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Capital social et contrainte latérale
Emmanuel Lazega, Marie-Odile Lebeaux
To cite this version:
Emmanuel Lazega, Marie-Odile Lebeaux. Capital social et contrainte latérale. Revue française de
sociologie, Centre National de la Recherche Scientique, 1995, 36 (4), pp.759 - 777. <hal-01719418>
R.
franc,
sociol.
XXXVI,
1995,
759-777
Emmanuel
LAZEGA
Marie-Odile
LEBEAUX
Capital
social
et
contrainte
latérale*
RÉSUMÉ
Pour
exercer
du
pouvoir,
il
est
souvent
nécessaire
de
mobiliser
des
ressources
so
ciales,
des
«
relations
»,
et
de
savoir
les
utiliser.
Cet
article
examine
cette
mobilisation
en
termes
de
conversion
du
capital
social
en
contraintes
sociales
latérales.
Il
s'agit
notamment
de
décrire
la
manière
dont
des
pairs
utilisent
leurs
relations
pour
exercer
des
pressions
les
uns
sur
les
autres,
par
personnes
interposées.
On
propose
à
cet
effet
une
méthode
d'articulation
de
données
de
réseaux
bi-
et
tri-
dimensionnelles
recueil
lies
dans
une
organisation
collégiale.
On
montre
que
les
acteurs
mobilisent
leur
propre
capital
social
de
manière
différenciée
et
sélective,
qui
varie
selon
le
type
de
capital,
le
«
propriétaire
»
des
ressources
sociales
et
les
relations
entre
protagonistes.
L'exercice
des
contraintes
latérales
apparaît
ainsi
comme
le
résultat
de
calculs
économiques
inex
tricablement
liés
à
une
culture
stratégique
et
à
des
définitions
d'identités
et
de
rela
tions.
Pour
exercer
du
pouvoir
et
contribuer
à
orienter
l'action
collective
dans
un
ensemble
social,
il
est
souvent
nécessaire
d'être
en
position
de
mobiliser
des
ressources
sociales,
des
«relations»,
et
de
savoir
les
utiliser
(Bonacich,
1987;
Bourdieu,
1980;
Bourgeois
et
Nizet,
1995;
Burt,
1982,
1992; Cook
et
Yamagishi,
1992;
Flap
et
Graaf,
1989;
Graaf
et
Flap,
1988;
Kapferer,
1969;
Lin,
1982,
1995;
Lindenberg
et
Schreuder,
1993;
Weesie,
Flap
et
Verbeek,
1991
;
Wilier,
1992).
Sans
cette
position
et
ce
savoir-faire,
les
ressources
sociales
perdent
de
leur
efficacité
et
les
acteurs
se
retrouvent
dans
l'obligation
de
renégocier
leur
coopération
(Reynaud,
1989;
Fried-
berg,
1993).
En
termes
d'analyse
de
réseaux
intra-organisationnels,
on
peut
ramener
cette
question
du
savoir-faire
dans
l'exercice
du
pouvoir
à
celle
de
la
«conversion»
d'une
position
centrale
en
moyens
de
pression
(Brass,
1984;
Brass
et
Burkhardt,
1992;
Burt
et
Ronchi,
1990;
Lemieux,
1979;
Lazega,
1994a;
Wasserman
et
Faust,
1994). Nous
nous
proposons
ici
de
contribuer
à
la
théorie
de
cette
conversion
en
examinant
empiriquement
les
relations
*
Nous
remercions
Alain
Degenne,
Catherine
Marry
et
Lise
Mounier
des
suggestions
apportées
à
cet
article.
759
Revue
française
de
sociologie
entre
capital
social
et
contrôle
social
latéral
dans
un
cabinet
d'avocats
d'af
faires
rassemblant
à
son
sommet
une
oligarchie
d'associés
formellement
égaux. Pour
exercer
du
pouvoir
ou
un
contrôle
les
uns
sur
les
autres,
ces
derniers
doivent
souvent
recourir
à
des
tiers,
eux-mêmes
pairs.
Ce
pouvoir
et
ce
contrôle
social
prennent
donc
la
forme
de
contraintes
ou
de
pressions
«latérales».
Celles-ci
représentent
un
cas
particulier
de pressions
«indi
rectes»
puisqu'il
n'y
a
pas
de
hiérarchie
formelle
entre
ces
associés.
Les
pressions
«indirectes»
constituent
une
dimension
importante
des
régula
tions
d'une
hiérarchie
formelle
(1).
Sans
elles,
l'équilibre
entre
coopération
et
concurrence
entre
pairs
est
remis
en
question
(Lazega,
1995b)
et
le
maint
ien
des
arrangements
institutionnels
qui
facilitent
leur
action
collective
est
compromis.
Dans
cet
article,
nous
proposons
une
méthode
originale
de
mise
au
jour
et
d'analyse
des
relations
entre
capital
social
et
contraintes
latérales.
Nous
articulons,
à
cet
effet,
des
données
sociométriques
classiques
-
utilisées
pour
mesurer
le
capital
social
intra-organisationnel
des
associés
-
et
des
données
tridimensionnelles.
Ces
dernières
reconstituent
des
stratégies
de
manipulation
de
tierces
personnes
qui
président,
à
notre
sens,
au
fonctio
nnement
de
la
régulation
autonome
ou
concertée.
Elles
permettent
de
re
présenter
des
actes
de
pression
sociale
en
termes
de
«triplets»
:
un
acteur
cherche
à
exercer
une
pression
sur
une
cible
en
utilisant
un
levier.
Nous
pouvons ainsi
examiner
concrètement
la
manière
dont
les
acteurs
inves
tissent
leur
capital
social
pour
exercer
une
contrainte
latérale,
puis
les
che
mins
d'influence
les
plus
probables
qui
résultent
de
ces
modes
de
gestion.
Cette
analyse
de
la
conversion
du
capital social
en
contrainte
sociale
la
térale
fait
apparaître
des
dimensions
à
la
fois
économiques,
sociales
et
culturelles
spécifiques
à
l'exercice
du
pouvoir
entre
égaux.
Les
données
tridimensionnelles
et
sociométriques
Les
échanges
et
manipulations
indirectes,
par
personnes
interposées,
sont
des
phénomènes
quotidiens
de
la
vie
sociale.
Dans
les
contextes
or-
ganisationnels,
la
transmission
de
messages
ou
de
ressources,
la
délégation
des
tâches
ou
la
dilution
des
responsabilités
sont
des
exemples
courants
de
ce
genre
de
processus,
composés
d'actes
individuels articulables
en
cas
cade
ou
en
chaîne.
Les
données
de
réseau
tridimensionnelles,
d'un
type
encore
trop
peu
utilisé
en
sociologie,
offrent
un
instrument
de
description
et
d'analyse
de
tels
phénomènes.
(1)
Voir
à
ce
sujet,
par
exemple,
le
travail
appelle
«
concertive
control»
et
celui
de
de
Reynaud
(1988)
sur
la
régulation
«auto-
Heckathorn
(1990)
sur
ce
qu'il
appelle
nome»,
celui
de
Barker
(1993)
sur
ce
qu'il
«compliant
control».
760
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
Ce
type
de
données
a
été
conçu
et
utilisé
pour
la
première
fois
par
Newcomb
(1961)
et
Krackhardt
(1987)
(2)
pour
l'étude
de
la
perception
des
relations.
Ces
études
demandent
à
chaque
membre
d'un
ensemble
so
cial
de
décrire
la
manière
dont
il
ou
elle
perçoit
les
relations
entre
les
autres
membres
de
cet
ensemble.
On
s'est
inspiré
de
ce
format
pour
ap
procher
la
dimension latérale
du
pouvoir
entre
égaux.
La
simple
perception
de
relations
entre
alter
est
remplacée,
ici,
par
un
travail
de
pression
latérale
que l'on
peut
assimiler
à
une
manipulation
de
relations
entre
alter.
On
l'a
vu,
les
données
dont
nous
présentons
une
analyse
nous
indiquent
quel
membre
(«acteur»)
choisit
quel
autre
membre
(«levier»)
pour
faire
pres
sion
sur
un
troisième
membre
(«cible»)
(3).
