Content uploaded by C. Tournoud
Author content
All content in this area was uploaded by C. Tournoud on Jun 13, 2016
Content may be subject to copyright.
29
Lettre à la Rédaction / Letter to the Editor
Intoxication volontaire fatale à la metformine
Fatal intoxication from metformin
Christine Tournoud1,*, Lara Diebold2, Fady Kara2, Mustapha Moulsma3, Françoise Flesch1
1Centre Antipoison, CHU de Strasbourg, 1 place de l’Hôpital, 67091 Strasbourg Cedex, France
2Service de Réanimation, CH de Haguenau, 64 avenue du Professeur René Leriche, 67504 Haguenau Cedex, France
3UF Pharmacotoxicologie, GHU E. Herriot, 5 place d’Arsonval, 69003 Lyon Cedex, France
Mots clés : Metformine, acidose lactique, intoxication
Key words: Metformin, lactic acidosis, poisoning
Reçu le 7 octobre 2011, accepté après modifications le 2 décembre 2011
Publication en ligne le 3 février 2012
Ann Toxicol Anal. 2012; 24(1): 29-31
© Société Française de Toxicologie Analytique 2012
DOI: 10.1051/ata/2011135
Disponible en ligne
www.ata-journal.org
* Correspondance : Christine Tournoud, christine.tournoud@chru-strasbourg.fr
1 Introduction
La metformine est un hypoglycémiant oral utilisé dans la
prise en charge du diabète de type 2. Elle réduit les complica-
tions micro et macrovasculaires du diabète. Elle permet égale-
ment une diminution du poids surtout chez l’obèse et une
amélioration du bilan lipidique. Ses mécanismes d’action sont
multiples et complexes. Elle agit en diminuant la production
hépatique de glucose et en augmentant son utilisation péri-
phérique : elle inhibe également la néoglucogénèse à partir de
différents substrats (lactates, pyruvates, acides aminés). Elle a
également une action sur le métabolisme lipidique [1].
Leseffetssecondaireslesplusredoutéssontl’hypoglycémie
(rare) et la survenue d’une acidose métabolique lactique. Celle-
ci peut se voir en thérapeutique en cas d’insuffisance hépatique
ou rénale (en principe contre-indications à sa prescription) ou
dans toutes situations pathologiques y conduisant et lors
d’intoxications aiguës, où elle semble plus fréquente. La
fréquence de ces intoxications est mal connue. Lors d’une
enquête américaine rétrospective entre 2000 et 2006, d’après
TESS (Toxic Exposure Surveillance System), le recueil des
données des centres antipoison américains, les intoxications par
la metformine (seule ou associée à d’autres médicaments)
représentaient seulement 0,41 % de tous les cas d’intoxications.
Le nombre de cas d’acidose métabolique était compris entre 3
et 12 %, chiffres corrélés à l’importance de la dose ingérée [2].
Dans la littérature elle est le plus souvent estimée entre 3 et
9/100 000 patients/an. La mortalité est importante, proche de
50 % [3].
Nous rapportons un cas d’intoxication poly-médicamen-
teuse, avec ingestion supposée de 30 grammes de metformine.
2Cas clinique
Une femme de 69 ans, aux antécédents d’hypothyroïdie et
de psychose traitée par Teralithe®, Effexor®, Alprazolam®, est
retrouvée comateuse à domicile. À la prise en charge par le
SMUR, elle est en coma Glasgow 3, hypotendue et a probable-
ment inhalé ; elle est intubée, placée sous ventilation artifi-
cielle, et bénéficie d’un remplissage vasculaire et de
l’administration de noradrénaline. Les recherches effectuées
sur place concluent à la prise possible de 30 comprimés (cps)
d’Effexor®75 mg, 60 cps de Tercian®25 mg, 60 cps d’Alpra-
zolam 0,50 mg, 60 cps de Teralithe®400 mg et 60 cps de Glu-
covance®soit 30 g de metformine (traitement de son mari). À
son admission en réanimation, elle est hypotherme (32 °C),
hypotendue (tension artérielle à 80/50 mmHg), bradycarde à
60 battements/minute, en coma Glasgow 3. L’électrocardio-
gramme inscrit un rythme sinusal régulier sans troubles de la
repolarisation ni de la conduction. Le bilan biologique à
l’admission montre une acidose métabolique lactique (pH 7,18
Article publié par EDP Sciences
Annales de Toxicologie Analytique 2012; 24(1): 29-31 C. Tournoud et coll.
