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Visiteurs d’origine immigrée et réinterprétation des collections au Världkulturmuseet de Göteborg

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Abstract

The arrival of new preoccupations shaping the heritage of non western cultures is confirmed by the beginning of a phase of reconstructuring in the majority of europeen etnographic museums. The beginning of this process of enhancing the visibility and the contribution made by these collections is accompagnied by a reflection on the relationship of individuals experiencing immigration, by exhibiting the heritage of their initial culture. The changes envisaged demand the application of innovative methods, bringing to light the isssue of museum practice. In this perspective the exhibit Horizons, Voices from Global Africa, of the Göteborg museum of world cultures, gave the opportunity to create a project of reinterpretation of the collections, allowing for improving access to the institutional visibility, for emphasizing the taking into account the changing reality of identities, and for enriching the spectrum of interpretations of artifacts.
LAURELLA RINÇON
VISITEURS D’ORIGINE IMMIGRÉE
ET RÉINTERPRÉTATION DES COLLECTIONS
AU VÄRLDKULTURMUSEET DE GÖTEBORG
Curiosités exotiques, art
nègre, arts primitifs, collec-
tions ethnographiques, arts
premiers, art non occidental
,
art extra-occidental, arts loin-
tains : les vocables ne man-
quent pas pour désigner les
objets collectés en dehors
du continent européen. Au-
tant d’hésitations et de tâton-
nements qui en disent long
sur notre rapport à l’Autre,
sur notre volonté de cir-
cons
crire l’Ailleurs et de le
maî
triser, d’appréhender sa
diver
sité sous une seule et
englobante appellation, la-
quelle s’avère forcément im-
précise.
Cette multiplicité de termes se répercute sur le processus de
dénomination des institutions abritant de telles collections. Les
musées d’ethnographie se transforment en « musées des cultures
du monde » – comme le Världkulturmuseet à Göteborg ou le
Wereldmuseum à Rotterdam –, tandis qu’à Paris les collections du
même ordre issues du musée de l’Homme et du musée des Arts
d’Afrique et d’Océanie seraient accueillies dans ce qui s’est appelé
un moment, musée des Arts premiers, puis musée des Arts et Civi-
lisations, et aujourd’hui, comme par défaut, musée du Quai-Branly
.
Ce mouvement fluctuant paraît faire écho à la fluctuation des
positionnements scientifiques et idéologiques des établissements
qui ont entamé des rénovations au cours des dix dernières années.
La plupart des musées européens, détenteurs de collections éma-
nant de cultures issues des autres continents, ont ressenti le
besoin de procéder à la restructuration de leurs institutions. Des
projets de rénovation et de refonte ont fleuri. Après l’ouverture
du National Museum of African Art en 1987 et la réouverture des
salles dédiées aux collections africaines dans le National Museum
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VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
of Natural History – deux établissements relevant de la Smith-
sonian Institution de Washington –, la réflexion a gagné l’Europe.
Les collections du Museum of Mankind ont rejoint le département
« World Culture » créé pour elles au British Museum. En 2001, c’est
le Rijksmuseum voor Volkerkunde de Leyde qui avait achevé sa
renovation. À Berlin, au Museum für Volkerkunde et à Tervuren,
au musée royal d’Afrique centrale, des projets sont à l’étude. Ces
renaissances sont la matérialisation d’une interrogation induite par
deux phénomènes. D’une part, la dialectique du Nous et de
l’Autre et de l’Ici et de l’Ailleurs recèle, davantage que par le
passé, une logique d’entremêlement, où l’Ailleurs est de moins en
moins lointain et où l’Autre est dorénavant Ici autant chez lui que
Nous. Les mutations de la société occidentale, générées par l’in-
tensification des migrations, entraînent un changement de rapport
à cet Autre, à cet Ailleurs, et par conséquent au patrimoine qui s’y
rattache : l’institution muséale ne peut éviter de repenser sa façon
de mettre en scène un tel patrimoine. Les incertitudes dans le
choix des dénominations traduisent bien cette difficulté à gérer
des collections dont la muséalisation ne se limite plus dorénavant
à la collecte, au classement, à la documentation ethnographique, à
l’interprétation anthropologique et à l’appréciation esthétique des
artefacts. D’autre part, la vision du musée défendue par l’Icom et
par les associations internationales regroupant les professionnels
de musées s’inscrit au cœur de la réflexion sur la représentation
des autres cultures. En constante évolution, le concept de musée
a vu son rôle et ses missions se transformer pour passer d’une
acception centrée sur la gestion des collections à une idée de
l’institution tournée vers l’homme. Cette orientation a atteint son
point culminant dans les définitions proposées, en 2002, par la
British Museum Association et par l’Association of Australian
Museum, avec la mise en avant du principe d’implication des com-
munautés. Plus que les autres institutions, les musées de sociétés
et de civilisations sont concernés par ces essais de redéfinition,
qui sollicitent l’essentiel de leurs compétences et de leur champ
d’application.
Si les études de publics n’occupent pas encore une place cen-
trale dans le processus engagé pour repenser la mise en valeur
des collections anciennement ethnographiques, la question des
politiques qui les visent revêt une importance grandissante aujour-
d’hui et constitue un enjeu de nature à modifier en profondeur la
structure de ce type de musée. Repenser le rapport à l’Autre par
le biais de la mise en valeur de son patrimoine, en mettant au
centre la question de l’individu, a une conséquence déterminante.
