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Innovations Agronomiques (2009) 4, 125-134
Manipulations des habitats du verger biologique et de son environnement pour
le contrôle des bio-agresseurs. Des éléments pour la modulation des relations
arbre-ravageurs-auxiliaires
S. Simon
1
, B. Sauphanor
2
, H. Defrance
1
, P.E. Lauri
3
1
: INRA, UERI Gotheron, F-26320 Saint-Marcel-lès-Valence
2
: INRA, UMR 1115 PSH-EPI, Agroparc, F-84914 Avignon Cedex 9
3
: INRA, UMR DAP-AFEF, 2 Place Viala, F-34060 Montpellier Cedex 1
Correspondance : sylvaine.simon@avignon.inra.fr
Les conditions d’habitat et le niveau de ressources conditionnent la présence et le
développement des espèces animales. Elles sont donc à même d’influer sur le développement
des ravageurs des cultures et de leurs ennemis naturels. En vue d’optimiser la protection du
verger biologique, les possibilités de manipuler l’habitat des ravageurs et des auxiliaires ont été
explorées au niveau : (i) de la conduite architecturale de l’arbre et (ii) des formations arbustives
(haies) de bordure de verger, avec, respectivement, étude de l’effet sur les arthropodes de
modifications structurelles de la branche fruitière et de l’introduction de diversité végétale dans
l’agrosystème.
Résumé :
En verger biologique, pour lequel le recours à la lutte directe contre les ravageurs est limité, les
possibilités de manipulation de l’habitat des ravageurs et des auxiliaires (l’arbre fruitier et
l’environnement végétal du verger) ont été explorées à partir d’expérimentations pluriannuelles en
verger de pommiers biologiques et de poiriers. La conduite architecturale du pommier a un impact sur le
développement de ses principaux ravageurs. Une étude comparant deux systèmes de conduite a
montré un effet globalement freinant (pucerons, acariens) ou parfois favorisant (carpocapse) d’un
système de conduite nouvellement mis au point et validé pour son intérêt agronomique, la conduite
centrifuge, par rapport à une conduite classique en Solaxe. L’étude d’une formation arbustive
expérimentale (haie de bordure) conçue pour optimiser la protection du verger de poiriers a par ailleurs
permis de valider les principes de base d’une introduction raisonnée de diversité végétale dans
l’environnement du verger : existence d’une succession de ressources pour les auxiliaires actifs sur
le(s) ravageur(s)-clé(s) de la culture, innocuité pour les cultures (absence de ravageurs ou maladies
communs avec les cultures). Ces travaux et d’autres études suggèrent que la manipulation de
l’environnement végétal du verger modifie l’entomocénose. En revanche, le bénéfice potentiel en verger
se limite au contrôle des ravageurs tolérés à des niveaux de population élevés.
Mots-clés : verger, arthropode, ravageur, auxiliaire, habitat, architecture de l’arbre, diversité
végétale, haie
Abstract: Manipulating within-orchard and adjacent habitats to provide better pest control in
organic orchards. Some elements for modulating “orchard tree-pest-natural enemy”
relationships
The control of pests in organic orchards cannot solely rely on the use of direct control methods. The
effect of manipulating the habitat of orchard pests and natural enemies through tree architecture and the
increase of plant diversity has been investigated in an experimental organic apple orchard and in a pear
orchard, in order to provide information about the potential benefits of these cultural practices. Tree
training affected the development of the most detrimental pests of apple trees, and the centrifugal
S. Simon et al.
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training system globally provided better aphid (Dysaphis plantaginea) and mite (Panonychus ulmi)
control than the more classical Solaxe system, whereas codling moth (Cydia pomonella) was favoured
compared to Solaxe. The study of an experimental hedgerow designed to optimise protection of the
pear orchard allowed us to validate the basic principles of designing plant assemblages to increase
plant diversity in the orchard surroundings, namely the introduction of a succession of resources
favouring the natural enemies of the key orchard pests, and to avoid detrimental effects (pests or
diseases shared with the crops). This experiment and other studies suggest that manipulating the plant
diversity adjacent to the orchard has an effect on entomocenosis. However, the potential benefits for the
orchard only concern the control of pests that can be tolerated at high infestation rates.
