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Analyse pédologique et sédimentologique des sols
alluviaux et paléosols des terrasses d’inondation
L. Lavoie1, D. Saint-Laurent2, et J. St-Laurent
1Chimie-Biologie, Université du Québec à Trois-Rivières, C.P. 500, Trois-Rivières, Québec, canada G9A 5H7; et
2Géographie, Université du Québec à Trois-Rivières, C.P. 500, Trois-Rivières, Québec, Canada G9A 5H7.
Reçu le 3 juin 2005, acceptée le 5 mai 2006.
Lavoie, L., Saint-Laurent, D. et St-Laurent, J. 2006. Analyse pédologique et sédimentologique des sols alluviaux et paléosols
des terrasses d’inondation. Can. J. Soil Sci. 86: 813–826. Cette étude porte sur la dynamique fluviale des rivières du sud du
Québec et plus particulièrement sur le développement des sols alluviaux assujettis aux récurrences d’inondation. La fréquence des
événements d’inondation dans les bassins du centre-sud du Québec, soit le long de la rivière Saint-François et de ses principaux
tributaires, entraîne un apport constant de sédiments de crues sur les terrasses et provoque le développement de sols jeunes et peu
évolués. Les analyses granulométriques et physico-chimiques réalisées ont permis de mieux comprendre la dynamique de formation
des terrasses alluviales ainsi que le développement des sols associés à ces environnements fluviaux. Les analyses sédimentologiques
(texture et épaisseur des couches) combinées aux datations radiocarbones (14C) ont permis d’évaluer les taux de sédimentation le
long des terrasses. Les datations 14C obtenues à partir des couches organiques enfouies dans les terrasses indiquent des âges rel-
ativement variables, soit entre 2210 ± 60 ans et 30 ± 70 ans AA selon les secteurs d’étude. Enfin, les données recueillies révèlent une
importante accumulation sédimentaire qui témoigne de la récurrence des inondations dans cette région. On évalue que les apports
annuels lors des crues sont de l’ordre de 0,5 à 3,5 cm an–1 en moyenne, ce qui provoque au cours des années un rehaussement du niveau
des terrasses. De plus, la présence de couches contaminées aux hydrocarbures C10–C50 observées le long des terrasses a permis d’é-
valuer les apports alluvionnaires qui sont de l’ordre de 1,84 à 3,55 cm an–1. La variabilité des taux sédimentaires dépend en grande
partie du contexte géomorphologique et de la dynamique fluviale propre à chacun des secteurs d’étude.
Mots clés: Sols et paléosols, inondations, terrasses alluviales, taux sédimentaires, contamination
Lavoie, L., Saint-Laurent, D. and St-Laurent, J. 2006. Pedological and sedimentological analyses of alluvial soils and paleosols
on floodplain terraces. Can. J. Soil Sci. 86: 813–826. This study pertains to the fluvial dynamics of rivers in south-central Québec,
in particular to the aggradation and pedogenic processes observed in alluvial terraces affected by floods. The frequency of flood
events in south-central Québec basins, notably along the Saint-François river and its main tributaries, leads to fine sediments being
continuously deposited on floodplains and weak development of alluvial soils. Particle size and physico-chemical analyses have
led to a better understanding of the dynamics involved in the formation of alluvial terraces and the development of soils and
paleosols related to this fluvial environment. Sedimentological analyses (layer texture and thickness) combined with radiocarbon
dating (14C) enabled the determination of sedimentation rates along the terraces. The radiocarbon-14 dating results obtained from
the organic layers buried in terrace soils and paleosols show relatively variable ages, i.e., between 2210 ± 60 yas BP and 30 ± 70
yr BP, depending on the study areas. The data gathered reveal major sheetflow deposition, which shows evidence of the recurrence
of floods in this area. It is estimated that the annual floodplain aggradation ranges from 0.5 to 3.5 cm yr–1 on average, which causes
substantial increases in terrace levels. Also, the presence of contaminated layers (hydrocarbons C10–C50) along terraces allowed
the estimation of sedimentation rates ranging from 1.84 to 3.55 cm yr–1. The variability of sedimentation rates depends to a large
extent of the geomorphological context and the fluvial dynamics specific to each study area.
Key words: Soils and paleosols, floods, alluvial terraces, sedimentation rate, contamination
2Adresse de correspondance : courriel: diane.saint-
laurent@uqtr.ca
régime hydrologique, la fréquence et l’ampleur des inonda-
tions et les séquences sédimentologiques et stratigraphiques
(Baker 1987; Brakenridge 1988; Williams et Costa 1988;
Marriott 1992). Cependant, les travaux consacrés à la
genèse des sols des plaines alluviales sont moins nombreux
(Krauss et Bown 1986; Bull 1990; Ferring 1992; Aslan et
Autin 1998; Daniels 2003; Klawon et al. 2000). Ceci s’ap-
plique aussi aux travaux menant à l’analyse des sols soumis à
des inondations périodiques. Pourtant, l’analyse et la carac-
térisation des sols alluviaux et l’étude géomorphologique des
terrasses fluviales constituent des descripteurs morpho-
pédologiques essentiels à la compréhension de la dynamique
813
Les travaux concernant la géomorphologie et la sédimen-
tologie des terrasses fluviales sont relativement nombreux
(Anderson et al. 1996; Brakenridge 1988; Magilligan 1992;
Martin 1992; Gomez et al. 1998; Taylor et Brewer 2001).
Mentionnons notamment les travaux portant sur l’évolution
morpho-sédimentologique des plaines alluviales et les con-
ditions hydro-climatiques associées à ces milieux (Ritter et
al. 1973; Knox 1985; Martin 1992; Taylor et Brewer 2001),
ou encore ceux traitant des relations entre les variations du
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et l’évolution des systèmes fluviaux (Autin et al. 1998). En
effet, les descripteurs pédogénétiques et sédimentologiques
utilisés conjointement permettent de mieux comprendre la
dynamique fluviale qui dépend elle-même des facteurs cli-
matiques et anthropiques qui influent sur les variations du
régime hydrologique. Les sols et les paléosols enfouis dans
les terrasses fournissent notamment des indications sur les
phases de stabilisation, en considérant le développement
pédogénétique des sols in situ par exemple (Bull 1990;
Aslan et Autin 1998; Daniels 2003), alors que les faciès
sédimentologiques et l’utilisation des méthodes de datation
fournissent des indices sur le mode de déposition, le taux de
sédimentation, l’âge et le développement des terrasses
(Williams et Costa 1988; Nielsen et al. 1993; Gomez et al.
1998; Taylor et Brewer 2001; Brooks 2002; Oetelaar 2002).
L’analyse des sols alluviaux apporte en fait des indices addi-
tionnels sur la formation des terrasses et la dynamique flu-
viale (Bull 1990; Aslan et Autin 1998; Autin et al. 1998). On
comprend mieux, par exemple, que les plaines alluviales
soumises à des inondations fréquentes se caractérisent par
une succession de sols plus ou moins développés qui
témoignent des apports sédimentaires constants (Daniels
2003), ou encore que la présence de couches altérées ou
indurées intercalées dans les sédiments de crues suggère des
phases de stabilité des terrasses associées à certaines phases
climatiques (Nielsen et al. 1993; Brooks 2002).
En somme, la description morphologique des sols en ter-
rasse et leur degré de maturité constituent des indices
pédogénétiques fort utiles pour comprendre les processus
d’édification des terrasses soumises à des crues successives.
Comme le souligne Daniels (2003), l’analyse de la genèse et
de la morphologie des sols devient un élément d’interpréta-
tion unique pour comprendre la dynamique des environ-
nements fluviaux. L’importance d’une approche
géopédologique (Phillips 2004) apparaît nécessaire pour
comprendre les différents systèmes fluviaux, notamment
ceux soumis à une dynamique particulière. Il faut souligner
toutefois que la principale difficulté dans l’interprétation des
séquences sédimentologiques réside dans l’identification
(ou l’individualisation) de chaque événement d’inondation
(Saint-Laurent et Lavoie 2004). La superposition de
plusieurs inondations successives sur une courte période de
temps (échelle décennale par exemple) rend la différentia-
tion de chaque événement d’inondation difficile, notamment
en raison de la faible différenciation des faciès sédimen-
tologiques et texturaux des séquences. Il devient donc
nécessaire de considérer différents descripteurs mor-
phométriques pour tenter de reconstituer le mieux possible
les phases d’alluvionnement associées aux crues. Dans le
cadre de cette étude, nous avons privilégié une approche
géopédologique, en considérant différents descripteurs
pédologiques (horizonation, texture, pH, carbone organique,
teneur des sesquioxydes) et sédimentologiques (nature des
sédiments, faciès de déposition, datation radiocarbone), afin
de mieux comprendre le développement des sols soumis à
une dynamique fluviale associée à des inondations
fréquentes. Dans un deuxième temps, nous avons évalué
l’importance des phases d’inondation dans l’édification des
terrasses alluviales à partir d’une estimation des taux de
sédimentation en combinant ces différents descripteurs.