Il devient difficile aux musées de faire l’économie, dans le con-
texte multiculturaliste qui s’impose à eux, d’une réflexion sur le
rapport d’individus en situation d’immigration à la mise en expo-
sition du patrimoine issu de leur culture d’origine. Cet angle spé-
cifique d’approche constitue un nouveau paradigme dans le
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CULTURE &MUSÉES N° 6
domaine de l’analyse de la réception des expositions par les visi-
teurs. S’adossant à un travail de recherche poursuivi dans le cadre
d’un troisième cycle, le présent article explore le bien-fondé des
pratiques de muséologie « inclusive et/ou participative » et leur
apport à la dialectique de l’identité. Il s’interroge sur la nécessité
d’encourager l’émergence d’un autre type de visiteur : « le visiteur
-
auteur » (ou coauteur de la représentation faite au musée). On
tentera, dans l’analyse qui suit, d’explorer comment la combinai-
son des facteurs, que sont l’accès à la visibilité institutionnelle et
la prise en compte de la réalité mouvante des identités, contribue
éventuellement à enrichir le spectre d’interprétations d’une collec-
tion – et ce, en s’appuyant sur différentes expériences de « muséo-
logie
participative », et principalement celle que nous avons menée
au musée des Cultures du monde de Göteborg.
MINING THE MUSEUM,
S’APPROPRIER
LE MUSÉE
La muséologie participative ou inclusive, qui
se généralise dans les chartes des musées britanniques, repose
sur l’idée de consulter, sinon d’associer, tout groupe qui se définit
comme entité sociale ou culturelle, à toute forme de représenta-
tion censée lui correspondre dans l’enceinte du musée. Dans
cette perspective, une exposition – qu’elle porte sur les Yanomani
du fleuve Orénoque, sur le travail ouvrier dans les usines auto-
mobiles, sur les communautés homosexuelles de Greenwich
Village ou sur le militantisme dans les partis politiques – ne
saurait être réalisée sans la contribution d’individus qui se recon-
naissent dans le référent identitaire pris en compte. Participative
et inclusive, cette muséologie est l’héritière d’un événement
propre au contexte américain : le vote du NAGPRA en 1990. Cette
loi met en cause certains fondements des musées occidentaux en
dénonçant la faible visibilité des minorités dans les institutions
culturelles. Quoi de plus significatif de cette « négation institution-
nelle » que l’ouverture tardive du National Museum of Native
American qui fut, en 2004, le dernier à rejoindre le Mall de
Washington parmi les autres institutions de la Smithsonian ?
S’intéresser au lien que peuvent nouer les visiteurs en situation
d’immigration avec les collections issues de leur patrimoine d’ori-
gine exige d’aborder ces enjeux muséologiques dans lesquels
s’inscrivent les missions et rôles que s’est assigné le Världskultur-
museet (musée national des Cultures du monde, abrégé VKM) de
Göteborg. Réouvert en décembre 2004, ce musée a bénéficié du
t
ransfert de collections de l’ancien musée municipal d’Ethnographie
de Göteborg fermé en 1999. Il s’agissait donc pour un établisse-
ment en pleine transformation de réfléchir au nouveau regard qui
pouvait se porter sur les collections. Parmi les 12 000 objets de
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VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
ses collections africaines, le VKM conserve 600 pièces ramenées
de l’ancienne Abyssinie (Éthiopie, Érythrée, Somalie) pour l’es-
sentiel entre 1901 et 1909. Parallèlement, on peut noter que les
résidents de Göteborg d’origine africaine sont en majorité issus de
la Corne de l’Afrique et peuvent se réclamer d’un lien identitaire
avec cette région. Un dialogue avec des acteurs éma
nant de ce
contexte privilégié a été mis en place par l’institution dan
s le cadre
d’un projet de réinterprétation des collections. L’expérience s’est
développée dans le cadre d’un programme d’activités s’étalant sur
deux ans (2003-2004) et s’intégrant à une des expositions inaugu-
rales du nouveau musée : Horizons, Voices
from a Global Africa.
Un groupe d’environ vingt personnes, à mêm
e de se réclamer de
cet héritage culturel, a été invité à collaborer à la sélection des
objets à présenter. Dès lors, ils sont devenus des collaborateurs
au même titre que le reste des professionnels du musée (commis-
saires, muséologues, scénographes, etc.) associés à la conception
de l’exposition. L’objectif était, pour nous, de construire des ponts
entre la collection du musée et les traditions contemporaines,
vivantes et persistantes, dans un contexte d’immigration en Suède
,
tout en laissant une place aux expressions et interprétations per-
sonnelles de nos invités.
Le projet de réinterprétation des collections de la Corne de
l’Afrique a eu pour ambition d’exploiter la notion de « musée-
forum » en réfléchissant à trois axes, qu’un proverbe éthiopien,
cité par l’un de nos participants, semble résumer : « L’or, une fois
dans les mains, n’a pas plus de valeur que le cuivre. » Ce pro-
verbe exprime l’idée selon laquelle la société suédoise n’est pas
assez sensible aux atouts et compétences qui sont à sa portée, en
l’occurrence la participation des immigrés à la construction de la
nation. Premier axe, le « Forum pour la Rencontre » reposait sur
l’idée que les collections du musée ne pouvaient plus seulement
manifester une étrangeté lointaine, mais devaient devenir l’occa-
sion d’une « rencontre » et, le Världkulturmuseet une plate-forme,
où la société suédoise pourrait engager un dialogue avec les
Suédois d’origine immigrée et aborder les questions de diversité
culturelle qui se posent à l’intérieur des frontières du pays.