Keywords: orchard; arthropod; pest; natural enemy; habitat; tree architecture; plant diversity;
hedgerow.
Introduction
Une des spécificités du verger en matière de protection est liée à la pérennité de la culture, qui interdit
le recours aux rotations culturales pour limiter l’impact des bio-agresseurs par le retrait de leur plante-
hôte pendant une période plus ou moins longue. Les moyens de lutte directe sont par ailleurs limités en
Agriculture Biologique (AB) et, lors de la conception du verger et tout au long de sa conduite,
l’ensemble des facteurs de production et la combinaison de méthodes impliquant la plante-hôte, les bio-
agresseurs et les ennemis naturels des ravageurs (auxiliaires) sont à considérer afin de minimiser
l’impact des bio-agresseurs (Tableau 1 ; Simon et al., 2001), dans une approche intégratrice de la
protection du verger AB. Toutefois, il reste à quantifier l’effet des différents leviers d’action cités en
termes de contrôle des bio-agresseurs et, d’autre part, à explorer la compatibilité, la synergie ou
l’antagonisme de ces méthodes à effet partiel lorsqu’elles sont intégrées dans le système verger.
Tableau 1 : Protection du verger de pommiers AB et moyens d’action potentiels contre les bio-agresseurs
POMMIER BIO-AGRESSEURS
foliaires et carpophages
AUXILIAIRES
Installation et conduite
du verger
- matériel végétal : variétés peu
sensibles, porte-greffe
- distances de plantation
- choix architectural
- ajustement de la fertilisation
- optimisation de l’entretien du sol sur le
rang…
Prophylaxie régulière
- gestion de l’inoculum d’hiver de
tavelure
- complément au contrôle du
carpocapse
Lutte directe
Environnement végétal
- création de refuges (nichoirs, abris…)
- aménagement d’un environnement
végétal de diversité contrôlée
Dans ce cadre, nous nous proposons d’analyser l’effet de deux opérations sur les relations
fonctionnelles plante-ravageurs-prédateurs : (1) la conduite architecturale de l’arbre fruitier, au sein du
verger, et (2) l’aménagement de la diversité végétale de l’environnement du verger. Ces deux
opérations présentent une analogie d’approche, via une manipulation des habitats des ravageurs et/ou
auxiliaires des cultures, et correspondent par ailleurs à deux échelles de fonctionnement emboîtées et
complémentaires. L’intérêt de la manipulation de l’habitat est d’autant plus important en arboriculture
que la pérennité de la culture favorise le maintien des réseaux trophiques et justifie des investissements
en temps ou en aménagements importants.
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1. Effet de la conduite architecturale de l’arbre sur le développement des
ravageurs du pommier
La conduite architecturale de l’arbre fruitier est un moyen essentiel de contrôle de la régularité et de la
qualité de la production. Par ailleurs, l’effet de la conduite de l’arbre sur le développement des
ravageurs est notamment étudié par rapport à la réaction de croissance de l’arbre à des opérations de
taille (Koschier, 1997; Holb et al., 2001 ; Grechi et al., 2008). Dans le cadre d’une démarche de
recherche applicative définissant de nouveaux concepts de conduite de l’arbre pour améliorer les
résultats agronomiques (MAFCOT, 1999), nous nous sommes intéressés à l’impact de la conduite
centrifuge (CC) sur le développement des ravageurs du pommier par rapport à une conduite plus
classique en Solaxe (CS) (Lauri et Lespinasse, 2000). En effet, la CC englobe différentes opérations,
dont l’extinction artificielle (Figure 1), qui correspond à une suppression sélective de rameaux, au stade
bourgeon ou floraison, en vue de favoriser l’éclairement des points de croissance et de fructification
dans l’arbre. L’ensemble de ces opérations modifie l’architecture de l’arbre, i.e. la nature (végétatif vs.
floral) des rameaux, leurs proportions respectives, leur répartition spatiale dans l’arbre, ainsi que leur
rythme de croissance (Lauri et al., 2004). Ces modifications agissent potentiellement sur le micro-climat
de l’arbre (Willaume et al., 2004) et la ressource des ravageurs.