Acteurs,
leviers
et
cibles
ayant
potentiellement
des
relations
entre
eux,
nous nous
concentrerons
ici
sur
les
relations
entre
ces
stratégies
de
pression
latérale
et
le
capital
social
des
protagonistes
de
ces
processus.
Si
je
souhaite
exercer
une
pression
latérale
sur
tel
collègue, vais-je
mobiliser
l'un
ou
plusieurs
de
mes
amis,
conseillers,
collaborateurs,
pour
le
faire
à
ma
place
?
Vais-je,
au
contraire,
utiliser
des
chemins
d'influence
plus
impersonnels,
ne
présupposant pas
d'investissement
et
de
conversion
de
capital
social?
Ces
données
ont
été
recueillies
dans
un
cabinet américain
d'avocats
d'af
faires.
Comme
dans
bien
d'autres
organisations
collégiales
(Nelson,
1988
;
Waters,
1989),
les
associés
de
ce
cabinet
sont
formellement
égaux,
bien
qu'informellement
certains
soient
«plus
égaux
que
d'autres».
L'autorité
informelle
de
certains
de
ces
pairs
repose
sur
l'accès
à
toutes
sortes
de
ressources
(clients
importants,
main-d'œuvre,
compétence
technique,
ex
périence),
mais
aussi
sur
la
capacité
de
manipuler
les
relations
entre
memb
res,
sur
une
«culture stratégique»
propre
à
ce
cabinet
(Lazega,
1992,
1994b,
1995b;
Lazega
et
Vari,
1992).
On
entend
par
culture
stratégique
un
savoir-faire
politique
qui
permet
aux
pairs
de
jouer
le
jeu
du
pouvoir
d'une
manière
propre
à
ce
contexte
particulier.
Il
s'agit d'une
capacité
acquise
de
détection
d'acteurs
importants,
de
perception
de
l'existence
de
relations
entre
membres,
d'évaluation
de
la
confiance
que
l'on
peut
avoir
en
d'autres
membres,
de
leur
centralité
et
de
leur
autonomie,
ainsi
qu'une
connaissance
des
modalités
de
manipulation
ď
autrui,
directe
ou
indirecte.
On
peut
en
effet
penser
que
les
manœuvres
de
pression
latérale
mobilisant
du
capital
social
sont
particulièrement
fréquentes
en
l'absence
de
hiérarchie
(2)
Voir
aussi
à
ce
sujet
les
contributions
d'expansion
(ajouter
des
liens
à
son
réseau),
méthodologiques
de
Boster,
Johnson
et
Wel-
S
'inspirant
de
Selznick,
il
a
notamment
étu-
ler
(1987),
Coxon
(1979)
et
Morgan
(1987),
dié
une
forme
intéressante
d'expansion,
la
ainsi
qu'une
présentation
résumée
dans
Was-
cooptation
comme
mécanisme
de
défense,
où
serman
et
Faust
(1994).
un
acteur
essaie
de
diminuer
sa
dépendance
(3)
Notre
examen
de
la
délégation
du
vis-à-vis
d'une
partie
contraignante
en
la
co-
contrôle
indirect
rejoint
aussi
des
travaux
optant.
Ces
manœuvres
de
cooptation,
di-
comme
ceux
de
Burt
(1982,
1992)
sur
la
ma-
rectes
ou
indirectes
(Brass,
1984;
Gargiulo,
nipulation
des
relations
comme
gestion
du
1993),
sont
précisément
et
particulièrement
capital
social.
Burt
décrit
les
manipulations
importantes
entre
égaux.
en
termes
de
retrait
(rompre
des
liens)
et
761
Revue
française
de
sociologie
formelle
entre
collègues
inamovibles,
associés-rivaux
cherchant
le
plus
souvent
à
éviter
les
confrontations
ouvertes.
Les
associés
du
cabinet
ont
tous
travaillé
sur
le
scénario
suivant.
La
tâche
à
accomplir
consiste
à
organiser
le
soutien,
mais
aussi
une
forme
de
contrainte
sociale
latérale,
d'un
collègue
en
difficulté.
«
Voici
la
liste
de
tous
les
associés
de
votre
cabinet.
Imaginez
que
vous
êtes
le
directeur
(managing
partner).
Vous
vous
rendez
compte
que
l'un
de
vos
associés
a
des
problèmes
personnels
qui
ont
des
répercussions
né
gatives
sur
sa
productivité.
Ces
problèmes
peuvent
être
de
toutes
sortes
:
alcoolisme,
dépression,
divorce,
etc.
En
tant
que
directeur,
c'est
à
vous
de
vous
préoccuper
de
cette
situation.
Vous
cherchez parmi
les
associés
de
cette
personne
en
difficulté
un
ou
des
collègues
qui
iraient
lui
parler
discrètement
et
confidentiellement
pour savoir
ce
qui
se
passe,
et
pour
voir
ce
que
le
cabinet
peut faire
pour
aider
et
limiter
les
dégâts.
Vous
ne
voulez
pas
le
faire
vous-même
parce
qu
'il
faut
que la
démarche
reste
i
nformelle,
et
votre
statut
de
directeur
pourrait
être
gênant
à
cet
égard.
Ma
question
est
la
suivante
:
à
qui,
parmi
tous
les
autres
associés,
demande-
riez-vous
d'aller
parler
à
Associé
No
1,
si
c'est
lui
qui
est
en
difficulté?
Pourquoi
délégueriez-vous
cette
tâche
à
cette
ou
(ces)
personne(s)
?
Et
si
la
personne
en
difficulté
est
Associé
No
2
?
Etc.
[Passer
en
revue
tous
les
associés
l
'un
après
l
'autre].
»
Les
données
tridimensionnelles
fournies
par
cette
question
constituent
un
ensemble
de 36
réseaux,
un
par
associé,
tels
qu'ils
sont
reconstitués
par
ces
associés
eux-mêmes.
Chaque
associé
a
ainsi
indiqué
à
quels
autres
associés
il/elle
confierait
la
responsabilité
de
s'occuper
d'un
associé
en
difficulté,
et
ceci
pour
tous
les
associés
du
cabinet
l'un
après
l'autre.
On
sait
ainsi
qui
déclare déléguer
cette
tâche
de
contrainte
ou
de
soutien
à
qui.
Les
acteurs
sont
libres
de
chercher
à
l'imposer
à
un
seul
de
leurs
associés,
ou
à
une
équipe
regroupant
plusieurs
d'entre
eux.
Les
avocats
ont
l'habitude
de
ce
type
de
décision
qui
ressemble,
par
exemple,
à
la
création
d'équipes
de
collègues
autour
d'un
projet
ou
d'un dossier
spéci
fique.
Dans
notre
cas,
cet
ensemble
de
36
réseaux
regroupe
3043
«actes»
de
définition
d'un
«chemin
de
pression»
(4).
Ce
scénario
demande
à
l'acteur
de
défendre
le
bien
commun
contre
des
collègues
qui
ne
«jouent
pas
le
jeu»
(5).
Dans
notre
exemple,
le
bien
commun
est
représenté
par
la
caisse
commune,
le
mode
de
gestion
de
cet
(4)
Ces
données
ont
déjà
été
analysées
(5)
Aujourd'hui,
bien
que
les
gentlemen
ailleurs
de
manière
séparée
des
données
sur
agreements
soient
plus
rares
dans
les
grands
le
capital
social
des
acteurs
et
pour
répondre
cabinets
et
que
ces
problèmes
ne
se
règlent
à
des
questions
différentes
de
celles
soûle-
plus
systématiquement
«à
l'amiable»,
les
vées
ici
(par
exemple
comment
faire
appli-
modalités
de
«persuasion»
restent
«collé-
quer
les
règles
de
la
déontologie
(Lazega,
giales
»,
c'est-à-dire
spécifiques
aux
relations
1994b,
1995b)).
entre
acteurs
formellement
égaux
(Nelson,
1988;
Waters,
1989).
762
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
argent
commun
-
l'équilibre
défini
comme
acceptable
entre
contribution
et
rétribution
des
membres
-
étant
un
élément
constitutif
de
cette
entreprise
collégiale. Les
arguments
utilisés
par
les
acteurs
pour
justifier
les choix
de
leviers
montrent
que,
pour
convaincre
les
leviers
d'agir
comme
inte
rmédiaires,
les
acteurs
peuvent
faire
appel
à
leur
devoir
de
collégialité
ou
à
leur
propres
relations,
c'est-à-dire
présenter
la
tâche
à
accomplir
comme
un
service
personnel,
passer
par
des
amis,
des
collaborateurs
et/ou
des
conseillers,
quelle
que
soit
la
cible
dont
ils
veulent
obtenir
un
comporte
ment
conforme.