Deuxième axe, le « Forum pour l’Expression » souhaitait permettre
à des individus qui relevaient du référent identitaire désigné
d’exercer un droit de regard et un droit de parole sur la mise en
exposition de cette collection, en leur qualité de potentiels
« visi
teurs-auteurs » : il s’agissait d’instaurer un dialogue, cette fois,
avec
l’institution, afin d’aborder des problématiques contempo-
raines liées
au contexte migratoire. Troisième axe, le « Forum pour
l’Intégration » avait pour ambition que la collection soit le moyen
de rendre visible une partie de la société absente des discours
tenus d’habitude par les institutions culturelles suédoises, et en
particulier par les musées. C’est au grief, couramment formulé à
l’égard de l’institution muséale, de ne refléter que l’histoire d’un
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CULTURE &MUSÉES N° 6
petit nombre et de rester muette sur les réalités de diverses caté-
gories sociales, qu’on s’attaque ici. La proportion de résidents de
Göteborg originaires de la Corne de l’Afrique, significative en
termes de statistiques et de « visibilité » sociale, demeurait absente
des préoccupations des établissements culturels. L’institution,
dans la majorité des cas, célèbre l’histoire officielle et ses vain-
queurs, et retrace les trajectoires sociales, politiques, historiques
de l’ensemble majoritaire. Le musée, par conséquent, laisse dans
l’oubli beaucoup d’acteurs de la société, lesquels se trouvent
exclus de la représentation offerte au public. Ces exclus du
musée correspondent assez systématiquement à la catégorie des
individus pour qui il est difficile, voire problématique, de trouver,
et, a fortiori, d’affirmer leur place dans la société. Pourtant, plus
que les autres, ces visiteurs et utilisateurs potentiels de l’institution
pourraient tirer bénéfice de la vitrine sociale et culturelle qu’elle
représente. En effet, le musée recèle un potentiel de légitimation
qui peut intervenir comme « médiateur » entre les minorités et le
référent culturel majoritaire, favorisant ainsi une meilleure inté-
gration. Le fait même d’y être représenté agirait symboliquement
pour les minorités comme indicateur d’appartenance à la société
d’accueil et contribuerait à l’acceptation mutuelle entre commu-
nautés. Au lieu de quoi, le fossé se creuse, le fait de ne pas
être présent dans les expositions ou de ne pas s’y reconnaître
accu
sant cette marginalité. Cette quasi-invisibilité des minorités
immigrés, et exclus de tous ordres – est généralement la règle
dans le paysage muséal, à une exception près : leur forte repré-
sentation au sein des personnels de maintenance. L’artiste améri-
cain Fred Wilson s’est du reste inspiré de cette réalité pour créer
une installation dans le Musée historique du Maryland. L’expo-
sition Mining the museum (“S’approprier le musée”) avait pour but
de confronter le visiteur à ces histoires perdues, niées et oubliées
(Wilson, 2002), dans un musée qui, jusqu’alors, n’y avait jamais
fait référence. En donnant des titres nouveaux aux peintures du
XVIIIesiècle représentant des scènes qui se déroulaient dans les
plantations, Fred Wilson a mis l’accent sur l’apport de la commu-
nauté noire à la construction de la société et de l’économie de cet
État. Il a complété la galerie des bustes de personnages qui avaient
joué un rôle important dans l’histoire du Maryland, par l’ajout de
figures issues des communautés indiennes et noires, figures
méconnues en dépit de leur action décisive dans la coulisse. La
démarche artistique s’est transformée en une critique de l’institu-
tion muséale par la volonté de l’artiste de rendre visible la partici-
pation de tous à la construction d’un État voire à celle du pays
tout entier.
Mais y a-t-il d’autres moyens de s’approprier le musée ? L’évic-
tion du discours muséal a pour effet en retour une exclusion en
terme de consommation culturelle. On peut se demander si assi-
miler certaines communautés à un « non-public » serait non pas
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CULTURE &MUSÉES N° 6
simplement une commodité de langage mais l’artifice nécessaire
pour dissimuler les carences d’une pratique professionnelle.
L’appellation englobe, de fait, une grande variété de situations et
occulte l’insuffisance des politiques muséales envers les catégories
ainsi définies. Ne pas prendre en compte cette pluralité des situa-
tions dans le discours adressé aux publics peu familiers du musée,
c’est parfois, délibérément ou non, exclure certains de ces visiteurs
potentiels. Il convient de s’interroger sur les démarches que le
musée met en œuvre pour aller à la rencontre de ces « non-
publics », dont il expose le patrimoine. Au lieu d’employer ce
terme, ne devrait-on pas plutôt s’interroger sur la nature des poli-
tiques de publics et leur incapacité ou leur inaptitude à satisfaire un
certain nombre de visiteurs ? L’expérience de certains établis-
sements a montré que l’écoute des exclus et des minorités au
moment de l’élaboration des thématiques abordées par le musée
rendait possible la conquête de nouveaux publics. Ainsi les mem-
bres des communautés tziganes qui avaient participé à la concep-
tion de l’exposition dédiée aux « gens du voyage » à l’écomusée de
Fresnes ont-ils servi de relais de communication auprès desdites
communautés, ménageant une incitation à la visite. De même,
en 1999, l’exposition The Arts of the Sikh Kingdoms du Victoria and
Albert Museum à Londres avait drainé vers les salles un flot impor-
tant de primo-visiteurs qui, pour beaucoup, n’avaient jamais visité
aucun autre musée auparavant. À Göteborg, nous avons cherché à
nous rapprocher de ce « non-public ». Vouloir l’associer supposait
de prendre en compte le frein majeur à l’intégration qu’est la fer-
meture du marché de l’emploi aux Suédois « récents ». Cette dimen-
sion sociale – laissée de côté dans ces pages – a ainsi été agrégée
au volet muséologique. Des vingt participants d’origine éthio-
pienne ou érythréenne, une majorité s’était engagée dans le pro-
gramme en raison des perspectives d’intégration au marché de
l’emploi qu’il comportait, mais n’avait pas d’attirance particulière
pour la dimension muséologique du projet. La plupart n’étaient pas
familiers des musées (seuls trois d’entre eux en avaient visité un
très petit nombre lors de voyages à l’étranger), et leur intérêt pour
le projet était très différent du nôtre. Il a été stimulant de noter
comment ces motivations divergentes se sont progressivement
rejointes. Au bout de deux mois d’implication dans un programme
commun, on pouvait déjà mesurer les effets du projet sur la fré-
quentation des autres musées. Ainsi, plusieurs mères de famille
avaient accompagné leurs enfants dans certains musées de la ville.