Notre hypothèse de départ présume que les plaines allu-
viales de la région d’étude sont soumises à des phases d’al-
luvionnement importantes qui seraient attribuables à une
augmentation des inondations depuis les dernières décen-
nies, en particulier après les années 1970 (Saint-Laurent et
al. 2001; Saint-Laurent et Saucet 2003; travaux en cours).
Pour réaliser cette étude, nous avons choisi la région hydro-
graphique 02 (Environnement Canada 2001) qui comprend
les rivières des bassins et sous-bassins du centre-sud du
Québec, lesquelles rivières sont soumises à des inondations
fréquentes (Saint-Laurent et al. 2001). Les objectifs spéci-
fiques à cette étude peuvent se définir ainsi : étudier les sols
des terrasses (morphologie et processus de pédogenèse) par
des analyses morphologiques et physico-chimiques afin d’é-
valuer leur développement pédogénétique; et évaluer les
taux de sédimentation des terrasses par des analyses sédi-
mentologiques et par la chronologie radiocarbone (14C),
incluant les repères chronologiques des couches contam-
inées (hydrocarbures C10-C50) observées dans certains pro-
fils. Cette étude qui combine l’analyse des sols alluviaux et
la formation des terrasses permettra de mieux comprendre la
dynamique fluviale des rivières de cette région et se veut
aussi une contribution à l’étude des sols alluviaux soumis à
des inondations périodiques.
MATÉRIELS ET MÉTHODES
La région d’étude couvre le bassin hydrographique du cen-
tre-sud du Québec qui regroupe plusieurs rivières impor-
tantes dont les rivières Saint-François, Massawippi, Magog,
Eaton et Eaton Nord, toutes situées sur le versant sud du
fleuve Saint-Laurent (Fig. 1). Ce vaste bassin d’une superfi-
cie de 10 221 km2recoupe les Basses-Terres du Saint-
Laurent (secteur nord-ouest) et le plateau Appalachien
(secteur sud et sud-est), lequel s’étend au-delà de la frontière
avec les États-Unis. La région appalachienne occupe la
majeure partie du bassin amont qui se caractérise par un
relief montagneux où l’occupation du sol est dominée par
des activités agroforestières, alors que la région des Basses-
Terres qui constitue la partie aval du bassin, se caractérise
par la prédominance de l’agriculture et des activités
urbaines. Sur le plan géomorphologique, la rivière Saint-
François et ses principaux tributaires s’enfoncent dans des
dépôts meubles d’origines diverses mis en place lors des
derniers événements glaciaires et postglaciaires (Parent et
Occhietti 1999), lesquels événements ont largement modelé
le paysage fluvial de tout ce bassin hydrographique. Enfin,
les cartes des dépôts superficiels des secteurs d’étude
[Ministère de l’Énergie et des Ressources (MER) 1983]
montrent que les berges des rivières Saint-François,
Massawippi, Eaton et Eaton Nord, par exemple, se com-
posent de sédiments alluvionnaires récents ou anciens, de
tills, de dépôts fluvio-glaciaires et glacio-lacustres et d’af-
fleurements rocheux.
Dans un premier temps, la région d’étude a été subdivisée
en trois secteurs : la rivière Saint-François (secteur SFR), la
rivière Massawippi (secteur MAS) et la rivière Eaton Nord
(secteur EAT). Cette subdivision s’appuie sur le fait que ces
secteurs présentent des traits géomorphologiques et
LAVOIE ET AL. — PÉDOLOGIE ET SÉDIMENTOLOGIE DES SOLS ALLUVIAUX ET PALÉOSOLS 815
hydrologiques relativement différents. Il faut souligner que
la section fluviale entre Sherbrooke et Saint-Nicéphore
(secteur SFR) est fréquemment inondée (Saint-Laurent et al.
2001), d’où l’importance de considérer ce tronçon comme
un secteur à part. Pour les secteurs MAS et EAT (Fig. 1), les
rivières sont plus étroites et présentent des traits géomor-
phologiques différents; la rivière Massawippi s’encaisse
dans des terrasses légèrement plus élevées (2–3 mètres en
moyenne), constituées surtout de sédiments fluviaux et
glacio-lacustres [Ministère des Forêts (MFQ) 1993], alors
que la rivière Eaton Nord traverse des terrasses plus basses
où dominent des dépôts fluviaux (MFQ 1993). Par ailleurs,
sur le plan hydrologique, les débits moyens de ces deux riv-
ières sont nettement plus faibles que celui de la rivière
Saint-François, ce qui influence non seulement la quantité
de sédiments transportés et déposés lors des fortes crues,
mais aussi la capacité d’érosion fluviale. À titre indicatif, les
débits moyens annuels des rivières Massawippi et Eaton
sont de l’ordre de 10,4 et 13,2 m3 s–1, respectivement, alors
que celui de la rivière Saint-François, est de 192,0 m3 s–1
(Ministère du développement durable, de l’Environnement
et des Parcs 2005).
Dans un deuxième temps, les stations d’échantillonnage
et d’observation (55 au total) ont été sélectionnées en fonc-
tion des zones du risque d’inondation identifiées sur les
cartes produites par Environnement Canada et le ministère
de l’Environnement du Québec (1982) à l’échelle du
1:10 000. Les stations d’échantillonnage et d’observation
sont localisées dans les zones de plaines inondables délimit-
ées par les récurrences de 0–20 ans et 20–100 ans, en bor-
dure des rivières Saint-François, Massawippi et Eaton Nord
(Fig. 1). Ces plaines inondables forment des replats subhori-
zontaux avec des élévations moyennes de 1,50 à 3,50 mètres
et des largeurs variant entre 15 à 30 mètres environ.
L’ensemble des plaines inondables ont été visitées et les
sites trop perturbés (artificialisation des rives, constructions
diverses, etc.) ont été exclus de l’échantillonnage, ce qui
représente environ 10–20% de la totalité des zones inondables
Fig. 1. Localisation des stations d’échantillonnage et d’observation dans les différents secteurs d’étude (SFR, MAS et EAT). Les profils con-
tentant des couches contaminées sont aussi indiqués.
816 CANADIAN JOURNAL OF SOIL SCIENCE
des différents secteurs d’étude. En terme de population sta-
tistique, les stations retenues sont en nombre suffisant pour
être jugées représentatives de l’ensemble des plaines allu-
viales des différents secteurs.
Pour l’analyse des sols et des paléosols, les stations
d’échantillonnage (20 au total) ont été sélectionnées directe-
ment en bordure des rives afin d’obtenir une vision
d’ensemble, tout en cherchant les discontinuités sédimen-
tologiques et la présence d’horizons organiques enfouis
dans les sédiments. Parmi ces stations, douze profils sont
situés dans le secteur de la rivière Saint-François (SFR),
trois dans le secteur Massawippi (MAS) et cinq se trouvent
dans le secteur Eaton Nord (EAT). La description mor-
phologique détaillée des profils de sols a servi pour la clas-
sification des pédons selon les critères du Système canadien
de classification des sols (SCCS) [Groupe de travail sur la
classification des sols (GTCS) 2002] et le Système d’infor-
mation des sols au Canada (Système d’information des sols
au Canada 1982). Les variables utilisées dans la description
des profils sont les suivantes: profondeur et épaisseur des
horizons, texture, couleur des horizons (guide Munsell),
présence de marbrures, profondeur et abondance des
racines, limite des horizons, structure et pierrosité. Une
attention particulière a été portée aux caractéristiques sédi-
mentologiques (faciès, variation texturale, présence de
matière organique enfouie, etc.) des profils de sols. Pour les
stations d’observation (35 au total), des vérifications par tar-
ière manuelle ont été effectuées sur le replat des plaines
alluviales pour évaluer les variations texturales des sédi-
ments de surface (± 1 m de profondeur). Ces stations ont été
l’objet d’une appréciation texturale au champ, sans descrip-
tion morphologique du pédon. La localisation géographique
de l’ensemble des 55 stations a été établie à l’aide d’un GPS
Garmin E-TREX (précision ±3 m) se rapportant au système
de projection «Universal Tranverse Mercator» (UTM-NAD
83).
