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L'effet de serre atmosphérique : plus subtil qu'on ne le croit !

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Abstract and Figures

State-of-the-art radiative models can be used to calculate in a rigorous and accurate manner the atmospheric greenhouse effect, as well as its variation with concentration in water vapour or carbon dioxide. A simple explanation of this effect uses an analogy with the greenhouse effect produced by a glass window. While this analogy has pedagogical virtues and provides a first order explanation of the mean temperature of the Earth, it has an important drawback; it is not able to explain why the greenhouse effect increases with increasing carbon dioxide concentration. Indeed, absorption of infrared radiation by carbon dioxide is, under this scheme, almost at its maximum and depends very weakly on CO2 concentration. It is said to be saturated. In this paper, we explore this question and propose an alternative model which, while remaining simple, correctly takes into account the various mechanisms and provides an understanding of the increasing greenhouse effect with CO2 concentration, together with the corresponding climate warming. The role of the atmospheric temperature gradient is particularly stressed.
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La Météorologie - n° 72 - février 2011
Effetde serre ciel clair
Vapeur d'eau 75 60 %
CO232 26 %
Ozone10 8 %
N2O + CH486 %
Total ciel clair 125 100 %
(W.m-2) (%)
H2OCO2
O3
CH4
N2O
Figure 1 - Dans les conditions atmosphériques actuelles, contributions à l’effet de serre des principaux gaz absor-
bants pour une atmosphère sans nuage (Kiehl et Trenberth, 1997).
L’effet de serre
atmosphérique : plus
subtil qu’on ne le croit !
Jean-Louis Dufresne(1) et Jacques Treiner(2)
(1) Laboratoire de météorologie dynamique (LMD)
– Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL),
Centre national de la recherche scientifique (CNRS) –
École polytechnique (EP) – École normale supérieure (ENS)
Université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC)
(2) UPMC et Espace des sciences Pierre-Gilles de Gennes (ESPCI)
Résumé
Les modèles radiatifs actuels permet-
tent de calculer de façon rigoureuse
et précise l’effet de serre atmosphé-
rique ainsi que sa variation avec la
concentration de gaz tel que la
vapeur d’eau ou le CO2. Pour expli-
quer simplement cet effet de serre, on
utilise souvent l’analogie de « l’effet
de serre » produit par une vitre. Si ce
modèle a des vertus pédagogiques et
permet d’expliquer au premier ordre
la température moyenne de la surface
de la Terre, il a néanmoins un
inconvénient important : il ne permet
pas d’expliquer pourquoi l’effet de
serre de la Terre varie lorsque la
concentration de CO2varie. En effet,
dans les conditions actuelles, l’ab-
sorption sur toute la hauteur de l’at-
mospre du rayonnement infra-
rouge par le dioxyde de carbone est
quasi maximale : elle ne dépend que
très faiblement d’une variation de la
concentration de ce gaz. On dit
qu’elle est saturée. Nous en expli-
quons les raisons dans cet article et
présentons un modèle alternatif qui,
quoique simple, prend correctement
en compte les différents mécanismes
et permet de comprendre l’accroisse-
ment de l’effet de serre lorsque la
concentration de CO2augmente ainsi
que le réchauffement climatique
associé. Le rôle du gradient vertical
de température dans l’atmosphère est
particulièrement souligné.
Dans le présent article, nous
détaillons les mécanismes par les-
quels une variation de la concen-
tration en gaz à effet de serre (GES) de
l’atmosphère conduit à une variation de
l’effet de serre et de la température
moyenne de la surface de la Terre. Les
principaux GES (figure 1) sont la
vapeur d’eau (H2O), le dioxyde de car-
bone (CO2), le méthane (CH4), le proto-
xyde d’azote (N2O) et l’ozone (O3),
mais la discussion sera limitée ici aux
deux plus importants : la vapeur d’eau,
responsable d’environ 60 % de l’effet de
serre, et le dioxyde de carbone, responsa-
ble d’environ 25 %. Les bases de la phy-
sique du climat et de l’effet de serre ont
été posées par Joseph Fourier (1824) et
cet aspect historique a déjà été abordé
dans plusieurs publications (par exemple
Pierrehumbert, 2004 ; Dufresne, 2006).
Nous nous concentrerons tout d’abord
sur la notion d’équilibre radiatif d’un
objet, c’est-à-dire l’équilibre thermique
d’un corps sous l’unique effet de l’ab-
sorption et de l’émission de rayonne-
ment. Nous négligerons donc, dans un
premier temps, tout effet de conduction
thermique et de convection.
L’équilibre radiatif résulte de trois phé-
nomènes physiques de base :
– lorsqu’un corps absorbe du rayonne-
ment, son énergie interne augmente ;
– tout corps perd de l’énergie en émet-
tant un rayonnement dont l’intensité
augmente avec sa température ;
– lorsqu’un corps gagne plus d’énergie
qu’il n’en perd, sa température aug-
mente, et elle diminue dans le cas
contraire. À l’équilibre thermique le
bilan d’énergie est nul.
La loi qui régit l’émission thermique de
rayonnement par un corps est connue
expérimentalement depuis la seconde
moitié du XIXesiècle et bien établie
théoriquement depuis le début du XXe
siècle : c’est la loi du rayonnement du
corps noir. Le qualif icatif « noir »
signifie ici que ce corps absorbe tout le
rayonnement qu’il reçoit(1). Selon cette
loi fondamentale, la puissance émise P
(1) Ainsi le Soleil est un corps noir (idée non
dépourvue de poésie) parce que, dans son volume,
le rayonnement est sans cesse absorbé et émis par
le plasma. La surface du Soleil est la région d’où
le rayonnement s’échappe dans l’espace, avec les
caractéristiques de l’équilibre matière-rayonne-
ment sous-jacent.
Météorologie théorique
32 La Météorologie - n° 72- février 2011
SS
σT5
σTv
σTvσT0
isolant
surface surface
vitre
isolant
a) b)
TV
T0
Ts
4
4
44
Figure 2 - Représentation schématique des échanges radiatifs (a) pour une surface parfaitement absorbante sur
une face et parfaitement isolée thermiquement sur l’autre et (b) pour la même surface recouverte par une vitre
totalement transparente au rayonnement solaire et totalement opaque et absorbante au rayonnement infrarouge.
par unité de surface d’un corps noir
porté à la température (absolue) Test
proportionnelle à la puissance qua-
trième de la température absolue :
P=σT4(1)
La constante σ, appelée constante de
Stefan-Boltzmann, s’exprime à l’aide de
constantes fondamentales de la physique
(dont la vitesse de la lumière et la constante
de Planck) et vaut 5,67 × 10-8 W.m-2.K-4.
Effet de serre
d’une vitre idéalisée
L’application la plus simple consiste à
calculer la température d’équilibre TS
d’une surface totalement absorbante
dont une face est isolée thermiquement
(notamment pas d’émission de rayonne-
ment) et dont l’autre est soumise au seul
rayonnement solaire (figure 2a).
À l’équilibre, pour chaque élément de
surface, il y a égalité entre la puissance
Sgagnée par absorption du rayonne-
ment solaire et la puissance Pperdue
par émission de rayonnement (équa-
tion 1). On a alors :
S=σT4
S(2)
Numériquement, pour un bon enso-
leillement de valeur S= 1 000 W.m-2, on
trouve TS= 364 K ou 91 °C. Cette
valeur peut surprendre, mais elle cor-
respond à ce qui se passe effectivement
à la surface de la Lune, où aucune
atmosphère ne vient s’interposer et
pour laquelle l’hypothèse d’équilibre
est justifiée du fait de la très faible iner-
tie thermique de la surface par rapport à
la longueur de la durée du jour(1).
Appliquons cette idée à l’effet de serre
produit par une vitre placée au-dessus
de cette même surface absorbante, tou-
jours isolée sur une de ces faces et dont
l’autre est exposée au rayonnement
solaire (figure 2b).
Pour prendre le cas le plus simple, nous
considérons une vitre idéalisée, totale-
ment transparente au rayonnement solaire
et totalement absorbante au rayonnement
émis par la surface. Ces deux hypothèses
ne sont pas contradictoires car le rayonne-
ment solaire provient d’une surface à
5 770 K et se situe principalement dans le
domaine visible et le proche infrarouge
(de longueur d’onde inférieure à 4 micro-
mètres), tandis que le rayonnement de la
surface, dont la température est d’environ
300 K, se situe dans l’infrarouge de
grande longueur d’onde (supérieure à
4 micromètres) : il s’agit donc de lon-
gueurs d’onde très différentes, maximales
autour de 0,6 micromètres pour le Soleil
et autour de 10 micromètres pour le
rayonnement terrestre, et pour lesquelles
le verre n’a pas les mêmes propriétés
d’absorption (figure 3).
Déterminons, à l’équilibre, la tempéra-
ture T
ν
de la vitre et celle T0de la surface.
La vitre n’absorbe pas le rayonnement
solaire et la surface l’absorbe totalement.