Ce constat est d’autant plus positif que ce sont particulièrement les
collaborateurs les plus réticents qui ont ressenti le besoin d’explo-
rer le parc muséal de Göteborg. Se vérifiera-t-il, comme il a pu être
constaté dans d’autres expériences relevant de la même philoso-
phie, que la fidélisation à l’institution n’opère pas durablement ? Il
convient en effet de réfléchir aux méthodes à mettre en place en
direction de ces publics pour obtenir des retombées persistantes.
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CULTURE &MUSÉES N° 6
IDENTITÉS SOUS
VITRINE
Le Victoria and Albert Museum, l’écomusée
de Fresnes, le Musée historique du Maryland, ou le Världkultur-
museet de Göteborg sont des institutions de natures différentes,
par leurs périmètres d’action comme par les publics qu’elles
visent et par leurs centres d’intérêt. Il convient également de s’in-
terroger sur le type d’établissement auquel la mission de rendre
visibles les minorités devrait incomber. Quel type de musée doit
déceler ces besoins, s’en faire l’écho et éventuellement y répondre ?
Est-ce le rôle d’un écomusée, à l’instar de celui de Fresnes auteur
de l’exposition Rassemblances, ou celui d’un musée de société,
tel le Musée dauphinois de Grenoble qui a conçu l’exposition
Mémoires d’immigrés, tous deux censés refléter le territoire dans
lequel ils s’inscrivent ? Est-ce le rôle des musées d’histoire, des
musées de civilisations et de cultures du monde, détenteurs d’un
patrimoine transmettant une image et une identité à laquelle se
réfèrent les visiteurs issus d’un contexte migratoire ? La tradition
qui consiste à impliquer les minorités dans la réflexion précédant
la réalisation d’une exposition est ancienne dans les pays anglo-
saxons pour ce qui est des musées de civilisations, alors qu’en
France elle franchit encore trop rarement les frontières de
l’écomuséologie. C’est d’ailleurs dans le concept de l’écomusée,
« miroir de la société » dont il expose les artefacts que résident les
ferments de la muséologie participative. Georges-Henri Rivière
et Hugues de Varine (1991) ont théorisé les principes et les
méthodes d’application de la collaboration entre communautés et
musées. Les premières expériences, qui ont eu lieu dans d’autres
types d’établissements outre-Atlantique, se sont d’ailleurs fondées
sur les préconisations de la nouvelle muséologie. Plus récem-
ment, des musées entièrement consacrés au thème de l’immigra-
tion font leur apparition. En Australie, le musée de l’Immigration
de Melbourne retrace les différentes étapes historiques de l’immi-
gration, s’appuyant sur l’idée qui a servi de base à la construction
de cette nation : « We are all from somewhere else.»En France, le
projet d’un centre d’interprétation sur l’histoire de l’immigration
est sur le point de voir le jour au palais de la Porte dorée. Les dif-
férentes modalités de prise en charge ici envisagées ne sont pro-
bablement pas antinomiques : les types d’institutions citées
gagneraient à faire appel aux minorités suivant des registres diffé-
rents. Il n’en reste pas moins que la conséquence directe de ce
type d’initiatives et de réalisations est de créer des attentes pré-
cises et de fortes exigences au sein d’un public jusqu’alors peu
enclin à fréquenter le musée : la prise en compte accrue des indi-
vidus en situation d’immigration dans les musées s’accompagne
d’un intérêt grandissant de leur part pour la préservation et la
valorisation de la spécificité du patrimoine matériel et de l’identité
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VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
collective qui sont les leurs. La confiance se reporte sur l’institu-
tion muséale comme seule capable de mener à bien une pareille
mission.
Mais, cette « mise sous vitrine » souhaitée et attendue réclame
un changement dans la praxis muséale. Par l’intermédiaire des
collections dont ils sont dépositaires, les musées ont une vocation
de producteurs d’images et de représentations, à l’égard d’iden-
tités qu’ils reflètent non sans les façonner en partie. Le jeu de
miroirs, où se dessinent – quand ne s’exacerbent pas – les contours
de chaque identité, manifeste la prédisposition du musée à définir
une vision du monde qui nous entoure à partir de quelques cri-
tères et artefacts spécifiés comme pertinents. Contrainte dans l’es-
pace de la vitrine, « l’identité muséalisée » d’une culture est
toujours insatisfaisante. Le musée est-il un catalyseur ou un otage
de ces représentations incomplètes de l’identité ? Cette dernière
fonctionne avant tout comme un processus de projection de l’in-
dividu au sein d’un imaginaire communautaire (Gallissot, 2000).
Le musée doit prendre en compte, dans le choix et la mise en
valeur de ses collections, non seulement la composition variable
du groupe humain, de la culture considérée, mais aussi la com-
plexité et la multiplicité des facettes identitaires du public lui-
même. La restitution muséographique se doit d’appréhender ce
phénomène à géométrie variable qui caractérise l’identité per-
sonnelle du visiteur, quitte à l’inscrire dans les formes collectives
et dans le modèle d’identification dominant qui lui sert de réfé-
rence. Ce modèle identitaire se compose de valeurs, de tradi-
tions, d’idéaux, mais également de marques sociales, religieuses
voire phénotypiques. Quels changements est-il souhaitable
d’opérer au musée pour répondre aux attentes d’entités cultu-
rellement diverses ? L’artiste suédois Peter Johansson s’est ainsi
attaqué, dans l’exposition How to cook a souvenir, au symbole
identitaire suédois le plus répandu : le petit cheval de bois de
Dalécarlie recouvert du répertoire de peinture décorative
emprunté au mobilier traditionnel. En le découpant en tranches
et en le plaçant dans un emballage de polystyrène parmi les
barquettes de viande d’un étalage de supermarché, l’artiste
évoque, en un acte emblématique de destruction, la libération
qu’il revendique à l’égard d’une forme restrictive qui, juge-t-il,
l’emprisonne dans sa créativité individuelle. C’est une invitation
à recomposer et à reconsidérer le contenu de cette icône par la
métaphore du bien de consommation dont la validité éphémère
n’est garantie que dans les conditions artificielles d’une exposi-
tion réfrigérée (Henatsch, 1998). Une telle métaphore nous
engage à réfléchir au rôle similaire de « conservation réfrigérée »
que joue l’exposition de tout patrimoine matériel dans un
musée. « Réfrigérés » dans le temps, les objets le sont aussi dans
l’espace : l’exposition, donnant à voir des identités sous vitrine,
se révèle par essence fragmentaire.