Pour les 20 profils de sols, des horizons ont été échantil-
lonnés et analysés en laboratoire afin de mieux caractériser
la nature granulométrique des dépôts, d’évaluer leur
développement pédogénétique et ensuite de les classer selon
le SCCS (GTCS 2002). Préalablement, un profil de sol a été
décrit et analysé en détail (EAT-8a) afin d’évaluer les dif-
férences morphologiques et physico-chimiques les plus
marquées du pédon. Les faibles variations obtenues suite
aux analyses préliminaires ont conduit à la sélection de deux
à quatre échantillons par profil à des profondeurs déter-
minées de 25 et 75 cm (des échantillons additionnels ont été
prélevés à 10 et 100 cm lorsque des différences mor-
phologiques étaient apparentes). Pour respecter l’échantil-
lonnage aux profondeurs déterminés, certains prélèvements
ont été faits à l’interface de deux horizons mais avec pré-
caution (ex. AVE-9, WIN-5, SAU-11). Les échantillons
prélevés à ces profondeurs ont servi pour les analyses granu-
lométriques et chimiques des profils de sols. Cette sélection
a aussi été faite dans le but de comparer pour des
profondeurs identiques, les variations texturales des sédi-
ments de crues et ainsi tenter de reconnaître différentes
phases d’alluvionnement dans le mode de déposition. Pour
les analyses granulométriques, les échantillons ont été
analysés suivant les classes texturales du SCCS (GTCS
2002). La fraction sableuse a été obtenue par tamisage, alors
que les fractions plus fines (limon, argile) ont été obtenues
par la méthode de l’hydromètre (Conseil des productions
végétales du Québec 1997). Pour les analyses chimiques, les
méthodes utilisées sont le dosage de Al et Fe extractibles au
pyrophosphate de sodium (Ross et Wang 1993), le pH dans
CaCl2(0.01M) en utilisant un rapport sol: solution de 1: 2
(Hendershot et al. 1993) et finalement, la concentration en
carbone organique totale (C.O.) par la méthode de Yeomans
et al. (1988). Il faut souligner que sept profils (SNI-2, SNI-
3, TRE-14, WIN-4, MAS-12, EAT-7 et EAT-15) ont seule-
ment été l’objet d’une description morphologique (texture,
délimitation des horizons, etc.) sans aucune analyse chimi-
que, sauf pour la datation radiocarbone.
Afin de déterminer l’âge des terrasses, des échantillons de
matière organique ont été prélevés dans les profils de sols
pour la datation 14C. Au total, neuf profils avec présence
d’horizons organiques enfouis ont pu être échantillonnés et
datés. Les horizons organiques de certains profils (WIN-4,
SAU-11 et EAT-8) dont la quantité de matière organique
était insuffisante dans les sédiments n’ont pu être datés. Les
datations radiocarbones obtenues ont été calibrées en âge
calendaire (cf. Stuiver et al. 1998) par le laboratoire de
radiochronologie du Centre d’études nordiques de
l’Université Laval. Le nombre de datations obtenues nous
apparaît toutefois insuffisant pour permettre l’établissement
d’une chronologie complète de l’âge des terrasses dans leur
ensemble. Néanmoins, les dates obtenues ont permis d’éval-
uer les taux de sédimentation d’un certain nombre de profils
dans les différents secteurs. Pour évaluer ces taux, le calcul
est basé sur l’épaisseur des sédiments, en utilisant la durée
qui est déterminée par les dates calendaires médianes. Les
dates calendaires sont obtenues par la conversion des data-
tions radiocarbones pour chacun des profils. L’année de
référence étant 2003, le calcul s’effectue sur la durée (ex.
2003–1807, soit 196 ans) et l’épaisseur des sédiments sus-
jacents à l’horizon organique daté (ex. 124 cm/196 ans).
Outre la datation radiocarbone, des couches de sédiments
contaminés (hydrocarbures C10-C50), observées le long des
berges de la rivière Saint-François et Massawippi (Fig. 1)
ont aussi été utilisées comme autre repère chronologique
dans l’évaluation de l’apport sédimentaire sur les terrasses.
L’estimation des taux est basée sur l’épaisseur des sédi-
ments mesurés en 2004 et la date présumée de la contami-
nation, soit l’année 1955 (ex. 174 cm/49 ans). Ce repère
chronologique de 1955 provient de la recension d’un article
du journal La Tribune daté d’octobre 1955 mentionnant un
cas de pollution des eaux de la rivière Saint-François qui
s’étendait sur une distance de 42 milles (67,6 km). Au total,
cinq profils de sols contenant des hydrocarbures ont été
décrits (épaisseur des couches et texture) et des échantillons
de sols ont été prélevés pour évaluer la concentration des
hydrocarbures. La méthode de prélèvement consistait à
recueillir les échantillons contaminés qu’on mélangeait
ensuite pour s’assurer de l’homogénéité du prélèvement. Le
prélèvement s’effectuait à l’aide d’une truelle dans la
couche contaminée. Les échantillons étaient ensuite stockés
dans des contenants stérilisés (trois contenants par station),
LAVOIE ET AL. — PÉDOLOGIE ET SÉDIMENTOLOGIE DES SOLS ALLUVIAUX ET PALÉOSOLS 817
réfrigérés sur place et envoyés dans un laboratoire spéciali-
sé pour évaluer la concentration des contaminants. Les
sédiments contaminés ont d’abord été déshydratés à l’aide
de sulfate de magnésium (MgSO4) à 105°C. Ensuite, les
hydrocarbures ont été extraits des sédiments avec de l’hexa-
ne (qualité Omnisolv) à l’aide d’un bain à ultrason. Du gel
de silice (SiO2, grade 62) était ensuite ajouté à l’extrait afin
d’absorber la totalité des substances polaires. Les sédiments
restant étaient finalement analysés par chromatographie en
phase gazeuse (colonne chromatographique capillaire de
type DB-1), couplée à un détecteur à ionisation de flammes
(GC-FID) (protocole Biolab DD202 2004). La concentra-
tion des hydrocarbures présents dans l’échantillon était
déterminée en comparant la surface totale de l’ensemble des
pics résolus et non résolus se situant entre n-C10 et n-C50
avec la courbe d’étalonnage établie dans les mêmes condi-
tions à l’aide d’un système informatisé de traitement de don-
nées (Totalchrom/Perkin Elmer). La limite de détection des
hydrocarbures C10-C50 est de 60 mg kg–1 de matière sèche
et la précision de la méthode est évaluée à 96%.
RÉSULTATS
Les sols et paléosols analysés ont été classés parmi les
ordres régosolique et brunisolique du Système canadien de
classification des sols (GTCS 2002). Les régosols orthiques,
les régosols cumuliques, les régosols gleyifiés et les
régosols cumuliques gleyifiés composent la majeure partie
des sols alluviaux (Fig. 2 et 3). Ces sols sont généralement
peu développés, caractérisés notamment par l’absence
d’horizons Ah et d’horizons d’accumulation (B), et par une
faible altération chimique.Les autres sols sont des brunisols
dystriques orthiques et dystriques gleyifiés qui se carac-
térisent par la présence d’horizons d’accumulation Bm ou
Bfj généralement peu épais et d’une coloration légèrement
plus rougeâtre. Il faut noter cependant que certains horizons
indiquent une pédogenèse plus prononcée, soit une concen-
tration d’Al et de Fe extractibles au Na-pyrophosphate
supérieure à 0,4% pour les horizons à matrice sableuse et
supérieure à 0,6% pour ceux à matrice fine (argiles, limons),
ce qui permet de les classer parmi les horizons Bf (Tableau
1). Toutefois, la morphologie d’ensemble de ces profils
(sans litière, absence de Ah et de Ae, faible coloration des
horizons, etc.) s’apparente difficilement à des sols de l’ordre
podzolique; ils ont donc été classés parmi les sols
brunisoliques. Certains profils examinés contenaient des
horizons organiques enfouis dont la plupart ont pu être
datés. Ceux-ci sont recouverts de sédiments alluviaux de
plus de 100 cm d’épaisseur, à l’exception de quelques pro-
fils dont les horizons organiques se trouvent plus près de la
surface (EAT-8, EAT-8a). Les datations 14C obtenues à par-
tir de ces horizons varient entre un âge moderne (± 50 ans
AA) et 2210 ± 60 ans AA. Une description plus détaillée des
sols et paléosols est présentée pour chacun des trois secteurs
d’étude (Saint-François, Massawippi et Eaton Nord).