Pour le rayonnement infrarouge lointain,
la vitre et la surface ont les mêmes pro-
priétés : toutes les deux absorbent totale-
ment le rayonnement incident et émettent
un rayonnement correspondant à celui
d’un corps noir. La seule différence est
que pour la surface, isolée d’un côté, une
seule de ses faces émet un rayonnement
du corps noir alors que pour la vitre, qui
n’est pas isolée, chacune des deux faces
émet un rayonnement du corps noir. Le
schéma correspondant est représenté sur
la figure 2b : la surface absorbe le rayon-
nement solaire (S) et celui que la vitre
émet vers elle (
σ
T4
ν); elle émet un
rayonnement de corps noir à la tempé-
rature T0:
σ
T4
0.
À l’équilibre, les puissances absorbée et
émise sont égales :
S+σT4
V=σT4
0(3)
Abstract
The atmospheric greenhouse effect:
more subtle than we believe!
State-of-the-art radiative models can
be used to calculate in a rigorous and
accurate manner the atmospheric
greenhouse effect, as well as its varia-
tion with concentration in water
vapour or carbon dioxide. A simple
explanation of this effect uses an ana-
logy with the greenhouse effect pro-
duced by a glass window. While this
analogy has pedagogical virtues and
provides a first order explanation of
the mean temperature of the Earth, it
has an important drawback; it is not
able to explain why the greenhouse
effect increases with increasing car-
bon dioxide concentration. Indeed,
absorption of infrared radiation by
carbon dioxide is, under this scheme,
almost at its maximum and depends
very weakly on CO2concentration. It
is said to be saturated. In this paper,
we explore this question and propose
an alternative model which, while
remaining simple, correctly takes into
account the various mechanisms and
provides an understanding of the
increasing greenhouse effect with
CO2concentration, together with the
corresponding climate warming. The
role of the atmospheric temperature
gradient is particularly stressed.
(1) La température maximale que l’on y a enre-
gistré est de 117 °C. L’ensoleillement maximal
est de 1 364 W.m-2, correspondant à une tempé-
rature de 121 °C.
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La Météorologie - n°72 - février 2011
Figure 3 - À gauche :
spectre de rayonne-
ment reçu du Soleil
par mètre-carré de
surface terrestre,
compte tenu de
l’absorption
atmosphérique.
À droite : spectre
de rayonnement
émis par mètre-
carré de sol.
La vitre, pour sa part, absorbe le rayon-
nement émis par la surface, (
σ
T4
0), et
elle émet son propre rayonnement vers
la surface (
σ
T4
ν)et vers l’espace (
σ
T4
ν).
On a donc :
σ
T4
0= 2
σ
T4
ν(4)
Remarquons que cette équation, compte
tenu de la précédente, implique :
S =
σ
T4
ν(5)
Ce qui exprime le bilan énergétique glo-
bal vu de l’extérieur : le seul rayonne-
ment sortant provient de la vitre et il
équilibre le rayonnement entrant. La
température de la vitre est identique à
celle d’une surface parfaitement absor-
bante soumise au seul rayonnement
solaire (équation 2).
En reportant l’équation (5) dans l’équa-
tion (2), on obtient :
2S =
σ
T4
0(6)
La nouvelle température d’équilibre de
la surface est par conséquent 21/4 fois
plus grande qu’en l’absence de vitre(1)
(équation 2).
En quoi ce mécanisme de l’effet de
serre d’une vitre est-il pertinent pour
rendre compte de l’effet de serre
atmosphérique ? C’est ce que nous
allons examiner à présent.
Équilibre radiatif
d’une Terre
sans atmosphère
On s’intéresse ici à la température
moyenne de la surface de la Terre, la
moyenne étant réalisée à la fois dans
l’espace (de
l’équateur aux
pôles) et dans
le temps. Il
convient donc
de répartir le
rayonnement
solaire qui tra-
verse le disque
de rayon égal
au rayon de la Terre sur toute la surface
du globe terrestre : on tient ainsi compte
de la géométrie et de lalternance
jour/nuit. L’ensoleillement moyen reçu
par l’unité de surface est donc le quart
(rapport de la surface
π
R2d’un disque
de rayon Rà la surface 4
π
R2d’une
sphère de même rayon) de la puissance
reçue hors atmosphère perpendiculaire-
ment à la direction Terre-Soleil. Cette
puissance étant de 1 368 W/m2, la puis-
sance moyenne reçue par unité de sur-
face est S= 1 368/4 = 342 W.m-2.
Si la Terre absorbait tout le rayonne-
ment solaire, sa température d’équilibre
moyenne serait de 278 K (cf. équa-
tion 1, avec S= 342 W.m-2)(2). Mais la
Terre n’absorbe qu’une partie du rayon-
nement solaire incident et, pour déter-
miner sa température, il faut tenir
compte de son albédo A, qui est le rap-
port du rayonnement réfléchi par une
surface au rayonnement incident. Pour
un rayonnement incident S, le rayonne-
ment réfléchi est AS et celui absorbé
(1 - A)S. Aujourd’hui, l’albédo mesuré
de la Terre est 0,31. On est donc amené
à écrire une équation semblable à l’é-
quation (2), mais en ne considérant que
le rayonnement solaire absorbé :
(1-A)S=
σ
T4
S(7)
Ce qui conduit à la valeur TS= 255 K ou
-18 °C.
On trouve cette valeur dans beaucoup
d’ouvrages. Sans que cela invalide le
raisonnement – dont la vertu est essen-
tiellement pédagogique – notons une
incohérence partielle dans les hypothè-
ses faites, car si l’on supprime l’at-
mosphère, il faut supprimer également
la vapeur d’eau qu’elle contient. Or la
vapeur d’eau est à l’origine des nuages,
lesquels contribuent à l’albédo pour
environ les deux tiers de sa valeur. Il
conviendrait donc mieux de prendre
A= 0,1 pour l’application numérique,
ce qui conduit à TS= 271 K, soit -2 °C.
Mais il s’agit là d’un point mineur.
Le modèle
de l’effet de serre
atmosphérique parfait
Le modèle le plus simple pour rendre
compte de l’effet de serre atmosphé-
rique est calqué sur le modèle de la vitre
du paragraphe précédent : l’atmosphère
est traitée comme une couche homo-
gène placée au-dessus de la surface ter-
restre. Plus précisément, on fait les trois
hypothèses simplificatrices suivantes :
– 1) nous savons que l’atmosphère
laisse passer l’essentiel du rayonne-
ment solaire qu’elle ne réfléchit pas :
supposons qu’elle le laisse passer
entièrement ;
– 2) la présence de gaz à effet de serre –
principalement la vapeur d’eau et le
dioxyde de carbone – fait qu’elle
absorbe l’essentiel du rayonnement
infrarouge émis par la Terre : supposons
qu’elle l’absorbe complètement ;
– 3) en f in traitons l’atmosphère
comme un corps ayant une tempéra-
ture homogène.
Nous avons alors trois rayonnements en
jeu : le rayonnement solaire, le rayonne-
ment terrestre et le rayonnement de l’at-
mosphère (car celle-ci, comme n’im-
porte quel corps, émet du rayonnement).
Précisons que nous ne considérons pas
ici l’effet des nuages ou de la présence
d’aérosols. Nous aborderons ces ques-
tions en conclusion.
L’exercice, tel qu’il est défini, se résout
en deux étapes. Désignons par TSet TA
les températures respectives de la sur-
face et de l’atmosphère.
1ère étape : plaçons-nous hors atmo-
sphère. Qu’observe-t-on ? D’une part,
le rayonnement solaire incident, partiel-
lement réfléchi ; d’autre part, le rayon-
nement émis par l’atmosphère. Et c’est
tout. Comme nous avons supposé que
cette atmosphère absorbait totalement
Spectre
solaire
25°C
corpsnoir
Sensibilité de
l'œil humain
0,9
0,8
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
0,2
0,1
0
0,2 0,5 1,0 5,0 10,0 50,0
Intensité (W/m2nm)
UV Visible Proche
infrarouge
Infrarouge
de grande longueur d'onde
Longueur d'onde (micromètres)
(1) Le cas de N vitres est traité en annexe.
(2) Cette valeur est plus faible que celle trouvée
précédemment pour la température maximale de
la surface de la Lune face au Soleil, car nous
considérons le flux reçu en moyenne par une sur-
face unité : moyenne entre le jour et la nuit, et de
l’équateur aux pôles.
34 La Météorologie - n° 72- février 2011
le rayonnement terrestre, celui-ci ne se
perçoit pas de l’extérieur du système. À
l’équilibre, nous avons égalité entre la
puissance absorbée et la puissance
émise, ce qui s’écrit :
(1-A)S=
σ
T4
A(8)
Cette équation est formellement iden-
tique à l’équation (7), sauf que c’est
maintenant la température TAqui appa-
raît. Pour une valeur de l’albédo A= 0,31,
on trouve TA= 255 K, soit -18 °C.