Figure 1 : Conduite centrifuge : principales opérations réalisées lors de la mise en œuvre de la conduite lors des
trois premières années en verger. Les années suivantes, seuls un entretien du puits de lumière et une opération
d’extinction artificielle sur les nouvelles croissances sont réalisés (d’après Lauri et al., 2004).
1.1) Expérimentation et résultats
Les vergers d’étude (Tableau 2) sont implantés à l’Unité Expérimentale de Recherche Intégrée (UERI)
INRA Gotheron (Drôme). Pour chacun, un dispositif à 4 blocs a été mis en place (une parcelle CC et
une CS par bloc), avec un objectif de charge en fruits identique dans les deux modalités de conduite. Le
niveau d’infestation par les ravageurs étudiés (pucerons, acariens, carpocapse) a été contrôlé par
observation visuelle (ACTA, 1974) en saison et à la récolte. Quatre années d’observations ont été
conduites dans le verger AB (2002-2005), mais du fait de son alternance de production, l’étude du
carpocapse a été réalisée seulement en 2005 dans le verger PFI en production régulière (Simon et al.,
2006 ; Simon et al., in press).
Zone de
fructification
dans les 3/4
supérieurs de
l’arbre.
Taille par
extinction
artificielle sous les
branches pour
supprimer les
fruits de mauvaise
qualité.
Pas de branches en
dessous de 1-1.2 m
pour permettre un
bon développement
des branches.
S. Simon et al.
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Les différences observées sont synthétisées dans le tableau 3. Le puceron cendré, Dysaphis
plantaginea (Passerini), l’un des ravageurs les plus difficiles à contrôler en verger AB, se développe
moins en CC qu’en CS (selon les années, -10% à –58% de rameaux infestés en CC par rapport à la CS
pour la période post-florale), avec en particulier moins de dégâts sur fruits à la récolte en 2002 (7.7% en
CC vs. 21.7% en CS). Pour les pucerons verts, Aphis spp., les résultats varient en fonction des années,
avec effet favorisant de la CC lorsque le développement du puceron cendré est moindre (2002, 2004)
mais effet freinant (2003) ou neutre (2005) lorsque les niveaux d’infestation des arbres CC et CS par D.
plantaginea sont équivalents.
Tableau 2 : Vergers expérimentaux*, années d’étude et protection réalisée
Verger AB (2002-2005) Verger PFI (2005)
Variété / porte-greffe Smoothee 2832T
/ M9 Ariane / M9
Année de plantation 1994 2001
Distances plantation 4 m x 2 m 4.5 m x 2 m
Mode de production
Protection hiver
Protection puceron
Eclaircissage
Protection carpocapse
AB (certification depuis 1997)
Huiles de pétrole
Roténone (pré-floraison)
Manuel
Virus granulose
Conventionnel
Huiles de pétrole
Chimique (pré- et post-floraison)
Chimique
G1 virus granulose G2 phosalone
Conduite Solaxe
1
re
extinction arbres CC
Plantation à 2001
2002
Plantation à 2003
2004
* implantés sur sol superficiel caillouteux issu de terrasses anciennes du Rhône (Diluvium)
PFI : Production Fruitière Intégrée ; CC : conduite centrifuge ; G1, G2 : 1
re
(respectivement 2
e
) génération de carpocapse
En 2002 et 2003, années avec infestation moyenne par l’acarien rouge, Panonychus ulmi (Koch), la CC
s’accompagne d’une progression moindre de l’infestation par rapport à la CS, significative le 11 juin
2003, avec respectivement 36% et 43% de feuilles infestées en CC et en CS.
Pour le carpocapse, Cydia pomonella (L.), en 2005, les résultats observés indiquent un effet favorisant
de la CC tout au long des deux générations, avec à la récolte 4,1% et 2,5% de dégâts sur fruits pour les
arbres en CC et CS, respectivement.
