ChapterPDF Available

Préférences d'engagement, représentations finalisantes et valeurs signifiées : la question des valeurs

Authors:
115
In : BARBIER J-M. Séminaire du CRF (2003) Valeurs et activités
professionnelles Paris L’Harmattan, 208 p.
PRÉFÉRENCES D’ENGAGEMENT,
REPRÉSENTATIONS FINALISANTES
ET VALEURS SIGNIFIÉES
Jean-Marie Barbier
“ Si grand que vous soyez,
j’ai de l’amour par-dessus votre tête
(Juliette Drouet - Lettre à Victor Hugo)
Des valeurs qui fondent ou des valeurs qui accompagnent ?
Une très ancienne posture de pensée, largement dominante dans les
sociétés occidentales, tend à donner aux valeurs un statut de
fondement des actions humaines. Qu’elle donne lieu à énoncé
explicite ou qu’elle soit inférable comme un supposé ”, cette posture
est repérable aussi bien dans les discours savants que dans les discours
“ ordinaires ”. Comme les savoirs, avec lesquels elles partagent sur ce
plan une certaine communauté de statut social, les valeurs seraient
censées être mises en œuvre ” dans les pratiques. Cette posture est
constatable pratiquement dans tous les domaines de la vie sociale et
professionnelle, à commencer par le plus sensible d’entre eux, le
politique, où son explicitation joue un rôle hautement fonctionnel.
Pour nous en tenir à l’éducation et à la formation, champ plus
particulier d’intérêt de cet ouvrage, les valeurs sont souvent présentées
comme “ fondatrices ” du métier d’apprendre ou de “ faire
apprendre ”.
116
La principale intention de cette contribution est de développer une
autre hypothèse : les valeurs ne fondent pas les actions humaines,
elles les accompagnent. Pas plus que les savoirs ne sont directement
“ appliqués dans les pratiques, les valeurs ne sont directement
“ investies ” dans les actions. Par contre elles constituent souvent des
référents pour les activités de pensée ou des références pour les
activités de communication qui peuvent en être les composantes ou les
avoir pour objet. Dans le développement des actions humaines, les
différentes activités qu’on peut y distinguer n’ont pas forcément un
statut de détermination hiérarchique, elles ont d’abord un statut
d’association mutuelle.
Comme d’autres travaux du même auteur et du laboratoire auquel il
appartient (CRF), ce texte a pour finalité principale de participer à la
construction d’un (ou plusieurs) cadre(s) épistémologique(s) et
théorique(s) susceptibles, pour le coup, d’être “ investi(s) ” dans des
activités d’analyse des actions humaines, ceci à des fins de recherche,
de formation ou d’optimisation de ces actions (CRF 2000). Il souhaite
contribuer à la production d’outils conceptuels susceptibles d’être
générateurs de savoirs dans l’approche des activités.
Il s’inscrit dans des options théoriques et épistémologiques
privilégiant précisément l’‘entrée activité’ (Barbier-Galatanu., à
paraître, Barbier-Durand, 2003).
Trois de ces options notamment méritent d’être rappelées ici :
1. A chaque étape de notre réflexion, nous nous efforcerons de
proposer des définitions des composantes de notre objet susceptibles
de s’articuler entre elles dans le cadre d’une approche globale de la
dynamique de transformation des activités et des sujets impliqués
dans ces activités. Cette problématique implique en particulier de
situer les activités les unes par rapport aux autres dans une optique
privilégiant l’histoire des sujets, comme le fait d’ailleurs la
psychologie historico-culturelle. Une bonne illustration de ce choix
nous est fournie par la notion d’émotion que nous avons définie
ailleurs comme un “ éprouvé psychique lié à la singularité d’une
situation pour l’acteur, opérant une rupture de l’état ou du processus
dans lequel il est engagé ” (Barbier- Galatanu 1998, p.48) et que, dans
le même esprit pensons-nous, mais de façon plus précise encore, P.
117
Livet (2002 p.23, souligné par nous) définit comme la résonance
118
affective, physiologique et comportementale d’un différentiel entre un
ou des traits perçus (ou imaginés ou pensés) de la situation en cause,
et le prolongement de nos pensées, imaginations, perceptions ou
actions actuellement en cours ”.
2. Par ailleurs, conformément à ce que nous avons indiqué
précédemment sur les rapports d’association mutuelle entre les
activités, nous nous attacherons à proposer des interprétations qui à la
fois tiennent compte de la logique interne de ces champs d’activités et
de leurs rapports d’association. (Nuttin, 1985, p.73) est
particulièrement sensible aux phénomènes d’autonomie relative des
activités au sein de l’action : “ Agir, écrit-il, ne se limite pas à l’action
externe. A la plupart des situations, l’être humain répond par une
action cognitive de réflexion et d’imagination en même temps que par
une manipulation physique des objets présents. Penser doit se
concevoir comme une manipulation mentale ” de représentants
symboliques d’objets (…) penser est aussi une activité autonome que
l’homme exerce sur le monde perçu ”. Mais rendre compte en me
temps de l’autonomie et de l’articulation entre activités est essentiel.
Comme le souligne F. de Saussure (éd. 1995, p.160), et
significativement à propos des rapports d’association entre mots et
idées, un mot peut-être échangé contre quelque chose de
dissemblable : une idée ; en outre il peut être comparé avec quelque
chose de même nature : un autre mot ” .
3. Enfin nous considérerons l’analyse des activités humaines elle-
même comme une activité, ce qui présentera beaucoup d’incidences
épistémologiques. Ainsi on peut penser par exemple qu’il existe des
cohérences entre modèles de causalité privilégiés dans les activités
d’analyse par ceux qui les conduisent (modèle déterministe, modèle de
corrélation réciproque, etc.) et systèmes de pensée et d’intervention
sociale beaucoup plus généraux dans lesquels ils s’inscrivent, ce qui
est d’ailleurs en rapport avec l’observation faite en liminaire de ce
texte.
119
Les notions sociales d’éthique et de valeurs : ambiguïtés,
glissements sémantiques et polysémies fonctionnelles
Comme il est fréquent lorsque l’activité scientifique a pour champ
d’intérêt l’activité humaine, un premier constat s’impose : il est
extrêmement difficile de se satisfaire des termes sociaux en usage
pour désigner les objets du travail de recherche. Ces termes jouent
des fonctions sociales beaucoup plus complexes que la production de
savoirs. Ils ne satisfont en rien à la règle d’univocité caractéristique du
langage scientifique, et sont marqués au contraire par la présence
d’ambiguïtés, de glissements sémantiques et par une polysémie
fonctionnelle.
Les notions d’éthique et de valeurs n’y échappent pas :
1. On peut considérer en effet que pendant longtemps le champ
sémantique de la morale et le champ sémantique de l’éthique se
recouvraient en bonne partie. Significativement le Vocabulaire
Technique et Critique de la Philosophie d’André Lalande (1972
pp.305-306) notait qu’ “ historiquement, le mot Ethique a été appliqué
à la Morale sous toutes ses formes, soit comme science, soit comme
art de diriger la conduite (…) dans l’usage ordinaire, ce mot est
employé tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, et le plus souvent
avec le me vague que le mot morale. ” Si les différents usages du
mot morale ont probablement pour trait commun la référence à un
ensemble de règles de conduite, quels que soient d’ailleurs ceux qui
les ont fixées, les différents usages du mot éthique auraient plutôt
comme point commun de désigner des activités d’étude touchant ces
règles de conduite : l’éthique “ a longtemps constitué la discipline de
la philosophie concernée par l’étude théorique des principes ou des
fondements permettant de justifier la différenciation entre bonnes et
mauvaises conduites ” (Feldmann 2000 p.12).
Toutefois, se saisissant notamment de travaux comme ceux de Paul
Ricoeur dans l’espace francophone, une distinction sociale forte est
faite aujourd’hui entre Ethique et Morale.
Après avoir rappelé que rien dans l’étymologie ou dans l’histoire de
l’emploi des termes n’impose cette distinction, (Ricoeur, 1996, p.200)
écrit que par convention il réservera “ le terme d’éthique pour la visée
d’une vie accomplie et celui de la morale pour l’articulation de cette
120
visée dans des normes caractérisées à la fois par la prétention à
l’universalité et par un effet de contrainte ” ; il affirme par ailleurs à la
fois la “ primauté de l’éthique sur la morale ” et leur nécessaire
articulation. Il indique également la filiation de cette distinction entre
visée et norme par rapport à “ l’opposition entre deux héritages, un
héritage aristotélicien, l’éthique est considérée dans sa perspective
téléologique, et un héritage kantien, où la morale est définie par le
caractère d’obligation de la norme ” (ibidem). Il convient toutefois
d’ajouter à ce sujet qu’Aristote objective le Bien en en faisant un objet
de connaissance, et que l’impératif catégorique de Kant et à sa suite le
courant de la philosophie critique laisse au contraire au sujet un rôle
central dans la définition des valeurs .
Toujours est-il que cette distinction se trouve investie aujourd’hui de
fonctions sociales que n’y mettaient pas forcément les philosophes qui
s’y sont attachés. En sociologue de l’‘éthique professionnelle’,
Terrenoire (1991 pp .9-10, souligné par nous) observe ainsi une
substitution progressive du terme éthique au terme morale, et note que
tous ceux qui adoptent ce changement n’en donnent pas
l’explication (…) ceux qui le font insistent sur le fait que, pour eux le
terme de morale renverrait plutôt à des valeurs frappées
d’obsolescence ou à des règles de conduite imposées et sanctionnées
par des autorités traditionnelles considérées comme dépassées
(Eglises, Ordres,..)(…) la morale serait généralement associée à une
forme d’obligation : celle de se conformer à des systèmes normatifs
imposés du dehors. Par contre, le terme éthique serait, selon eux, plus
clairement lié au caractère personnel de l’évaluation, de la
délibération et du jugement, ainsi qu’à l’évolution des valeurs, des
normes et des significations en fonction d’un contexte marqué par des
innovations sociales et culturelles ”.
Tout se passe donc comme si cette distinction, indéniablement
porteuse d’une évolution des modèles de rapports sociaux,
fonctionnait comme une alternative de valorisation-dévalorisation à
l’adresse du public auquel elle est destinée : en bref on se trouve en
présence d’approches des valeurs faisant elles-mêmes l’objet de
jugements de valeur…
Pour être ‘recevable’ aujourd’hui, un discours sur les valeurs a
probablement tout intérêt à se situer sur le registre de l’éthique et pas
sur celui de la morale. C’est la raison pour laquelle, dans un champ
qui nous intéresse tout particulièrement, celui des activités
121
professionnelles, on a vu se développer dans les années 80 et 90 des
discours éthiques spécialisés : éthique des soins, éthique du travail
social, éthique de la formation, bioéthique, éthique des affaires, etc. ;
dans le champ des activités financières, on a même vu apparaître
l’extraordinaire notion de “ valeurs (au sens boursier du terme)
éthiques ”. Soumis à l’analyse, les discours éthiques présentent en fait
souvent le même caractère d’extériorité que celui officiellement
attribué à la morale ; mais c’est qu’évidemment le glissement
sémantique devient fonctionnel…
Une telle situation n’a évidemment pas échappé à des observateurs
très variés puisque pour le sociologue Bourricaud, le mot éthique est
le déguisement que prennent aujourd’hui ceux qui veulent parler de
morale sans paraître trop ringards et pour le philosophe L. Sève
(Terrenoire 2001 pp. 9-10) “ l’immense fortune du mot éthique est
l’envers direct du discrédit dans lequel a peu à peu sombré durant le
XXème siècle ce que recouvrait la traditionnelle morale ”, mais cet
“ extraordinaire succès d’audience du mot éthique, joint à sa foncière
ambiguïté conceptuelle, en faisait une proie rêvée pour les
récupérations politiciennes et publicitaires : tout se flatte impunément
aujourd’hui d’être éthique, jusqu’à certaines façons d’exploiter le
travail des enfants ou de gérer des placements boursiers. Aussi le
vocable est-il en bonne passe de se démonétiser comme hier celui de
morale s’était entièrement dévalué. ” Des “ praticiens sont plus
sévères encore : Brauman, fondateur de Médecins Sans Frontières
(MSF) parle ainsi (Bonnafous -Boucher, Pesqueux 1997 p.51) de la
conviction qu’il s’est “ forgée au cours des années passées à MSF,
que l’invocation éthique permet de ne pas penser ” ; et Delamaire
(Ignasse Lenoir 1998 pp.53-54), responsable de formation à EDF-
GDF, se demande “ si la poursuite de la construction d’une éthique ne
constitue pas un échappatoire à la souffrance de situations difficiles à
vivre que l’on préfère éviter d’évoquer tant elles mettent en jeu non
seulement des contraintes et des fonctionnements quotidiens moins
nobles et moins agréables à contempler ”.
122
2. Des difficultés analogues se constatent à propos de la notion de
valeurs.
a) une première ambiguïté apparaît d’abord sur leur statut : réalités
extérieures aux individus et groupes, ou produits de ces individus et
groupes ?