2eétape : plaçons-nous maintenant au
niveau du sol. À l’équilibre, il y a égalité
entre puissance absorbée et puissance
émise. La puissance absorbée est com-
posée de deux termes : celle (1 - A)S
provenant du Soleil et qui n’est pas
réfléchie, et celle
σ
T4
Aémise par l’at-
mosphère en direction de la Terre. La
puissance émise est
σ
T4
S. On écrira
donc :
(1-A)S+
σ
T4
A=
σ
T4
S(9)
Compte tenu de l’équation (8), on
trouve :
σ
T4
S=2(1-A)S(10)
On retrouve la même équation que pour
une serre idéalisée à une vitre (équa-
tion 6) mais dans laquelle le rayonne-
ment solaire absorbé n’est plus Smais
(1-A)S. La température d’équilibre de
la surface, dans ce modèle simplifié à
l’extrême, est 21/4 fois plus grande que
celle de l’atmosphère. Elle vaut donc
255 × 21/4, soit 303 K ou 30 °C.
L’effet est surestimé car la température
moyenne de la Terre est plutôt 15 °C,
mais qualitativement on comprend ce
qui se passe : la puissance émise par
l’atmosphère en direction de la Terre
s’ajoute au rayonnement solaire, de
sorte que la température d’équilibre de
la Terre se trouve augmentée par rap-
port au cas où on la suppose sans
atmosphère. C’est ce qu’on désigne par
l’analogie de l’effet de serre idéalisé.
Insuffisances
des hypothèses
Il convient cependant de s’interroger
sur cet écart quantitatif. A priori, il ne
doit pas trop surprendre au vu de la
complexité des échanges énergétiques
qui se déroulent en réalité et qui sont
schématisés sur la figure 4.
En particulier :
– l’atmosphère n’est pas complètement
transparente au rayonnement solaire : la
formation et la dissociation de l’ozone
stratosphérique absorbent une partie du
rayonnement ultraviolet et la vapeur
d’eau absorbe une partie du rayonne-
ment solaire dans le proche infrarouge ;
– l’atmosphère n’est pas totalement
opaque au rayonnement terrestre : il
existe un domaine de longueurs d’onde
dans lequel l’atmosphère est transpa-
rente (B sur la figure 4) ;
– la surface ne fait pas qu’émettre du
rayonnement, une partie de son énergie
sert à l’évaporation de l’eau des océans,
laquelle est restituée lors de la conden-
sation de la vapeur d’eau en altitude (G
sur la figure 4) ;
– l’hypothèse d’une atmosphère ayant une
température homogène est évidemment
fausse : nous savons bien que la température
diminue lorsque l’altitude augmente, qu’il
existe un gradient thermique vertical.
La surestimation quantitative de l’effet
de serre obtenue au paragraphe précé-
dent ne remet cependant pas en cause, à
ce stade, le mécanisme proposé.
Qu’en est-il de l’effet d’une augmenta-
tion de la concentration en gaz à effet de
serre ? Les éléments réunis jusqu’ici sug-
gèrent l’explication simple suivante :
lorsque la concentration d’un gaz à effet
de serre augmente, l’absorption du
rayonnement infrarouge augmente en
conséquence ainsi que la température de
l’atmosphère ; il s’ensuit une augmenta-
tion de la puissance du rayonnement
émis par l’atmosphère vers la surface de
la Terre, par conséquent une augmenta-
tion de la température de celle-ci.
Il se trouve que cette explication est accep-
table pour interpréter et obtenir le bon
ordre de grandeur d’une variation de l’effet
de serre résultant d’une variation de la
concentration de vapeur d’eau. En revan-
che, elle n’est pas valable pour une varia-
tion de la concentration de dioxyde de
carbone. Le détail de l’argument est don
dans l’Annexe. Précisons ici un terme de
vocabulaire : on appelle absorptivité de
l’atmosphère l’absorption du rayonnement
sur toute la hauteur de l’atmosphère.
Lorsque l’absorptivité vaut 1 pour une cer-
taine longueur d’onde, tout le rayonnement
émis par le sol est absorbé par l’atmo-
sphère avant d’atteindre l’espace.
Les calculs complets des échanges radia-
tifs montrent que l’absorptivité du rayon-
nement infrarouge émis par la Terre par
le dioxyde de carbone augmente très peu
avec sa concentration, alors que ces
mêmes calculs montrent que l’effet de
serre, lui, augmente. Du point de vue
expérimental, cet effet de « saturation »
de l’absorption a été observé par Knut
Ångström (1900), ce qui l’a amené à
remettre en cause le premier calcul du
rôle du CO2sur l’effet de serre terrestre
publié par Svante Arrhenius (1896),
quelques années auparavant. Pour com-
prendre pourquoi l’effet de serre de la
vapeur d’eau et celui du dioxyde de car-
bone ne peuvent pas être expliqués de la
même façon, il convient d’examiner plus
en détail les propriétés d’absorption de
ces deux gaz.
Qu’est-ce qu’un gaz à
effet de serre ?
C’est un gaz dont les molécules sont
susceptibles d’absorber une partie du
rayonnement infrarouge qu’il reçoit de
la Terre.
La figure 5 montre les propriétés d’ab-
sorption des gaz à effet de serre pour
une atmosphère terrestre « moyenne »,
sans nuage. La gamme de longueurs
Émis par
l'atmosphère
et les nuages
Évapo-
transpiration
Absorbé par
l'atmosphère
et les nuages
Absorbé par
la surface
Émission
d'infrarouges
vers l'espace
Fenêtre
atmosphérique
Gaz àeffet
de serre
Chaleur
latente
Rayonnement
solaire fléchi
107 W/m2
Réflexion par
les nuages, l'air
et les aérosols
Rayonnementsolaire
incident342 w/m2
Réfléchi par
la surface
Absorbé par la surface Chaleur
sensible
Rayonnement
infrarouge
émis
par la surface
Rayonnement
infrarouge
vers le sol
H
EA
I
FB
D
C
J
B
G
107 342
77
77
30
67
24
24
168
78
78
350
390
324
324
40
40
195
195
235
Figure 4 - Échanges énergétiques Terre-atmosphère-espace, exprimés en W.m-2. On reconnait lesprincipaux termes du modèle
simplifié : A : rayonnement solaire incident ; C : rayonnement infrarouge émis par la Terre ; D : rayonnement émis par l’at-
mosphère verslaTerre; F :rayonnement émisparleshautescouchesdel’atmosphèrevers l’espace.(Kiehl et Trenberth, 1997).
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La Météorologie - n°72 - février 2011
d’ondes s’étend entre 4 et 40 micro-
mètres, intervalle dans lequel se situe
l’essentiel du rayonnement infrarouge
émis par laTerre. Concentrons-nous sur
la vapeur d’eau (en bleu) et le dioxyde
de carbone (en rouge). Nous voyons que
l’eau est bien le principal gaz à effet de
serre, au sens où c’est elle qui absorbe
le mieux le rayonnement terrestre : l’ab-
sorptivité vaut 1 pour une grande plage
de longueurs d’onde, notamment entre
5 et 8 micromètres, puis au-delà de
16 micromètres. Pour le dioxyde de car-
bone, l’absorptivité est totale autour de
5 et 15 micromètres.
Notons, entre 8 et 16 micromètres, une
fenêtre d’absorption faible qui implique
que dans cette gamme de longueurs
d’onde le rayonnement émis par la sur-
face de la Terre traverse l’atmosphère et
s’échappe dans l’espace : il s’agit des
40 W/m2, marqués B, de la figure 4.
Ces courbes dépendent a priori de la
quantité de gaz présente dans l’at-
mosphère. On peut donc se demander
ce qu’il advient si l’on modifie ces
Avant de répondre à cette question,
voyons ce qu’il en est pour la vapeur
d’eau. La figure 7 montre l’absorptivité
pour différentes teneurs de l’atmosphère
en vapeur d’eau(1). Les valeurs considé-
rées vont de 5 kg/m2à 40 kg/m2, ce qui
couvre la gamme des valeurs actuelle-
ment observées et encadre la valeur
moyenne actuelle, qui est d’environ
25 kg/m2. On constate que, pour les lon-
gueurs d’onde comprises entre 8 et
20 micromètres, l’absorptivité augmente
avec la teneur en vapeur d’eau. En
dehors de ce domaine spectral,
l’absorption est totale.
concentrations – ce qu’il est facile de
faire en laboratoire. Le résultat est inat-
tendu : mieux, il soulève une interroga-
tion cruciale…
On constate en effet sur la
figure 6 que, pour le dioxyde de
carbone, si l’on divise ou multi-
plie par deux sa concentration
actuelle (proche de 360 ppm),
l’absorptivité du rayonnement
infrarouge par l’atmosphère ne
change pratiquement pas.
Rappelons que la valeur était de
280 ppm il y a une centaine
d’années et de 180 ppm pendant
les périodes glaciaires.
Au vu de ces courbes, il semble
qu’un doublement de la concentration en
dioxyde de carbone n’ait presque aucun
effet sur l’absorptivité. Mais si l’absorp-
tivité du rayonnement par le dioxyde de
carbone ne change pas, l’effet de serre
ne devrait pas changer et la température
d’équilibre de la Terre non plus !