Secteur Saint-François (SFR)
Le secteur Saint-François (SFR) se situe entre Saint-
Nicéphore et Sherbrooke (Fig. 1) et se caractérise surtout
par des terrasses composées de sédiments alluviaux récents
ou anciens, en particulier en aval de Ulverton, et des sédi-
ments d’origine glacio-lacustre (MER 1983). Les sédiments
des terrasses examinées sont constitués de matériaux fins,
principalement de limons, de sables limoneux et de sables
fins (Tableaux 1 et 2). Dans la grande majorité des profils,
ce sont les textures limoneuses sableuses ou les sables
limoneux qui dominent, ce qui caractérise généralement les
sédiments de crues (Baker 1987). Seuls quelques profils
(SNI-3, SAU-11 et RIC-20) renferment des matrices plus
grossières (sables moyens) qui témoignent possiblement
d’une variation de l’écoulement fluvial lors de leur mise en
place. On peut observer aussi des sédiments plus grossiers
(lit de graviers) à la base de certains profils (AVE-9 et BRO-
18), ce qui suggère soit un changement du régime fluvial ou
un ancien niveau de terrasse. Certaines stations d’observa-
tion (SNIO-1, SNIO-3, SNIO-7 et SNIO-8) renferment aussi
des sédiments plus grossiers (sables grossiers et graviers)
(Tableau 2) qui pourraient aussi être associés à des change-
ments du régime hydrologique lors des phases d’édification
des terrasses.
Les sols de surface (±1 mètre) ont été classés parmi les
régosols orthiques, les régosols gleyifiés, les brunisols dys-
triques orthiques avec, aussi, un podzol humo-ferrique
orthique, et les paléosols (sols enfouis) parmi les régosols
cumuliques, les régosols cumuliques gleyifiés, les brunisols
dystriques orthiques et les brunisols dystriques gleyifiés
(Fig. 2 et 3). Les sols de surface se sont formés par l’accu-
mulation progressive des sédiments alluviaux provenant des
crues successives (Fig. 4a et 4b). Ces sols indiquent
généralement des valeurs de pH qui varient entre 4,71 et
6,22 et des taux de C.O. situés entre 0,64 et 3,16% avec une
valeur moyenne de 1,75%, tandis que les sesquioxydes d’Al
et Fe présentent des valeurs qui se situent entre 0,35 et
0,75% avec une moyenne de 0,47%. De manière générale,
ces sols témoignent d’un faible développement pédogéné-
tique, toutefois, la présence d’horizons Bf dans certains pro-
fils (MAS-13, SAU-11, STO-19) indique un développement
plus prononcé de ces sols. Enfin, à la base des profils, cer-
tains horizons montrent des signes de gleyification qui
témoignent des fluctuations de la nappe phréatique. Cette
caractéristique est d’ailleurs commune à plusieurs profils de
sols situés en terrasse.
Au total, six horizons organiques ont été datés dans ce
secteur dont deux dans le profil de la station SNI-1 (Fig. 2).
Les datations obtenues fournissent des âges relativement
jeunes, soit entre un âge moderne de ± 50 ans AA (SNI-1)
et 200 ± 60 ans AA (WIN-5). Les sols enfouis sont recou-
verts de dépôts alluviaux d’une épaisseur qui varie entre 84
cm (SNI-1) et 155 cm (RIC-20), ce qui constitue une accu-
mulation sédimentaire importante considérant les dates 14C
obtenues. Ceci suggère que la récurrence des inondations est
très élevée dans ce secteur. À la station SNI-1, l’accumula-
tion des sédiments de crues pourrait correspondre à un taux
moyen de l’ordre de 0,63 à 1,68 cm an–1, alors qu’à la sta-
tion RIC-20, le taux moyen serait de l’ordre de 0,77 cm an–1
(Tableau 3). Ces fortes accumulations sédimentaires sur une
période relativement courte entraînent une édification rapi-
de des terrasses alluviales. Ces taux sédimentaires ne tien-
818 CANADIAN JOURNAL OF SOIL SCIENCE
nent toutefois pas compte des pertes causées par l’érosion
fluviale, ni de l’ampleur et de la fréquence des crues à cha-
cune des stations. La présence de couches contaminées
(hydrocarbures C10-C50) identifiées dans les profils WIN-H,
TREN-H et STO-H (Fig. 1 et 5) a aussi servi de repère
chronologique pour évaluer le taux de sédimentation de ce
secteur. Bien que la date précise de la contamination
demeure incertaine, quoiqu’elle date probablement de 1955,
il est possible d’estimer un taux de sédimentation variant
entre 2,45 et 4,18 cm an–1 selon les profils (Fig. 5). Bien que
la démarcation des couches d’hydrocarbures soit très visible
dans les profils (Fig. 4c), il demeure probable qu’une diffu-
sion latérale et verticale des contaminants puisse se produire
à travers les sédiments (Cozzarelli et al. 2001). Il faut donc
prendre en compte ce processus dans l’interprétation et
utiliser ces repères chronologiques comme une estimation
plutôt qu’une indication précise des taux de sédimentation.
On remarquera aussi que les taux obtenus par la datation 14C
sont inférieurs à ceux obtenus par les estimations faites à
partir des couches de sédiments contaminés.
Secteur Massawippi (MAS)
La rivière Massawippi est un important tributaire de la riv-
ière Saint-François et elle rejoint cette dernière à la hauteur
de Lennoxville (Fig. 1). La morphologie du chenal est de
type méandrique et la rivière circule dans des terrasses plus
ou moins hautes (1–3 m en moyenne), constituées essen-
tiellement de sédiments fluviaux ou de dépôts glacio-lacus-
tres (MER 1983). Les stations d’échantillonnage et
d’observation localisées le long des terrasses sont carac-
térisées par des sédiments composés de limons sableux et de
sables (Tableaux 1 et 2). Dans ce secteur, les sols ont été
classés parmi les régosols orthiques et les brunisols dys-
triques orthiques (Fig. 3). Ils indiquent des valeurs de pH
variant entre 4,61 et 5,51 et les taux de C.O. sont situés entre
0,86 et 2,16%. Les concentrations de sesquioxydes d’Al et
Fe sont plutôt faibles avec une valeur moyenne de 0,47%
(Tableau 1), révélant que les processus pédogénétiques sont
généralement limités dans ces sols alluvionnaires.
Toutefois, on dénote une plus forte concentration de ces élé-
ments dans les horizons du profil MAS-13, ce qui témoigne
d’une pédogenèse plus active. Pour ce secteur, aucune data-
Fig. 2. Représentation schématique des profils de sols des stations d’échantillonnage du secteur SFR. Les dates au 14C sont aussi indiquées.
LAVOIE ET AL. — PÉDOLOGIE ET SÉDIMENTOLOGIE DES SOLS ALLUVIAUX ET PALÉOSOLS 819
tion radiocarbone n’a pu être obtenue en raison de l’absence
de matériel organique dans les profils de sols examinés.
Cependant, la présence de couches contaminées (hydrocar-
bures C10-C50) identifiées aux stations MAS-13 et MAS-H,
indiquerait des taux de sédimentation de l’ordre de 1,84 à
2,53 cm an–1, respectivement (Fig. 4c et 5).