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VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
Fragmentaire, parce que figée dans une intemporalité garantie
par l’espace protecteur de la vitrine, la muséalisation assure la
préservation des objets, autant que du propos, contre tout risque
d’altération. Mais malheureusement, aussi contre toute possibilité
d’interprétation dynamique et d’expression des évolutions qui se
produisent en dehors du cadre muséalisé. Les définitions sociales
et les représentations intellectuelles d’une culture peuvent-elles
prendre un caractère immuable ? N’est-il pas de la responsabilité
du musée de traduire les évolutions qui interviennent dans les
sociétés décrites, par le biais d’une gestion suffisamment flexible
des collections contribuant à une reconsidération régulière des
cadres d’interprétation et de contextualisation ? Plus que par leur
valeur de mise en contexte, les objets se révèlent importants pour
le sens qui peut leur être donné aujourd’hui et leur pertinence
dans le monde moderne. Si les collections sont, qu’on le veuille
ou non, pétrifiées dans le temps, leur présentation est au con-
traire susceptible de s’enrichir d’un espace d’expression où
des
apports externes au musée pourraient faire comprendre la
richesse, la souplesse, l’évolution et les transformations d’une
société. Recueillir la mémoire individuelle dans les sociétés où
l’oralité joue un grand rôle constitue un moyen d’intégrer une
dimension contemporaine à la présentation de collections consti-
tuées dans un contexte colonial. Cette méthodologie interpréta-
tive permet de faire intervenir un héritage intangible. La nécessité
d’avoir recours aux témoignages d’individus relevant du référent
identitaire pris en compte s’exprime spécialement dans les cas de
migrations, où la transmission du patrimoine est mise en péril.
C’est le principe des « voices » utilisé pour les expositions African
Voices du National Museum of Natural History de la Smithsonian
Institution et Horizons, Voices from a Global Africa du musée des
Cultures du monde de Göteborg. Employer l’oralité, c’est aussi
encourager les visiteurs à établir des connexions entre l’individu
et la structure sociale plus générale ; c’est humaniser notre per-
ception du passé en faisant intervenir l’émotion et les souvenirs
plus ou moins douloureux ; c’est enfin ménager des collabora-
tions avec divers publics. Fragmentaire encore, parce que sublimée
,
cette identité muséalisée correspond au discours du muséologue
et traduit par conséquent l’idée qu’il se fait de la distance à fran-
chir
par le public majoritaire auquel il s’adresse. L’identité est éga-
lement conditionnée par le prisme de son appartenance culturelle
et par son propre rapport à l’altérité mise en scène (Weinhold, 2002).
L’exposition laisse transparaître la personnalité du commissaire,
autant que la teneur de l’objet qui l’a suscitée. Dans cette per-
spective de reconnaissance de la subjectivité des professionnels de
musée et de remise en question du discours empirique et objectif
du musée, se fait jour une capacité à prendre en compte des points
de vue divers et parfois divergents. Si le musée doit constituer le
référent scientifique et fournir le substrat intellectuel, peut-être
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VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
gagnerait-il à ouvrir ses portes à l’expression de voix multiples,
s’autorisant, par un tel dialogue, à être plus réceptif pour être plus
pertinent. Fragmentaires enfin, parce que cloisonnées, les exposi-
tions monographiques mettant en scène un pays, une culture, une
communauté humaine, négligent bien souvent les emprunts et
influences extérieures que peut subir l’entité retenue en ne pré-
sentant que les œuvres dites « classiques ». La classification des
c
ollections, héritière des découpages administratifs des institutions
coloniales, favorise cette vision cloisonnée des cultures et des
groupes humains. État de fait qui s’illustre dans les expositions
des ensembles répondant à une certaine cohérence ne reflètent
cependant pas toujours la réalité des situations. La réflexion me-
née
au cœur de l’ethnie par Elikia M’Bokolo et Jean-Loup Amselle
(1985), à propos de l’invalidité du découpage ethnique dans l’his-
toire de l’art africain, souligne la nécessité de déconstruire les
cloisonnements ethniques et culturels qui englobent des réalités
plus complexes.
« AUCUNE CULTURE
N’EST UNE ÎLE. »
Si les réalités identitaires sont mouvantes, les
cultures sont également polymorphes et les publics pluriels.
Certes, il est commode de parler de minorités immigrées. Mais on
se doit de souligner l’importante variabilité de situation qui se
cache sous ce vocable et qui en problématise l’emploi. Dans
quelle mesure la muséologie participative permet-elle à une insti-
tution génératrice de représentations de rendre compte de la
complexité et de l’hétérogénéité des facteurs qui définissent les
caractères de telle ou telle identité, tout en gardant trace de la
coexistence, de la superposition, voire de l’entremêlement, des
différents référents culturels et sociaux de ses visiteurs potentiels ?
Parallèlement, les sujets sensibles participent du processus de
construction d’une identité collective et d’un rapport au monde et
à l’Autre que ne peut manquer d’aborder le musée. L’exigence
d’objectivité et les attentes dans ce domaine se manifestent sur-
tout à propos de l’incidence de la communauté d’origine. La mise
en exposition de traits culturels et de marqueurs identitaires,
mais
plus encore des témoins d’une histoire coloniale commune,
entraîne
un positionnement qui est fonction de la relation de
chacun au passé historique et à son propre enracinement dans la
culture présentée. L’exposition doit-elle donc prévoir des voies
d’accès à l’information, corollaires de la distance culturelle pré-
supposée des différents publics ?
