n’ont pas été mentionnés dans les écrits des Maristes.
18
Néanmoins, dans ce même article publié de manière posthume, Corne a admis que comme les Réunionnais « ont importé
des travailleurs indiens, dont la plupart semblent être venus de l’Inde en passant par la Réunion, [ . . . ] la présence parmi
eux de créolophones (L2) ne peut pas être entièrement écartée » (Corne, 2000a, p. 72). Il a ajouté qu’il y avait, en effet,
« une poignée de lexèmes en tayo qui sont partagés par le tayo et le réunionnais, à l’exclusion du français néo-calédonien :
akos ke/akoz k ‘parce que’, siskakan/ziskakan ‘jusqu’à ce que’, sufer/sufer ‘souffrir’, ser/ser ‘sœur’ en face de laser/laser
‘religieuse’, et ce serait donc aller trop vite en besogne que d’exclure toute possibilité d’une influence réunionnaise lors de la
formation du tayo. Mais il semble bien établi que la grammaire du tayo ne doit rien au réunionnais, et beaucoup au DUB [
drubéa ] et au CEM [ cèmuhî ] » (Corne 2000a, p. 73).
19
Chaudenson, pour sa part, n’a pas non plus fourni assez de données sociohistoriques pour pouvoir défendre sa propre
thèse.
20
À la suite des discussions à ce sujet que j’ai pu avoir avec elle et d’une réévaluation de ses propres recherches, les idées
d’Ehrhart commencent à évoluer à propos des Réunionnais et l’influence qu’ils auraient pu avoir sur la genèse du tayo.
21
En tant qu’étudiante de recherche de Corne, j’ai été moi-même fortement influencée par ses théories ainsi que par celles de
Baker.
8
les paroles d’un « coolie » réunionnais de parents africains dans une nouvelle du célèbre écrivain
calédonien Georges Baudoux.
22
Selon mes analyses et à l’exception de quelques stéréotypes,
23
ce
texte a été écrit en créole réunionnais du dix-neuvième siècle. Or, selon Hollyman, le créole
réunionnais ne se parlait pas en Nouvelle-Calédonie. Me souvenant du débat à propos de l’influence
réunionnaise sur le tayo et sachant que Corne et Ehrhart, sans doute influencés par les assertions
d’Hollyman, avaient prétendu que le réunionnais n’aurait pu jouer aucun rôle dans sa genèse, cette
découverte m’a donné l’idée d’entreprendre des recherches sociohistoriques sur les Réunionnais en
Nouvelle-Calédonie afin de déterminer si ce groupe avait eu des contacts avec le village de Saint-
Louis à l’époque où le tayo se formait et si la thèse d’un apport réunionnais au tayo serait donc
soutenable. Si suffisamment de Réunionnais étaient présents dans la colonie, formant ce que Salikoko
Mufwene (1996b) appelle la « population fondatrice », et si ces Réunionnais avaient des contacts
réguliers avec les Kanak de Saint-Louis au dix-neuvième siècle, il n’est pas possible d’exclure
l’hypothèse d’une influence réunionnaise sur le tayo.
Vu la nature très lacunaire des informations publiées sur l’histoire de l’immigration
réunionnaise en Nouvelle-Calédonie au dix-neuvième siècle, il a été nécessaire de faire des recherches
d’archives pour pouvoir décrire en détail cette colonisation. Ce livre a donc deux objectifs
principaux : le premier étant d’écrire un épisode de l’histoire calédonienne qui jusqu’ici demeure peu
connu, celui de l’arrivée et de l’implantation des Réunionnais et de leurs engagés sur la Grande Terre
et le second étant de rouvrir et de trouver une solution au débat entre Chaudenson d’une part et Corne
et Ehrhart d’autre part à l’égard d’un apport réunionnais au tayo.
Dans le premier chapitre, je remonte aux origines du peuplement mélanésien et blanc en
Nouvelle-Calédonie avant de passer, dans le chapitre 2, à l’arrivée des premiers pionniers réunionnais
et de leurs travailleurs sur le sol calédonien. Puis, dans le chapitre 3, je présente le voyage
d’exploration entrepris par Louis de Nas de Tourris, invité à faire un tour de l’île par le Gouverneur
Guillain afin d’encourager l’immigration en provenance de la Réunion à la suite de la crise de
l’industrie sucrière dans l’Océan Indien. Je décris également les débuts de la production de sucre en
Calédonie et l’optimisme des immigrants réunionnais quant à l’avenir sucrier du pays. Je continue ce
thème dans le chapitre 4, en décrivant l’essor rapide du sucre en Nouvelle-Calédonie, suivi presque
aussi vite par son déclin dû aux catastrophes qui ont frappé les plantations. Dans le chapitre 5, je
détaille l’immigration des Réunionnais qui arrivent en grand nombre vers la fin des années 1860 et
pendant les années 1870. Je relève que ce groupe est hétérogène, se composant de gros Blancs, petits
Blancs, Noirs, Métis, Malgaches et Indiens. Ces immigrants, libres et engagés, se regroupent
essentiellement dans les circonscriptions du sud, pas loin de Saint-Louis. L’histoire des coolies
indiens et autres, car ce groupe comprend aussi des gens de toutes les races, est dévoilée dans le
chapitre 6. Dans le chapitre 7, je décris la situation linguistique à la Réunion au dix-neuvième siècle
afin de déterminer la langue que les immigrants réunionnais et leurs engagés parlaient avant de
présenter et d’analyser deux textes écrits en créole réunionnais et publiés en Nouvelle-Calédonie, des
textes qui représentent, selon moi, des variétés de créole parlés par les Réunionnais en Calédonie à
l’époque où le tayo était en cours de formation. J’examine les contacts entre les Réunionnais et leurs
engagés et les Kanak de Saint-Louis dans le chapitre 8 et indique qu’il y avait beaucoup de
possibilités pour une interaction régulière entre ces groupes. Finalement, dans la conclusion, je donne,
dans un cadre théorique de créolisation, mon opinion sur la probabilité d’une influence réunionnaise
dans le développement du tayo en me basant sur les informations sociohistoriques aussi bien que sur
les données linguistiques exposées dans les premiers chapitres de cet ouvrage.
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« Sauvages et Civilisés - Impressions de Nouvelle-Calédonie » in Baudoux (1979). Je tiens à remercier le Professeur
Raylene Ramsay qui m’avait demandé de traduire ce texte pour son projet sur la littérature calédonienne en traduction.
Georges Baudoux était l’un des premiers écrivains calédoniens. Il était arrivé dans la colonie en 1874 à l’âge de quatre ans et
a travaillé comme journaliste à Nouméa avant de partir dans la brousse à dix-sept ans. Là il a exercé les métiers de pêcheur,
stockman et mineur et a rencontré les personnages originaux (Kanak, Métis, popinées, travailleurs engagés etc.) qui, plus
tard, allaient figurer dans ses nouvelles, les personnages de Baudoux étant « des personnes qui ont existé ou un mélange de
plusieurs personnes » (Laubreaux, 1996, p. 227). Les écrits de Baudoux ont été reconnus par la Société d’Études Historiques
de la Nouvelle-Calédonie pour leur valeur historique aussi bien que pour leur valeur littéraire.
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Pour le détail, voir Speedy (2003, 2005, 2006).