Pourquoi tant s’inquiéter, alors, d’une
augmentation des émissions de ce gaz ?
416 32
Longueur d’onde (micromètre)
0
0,5
1
Absorptivité
H20
CO2
autres
8
Figure 5 - Dépendance spectrale de l’absorptivité des principaux gaz à effet de serre dans la gamme de longueurs
d’onde dans laquelle se situe l’essentiel du rayonnement émis par la surface de la Terre. Les absorptivités sont calcu-
lées sur des intervalles spectraux de 10 cm-1 et les raies d’absorptionne sont donc pas individuellement visibles.
Figure 6 - Dépendance spectrale de l’absorptivité pour trois valeurs de la concentration de l’atmosphère en CO2, si
ce gaz était le seul gaz absorbant.
(1) La concentration de vapeur d’eau variant très
fortement avec l’altitude, on considère plutôt l’in-
tégrale de la masse de vapeur d’eau sur une verti-
cale. La variation avec la latitude est également
grande : de 4 kg/m2aux hautes latitudes à
45 kg/m2près de l’équateur. La concentration de
CO2est au contraire très peu variable pour des
altitudes inférieures à 50 km, et donc l’intégrale
de sa masse suivant la verticale est directement
proportionnelle à sa concentration moyenne,
grandeur utilisée ici.
16 32
Longueur d’onde (micromètre)
0
0,5
1
Absorptivité
H20(5kg/m2)
H20(20kg/m2)
H2O(40 kg/m2)
CO2
48
Figure 7 - Dépendance spectrale de l’absorptivité pour
trois valeurs du contenu en vapeur d’eau de l’at-
mosphère, ici exprimé en kg/m2. La courbe relative au
dioxyde de carbone est reproduite pour comparaison.
La saturation
de l’absorption
du rayonnement
Une façon de synthétiser ces propriétés
consiste à calculer l’absorptivité de l’at-
mosphère, moyennée sur tout le spec-
tre, pour le rayonnement infrarouge
émis par la surface de la Terre. Il suffit
pour cela de pondérer la valeur de l’ab-
sorptivité pour chaque longueur d’onde
(cf. figures 6 et 7) par le flux du rayon-
nement émis par la surface à cette lon-
gueur d’onde (cf. figure 3, partie
droite), d’effectuer la somme sur toutes
les longueurs d’onde et de ramener le
résultat au flux total émis par la Terre.
36 La Météorologie - n° 72- février 2011
Altitude (Z)
Altitude (Z)
Z
Ze
Z
Ze
OO
ZZ
a) b)
Zone
"aveugle"
Zone
"aveugle"
Figure 9 - À gauche, représentation schématique de l’évolution du rayonnement émis vers le haut par la surface et
par l’atmosphère pour 4 altitudes particulières. La surface est à l’altitude 0 et le somment de l’atmosphère à l’alti-
tude Z. Les formes en triangle schématisent la diminution progressive de l’intensité du rayonnement avec l’alti-
tude, du fait de l’absorption par l’atmosphère, pour un rayonnement émis à la base du triangle. À droite,
représentation de l’altitude d’émission correspondante.
a) le schéma correspond à une atmosphère de référence ;
b) le schéma correspond à une atmosphère pour laquelle la quantité d’absorbant a augmenté.
Figure 8 - Absorptivité de l’atmosphère, moyennée sur tout le spectre infrarouge du rayonnement émis par la sur-
face de la Terre :
a) en fonction de la concentration en dioxyde de carbone, en ppm, pour une atmosphère sans vapeur d’eau (tirets
rouge) ou avec une concentration de vapeur d’eau moyenne de 25 kg.m-2 (ligne continue bleue) ;
b) en fonction de la masse totale de vapeur d’eau par unité de surface.
Les résultats pour différentes valeurs
des concentrations sont présentés sur
les figures 8a et 8b.
Pour le dioxyde de carbone, la « satura-
tion » de la bande d’absorption à
15 micromètres visible sur la figure 6 se
reflète dans le fait que la courbe de la
figure 8a est pratiquement plate pour des
concentrations supérieures à environ
200 ppm. L’absorptivité moyenne aug-
mente fortement avec la concentration de
CO2uniquement pour des concentra-
tions inférieures à quelques dizaines de
ppm, jusqu’à ce que l’absorption par la
bande à 15 micromètres soit saturée. Au-
dessus de cette concentration, l’absorpti-
vité n’augmente presque plus avec la
concentration de CO2, et cette augmenta-
tion est encore plus faible lorsque l’at-
mosphère contient de la vapeur d’eau(1).
Si l’on utilise cette variation de l’absorp-
tivité dans un modèle de serre à une vitre
(cf. Annexe), on trouve qu’un double-
ment de la concentration de CO2entraîne
une augmentation de l’effet de serre
environ 7 fois plus faible que les estima-
tions basées sur des modèles radiatifs
détaillés.
Le cas de la vapeur d’eau est très diffé-
rent (figure 8b). Pour de faibles quanti-
tés de vapeur d’eau (inférieures à
2 kg/m2), l’absorptivité moyenne aug-
mente rapidement avec la concentration
et elle continue d’augmenter pour des
valeurs plus élevées, même si c’est de
façon plus faible. La forte augmentation
de l’absorptivité pour les faibles conte-
nus en vapeur d’eau est due aux bandes
d’absorption les plus intenses (entre 6
et 8 micro mètres, et au -dessus de
20 micromètres). Quand celles-ci sont
saturées, l’accroissement plus lent de
l’absorptivité provient du comblement
progressif de la fenêtre d’absorption
faible entre 8 et 20 micromètres (cf.
figure 7). Cette augmentation continue
de l’absorptivité moyenne en fonction
de la concentration de vapeur d’eau fait
que le modèle simple d’effet de serre à
une vitre rend compte au premier ordre
de ce qui se passe : l’accroissement de la
concentration en vapeur d’eau augmente
l’absorptivité du rayonnement infra-
rouge par l’atmosphère, qui entraîne une
augmentation de l’effet de serre compa-
rable à celle que l’on obtient avec des
modèles radiatifs détaillés. Le calcul est
présenté en annexe.
La notion d’altitude
d’émission
La question demeure entière cependant,
concernant la partie du spectre où l’ab-
sorptivité est totale, saturée. Pour le
dioxyde de carbone, c’est le cas pour
des bandes d’absorption autour de 5 et
15 micromètres ; pour la
vapeur d’eau, c’est le cas
pour les longueurs d’onde
entre 6 et 8 micromètres et
au-dessus de 20 micromè-
tres. Comment le rayonne-
ment est-il émis et absorbé
dans ces parties du spectre
infrarouge pour lesquelles
l’absorptivité est saturée ?
Le mécanisme est le suivant :
dans ces domaines de lon-
gueur d’onde, le rayonne-
ment émis par la surface de la Terre est
totalement absorbé par les basses cou-
ches de l’atmosphère. Celles-ci émet-
tent leur propre rayonnement dans
toutes les directions – vers la surface et
vers l’espace – et ainsi de suite de pro-
che en proche, en montant en altitude.
Puis vient un moment où la quantité de
gaz absorbant, située au-dessus de la
couche émettrice considérée, devient
suffisamment faible pour qu’une partie
du rayonnement qu’elle émet puisse
s’échapper vers l’espace. Il ne s’agit
pas, bien sûr, d’une altitude précise car,
d’une part, le phénomène est continu et,
d’autre part, il dépend de la longueur
d’onde.
Ainsi, pour chaque longueur d’onde,
on peut décomposer de façon schéma-
tique l’atmosphère en deux couches
(figure 9a). Une première, aux basses
altitudes, pour laquelle le rayonnement
émis n’atteint jamais l’espace, car il est
absorbé par la région de l’atmosphère
située au-dessus. On dit que cette couche
est aveugle, qu’elle ne voit pas l’espace et
que réciproquement elle n’est pas vue
depuis l’espace. La seconde couche est
constituée de l’atmosphère au-dessus de
la précédente. Le rayonnement qu’elle
émet vers le haut atteint l’espace, au
moins partiellement. Et réciproquement,
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
0250 500 750 1000 1250
Concentration de CO2
atm. standard
atm. sans H2O
0
0,2
0,4
0,6
0,8
1
Absorptivité moyenne
Absorptivité moyenne
60
40
200 80
Quantité intégrée de H2O (kg/m2)
a)b)
(1) Cette légère augmentation de l’absorptivité
est due au fait que les bords des bandes d’absorp-
tion s’élargissent un peu avec la concentration de
dioxyde de carbone (cf. figure 6).
37
La Météorologie - n°72 - février 2011
c’est cette couche qui est vue depuis
l’espace, notamment par les radio-
mètres à bord des satellites.
On peut calculer l’altitude moyenne à
laquelle le rayonnement qui atteint
l’espace a été émis. Cette altitude est
appelée altitude d’émission et cette
notion nous permet de construire une
image mentale simplifiée des échanges
radiatifs avec l’espace lorsque l’absorp-
tion dans l’atmosphère est saturée : le
rayonnement vu depuis l’espace est
émis par l’atmosphère à une altitude
d’émission Ze, et la puissance émise
dépend, comme nous l’avons vu, de la
température à cette altitude d’émission.