Prendre en compte la diversité culturelle, c’est aussi l’occasion
d’associer des voix multiples désireuses d’être entendues et inté-
grées au présent. Ces voix apportent des perspectives variées sur
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CULTURE &MUSÉES N° 6
le passé et permettent de tendre vers une plus grande objectivité
historique. Les études de publics des expositions Kannibals et
Vahinés et Boubou c’est chic, au musée des Arts d’Afrique et
d’Océanie en 2002, ont fait apparaître l’opportunité d’une prise en
compte des visiteurs en fonction de leur référent culturel ou iden-
titaire dominant. Le critère de proximité avec le sujet développé
dans ces expositions a présidé à une catégorisation des publics
et de leurs modes de réception. Une première catégorie de visi-
teurs répond au critère d’« en-culturalité » qui désigne le principe
de projection identitaire : entretenant une relation d’intériorité
avec le sujet abordé, ils se considèrent à la fois comme objets de
la démonstration et comme émetteurs. Une deuxième catégorie
se caractérise, au contraire, par une distance au thème traité : se
situant dans « l’ex-culturalité », c’est-à-dire selon une position d’ex-
tériorité qui se manifeste par un regard désengagé sur ce qui leur
est présenté, ils fonctionnent davantage en qualité de récepteurs.
Mais également, une catégorie intermédiaire s’est dégagée : elle
rassemble la partie du public en position de proximité, faisant
preuve d’une ex-culturalité modulée par une relative familiarité
avec les thèmes abordés. Dans les deux expositions, les visiteurs
« en-culturés » se sont distingués du reste du public en exprimant
des sentiments de réprobation, de frustration, sinon de trahison,
quant à la manière dont le sujet était traité. Un constat du même
ordre a pu être fait lors de la définition des thématiques de l’ex-
position en préparation au Världskulturmuseet de Göteborg. Les
discussions se sont parfois transformées en dissensions assez
fortes entre les commissaires et les collaborateurs originaires de la
Corne de l’Afrique. Consulter systématiquement ces publics sur
les modalités de la présentation, sur les points de vue soutenus
dans l’exposition et tenir compte de leur expérience, voire leur
expertise, participe d’une démarche « inclusive » : en accordant un
droit de parole, l’institution déjoue le piège des contre-interpréta-
tions ou des réactions violentes face à une mise en exposition
susceptible d’être perçue comme injurieuse. Mais encore, une
telle démarche, qui paraît d’abord coïncider avec la sensibilité de
ce public spécifique, qu’elle réponde à une simple attente ou à
une véritable requête, s’avère également, lorsqu’elle est expéri-
mentée (comme à l’écomusée de Fresnes), une revendication du
public large.
Le musée est une institution qui, pour mieux interroger le passé
,
est conduite à s’enrichir des réalités contemporaines qu’a fait
naître le pluralisme culturel. Définir les référents identitaires ré-
clame d’inclure les métissages, les phénomènes d’hybridation et
de syncrétismes, de fusions et de contacts. Autant d’évolutions
et de réalités disparates qui composent l’identité collective dans
laquelle l’individu s’inscrit, en une projection identitaire qui lui
permet de négocier son propre parcours personnel à partir de ses
expériences multiples. Le rapprochement virtuel des distances a
121
VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
déplacé l’Autre et l’Ailleurs de la sphère sécurisante de l’ethno-
graphie à celle d’un voisinage immédiat. Ce déplacement projette
une lumière crue sur le fait que l’identité collective et l’identité
individuelle sont issues de la composition de réalités singulières
et mouvantes qui s’entrechoquent ou se juxtaposent au gré des
circonstances, des emprunts et influences extérieures. Pour le
moins, le recours à des témoignages et des histoires individuelles
peut servir de balancier : par un éclairage subtil de l’histoire col-
lective, l’exposition Mali Kow, présentée au parc de La Villette,
transcrivait l’idée d’une diversité de manières d’être malien en
juxtaposant les voix d’ici et de là-bas, donnait à voir la complexité
des facteurs qui définissent une identité par le recours à une mul-
tiplicité de moyens de restitution, et explorait les réalités identi-
taires à travers la pluralité des parcours, autant individuels que
collectifs. Pertinence des collections aujourd’hui, diversification
du discours à tenir sur les objets, prise en compte de la pluralité
des parcours des visiteurs, sont autant de critères qui ont présidé
à la réinterprétation des collections de la Corne de l’Afrique au
musée national des Cultures du monde de Göteborg. La sélection
et le recueil des impressions suscitées par les objets permettaient
à nos collaborateurs d’évoquer les souvenirs et la mémoire indi-
viduelle et collective attachée à ces objets, mais aussi de faire
valoir le sens de ce patrimoine culturel dans leur quotidien et la
manière dont il s’y intégrait. L’ensemble des histoires collectées,
disparates dans la singularité propre à chacune, attestait un fort
engagement personnel des participants, même quand leur
connaissance de ce patrimoine était sommaire. Si les visiteurs face
à ce type de collection sont en attente d’informations sur la fonc-
tion des objets dans la société qui les a produits, l’approche qui
présidait au besoin de réinterprétation des collections consistait
chez nos interlocuteurs à privilégier le fait que ces objets renfer-
ment avant tout du sens, non seulement pour les sociétés qui les
ont réalisés, mais aussi pour les individus issus de ces sociétés et
en situation d’exil. Ce qui importait était de savoir de quel réin-
vestissement ces artefacts collectés au début du XXesiècle pou-
vaient faire l’objet un siècle après. Il s’agissait de mesurer les
résonances d’un tel travail afin d’envisager le type de réactions
qui pourraient être celles d’un public « en-culturé ». Au départ,
une de nos collaboratrices, d’origine éthiopienne et adoptée très
jeune par une famille suédoise, exprimait une certaine curiosité
pour les cultures africaines et les objets en général, plutôt qu’un
réel attachement identitaire à la Corne de l’Afrique ou aux autres
participants au projet. Son mode de réappropriation des collec-
tions a évolué parallèlement à sa propre implication dans le
projet. On est ainsi passé d’un intérêt pour l’étude des motifs des