Secteur Eaton (EAT)
Le secteur de la rivière Eaton se situe dans la partie sud-est
de la zone d’étude (Fig. 1). Cette rivière circule principale-
ment dans des dépôts fluviatiles, glacio-lacustres ou dans
des tills (MER 1983). Les stations d’échantillonnage sont
localisées dans des dépôts alluvionnaires récents ou anciens
qu’on trouve essentiellement dans la partie amont de la riv-
ière Eaton Nord (Fig. 1). Les classes texturales des sols
analysés sont semblables à celles des sols des autres terras-
ses et les sédiments sont composés surtout de limons
sableux fins à très fins, de sables limoneux et de sables
moyens (Tableau 1). On note la présence des dépôts plus
grossiers à la base de certains profils (EAT-7 et EAT-8a),
ce qui pourrait correspondre à des anciens niveaux des
terrasses fluviales. Les sols analysés ont été classés parmi
les régosols orthiques, les régosols cumuliques et les
régosols cumuliques gleyifiés et les brunisols dystriques
orthiques (Fig. 3). Ces sols sont modérément acides et les
valeurs de pH variant entre 5,30 et 6,31 alors que les con-
centrations de C.O. varient entre 0,45 et 1,57%. Ces valeurs
sont comparables à celles obtenues pour les autres profils de
sols (Tableau 1). Les teneurs en Al et Fe extractibles au
pyrophosphate sont relativement faibles et sont situées entre
0,21 et 0,48%. Seul le profil de la station EAT-8 indique un
contenu de près de 0,4% pour l’horizon sableux IICb1 à la
base du profil (75 cm). De manière générale, on peut dire
que les faibles concentrations de C.O. et d’Al et Fe qui carac-
térisent plusieurs de ces profils suggèrent que les processus
pédogénétiques demeurent limités, ce qui confèrent à ces
sols des faciès peu évolués (Fig. 4d). Cinq paléosols ont été
identifiés au niveau des terrasses de la rivière Eaton Nord
dont quatre ont pu êtres datés (Fig. 3). Un seul horizon
organique contenant des charbons de bois a été trouvé dans
le profil EAT-8a, témoignant du passage d’un feu à proxim-
ité. Les datations 14C obtenues fournissent des âges très
Fig. 3. Représentation schématique des profils de sols des stations d’échantillonnage des secteurs SFR, MAS et EAT. Les dates au 14C sont
aussi indiquées.
820 CANADIAN JOURNAL OF SOIL SCIENCE
variables, soit entre 30 ± 70 ans AA (EAT-7) et 2210 ± 60
ans AA (EAT-8a). Les paléosols sont recouverts par des
sédiments alluviaux variant entre 45 cm (EAT-8a) et 179 cm
(EAT-15). En considérant les épaisseurs des sédiments et les
datations radiocarbones converties en âge calendaire, on
obtient des taux d’accumulation variant entre 0,09 à 0,71 cm
an–1 pour l’ensemble des profils étudiés (Tableau 3). Les
profils EAT-7 et EAT-16 ont des taux comparables à ceux
observés dans le secteur de la Saint-François (SFR), ce qui
suggère que la récurrence des inondations est tout aussi
importante dans ce tronçon de la rivière Eaton Nord et
qu’elle influence de manière comparable le développement
pédogénétique des sols de ce secteur, tout au moins pour les
sols dont les taux d’accumulation sont les plus importants
(EAT-7 et EAT-16).
DISCUSSION
Développement des Sols en Terrasse
L’étude des sols alluviaux localisés dans les différents
secteurs d’étude révèle que leur développement est limité
par les apports sédimentaires provenant des crues succes-
sives. Pour la plupart, ce sont des sols généralement peu dif-
férenciés au niveau des horizons et peu altérés (Fig. 2 et 3 et
Tableau 1). Ils présentent d’ailleurs des caractéristiques
morphologiques et physico-chimiques très semblables sauf
exception. Les apports sédimentaires provenant des fortes
crues ou des inondations, conduisent à la formation de sols
jeunes de type régosolique ou brunisolique, peu ou non
évolués. Pour la plupart des profils, les faibles concentra-
tions de sesquioxydes d’Al et de Fe obtenues et la faible colo-
ration de plusieurs horizons révèlent que les processus
pédogénétiques restent limités, en particulier dans les sols
de surface (± 1 m de profondeur). Cependant, certains pro-
fils (MAS-13, SAU-11 et STO-19) possèdent des horizons
plus développés (présence de Bf), ce qui témoigne d’une
pédogenèse plus marquée. Ces horizons plus altérés se
retrouvent à des profondeurs variables dans le profil et pour-
raient indiquer une certaine phase de stabilisation de la ter-
rasse. Enfin, la faible quantité de matière organique qui
transite dans le solum peut expliquer en partie le faible
développement d’horizons illuviaux (Bm, Bf, etc.) ou
d’horizons riches en m.o. dans la grande majorité de ces
sols. Les colloïdes humiques ou argilo-humiques provenant
de la décomposition de la matière organique conditionnent
en effet plusieurs processus au niveau du sol, notamment le
transport des complexes argilo-humiques ou des sesquioxy-
des d’aluminium et de fer (Calvet 2003a). Enfin, en ce qui
a trait à l’acidité des sols, on peut noter que ceux-ci sont
Tableau 1. Classe texturale et propriétés chimiques des échantillons de sols à différentes stations d’échantillonnage
Station Horizon Profondeur Épaisseur Couleur Sable Argile Texture pH C.O. Al Fe Al + Fe Al+Fe C.O./
d’échantillonnage (cm) (cm) (Munsell)Z(%) (%) CaCl2(%) (%) (%) (%) pyro./ argile Fe pyro.
SNI-1 C1 10 22 10YR 4/2,5 h 70,2 7,8 L-SF 5,31 1,58 0,13 0,35 0,48 0,06 4,51
SNI-1 C2 25 36 10YR 5,5/2,5 h 70,6 3,6 L-SF 5,20 1,69 0,14 0,38 0,52 0,14 4,45
SNI-1 C4 75 22 10YR 3/1,5 h 61,2 6,0 L-SF 5,39 1,56 0,11 0,44 0,55 0,09 3,54
AVE-9 C2 25 15 10YR 6/3 h 46,9 9,0 L 6,22 2,05 0,10 0,30 0,40 0,04 6,83
AVE-9 C4 75 35 10YR 5/4 h 70,6 13,6 L-STF 5,94 0,64 0,08 0,27 0,35 0,03 2,37
WIN-5 C1 25 25 10YR 6,5/3 h 70,6 3,0 L-SF 5,32 1,92 0,11 0,31 0,42 0,14 6,19
WIN-5 C3 75 41 10YR 5/3 h 73,3 5,3 L-STF 5,80 1,39 0,08 0,27 0,35 0,07 5,15
WIN-10 C1 10 25 10YR 3/3 h 59,7 3,1 L-STF – – – – – – –
WIN-10 C2 25 29 10YR 5/3 h 59,8 3,1 L-STF – – – – – – –
WIN-10 C3 75 24 10YR 5/4 h 66,6 7,9 L-STF 5,42 1,81 0,11 0,37 0,48 0,06 4,89
WIN-10 C5 100 28 10YR 3/1 h 74,0 6,0 L-S 5,45 2,64 0,12 0,33 0,45 0,08 8,00
SAU-11 Bf1 25 11 10YR 4/1 h 92,5 1,0 SM 4,89 3,16 0,13 0,45 0,58 0,58 7,02
SAU-11 Bf3 75 24 10YR 3/1 h 91,0 3,0 SM 4,88 2,10 0,09 0,34 0,43 0,14 6,18
BRO-18 C1 25 57 10YR 5/3 h 69,7 6,4 L-STF 6,13 1,73 0,10 0,32 0,42 0,07 5,41
BRO-18 C2 75 30 10YR 4/3 h 74,0 6,0 L-STF 5,89 1,60 0,11 0,37 0,48 0,08 4,32
STO-19 Bf 25 39 10YR 4/3 h 49,2 9,9 L 4,71 1,48 0,19 0,56 0,75 0,08 2,64
STO-19 C3 75 33 10YR 4/3 h 47,9 9,2 L 4,88 1,16 0,12 0,42 0,54 0,06 2,76
RIC-20 C1 10 75 10YR 3/2,5 h 64,7 2,9 L-SF 6,06 1,63 0,10 0,30 0,40 0,14 5,43
RIC-20 C1 25 75 10YR 4/2 h 52,6 6,3 L-SF 6,09 1,66 0,09 0,28 0,37 0,06 5,93
RIC-20 C2 75 60 10YR 3/2 h 51,9 8,3 L-SF 5,93 1,64 0,12 0,32 0,44 0,05 5,12
LEN-17 C1 25 42 10YR 4/2 h 59,8 3,1 L-STF 5,51 2,16 0,10 0,20 0,30 0,10 10,80
LEN-17 C2 75 51 10YR 4/3 h 56,4 6,5 L-STF 5,39 0,86 0,10 0,34 0,44 0,07 2,53
MAS-13 C1 10 14 10YR 3/2,5 h 52,2 5,1 L-STF – – – – – –
MAS-13 Bf 25 11 10YR 3/2,5 h 59,6 8,7 L-S 4,67 1,59 0,14 0,53 0,67 0,08 3,00
MAS-13 C4 75 44 10YR 4,5/2 h 70,3 2,9 L-SF 4,61 1,17 0,16 0,30 0,46 0,16 3,90
EAT-8 Bfj 25 14 10YR 4/3 h 40,5 8,8 L-Li 5,35 1,32 0,11 0,37 0,48 0,05 3,57
EAT-8 IICb 75 23 10YR 6/3 h 91,8 3,2 SM 5,37 0,55 0,10 0,29 0,39 0,12 1,90
EAT-8a C1 10 20 10YR 4/2 h 41,6 6,4 L-Li 5,83 1,57 0,06 0,20 0,26 0,04 7,85