Sur Terre, l’altitude d’émission, dans les
domaines spectraux correspondant aux
bandes d’absorption de H2O ou du CO2,
est de l’ordre de quelques kilomètres,
disons de 3 à 8 km. Cela signifie qu’en
dehors de la fenêtre de transparence de
l’atmosphère (entre 8 et 13 micromètres),
tout se passe comme si le rayonnement qui
sort du systèmeTerre-atmosphère avait été
émis par la région de l’atmosphère au-
dessus de 3 à 8 km d’altitude.
Que se passe-t-il lorsque la quantité de
gaz absorbant augmente ? Du fait de
l’augmentation de l’absorption, un
rayonnement émis à une altitude donnée
est absorbé sur des distances plus cour-
tes que précédemment, comme schéma-
tisé sur la figure 9b. Le rayonnement
émis vers le haut au milieu de l’at-
mosphère, qui était précédemment par-
tiellement absorbé avant d’atteindre le
sommet de l’atmosphère, l’est mainte-
nant totalement. La partie de lat-
mosphère qui voit l’espace se réduit par
le bas tandis que la partie aveugle de
l’atmosphère augmente. En consé-
quence, l’altitude d’émission augmente.
C’est le point crucial.
Prise en compte
du gradient de
température vertical
À ce stade, il est important de se souvenir
que l’intensité du rayonnement émis par
une couche de l’atmosphère varie beau-
coup avec la température absolue T, car il
s’agit de la quatrième puissance de T. Par
exemple, le rapport des intensités émises
lorsque la température passe de +15°C
273 - 15 4
à -15°C est
( )
= 0,64. L’approxi-
273+15
mation d’une atmosphère isotherme est
donc certainement mauvaise.
Or le gradient thermique dans les 10 à
15 premiers kilomètres de l’atmosphère
(appelée troposphère) est bien connu : il
est contrôlé par les mouvements de
convection atmosphérique. De quoi
s’agit-il ?
Lorsqu’une masse d’air est au contact
avec un sol un peu plus chaud qu’elle,
elle acquiert une température un peu
supérieure à l’air environnant, sa densité
diminue, et elle subit un mouvement
ascendant (c’est un effet de poussée
d’Archimède dans l’air). Cette montée
s’effectue pratiquement sans échange
thermique avec l’air environnant car l’é-
chelle de temps est plus rapide que celle
de la conduction thermique. Comme la
pression de l’air environnant diminue
avec l’altitude, la masse d’air en ascen-
sion se détend, se dilate et, par consé-
quent, se refroidit (c’est le phénomène
inverse d’une compression sans échange
thermique qui produit une élévation de
température, comme on le constate en
gonflant un pneu de bicyclette avec une
pompe). Cette détente est dite adiaba-
tique, ce qui signifie sans échange de
chaleur avec l’air environnant. La
thermodynamique permet de calculer la
diminution de température avec l’alti-
tude, qu’on appelle le gradient adiaba-
tique (cf. Annexe). Pour un air sans
vapeur d’eau, il s’agit d’environ 1 °C
tous les 100 m, et pour un air contenant
de la vapeur d’eau, environ 0,6 à 0,8 °C
tous les 100 m selon l’humidité de l’at-
mosphère (la condensation de vapeur
d’eau en gouttelettes apporte de l’éner-
gie à l’air, donc le refroidissement est
moins rapide selon la quantité d’eau
condensée). Dans les régions tropicales
et aux moyennes latitudes, le gradient
observé est très proche de la valeur théo-
rique, aussi bien en été qu’en hiver, et
les raisons de ce bon accord sont bien
comprises (Xu et Emanuel, 1989).
Pour simplifier, nous prendrons dans
la suite un gradient vertical de tempé-
rature dans l’atmosphère constant.
Le point essentiel est qu’il est indé-
pendant des échanges radiatifs
et indépendant de la concentration en
CO2.
Accroissement
de l’effet de serre
pour une atmosphère
dont l’absorption
est saturée
Nous sommes maintenant en mesure de
répondre à notre question : si l’absorpti-
vité du rayonnement émis par la surface
terrestre est déjà saturée (donc maxi-
male), par quel mécanisme l’augmenta-
tion de la concentration d’un gaz
absorbant peut-elle augmenter l’effet de
serre, et donc la température de surface
de la Terre ?
Négligeons la dépendance spectrale
et supposons que l’absorption soit
saturée dans tout le domaine infra-
rouge. L’équilibre radiatif de la Terre
peut alors être schématisé de la façon
suivante : à l’altitude Ze, le rayonne-
ment émis vers l’espace équilibre le
rayonnement solaire incident, dimi-
nué de la partie réfléchie. Si l’on sup-
pose que l’atmosphère à cette altitude
émet comme un corps noir, sa tempé-
rature T1doit être telle que la puis-
sance
σ
T4
1rayonnée par l’atmosphère
équilibre la puissance Fs= (1 - A)S
reçue du Soleil (figure 10a). On a
donc :
(1-A)S=
σ
T4
1
Z
Z1
T1T1T1
T2
Z1
Z2Z2
ZZ
Altitude
Fir = Fs
Fir Fir Fir
FsFsFs
Fir = Fs
Fir < Fs
a) b) c)
Figure 10 - Schémas illustrant la variation de l’effet de serre et de la température consécutifs à une augmentation
de la concentration en gaz à effet de serre pour lequel l’absorptivité est déjà saturée :
a) atmosphère de référence, à l’équilibre ;
b) l’altitude d’émission augmente, le rayonnement infrarouge émis vers l’espace diminue, il y a déséquilibre ;
c) un nouvel équilibre est atteint avec une température plus élevée de l’atmosphère et de la surface.
Ce schéma contient la clef de la compréhension de l’effet de serre pour une atmosphère dont l’absorptivité est
saturée.
38 La Météorologie - n° 72- février 2011
Nous avons vu précédemment que cette
température est(1) de 255 K pour les
valeurs A= 0,31 et S= 342 W.m-2 .
Lorsque la concentration de gaz absor-
bant augmente, nous avons également
vu que l’altitude d’émission augmente
et prend une valeur Z2supérieure à la
valeur précédente Z1(figure 10b). En
raison de l’existence du gradient verti-
cal de température, la température T2du
gaz à cette nouvelle altitude est infé-
rieure à la température précédente T1.
Comme la température d’émission est
plus petite, la puissance du rayonne-
ment émis est plus faible. Conclusion :
le système n’est plus à l’équilibre, car il
reçoit plus d’énergie du Soleil qu’il
n’en émet ! Conséquence : le haut de
l’atmosphère se réchauffe, et du fait des
mouvements de convection, cet échauf-
fement se propage à toute l’atmo-
sphère, en maintenant constant le
gradient vertical de température jusqu’à
ce qu’un nouvel équilibre soit atteint
(figure 10c).
Nous voyons donc que même si l’ab-
sorptivité d’une atmosphère est saturée,
c’est-à-dire même si l’atmosphère
absorbe déjà tout le rayonnement émis
par la surface terrestre, l’effet de serre
peut néanmoins augmenter si la quan-
tité de gaz absorbant augmente. Et nous
avons vu que la variation de l’altitude
d’émission et l’existence d’un gradient
vertical de température jouaient un rôle
clef dans le mécanisme de variation de
l’effet de serre.
Après coup, ce résultat était-il prévisi-
ble ? Avec le modèle à une vitre, l’effet
de serre est maximal lorsque la vitre
absorbe tout le rayonnement infra-
rouge. Mais que se passe-t-il si l’on
place deux vitres absorbant chacune
totalement le rayonnement infrarouge
au lieu d’une seule ? L’absorption totale
ne change pas, elle est toujours maxi-
male et égale à 1. En revanche, la vitre
n° 1 a un effet de serre sur la vitre n° 2
qui a un effet de serre sur la surface. Il
est facile de montrer que la température
de surface augmente avec le nombre de
vitres (cf. Annexe). Sur cet exemple à
N vitres, on voit clairement que l’effet
de serre peut être augmenté même si
l’absorption est déjà totale. Le fait
d’avoir plusieurs vitres permet à ces
vitres d’avoir des températures diffé-
rentes, c’est-à-dire d’introduire un gra-
dient vertical de température.
Néanmoins, il existe une différence
importante entre l’effet de serre à N
vitres et le modèle fondé sur la notion
d’altitude d’émission et de gradient de
température imposé. Dans le premier
cas, on trouve que la température de la
surface, par rapport à sa valeur en
l’absence de vitre, est multipliée par
(N+1)1/4, et que les vitres successives
ont une température décroissante jus-
qu’à la Ne, dont la température d’équili-
bre est celle de la surface sans vitre. On
trouve donc bien un gradient de tempé-
rature, mais celui-ci est déterminé par
les propriétés radiatives des vitres. Dans
l’effet de serre atmosphérique, le gra-
dient de température est imposé par les
mouvements convectifs et les échanges
radiatifs entre les diverses couches
s’adaptent à ce gradient.