30
et lactates à 5,6 mmol/L) s’aggravant rapidement malgré la
réanimation (pH à 6,98 et lactate à 16 mmol/L, 4 h après
l’admission puis 26 en pré-mortem), avec bilans hépatique et
rénal normaux. L’évolution se fait vers une défaillance multi-
viscérale avec hypoxie (sur pneumopathie d’inhalation), coag-
ulation intravasculaire disséminée, insuffisance rénale aiguë,
persistance du choc et surtout acidose métabolique lactique
sévère et réfractaire malgré l’optimisation hémodynamique,
l’alcalinisation, la réalisation d’une hémodiafiltration. La
patiente décède 15 heures après son admission.
Les analyses toxicologiques montrent une lithémie à
1,95 mmol/L : la recherche qualitative de benzodiazépines est
positive dans le sang, celle d’antidépresseurs tricycliques est
négative.Les dosages de cyamémazine et de venlafaxine n’ont
pas été effectués.
3Méthode de dosage de la metformine
L'extraction de la metformine consiste en une déprotéinisa-
tion acide du plasma à l’aide de l’acide trichloracétique.Une
gammed'étalonnage ayant pour vocation ledosage de la met-
formine en urgence est réalisée dans les mêmes conditions
avec des sérums surchargés en metformine.
Pour les besoins de l’observation en cours, un sérum « drug
free » a été chargé à 500 mg/L, dilué au 1/100e.
La méthode d’analyse employée est une technique de
chromatographie liquide couplée à un détecteur de masse. La
séparation est effectuée grâce à une colonne Kinetex PFP,
sélectivepour les noyaux aromatiques et lesmoléculespolaires.
Ladétectionestréaliséepar spectrométrie de masse en mode
d’ionisation API-ES et polarité positive. L’ion d’intérêt est le
m/z 130 correspondant au [M + H]+de la metformine. Il est
détecté à un temps de rétention moyen de 1,78 min + 0,1 min.
L’échantilloninconnu, dilué au 1/100eet passéenduplicate,
a révélé une concentration moyenne de 5,04 mg/L, soit une
concentration finale de 504 mg/L.
4 Discussion
Après ingestion, l’absorption de la metformine se fait
essentiellement au niveau de l’intestin grêle. Sa biodisponibilité
est de l’ordre de 40 à 60 %. La concentration plasmatique
maximale est atteinte en deux à trois heures (4 à 8 heures pour
la forme LP) avec des valeurs de 0,1 à 2 mg/L après une prise
de 500 à 1000 mg. La demi-vie plasmatique est de l’ordre de 4
à 8 heures. Elle n’est pas métabolisée : son élimination est
essentiellement urinaire. L’hémodialyse est peu efficace sur
l’élimination de la metformine (faible liaison aux protéines
plasmatiques, volume de distribution très élevé). Elle serait
surtout utile à la correction de l’acidose et en cas d’insuffisance
rénale aiguë.
L’acidoselactique est réputée comme la complication laplus
grave du traitement par metformine. Cependant le lien direct
entre la prise de metformine et la survenue de l’acidose est
controversé. En effet dans certains cas, il existe des causes sous-
jacentes pouvant expliquer sa survenue ; d’autre part, le
surdosagen’estpastoujoursconfirméparledosage plasmatique.
Ce lien est très probable en cas d’intoxication volontaire. Les
mécanismes de survenue de cette acidose ne sont pas clairs.
L’hyperlactatémie serait la conséquence d’une baisse de
l’utilisation des lactates (inhibition de la néoglucogenèse à partir
des lactates) et d’une augmentation de sa production [1]. En cas
d’acidose lactique avérée, le traitement repose sur la correction
de l’état de choc, condition susceptible d’aggraver l’acidose,
l’alcalinisation (controversée), et l’épuration extra-rénale.