Tableau 3 : Effet de la conduite centrifuge sur le développement des ravageurs par rapport à une conduite
Solaxe
Effet de la conduite centrifuge
Freinant
1
Neutre
1
Favorisant
1
Infestation puceron cendré
Dégâts récolte puceron cendré
2002, 2004
2002
2003, 2005
2003 à 2005
-
-
Infestation pucerons verts 2003 2005 2002, 2004
Infestation acarien rouge
2
2003 2002 à 2005 -
Dégâts carpocapse fin G1
3
Dégâts carpocapse récolte
3
-
-
-
-
2005
2005
G1 : 1
re
génération carpocapse
1
ANOVA, différence significative (P = 0.05) pour au moins une date de contrôle au cours de l’année ; variables analysées = % infestation
(ravageur) ou dégâts (ravageur), transformations variables pour satisfaire aux conditions de l’ANOVA.
2
niveau d’infestation très faible à nul en 2004 et 2005
3
d’après Simon et al. (in press)
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1.2) Discussion et synthèse
Cette expérimentation pluriannuelle a permis de mettre en évidence des différences significatives de
niveau d’infestation ou de développement des ravageurs en fonction de la conduite architecturale de
l’arbre, avec, selon les années, des dégâts de puceron cendré à la récolte pouvant être 2 à 3 fois
moindres en CC par rapport à la CS, alors qu’un accroissement de 64% des dégâts dus au carpocapse
est relevé en CC en 2005 (1 seule année d’étude pour le carpocapse). Plusieurs hypothèses – qui ne
s’excluent pas - sont envisageables (Simon et al., 2006 ; Simon et al., in press) : (H1) réduction
d’infestation due à l’extinction artificielle, par suppression de rameaux, dont certains infestés, au sein de
la branche fruitière ; (H2) diminution de la connectivité entre rameaux des arbres en CC, avec
colonisation ralentie de nouveaux organes ; (H3) disponibilité en ressources modifiée par un rythme de
croissance différent ; (H4) modification du microclimat ; et (H5) moindre densité de rameaux (porosité
accrue) facilitant l’accès des ravageurs, dont le carpocapse, au sein de la frondaison. L’hypothèse
d’une meilleure efficacité de la protection phytosanitaire due à une plus grande porosité de la
frondaison en CC a été testée à deux dates dans le verger PFI en 2007 (test papiers hydrosensibles) et
n’est pas plausible.
Dans la mesure où des niveaux similaires d’infestation de puceron cendré ont été observés avant
extinction pour les deux conduites, H1 peut contribuer aux différences observées via une suppression
d’œufs (forme hivernante sur pommier), de fondatrices ou de jeunes colonies présents dans les
bourgeons ou jeunes pousses enlevés lors de l’extinction artificielle. H2 est également plausible, avec
temps accru pour coloniser de nouveaux rameaux, et taux d’échec plus élevé du fait de trajets et de
temps d’exposition à des prédateurs plus longs. Contrairement à l'espèce précédente, les pucerons
verts recensés dans le verger immigrent depuis l’environnement, début mai. Les différences
d’infestation constatées pourraient plutôt s’expliquer par H3, avec une période de croissance plus
longue en CC, au bénéfice des pucerons immigrants, sans exclure la possibilité de compétition pour la
ressource (rameaux en croissance) avec le puceron cendré. Pour l’acarien rouge, les résultats de 2003
sont en faveur d’une moindre progression de l’infestation en cours de saison (H2). H4 est enfin
plausible pour l’ensemble de ces bio-agresseurs, même si elle est probablement moins déterminante
pour les pucerons cendrés situés dans les feuilles de pommier enroulées. Enfin, la plus faible densité
de rameaux observée en CC (H5) permettrait un accès facilité aux fruits à l’intérieur de la frondaison
pour les femelles de carpocapse fécondées (données non présentées). Ce dernier résultat, constaté
pour une seule année, demande à être confirmé dans le temps et pour différents cultivars de frondaison
plus ou moins dense, pour lesquels la CC modifie plus ou moins la porosité.