Ils
peuvent
aussi
avoir
des
stratégies
différentes
selon
que
les
cibles elles-mêmes
font
ou
non
partie
de
leur
capital
social.
Les
associés
ont
aussi
répondu
à
des
questions
sociométriques
standard
qui
nous
permettent
de
connaître
les
relations
constitutives
de
leur
capital
social
respectif.
Ces
relations,
telles
que
nous
les
avons
observées,
sont
de
trois
ordres,
représentant
chacun
un
type
de
ressource
différent
:
les
relations
avec
des
conseillers,
des
collaborateurs
et
des
«amis»
(au
sens
d'associés
avec
lesquels
on
partage
la
vie
sociale
en
dehors
du
travail).
Ces
relations
ne
sont
pas
exclusives.
Une
même
personne
peut
être
à
la
fois
un
ami,
un
collaborateur
et
un
conseiller.
Tous
les
cas
de
figure
-
de
l'absence
de
relations
entre
deux
acteurs
à
la
présence de
relations
triples
-
apparaissent
dans
les
données recueillies.
Les
relations
de
collaboration
sont
précieuses
parce
qu'elles
sont
inscrites
dans
l'exécution
même
des
tâches
et
les
flux
d'affaires
à
traiter;
les
associés
ont
souvent
le
choix
entre
plusieurs
collaborateurs de
même
spécialité.
Les
relations
de
conseil
sont
aussi
importantes
dans
la
mesure
où
elles
sont
«gratuites»
(les
as
sociés
ne
se
facturent
pas
de
conseil
entre
eux,
auquel
cas
ce
conseil
de
vient
de
la
collaboration)
et
fondées
sur
une
réciprocité
informelle.
La
possibilité
d'échanger
du
conseil
sur
un
mode
non
marchand
représente
pour
les
associés
la
justification
même
de
l'existence
de
ce
type
de
cabinet;
en
effet
les
associés
sont
tous
entièrement
coresponsables
de
leurs
actions
auprès
de
la
clientèle.
Les
relations
d'amitié
entre
associés,
qui
se
consti
tuent
souvent
au
cours
d'un
passé
commun
de
stagiaires,
sont
notamment
précieuses,
et
même
indispensables,
sur
le
plan
des
relations
de
pouvoir;
en
effet,
dans
ce
cabinet,
il
faut
l'unanimité
des
associés
pour
exclure
l'un
des
leurs
:
elles
représentent
donc
une
sorte
d'assurance
contre
ce
type
de
risque
extrême.
Une
première
étape
de
l'analyse
consiste
à
combiner
les
données
so
ciométriques
avec
les choix
de
leviers.
On
a
ainsi
reconstitué
les
chemins
d'influence selon
qu'ils
font
ou
non
intervenir
des
relations
personnalisées
entre
l'acteur
et
le
levier
et/ou
entre
l'acteur
et
la
cible.
Cette
analyse
montre
que
les
acteurs,
en
moyenne,
mobilisent
davantage
leur
propre
ca
pital
social
que
ne
le
laisserait supposer
une
distribution
au
hasard.
Ce
pendant
ils
le
font
de
manière
différenciée
et
sélective,
qui
varie
selon
le
type
de
capital,
le
type
de
cible
et
les
relations
entre
protagonistes.
Nous
décrivons
ces
stratégies
et
les
variations
qu'elles
introduisent
dans
les
re
lations
entre
capital
social
et
contrainte
sociale
latérale.
Dans
une
deuxième
étape,
nous
décrivons
les chemins
d'influence
latérale
les
plus
probables
763
Revue
française
de
sociologie
dans
ce
cabinet,
étant
donnée
cette
gestion
par
les
associés
de
leur
capital
social
individuel.
Ceci
nous
a
conduit
à
étudier
l'utilisation,
par
les
acteurs,
du
capital
social
ď
autrui
en
fonction
de
la
force
des
liens
dans
les
chemins
d'influence
et
du
type
de
cible
à
atteindre.
Différentes
modalités
de
conversion
La
question
qui
se
pose,
dans
un
premier
temps,
est
celle
de
savoir
si
et
dans
quelle
mesure
les
acteurs
convertissent
leur
capital
social
en
pres
sion
sociale,
et
le
type
de
capital
social.
Pour
y
répondre,
une
classification
générale
des
choix
de
leviers
recueillis
est
présentée
dans
le
Tableau
I.
Ce
tableau
pourrait
suggérer
d'abord
que
la
tendance
générale
dans
ce
cabinet,
en
nombres
absolus,
est
à
peu
utiliser
ses
relations
personnelles
(considérées
séparément,
une
par
une)
à
des
fins
de
pression latérale.
Par
exemple,
dans
le
premier
sous-tableau
du
Tableau
I,
les
acteurs
utilisent
des
leviers
qu'ils
considèrent
comme
leurs
amis
dans
29,9%
des
cas.
Ces
taux
de
conversion
bruts
relativement
faibles
pourraient
s'expliquer
no
tamment
par
le
fait
que
le
but
de ces manipulations
est
la
protection
du
bien
commun
et
non
pas
de
l'intérêt
individuel.
Il
est
possible
que
les
Tableau
I.
-
Distribution
des
actes
de
pression
latérale
selon
que
les
acteurs
utilisent
ou
non
leur
propre
capital
social
pour
exercer
une
contrainte
sur
des
cibles
qui
font
ou
non
partie
de
leur
capital
social.
Levier
ami
de
l'acteur
Levier
colla
borateur
de
l'acteur
Levier
conseiller
de
l'acteur
Non
Oui
Non
Oui
Non
Oui
Quelle
que
soit
la
relation
avec
le
levier
Quelle
que
soit
la
rela
tion
avec
la
cible
2133
70,1%
910
29,9
%
1895
62,3
%
1
148
37,7
%
1614
53,0%
1429
47,0%
Cible
amie
de
l'acteur
Non
1787
76,6
%
545
23,4%
1509
64,7
%
823
35,3
%
1306
56,0
%
1026
44,0
%
2
332
76,6
%
Oui
346
48,7
%
365
51,3%
386
54,3
%
325
45,7
%
308
43,3
%
403
56,7
%
711
23,4
%
Cible
collaborat
rice
de
l'acteur
Non
1483
72,9
%
551
27,1%
1441
70,8
%
593
29,2
%
1
198
58,9
%
836
41,1%
2
034
66,8
%
Oui
650
64,5
%
359
35,6
%
454
45,0
%
555
55,0
%
416
41,2%
593
58,8
%
1009
33,2
%
Cible
conseil
lère
de
l'acteur
Non
1453
73,3%
529
26,7
%
1361
68,7
%
621
31,3%
1192
60,1
%
790
39,9
%
1982
65,1%
Oui
680
64,1%
381
35,9
%
534
50,3
%
527
49,7
%
422
39,8
%
639
60,2
%
1061
34,9
%
N
=
3043.
Les
pourcentages
sont
calculés
en
colonnes
(quand
la
cible
n'est
pas
un
ami,
l'acteur
choisit
dans
23,4%
des
cas
un
levier
ami).
764
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
acteurs
laissent
à
d'autres
le
soin
d'investir
leur
propre
capital
social
à
cet
effet,
plutôt
que
de
«sacrifier»
le
leur.
Cependant
cette
lecture
des
nombres
absolus
prête
à
confusion.
En
fait,
par
rapport
à
la
densité
générale
du
réseau
observé,
les
acteurs
sur-utilisent
leur
capital
social.
En
effet,
la
taille
et
la
densité
(6)
de
chacun
des
réseaux
dans
le
cabinet
posent
des
limites
au
nombre
de
choix
de
leviers
:
tous
les
acteurs
n'ont
donc
pas nécessairement
assez
d'amis,
de
collaborateurs
ou
de
conseillers
pour
«couvrir»
tous
leurs
associés. Si
le
possible
est
constitué
en
prenant
pour
chacune
des
paires
acteur-cible
tous
les chemins
d'influence
possibles
(il
y
en
a
34),
il
y
a
toujours
parmi
les
relations
réelles,
observées,
un
peu
plus
de
relations
personnalisées
que
ce
à
quoi
l'on
pourrait
s'attendre.