Conclusion
Dans cet article, nous avons présenté un
modèle qui prend en compte deux
aspects essentiels de l’effet de serre
souvent négligés dans les modèles les
plus simplistes : l’existence d’un gra-
dient vertical de température atmosphé-
rique et la saturation de l’absorption du
rayonnement infrarouge par le dioxyde
de carbone.
Pour le CO2, il est indispensable d’in-
troduire la notion d’altitude d’émission
et de sa variation avec la variation de la
concentration en CO2. Pour la vapeur
d’eau, en revanche, le modèle d’une
serre à une vitre (ou d’un capteur
solaire) dont l’efficacité augmente
lorsque l’absorption de la vitre aug-
mente permet d’expliquer au premier
ordre les résultats.
L’interprétation de l’effet de serre pré-
sentée dans cet article comporte encore
d’importantes simplifications. Par exem-
ple, le traitement d’un mélange de
vapeur d’eau et de dioxyde de carbone
pose le problème du recouvrement des
spectres d’absorption de ces deux molé-
cules. Néanmoins, une explication quali-
tative satisfaisante peut être obtenue en
remarquant que la vapeur d’eau est prin-
cipalement située dans la basse
atmosphère alors que le CO2est mélangé
de façon homogène dans les 50 premiers
kilomètres de l’atmosphère. Le raisonne-
ment que nous avons fait est donc vala-
ble en considérant le CO2situé au-dessus
de la vapeur d’eau.
Une autre simplification importante
consiste à supposer que le gradient ver-
tical de température est constant, alors
qu’il change de signe vers 10-15 km
d’altitude : dans la stratosphère en effet,
l’absorption du rayonnement UV par
l’ozone et le dioxygène induit une aug-
mentation de la température avec l’alti-
tude. Si l’on applique le raisonnement
présenté dans cet article à cette région,
on trouve qu’une augmentation de l’al-
titude d’émission augmente la tempéra-
ture d’émission et donc diminue l’effet
de serre. Des considérations plus com-
plètes montrent cependant que la stra-
tosphère se refroidit lorsque le CO2
augmente et que globalement la stra-
tosphère a un comportement neutre
lorsque le CO2varie.
Enfin, si nous avons analysé comment
une variation de la concentration de l’at-
mosphère en gaz absorbant modifiait les
échanges par rayonnement, l’effet de
serre et finalement la température, nous
n’avons pas pris en compte les phéno-
mènes de rétroaction : un changement
de température peut modifier la compo-
sition de l’atmosphère et donc l’effet de
serre, et finalement la température. Cet
effet est particulièrement important pour
la vapeur d’eau : à humidité relative
constante, un accroissement de tempéra-
ture de 3 °C autour de 15 °C augmente
la quantité de vapeur d’eau atmosphé-
rique d’environ 5 kg/m2(soit 25 %). Il
en résulte une augmentation de l’ab-
sorptivité de l’atmosphère, un comble-
ment partiel de la « fenêtre atmo-
sphérique » et un renforcement de l’effet
de serre. La variation de la quantité de
vapeur d’eau modifie également le gra-
dient vertical de température, ce qui à
tendance à diminuer l’effet précédent.
Au total, l’augmentation de la quantité
de vapeur d’eau reste la rétroaction posi-
tive la plus importante, les autres étant
dues au changement des nuages, de la
couverture de neige ou de glace (Bony
et Dufresne, 2007). Enfin, un change-
ment de température peut également
affecter les puits de carbone et donc la
concentration de CO2, ce qui constitue
une autre boucle de rétroaction
(Friedlingstein et al., 2007). Ces phéno-
nes de rétroaction ont une forte
influence sur l’amplitude des variations
de la température de la Terre et sont la
principale source d’incertitude de son
estimation.
Il existe plusieurs ouvrage de référence
sur le calcul des échanges radiatifs dans
les atmosphères (Goody et Yung 1995 ;
Liou 2002 ; De Moor, 2007) et il existe
également plusieurs familles de modè-
les de transfert radiatif, bien documen-
tés dans la littérature scientifique, qui
permettent de calculer les échanges
radiatifs dans l’atmosphère avec une
(1) Pour une atmosphère standard, dont la tempé-
rature de surface est de 288 K et le gradient verti-
cal de température de -6,5 K/km, cette
température correspond à une altitude de 5 km
environ.
39
La Météorologie - n°72 - février 2011
Annexe
Modèle d’atmosphère isotherme partiellement absorbante
(modèle à une vitre) et sensibilité de l’effet de serre à l’absorption
L’atmosphère est modélisée par une couche homogène (une vitre) de température Ta, dont l’absorptivité est
α
adans le domaine
visible et
α
adans le domaine infrarouge. La diffusion du rayonnement solaire par l’atmosphère (nuages, aérosols, gaz, etc.) est trai-
tée de la façon simplifiée suivante : une fraction r du rayonnement solaire incident Sest réfléchie vers l’espace avant de pénétrer
dans l’atmosphère, laquelle reçoit par conséquent le flux Si=(1-r)S. Le sol est modélisé par une surface opaque de température T,
d’absorptivité
α
Sdans le domaine visible et qui vaut 1 dans le domaine infrarouge. On suppose que l’absorptivité est égale à
l’émissivité dans le domaine infrarouge :
ε
a=
α
aet
ε
S=
α
S= 1 (loi de Kirchhoff, étendue à une plage spectrale).
Considérons successivement le rayonnement solaire incident, le rayonnement émis par l’atmosphère et le rayonnement émis par la Terre.
1) Rayonnement solaire
Le flux pénétrant Siest en partie absorbé par l’atmosphère ; une partie de ce qui la
traverse est absorbée par le sol, le complément est réfléchi ; une partie de ce qui
est réfléchi est absorbé par l’atmosphère et le reste s’échappe enfin vers l’espace.
grande précision. Ces modèles peuvent
être considérés comme des références
pour nos besoins. En calculant les
échanges radiatifs pour une atmosphère
donnée, et pour la même atmosphère
dans laquelle on met alternativement à
zéro la concentration de chacun des gaz
absorbants (CO2, H2O, O3...), on peut
estimer la contribution moyenne de ces
différents gaz à l’effet de serre sur le
globe, dans les conditions actuelles
(figure 1, Kiehl etTrenberth, 1997). On
peut également quantifier la perturba-
tion de l’effet de serre. Comme autre
résultat classique, citons qu’un double-
ment de la concentration de CO2aug-
mente l’effet de serre de 3,7 W.m-2.
Pour terminer, il convient de préciser le
statut des modèles très simples discutés
ici et de bien les différencier des modè-
les beaucoup plus complets utilisés par
les spécialistes. Dans ces approches
détaillées, les bilans radiatifs des diffé-
rentes couches sont effectués à partir
des données moléculaires et dans une
géométrie tridimensionnelle. L’effet de
serre est un résultat de ces calculs et,
par exemple, l’émission vers l’espace
du rayonnement infrarouge terrestre est
traitée dans toute sa complexité et non
en terme d’une altitude d’émission. Le
cas d’une atmosphère dépourvue de
nuages et d’aérosols est aujourd’hui
bien compris. Le calcul du bilan radiatif
de la Terre en réponse à une modifica-
tion de la concentration en dioxyde de
carbone repose sur des bases physiques
solides et ne comporte plus de difficulté
fondamentale. Les climatologues se
concentrent sur la modélisation de phé-
nomènes plus difficiles : changement
de la concentration de vapeur d’eau,
rôle des nuages et des aérosols, etc.
Il n’empêche qu’il est important d’éla-
borer des modèles simples qui permet-
tent de comprendre les mécanismes à
l’œuvre. Comprendre, c’est être capable
de se faire une représentation mentale
qualitative de ces mécanismes. Mais
simple ne veut pas dire simpliste : nous
avons vu que le modèle de l’effet de
serre à une vitre est très incomplet pour
interpréter la variation de l’effet de
serre dû au CO2. Le modèle à Nvitres
permet de résoudre le paradoxe de l’ef-
fet de saturation mais, en revanche, il ne
représente pas le fait que dans l’at-
mosphère ce sont les échanges par
convection qui régissent le gradient ver-
tical de température. Par cet article,
nous espérons avoir contribué à com-
bler ces lacunes. C’est ce qui justifie de
traiter, comme nous l’avons fait, les
propriétés d’absorption de façon glo-
bale et dans une géométrie simplifiée.
Remerciements
Les calculs radiatifs présentés dans cet
article ont été réalisé avec le modèle
SBDART (Ricchiazzi et al., 1998). Ce
modèle, à bande étroite, n’est pas à
proprement parler un modèle radiatif de
référence. Néanmoins, sa précision est
largement suffisante pour la plupart
des applications climatiques ou les
exemples présentés ici.