Cette ambiguïté reflète deux pôles divergents de positions
philosophiques assez fondamentales, commentées notamment par
A.Comte-Sponville (1998) :
- une position dite “ objectiviste ” que l’on peut qualifier comme
relevant d’un réalisme ontologique, assez bien représentée par
Aristote (Ethique à Nicomaque) qui voit dans le Bien absolu et dans
les biens qui sont accessibles et réalisables des réalités extérieures aux
sujets humains qui les poursuivent, susceptibles donc de faire objet de
connaissance, ce qui le conduit à rapprocher vrai et bien. Dans cette
tradition, les valeurs représentent un caractère de ces réalités
consistant en ce qu’elles méritent plus ou moins d’estime. Cette
tradition est repérable dans différents courants cognitivistes, et est
défendue en particulier aujourd’hui par Boudon (1995,1999)
- une position dite “ subjectiviste ” que l’on pourrait qualifier de
relativiste, assez bien représentée par Spinoza (ou par une certaine
lecture de Spinoza), qui part du désir, et pour qui il n’est de valeur que
pour l’homme et par le désir : “ nous ne nous efforçons à rien,
n’appétons ni ne désirons aucune chose, parce que nous la jugeons
bonne ; mais au contraire, nous jugeons qu’une chose est bonne parce
que nous nous efforçons vers elle, la voulons, appétons et désirons
(Ethique-Livre III Scolie de la proposition 9 ”. Comme le note Comte-
Sponville (1998), la valeur est ici un effet, un résultat, au moins le
produit d’une histoire. Son support réside dans les individus ou les
groupes. On retrouve également dans cette tradition également
nombre de courants contemporains, sensibles notamment au primat
des pulsions, des affects ou des émotions.
Cette opposition, même rapidement tracée, a, on le voit, un enjeu
philosophique et social considérable, dont on comprend bien le sens.
Elle structure probablement des débats au sein même des disciplines
de sciences humaines, comme on le voit en psychologie. Elle fait aussi
souvent écho, de la part de ceux qui se situent dans l’espace ainsi
123
ouvert par ces deux pôles, à des systèmes de pensée et d’intervention
sociale, différents sinon opposés.
Il n’empêche que dans les discours sociaux ordinaires ayant
directement trait aux valeurs, on constate que les interactions entre
sujets sont souvent marquées par une oscillation entre ces deux sens.
On peut penser que cette oscillation joue un rôle fonctionnel dans
leurs stratégies réciproques, notamment par rapport aux enjeux de
pouvoir. Le pouvoir est en effet plus facilement légitimé par un
discours objectivant sur les savoirs et valeurs, mais son exercice
même est facilité par l’usage de marques subjectives au sein de ce
même discours, en raison des effets de constructions de sens que les
unes et les autres marques sont susceptibles d’opérer.
b) une ambiguïté particulièrement remarquable, qui ne recouvre pas
exactement la précédente, se constate également entre ce que nous
pourrions appeler les valeurs-en-acte, c’est-à-dire les engagements
effectifs d’activités des sujets, les valeurs-référents, présentes dans
leurs activités de pensée ou dans leurs discours intérieurs relatifs à
ces activités, et les valeurs-énoncés repérables dans leurs
communications et interactions avec autrui sur ces activités.
Les observations de la vie courante comme les investigations
scientifiques les mieux armées ont fait apparaître depuis longtemps
l’écart considérable pouvant exister entre les unes et les autres. S’il
fallait s’en convaincre la lecture d’un texte littéraire comme les
Maximes de La Rochefoucauld constitue une exercice fort stimulant,
une des plus significatives de ces maximes étant : “Ce que nous
prenons pour des vertus n’est souvent qu’un assemblage de diverses
actions et de divers intérêts, que la fortune ou notre industrie savent
arranger ” (Première maxime éd. 1974 p.7).
Le repérage de tels écarts fonde d’ailleurs pour partie le projet de
plusieurs disciplines des sciences sociales, qui ambitionnent de
produire des résultats ‘contre-intuitifs’, de montrer que les acteurs font
autre chose que ce qu’ils croient faire, ou de construire ‘d’autres
significations que celles que les acteurs accordent spontanément à
leurs actes’.
124
La présence de tels écarts est aussi intégrée comme une réalité dans
les stratégies réciproques des acteurs sociaux, comme on le voit bien
notamment dans le domaine politique.
Cette présence n’a pas pour autant conduit à effectuer des distinctions
précises. Cette situation est évidemment en lien avec la difficulté
théorique d’opérer de telles distinctions au sein des actions humaines ;
mais elle joue aussi probablement un rôle fonctionnel d’occultation
des stratégies réciproques dans le jeu des interactions entre acteurs
sociaux.
La question de ce qui importe ” se pose aussi bien (Maggi 2000) à
propos des manières d’agir (ce qu’il importe de faire), que des
manières de penser l’agir (ce qu’il importe d’avoir à l’esprit en
agissant) ou des manières de communiquer sur l’agir (ce qu’il importe
de dire ou de signifier sur l’agir ), mais elle ne réclame pas forcément
les mêmes instruments ; et l’articulation entre ces trois types de
questions suppose également une réflexion sur les relations entre les
activités auxquelles elles correspondent. C’est probablement aussi à ce
prix que l’on peut espérer comprendre un peu moins mal les
phénomènes de transformation des actions et des sujets dans leurs
actions
Les valeurs comme doubles rapports : rapports entre sujets- .
activités-environnements, rapport entre ces rapports
1. Le terme valeurs est utilisé avec des sens différents dans les
disciplines d’activités les plus variées : économie, philosophie,
linguistique, sociologie, psychologie, mathématiques, musique, art.
Au-delà de la diversité de ces emplois, au-delà des ambiguïtés,
glissements sémantiques et polysémies fonctionnelles que nous avons
pu relever, il est possible de mettre en relief deux invariants d’usage,
du moins lorsque le mot est directement lié à l’activité humaine, ce
qui nous intéresse plus particulièrement ici.
Ces deux invariants sont liés, ce qui a été significativement relevé par
deux auteurs aussi différents que Saussure et Lavelle :
a) Réfléchissant à propos de la valeur linguistique d’un mot, Saussure
(éd. de 1995 p.159- souligné par nous) souligne “ l’aspect paradoxal
de la question : d’un coté, le concept nous apparaît comme la
contrepartie de l’image auditive dans l’intérieur du signe, et, de
125
l’autre, ce signe lui-même, c’est-à-dire le rapport qui relie ses deux
éléments, est aussi et tout autant la contrepartie des autres signes de
la langue ” ; et élargissant l’analyse avec cette clarté et cette
profondeur conceptuelle si caractéristique du Cours de Linguistique
Générale, il poursuit (ibidem, souligné par l’auteur) : même en
dehors de la langue, toutes les valeurs semblent régies par ce principe
paradoxal. Elles sont toujours constituées :
- par une chose dissemblable susceptible d’être échangée contre celle
dont la valeur est à déterminer ;
- par des choses similaires qu’on peut comparer avec celle dont la
valeur est en cause.
Ces deux facteurs sont nécessaires pour l’existence d’une valeur ”.
b) Dans son Traité des Valeurs (éd. de 1991 p.513 souligné par nous),
Lavelle est plus direct encore : “ La préférence qui exprime d’abord le
rapport des choses avec moi exprime encore le rapport des choses
entre elles en tant qu’elles ont du rapport avec moi. Ces deux sortes
de rapports sont inséparables. Ainsi pourrait-on dire de la préférence
qu’elle est un rapport entre les rapports. ” Son ouvrage, classique,
contient d’ailleurs sur la question des valeurs un grand nombre de
formulations heureuses, que nous utiliserons.
2. Utilisée dans le cadre de démarches d’analyse des activités et des
actions humaines, la notion de valeurs (prise au sens large, ce que
nous ne recommandons pas) nous paraît devoir être située ainsi au
cœur d’un double rapport :
a) elle est obligatoirement relative à des rapports entre sujets-
activités- environnements.
- Sans l’exercice d’une activité, il n’y a pas de substrat possible pour
la valeur ; c’est en effet dans l’activité que les objets du monde ,
physiques, sociaux, symboliques, peuvent faire l’objet d’appréciations
qualitatives, de la part de l’acteur lui-même ou d’un observateur. Ils
deviennent “ significatifs et prennent qualité parce qu’impliqués
dans l’exercice d’une activité. Cette implication peut être décrite
comme un ensemble d’éléments rendus mutuellement dépendants par
l’activité. La valeur, écrit L. Lavelle (ibidem, p.248), “ n’est ni un
objet , ni un concept, et n’est connue que si elle est vécue ”. “ Le sens
126
du monde ”, affirme également Wittgenstein (éd.2001 p.109), dans
une autre intention, celle de légitimer une éthique transcendantale qui
ne se laisserait pas énoncer, “ doit être en dehors de lui. Dans le
monde, tout est comme il est, et tout arrive comme il arrive ; il n’y a
en lui aucune valeur.
- La valeur suppose l’engagement d’un sujet dans cette activité : une
activité est abstraite si elle n’est pas située dans l’activité du sujet qui
s’y engage, à un moment donné de son histoire. “ La valeur, écrit
encore L. Lavelle (ibidem p.7), réside en effet dans cette disposition
interne par laquelle nous nous engageons chaque fois tout entier en
méprisant à la fois les sollicitations qui nous divisent et les obstacles
qui nous sont opposés ” ; elle serait “ l’être considéré dans son rapport
avec une activi ”(ibidem p.4) ;
- Cette activité peut être physique et/ou représentationnelle et/ou
communicationnelle, etc. C’est ce qui fonde le fait que des activités de
pensée comme le raisonnement logique ou les mathématiques puissent
donner lieu à détermination de leur valeur, ou que la notion de valeur
ait pu apparaître à l’occasion d’activités à forte composante
émotionnelle comme la musique ou la peinture. C’est aussi ce qui
explique que les “ jugements de faitsoient aussi des “ jugement de
valeur ”, non pas dans ce qu’ils énoncent, mais dans l’affirmation de
la “ vérité ” de ce qu’ils énoncent. Nous avons eu l’occasion ailleurs
de dire que lorsqu’un énoncé est présenté comme un “ savoir ”, se
trouve en jeu aussi bien sûr un jugement de valeur, non sur son
contenu encore une fois, mais sur sa qualité de savoir. C’est ce qui
explique une partie des débats sur les différences et les proximités
entre jugements de fait et les jugements de valeur. C’est ce qui
explique aussi que la référence à la science ait pu fonctionner comme
idéologie et instrument de violence.
- Cette activi peut être potentielle, en cours ou réalisée : cet
engagement dans l’activité s’inscrit dans une perspective temporelle,
comme l’admettent d’ailleurs, croyons-nous, J.Theureau et d’autres
spécialistes de l’analyse du travail se situant dans une perspective
anthropologique. C’est ce qui explique aussi qu’on ait pu dire que la
valeur se situe dans le contraste ou au point de rencontre entre le
possible et le réel, l’actuel et le potentiel.
127
Ce choix théorique relativise évidemment le débat philosophique que
nous avons évoqué plus haut sur l’“ objectivité et/ou la
“ subjectivité ” des valeurs. Si les valeurs se situent dans l’espace des
rapports entre sujets-activités-environnements, la question de la
détermination de l’origine première de ces valeurs prend un autre
sens, déjà suggéré. Vouloir la poser en ces termes, c’est en effet
s’engager dans une réflexion qui fonctionne probablement déjà elle-
même comme une évaluation. Cette réflexion accompagne et est
cohérente avec d’autres engagements d’activités, plus globaux, sur le
terrain de l’intervention sociale.
b) elle implique également obligatoirement l’établissement d’une
comparaison entre plusieurs types de rapports sujets-activités-
environnements.
Ces rapports sujets-activités-environnements, s’ils sont indispensables
comme substrat aux valeurs, ne suffisent pas à les spécifier : un grand
nombre de notions en sciences sociales (la plupart) présentent la
même caractéristique de s’inscrire dans le champ de tels rapports. La
question des valeurs suppose un enjeu supplémentaire.
Par ailleurs on observera, comme le remarque J.Curie (2002) que
s’engager dans une activité c’est renoncer à d’autres types d’activités,
que cette renonciation soit consciente, explicitée ou non.
Comme l’explique encore dans une formule célèbre L. Lavelle
(ibidem p.3), “ on peut dire que le mot valeur s’applique partout
nous avons affaire à une rupture de l’indifférence ou de l’égalité entre
les choses, partout l’une d’elles doit être mise avant une autre ou
au-dessus d’une autre, partout elle est jugée supérieure et mérite
de lui être préférée .
Toutes les notions se situant dans l’espace sémantique des valeurs
comportent ainsi la référence à un ordre, éventuellement à une
échelle, structurés par deux pôles permettant l’établissement de
rapports, de comparaisons entre ces activités ou champs d’activités,
comparaisons auxquelles s’intéressent d’ailleurs de plus en plus les
sociologues contemporains (Boltanski, Thevenot 1991).
L’établissement d’une préférence, de fait, réfléchie, ou affichée se
définit alors comme l’établissement d’un “ ordre dans les différences
(L. Lavelle ibidem p.472). Les valeurs sont forcément hiérarchiques,
128
elles font système ; elles permettent la détermination de positions
relatives au sein de ces systèmes.
Cet ordre peut éventuellement donner lieu a posteriori à
quantification, comme on le voit dans le domaine de la fixation des
prix ou de l’évaluation-mesure. On est alors en présence d’une sorte
de quantification de la qualité.
Au total nous dirons donc que le champ sémantique des valeurs, au
sens large, se spécifie par l’établissement ou la présence d’un
rapport d’ordre, de hiérarchie pour des sujets dans un ensemble de
rapports sujets-activités-environnements.
Ce choix théorique ouvre la voie évidemment à la question de savoir
qui établit cet ordre et dans quelles conditions, question à laquelle ne
peut manquer de s’intéresser la recherche. Nous y viendrons un peu
plus loin.
Auparavant il importe de noter qu’au sein de ce champ sémantique, il
est possible et probablement souhaitable d’opérer par méthode une
distinction entre trois types de situations, souvent confondues.