Les
acteurs
utilisent
donc
leur
capital
social
plus
que
ne
le
laisseraient
supposer
les
densités
générales.
Cette
«privatisation»
des
pressions
latérales
varie
selon
les
types
de
liens
mobilisés.
Lorsque
les
associés
exploitent
leurs
relations
(ou
qu'ils
les
investissent
pour
la
protection
du
bien
commun),
ils
ont
tendance
à
mobiliser
davantage
leurs
conseillers
que
leurs
collaborateurs
ou
leurs
amis.
La
proportion
de
capital
social
personnel
converti
et
dépensé
à
des
fins
de
contrôle
(chemins
personnalisés),
comparée
à
l'ensemble
de
che
mins
non
personnalisés
utilisés
(indépendamment
du
lien
de
l'acteur
avec
la
cible),
varie
avec
le
type
de
relation
:
les
associés
tendent
à
être
plus
«avares»
des
collègues
qu'ils
considèrent
comme
leurs
amis
que
de
ceux
qu'ils
considèrent
comme
leurs
conseillers.
Ainsi,
en
moyenne,
30%
des
choix
de
leviers
par
les
acteurs
mobilisent
leurs
amis,
38%
leurs
collabo
rateurs
et
47
%
leurs
conseillers.
La
supériorité
en
taux
de
conversion
des
conseillers
s'explique,
là
aussi,
par
le
fait
que
les
réseaux
d'amitié,
de
collaboration
et
de
conseil
ont
des
densités
différentes
et
que
les
associés
centraux
dans
le
réseau
de
conseil
sont
souvent
des
associés
d'expérience
et
d'ancienneté.
Ils
sont
donc
souvent
choisis
pour
représenter
les
intérêts
du
cabinet
auprès
des
cibles.
Leur
mobilisation
est
aussi
plus
facile
dans
la
mesure
où
les
conseils
pour
lesquels
on
les
sollicite
sont
d'ordinaire
«gratuits».
Au
moment
de
faire
valoir
les
intérêts
du
cabinet
auprès
de
la
cible, les
conseillers
peuvent
plus
facilement
continuer
à
lui
prodiguer
des
conseils,
cette
fois-ci
non
sollicités
(Lazega,
1995a).
Ce
relatif
cloisonnement
des
relations
par
les
acteurs,
Le.
la
variation
des
taux
de conversion
en
fonction
du
type
de
relation,
suggère
que
la
sur-utilisation
du
capital
social
(par
rapport
à
la
densité
générale
de
chaque
réseau)
notée
plus
haut
s'accentue
encore
davantage
lorsqu'on
considère
chaque
type
de
relation
séparément
et
que
l'on
prend
en
compte
la
relation
de
l'acteur
avec
la
cible.
Le
Tableau
II
présente
une
première
analyse
te
nant
compte
de
cette
relation
avec
la
cible
en
indiquant
les
odds-ratios
des
neufs
sous-tableaux
du
Tableau
I.
(6)
La
densité
du
réseau
de
conseil
est
de
0,31,
celle
du
réseau
de
collaboration
de
0,28
et
celle
du
réseau
d'amitié
de
0,21.
765
Revue
française
de
sociologie
La
diagonale
du
tableau
montre
que
les
liens
d'amitié
sont
les
plus
«purs»,
avant
les
liens
de
collaboration.
Les
liens
de
conseillers
entre
eux
sont
un
peu
moins
forts,
plus
flous
et
dispersés
(7).
Ainsi,
lorsque
les
choix
de
leviers
sont
analysés
en
prenant
en
compte
le
lien
entre
acteur
et
cible,
la
conversion
du
capital
social
en
contrainte
sociale
latérale
apparaît
comme
très
sélective.
Les
résultats
présentés
dans
le
Tableau
III
confirment
ce
constat.
Tableau
II.
-
Odds
ratios
des
neuf
sous-tableaux
croisés
du
Tableau
1.
Levier
ami
de
l'acteur
Levier
collaborateur
de
l'acteur
Levier
conseiller
de
l'acteur
Cible
amie
de
l'acteur
3,46
1,54
1,67
Cible
collaboratrice
de
l'acteur
1,49
2,97
2,04
Cible
conseillère
de
l'acteur
1,54
2,16
2,28
Tableau
III.
-
Variables
expliquant
le
fait
que
l'acteur
choisisse
des
leviers
de
pression
latérale
parmi
ses
amis,
ses
collaborateurs
et
ses
conseillers.
Tests
fondés
sur
des
régressions
logistiques.
Variables
indépendantes
La
cible
est
un
ami
de
l'acteur
(selon
l'acteur)
La
cible
est
un
collaborateur
de
l'acteur
(selon
l'acteur)
La
cible
est
un
conseiller
de
l'acteur
(selon
l'acteur)
La
cible
est
un
ami
du
levier
(selon
le
levier)
La
cible
est
un
collaborateur
du
levier
(selon
le
levier)
La
cible
est
un
conseiller
du
levier
(selon
le
levier)
Variables
dépendantes
L'acteur
с
Amis
0,28***
0,02
-0,01
0,00
0,01
0,01
'hoisit
un
levier
parmi
ses
:
Collaborateurs
0,01
0,24***
0,06*
-0,02
0,00
0,00
Conseillers
0,04*
0,08***
0,15***
-0,02
-0,02
0,02
*p
<
0,05,
**p<0,01,
***p<
0,001.
Paramètres
standardisés
estimés
par
Proc
Logistic
dans
SAS.
(7)
Ceci
alors
même
que
les
acteurs
(dé
clarants)
sont
demandeurs
de
conseils
auprès
des
cibles
dans
34,9
%
des
actes,
collaborat
eurs
des
cibles
dans
33,2%
des
actes,
amis
766
des
cibles
dans
23,4%
des
cas.
Rappelons
que
le
scénario
ne
met
pas
de
limites
au
nomb
re
de
leviers
utilisés
par
chaque
acteur.
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
Ce
tableau
montre
que
le
fait
de
choisir
un
ami
comme
levier
(plutôt
qu'un
non-ami)
est
expliqué
par
le
fait
d'être
ami
avec
la
cible.
Cette
sélectivité
se
retrouve
dans
ce
qu'on
pourrait
appeler
une
relative
homog
énéisation
du
contrôle
social
en
fonction
du
type
de
réseau
:
les
acteurs
ont
tendance
à
privilégier
le
choix
d'amis
pour
faire
pression
sur
des
amis,
de
conseillers
pour
contraindre
des
conseillers,
de collaborateurs
pour
contraindre
des
collaborateurs.
La
conversion
est
donc
aussi
marquée
par
le
fait
que
les
acteurs
ont
tendance
à
«protéger»
leur
capital
social.
La
même
indication
vaut
aussi
pour
le
fait
que
le
levier
est
ami
avec
la
cible
(selon
le
levier).
Le
type
de
conversion
qui
émerge
ici
nécessite
par
exemp
le
la
formation
d'une
clique
d'amis
qui
se
choisissent
mutuellement
pour
régler
leurs
difficultés
entre
eux,
de
manière
privatisée.
Le
fait
de choisir
un
collaborateur
(plutôt
qu'un
non-collaborateur)
comme
levier
est
expliqué
par
le
fait
d'être
collaborateur
avec
la
cible,
mais
aussi
par
le
fait
que
la
cible
n'est
pas
un
conseiller
du
levier
(d'après
le
levier).
Ce
type
de
conversion
repose
peut-être
sur
la
tendance
des
ac
teurs
à
contenir
les
difficultés
créées
par
le
travail
au
sein
des
relations
de
travail,
ainsi
que
sur
la
résistance
des
leviers
à
cette
stratégie
lorsque
la
cible
est
un
de
leurs
conseillers.
Le
fait
que
l'acteur
choisisse
l'un
de
ses
propres
conseillers
(plutôt
qu'un
non-conseiller)
comme
levier
est
expliqué
essentiellement
par
le
fait
qu'il
est
aussi
demandeur
de
conseil
auprès
de
la
cible
et
qu'il
est
un
collaborateur
de
la
cible.