α
aSi
α
a(1 -
α
S)(1 -
α
a)Si
(1 -
α
a)2(1 -
α
S)Si
atmosphère
sol
Si
(1 -
α
a)Si(1 -
α
S)(1 -
α
a)Si
α
S(1 -
α
a)Si
ε
a
σ
T44
a
ε
a
σ
T44
a
ε
a
σ
T44
a
atmosphère
sol
C’est un rayonnement de corps noir pondéré par l’émissivité de l’atmosphère. Ce
qui est émis vers le sol est, par hypothèse du corps noir parfait, totalement
absorbé.
2) Rayonnement infrarouge émis par l’atmosphère
40 La Météorologie - n° 72- février 2011
3) Rayonnement infrarouge émis par le sol
La situation est simple : une partie est absorbée par l’atmosphère, le reste s’échappe vers
l’espace.
Nous pouvons maintenant écrire deux bilans radiatifs : pour l’atmosphère, pour le sol. Dans
chaque cas, nous écrivons qu’il y a équilibre entre l’énergie absorbée et l’énergie émise.
Pour l’atmosphère :
αa[1 + (1-
α
S)(1 -
α
a)]Si+
α
a
σ
T4
S= 2
ε
a
σ
T4
a
Pour la surface :
α
S(1 -
α
a)Si+
ε
a
σ
T4
a=
σ
T4
S
D’où, après élimination, les expressions donnant Taet TS:
αa[1 + (1-
α
S)(1 -
α
a)] +
α
a
α
S(1 -
α
a)
ε
a
σ
T4
a=Si2 -
α
a
αa[1 + (1-
α
S)(1 -
α
a)] +
α
a
α
S(1 -
α
a)
σ
T4
a=Si[
α
S(1 -
α
a)+]
2 -
α
a
En se basant sur les données de la figure 3, on prend les valeurs suivantes :
– rayonnement solaire incident S= 342 W.m-2 ;
– fraction du rayonnement solaire réfléchi par l’atmosphère : r= 77/342 = 0,225 ;
– rayonnement pénétrant dans l’atmosphère : Si=(1–r)S= 265 W.m-2 ;
– absorptivité de l’atmosphère pour le rayonnement solaire :
α
a= 67/265 = 0,25 ;
– absorptivité de l’atmosphère pour le rayonnement infrarouge :
α
a= 350/390 = 0,90 (rayonnement infrarouge émis par la surface
et absorbé par l’atmosphère/rayonnement émis par la surface) ;
– absorptivité du sol pour le rayonnement solaire
α
S= 168/198 = 0,85 (rayonnement solaire absorbé par la surface/rayonnement
solaire incident à la surface).
On obtient alors Ta= 251 K ou -22 °C et TS= 285 K ou 12 °C. La valeur de surface est en assez bon accord avec la valeur déduite des
observations (15 °C), les 3 °C manquants pouvant être obtenus en diminuant légèrement la réflectivité (r= 0,19 au lieu de 0,225).
Cherchons maintenant à calculer la sensibilité de l’effet de serre à une variation de l’absorption du rayonnement infrarouge par l’at-
mosphère. Ce calcul consiste à déterminer la variation du rayonnement infrarouge à la tropopause (vers 15 km, à la base de la stra-
tosphère) en réponse à une variation de la concentration d’un gaz, en maintenant fixe la température de l’atmosphère et celle de la
surface. Ce calcul peut être facilement mis en œuvre avec toute sorte de modèles radiatifs, dont des modèles très précis et très
coûteux en temps de calcul. Cette variation du rayonnement infrarouge s’appelle le « forçage radiatif » et, dans notre cas, cela cor-
respond à une variation de l’effet de serre.
Avec notre modèle, le flux infrarouge au sommet de l’atmosphère est donné par : F=(1 -
α
a)
σ
T4
S+
α
a
σ
T4
a
(on a tenu compte du fait que
ε
a=
α
a). La variation de ce flux rapporté à la variation de l’absorptivité de l’atmosphère est par conséquent :
F=-
σ
T4
S+
σ
T4
a.
α
aF
Avec les valeurs numériques de notre exemple, on trouve = 146 W.m-2.
α
a
Pour une augmentation de la vapeur d’eau de 20 % par rapport à une valeur caractéristique de 30 kg.m-2, un code radiatif classique
donne une augmentation de l’effet de serre de 4,1 W.m-2 et une augmentation de l’absorption de
α
a0,036. Avec le pré-
F
sent modèle, cette variation induit une variation de l’effet de serre de F= –
α
a= 5,3 W.m-2, en relativement bon accord avec
α
a
la valeur du modèle radiatif classique.
Pour un doublement de CO2, (de 360 ppm à 720 ppm) et pour une atmosphère dont le contenu en vapeur d’eau est de 30 kg.m-2,
on obtient avec le même code radiatif une augmentation de l’effet de serre à la tropopause de 4,7 W.m-2 (cette valeur est calculée
pour une atmosphère sans nuage, ce qui explique qu’elle soit plus élevée que celle de 3,7 W.m-2 mentionnée dans la conclusion de
l’article) et une augmentation de l’absorption de
α
a0,0045. Cette valeur, petite, traduit la saturation de l’absorption du
F
dioxyde de carbone. Le présent modèle conduit alors à une variation de l’effet de serre de : F=
α
a= 0,7 W.m-2, valeur sept
a
a
fois plus faible que la valeur de référence.
(1 -
α
a)
σ
T44
S
σ
T44
S
atmosphère
sol
α
a
σ
T44
S
41
La Météorologie - n°72 - février 2011
On voit ainsi que si le modèle de serre à 1 vitre prévoit un effet de serre et une température de surface de la Terre proches des esti-
mations classiques ainsi qu’une estimation satisfaisante de la sensibilité de l’effet de serre à une variation de la concentration en
vapeur d’eau, en revanche, ce modèle n’est pas pertinent pour estimer la sensibilité de l’effet de serre à une variation de la concen-
tration d’un gaz dont l’absorption est saturée : pour le CO2, la sensibilité de l’effet de serre est sous-estimée d’un facteur 7.
Effet de serre, modèle à Nvitres idéalisées
On se propose de calculer les températures d’équilibre de Nvitres indépendantes placées au-dessus d’une surface et soumises au
rayonnement solaire. Chaque vitre est supposée totalement transparente au rayonnement solaire et totalement opaque au rayon-
nement infrarouge émis par la surface et par ses voisines. On néglige tout effet de convection et de conduction thermique.
Soit Sla puissance du rayonnement incident, et Ti, i = 1, 2, …, N, les températures d’équilibre des vitres. Soit T0la température
d’équilibre de la surface. Les émissions de corps noir des différentes surfaces s’effectuent dans toutes les directions, mais par souci
de simplicité nous ne considérons que la dimension verticale. L’équilibre de chaque surface est obtenu en écrivant que la puis-
sance reçue est égale à la puissance émise. D’où le système d’équations suivantes :
TN
TN-1
TN-2
T2
T1
T0
2
σ
T4
N=
σ
T4
N-1
2
σ
T4
N-1 =
σ
T4
N+
σ
T4
N-2
2
σ
T4
N-2 =
σ
T4
N-1 +
σ
T4
N-3
……………………………………………………
2
σ
T4
2=
σ
T4
3+
σ
T4
1
2
σ
T4
1=
σ
T4
2+
σ
T4
0
σ
T4
0=
σ
T4
1+S
S1/4
En additionnant toutes les équations, on obtient la relation
σ
T4
N=S, puis par report de proche en proche, TN-i =(i+1)1/4
(
σ
)
, d’où
T0=(N+1)1/4
(
S
σ
)
1/4
Calcul du gradient adiabatique pour une atmosphère sèche
La détente adiabatique d’un gaz parfait (masse volumique
ρ
, masse molaire M) est régie par la loi : p1-
γ
T
γ
= constante, où γdésigne
l’indice adiabatique du gaz, égal au rapport des enthalpies massiques respectivement à pression (cp) et à volume constant (cv).
Lorsque l’altitude augmente de dz, la pression diminue de : dp= -
ρ
gdz,
et la température de dTtel que (1-
γ
) dp/p+
γ
dT/T=0.
En combinant ces deux équations avec l’équation des gaz parfaits p=
ρ
RT/M, on trouve : dT/dz= -g/cp
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Bibliographie
... On peut donc considérer que l'émission du rayonnement terrestre vers l'espace ne se fait pas à la surface du sol mais à une certaine altitude lui permettant de traverser une couche d'atmosphère suffisamment faible pour que les raies du CO 2 ne soient pas saturées (Dufresne & Treiner 2011). Cette altitude d'émission de l'infrarouge vers l'espace augmente au fur et à mesure de l'accumulation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère : la photosphère infrarouge de la Terre grandit petit à petit. ...
... La valeur actuelle est > 400 ppm. (a)-(c) Source :Dufresne & Treiner (2011). © La Météorologie, https://lameteorologie.fr/ ...