Engagements et préférences d’engagement dans les activités
(valeurs-en-acte)
Dans un très grand nombre de cas l’engagement de sujets dans des
activités ne donne pas lieu en tant que tel à mise en représentation et
à mise en discours de leur part, que celles-ci aient lieu d’ailleurs en
amont, en accompagnement ou en aval de cet engagement.
Il s’agit d’une donnée de l’éthologie humaine (et animale) et d’un
constat qui peut être fait quotidiennement. On tend à parler
notamment de comportements, d’opérations, d’activités au sens strict,
quelquefois de conduites dans une certaine tradition scientifique.
Et même lorsque cet engagement donne lieu à activité
représentationnelle ou communicationnelle spécifique, il apparaît
possible de distinguer cet engagement des activités
représentationnelles et communicationnelles auxquelles il donne lieu.
Comment rendre compte de ces situations ?
Il semble que plusieurs des auteurs qui se sont attachés à définir les
notions d’affect, d’ethos, ou de tendance à l’action se sont au moins
efforcés d’en tenir compte. “ Par affect, écrit Spinoza dans l’Ethique
129
(éd.1988, p.203), j’entends les affections du corps qui augmentent ou
diminuent, aident ou contrarient, la puissance d’agir de ce corps, et en
même temps les idées de ces affections ”. La notion d’ethos est
elle-même quelquefois définie en sociologie dans un premier sens
comme les principes ou les valeurs à l’état pratique, comme la forme
intériorisée et non consciente de la morale, susceptible de “ se
déployer en discours ” (Isambert et alii 1978). Et pour J.Cosnier (1997
p.154) les tendances à l’action sont plutôt vécues comme des
impulsions ou des besoins que comme des intentions et il s’agit plus
souvent d’intérêt (concern) que d’intention. ”
Nous pouvons parler aussi de valeurs-en-acte, c’est-à-dire de valeurs
telles que l’on peut les inférer du constat d’un engagement dans des
activités. Toutefois cette dénomination très ‘parlante’ à première vue
est quelque peu ambiguë ; elle confond les énoncés du sujet et ceux
d’un éventuel observateur. Il est probablement souhaitable de lui
préférer les notions d’intérêts d’action ou de préférences
d’engagement. Les préférences d’engagement c’est ce que, pour des
sujets, de fait, il importe de faire ou de réaliser.
1. Les préférences d’engagement s’observent bien évidemment dans le
champ des activités de transformation du monde physique et
social concernées.
Ces activités peuvent aussi (c’est très fréquent) avoir comme
composantes des actes mentaux ou des actes de communication ; il
importe en effet de distinguer le statut des actes mentaux ou des actes
de communication selon qu’ils sont composantes d’un ensemble
d’activités ou selon qu’ils ont pour objet cet ensemble d’activités.
Sur le plan méthodologique, une voie privilégiée d’accès à ces
préférences consiste donc dans le recueil de données produites
directement à l’occasion de l’exercice de ces activités : observations,
enregistrements, verbalisations en cours d’action. Le registre des
méthodes et techniques utilisables est ainsi très large : méthodes
ethnographiques, observations physiques, mesures et analyses de
comportements, sélection de marqueurs linguistiques traduisant
l’engagement dans l’activité, etc. Il est significatif de ce point de vue
qu’on ait pu parler de datif éthique (Dubois et alii p.186 souligné par
les auteurs), qui exprimerait précisément l’intérêt pris à l’action par
le sujetcomme “ en français le pronom me dans la phrase Qu’on
me l’égorge tout à l’heure ” (Molière) ”.
130
2. Ces préférences d’engagement se situent plus précisément dans le
champ des rapports-en-acte entre les sujets, leurs activités et leurs
environnements.
Elles appartiennent de ce point de vue au champ sémantique des
construits mis en place pour rendre compte des rapports entre les
sujets individuels et collectifs et leurs activités : notions d’attitude, de
disposition, d’habitus, de schème, de pattern, de montage,
d’organisateur d’activité. La définition classique des habitus chez
Bourdieu est ainsi d’y voir des dispositions génératrices de pratiques,
structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures
structurantes.
Ces préférences traduisent de plus l’intérêt que les sujets prennent à
leurs activités.
3. Ces préférences se spécifient par l’introduction “ en situation
d’un ordre, d’une hiérarchie entre ces rapports sujets-activités-
environnements Comme nous l’avons vu précédemment,
l’engagement dans une activité implique de fait un renoncement à
d’autres activités possibles dans le même moment. Pour Lavelle
(ibidem p.436 souligné par nous), la préférence “ est l’attribution de la
valeur, l’opération par laquelle se constitue cet ordre hiérarchique qui
montre la valeur à l’œuvre ”. Dans la conceptualisation qu’il propose
de la pulsion, Freud (le refoulement) parle dans un sens probablement
proche de quantum d’affect : il correspondrait à la pulsion, en tant
qu’elle s’est détachée de la représentation et trouve une expression
conforme à sa quantité dans des processus qui sont ressentis sous
formes d’affects.
4. Ces préférences sont le produit d’une histoire des sujets, et peuvent
évoluer au cours de cette même histoire, même si ces évolutions sont
en fait plus lentes que celles des activités elles-mêmes.
Elles spécifient les sujets, même dans leurs transformations.
Elles peuvent présenter un caractère individuel et ou collectif : la
notion d’ethos chez Bateson (1936) signifie l’expression d’un système
culturellement normalisé d’organisation des instincts et des émotions
des individus à l’intérieur d’une culture, et traduit l’affect de cette
culture. L’ethos est souvent caractéristique d’un groupe humain dont
les membres peuvent partager souvent à leur insu les mêmes
131
“ façons ”, les mêmes manières ” physiques et sociales de se
comporter.
5. Enfin ces préférences d’engagement ne se transmettent pas bien sûr
par les discours, mais éventuellement par la participation à des
activités communes.
C’est ce que l’on veut dire généralement lorsque l’on affirme que les
valeurs ne s’apprennent pas, mais s’éprouvent dans des activités. C’est
évidemment particulièrement vrai des activités scolaires et plus
généralement des activités éducatives (Meirieu 1991 pp.143 à 147).
Mise en représentation des activités et représentations finalisantes
(valeurs-référents)
Dans d’autres cas, très nombreux, et constituant d’ailleurs plus
habituellement l’objet des sciences humaines, l’engagement des sujets
dans leurs activités donne lieu au contraire en tant que tel de leur
part à un travail de mise en représentations et de transformation de
ces représentations. On pourra parler alors d’actions au sens strict,
que nous avons définies ailleurs (Barbier-Galatanu 1998 pp.17-18)
comme un ensemble d’activités dotées d’une uni de sens par les
sujets concernés. Cette définition est d’ailleurs très proche de
l’approche proposée par Theureau.
C’est à ce type de situations que se réfèrent probablement les auteurs
qui ont pu définir l’ethos comme “ ce qui donne sens à la vie ” et les
valeurs comme une conception “ en situation ” par les sujets du
désirable, conception qui influence le choix de leurs objectifs, de leurs
modes et moyens d’action. Ainsi, pour Polin (éd. 1977 p.173) “ la fin
n’est pas une simple valeur, mais une valeur choisie, une valeur
réfléchie et chargée, dans un renouvellement d’invention
transcendante, d’une intention pratique (…) les fins sont des valeurs
reévaluées. ”.
C’est à ce type de situations qu’il convient probablement de lier aussi
des travaux aussi divers que ceux portant sur les rapports entre sujets
et démarches de projet (Boutinet), sur l’éthique comme visée (Ricoeur
précisément), sur la pensée axiologisée, sur la conscience évaluante,
sur les significations téléologiques, ou encore sur les actes volontaires.
132
Ce travail de mise en représentations et de transformations de
représentations a pour objet les préférences d’engagement
précédemment évoquées ; pour R. Polin toujours (ibidem p.132)
“ l’activité réfléchie et hiérarchisante invente la valeur, projette et
prépare l’action ”.
La marque distinctive de ce travail est une opération mentale
d’évaluation qui a éventuellement pour enjeu une alternative
d’activités. Plus forte est la présence d’une telle alternative, plus ce
travail de mentalisation semble important (il peut d’ailleurs aboutir à
une incapacité d’agir). Pour Curie (2002) “ s’il y a eu engagement, il y
a eu dépassement d’un conflit ; l’engagement est le produit d’un
arbitrage entre des incitations contradictoires ; ces contradictions
proviennent notamment de l’insertion des sujets dans plusieurs
groupes sociaux ”. Et pour les auteurs d’un traité classique de
psychologie (Delay et Pichot, 1975, p. 292) “ la condition
fondamentale d’un acte volontaire est l’existence dans la conscience
d’un choix entre les éléments d’une alternative ayant des valeurs
différentes. Lorsque le choix porte sur des alternatives n’est
impliquée aucune notion de valeur (par exemple dans une expérience
de discrimination sensorielle) on ne parle habituellement pas d’acte
volontaire ”.
Dans ce contexte on constate la présence de représentations relatives à
l’existence d’un désirable, d’un souhaitable, que nous avons appelé
ailleurs représentations finalisantes (Barbier 1985), et qui permettent
l’attribution, a priori ou a posteriori par rapport aux activités, d’une
qualité à des objets, à des situations, à des sujets, à des événements, à
des actions. On peut parler aussi de représentations-référents. Ces
représentations sont variables dans leur contenu et se transforment au
fur et à mesure que se transforment les activités et les sujets impliqués
dans ces activités, mais elles gardent le même rôle fonctionnel.
Les représentations finalisantes sont en fait les représentations que
se font les sujets de ce qui, à leurs propres yeux, vaut (ou valait) “ la
peine ” ou “ le coup ” d’être fait (ou d’avoir été fait) dans une
situation donnée.
133
1. Les représentations finalisantes appartiennent donc à l’univers des
activités de représentation.
Les activités de représentation ont pour caractéristique d’être des
activités internes aux sujets, permettant la “ présentification ” à leur
‘esprit’ d’autres entités, relevant du monde et de sa transformation, et
pouvant survenir en leur absence. Elles permettent notamment la
“ présentification ” d’expériences passées et d’éventuelles activités
futures, et sont donc chez les sujets le lieu éventuel d’établissement
d’un lien entre passé, présent et futur.
Par définition elles sont produites par les sujets pour leur propre
compte: elles constituent l’aspect mental de leur rapport au monde et à
sa transformation; de ce point de vue, si elles ne sont pas toujours
évaluatives, elles sont toujours qualitatives.
Si les représentations sont facilement accessibles aux sujets eux-
mêmes par ce qu’il est convenu traditionnellement d’appeler
l’introspection, en revanche leur accès pour des observateurs
extérieurs est délicat sur le plan méthodologique. La voie habituelle
est la provocation de discours par les sujets sur leur activité mentale,
hypothèse étant faite que ces discours “ explicitent ” cette activité
mentale. Mais les verbalisations sont des actes de communication, ce
qui est très différent, et une simple analyse de leur contenu ne
prémunit guère contre les stratégies discursives en jeu dans cette
‘explicitation’, et en particulier contre tous les phénomènes
d’ostension de soi à autrui et à soi-même présents dans les actes de
communication. Ces techniques ne permettent guère d’accéder non
plus aux phénomènes dits d’arrière-pensée qui jouent un rôle si
important dans les actions et qui ne donnent pas lieu à énonciation.
Sans négliger cette voie, il convient d’observer qu’elle peut être
complétée, et qu’une voie plus sûre sur le plan méthodologique peut
être trouvée dans le repérage au sein des gestes et des communications
des sujets de marqueurs de telles représentations, souvent à leur insu
bien sûr. Un intérêt particulier pourra être apporté notamment à
l’étude des modalisations des énoncés, les modalisations étant définies
“ comme l’inscription dans l’énoncé, par une marque (forme)
linguistique, de l’attitude du sujet parlant (communiquant) à l’égard
du contenu de cet énoncé, et à l’égard de la fonction qu’il est censé
avoir dans l’interaction verbale dont il participe ” (O.Galatanu 2000).
134
2. Les représentations finalisantes se situent plus précisément dans le
champ des représentations des sujets relatives à leurs propres
activités
Traditionnellement ces activités mentales spécifiques ont été
appréhendées sous le terme de conscience, qui désigne donc chez des
sujets les phénomènes mentaux spécifiques ayant pour objet leurs
propres activités : “ le mot conscience, écrivent encore Delay et Pichot
(ibidem p.294), dérive du latin conscientia qui désigne une
connaissance (scientia) qui accompagne (d’où le préfixe com) nos
impressions et nos actions. Déjà Saint Augustin distinguait ces deux
aspects de la conscience. D’une part, je dis que je suis conscient parce
que je sais que je sais (scio me scire), d’autre part je suis conscient
parce que je sais que j’agis (scio me agere). Pour désigner le travail
d’incitation à la mise en représentation par les sujets d’eux-mêmes, de
leurs activités et de leurs environnements, on a pu parler d’ailleurs
parfois de “ conscientisation ”.
Le travail de mise en représentation par les sujets de leurs propres
activités fait aujourd’hui l’objet d’un grand intérêt notamment dans
les activités professionnelles ; il est censé en effet permettre une
évolution constante de ces représentations, et indirectement une
flexibilité plus grande des activités auxquelles elles correspondent.
C’est ce qui explique notamment le succès de la notion de gestion
appliqué à l’ensemble des activités, gestion devant être pris en effet au
sens de gestion mentale par les sujets de leur propre activité.