En conclusion, ces observations, ainsi que différentes études ou synthèses (Chouinard et al., 1994 ;
Cloyd et Sadof, 2000 ; Gingras et Boivin, 2002 ; Simon et al., 2007a) indiquent que l’attractivité de la
plante-hôte et les conditions au sein de la frondaison (microclimat, disponibilité et accès aux
ressources, aux sites de reproduction et à des espaces sans prédateurs) peuvent être significativement
modulés par la conduite de l’arbre. Nos travaux montrent donc que la conduite de l’arbre peut être
déterminante pour le développement des ravageurs et probablement aussi pour le niveau de
prédation/parasitisme des auxiliaires en verger. De manière globale, au-delà d’effets saisonniers ou liés
à la biologie des d’arthropodes impliqués, la complexité de l’architecture de l’arbre favorise les insectes
phytophages et est défavorable à la recherche de proies pour la plupart des auxiliaires (Cloyd et Sadof,
2000 ; Gingras et Boivin, 2002 ; Langellotto et Denno, 2004). Les mécanismes impliqués sont toutefois
peu analysés en arboriculture où le recours à la lutte directe contre les ravageurs est largement
développé, y compris dans certains vergers en AB. Les traits d’architecture à privilégier vont donc varier
en fonction des cultivars, de la pression des ravageurs présents, et des méthodes de lutte directe
possibles.
S. Simon et al.
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2. Aménagement de l’environnement du verger pour favoriser les auxiliaires
Il est couramment mentionné qu’une diversification de la flore contribue au maintien et à la pérennité du
complexe de prédateurs et de parasitoïdes à même d’être actif sur une culture (ex. des aphidiphages :
Chaubet, 1993). Les aménagements relevant de cet objectif procèdent d’une démarche de lutte
biologique par conservation (Barbosa, 1999). Une augmentation de la diversité végétale s’accompagne
ainsi d’une augmentation de la diversité animale, dont entomologique. En réponse, il est attendu une
augmentation de la régulation naturelle de certains ravageurs des cultures (via une augmentation de
l’abondance et de la diversité des entomophages). Mais, l’effet de la diversité végétale et de la
conservation des habitats sur les populations d’arthropodes ravageurs et auxiliaires relève de
phénomènes nombreux et complexes (Russell, 1989 ; Landis et al., 2000), et les effets de la
manipulation de la diversité végétale peuvent se révéler aussi bien bénéfiques que préjudiciables pour
la culture (Solomon, 1981 ; Gruys, 1982 ; Bugg et Waddington, 1994 ; Rieux, 1994 ; Boller et al., 2004 ;
Debras et al., 2007). De même, les réponses en termes de prédation d’un aménagement du couvert
herbacé peuvent se révéler contradictoires en fonction du site d’expérimentation (Wyss, 1995 ; Vogt et
Weigel, 1999).
Dans le cadre de la création d’aménagements de l’environnement du verger, les principes et limites de
la démarche seront développés et/ou discutés pour deux composantes, la haie et les couverts
herbacés. Le travail expérimental présenté est basé sur un dispositif arbustif dédié à la manipulation
des diversités végétale et entomologique de l’environnement du verger de poiriers.
2.1) Expérimentation
La haie expérimentale étudiée a été implantée en 1995 en bordure de verger de poiriers à l’UERI
Gotheron. Sur la base de connaissances préalables du peuplement entomologique de nombreuses
essences (Sarthou, 1995 ; Simon et al., 1997 ; Rieux et al., 1999), sa composition a intégré des
essences susceptibles d’héberger des auxiliaires actifs contre un des ravageurs-clés du poirier, le psylle
du poirier, Cacopsylla pyri (L.). De 1998 à 2001, un battage bi-mensuel de 30 rameaux par essence tout
au long de la saison végétative a permis de récolter les arthropodes présents dans la frondaison.
L’analyse, effectuée au niveau du groupe fonctionnel, a été réalisée à partir des effectifs cumulés par
essence.