Chapter
La science est au cœur de multiples enjeux de société, au rang desquels les nombreux défis engendrés par les crises écologiques. Ces enjeux impliquent des mécanismes que la physique peut permettre d’expliquer. Une formation universitaire de physique fournit un bagage standard pour critiquer des résultats liés à la discipline : ordres de grandeur, adéquation entre les modèles et les expériences, ou encore incertitudes expérimentales. Cet outillage est nécessaire à tout scientifique. Mais un·e citoyen·ne doit aussi être capable d’interagir avec ses semblables de manière rationnelle, c’est-à-dire comprendre les débats de société et y participer en connaissance de cause.C’est dans cette optique que s’inscrit cet ouvrage, issu d’un cours à destination des étudiant·e·s en troisième année de Licence de physique à Université Paris Cité. Son objectif est double : transmettre un ensemble de connaissances minimales dans quelques domaines physiques sur des thématiques que l’on rencontre fréquemment dans les médias, afin d’en saisir les enjeux, et d'autre part donner des clés permettant de se construire une opinion éclairée.Après avoir expliqué comment le savoir scientifique s’élabore, le manuel apporte des éléments de compréhension sur la radioactivité, le réchauffement climatique, l’énergie dans la société et les émissions de gaz à effet de serre, sans oublier les ondes électromagnétiques et la santé.
... L'atmosphère agit alors en « piégeant » une partie du rayonnement infrarouge réémis par la planète. C'est ce que l'on appelle l'effet de serre, dont les mécanismes, ainsi que leur lien avec la concentration en CO 2 et la vapeur d'eau, sont détaillés par Dufresne and Treiner (2011). Il s'agit donc d'un effet qui permet à notre planète d'être un environnement où la vie telle que nous la connaissons peut se développer. ...
Thesis
Dans le contexte actuel du changement climatique, il est essentiel de bien caractériser et de pouvoir suivre dans le temps le bilan d'énergie radiative terrestre au sommet de l'atmosphère et à la surface. Du point de vue de la mesure, obtenir une estimation correcte du bilan radiatif passe par la détermination précise des flux radiatifs solaire et infra-rouge. L'objectif de cette thèse est d'étudier les flux radiatifs solaires obtenus à partir du radiomètre français POLDER embarqué sur le microsatellite PARASOL du CNES. Une première partie des travaux de thèse présentés consiste à comparer les produits opérationnels actuels de POLDER avec les flux de référence obtenus par les radiomètres à large bande spectrale CERES sur les plates-formes spatiales américaines Aqua et Terra. La comparaison est faite sur deux périodes, la première pour laquelle nous disposons de mesures coïncidentes (2005-2009), et la seconde qui correspond à une période de dérive du satellite PARASOL (2010-2013). Nous montrons que cette dérive a eu un impact direct sur les observations, avec des répercussions sur les flux calculés. En effet, sur la période de coïncidence des mesures les flux POLDER sont très proches des flux CERES pour deux des produits étudiés (SSF1deg, SYN1deg) avec des différences relatives inférieures à 2% jusqu'en décembre 2009. Après cette date, la différence relative augmente. Un effet de compensation terres/océans est par ailleurs mis en évidence. Les résultats obtenus suite à cette comparaison nous ont menés à étudier plus particulièrement la composante de l'algorithme qui permet d'obtenir les moyennes mensuelles des flux POLDER. Celle-ci concerne l'extrapolation diurne, utilisée pour obtenir des estimations de l'albédo à toutes les heures de la journée à partir d'une seule observation en utilisant des modèles qui dépendent de la scène observée. Les modèles utilisés actuellement sont issus de quatre mois d'observations POLDER-1 (1996-1997) et nous avons décidé de mettre à profit les données obtenues sur l'ensemble de la mission PARASOL pour améliorer ces modèles. Les flux solaires obtenus avec les nouveaux modèles présentent moins de dépendance à la dérive au-dessus des océans mais une tendance encore visible au-dessus des terres. Ces résultats nous ont amenés à proposer plusieurs pistes d'amélioration, principalement en augmentant le nombre de modèles POLDER. Ces travaux, basés sur les mesures de POLDER qui a cessé de fonctionner en décembre 2013 mais dont les données sont disponibles, seront en grande partie réutilisables pour le futur radiomètre multispectral, multi-angulaire et polarisé 3MI, développé par l'ESA et EUMETSAT et qui sera embarqué sur la prochaine mission spatiale opérationnelle EPS-SG d'EUMETSAT à partir de 2024 pour une durée d'environ 20 ans.
... Aerosol-radiation interactions. Aerosol-radiation interactions are caused by non-volatile particulate matter emitted during combustion, especially soot (defined as a mixture of black and organic carbon) and aerosols precursor of sulphate (SO [2][3][4] ) and nitrate (NO -3 ). Soot aerosol is formed by the condensation of unburnt aromatic compounds in the combustion chamber and sulphate aerosol by oxidation of sulphur contained in the fuel. ...
Book
Full-text available
Can we analyse and assess the impact of aviation on the climate? Can we compare CO2 and non-CO2 effects? Which technological solutions are being considered to make aviation sustainable? Can we relate the growth rate of air traffic to the share of the global carbon budget allocated to aviation? Can we assess the availability of energy resources? These questions motivated the writing of this report at ISAE-SUPAERO. Their answers largely depend on societal choices and on technological and economic developments which rely on future decisions. Rather than giving a definitive answer to these questions, this report aims to provide each individual, from our scientific standpoint, with the elements required to reach his own conclusions on these matters, as objectively as possible. Through this report and its impact, we furthermore aim to stimulate debate and participate in the emergence of a collective position on these issues.
... L'effet de serre est décrit dans un article de La Météorologie intitulé « L'effet de serre atmosphérique : plus subtil qu'on ne le croit ! » (Dufresne et Treiner, 2011). L'équilibre radiatif du système Terre-atmosphère peut être perturbé par une modif ication, par exemple du rayonnement solaire incident ou des concentrations de gaz à effet de serre contenus dans l'atmosphère, tels le dioxyde de carbone, le méthane, l'ozone ou la vapeur d'eau, car ces gaz interagissent avec le rayonnement infrarouge sortant. ...
... Disposer d'une représentation réaliste de la dimension verticale est une condition sine qua non pourétudier les effets d'une variation de la composition de l'atmosphère, comme un changement de concentration en dioxide de carbone. En effet, pour une atmosphère isotherme, l'effet de serre est très mal représenté car la bande d'absorption du CO 2 est saturée (voir par exemple Dufresne et Treiner, 2011). Une question intéressante est donc d'étudier l'effet d'un changement de concentration en CO 2 dans l'atmosphère sur le champ de température obtenu par le modèle MEP. ...
Article
Article soumis au journal "La Météorologie" (http://documents.irevues.inist.fr/handle/2042/14834) au titre du prix Prud'homme 2013 (http://meteoetclimat.fr/prix-chercheurs-et-scolaires/).
Article
Full-text available
The purpose of this paper is to put forward a new estimate, in the context of previous assessments, of the annual global mean energy budget. A description is provided of the source of each component to this budget. The top-of-atmosphere shortwave and longwave flux of energy is constrained by satellite observations. Partitioning of the radiative energy throughout the atmosphere is achieved through the use of detailed radiation models for both the longwave and shortwave spectral regions. Spectral features of shortwave and longwave fluxes at both the top and surface of the earth's system are presented. The longwave radiative forcing of the climate system for both clear (125 W m-2) and cloudy (155 W m-2) conditions are discussed. The authors find that for the clear sky case the contribution due to water vapor to the total longwave radiative forcing is 75 W m-2, while for carbon dioxide it is 32 W m-2. Clouds alter these values, and the effects of clouds on both the longwave and shortwave budget are addressed. In particular, the shielding effect by clouds on absorption and emission by water vapor is as large as the direct cloud forcing. Because the net surface heat budget must balance, the radiative fluxes constrain the sum of the sensible and latent heat fluxes, which can also be estimated independently.
Article
Full-text available
We examine the mean and standard deviation of the buoyancy of lifted boundary layer parcels from a large sample of soundings from the western equatorial Pacific. The inclusion of condensate loading in the definition of buoyancy is emphasized as is the precise originating level of parcels in the subcloud layer. We confirm the observation of Betts that those parts of the tropical atmosphere experiencing deep convection are nearly neutral to adiabatic parcel ascent from the subcloud layer when adiabatic condensate loading is included in the definition of buoyancy. Parcels lifted from the top of the subcloud layer are more nearly neutral than those originating near the surface, and atmospheres with higher levels of free convection (LFCs) are closer to neutral than those with low LFCs. -from Authors
Article
SBDART is a software tool that computes plane-parallel radiative transfer in clear and cloudy conditions within the earth's atmosphere and at the surface. All important processes that affect the ultraviolet, visible, and infrared radiation fields are included. The code is a marriage of a sophisticated discrete ordinate radiative transfer module, low-resolution atmospheric transmission models, and Mie scattering results for light scattering by water droplets and ice crystals. The code is well suited for a wide variety of atmospheric radiative energy balance and remote sensing studies. It is designed so that it can be used for case studies as well as sensitivity analysis. For small sets of computations or teaching applications it is available on the World Wide Web with a user-friendly interface. For sensitivity studies requiring many computations it is available by anonymous FTP as a well organized and documented FORTRAN 77 source code.