La voie la plus fréquente de production de ces représentations ou
d’accès externe à ces représentations est la provocation de discours
par les sujets sur leurs propres activités, avec les réserves que nous
avons précédemment évoquées. C’est ce qui explique l’intérêt porté
aujourd’hui à toutes les méthodes de verbalisation par les sujets de
leurs propres actions : analyses de pratiques, analyses d’activités et sur
le terrain plus proprement méthodologique et/ou scientifique
entretiens d’explicitation, auto-confrontation des sujets aux traces de
leurs activités, etc.
135
Ces représentations des sujets relatives à leurs propres activités
peuvent s’analyser comme des constructions de sens, le sens étant
défini comme nous l’avons fait ailleurs (Barbier Galatanu dir. 2000)
comme une association entre des représentations issues d’expériences
en cours des sujets et des représentations issues ou relatives à d’autres
moments de leur trajectoire. La gestion mentale des activités offre
ainsi de multiples exemples de telles constructions de sens : ainsi les
opérations de détermination des objectifs d’une action ou de
construction de projet impliquent-elles une mise en relation entre des
objectifs généraux issus de l’expérience antérieure des sujets et des
représentations relatives à la situation actuelle pour produire une
représentation relative à un futur souhaitable pour l’activité ou au
terme de l’activité du sujet ; il en va de me des opérations
d’évaluation au sens strict. Ces mises en représentations, anticipatrices
ou rétrospectives des activités, ont bien pour enjeu des ensembles
sujets-activités-environnements.
3. Ces représentations finalisantes apparaissent plus particulièrement
à l’occasion d’opérations mentales d’évaluation ou d’attribution de
valeur à des activités, a priori en anticipation (détermination
d’objectifs, construction de projets), ou a posteriori en rétrospection
(évaluations proprement dites).
Comme l’explique Lavelle (ibidem p.521) à propos de l’acte d’évaluer
“ c’est lui qui caractérise l’homme et qui donne sens au monde, selon
le mot de Nietzsche (…). On peut dire que le propre de l’évaluation
c’est de déterminer la valeur d’une chose et (…) un tel caractère ne
peut apparaître que dans son rapport avec nous ”. Et pour Polin
(ibidem p.88 souligné par l’auteur) “ la valeur pure, ou valeur en tant
que telle, se confond avec l’évaluation, c’est-à-dire avec une invention
de transcendance redoublée dans un effort de réflexion
hiérarchisante ”.
Les représentations finalisantes jouent un rôle fonctionnel dans l’acte
d’attribution mentale de valeur, dans la mesure où elles sont une
expression du désirable, du souhaitable. Ce sont elles qui introduisent
au niveau mental du sujet une relation d’ordre et de hiérarchie : pour
L. Lavelle, (ibidem p.512) “ le jugement de valeur considéré sous sa
forme la plus précise garde toujours la forme du jugement
préférentiel : il est la préférence assumée et justifiée ” ; nous avons
136
écrit ailleurs que les représentations finalisantes étaient le mode de
présence des affects dans le champ des représentations.
Les représentations finalisantes se précisent et évoluent à la fois à
l’occasion des opérations de conduite mentale des activités.
4. Ces représentations finalisantes contribuent très directement à la
formation des représentations identitaires que les sujets élaborent
dans et à partir de leur histoire : elles en sont issues et contribuent à
les transformer.
Ce lien très étroit apparaît en particulier à travers les phénomènes de
plaisir et de souffrance identitaires repérables dans l’exercice des
activités, traduisant ou non les liens de cohérence établis
spontanément par les sujets entre représentations de soi issues
d’expériences en cours et représentations de soi issues de leurs
trajectoires antérieures.
Ce point a été si bien compris par certains chercheurs ou intervenants
intéressés par la question des valeurs que plutôt que d’interroger
directement les sujets sur leurs valeurs (attitude dominante qui ne
recueille que des valeurs professées, déclarées, affichées) ils les
interrogent sur les situations dans lesquelles “ ils se sentent bien ”.
Ce lien explique aussi le rapport spontanément très étroit faits par les
sujets entre leurs propres personnes et non pas les valeurs qu’ils
affirment, mais les valeurs qu’ils vivent, qu’ils éprouvent. Comme
l’explique encore Polin (ibidem p.156), l’existence de la personne
humaine particulière est à la fois la condition et le premier résultat de
la réflexion axiologique (..) la personne est à elle-même sa propre
œuvre ; elle s’invente en fonction des valeurs infiniment renouvelées
qu’elle se propose de devenir et se crée au fur et à mesure de son
action ”.
Sans grand risque de nous tromper nous pouvons faire l’hypothèse
que les représentations finalisantes contribuent encore plus
directement à celles des images identitaires qui correspondent à ce
qu’on a pu appeler l’idéal de soi ou l’image identitaire de
référence ( Barbier, Galatanu dir 1998 pp. 57, 59 et 60).
Mises en relation avec les images identitaires issues de mise en
représentation par les sujets de leurs, ces représentations identitaires
jouent un rôle essentiel dans la formation de l’estime de soi, qui est
précisément au fondement des phénomènes de plaisir et de souffrance
137
identitaire ; pour R. Polin toujours, qui s’est particulièrement intéressé
à ces questions “ le moi occupe un rang éminent dans toute hiérarchie
axiologique ” (ibidem p. 159).
5. De ce point de vue elles jouent encore un le essentiel dans ce
qu’il est convenu d’appeler les dynamiques de transformation
identitaire, qui mettent en jeu probablement, avec les affects
correspondants, plusieurs représentations identitaires liées d’ailleurs à
l’ensemble des activités du sujet, aussi bien ses activités de
transformation du monde physique et social, ses activités de pensée
que ses activités de communication (représentations de soi pour soi,
image de soi proposée à autrui, représentation de la représentation
qu’autrui se fait de soi, représentation de l’idéal de soi (Barbier-
Galatanu, dir.1998). Et on sait que le repérage de ces dynamiques est
essentiel pour la compréhension de tous les processus les processus ou
actions ayant trait à la transformation des sujets comme
l’apprentissage, l’éducation ou toute forme d’intervention du sujet sur
lui-même ou d’intervention d’autrui sur lui.
Communications sur les actions et valeurs signifiées (valeurs-
énoncés)
Dans d’autre cas encore, qui font aussi de plus en plus l’objet d’intérêt
aujourd’hui, l’engagement des sujets dans leurs activités donne lieu en
tant que tel de leur part à communications, orales ou écrites, verbales
ou non verbales. On est alors en présence de discours ou plus
largement de communications sur les actions.
Au niveau des sujets individuels, c’est le cas par exemple de toutes les
formes d’échanges ou d’interactions portant sur leurs activités,
constatables dans leurs différents lieux de vie, et dont l’objet et la
“ profondeur ” varient évidemment selon les relations personnelles
entre communiquants. C’est le cas aussi des nombreuses formes
d’écrits, privés ou publics relatifs aux activités, sociales,
professionnelles ou personnelles. D’une manière générale c’est le cas
de toutes les formes d’échanges ayant pour enjeu la subjectivité. On
notera au passage que des formes subtiles, telles que l’humour par
rapport à soi-même, appartiennent à cette catégorie : ce sont des
activités de communication à autrui ayant pour enjeu la présentation
de soi-même et de sa propre activité.
138
Au niveau d’acteurs collectifs, c’est le cas aussi bien sûr de toutes les
formes de communication interne et externe des responsables
d’entreprises ou de collectivités, en plein développement aujourd’hui.
C’est bien entendu dans ce genre de situations que l’on voit apparaître
un discours ou une communication plus ou moins directe, tenue par
ceux qui les énoncent, sur les valeurs qui les animent ou sont censées
les animer dans leurs actions. On pourra parler de valeurs dites, de
valeurs formalisées, de valeurs affichées ou de valeurs signifiées.
La dénomination la plus large et la plus juste, mais pas forcément la
plus élégante, est la notion de valeurs signifiées, mais il importe de
voir que les valeurs formalisées, c’est-à-dire mises en discours, en
énoncés propositionnels, occupent une place essentielle et ont un
statut particulier au sein des valeurs signifiées ; elles se distinguent
aussi clairement aux yeux de tous des préférences d’engagement et
des représentations finalisantes.
Les valeurs formalisées ou signifiées correspondent en fait à ce que
pour les sujets il importe de dire ou de communiquer relativement à
leurs engagements dans des activités.
1. Les valeurs formalisées ou signifiées appartiennent à l’univers des
communications entre sujets et doivent donc être analysées avec les
outils utilisables dans l’approche de ces activités.
Le plus important nous paraît être de dire que les communications
fonctionnent comme des offres de significations à intention et à effet
de construction de sens chez les destinataires de ces communications ;
ce que le sujet communiquant veut dire ou ce qu’il veut signifier n’est
pas l’équivalent de ce qu’il veut faire en disant ou en signifiant
(Galatanu, ibidem) ; et ce qu’il fait ou les constructions de sens
qu’opère le destinataire ne sont pas l’équivalent de qu’il veut faire. Il
importe donc de distinguer de façon rigoureuse significations et sens,
même si de notre point de vue les significations ne sont pas seulement
des conventions sociales, marquées par une certaine stabilité, mais
qu’elles se présentent sous la forme de configurations singulières ; la
signification est pour nous le complexe intentionnel spécifique qui
accompagne une mobilisation de signes dans le but de produire des
effets de sens (Barbier in : Barbier, Galatanu dir 2000 p.72).
139
Dire donc que les valeurs signifiées appartiennent à l’univers des
communications c’est donc rappeler tout cela, et c’est rappeler aussi
que le sujet communiquant en communiquant offre aussi à autrui une
image de lui-même en tant que sujet communiquant, ce qui n’est pas
sans incidence lorsque celui-ci énonce des valeurs.
On se souviendra aussi que les communications peuvent s’effectuer
aussi par des gestes ou par des actes, mais qu’elles n’en restent pas
moins des communications, comme on le voit dans tous les
comportements ostensifs (montrer l’exemple) ; c’est ce qui justifie
précisément cette dénomination large de valeurs signifiées.
Les valeurs formalisées ou signifiées doivent donc être explicitement
considérées, même si cela peut paraître paradoxal, et si cela n’a rien
de péjoratif, a priori comme des instruments d’autres intentions de
la part du locuteur (notamment intention d’influence sur autrui par
effet de construction de sens).
Sur le plan méthodologique l’accès aux valeurs formalisées est bien
sûr plus aisé que l’accès aux représentations, encore que l’on doive
déplorer comme nous l’avons suggéré une confusion constante entre
les deux dans la plupart des analyses de contenus.
2. Les valeurs formalisées ou signifiées ont trait à des activités, ou
mieux encore ce que nous avons appelé des ensembles sujets-
activités-environnements.
S’il fallait s’en convaincre, les différentes typologies (et les
hiérarchies) élaborées dans le domaine des valeurs le montrent assez
bien ; elles correspondent en général aux typologies (et aux
hiérarchies) que font leurs auteurs dans le domaine des activités : par
exemple activités hédoniques (plaisir), productives (l’utile ou le
pragmatique), sociales (le bien commun), esthétiques (le beau),
affectives (l’amour), intellectuelles (le vrai ou l’épistémique),
spirituelles (le salut), etc.
Ces valeurs formalisées se présentent généralement comme des
énoncés propositionnels relatifs aux principes tenus ou à tenir dans
les conduites ; elles sont donc marquées par un effort de
conceptualisation et éventuellement de décontextualisation. Max
140
Scheler parlait de Wertaussagen, ce qui équivaudrait à expression
théorique des valeurs.
3. Lorsqu’elles sont signifiées dans un contexte donné, les valeurs
formalisées correspondent le plus souvent à un enjeu d’ostension de
soi (individuel ou collectif) ou dimage de soi donnée à autrui (et
éventuellement à soi-même)
Il s’agir là d’un point essentiel :
a) Cet enjeu apparaît assez clairement à travers ce qu’on a pu appeler
la “ vague éthique ” contemporaine dans les entreprises (Revue
‘Projet’ Hiver 1990-1991) et dans les organisations. Cet enjeu
d’ostension est même quelquefois explicité : pour Hirsch, professeur
d’éthique dans une faculté de médecine et responsable de l’“ Espace
Ethique ” (2002 Editorial) de l’Assistance Publique des Hopitaux de
Paris ,“ l’hôpital se doit donc d’afficher et d’affirmer une exigence
significative dans le domaine de l’éthique. Il y va non seulement de
ses missions mais du fondement de sa légitimité dans un contexte
de nouvelles formes de médiations s’imposent. L’éthique hospitalière
touche au quotidien de la relation de soins, aux rapports
interindividuels, aux choix institutionnels. Un établissement peut être
apprécié au regard du niveau de préoccupation éthique assumée et
partagée par les intervenants ”. Pour beaucoup d’entreprises
l’adoption d’une “ charte éthique ” dans les années 1980-1990
s’inscrivait explicitement dans une politique de communication.
L’argument à même été utili à propos des valeurs boursières
“ éthiques ”, et l’on sait qu’à la fois ce label pouvait qualifier
indûment les activités labellisées, mais pouvait aussi ne pas garantir la
tenue boursière de ces mêmes valeurs.
b) Il est apparu également à un certain nombre d’auteurs ayant eu à
réfléchir sur la spécifici du politique. Ainsi, Arendt caractérise
l’activité politique comme étant de donner à voir en acte et en parole
qui on est (éd.fr. 1983 souligné par nous). Pour le Jean-Jacques
Rousseau de l’Emile (1762), ceux qui voudront traiter séparément la
politique et la morale n’entendront jamais rien à aucun des deux.
141
c) Plus fondamentalement il est possible probablement d’établir un
lien entre communications sur ses propres activités, et notamment
sur les valeurs qui sont censées les inspirer (d’où la thématique sur
les valeurs qui “ fondent ”), et démarches d’affirmation de soi par
rapport à autrui.