bijoux de la collection à une volonté de les réinterpréter en les
associant aux codes culturels suédois dans le but de développer
une collection de bijoux. La collection, d’abord perçue comme
122
VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
une banque de données, s’est progressivement transformée en
catalyseur du surgissement d’une identité enfouie. Ce projet a
provoqué en elle le besoin d’un retour en Éthiopie pour
apprendre les techniques d’orfèvrerie dans un atelier. Si ce type
d’a
ppropriation des collections n’est pas inédit, ce qui nous
paraît intéressant dans ce processus, c’est qu’il a amorcé la
reconstitution d’une histoire fragmentée et qu’il a permis de
prendre en considération des objets et des motifs suivant une
perspective qui active un questionnement sur l’identité cultu-
relle, le tout allant jusqu’au réapprentissage de techniques et de
compétences. Et ce parcours d’une jeune femme renouant avec
une facette de son identité, auquel le témoignage qui suit fait
écho, résume le bien-fondé de la muséologie inclusive et la
richesse des relations qui peuvent s’établir entre une institution
et des visiteurs en situation d’immigration et d’exil, devant des
collections issues de leur patrimoine d’origine : « Quand j’ai
parlé à mon père de mon intérêt grandissant pour l’orfèvrerie
éthiopienne, il m’a répondu qu’il n’y avait rien là de nouveau,
mais que déjà petite, quand nous vivions là-bas, je voulais sans
cesse qu’on m’en achète. Je me suis rendu compte que tous ces
bijoux en argent que j’ai vus dans les réserves faisaient ressurgir
des souvenirs d’enfance, et maintenant je me rappelle aussi cer-
taines situations, les odeurs du “bagaya”, c’est le marché en
amharique. Je me rappelle même tous ces mots que j’avais
complètement oubliés, je ne savais même plus que je connais-
sais des mots d’amharique. Je m’aperçois que j’ai toujours été
en contact avec mes racines, d’une manière ou d’une autre,
mais je n’en avais pas conscience et maintenant je ressens pour
la première fois en seize ans le besoin d’y retourner. »
CONCLUSION
L’avènement de préoccupations nouvelles
touchant la patrimonialisation des cultures du monde non occi-
dental est entériné par l’entrée dans une phase de restructuration
profonde de la plupart des musées ethnographiques nord-
américains
et européens. Si s’impose à eux la nécessité de rendre
visibles les différentes composantes culturelles et sociales d’un
pays, de leur donner droit de cité au musée, le regard qui est porté
sur les collections dites de sociétés et de civilisations requiert
cependant de la part des professionnels de ces établissements
l’application de méthodes de travail innovantes. En premier lieu,
analyser l’interface entre l’institution muséale détentrice d’un
patrimoine et les minorités pour lesquels ce patrimoine constitue
un référent identitaire et, par suite, le rapport entre la culture
dominante et les cultures satellites. Les visions construites ou re-
construites que propose le musée sont-elles à chaque fois validées
123
VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
par les individus relevant du référent identitaire dont l’exposition
se fait la vitrine ? Ensuite, réfléchir aux modalités de patrimoniali-
sation des minorités et s’interroger sur la légitimité et la perti
nence
de la seule lecture scientifique des cultures non occidentale
s. Jus-
qu’à quel point les individus qui s’en réclament se reconnaissent-
ils dans le propos muséal ? Enfin se poser la question de la
propriété de l’image et celle de l’implication des visiteurs. Une
philosophie de la patrimonialisation des cultures du monde non
européen transformée ne devrait-elle pas s’accompagner d’une
consultation des individus concernés ? Quelle est la capacité des
institutions à recourir au dialogue et à tenir compte de la représe
n-
tation qu’un groupe donné se fait de lui-même ? Privilégie-t-elles
le regard sur l’Autre ou le dialogue et la rencontre avec lui ?
Toutes ces interrogations ne sauraient trouver de réponses dans
le cadre de notre article, mais l’exploration de quelques pistes de
muséologie participative permet de prendre la mesure des enjeux.
L. R.
Cerlis (UMR 8070, CNRS-Paris-V)
124
VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
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ICOM Sweden and The Swedish
Museum Association.
125
VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
RÉSUMÉS
L’avènement de préoccupations nouvelles
touchant la patrimonialisation des cultures du monde non occi-
dental est entériné par l’entrée dans une phase de restructura-
tion profonde de la plupart des musées ethnographiques
européens. Le processus engagé pour repenser la mise en
valeur de ces collections s’accompagne d’une réflexion sur le
rapport d’individus en situation d’immigration à la mise en
exposition du patrimoine issu de leur culture d’origine. Les
mutations envisagées requièrent l’application de méthodes de
travail innovantes et incitent à s’interroger sur la praxis muséale.
Dans cette perspective, l’exposition Horizons, Voices from a
Global Africa du musée des Cultures du monde de Göteborg a
été l’occasion de mettre en place un projet de réinterprétation
des collections qui permettait de réfléchir aux moyens d’amélio-
rer l’accès à la visibilité institutionnelle, de favoriser la prise en
compte de la réalité mouvante des identités et d’enrichir le
spectre d’interprétation des artefacts.
The arrival of new preoccupations shaping
the heritage of non western cultures is confirmed by the beginning
of a phase of reconstructuring in the majority of europeen etno-
graphic museums. The beginning of this process of enhancing the
visibility and the contribution made by these collections is accom-
pagnied by a reflection on the relationship of individuals expe-
riencing immigration, by exhibiting the heritage of their initial
culture. The changes envisaged demand the application of inno-
vative methods, bringing to light the isssue of museum practice. In
this perspective the exhibit Horizons, Voices from Global Africa, of
the Göteborg museum of world cultures, gave the opportunity to
create a project of reinterpretation of the collections, allowing for
improving access to the institutional visibility, for emphasizing the
taking into account the changing reality of identities, and for
enriching the spectrum of interpretations of artifacts.