C'est
donc
le
fait
d'avoir
une
relation
profes
sionnelle
forte,
au
moins
duplexe,
avec
la
cible
(conseiller
et
collaborateur)
qui
explique
au
mieux
le
choix
d'un
conseiller
comme
levier.
Ce
type
de
conversion
illustre
l'idée
que
le
capital
social
constitué
de
conseillers,
par
ailleurs
très
précieux,
est
plus
généreusement
«dépensé»
que
le
capital
social
des
leviers
considérés
comme
des
amis
ou
des
collaborateurs.
En
résumé,
les
associés
font
davantage
pression les
uns
sur
les
autres
avec
leurs
propres
relations
que
ce
à
quoi
l'on
pourrait
s'attendre.
A
cette
privatisation
relative
de
la
pression
latérale
s'ajoute
le
fait
que
les
acteurs
choisissent davantage
leurs
leviers
parmi
leurs
conseillers
que
dans
d'au
tres
réseaux.
Ils
ont
tendance
à
utiliser
plus
volontiers
un
conseiller
quelles
que
soient
leurs
relations
avec
la
cible,
alors
que,
dans
les
autres
cas,
ils
restent
dans
la
sphère
de
la
relation
qu'ils
ont
avec
la
cible.
Ils
utilisent
aussi
davantage
leur
propre
capital
social
(amis,
collaborateurs
et
conseill
ers)
pour
exercer
des
contraintes
sur
des
pairs
lorsque
ces
derniers
font
aussi
partie
de
leur
capital
social.
Type
de
relation
par
type
de
relation,
ces
stratégies
montrent
que
les
acteurs
cherchent
à
rester
«en
famille»
plus
fréquemment
dans
les
réseaux
d'amitié
et
de
collaboration
que
dans
celui
de
conseil
(dont
les
relations
se
mélangent
plus
facilement
avec celles
des
autres
réseaux).
Cette
sélectivité
peut
s'expliquer
par
la
volonté
de
protéger
ce
capital,
relation
par
relation,
au
sens
de
ne
pas
l'investir
de
manière
aléatoire,
en
limitant
les
effets
potentiellement
négatifs
de
l'exer
cice
du
pouvoir.
La
conversion
du
capital
social
en
contrainte
sociale
obéit
767
Revue
française
de
sociologie
donc
à
un
savoir-faire
ou
à
des
règles
spécifiques,
notamment
une
norme
qui
a
une
dimension
économique.
L'efficacité
des
pressions,
telle
qu'elle
est
anticipée
par
les
acteurs,
dépend
du
type
de
ressource
circulant
dans
chaque
réseau
et
de
la
volonté
des
acteurs
de
préserver
leur
capital
social.
Les
chemins
de contrainte
latérale
les
plus
probables
L'existence
de
cette
culture
stratégique
et
de
ces
différentes
modalités
de
conversion,
qui
varient
suivant
les
types
de
capital
social
et
suivant
le
type
de
cible,
a
pour
effet
de
rendre
le
choix
de
certains
chemins
d'in
fluence
plus
probables
que
d'autres.
Le
Tableau
IV
décrit
la
distribution
des
différents
types
de
chemins
d'influence
latérale
reconstitués
au
moyen
de ces
données.
Ces
chemins
sont,
rappelons-le,
composés,
c'est-à-dire
constitués
de
deux
segments,
le
premier
étant
la
relation
(ou
absence
de
relation)
entre
acteur
et
levier,
le
second
la
relation
(ou
l'absence
de
re
lation)
entre
levier
et
cible
(8).
Lorsqu'il
choisit
un
levier
pour
faire
pres
sion
sur
une
cible,
l'acteur
peut
souvent
compter
sur
le
fait
qu'il
existe
une
ou
plusieurs
relation(s)
entre
ce
levier
et
cette
cible.
Il
peut
aussi
n'être
pas
toujours
conscient
du
fait
qu'il
puise
dans
le
capital
social
du
levier.
Dans
l'un
ou
l'autre
cas,
il
reste
que
l'acteur
dépend
par
définition,
dans
l'exercice
des
pressions
latérales,
des
relations
entre
levier
et
cible.
Nous
devons
donc
connaître
la
nature,
même
hypothétique,
de
ces
relations
pour
reconstituer
les
chemins
d'influence
indirecte.
Les
choix
de
leviers
par
les
acteurs
se
distribuent
en
huit
catégories
de
chemins
constituées
par
les
huit
combinaisons
possibles
selon
que
le
levier
est
considéré
par
l'acteur comme
son
conseiller,
son
collaborateur
et/ou
son
ami.
Par
exemple,
les
choix
de
leviers
que l'on
pourrait
dire
impersonnels
-
où
le
levier
choisi
par
l'acteur n'est
ni
l'un
de
ses
conseill
ers,
ni
l'un
de
ses
collaborateurs,
ni
l'un
de
ses
amis
-
constituent
40%
de
tous
les choix
de
leviers
par
les
acteurs.
En
nombres
absolus,
les
che
mins
d'influence
où
les
leviers
sont
à
la
fois
conseillers,
collaborateurs
et
amis
de
l'acteur
constituent
15,9%
de
tous
les
choix
de
leviers.
Toujours
en
nombres
absolus,
les choix
que
l'on
pourrait
dire
entièrement
personn
alisés,
où
l'acteur
investit
les
liens
triplexes
les
plus
forts
et
précieux
de
son
capital
social,
sont
donc
plus
de
deux
fois
plus
rares
que
les
choix
(8)
Etant
donnée
notre
méthode
de
re-
les
cibles.
Le
fait
de
s'intéresser
d'abord
aux
cueil
de
données,
un
chemin
de
pression
la-
déclarations
des
acteurs
et
des
leviers
se
jus-
térale
à
deux
segments
est
aussi
un
composite
tifie
par
le
fait
qu'on
se
centre
sur
les
compo-
de
deux
déclarations.
Les
chemins
retenus
ici
santés
des
chemins
telles
qu'elles
sont
sont
reconstitués
à
partir
des
déclarations
de
perçues
par
les
personnes
censées
intervenir
l'acteur
sur
ses
relations
avec
les
leviers,
activement
dans
le
contrôle,
et
non
par
ceux
puis
de
celles
du
levier
sur
ses
relations
avec
qui
sont
censés
le
subir.
768
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
•S
<u
■
-
—
•
СП
rt>
£
S
S
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о*
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"л
S
Conseil
+
Amit.
+
Coll.
Conseil
+
Coll.
Conseil
+
Amitié
Conseil
Amitié
+
Collab.
Collaboration
Amitié
Aucune
relation
Fréquence
о
о'
•о
Ov vO
—
О
о»
о'
259
8,51
112
3,68
OV
CM
122
4,01
101
3,32
410
13,47
Aucune
relation
229
7,53
5,9
vO
rt
o*
_
oo
vO
—
ГО
^
S40-
О
О
Ov
<*">
О*
vO
П
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_
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см
Р;
Amitié
137
4,50
7,0
^
см
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"
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ГО
^
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ГО
о
о
ro
~^
О
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™
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о
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о
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^
■^
*
Collaboration
29
0,95
1,4
о
vO
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о'
о
о о
о
о
vO
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о'
г-
см
о
о
ГО
« о
о'
о
о
г-
см
о.
о
о
Ov
f»
о
Amitié
+
Collab.
279
9,17
7,4
о?
v-)
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Ov
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"
о'
^о'
«о*
ой
"
о'
fSpí
«о"
Ov
^о'
109
3,58
Conseil
168
5,52
3,5
Ov
""*
о'
чО
^
о'
ой
"
о'
о
Ov
°О
о
"
о'
ой
"
о'
Conseil
et
Amitié
498
16,37
12,8
104
3,42
a|
o
o'
205
6,74
Conseil
+
Collab.
484
15,91
11,7
CO
-
si
oo
йз
152
5,00
Conseil
+
Am.
+
Col.