Un lien général de ce type est d’ailleurs établi par Arendt (ibidem
pp 232 et 235) : “ c’est par (la parole et l’action) que les hommes se
distinguent au lieu d’être simplement distincts (…). Cette révélation
de qui est quelqu’un est implicite aussi bien dans ses actes que dans
ses paroles ; il est clair, cependant que l’affinité entre la parole et la
révélation est beaucoup plus intime qu’entre l’action et la révélation ”.
Ce lien est aussi au fondement de nombre de travaux sociologiques,
comme ceux de Goffman sur la notion de ‘face’ définie comme la
valeur sociale qu’une personne revendique effectivement à travers sa
ligne d’action ”, ou de Bourdieu sur la distinction et de travaux en
psychologie, psychologie sociale ou psychanalyse, comme ceux de
Winnicot (1960) sur le faux-self ou comme ceux entrepris sur la
notion de persona ou la notion de narcissisme secondaire.
d) Ce lien est probable au niveau individuel, mais il l’est tout autant
au niveau au niveau des groupes humains : l’affirmation de “ valeurs
collectives constitue probablement le moyen le plus efficace
d’affirmation des groupes par rapport aux autres groupes et de faire
appel à des identités collectives ” qui à la fois incluent et excluent.
Ce lien est probablement au fondement de la relation intime que l’on
peut établir entre la notion de valeur et la notion de culture : la
notion de culture au sens large peut en effet désigner l’ensemble des
activités que dans ses communications avec d’autres groupes, un
groupe humain considère comme caractéristique de son identité
(Barbier- Galatanu coord., à paraître). Pour René Kaës, la culture est
l’ensemble des dispositifs de représentations symboliques
dispensateurs de sens et d’identité, à ce titre organisateurs de la
permanence d’un ensemble humain, de ses processus de transmission
et de transformation ; elle comporte nécessairement un dispositif
d’auto-présentation, qui implique la représentation de ce qui n’est pas
elle, de ce qui lui est étranger, ou de ce qui lui est attribué . La notion
de culture est en plus large que la notion de valeur puisqu’elle peut
comporter par exemple des savoirs ou des produits matériels de
l’activité humaine, mais les valeurs affichées par un groupe comme
142
caractéristiques de lui-même sont au cœur de sa culture. Elle lui
permet de s’affirmer comme une communauté fondée sur des
valeurs partagées.
4. La formalisation, l’affichage ou la “ signification ” de valeurs
s’inscrit donc de façon tout à fait explicite dans les relations entre
acteurs sociaux (individus et groupes) et dans leurs stratégies
réciproques.
a) l’affirmation de valeurs accompagne très fréquemment des
dispositifs d’intervention sur autrui.
On le constate bien entendu dans les pratiques éducatives, mais
également dans le travail social, dans la santé (voir la contribution de
C.Gilioli dans cet ouvrage) et plus généralement dans le monde des
“ institutions censées exercer leur rôle au nom de valeurs d’intérêt
général. On le constate aussi dans le domaine législatif où le discours
sur les valeurs suit ou accompagne au moins aussi souvent qu’il ne
précède l’adoption de mesures d’intervention sur autrui. On le
constate de façon plus voyante encore dans des cas d’exercice
explicite de la violence sur autrui souvent accompagné d’un discours
très investi en valeurs comme on le voit clairement aujourd’hui dans
les conflits internationaux..
Dans tous ces cas les valeurs affichées sont qualifiées par les sujets
qui les énoncent comme ayant une portée universelle. Dans le cas de
la gestion des entreprises, cela peut conduire par exemple à un projet
universaliste d’outils de gestion (Pesqueux 2000).
b) la perspective, souvent proposée aujourd’hui de “ discussion sur
les valeurs ” au sein d’un groupe humain répond souvent à une
intention très directe d’accroître la cohérence et la cohésion de ce
groupe, y compris par rapport à ses partenaires.
Il est intéressant d’observer que c’est en fait une perspective de ce
type qu’offre Habermas en proposant une éthique pragmatique du
langage et de la discussion (1992 éd .fr.), une éthique de
la “ communication de tous les jours ”, permettant notamment aux
communiquants de classer les critères grâce auxquels ils jugent que
leurs actions ou leurs échanges avec les autres ont réussi ou non. La
discussion déterminerait à la fois l’“ efficacité ” et la “ légitimité
d’une proposition. Le vécu d’affects et d’émotions collectives peut
143
contribuer largement “ à la construction en commun de la signification
d’un ensemble d’expériences vécues ainsi qu’à la constitution de bien
des attentes partagées ” (P. Karli 2000 p.104).
c) dans beaucoup de cas, la formalisation de valeurs est explicitement
liée à la construction de conventions, de règles ou de normes de
conduite, discutées ou imposées.
Pour Polin “ une valeur est sociale dès qu’elle n’exprime plus une
invention personnelle et spontanée de la transcendance, dès qu’“ elle
vaut pour les autres, dans la mesure elle leur est imposée, soit que
les autres la réévaluent et la choisissent, se l’imposent de façon
autonome, soit qu’ils l’acceptent comme un donné transcendant
nécessaire ”. Rappelons que les normes sont en fait des incitations ou
des obligations de conduite qui s’imposent de façon régulière à un
agent sous peine de sanctions. (Pharo 2000)
d) enfin la signification de valeurs, leur formalisation des et
transmission apparaît comme un outil majeur de reproduction et de
positionnement des groupes humains les uns par rapport aux autres
Le phénomène est constatable au niveau des familles et des classes
sociales. Dans ses recherches sur la transmission des valeurs
familiales E. Mension-Rigau (1994) voit ainsi dans l’énon des
valeurs familiales et dans l’évocation du passé une mise en scène de
soi par soi ” et distingue sur ce plan classes-objets et classes-sujets.
Les classes sujets sont celles qui parviennent à contrôler leur propre
image, à imposer les normes de leur propre perception et qui arrivent à
être perçues comme elles se perçoivent. Un lien très direct peut être
fait entre mémoire de groupe, identité sociale de groupe , stratégie de
groupe et affirmation de valeurs.
Mais le même phénomène est également repérable au niveau de
grands groupes humains, nations ou ensembles culturels : il est
probable qu’alors la transmission formelle de ces valeurs puisse passer
par des objets culturels aussi variés et importants que les catégories du
langage, l’histoire, la littérature ou les arts.
144
Une solidarité de transformation ?
Le travail sémantique et théorique que nous venons de faire a, nous
semble-t-il, un certain nombre d’incidences pour la recherche sur les
valeurs en rapport avec les activités humaines, tout particulièrement
sur la construction des objets (comportements, représentations ou
communications), sur l’énon d’hypothèses cohérentes avec ces
objets, et sur la production d’informations congruentes avec ces objets
et hypothèses. Il permet de mieux comprendre la fonction d’un certain
nombre d’ambiguïtés et de “ présupposés ” latents du discours social
sur une question aussi sensible. Si l’on admet en effet que ce qui
fonde, c’est ce qui contribue directement à une construction, on peut
admettre que la morale ou l’éthique, quand elles se présentent en tant
que discours, puissent être fondées sur d’autres énoncés ; il en va de
même des représentations-référents par rapport à d’autre
représentations ; en revanche on comprend plus mal (mais on voit la
fonction sociale de cet énoncé) que des pratiques entendues comme
des activités effectives puissent être fondées au sens strict sur des
valeurs formalisées.
Reste cependant un point essentiel, soulevé au début de ce texte :
quels liens peuvent exister de fait, dans le développement de l’activité
globale d’un sujet, entre ce que nous avons appelé préférences
d’engagement, représentations finalisantes et valeurs signifiées, et au-
delà entre les activités auxquelles elles appartiennent, activités qui se
trouvent de fait associées dans l’histoire de ce sujet ?
Sans avoir l’ambition de répondre à une question aussi vaste et
difficile dans un texte aussi court, nous pouvons faire quelques
observations et hypothèses en ce sens :
1. Préférences d’engagements, représentations finalisantes et valeurs
signifiées sont en perpétuelles transformations.
Nous avons déjà fait cette remarque, contraire peut-être d’ailleurs à la
position “ objectiviste ” sur les valeurs : l’histoire des sujets montre à
la fois une unité globale de leur activité (permettant la construction de
représentations identitaires globales, me dans les cas dits
145
pathologiques) et une constante évolution de leurs préférences
d’engagement, représentations finalisantes et valeurs signifiées :
- tous les construits précédemment évoqués pour rendre compte des
rapports-en-acte entre sujets-activités-environnements, comme les
notions d’habitus, de schème, de pattern, de montage, d’organisateur,
d’activités, etc. sont présentés par leurs auteurs comme des produits
de l’histoire des sujets, individuels et/ou collectifs, susceptibles
d’évolutions en fonction du développement même des activités des
sujets et des évolutions de leurs environnements. Il en va de même des
notions d’intérêt ou d’ethos, plus directement relative à la hiérarchie
établie par les sujets entre ces rapports-en-acte.
- dans le développement des activités de conduite et de gestion des
actions, on constate également une évolution continue des attentes ou
des représentations du souhaitable /désirable par les sujets. Objectifs,
projets, évaluations n’arrêtent pas de se modifier tout au long des
actions (Bourgeois..). On le voit bien notamment dans l’opération de
détermination des priorités, opération évolutive de mise en ordre
précisément par les sujets de leur hiérarchie d’objectifs “ en
situation ”.
- enfin en ce qui concerne les valeurs signifiées, s’il est
caractéristique dans un certain nombre de contextes que ces valeurs
soient considérées ou qualifiées d’universelles par les sujets
individuels ou collectifs qui les énoncent ou les signifient, il est tout
aussi caractéristique que leur contenu et leur hiérarchie mêmes soit
variables. Pour les auteurs du Dictionnaire critique de Sociologie
(1994 pp.664, 668 et 667 Article Valeurs, probablement écrit par
Bourricaud, souligné dans le texte), “ les valeurs ne sont rien de plus
que des préférences collectives qui apparaissent dans un contexte
institutionnel, et qui par la manière dont elles se forment , contribuent
à la régulation de ce contexte (…). Dès que l’on aperçoit la liaison
entre les systèmes de valeurs et les traditions, on s’aperçoit que les
systèmes de valeurs constituent des systèmes ouverts (…). Pourtant ,
la conception comparatiste et génétique des valeurs ne doit jamais
nous faire oublier qu’elles peuvent faire l’objet d’une adhésion et
d’une “ conviction ” subjectives qui répugnent invinciblement à la
démarche gradualiste et comparatiste ”. Pour prendre le cas des
entreprises et des organisations, il est frappant de constater que les
nouveaux modèles de management promus soient d’une certaine façon
des modèles “ inversés ” par rapport aux modèles antérieurs :
146
optimisation de la production non plus par spécialisation, mais par
recomposition d’activités, valorisation de la compétence par
opposition aux savoirs et qualifications, etc. Des phénomènes
analogues sont évidemment repérables dans les trajectoires
individuelles, notamment sur la longue durée.
2. Chaque fois que l’on constate de telles transformations, on constate
également la présence de ruptures ou d’écarts entre le cours habituel
d’activité du sujet et une expérience en cours, remettant en cause les
rapports sujets-activités-environnements et/ou leur hiérarchie.
- la présence de tels écarts apparaît bien évidemment à l’occasion
d’opérations mentales de conduite ou de gestion des actions, puisque
l’évaluation par exemple a pour but précisément le repérage de tels
écarts. On peut la caractériser en effet comme une opération de mise
en relation entre une représentation finalisante (représentation du
souhaitable), issue de l’expérience antérieure du sujet, et une
représentation finalisée issue de l’expérience encours (représentation
de la situation actuelle ou de l’activité réalisée au regard de
l’engagement du sujet) mettant ou non en relief de tels écarts.
- mais on peut repérer également la présence de telles ruptures dans
l’engagement même d’activités, du fait par exemple d’évolutions de
l’environnement, qui font apparaître un décalage entre routines ou
stéréotypes d’activités déclenchées par un élément perceptif en
situation, et les réactions de l’environnement aux activités ainsi
déclenchées. Un bon exemple peut être trouvé par exemple par la mise
à jour en cours d’activité de conflits d’intérêts entre sujets.
- de tels écarts peuvent être observés aussi à l’occasion d’activités de
communication, par exemple dans toutes les situations de gêne, où
“ l’on constate des décalages entre ce qui est signifié par un sujet et ce
qui est attendu de la part des destinataires de la communication ”
Comme l’indiquent encore les auteurs du Dictionnaire critique de la
Sociologie (éd de 1994 p.667 souligné par nous), “ si l’on adopte un
point de vue génétique, on s’aperçoit (…) que pour l’historien et le
sociologue elles se sont formées au cours du temps par confrontation
avec les paradoxes de l’expérience sociale ”.
147
3. Ces ruptures ou écarts s’accompagnent, sur le plan des affects, par
l‘apparition d‘émotions.