EAT-8a C2 25 25 10YR3/3 h 56,4 6,5 L-SF 5,90 1,14 0,06 0,23 0,29 0,04 4,96
EAT-8a Cgjb1 75 34 10YR 3/3 h 56,3 5,8 L-SF 5,30 0,69 0,08 0,28 0,36 0,06 2,46
EAT-8a Cgjb2 85 9 10YR 4/2,5 h 69,7 3,8 L-SF 5,30 0,38 0,07 0,33 0,40 0,11 1,15
EAT-8a IICgjb 100 9 10YR 4/2 h 64,4 1,1 STF-L 5,78 0,45 0,07 0,27 0,34 0,31 1,67
EAT-16 C1 25 106 10YR 4/2 h 77,1 2,7 SF-L 6,31 0,92 0,06 0,19 0,25 0,09 4,84
EAT-16 C1 75 106 10YR 4/2 h 80,2 5,6 SF-L 6,02 0,65 0,05 0,16 0,21 0,04 4,06
Note : Le signe (–) en tireté indique que les analyses chimiques n’ont pas été complétées ; Z: h = couleur prise à l’état humide.
LAVOIE ET AL. — PÉDOLOGIE ET SÉDIMENTOLOGIE DES SOLS ALLUVIAUX ET PALÉOSOLS 821
modérément acides, avec des valeurs de pH variant entre
4,61 et 6,31 (Tableau 1). Les horizons de surface (25 cm)
présentent des valeurs de pH comparables à celles des hori-
zons situés plus en profondeur (75 cm), ce qui peut être une
indication de la faible concentration des acides humiques en
surface qui jouent normalement un rôle acidifiant au niveau
des sols (Calvet 2003b). Enfin, la nature des différentes
roches mères qui constituent la source des sédiments alluvi-
aux lors des crues doit aussi être considérée comme un fac-
teur expliquant la faible acidité de ces sols.
Il semble que les conditions actuelles de mise en place
des sédiments et surtout les récurrences d’inondation main-
tiennent les sols à un état de faible développement et en font
des sols aux faciès peu évolués. Les travaux de Aslan et
Autin (1998), de Krauss et Bown (1987) et de Daniels
(2003) en particulier, démontrent que les sols soumis à des
phases d’alluvionnement récurrentes connaissent une faible
maturation et que les processus de pédogenèse sont d’autant
ralentis par les apports constants d’alluvions déposés sur les
terrasses (Daniels 2003). Ces sols alluviaux présentent sen-
siblement les mêmes caractéristiques, soit une faible teneur
en matière organique, une faible structure et des horizons
peu développés. Ils se caractérisent aussi par de faibles con-
centrations de matière organique in situ (Daniels 2003) et
par l’absence ou la quasi-absence de litière en surface.
L’accumulation de matière organique sur le replat des ter-
rasses semble donc se faire difficilement en raison de crues
successives qui nuisent à la formation d’une couverture
végétale dense. Il est probable aussi que les débris
organiques de surface provenant des végétaux par exemple,
soient délogés et transportés plus en aval lors des crues,
limitant ainsi le développement des litières. En somme, les
faibles apports organiques de surface limitent l’intégration
de ces substances dans le solum, ce qui se reflètent notam-
ment par une faible teneur en carbone organique in situ. Ces
apports limités de matière organique inhibent aussi le
développement d’horizon organo-minéral (Ah), ce qui se
traduit souvent par l’alternance d’horizons non altérés (C).
Si l’on compare les valeurs obtenues en C.O. dans les sols
analysés (Tableau 1) à ceux obtenus par Daniels (2003) dans
les sols alluviaux de la rivière Republican (Nebraska) par
exemple, on constate que les valeurs sont comparables et
indiquent des teneurs relativement faibles, soit des concen-
trations variant entre 0,20 à 1,40% (Daniels 2003). Certains
profils de sols contiennent toutefois des concentrations de
C.O. plus élevées que la moyenne, dont les profils WIN-10
et SAU-11. Ce dernier profil présente d’ailleurs un
développement plus marqué.
Étant donné que ces sols sont soumis à des inondations
périodiques, il serait intéressant d’évaluer plus précisément
leur développement pédogénétique à des échelles plus fines
(échantillonnage à chaque 5 cm de profondeur par exemple),
afin de s’assurer d’une meilleure caractérisation de leur
degré d’évolution. Ceci permettrait peut être aussi de recon-
naître les différentes phases d’alluvionnement ou de mieux
individualiser les événements d’inondation.
Édification des Terrasses et Sédimentation
L’étude des terrasses alluviales révèle que leur développe-
ment est davantage soumis à des phases d’édification que
des phases d’érosion, bien qu’il faille tenir compte de ces
deux processus pour comprendre la dynamique fluviale des
différents secteurs d’étude. En raison de la forte fréquence
des inondations qui caractérisent tout ce bassin hydro-
graphique (Saint-Laurent et al. 2001; Saint-Laurent et
Saucet 2003), les sols de surface sont constamment alimen-
tés par l’apport de sédiments transportés sur le replat des ter-
rasses lors des débordements successifs. Outre les données
obtenues à partir des datations radiocarbones et de l’em-
placement des couches d’hydrocarbures recensées dans cer-
tains secteurs (MAS et SFR) pour évaluer les taux de
sédimentation, il n’existe aucune autre étude qui permet de
préciser les taux de sédimentation et les taux d’érosion liés
aux processus fluviaux de cette région hydrographique. Le
bilan entre les phases de sédimentation et d’érosion demeure
donc incertain pour ces secteurs d’étude. Toutefois, les dif-
férents travaux réalisés dans des environnements fluviaux
soumis à des inondations (Gomez et al. 1998; Brooks 2002;
Oetelaar 2002; Daniels 2003), montrent que la quantité d’al-
luvions déposées lors des crues successives permet la con-
struction latérale et verticale des terrasses. Dans ces
Tableau 2. Classe texturale, nature des dépôts meubles et positionnement
des stations d’observation
Profondeur Classe Dépôt de UTM
Station (cm) texturale surfacez(NAD 83)
SNIO-1 ≈80 sable grossier fluviatile 5080275 709526
SNIO-2 100 sable grossier fluviatile 5077302 710089
SNIO-3 60 sable grossier fluviatile 5079975 708386
SNIO-3 ≈60 sable-argileux fluviatile 5079975 708386
SNIO-4 100 sable moyen à fin fluviatile 5080015 708421
SNIO-5 75 sable moyen à fin fluviatile 5078856 712003
SNIO-6 ≈150 limon sableux fin fluviatile 5077833 710235
SNIO-7 30 limon fin fluviatile 5077104 710659
SNIO-7 ≈30 gravier fluviatile 5077104 710659
SNIO-8 150 sable fluviatile 5075419 711509
SNIO-8 ≈150 gravier fluviatile 5075419 711509
ULVO-9 80 limon sableux fin fluviatile 5068719 714959
ULVO-9 ≈80 sable moyen fluviatile 5068719 714959
RICO-10 50 limon glacio-lacustre 5058748 722852
RICO-10 ≈50 sable limoneux glacio-lacustre 5058748 722852
RICO-11 50 limon glacio-lacustre 5058830 722796
RICO-11 ≈50 sable limoneux glacio-lacustre 5058830 722796
RICO-12 100 limon fluviatile 5057651 724107
WINO-13 ≈75 limon fluviatile 5051640 732963
WINO-14 ≈80 limon fluviatile 5053234 731390
WINO-15 ≈80 limon fluviatile 5053788 729960
WINO-16 50 limon fluviatile 5053783 729920
WINO-16 ≈50 sable fin fluviatile 5053783 729920
WINO-17 ≈100 limon argileux glacio-lacustre 5048377 734238
STOO-18 ≈50 limon sableux fin fluviatile 5042487 736954
STOO-19 50 limon sableux fin fluviatile 5043581 735770
STOO-20 ≈60 limon sableux glacio-lacustre 5045275 735298
WINO-25 75 limon fluviatile 5056358 725728
MASO-21 ≈100 limon fluviatile 5021290 742035
MASO-22 ≈100 limon très fin fluviatile 5021332 742032
MASO-23 130 limon fluviatile 5024237 744216
MASO-23 ≈130 sable fluviatile 5024237 744216
MASO-24 ≈100 limon fluviatile 5025249 745099
MASO-26 100 limon sableux glacio-lacustre 5028565 746635
MASO-27 ≈100 limon fin fluviatile 5021619 431117
zLa désignation des dépôts de surface provient de la carte du MFQ (1993).