Dans le cas clinique décrit ci-dessus, le délai prise/
admission est inconnu, la patiente étant découverte comateuse
et hypotendue. Une partie du tableau neurologique est
possiblement en relation avec les différents psychotropes
ingérés. Les doses supposées ingérées de venlafaxine et de
cyamémazine sont considérées comme toxiques, probablement
impliquées dans la symptomatologie neurologique et peut-être
dans l’hypotension et la bradycardie : il n’y avait cependant pas
de troubles de repolarisation ou de conduction à l’admission.
La dose supposée ingérée (DSI) de lithium peut être à elle seule
cardiotoxique : la concentration sanguine de lithium est peu
élevée (le délai entre l’ingestion et l’admission n’étant
cependant pas connu et en l’absence d’un autre dosage). Il s’agit
cependant d’une intoxication aiguë sur une prise chronique,
condition entraînant une gravité plus importante. L’état de choc
peut être d’origine multifactorielle : toxique (plusieurs
molécules possiblement impliquées), septique… Parmi les
médicaments ingérés, seule la metformine est régulièrement
impliquée dans la survenue d’acidoses lactiques sévères. Dans
le cas présent, l’origine de l’acidose est possiblement d’origine
toxique, mais peut être aussi en rapport avec l’hypoxie, l’état
de choc… L’hypothermie peut également être responsable
d’une partie de la symptomatologie cardiovasculaire initiale.
La concentration de metformine retrouvée dans le sang de
notre patiente est nettement plus élevée que celles signalées
dans la littérature : la concentration la plus élevée publiée est
de 380 mg/L [4]. Cependant la concentration ne semble pas
strictement corrélée à la DSI, donnée souvent peu précise. La
concentrationdemetformine ne semble pas non plus strictement
corrélée à la survenue et à l’importance de l’acidose lactique.
Plusieurs publications, de patients décédés ou survivants,
témoignent d’une possible corrélation entre DSI, gravité de
l’acidose et mortalité [5]. Celle-ci est dépendante de la prise en
charge : épuration digestive, épuration extra-rénale précoce…
Dansle cas rapporté, la concentration importante de metformine
va dans le sens de son implication très probable dans le tableau
clinique présenté par la patiente et son évolution fatale.
5 Conclusion
Les intoxications par metformine sont rares mais graves en
raison de la survenue possible d’une acidose lactique majeure.
La concentration de metformine retrouvée chez notre patiente
Annales de Toxicologie Analytique 2012; 24(1): 29-31 C. Tournoud et coll.
31
est la plus élevée jamais signalée dans la littérature. Cependant,
la gravité de ces intoxications n’est pas strictement corrélée à
la DSI, au pH, au taux de lactates, ainsi qu’à la concentration
sanguine.
Conflits d’intérêts. Les auteurs déclarent ne pas avoir de
conflits d’intérêts.
Références
1. Orban JC, Ghaddab A, Chatti O, Ichai C. Acidose lactique et
metformine. Ann Fr Anesth Reanim. 2006; 25(10): 1046–1052.
2. Forrester MB. Adult metformin ingestions reported to Texas
poisoncontrolcenters,2000–2006.HumExp Toxicol. 2008; 27:
575–583.
3. Seidowsky A, Nseir S, Houdret N, Fourrier F. Metformin-
associated lactic acidosis: a prognostic and therapeutic study.
Crit Care Med. 2009; 37(7): 2191–2196.
4. Arroyo AM, Walroth TA, Mowry JB, Kao LW. The MALAdy of
metformin poisoning: is CCVH the cure? Am J Ther. 2010;
17(1): 96–100.
5. Dell’Aglio DM, Perino LJ, Kazzi Z, Abramson J, Schwartz MD,
Morgan BW. Acute metformin overdose: examining serum pH,
lactate level, and metformin concentrations in survivors versus
nonsurvivors: a systematic review of the literature. Ann Emerg
Med. 2009; 24(6): 818–823.