Si nous convenons d’appeler affects les éprouvés psychiques,
individuels ou partagés, qui accompagnent un processus mental,
physique ou social, nous constatons que la présence de telles ruptures
entre le cours habituel de l’activité et une expérience en cours se
traduit sur le plan des affects par ce qu’il est convenu d’appeler une
émotion. “ L’émotion est, rappelons-le, aux yeux de P. Livet (2002,
p.23, souligné par l’auteur), la résonance affective, physiologique et
comportementale d’un différentiel entre un ou des traits perçus (ou
imaginés ou pensés) de la situation en cause, et le prolongement de
nos pensées, imaginations, ou perceptions actuellement en cours. Ce
différentiel est apprécié relativement à nos orientations affectives
actuelles (désirs, préférences, sentiments, humeurs), que ces
orientations soient déjà actives ou qu’il s’agisse de nos dispositions
actuellement activables. Plus ce différentiel est important, plus
l’émotion est intense. Il suppose une dynamique, qui peut simplement
tenir à nos anticipations cognitives et perceptives, ou bien impliquer
une mise en branle de nos désirs, ou enfin un engagement dans une
action. ”
Les émotions présentent notamment quatre caractères :
a) elles sont individuelles et/ou partagées, selon qu’elles impliquent
une dynamique d’activité et une expérience en cours individuelle ou
collective ; on pourra parler selon les cas d’émotions individuelles ou
collectives.
b) nous faisons l’hypothèse qu’en tant qu’éprouvé psychique, elles
affectent les sujets de façon globale, quel que soit le (ou les)
domaine(s) où sont apparus la rupture ou le différentiel. Des émotions
très proches peuvent être vécues comme on le sait à l’occasion
d’activités de pensée, d’activités imaginaires, et/ou d’activités
“ réelles ” comme on le voit bien dans l’impact des œuvres
d’imagination. Et l’incitation aux démarches de projet utilise souvent
la production par les sujets de représentations anticipatrices et/ou
rétrospectives de l’action pour leur donner envie de faire, de s’engager
ou de se réengager (ce qui a pu être appelé la “ force des images ”).
148
c) elles peuvent avoir aux yeux des sujets un caractère relativement
discret comme les “ micro-émotions ” à l’occasion d’échanges
conversationnels, ou au contraire un caractère manifeste et reconnu,
comme ce qu’il est convenu d’appeler les “ expériences
significatives ”.
d) elles sont vécues par les sujets comme des tensions , génératrices,
au sens étymologique du terme (ex-movere), de nouvelles activités.
Mieux encore, on peut penser qu’il n’y a pas d’actions sans émotions.
C’est ce que nous allons examiner maintenant.
4. Les émotions sont à leur tour inductrices d’une grande diversité
d’activités nouvelles, orientées de fait vers la résolution de ces
tensions.
Comme l’explique Sartre : “ A présent nous pouvons concevoir ce
qu’est une émotion. C’est une transformation du monde ” (p.43). Pour
Fridja (1986), psychologue spécialiste de l’étude des émotions, les
émotions sont des changements dans la disposition (ou la préparation
à l’action). Et Livet (2002 p.29) distingue sur ce plan “ émotion
négative ” et “ émotion positive ” selon les cas, écrit-il, “ l’émotion
suspend (…) notre activité en cours (dans le cas d’une émotion
négative ou d’une surprise) ou bien elle lui donne une accélération
(dans le cas d’une émotion positive) ”.
a) les émotions peuvent générer bien entendu d’emblée une
transformation du cours habituel d’activité, assimilable à une réaction,
adaptée ou non, à l’évolution de l’environnement, sans comporter
l’engagement d’une activité de réflexion proprement dite sur la
nouvelle situation.
b) les émotions peuvent générer le développement d’une activité de
pensée spécifique sur la situation. Pour Freud (1911 p.191)la pensée
commence avec la représentation devenue nécessaire pour tolérer
l’expérience du manque : “ la suspension, devenue nécessaire, de la
décharge motrice est assurée par le processus de pensée qui se forme à
149
partir de l’activité de représentation ”. Pour Bion (p.151) on peut
classer les pensées suivant la nature de leur développement
chronologique, en préconceptions, en conceptions ou pensées, et pour
finir, en concepts (…) je limiterai le terme “ pensée ” à l’union d’une
préconception avec une frustration ”.
c) les émotions peuvent générer une activité de refoulement des
représentations formées à l’occasion de la situation initiale, ce
refoulement ayant précisément pour fonction de faciliter la résolution
de ces tensions ; la notion d’inconscient, qui mériterait d’être mieux
construite à partir d’une entrée activité, est souvent évoquée dans ce
type de situation. Mais les émotions peuvent générer également une
activité de transformation des représentations initiales de la
situation : “ Il s’agit en somme, écrit Sartre (éd. de 1995 p.47), de
faire du monde une réalité affectivement neutre, un système en
équilibre affectif total, de les amener tous au zéro affectif et, par la
même, de les appréhender comme parfaitement équivalents et
interchangeables. Autrement dit, faute de pouvoir et de vouloir
accomplir les actes que nous projetions, nous faisons en sorte que
l’univers n’exige plus rien de nous. ” Elles peuvent encore induire une
transformation des attentes et représentations finalisantes initiales,
appelée révision par Livet ( 2002 p.28) : Si le différentiel est
cognitivement significatif, si la situation contredit les conclusions de
nos attentes implicites, nous avons une raison de réviser ces attentes
pour être plus en accord avec notre environnement ”.
d) les émotions peuvent aussi générer des activités
communicationnelles entre sujets : par exemple dans les cas de
conflits d’intérêts en vue de l’établissement d’accords, de règles ou de
conventions.
Ces différentes activités ne sont pas forcément alternatives : elles sont
souvent associées dans la résolution des tensions et cette association
constitue l’objet naturel de l’analyse des activités humaines. Il nous
paraît toutefois important par rapport à notre objet de formuler deux
hypothèses spécifiques :
150
= touchant le rapport activités-représentations-communications. S’il
n’est pas sûr que des changements de représentations aient une
incidence directe sur l’engagement des activités, ils ont en revanche
une incidence directe sur les conceptions et les cultures
d’accompagnement de ces activités ; c’est probablement par le biais
des affects et des émotions induits par ces conceptions et cultures
d’accompagnement des activités que s’exerce l’influence des
représentations sur l’engagement même de ces activités ; la
découverte d’une solutiond’action donne envie de faire et facilite
le travail représentationnel en accompagnement de ce faire. De la
même façon l’influence des activités de communication sur
l’engagement des activités passe probablement d’une part par la
médiation des constructions de sens opérées par les sujets à
l’occasion de ces communications, d’autre part par la médiation des
affects et émotions provoquées par ces construction de sens.
= touchant plus précisément le lien préférences d’engagement-
représentations finalisantes-valeurs signifiées : il est probable que
c’est à l’occasion de ruptures ou de calages, et donc d’émotions,
touchant la place même des sujets dans les activités, sa mise en
représentation et sa mise en discours, que s’effectue une activité de
réorganisation, de révision, par les sujets de leurs hiérarchies de
rapports sujets-activités-environnement, révision qui touche à la fois
les engagements d’activités, les représentations finalisantes et les
valeurs signifiées.
5. Ces nouvelles activités induisent à leur tour de nouveaux affects
Ces affects peuvent être fort variables bien entendu ; mais nous
pouvons également faire l’hypothèse que selon qu’il existe ou non
pour les sujets une grande cohérence entre leurs préférences
d’engagement, leurs représentations finalisantes et leurs valeurs
signifiées, les actions sont vécues sur le plan des affects comme des
actions plus ou moins réussies ou plus ou moins heureuses et qu’elles
aient un effet d’expression auprès d’autrui comme telles (Taylor
1999). Il est probable aussi que les évaluations par les sujets de leurs
propres actions, surtout lorsque leur explicitation est provoquée,
jouent un rôle de mise en représentation et de mise en discours de
leurs propres affects.
151
Les cohérences et équilibres entre préférences d’engagement,
représentations finalisantes et valeurs signifiées ont été souvent
étudiées au niveau des groupes humains, notamment par l’histoire des
mentalités, par la sociologie compréhensive ou par la sociologie
phénoménologique. Un exemple classique de ce type de travaux nous
est donpar l’ouvrage célèbre de Weber sur “ l’Ethique protestante
et l’esprit du capitalisme ” qui établit de fait un lien entre gestion du
plaisir différé dans l’engagement des activités (l’“ ethos
spécifiquement bourgeois de la besogne (éd. de 1964 p.217,
souligné par l’auteur), calcul rationnel dans les représentations
d’accompagnement des activités, et éthique du devoir dans les affaires
temporelles, de la prédestination et du salut après la mort dans le
domaine des valeurs signifiées. De telles cohérences fondent d’ailleurs
son approche méthodologique en termes d’idéaux-types, liant de fait
comportements, représentations et valeurs professées.
D’autres exemples nous sont proposés par des historiens, comme les
travaux de Le Goff (1997 p.165) sur les hérésies médiévales, qui
établit a contrario un lien entre la dévalorisation par leurs adeptes du
travail et de la vie matérielle, assimilés à l’ordre établi, et la capacité
de ces hérésies à organiser leur propre perdurance.
Au total, il nous semble possible de faire deux hypothèses fortes,
même si elle gardent un caractère général :
- c’est à l’occasion de leurs transformations, et plus précisément de
leurs transformations conjointes, que se manifeste le lien le plus fort
entre préférences d’engagement, valeurs finalisantes et valeurs
signifiées. Ces transformations sont probablement des
transformations solidaires.
- les émotions et affects apparus dans l’histoire des sujets notamment
par confrontation entre leur expérience en cours et leurs différentes
dynamiques d’activités antérieures jouent un rôle essentiel dans ces
transformations.
152
“ Vague éthique ” et “ retour des valeurs ” : le discours social
éthique contemporain
Pourquoi parle-t-on tant d’éthique aujourd’hui, et notamment
d’éthique professionnelle ?
Si nous revenons sur un des constats effectués au début de ce texte et
une des raisons mêmes de cet ouvrage collectif, nous sommes amenés
à constater qu’en effet, depuis une vingtaine d’années environ sont
apparues dans les entreprises et dans les organisations une
valorisation sociale nouvelle des discours sur l’éthique et les valeurs,
qu’il importe de mieux comprendre.
Cette valorisation ne se limite pas, loin de là, au monde professionnel ;
elle est présente dans toutes les formes organisées de la vie sociale, du
moins dans la conjoncture actuelle des sociétés occidentales. Elle
s’inscrit probablement dans des cultures de pensée et d’action
beaucoup plus larges, qui présentent d’ailleurs de multiples autres
facettes, éventuellement cohérentes avec elle, comme la valorisation-
injonction de subjectivité.
Mais si nous limitons au monde professionnel, les formes en sont
assez variées : introduction directe de la référence à l’éthique et aux
valeurs dans le discours du management et de la gestion, constitution
d’une éthique des affaires, élaboration de chartes éthiques,
objectivations et formalisations de cadres éthiques, pressions à des
engagements formels de respect de conventions et d’accords,
constitution de portefeuilles de “ valeurs éthiques ”, notations
éthiques, introduction de délibérations éthiques dans les processus de
prise de décision, etc.
Dans l’analyse de ces phénomènes, il ne faut pas méconnaître bien
entendu l’impact des données culturelles plus générales : comme nous
l’avons vu les valeurs signifiées sont une composante importante de
ces cultures. Ce n’est pas un hasard de ce point de vue si dans le
discours me des entreprises une prise de distance a pu être opérée
par rapport à ces modèles culturels globaux (notamment anglo-saxons)
et à leur tendance à l’universalisation.
Par ailleurs la référence aux valeurs et à l’éthique joue des fonctions
diverses selon les contextes.
153
Pris globalement toutefois, ce mouvement peut faire l’objet de
plusieurs constats et interprétations :
1. On peut penser tout d’abord qu’indépendamment des spécificités du
discours éthique contemporain, l’émergence ou la re-émergence d’un
discours sur les valeurs, sur leur perte et sur leur reconstruction, est un
phénomène itératif, qui accompagne les périodes de crise et de
recomposition sociale. L’histoire en offre en effet de multiples
exemples, à commencer par la crise économique et sociale ouverte
dans les années 30.
Nous faisons ainsi l’hypothèse que, chaque fois que se trouve en jeu
une recomposition de fait de l’organisation sociale d’un ensemble
d’activités, à un niveau micro-social ou à un niveau macro-social, se
trouvent par là même mis en cause les univers de représentations
finalisantes et de valeurs signifiées produits par les sujets individuels
et /ou collectifs concernés, et par prolongement, leurs représentations
identitaires et leur cultures.
Un discours social tenu sur l’éthique et sur les valeurs procède
souvent dans ces conditions d’une intention de régulation ou de
recomposition identitaire, individuelle ou collective, dans des
situations de tension (Ignasse-Lenoir 1998 pp. 74 à 76). Il relève
d’une préoccupation de cohésion individuelle et collective, évoquée
précédemment, et rôle d’ailleurs traditionnellement assigné aux
valeurs par les grands sociologues classiques, comme Durkheim et
Weber. Ce discours est souvent tenu à l’initiative des acteurs qui
disposent d’un pouvoir dans les processus de réorganisation
d’activités qui s’opèrent : il est frappant par exemple de constater
qu’en France l’entreprise ait pu bénéficier dans les années 80 d’une
légitimité à tenir un discours éthique, insoupçonnable vingt ans
auparavant.
La mise en discussion au sein d’un groupe humain de valeurs
supposées communes joue la même fonction ; elle a dans le même
temps une fonction d’affirmation ou de ré-afffirmation aux yeux de
ses membres de la cohésion de ce groupe et de leur appartenance, et
une fonction d’optimisation de la coordination de leurs activités dans
le cadre d’une même action collective. L’éthique est alors définie
‘ comme un ensemble de valeurs partagées préalablement discutées et
servant de référence à l’action ’ (Dupouey), ce qui est très proche des
définitions données dans le cadre de la démarche de projet.
154
2. Le discours éthique contemporain a cependant une spécificité :
faire entrer les valeurs formalisées ou signifiées dans des stratégies
économiques proprement dites, comme outil de valorisation des
organisations et de leurs produits sur les marchés.