Plus de 40 000 arthropodes ont été récoltés au cours de l’expérimentation. Les essences implantées
hébergent généralement des phytophages spécifiques (Figure 2), qui ne se développent donc que sur
leur plante-hôte. Leur présence à des effectifs parfois élevés contribue probablement à limiter par
compétition les effectifs de phytophages polyphages, qui ne sont que peu recensés. Tout au long de la
saison, plusieurs groupes d’auxiliaires sont hébergés : prédateurs de psylle au printemps (Anthocorides
recensés sur noisetier, nerprun alaterne, arbre de Judée) et en été (noisetier), prédateurs d’acariens
(Orius spp. et/ou acariens prédateurs sur noisetier, saule, nerprun alaterne) ; aphidiphages
(Hyménoptères parasitoïdes, syrphes, chrysopes… sur sureau, noisetier, viorne tin) ; prédateurs de
régulation : araignées, forficules… (cornouiller, seringat, viornes, charme)...
Le maintien d’un cortège diversifié d’auxiliaires est donc permis par la combinaison d’une succession de
ressources :
- abri d’hibernation avec des essences à feuilles persistantes (viorne tin, nerprun alaterne) ;
- nourriture précoce (pollen des floraisons de noisetier et saule), qualitativement importante pour la
reproduction (ex. acquisition de la maturité ovarienne pour les punaises prédatrices) ;
- proies de substitution, constituées par les phytophages spécifiques (psylles de l’arbre de Judée, du
frêne ; pucerons du sureau, du noisetier…)
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- nectar et pollen lors des floraisons de saison (sureau, viorne lantane) et d’automne-hiver (viorne tin,
nerprun alaterne), attractifs pour de nombreux groupes d’auxiliaires, notamment les aphidiphages
(Hyménoptères parasitoïdes, syrphes…).
Figure 2 : Haie expérimentale destinée au verger de poiriers : ressources fournies aux auxiliaires
2.2) Discussion et synthèse
L’objectif de création d’une diversité contrôlée dans l’environnement du verger de poiriers a donc été
atteint, via l’implantation d’un nombre d’essences restreint (par rapport à une formation arbustive sub-
spontanée), mais avec sélection de chacune d’entre elles sur la base de connaissances de son
peuplement entomologique. Ces espèces sont sélectionnées car elles hébergent une large gamme
d’auxiliaires actifs sur les principaux ravageurs du poirier tout en minimisant de potentiels effets
préjudiciables (ravageur ou maladie en commun avec le verger).
Les aménagements du système de production par modification de sa diversité botanique doivent, d’une
part, limiter les risques d’interactions préjudiciables à la production (aspects phytopathologiques) et,
d’autre part, fournir des ressources successives (abri, nourriture) aux auxiliaires, permettant leur
maintien et leur multiplication à proximité de la culture. Dans un but de protection des cultures, une
augmentation importante des diversités botanique et entomologique n’est pas un objectif en soi. Une
démarche pertinente consiste à favoriser la diversité fonctionnelle du système (Brown, 2001) et à
enrichir la biocénose en une gamme d’auxiliaires particuliers, ceux intervenant dans la limitation du
(des) ravageur(s) prépondérant(s) de la culture (Rieux, 1994 ; Rieux et al., 1999 ; Irvin et al., 2006).