3
043
100,00
659
21,66
11,7
231
7,59
6,9
291
9,56
4,1
212
6,97
6,5
ovS
>q
^ro'
262
8,61
6,8
244
8,02
6,0
1045
34,34
56,5
Total
%
colonne
Fréquences
de
cadrage
•(Л1Э10ВД
U0I3S)
Щ\Э[
J3
ЛПЭ1ЭВ
ЭДЦЭ
SUOtJBpj
:
}U3Ul33S
J3IUI3Jd
769
Revue
française
de
sociologie
anonymes.
Cependant
la
même
prudence
que
dans
la
lecture
du
Tableau
I
est
nécessaire
ici.
Les
nombres
absolus
ne
signifient
pas
que
les
acteurs
investissent
peu
leur
propre
capital
social
aux
fins
des
pressions
latérales.
On
constate
de
manière
générale
que
les
chemins
passent
soit
par
le
capital
social
des
acteurs
soit
par
celui
des
leviers.
Autrement
dit,
les
che
mins
d'influence
les
plus
fréquents
sont
ceux
qui
ne
combinent
pas
de
relations
privilégiées
entre
acteur
et
levier
avec
des
relations
privilégiées
entre
levier
et
cible.
Ceci
est
facilement
visible
du
fait
que
les
chemins
d'influence
latérale
impersonnels
constituent
13,5%
de
tous
les
chemins
reconstitués
(9)
et
que
60
%
de
tous
les chemins
choisis
appartiennent
soit
à
la
première
ligne
soit
à
la
première
colonne
du
Tableau
IV.
Par
exemple,
les
chemins passant
par
les
relations
très
personnelles
du
levier
{Le.
sans
relation
personnalisée
entre
l'acteur
et
le
levier,
mais
avec
relation
triplexe
entre
le
levier
et
la
cible)
constituent
le
deuxième
cas
le
plus
fréquent
du
tableau (8,5
%
de
tous
les
chemins
observés).
Parmi
les deux
cas
possibles
de
relations
triplexes,
les
chemins
combinant
toutes
les
relations
privilé
giées
entre
levier
et
cible
sont
plus
nombreux
que
les chemins
combinant
les
relations
privilégiées
entre
acteur
et
levier
(10).
Pour
éviter
une
interprétation
erronée
du
Tableau
IV,
il
est
utile
de
savoir
si,
dans
l'absolu,
les
acteurs
et
les
leviers
ont
plus
ou
moins
la
possibilité
de
choisir
des
chemins
personnalisés
qu'ils
n'en
choisissent
de
fait.
Pour
effectuer
cette
comparaison,
on
reconstitue
les
distributions
des
fréquences
de
liens
impersonnels,
uniplexes,
duplexes
et
triplexes
dans
la
population
de
base
en
examinant
tous
les
chemins
possibles
entre
deux
individus.
Pour
mieux
effectuer
ce
«cadrage»,
cette
distribution
est
pondérée
différemment
pour
chaque
segment
du
chemin
d'influence
(nombre
de
chemins
utilisés
par
chaque
acteur
pour
les
relations
entre
acteur
et
levier;
nombre
de
fois
que
chaque
associé
est
choisi
comme
levier
pour
les
relations
levier
et
cible).
Par
exemple,
dans
la
distribution
de
base,
il
n'y
a
aucun
lien
person
nalisé
entre
un
acteur
et
un
levier
quelconque
dans
50
%
des
cas.
Compte
(9)
II
serait
exagéré
de
dire
qu'il
s'agit
pital
social
peut
aussi
les
mettre
dans
l'em-
d'un
chemin
d'influence
où
personne
ne
barras
et
exiger
d'eux
une
certaine
«radica-
connaît
personne.
En
effet,
la
fréquence
de
lisation»
des
chemins
d'influence
latérale,
ce
type
de
chemin
résulte
notamment
du
fait
L'acteur
doit
choisir
entre
protéger
son
ami
que
la
culture
stratégique
de
ce
cabinet
met
cible
ou
protéger
son
ami
levier
(en
évitant
beaucoup
l'accent
sur
l'utilisation
de
ce
de
lui
confier
une
tâche
éventuellement
pé-
qu'on
a
appelé
ailleurs
des
leviers
multi-ci-
nible
qui
expose
son
capital
social).
Ceci
est
blés
(Lazega,
1995b)
pour
l'exercice
de
l'in-
partiellement
visible
dans
les
régressions
lo-
fluence
latérale.
Ces
leviers
multi-cibles
gistiques
décrites
plus
haut
et
dans
le
fait
concentrent
une
grande
influence
latérale
en-
que,
lorsque
les
relations
avec
la
cible
sont
tre
leurs
mains,
mais
ils
jouent
ce
rôle
de
personnalisées,
les
liens
mis
en
jeu
dans
manière
relativement
impersonnelle.
l'exercice
de
la
contrainte
indirecte
sont
soit
(10)
Notons
que
le
fait
que
les
acteurs
très
forts
soit
très
faibles,
soient
sélectifs
et
protègent
leur
propre
ca-
770
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
tenu
de
la
pondération,
l'acteur
a à
sa
disposition
des
leviers
impersonnels
dans
50%
des
cas,
et
des
leviers
avec
lesquels
il
a
des
relations
triplexes
et
très
personnalisées
dans
11,7%.
Si
l'on
compare ces fréquences
de
ca
drage
avec celles
observées,
on
constate
que
l'acteur
choisit
en
fait
dans
40,1%
des
cas
un
levier
avec
lequel
il/elle
a
des
relations
impersonnelles
et
dans
15,9%
des
cas
des
relations
triplexes.
Dans
11,7%
des
cas,
un
individu
peut
choisir
un
levier
qui
est
un
ami,
un
collaborateur
et
un
conseiller,
alors
que
dans
les
faits
il
en
choisit
dans
15,9%
des
cas.
Ceci
implique
que
les
acteurs
choisissent
plutôt
comme
leviers
des
associés
avec
lesquels
ils
ont
au
moins
un
lien
personnel.
Les
acteurs
personnalisent
donc
plus
les
chemins
qu'ils
choisissent
que
ne
laisserait supposer
la
dis
tribution
de
base.
Il
s'agit
(à
condition
de
ne
pas
observer
uniquement
les
choix
uniplexes
de
leviers)
d'une
tendance
à
une
plus
grande
personnali
sation
des
chemins
par
rapport
à
ce
à
quoi
l'on
pourrait
s'attendre
du
point
de
vue
de
la
distribution
de
base.
Cette
personnalisation
est
encore
plus
nette
chez
les
leviers
:
ils
ont
à
leur
disposition,
dans 56,5
%
des
cas,
des
relations
impersonnelles
avec
les
cibles;
de
fait,
ils
n'en
choisissent
que
dans
34,3
%
des
cas.
Donc
les
acteurs
sous-utilisent
plus
les
relations
im
personnelles
des
leviers
(plus
de
20%
de
différence)
qu'ils
ne
le
font
eux-
mêmes
avec
les
leviers
(10%
de
différence).
Ceci
illustre
la
tendance
des
acteurs
à
dépenser
davantage
le
capital
social
des
leviers
que
le
leur
propre.
Il
s'agit
d'une
stratégie
délibérée
des
acteurs
qui
«s'arrangent»
pour
que
les
leviers
utilisent
beaucoup
de
liens
personnalisés
(bien
que
l'on
ne
sache
pas
si
ces
derniers
se
laisseraient
faire).
Ce cadrage
modère
le
constat
suivant
lequel
les
acteurs
choisissent
le
plus
souvent
des
chemins
d'influence
impersonnels,
où
il
n'y
a
aucune
relation
privilégié
entre
protagonistes.
Le
Tableau
IV
confirme
le
fait
que
les
chemins
passent
par
les
conseillers
plus
souvent
que
par
les
amis
et
collaborateurs.
On
retrouve
donc
le
primat
des
chemins
dont
le
premier
segment
est
impersonnel,
puis
les
chemins
comprenant
une
relation
de
conseil
entre
acteur
et
levier
(isolée
ou
couplée avec
les deux
autres
types
de
relation).
La
relation
de
conseil
semble,
encore
une
fois,
marquer
les
chemins
personnalisés.
Les
relations
entre
leviers
et
cibles
se
distribuent
aussi
en
huit
catégories
constituées
par
les mêmes
combinaisons
possibles.