Il s’agit là d’un phénomène nouveau, à relier avec des évolutions
économiques et sociologiques plus larges : le fait pour une
organisation productive ou des produits de pouvoir bénéficier, de
façon justifiée ou non, d’attributs sociaux qualitatifs relatifs aux
conditions de production et d’usage de ces produits peut leur assurer
une visibilité et une désirabilité particulière auprès de groupes entiers
d’acheteurs ou de clients (y compris investisseurs), sur les différents
marchés ils peuvent se trouver. C’est ce qui explique les cotations
et autres évaluations éthiques, et l’introduction de ces préoccupations
dans les stratégies de communication externe des grandes entreprises
et organisations.
Ce phénomène touche à la fois les entreprises industrielles et le monde
des services, comme on la vu précédemment dans le domaine de la
santé.
Il s’inscrit aussi dans le développement des démarches de qualité,
dans la thématique de la citoyenneté de l’entreprise, et plus
généralement dans ce qu’on a pu appeler le développement d’une
économie de services, centrée sur les usages.
3. Plus fondamentalement, l’introduction non plus seulement d’un
discours, mais d’une réflexion ou d’une délibération éthique dans
les lieux professionnels parait faire partie de la mise en place,
formelle ou réelle, de modes d’organisation du travail et de la
production tendant à valoriser la participation des opérateurs, et
s’inscrivant dans une stratégie d’intervention sur les rapports sociaux.
Une assez bonne introduction à cet aspect est donnée par Serge
Feneuille, professeur des universités, membre du comité exécutif et
conseiller du président de Lafarge (Bonnafous- Boucher, Pesqueux pp
45-47) : “ Tout le monde est maintenant à peu près d’accord, écrit-il,
pour dire que la mission de l’entreprise est avant tout de créer de la
valeur économique, mais les ultra-libéraux vont au-delà en orientant la
mission de l’entreprise vers la création de valeurs au profit des seuls
155
actionnaires, et par en refusant de fixer à l’entreprise des objectifs
premiers qui soient tournés vers d’autres partenaires de l’entreprise :
employés, clients et consommateurs pour ne citer qu’eux. (…) A cet
égard, la tradition américaine donne une place privilégiée à la loi et au
simple jeu des rapports de force entre groupes de pression pour
assurer, qu’en terme de valeur économique, globalement, la création
finira par l’emporter sur la destruction (…). La tradition européenne et
notamment française aime à rechercher les processus régulateurs (...).
Au fond le retour de l’éthique n’est-il pas simplement dû (…) à la
conviction de plus en plus partagée que les solutions centralisées et
purement rationnelles se révèlent inapte à gérer cette complexité ?
L’éthique n’apparaît-elle pas aujourd’hui comme cet ensemble de
processus de régulation interne qui, témoignant de la volonté des
acteurs du système de cohabiter de façon pérenne (…) ”.
D’autres observateurs (Feldmann 2000 pp.14-15) ont pu noter aussi,
en dehors de l’entreprise, qu’“ on voit assez fréquemment ce qui était
considéré hier comme partie prenante du politique se ranger
aujourd’hui sous le signe de l’éthique (...). Ce glissement semble
correspondre, dans une société où les classes moyennes ont acquis la
prépondérance, à une certaine mise en veilleuse d’une vision
conflictuelle des rapports sociaux en termes de pouvoir, remplacée par
celle de la prolifération de problèmes individuels, interindividuels ou
inter-groupes, avec, souvent, leur pathologisation ”.
Tout se passe comme si l’introduction d’espaces de réflexion ou de
délibération éthique dans les lieux professionnels correspondait à
l’octroi, formel ou réel, d’une possibilité pour les salariés de
construire (d’ailleurs quelquefois à défaut d’intérêts économiques
proprement dits), des sens et des significations qui leur soient
spécifiques, à coté, en lien ou en différenciation avec ceux construits
par les responsables des entreprises et organisations, souvent sous le
regard même de ces derniers. Les auteurs de certains ouvrages sur
l’éthique ne s’y trompent d’ailleurs pas trop (Claude 2000), qui
parlent d’une “ Ethique personnelle en plus de l’éthique des affaires ”,
qui voient dans l’éthique “ une action de construction ” et qui voient
trois entrées dans “ le questionnement éthique des actions ” : le
rapport à soi (conforter son estime de soi), le rapport aux autres
(donner confiance aux autres), le rapport à l’entreprise (produire du
sens) dans une intention de développement personnel et collectif.
156
Cette fonction est très proche de certains courants actuellement en
faveur dans les entreprises et organisations, comme la référence au
“ gagnant-gagnant ” et plus classiquement au partenariat.
Mais sa signification peut être élargie : elle fait écho probablement à
des courants sociaux d’ampleur plus vaste encore comme la
valorisation de tout ce qui fait sens pour l’individu, dans le domaine
du travail bien sûr, mais aussi dans le domaine religieux (Hervieu-
Léger 2002), dans le domaine éducatif, dans le domaine de la santé, et
plus fondamentalement encore dans le domaine des décisions touchant
sa propre vie ou survie. On est alors plus seulement dans le domaine
de l’organisation du travail et de la production, mais plus largement
dans le domaine des modes sociaux d’organisation des activités
humaines.
La question des interventions sur autrui
Bien entendu dans le domaine de l’éthique professionnelle il existe
une spécificité relative des activités professionnelles ayant pour objet
l’intervention sur autrui/sur d’autres activités humaines. C’est le cas
de la formation et plus généralement de l’éducation, mais aussi du
travail social, du management des personnes, de la santé, des
interventions culturelles, de l’ergonomie, du conseil, de l’information-
communication, etc., domaines privilégiés d’ailleurs d’émergence de
codes et de démarches déontologiques. Ceci n’est évidemment pas
sans conséquences sur la conduite de recherches ayant trait à ces
activités .
Sur ce point, nous pouvons faire plusieurs remarques :
1. Les cultures d’accompagnement des interventions professionnelles
sur autrui sont habituellement surinvesties en énoncés porteurs de
valeurs.
Ces énoncés varient selon les champs d’intervention considérés, selon
les aires culturelles concernées, et selon les contextes socio-
historiques : selon les cas sont promus par exemple l“ achievment ”,
l’ “ autonomie ”, la “ compétence ”, la “ réussite ”, l’ “ intégration ”, le
157
“ développement ”, la “ liberté ”, la “ sécurité ”, le “ bien-être ”, une
“ longue vie ”, etc.
De tels énoncés, même variables, sont structurels à la constitution de
ces interventions comme champs professionnels spécialisés et sont très
présents dans les discours des professionnels. Nous faisons
l’hypothèse qu’en effet ce que l’on appelle les champs de pratiques
sont des espaces d’activités dont les cohérences reposent en fait sur
les significations qui leurs sont données par les acteurs qui les
organisent ou qui permettent leur organisation : ce sont des champs
socialement organisés en vue de... Dans le cas des interventions sur
autrui, ces significations sont censées être des significations partagées
entre les promoteurs de ces interventions, les intervenants et les
objets-sujets de ces interventions. Ces énoncés porteurs de valeurs
entrent directement dans les activités de définition des objectifs des
actions, comme on le voit bien en éducation, dont les actions sont
souvent conçues aujourd’hui en référence à des énoncés de savoirs, de
capacités ou des compétences, énoncés qui aiment à se présenter sur le
mode objectivant, mais qui sont d’abord des énoncés faisant l’objet de
valorisations sociales. Ils sont là pour justifier aux yeux des différents
acteurs concernés les investissements qu’ils consentent dans ce but ;
ce sont des offres de significations, dans une intention de construction
de sens.
Dans ce cadre, la référence aux valeurs censées fonder les actions est
évidemment particulièrement fréquente ; en fait cette référence aux
valeurs ordonne leur conception, ce qui n’est pas la même chose.
Ceci explique que beaucoup de travaux de recherche entrepris dans
ces domaines professionnels, qui font l’objet d’une demande sociale
forte, manifestent une confusion épistémologique entre concepts
mobilisateurs, censés finaliser les actions, et concepts d’intelligibilité,
censés en proposer une compréhension, et proposer des significations
différentes de celles que les acteurs accordent spontanément à leurs
actes (Barbier in Maggi 2000).
Pour notre part nous pensons que lorsque l’activité de recherche
s’intéresse directement aux valeurs énoncées qui accompagnent les
activités professionnelles d’intervention sur autrui, il importe au
premier chef de préciser le statut épistémologique exact de la
recherche :
- s’il s’agit d’une recherche “ en optimisation ”, les énoncés d’acteurs
porteurs de valeurs, à condition qu’ils soient situés, peuvent être
158
utilisées comme outils direct du travail de recherche ; ils ont en effet
un statut fonctionnel : ils permettent de produire de nouveaux énoncés
relatifs à des transformations possibles du réel susceptibles d’être
désirées ou souhaitées par ces acteurs.
- s’il s’agit d’une recherche ‘en intelligibilité’, les énoncés d’acteurs
porteurs de valeurs doivent être considérés comme des matériaux pour
la recherche ; ils peuvent aussi en être l’objet, mais en tant qu’énoncés
; et en aucun cas ils ne peuvent être utilisés comme un outil du travail
théorique proprement dit, du moins si l’on veut rester dans la logique
de ce type de recherche.
Loin d’être mutilante, cette distinction ouvre de notre point de vue des
perspectives au développement de l’une et l’autre forme de recherche,
avec des transferts possibles d’outils respectant le positionnement
épistémologique de ces derniers. Ainsi, nous semble-t-il , la recherche
en intelligibilité sur les activités professionnelles pourrait développer
un important effort autour des cultures d’accompagnement des
activités, pour éviter leur confusion avec les activités elles-mêmes
sous le terme certes valorisant mais flou de “ pratiques’
professionnelles ”.
Ceci permettrait en outre d’une part de faire la part des données
culturelles globales, si prégnantes dans ces différents domaines,
d’autre part de ne pas confondre théorie “ informant ” les activités et
théorie rendant compte des activités.
2. La prégnance de ces énoncés porteurs de valeurs tend à occulter
les constructions effectives de sens, et les “ représentations
finalisantes ” produites par les sujets en situation.
On croit parler de l’enfant, disait Cousinet, en réalité on parle de
l’écolier. La me observation peut être faite bien entendu à propos
des objets-sujets de toutes les activités professionnelles ayant pour
objet l’intervention sur autrui. Les significations sociales données aux
actions sont souvent projetées sur les sujets sensés s’y investir, ce qui
dans un certain nombre de cas produit des effets de violence,
“ symbolique ” ou non. Or l’investissement personnel des sujets,
indispensable à ce type d’interventions (écoute, verbalisations,
exercice des activités proposées), est évidemment davantage lié aux
constructions de sens personnel qu’ils opèrent, et en particulier à ce
que nous avons appelé leurs représentations finalisantes.
159
Il nous paraît donc important, lorsque la recherche veut tenir compte
de ces phénomènes, qu’elle donne toute leur place aux méthodes
ayant pour intention de privilégier le point de vue des sujets sur leur
activité, en situation. Ceci est vrai bien entendu des objets-sujets des
interventions, mais également des intervenants dont les constructions
de sens en situation ne se réduisent pas aux significations exprimées
dans le cadre de la conception, de la mise en place et de la gestion des
différents dispositifs.
Cette direction de recherche privilégie bien entendu l’étude des
constructions évolutives de sens que les sujets opèrent relativement à
leur activité, comme le fait E.Bourgeois (in Barbier-Galatanu dir.
2000) à propos de l’entrée en formation.
3. Le domaine des interventions professionnelles sur autrui tend enfin
à sous-estimer l’observation des engagements effectifs d’activité, au
sens précédemment défini de “ préférences d’engagement ”
C’est une caractéristique du monde l’éducation et du monde du travail
social : les professionnels qui y opèrent se révèlent souvent beaucoup
plus capables de décrire ce qu’ils ont l’intention de faire (les ‘théories
professées’ d’Argyris et Schön), que ce qu’ils font réellement. La
difficulté est d’autant plus accusée que leur activité “ réelle ” est
souvent pour l’essentiel une activité discursive. Mais des phénomènes
tout-à-fait analogues sont constatables également en ce qui concerne
les activités de management, d’encadrement, de tutorat, de conseil,
etc.
Un travail considérable reste donc à faire dans le domaine de
l’observation et de l’analyse des engagements effectifs d’activités.
Pour faire face à cette difficulté on a vu naître par exemple une
“ ergonomie ” du travail enseignant ou du travail de formation, et une
analyse des interactions didactiques très prometteuses ; il est probable
que le même mouvement puisse prochainement s’observer dans le
domaine du travail social, de la santé et dans d’autres domaines avec
les mêmes effets. La grande variété des méthodologies et des outils
actuels en matière d’analyse du travail et de l’activité (par exemple
Clot, Pastre, Theureau, Vermersch dans l’espace francophone)
constitue une opportunité précieuse. Pour notre part il nous paraît
essentiel que les engagements d’activités soient situés dans l’histoire
des sujets et leurs dynamiques plus larges d’activités comme le fait la
160
psychologie historico-culturelle ; comme nous l’avons indiqué plus
haut un intérêt tout particulier pourra être apporté notamment aux
conflits intra-subjectifs (renoncement à d’autres activités) et
intersubjectifs (rapports de pouvoir) qui accompagnent ces
engagements d’activités.