822 CANADIAN JOURNAL OF SOIL SCIENCE
environnements, les terrasses s’édifient par une aggradation
ponctuelle d’apports sédimentaires qui proviennent de fortes
crues ou des inondations. On peut donc penser que les ter-
rasses des secteurs à l’étude sont davantage soumises à des
phases de sédimentation qu’à des phases d’érosion.
Au niveau granulométrique, les sédiments déposés lors
des crues sont généralement constitués de particules fines
(limons, sables fins) formant un faciès relativement uni-
forme dans le profil (Magilligan 1992; Marriott 1992;
Taylor et Brewer 2001). Mentionnons que l’un des critères
utilisés par Baker (1987) pour identifier les sédiments de
crues (slackwater deposits) le long des terrasses est la taille
granulométrique des dépôts composés essentiellement d’une
matrice fine (limons, sables fins). Pour notre part, la pré-
dominance de texture fine des sédiments en surface (0–100
cm ou plus) est observée dans la plupart des profils de sols,
et les classes texturales varient assez peu, même sur des
séquences de plus d’un mètre de profondeur, sauf exception
(SNI-3, RIC-20, SAU-11). Cette relative uniformité textu-
rale constitue le trait dominant des sédiments alluvionnaires
qui forment les terrasses des secteurs étudiés. La disposition
des sédiments (faciès ou microstructure) des sols de surface
montre aussi une certaine homogénéité, bien que certains
profils se démarquent des autres (SNI-3 et SAU-11) par leur
texture plus grossière à la base du profil. Aussi, les
sédiments forment généralement des couches horizontales
uniformes qui témoignent d’une certaine régularité de
l’écoulement au moment de leur mise en place. D’ailleurs,
aucun des profils observés ne présentaient des lits fortement
inclinés ou des formes fluviales particulières (lits entre-
croisés, etc.) qui pourraient révéler des variations impor-
tantes des débits lors des phases d’alluvionnement
(Williams et Costa 1988). Si les sédiments de crues s’iden-
tifient assez bien au niveau des classes texturales des profils
observés, la difficulté réside davantage dans l’identification
de différentes phases d’accumulation lors des crues. En
effet, la faible différenciation (texture, horizonation, altéra-
tion, etc.) entre les couches sédimentaires le long du profil
ne permet pas de reconnaître chacun des événements asso-
ciés à une inondation. Cette difficulté a d’ailleurs été
Fig. 4. Classification des profils des sols et des paléosols localisés dans les différents secteurs d’étude (A) : secteur SFR/profil AVE-9; (B):
secteur SFR/profil RIC-20; (C): secteur MAS/profil MAS-13-H; (D): secteur EAT/profil EAT-16.
B)
C) D)
LAVOIE ET AL. — PÉDOLOGIE ET SÉDIMENTOLOGIE DES SOLS ALLUVIAUX ET PALÉOSOLS 823
Tableau 3. Estimation des taux de sédimentation par datation radiocarbone
Taux de
Épaisseur des Date Date sédimentation
sédiments Type de Âge calendaire calendaire moyen UTM
Station (cm) Matérielz14
C(2 sigma)ymédiane (cm an–1) (NAD 83)
SNI-1 (O1) 84 m.o. moderne 1903–2003 ADx1953w1,68 5079351 708379
SNI-1 (O2) 124 m.o. 70 ± 60 1676–1939 AD 1807 0,63 5079351 708379
SNI-2 123 m.o. 140 ± 60 1666–1951 AD 1808 0,63 5079269 708384
SNI-3 90 m.o. 70 ± 60 1676–1939 AD 1807 0,46 5079025 712280
RIC-20 155 m.o. 160 ± 70 1650–1952 AD 1801 0,77 5061381 721673
WIN-5 135 m.o. 200 ± 60 1526–1951 AD 1738 0,51 5053975 729071
EAT-7 141 m.o. 30 ± 70 1802–1938 AD 1804 0,71 5029397 776703
EAT-8a 45 m.o+c.b. 270 ± 70 1391–1644 AD 1484 0,09 5029135 778510
EAT-8a 80 m.o. 440 ± 80 1447–1694 AD 1698 0,26 5029135 778510
EAT-16 110 m.o. 60 ± 60 1676–1938 AD 1807 0,56 5030352 771634
z\m.o., matière organique ; c.b., charbon de bois.
yécart-type avec un intervalle de confiance de 95,4%
xAD signifie Anno Domini ou ap. J.-C. (calendrier actuel).
wvaleur calculée sur la base d’un âge moderne de ± 50 ans.
Fig. 5. Schéma des profils de sols montrant l’accumulation des sédiments alluvionnaires sus-jacents aux couches contaminées aux hydro-
carbures C10-C50, ainsi qu’une évaluation des taux de sédimentation.
824 CANADIAN JOURNAL OF SOIL SCIENCE
soulevée dans les travaux de Gomez et al. (1998). Dans les
milieux soumis à des inondations fréquentes, les phases de
stabilité des terrasses sont insuffisantes pour permettre aux
processus pédogénétiques d’opérer sur une période suffi-
samment longue.
En ce qui a trait aux différents taux de sédimentation
évalués à partir de l’épaisseur des sédiments et des datations
radiocarbones converties en âge calendaire (Tableau 3),
ceux-ci montrent que les apports sont relativement impor-
tants le long des terrasses. La valeur minimale mesurée est
de l’ordre de 0,09 cm an–1 et la valeur maximale est de 1,68
cm an–1. Soulignons toutefois que ces valeurs demeurent
relatives puisque les écarts-types obtenus par la datation
radiocarbone sont non négligeables. Aussi, rappelons que
les crues ne se produisent pas à chaque année et que l’am-
pleur et la fréquence de ces événements sont variables selon
les années et les secteurs. Pour les tronçons compris entre
Sherbrooke et Saint-Nicéphore (secteur SFR), les datations
obtenues fournissent en général des âges plus récents, soit
entre un âge moderne (± 50 ans AA) et 200 ± 60 ans AA
(Tableau 3). Ces résultats suggèrent que les taux de sédi-
mentation sont non négligeables le long de ces terrasses et
que les accumulations proviennent des inondations succes-
sives qui caractérisent tout ce secteur (Saint-Laurent et al.