On
l'a
vu,
les
relations
impersonnelles
-
où
le
levier
choisi
par
l'acteur n'est
ni
demandeur
de
conseil
auprès
de
la
cible,
ni
collaborateur,
ni
ne
la
considère comme l'un
de
ses
amis
-
représentent
34,3%
de
tous
les actes
enregistrés,
ce
qui
constitue
une
sous-utilisation de
ces
chemins
«anonymes»
par
rapport
à
la
distribution
de
cadrage.
Lorsqu'ils
choisissent
des
leviers,
les
acteurs
ont
ainsi
à
peu
près
une
chance
sur
trois
de
faire
exercer
une
pression
«impersonnelle»
sur
la
cible.
Dans
ce
cas,
le
levier
n'investit
pas
son
propre
capital
social.
Par
contre,
les
relations
que l'on
pourrait
dire
en
tièrement
personnalisées
entre
levier
et
cible
-
où
le
levier
choisi
par
l'ac
teur
est
à
la
fois
demandeur
de
conseil,
collaborateur
et
ami
de
la
cible
-
constituent
21,7
%
de
tous
les
actes d'influence
enregistrés,
ce
qui
constitue
771
Revue
française
de
sociologie
une
sur-utilisation
de
ce
type
de
chemin
(11).
Il
est
intéressant
de
noter
que
l'écart
se
réduit
entre
ces
deux
cas
extrêmes
par
comparaison avec
les
relations
entre
acteur
et
levier
:
cela
implique
que
-
consciemment
ou
non
-
les
acteurs
construisent
des
chemins
qui
mobilisent
plus
facilement
le
capital
social
d'autrui
(Le.
des
leviers)
que
le
leur
propre.
Ceci
est
d'au
tant
plus
apparent
que
les
acteurs
semblent
moins
discriminants
ou
«re
gardants»
quant
à
la
nature
du
capital
d'autrui
qu'ils
ne
le
sont
lorsqu'ils
investissent
le
leur
propre.
En
effet,
parmi
les
chemins
qui
font
intervenir
une
seule
relation
entre
le
levier
et
la
cible,
ceux
mobilisant
la
relation
de
collaboration
avec
la
cible
(8%),
puis
la
relation
d'amitié
(8,1
%),
puis
celle
de
conseil
(7%),
sont
à
peu
près
à
égalité
du
point
de vue de
leur
fréquence,
ce
qui
n'est
pas
le
cas
dans
la
relation
entre
acteur
et
levier.
L'utilisation
du
capital
d'autrui
Pour
mieux
comprendre
les chemins
dans
la
perspective
des
acteurs,
en
particulier
cette
différence
entre
l'utilisation
de
son
propre
capital
social
et
l'utilisation
du
capital
d'autrui
(celui
du
levier), nous
avons
besoin
d'une
analyse
qui
introduit
la
relation
entre
acteur
et
cible.
A
cet
effet,
nous
avons
simplifié
le
Tableau
IV
en
mesurant
la
force
des
liens
entre
tous
les
protagonistes
par
une
échelle
allant
de
l'absence
de
lien
à
trois
liens,
et
donc
en
regroupant
les chemins
en
quatre
catégories.
Cette
approche
permet
d'introduire
ici
une
analyse
de
la dépense
du
capital
social
du
le
vier.
Cette
analyse
est
résumée
par
le
Tableau
V.
Ce
dernier
présente
les
tests
des
modèles
cherchant
notamment
à
vérifier
que la
relation
entre
le
vier
et
cible
n'est
pas
indépendante
des
deux
autres
relations
du
triplet.
Nous
l'avons
déjà
vu,
il
y
a
une
forte
interaction
entre
la
relation
ac
teur-cible
(«Ac»
dans
le
Tableau
V)
et
la
relation
acteur-levier
(«AL»).
Mais
il
y
aussi
une
forte
interaction
entre
la
relation
levier-cible
(«Lc»)
et
la
relation
acteur-cible
(Ac),
puis
entre
la
relation
acteur-levier
(AL)
et
la
relation
levier-cible
(Lc).
Parmi
les
interactions
d'ordre
2,
on
remarque
que
l'interaction
AcAL
est
la
plus
forte
(elle
correspond
à
un
R2
de
67,4%).
L'interaction
triple
est
aussi
significative,
quoique
plus
faiblement;
elle
ne
correspond
qu'à
17,9%
du
Khi2
du
modèle
de
base.
Le
fait
que la
relation
entre
le
levier
et
la
cible
ne
soit
pas
indépendante
de
la
relation
entre
l'acteur
et
la
cible
montre
que
les
acteurs
cherchent
à
obliger
le
levier
à
utiliser
son
capital
social
quelles
que
soient
les
rela-
(11)
On
Га
déjà
noté,
les
chemins
d'in-
font
intervenir
aucune
relation
privilégiée,
fluence
faisant
intervenir
une
combinaison
de
Notons
cependant
que,
lorsque
le
capital
so-
toutes
les
relations
privilégiées
possibles
en-
cial
est
investi
pour
faire
fonctionner
les
tre
acteur
et
levier
et
entre
levier
et
cible
sont
pressions
latérales,
les
chemins
les
plus
per-
beaucoup
moins
fréquents
que
ceux
qui
ne
sonnalisés
sont
les
plus
fréquents.
772
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
Tableau
V.
-
Modélisation
log-linéaire
des
liens
entre
acteurs,
cibles
et
leviers.
Modèle
(1)
Modèle
de
base
(Ac)
(Al)
(Le)
(2)
(AC
Al)
(Le)
Test
de
(Ac
Al):
(l)-(2)
(3)
(Ac)
(Al
Le)
Test
de
(ALLC):
(l)-(3)
(4)
(Ac
Le)
(Al)
Test
de
(Ac
Le):
(l)-(4)
(5)
(Ac
AL)
(Al
Le)
(ACLC)
(6)
(Ac
Al
Le)
Test
de
(AcALLc):
(5)
-
(6)
Degrés
de
liberté
54
45
9
45
9
45
9
27
0
27
L2*
393,37
128,26
265,11
377,43
15,94
353,55
39,82
70,40
0
70,40
Test
p<.0001
p<.0001
p<.0001
p<.0001
p
=
.0681
p<.0001
p<.0001
p<.0001
p<.0001
«
R2»
(%)
67,4
4,1
13,1
82,1
Ac
représente
la
force
du
lien
entre
acteur
et
cible
;
Al
représente
la
force
du
lien
entre
acteur
et
levier
;
Le
représente
la
force
du
lien
entre
levier
et
cible.
Pour
la
signification
du
terme
«
force
du
lien
»,
voir
le
texte.
L2
est
le
Khi2
du
rapport
de
vraisemblance
qui
traduit
la
distance
entre
le
tableau
observé
et
celui
estimé
sous
l'hypothèse
considérée.
«R
»
s'in
terprète
comme
la
part
du
Khi
du
modèle
de
base
prise
en
compte
ou
«expliquée»
par
l'ajustement
d'un
modèle
plus
complexe.
Ajustements
opérés
par
Proc
catmod
dans
sas.
tions
que
les
acteurs
ont
avec
la
cible
et
avec
le
levier.
Plus
précisément,
le
levier
est
obligé
de
«dépenser»
son
capital
social
de
manière
plus
in
différenciée,
alors
que
les
acteurs
ne
Г
«investissent»
davantage
que
lors
qu'ils
doivent
«protéger»
leur
propre
capital
social.
Les
acteurs
ont
tendance
à
forcer
le
levier
à
être
moins
«regardant»
avec
son
capital
social.
Que
l'interaction
triple
soit
significative
suggère
cependant
que
l'acteur
n'oblige
pas
le
levier
à
dépenser
son
capital
social
«n'importe
comment».
La
différence
peut
être
décrite
par
le
fait
que
l'acteur,
lorsqu'il
n'a
aucune
relation
avec
la
cible, choisit
un
levier
qui,
dans
52%
des
cas,
n'a
aucune
relation
avec
lui-même
(l'acteur),
mais
qui,
dans
36%
des
cas
seulement,
n'en
a
aucune
avec
la
cible.
Le
chemin
est
personnel
dans
deux
cas
sur
trois
entre
le
levier
et
la
cible
et
dans
un
cas
sur
deux
entre
l'acteur
et
le
levier.