Las nuevas preocupaciones por la « patri-
monializaci
ó
n » de las culturas del mundo non occidental son
confirmadas por las reestructuraciones muy importantes de
muchos museos etnográficos europeanos. Este proceso, que
sirve la valorizaci
ó
n de la colecciones, es también una ocasi
ó
n
de pensar en la relaci
ó
n que tienen imigrantes con la exposici
ó
n
del patrimonio de la cultura de sus orígenes. Estas transforma-
ciones necesitan preguntarse por la praxis museal, y desarollar
nuevos métodos de trabajo. En esta perspectiva, la exposici
ó
n
126
VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
Horizons, Voices from a Global Africa del
museo de la culturas
del mundo a Göteborg fue une oportunidad
de reinterpretar las
collecciones. Permiti
ó
mejorar la visibilidad institucional, tomar
en cuenta la realidad variable de las identidades, y ampliar las
posibilidades de interpetaci
ó
n de los objetos de colecci
ó
n.
127
VISITEURS DORIGINE IMMIGRÉE
CULTURE &MUSÉES N° 6
... During this project, about thirty people who were originally from the Horn of Africa (Ethiopia, Eritrea, Somalia) now living in the city were invited to work with the collections to present personal and individual memories. Through their participation, this project explored the way the access to institutional visibility combined with the consideration of the changing reality of identities could contribute to enriching the interpretation spectra of the collections (Rinçon, 2005). This idea of enriching the perspectives on collections through an 'insight point of view' can also be found in the exhibition 'Urban Islam' of the Tropenmusem, achieved through the implementation of participatory museological practices with Muslims living in Amsterdam. ...
Article
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El tema que presento como homenaje al Profesor Martín Almagro Gorbea me lleva a analizar los cambios que los museos y los patrimonios han ido experimentando desde la década de los 80 del siglo pasado hasta el momento actual. Cambios que tienen mucho que ver con las transformaciones sociales, políticas, económicas y culturales de la sociedad y que han llevado a los museólogos a plantearse una serie de reflexiones y, en muchos casos, también a una redefinición de la propia razón de ser de los museos y de los patrimonios, así como de la misión que están llamados a desempeñar. Todo ello ha contribuido a utilizar una metodología y un discurso museológico nuevos que ha tenido también en cuenta la importancia de la naturaleza como patrimonio.
Article
Full-text available
O auge dos museus de antropologia na Europa e América do Norte foi desde a metade do século XIX até inícios do século XX. Sob o amparo do colonialismo, no aspecto político, e do evolucionismo cultural, no aspecto científico, muitos dos grandes museus de antropologia abriram as suas portas. No entanto, após a Segunda Guerra Mundial, as bases desse colonialismo começaram a ser questionadas nas grandes metrópoles e nas colônias e, muitas delas tinham iniciado o caminho da independência. Tudo isso permitiu que os museus de antropologia entrassem em crise e começassem a se reinventar, eliminando ou minimizando toda expressão colonialista, tentando resignificar os objetivos originários dos espólios perpetrados em décadas anteriores e se adequando, além disso, a sociedades cada vez mais multiculturais. Desse modo, o objetivo deste artigo é descrever e analisar as diferentes estratégias desenvolvidas por esses museus de antropologia no processo de reinvenção. Centramo-nos nas novas propostas museugráficas e de ressignificação dos objetos coloniais e na participação das comunidades colonizadas em décadas anteriores, ou de seus descendentes na instituição museística ou em suas propostas museógrafas.
« Opening up New Frontiers : Museum of the 21 st century
  • George Abungu
Abungu (George). 2002. « Opening up New Frontiers : Museum of the 21 st century », in Museum 2000, Confirmation and Challenge. Swedish Travelling Exhibitions, ICOM Sweden and The Swedish Museum Association.
Ce livre est la trad. d'une 1 re version italienne parue à Bari en 1997 aux éditions Dedalo sous le titre L'imbroglio etnico. La présente version est augmentée.] Henatsch (Martin). 1998. « Elk tests for Swedish cultural identity
  • Gallissot
Gallissot (René). 2000. « Communauté / communautés », p. 56-61, in L'Imbroglio ethnique en quatorze mots clés / sous la direction de René Gallissot. Lausanne : Payot. (Anthropologie.) [Ce livre est la trad. d'une 1 re version italienne parue à Bari en 1997 aux éditions Dedalo sous le titre L'imbroglio etnico. La présente version est augmentée.] Henatsch (Martin). 1998. « Elk tests for Swedish cultural identity », in Schlaraffenland / sous la direction de Peter Johansson. Stockholm : Salon Verlag.
Kreamer (Christine) Lavine (Stephen), (sous la dir. de). 1992. Museums and Communities : the Politics of Public Culture
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Karp (Ivan), Kreamer (Christine) Lavine (Stephen), (sous la dir. de). 1992. Museums and Communities : the Politics of Public Culture. Washington (D.C.) : Smithsonian Institution.
De la référence pour spécialistes au rôle social ». Nouvelles de l'ICOM : la définition du musée
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Murphy (Bernice L.). 2004. « De la référence pour spécialistes au rôle social ». Nouvelles de l'ICOM : la définition du musée, 57(2), p. 3. National Museum of the American Indian. 1994. All Roads are Good, Native Voices on Life and Culture. Washington (D.C.) : Smithsonian Institution Press.
Du musée colonial au musée des cultures du monde
  • Dominique Taffin
Taffin (Dominique). 2000. Du musée colonial au musée des cultures du monde. Actes du colloque organisé par le musée des Arts d'Afrique et d'Océanie et le centre Georges- Pompidou, 3-6 juin 1998, Paris : Maisonneuve et Larose.
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