2001; Saint-Laurent et Saucet 2003). Sur la rivière Eaton
Nord, les datations radiocarbones obtenues fournissent en
général des âges plus anciens. Par exemple, à la station
EAT-15, la datation 14C a fourni un âge de 2210 ± 60 ans
AA, soit la date la plus vieille obtenue pour l’ensemble des
stations étudiées. Une autre datation 14C obtenue par
Lamothe et al. (2000) dans le même secteur révèle un âge de
765 ± 46 ans AA. Bien que les terrasses puissent paraître
plus anciennes dans ce secteur, les sédiments de crues qui
occupent le replat de ces terrasses sont probablement assez
récents, si l’on se base sur le faible développement
pédogénétique des sols (Fig. 2 et 3).
En considérant les taux de sédimentation évalués à partir
des couches de sédiments contaminés (hydrocarbures C10-
C50) dans les terrasses, on obtient des valeurs moyennes de
l’ordre de 1,84 à 4,18 cm an–1 (Fig. 5). Si l’on tient compte
de l’ensemble des données recueillies (datations 14C et
couches contaminées), on obtient des accumulations sédi-
mentaires qui varient en moyenne entre 0,5 à 3,5 cm an–1,
selon les secteurs d’étude. Lors des débordements de la ri-
vière Saint-François et d’autres rivières du secteur
(Massawippi, Coaticook, Magog) au printemps et à l’au-
tomne 2003, il a été possible d’observer un recouvrement de
quelques centimètres (entre 1,5 et 3,5 cm) de sédiments fins
sur le replat des terrasses, après le retrait des eaux. Des accu-
mulations semblables ont été observées lors de l’inondation
de l’automne 2005 à Windsor. Ces observations révèlent
que les apports sédimentaires laissés lors des crues sont non
négligeables et suggèrent que les terrasses sont probable-
ment en phase d’édification. Il demeure toutefois difficile de
déterminer avec certitude si les accumulations sédimentaires
des terrasses sont davantage associées aux crues récurrentes
des dernières décennies, comme plusieurs des datations 14C
(SNI-1, SNI-3, EAT-7, EAT-16) et les accumulations de
sédiments qui reposent au-dessus des couches contaminées
le laissent supposer. Le faible développement des sols de
surface de plusieurs profils de sols examinés converge aussi
vers l’idée que ces accumulations sont relativement récentes
et qu’elles se font à l’échelle décennale ou centennale.
En comparant les valeurs obtenues avec d’autres travaux
réalisés dans différents milieux riverains affectés par des
inondations (Nielsen et al. 1993; Daniels 2003; Brooks
2002; Oetelaar 2002), on note que les taux de sédimentation
sont très variables d’une région à l’autre. Ceci s’explique en
grande partie par les contextes géomorphologiques et
hydrologiques propres à chacun des bassins hydro-
graphiques et par les variations climatiques qui influent sur
les régimes hydrologiques. À titre d’exemple, les taux de
sédimentation verticale obtenus par Brooks (2002) dans le
secteur de la rivière rouge (Manitoba) peuvent varier entre
0,01 et 0,39 cm an–1 et les accumulations dite contempo-
raines (moins d’un siècle), indiquent des valeurs de l’ordre
de 0,16 à 1,43 cm an–1. Pour sa part, Daniels (2003) a
obtenu des taux moyens de l’ordre de 0,5 cm an–1 dans le
secteur de la rivière Republican (Nebraska). Il faut retenir
que ces apports sédimentaires façonnent les terrasses en
rehaussant graduellement leur niveau et qu’ils peuvent
modifier progressivement la configuration des rives. On note
aussi que ces apports sédimentaires qu’entraînent les inon-
dations successives sont assez récents, soit de l’ordre de
l’échelle centennale, si l’on tient compte de la plupart des
datations obtenues. Pour notre part, nos travaux actuels
(Saint-Laurent et al. 2001; Saint-Laurent et Saucet 2003;
Saint-Laurent et al. 2006, soumis), indiquent une augmenta-
tion de la fréquence des inondations, surtout pour la période
1970–1995. Ceci serait attribuable à un épisode plu-
viométrique plus marqué durant cette même période, lequel
a entraîné une plus forte hydraulicité et des inondations plus
fréquentes dans l’ensemble du bassin.Toutefois, il n’a pas
été possible avec les données actuelles d’évaluer précisé-
ment si cette augmentation des inondations a entraîné un
apport sédimentaire plus important durant cette période, en
raison de l’insuffisance des datations radiocarbones. Il fau-
dra prévoir la combinaison d’autres méthodes de datation
(ex. méthodes isotopiques 210 Pb ou 137Cs) pour établir une
chronologie plus précise menant à une meilleur estimation
des apports sédimentaires. Néanmoins, dans le contexte où
les conditions actuelles pourraient connaître des change-
ments marqués, notamment par des variations importantes
du régime pluviométrique et hydrologique induites par
exemple par les changements climatiques, il devient intéres-
sant de suivre l’évolution de ces milieux et de tenter de mieux
comprendre les interrelations entre les différents processus
hydrologiques, géomorphologiques et pédologiques.
CONCLUSION
Les inondations fréquentes qui caractérisent les bassins du
centre-sud du Québec, notamment les rivières Saint-
François, Massawippi et Eaton Nord, sont responsables
d’une dynamique de rajeunissement des sols et d’une édifi-
cation des terrasses alluviales. Les sols en terrasse présen-
tent en général des caractéristiques morphologiques et
physico-chimiques très semblables qui se traduisent par une
alternance de sols avec des faciès peu évolués, sauf exception.
LAVOIE ET AL. — PÉDOLOGIE ET SÉDIMENTOLOGIE DES SOLS ALLUVIAUX ET PALÉOSOLS 825
Ces sols alluviaux se caractérisent aussi par une faible
teneur en carbone organique, une faible altération et une
horizonation peu marquée. Au niveau de l’édification des
terrasses, on note que les phases d’alluvionnement sont
importantes et conditionnent fort probablement le faible
développement des sols en terrasse. L’évaluation des taux
de sédimentation réalisée à partir des accumulations de
sédiments sur les terrasses et les datations radiocarbones
obtenues des horizons organiques enfouis fournit un taux
moyen de l’ordre de 0,63 cm an1avec des écarts de 0,09 à
1,68 cm an–1. Ces données combinées aux observations
directes associées aux des crues de 2003 et 2005 ainsi que
l’utilisation des couches contaminées observées dans les ter-
rasses qui fournissent des repères chronologiques addition-
nels, suggèrent que les accumulations sédimentaires
peuvent varier en moyenne de 0,5 à 3,5 cm an–1, selon les
secteurs d’étude. Il faut toutefois considérer que les taux de
sédimentation obtenus ne tiennent pas compte de l’ampleur
et de la fréquence des inondations et des taux d’érosion flu-
viale. À la lumière des données actuelles, il apparaît proba-
ble que les terrasses alluviales soient soumises à une
édification (aggradation verticale) qui pourrait être
attribuable à une augmentation de la fréquence des inonda-
tions depuis les dernières décennies, en particulier pour la
période 1970–90 (Saint-Laurent et al. 2001; Saint-Laurent
et Saucet 2003). Les datations radiocarbones obtenues et qui
fournissent des âges relativement jeunes, ainsi que ces hori-
zons organiques enfouis à des profondeurs de parfois plus
de 50 cm, suggèrent que la sédimentation pourrait être plus
active depuis les dernières décennies. On doit retenir que ces
apports sédimentaires façonnent progressivement les ter-
rasses en rehaussant graduellement leur niveau et parallèle-
ment maintiennent les sols à un état de faible maturité. On
pourrait envisager ultérieurement l’utilisation de méthodes
isotopiques complémentaires (210Pb ou 226Ra par exemple),
afin de comparer les taux obtenus avec des données addi-
tionnelles et ainsi préciser davantage les taux de sédimenta-
tion des terrasses alluviales et le développement des sols.
REMERCIEMENTS
Les auteurs tiennent à remercier le Conseil de recherches en
sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) et
l’UQTR pour les fonds institutionnels de recherche (FIR)
pour le soutien financier à cette recherche. Nous remercions
sincèrement les réviseurs qui ont contribué par leurs com-
mentaires constructifs à améliorer de façon appréciable le
manuscrit. Nous tenons également à remercier sincèrement
M. François Péloquin pour son aide soutenue durant les
travaux de terrain et Mme Denise Beaudouin pour la mise
en page du manuscrit.
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