Les
acteurs
tendent
à
choisir
un
levier
qui,
globalement,
dépense
davantage
son
capital
social
qu'ils
ne
le
font
eux-mêmes
lorsqu'il
n'y
a
pas
de
relation
personnalisée
entre
eux-mêmes
et
la
cible.
Lorsqu'ils
sont
extérieurs
et
distants,
les
acteurs
tendent
à
choisir
un
levier
qui
a
des
liens
avec
la
cible.
Ils
s'engagent
personnellement
dans
un
cas
sur
deux
et
de
mandent
au
levier
de
s'engager
dans
deux
cas
sur
trois.
A
l'opposé,
lorsque
l'acteur
a
une
très
forte
relation
avec
la
cible,
il
choisit
un
levier
qui
n'a
pas
de
relation
avec
la
cible (chemin
non
per
sonnalisé)
dans
seulement
22%
des
cas
(et
personnalisé
dans
78%
des
cas),
alors
que
le
levier
n'a
que
dans
29%
des
cas
un
lien
non
personnalisé
avec
la
cible.
Le
levier
a
des
relations
impersonnelles
avec
la
cible
qui
773
Revue
française
de
sociologie
ne
varient
que
dans
un
intervalle
entre
36%
et
29%,
alors
que
l'acteur
a
des
relations
impersonnelles
avec
le
levier
qui
varient
de
52%
à
22%.
Si
l'on
fait
l'hypothèse
que
l'acteur
sait
quelle
est
la
relation
entre
levier
et
cible,
alors
il
a
une
stratégie
de
choix
de
levier
qui
laisse
moins
de
marge
de
manœuvre
au
levier
dans
le
choix
de
dépenser
son
capital
social
ou
non
en
fonction
de
la
cible.
Le
levier
est
bien
choisi
de
manière
à
dépenser
(relativement
à
l'acteur)
davantage,
d'autant
plus
que
l'acteur
n'a
pas de
relation
privilégiée
avec
la
cible.
Il
lui
est
donc
demandé
implicitement
d'être
plus
indifférent
à
ses
propres
intérêts
en
termes
de
gestion
de
son
capital
social
dans
le
cabinet.
*
* *
Dans
la
culture
stratégique
des
associés
de
ce
cabinet
d'avocats,
la
conversion
du
capital
social
des
acteurs
en
contrainte
sociale
latérale
suit
des
voies
parfois
tortueuses
mais
bien
identifiables.
Cette
culture
est
complexe
parce
que
les
acteurs
agissent
dans
un
contexte
stratégique
et
parce
que
le
savoir-faire
qui
la
prolonge
mêle
calcul
économique
et
défi
nitions
d'identités
et
de
relations.
En
résumé,
notre
méthode
permet
de
montrer
que la
plupart
des
acteurs
étudiés
ne
semblent
pas
«avares»
de
leur
propre
capital
social lorsqu'il
s'agit
de
protéger
le
bien
commun.
Cependant,
le
régime
de
contrôle
qui
règne
entre
pairs
cherche
à
s'appuyer
de
manière
sélective
sur
leurs
rela
tions
informelles
et
sur
des
chemins
personnalisés.
Les
acteurs
trient
leurs
relations
lorsqu'ils
choisissent
des
leviers
:
il
y
a
des
liens
plus
importants
que
d'autres
pour
cette
forme
de
contrôle,
notamment
les
relations
de
conseil.
Les
variations
dans
les
taux
de
conversion
du
capital
social
en
capacité
de
contrainte
latérale
s'expliquent
par
la
densité
différente
des
réseaux
et
par
leur
compartementalisation
lorsque
les
acteurs
tiennent
compte
de
l'identité de
la
cible.
Les
acteurs
cherchent,
par
exemple,
à
protéger
leur
propre
capital
social
en
homogénéisant
les
chemins
d'in
fluence
par
des
couplages
homophiles
:
choisir
des
amis
pour
s'occuper
d'amis,
des
conseillers
pour
s'occuper
de
conseillers,
des
collaborateurs
pour
s'occuper
de
collaborateurs.
Les
modalités
de
conversion
varient
aussi
en
fonction
du
«propriétaire»
des
liens
(on
cherche
à
investir
plus
fac
ilement
le
capital
social
d'autrui,
et
en
tout
cas
pas
simultanément
le
sien
propre
et
celui
des
leviers).
Ceci a
un
effet
sur
les
chemins
d'influence
qui
apparaissent
comme
les
plus
probables
dans
ce
cabinet.
Lorsque l'enjeu
est
le
bien
commun
et
le
maintien
de
l'action
collective,
le
savoir-faire
à
l'œuvre
dans
les
pressions
latérales
entre
pairs
semble
marqué
par
le
fait
que l'on
tend
à
protéger
son
capital
social
personnel
et
à
déléguer
ou
à
faire
endosser
à
d'autres
le
coût
social
des
pressions
latérales.
774
Emmanuel
Lazega
et
Marie-Odile
Lebeaux
Cette
approche
de
la
conversion
du
capital
social
met
en
évidence
la
manière
dont
le
pouvoir
entre
égaux,
dans
sa
dimension
trilatérale,
pose
le
problème
des
coûts
des
sanctions
et
de
leur
prise
en
charge
par
des
acteurs
particuliers.
Ceci
explique
en
partie
l'émergence,
dans
les
organi
sations
collégiales,
d'acteurs
spécifiques,
les
leviers
«multi-cibles»
(Lazega
et
Vari,
1992;
Lazega,
1995b)
qui
assurent
de
fait
une
part
de
la
régulation
et
des
manipulations
nécessaires
au
maintien
de
la
conformité
aux
règles.
En
conclusion,
l'exercice
du
pouvoir
entre
égaux
n'est
pas
indépendant
de
l'identité
des
acteurs,
des
liens
entre
eux
et
de
leur
culture
stratégique.
L'étape
suivante
du
type
d'analyse
de
la
gestion
des
ressources
sociales
que
nous
avons
entamée
ici
consistera
à
suggérer
et
à
vérifier
de
nouvelles
hypothèses
théoriques.
L'une
des
plus
importantes
est
certainement
que la
conversion
du
capital
social
(et
donc
l'accent
mis
par
les
acteurs
sur
un
mode
de
régulation
plutôt
que
sur
un
autre)
varie
avec
la
position
des
acteurs
dans
la
structure
et
avec
les
revenus
de
cette
conversion
(12).
Dans
l'observation
des
relations
entre
capital
social,
inégalités
et
performance,
tout,
ou
presque,
reste
à
faire.
Emmanuel
LAZEGA
Université
de
Versailles
et
LASMAS
-
CNRS
59
rue
Pouchet,
75017
Paris
Marie-Odile
LEBEAUX
LASMAS
-
Institut
du
longitudinal
(CNRS),
Université
de
Caen
Esplanade
de
la
Paix,
14032
Caen
Cedex
(12)
On
peut
noter
ainsi
que
les
associés
ayant
des
responsabilités
administratives
im
portantes
(membres
de
la
commission
execut
ive,
de
la
commission
des
finances
et
de
la
commission
des
stagiaires),
que
Nelson
(1988)
appelle
des
minders,
ont
une
légère
tendance
à
convertir
leurs
relations
person
nelles
davantage
que
les
autres.
Par
exemple,
26%
des
actes
de
pression
latérale
sont
ef
fectués
par
la
sous-population
des
associés
ayant
des
responsabilités
administratives
im
portantes.
Cette
proportion
monte
à
39
%
lorsqu'on
ne
considère
que
les
choix
de
le
viers
avec
lesquels
ces
associés
ont
des
lations
triplexes.
On
peut
supposer
que
cette
tendance
au
sur-investissement
caractérise
le
comportement
d'associés
qui
sont
en
position
de
bénéficier
des revenus
de
cette
stratégie.
Ils
sont
en
position
de
faire
en
sorte
que
le
capital
converti,
et
donc
investi,
leur
r
evienne
avec
un
revenu
spécifique
:
leur
dé
vouement
au
bien
commun
renforce
par
exemple
leur
droit
de
parler
légitimement
en
son
nom.
Ils
échangent
ainsi
du
capital
social
contre
du
capital
symbolique
pour
gagner
en
légitimité
(Bourdieu,
1994)
et
donc
en
capac
ité
de
créer
du
consensus
et
de
gérer
ce
type
d'organisation
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