L’effet de la haie étudiée sur la densité d’auxiliaires du verger adjacent n’a pas été mesuré dans le
cadre de ce travail mais a été abordé par d’autres études ainsi que par différents auteurs. Les bénéfices
en termes de contrôle des principaux ravageurs du verger sont souvent partiels et insuffisants pour
permettre de supprimer la protection phytosanitaire. Ainsi, la présence accrue d’auxiliaires dans le
couvert herbacé ne s’accompagne pas toujours d’un contrôle accru des pucerons en verger de
pommiers AB (Simon et al., 2007b). Toutefois, dans le cas de ravageurs tolérés à des niveaux de
population relativement élevés, l’interaction composante végétale/verger peut être effective et la
réponse, en termes de prédation, contribue au contrôle de ces ravageurs (Croft, 1982 ; Alston, 1994 ;
Tuovinen, 1994 pour les acariens ; Rieux et al., 1999 ; Debras, 2007 ; Debras et al., 2007 pour le psylle
du poirier). Il y a par ailleurs consensus sur l’intérêt d’une diversité contrôlée en tant que facteur de
Frêne
oxyphylle
Orme résistant
graphiose
Noisetier
Cornouiller
mâle
Arbre de
Judée
Viorne
lantane
Saule
marsault
Nerprun
alaterne
Sureau
Viorne tin
Charme
houblon
abri d’hivernation
Seringat
floraison précoce
proies de substitution
floraison de saison
floraison d’automne
Haie double :
séquence de base
psylle puceron puceronacarien acarien
puceron,
acarien
Tydeidae
psylle psylle
proie
: possibilités de ressource pour les auxiliaires
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« stabilité » pour le verger ; elle contribue à la recolonisation de la culture depuis l’environnement
(Kozar et al., 1994)
et favorise la présence de prédateurs généralistes à même de réguler de faibles
niveaux de population de ravageurs.
Conclusion générale
Les résultats issus de ces expérimentations indiquent que la manipulation des habitats du verger AB
peut contribuer à : i) limiter le développement de certains ravageurs et ii) renforcer et maintenir le
cortège d’auxiliaires à proximité du verger. Ces manipulations peuvent également engendrer des effets
contre-productifs, par exemple en favorisant le carpocapse via une augmentation de la porosité de la
frondaison du pommier, ou encore en permettant le développement de ravageurs ou maladies des
cultures par le choix d’essences-hôtes dans les haies implantées. La pression locale des ravageurs doit
donc orienter le choix d’un système de conduite de l’arbre ; il est enfin actuellement possible, sur la
base de synthèses bibliographiques ou de documents de vulgarisation, de sélectionner les essences à
implanter dans une haie, en fonction des conditions pédo-climatiques, de leur richesse en auxiliaires et
de la connaissance de ses phytophages et maladies. Pris séparément, les bénéfices potentiels de ces
deux approches (manipulation de l’architecture de l’arbre, implantation de haie) restent partiels et, sauf
exception, en deçà de l’efficacité d’une lutte directe (même en AB), et seuls les ravageurs pour lesquels
des niveaux de populations élevés peuvent être tolérés (acariens, psylles par ex.) sont à même d’être
régulés. Dans l’état actuel des connaissances sur la manipulation des habitats du verger, des leviers
d’action permettant de limiter le développement des ravageurs existent au niveau de la plante-hôte
(approche bottom-up) et des ennemis naturels des ravageurs (approche top-down). Cette manipulation
d’éléments structuraux et fonctionnels au sein du verger et de son environnement, qui module la
relation arbre-ravageurs-auxiliaires via l’habitat, trouve sa place dans le verger AB, mais reste à
combiner à d’autres méthodes de contrôle des ravageurs. La compréhension des mécanismes
intervenant dans ces manipulations est par ailleurs nécessaire à l’optimisation de cette approche. Afin
de maximiser les bénéfices en termes de contrôle des principaux ravageurs du verger, il est nécessaire
de mobiliser deux types de connaissances, d’une part sur la biologie des taxons (ravageurs, auxiliaires)
ayant un impact agronomique et notamment leurs possibilités de déplacement (Miliczky et Horton,
2005), d’autre part et de manière plus générale dans les domaines de l’écologie, écologie du paysage,
agronomie et écotoxicologie. Corrélativement, différentes échelles d’étude et/ou d’action (Deguine et
Ferron, 2004) sont indispensables, avec des approches expérimentales et/ou de modélisation pour les
manipulations de diversité envisagées.
Références bibliographiques :
ACTA 1974. Pommier : Contrôles Périodiques en Verger, Vol. III., ACTA, Paris, France.
Alston D., 1994. Effect of apple orchard floor vegetation on density and dispersal of phytophagous and
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