Si l’on admet en outre que les interventions sur autrui ont comme
spécificité d’être des interventions sur des activités déjà en cours
d’autres sujets en vue d’en infléchir précisément ce cours
(l’éducation est une intervention sur une dynamique déjà en cours de
construction de compétences et d’identité), l’observation et l’analyse
des logiques et dynamiques en œuvre dans ces activités déjà en cours
constitue bien sûr une ressource particulièrement précieuse pour tous
ceux qui contribuent directement à ces interventions, y compris les
sujets eux-mêmes. Les réputés grands pédagogues comme Dewey,
Decroly, Montessori, Freinet ne s’y sont pas trompés ,qui ont comme
point commun de vouloir partir des activités ou des intérêts naturels
de l’enfant, naturels devant être compris comme se manifestant
indépendamment des interventions et sur lesquels précisément les
interventions peuvent s’appuyer. Il n’est pas nécessaire d’avoir
beaucoup d’imagination pour penser qu’une attitude tout à fait
semblable pourrait être (et est quelquefois) adoptée dans les autres
domaines professionnels évoqués. De ce point de vue l’analyse de
l’activité liée à l’analyse de la construction des sujets a de beaux jours
devant elle.
En conclusion : valeurs et finalisations de la recherche
Il serait paradoxal qu’avant de conclure cette contribution, nous
n’évoquions pas la question des valeurs non plus seulement comme
objet ou comme matériau des démarches de recherche, mais
également comme question touchant à l’engagement même de ces
démarches, et aux finalisations et énoncés qui peuvent être produits à
ce sujet. Une telle interrogation a, nous semble-t-il, le mérite de faire
apparaître les actes de recherche comme des actes professionnels
comme les autres, dont le statut intentionnel exact mérite certes d’être
précisé, mais qui méritent en tout point des observations et analyses
comparables à celles des autres actes professionnels, notamment en ce
qui concerne les implications des sujets.
161
Cette perspective permet en particulier d’éviter de donner à la
“ science ” un caractère a-historique, qui l’autorise ensuite à
fonctionner comme une idéologie et un outil direct d’exercice de
violence.
Quelques observations sur ce plan :
Les savoirs, avons-nous dit, sont des énoncés bénéficiant de
valorisations sociales. Ces valorisations sociales peuvent être diverses.
Deux types de valorisations des savoirs semblent dominantes : les
valorisations pragmatiques ordonnées autour de ce que nous
pourrions appeler la valeur efficacité (un savoir est jugé utile s’il
facilite l’exercice d’une activité) et les valorisations épistémiques
ordonnées autour de ce qui peut être appelé la valeur vérité (un savoir
est jugé vrai si l’on peut faire l’hypothèse qu’il existe une relation de
correspondance entre les représentations liées à l’énoncé de ce savoir
et les entités auxquels ont trait ces représentations). Contrairement à
une idéologie largement répandue, ces valorisations ne sont pas
forcément binaires : elles comportent souvent des échelles.
Les activités de recherche “ à intention scientifique ” sont
certainement organisées socialement autour d’une intention de
production d’énoncés “ vrais ”. Mais elles ont d’autres
caractéristiques . Ces énoncés sont relatifs à des relations entre des
classes d’objets, d’événements ou de situations, ce qui est censé leur
assurer une “ portée ” sociale plus large que les énoncés relatifs à des
objets, des événements et des situations. Ceci explique la valorisation
plus forte des recherches théorisées par rapport aux recherches
descriptives. Cette valorisation est en lien direct avec la possibilité de
mobiliser les nouvelles représentations produites dans des activités de
compréhension, donc avec une enjeu pragmatique mais sur le terrain
des activités d’intelligibilité, lesquelles peuvent renvoyer elles-mêmes
à des enjeux pragmatiques de transformation du monde, ce qui peut
conduire à augmenter la charge de significations.
162
Ces recherches sont organisées enfin pour donner lieu à
communication, non seulement sur leurs résultats mais également sur
les démarches de production de ces résultats. Se trouvent en jeu alors
des valeurs de partage de règles au sein d’une “ communau
d’activités ” qui s’auto-désigne comme communautés scientifiques, et
dont la référence la plus durable consiste en fait dans ces règles. Ceci
est bien connu des professionnels spécialisés mais ne les empêchent
néanmoins d’entretenir une relation souvent ambiguë avec
l’“ objectivité ” des savoirs produits : du maintien de cet attribut sont
attendues en effet des retombées de valorisation externe des
communautés concernées…
Tre Cime di Lavaredo - août 2002
163
Références bibliographiques
Arendt H. (1983, éd. fr.), Condition de l’homme moderne, Paris
Calmann Levy, 406 p.
Aristote (1965, éd. fr.), Ethique de Nicomaque, Trad., préface et notes
par J. Voilquin, 310 p.
Barbier J.M. (1985), Elaboration de projets d’action et planification,
Paris, PUF, 287 p.
Barbier J.M. (2000), Sémantique de l’action, sémantique de
l’intelligibilité des actions in Maggi B., Manières de penser, manières
d’agir en éducation et formation, Paris PUF Education et Formation,
pp 89-104.
Barbier J.M., Durand M (à paraître en 2003), L’activité : un objet
intégrateur pour les sciences sociales in : Recherche et Formation.
Barbier J.M., Galatanu O. dir. (1998), Action, affects et transformation
de soi, Paris, PUF Education et Formation, 287 p.
Barbier J.M., Galatanu O. (1998), La singularité des actions : quelques
outils d’analyse in CRF-CNAM, L’analyse de la singularité des
actions, Paris, PUF Education et Formation, pp.13 à 51.
Barbier J.M., Galatanu O. dir (2000), Signification, sens, formation,
Paris, PUF.
Barbier J.M., Galatanu O. coord (à paraître en 2004), Les savoirs
d’action : une mise en mot des compétences ?, Paris, L’Harmattan
Action et Savoir.
Bateson G. (éd.fr de 1971), La Cérémonie du Naven, Paris, Minuit.
Beaudouin J.M. coord (1994-4), Questionnement éthique - Education
Permanente n° 121.
Besanceney J.C. (1993),Les formations en bio-éthique : modèles de
formation et référents sociaux ”, Thèse Cnam Formation des adultes,
P. Caspar dir., 461 p.
Bion R.W., Une théorie de l’activité de pensée in : Schmid-Kitsikis E
Perret-Catipovic M., Perret-Vionnet S. dir. (1991), Le fonctionnement
mental, Delachaux et Niestlé.
Boltanski L., Thevenot L. (1991), De la justification : les économies,
Paris, Gallimard.
Bonnafous-Boucher M., Pesqueux Y. dir. (1997), “ Le phénomène
éthique ”, Actes du colloque HEC-Collège International de
Philosophie : L’évidence éthique (critiques et perspectives), 128 p.
164
Boudon R. Bourricaud F. (1994), Dictionnaire critique de la
sociologie, Paris PUF 4è éd., 714 p.
Boudon R. (1995), Le juste et le vrai : Etudes sur l’objectivité des
valeurs et de la connaissance, Paris, Fayard, 575 p.
Boudon R (1999), Le sens des valeurs, Paris, PUF Quadrige, 397 p.
Cedias (2001), Bibliographie sur Ethique et Action sociale.
Comte-Sponville A. (1998), “ Philosophie de la valeur ”, Conférence
inaugurale des 14èmes Journées Nationales des IAE Valeur, marché et
organisation, Nantes, 1998 t.1, Coordonnateur : J.P.Brechet, Presses
académiques de l’Ouest, pp.15 à 26.
Claude J.F. (1998), L’éthique au service du management : concilier
autonomie et engagement pour l’entreprise, Paris, Liaisons, 254 p.
Cosnier J. (1997), Psychologie des émotions et des sentiments, Paris,
Retz Psychologie dynamique, 175 p.
Curie J. (2002), Communication aux journées d’ergonomie de
Bordeaux sur l’engagement.
CRF-CNAM (2000), Action et identité : enjeux de la recherche en
formation, Paris, INRP Questions de recherche.
Delay J., Pichot P. (1975), Abrégé de psychologie, Paris, Masson,
489 p.
Drouet J. (2002), “ Mon grand petit homme… ” Mille et une lettres
d’amour à Victor Hugo, Choix, préface et notes de P. Souchon,
Gallimard L’Imaginaire.
Dubois J., Giacomo M., Guespin L., Marcellesi C., Marcellesi J.B.,
Mével J.P. (1999), Dictionnaire de linguistique et des sciences du
langage, Paris, Larousse.
Dupouey P., “ Ethique et formation - L’intervention sur la personne et
autres problèmes ”, Avant-propos de J. Delors, Insep Editions, 273 p.
Dupouey P., Lenoir H. (1996), “ Ethique et formation : enquête par
entretiens auprès de praticiens des métiers de la formation et activités
connexes ” pour le 25è anniversaire de la loi du 16 juillet 1971, CEP
Université de Paris 10, Insep Ingénierie.
Dupuy J.P., Livet P. dir. (1997), Les limites de la rationalité I -
Rationalité, éthique et cognition, Paris, La Découverte.
Espace Ethique-La lettre APHP n°15-16-17-18, Hiver été 2002.
Feldmann J., Canter Kohn R. (2000), L’éthique dans la pratique des
sciences humaines : dilemmes, Paris, L’Harmattan, 300 p.
Ferry G . coord. (1997), Conscience éthique et pratiques
professionnelles, Recherche et Formation, n° 24.
165
Freud S. (1911), “ Formulation sur les deux principes du cours des
événements psychiques ”.
Frijda N. (1986), The emotions, Cambridge, Cambridge University
Press.
Galatanu 0. (2000), “ Langue, discours et système de valeurs ”, Jalons
3, Presses Univ. De Turku, Univ. De Turku, Finlande.
Gélinier O. (1991), L’éthique des affaires : halte à la dérive !, Paris,
Seuil, 220 p.
Glady M., Saielli P. (1997), “ Les salariés ont-ils le sens de
l’éthique ? ” Enonciations et postures éthiques dans l’organisation,
Education Permanente, n° 132, 1997-3, p.7-30.
Gonin-Bolo A. (1996), “ Les enseignants, leurs collègues et les cadres
d’entreprise : regards posés et supposés sur des valeurs ”, thèse en
sciences de l’éducation, Catalogue INRP.
Habermas J. (1992 éd. fr.), De l’éthique à la discussion, Paris,
Flammarion, 202 p.
Hervieu-Léger D. (2002), “ La transmission des identités religieuses ”,
Sciences Humaines, Qu’est-ce que transmettre ?, Hors-Série n°36,
mars-avril-mai 2002, pp.56-59.
Houssaye J. dir. (1999), Education et philosophie, Approches
contemporaines, Paris, ESF, 302p.
Ignasse G., Lenoir H. (éd. 1998), Ethique et formation, Paris,
L’Harmattan, 208 p.
Isambert A., Ladrière P., Terrenoire J.P. (1978), Pour une sociologie
de l’éthique in : Revue Française de Sociologie XIX-3-1978.
Jonckheere C. de (2001), Stengers I . préf. Agir envers autrui :
modèles d’action dans les professions de l’aide psycho-sociale,
Delachaux et Niestlé, 254 p.
Karli P. (2000), Le cerveau des affects et des émotions, Université de
tous les savoirs, Conférence du 5 février 2000, Paris, Odile Jacob
Poches.
Lalande (éd. 1972), Vocabulaire technique et critique de la
philosophie Paris, PUF.
La Rochefoucauld (éd. 1974), Maximes, Garnier Frères.
Lavelle L. (2ème éd. 1991- 1
ère éd. 1950), Traité des valeurs, Paris,
PUF Coll. Logos.
Le Goff J. (1997), Pour un autre Moyen-Age, Temps, travail et culture
en occident : 18 essais, Paris, Gallimard Ier dépôt légal 1991, 422 p.
166
Livet P. (1996), L’éthique à la croisée des savoirs Actes d colloque
“ Le retour de l’éthique ”, Université de Provence, nov.1991, Paris
Vrin.
Livet P. (2002), Emotions et rationalité morale, Paris, PUF, 291 p.
Maggi B.(2000), Manière de penser, manières d’agir en éducation et
en formation, Paris, PUF Education et Formation, 214 p.
Meirieu P.(1991), Le choix d’éduquer : éthique et pédagogie, Paris
ESF Coll. Pédagogies, 197 p.
Mension-Rigau E. (1994), Aristocrates et grands bourgeois :
éducation, traditions, valeurs, Paris, Perrin, 514 p.
Moussé J. (1989), Fondements d’une éthique professionnelle, Paris,
Editions d’Organisation, 176 p.
Nuttin J. (1980 2ème éd. 1985), Théorie de la motivation humaine, Du
besoin au projet d’action, Paris, PUF, 383 p.
Pesqueux Y (2000), Communication au minaire CRF-CRF sur la
question du statut des valeurs et de l’éthique en formation et dans
l’activité professionnelle.
Pharo P (2000), Communication au séminaire du CRF-CNAM sur la
question du statut des valeurs et de l’éthique en formation et dans
l’activité professionnelle.
Polin R. (3ème éd. 1977, Manuscrit 1943, Paris Vrin), La création des
valeurs.
Porcher L. Abdallah-Pretceille (1998), Ethique de la diversité et
éducation, Paris, PUF L’éducateur.
Pourtois J.P., Mosconi N. dir. (2002), Plaisir, souffrance, indifférence
en éducation, Paris, PUF Education et Formation, 250 p.
Projet (1991-3), n° spécial “ Entreprise : la vague éthique ”, n°224.
Ricoeur P. (1996), Soi-même comme un autre, Paris, Seuil Essais,
425 p.
Saussure F. de (éd. de 1995), Cours de Linguistique Générale, Paris,
Payot, 520 p.
Sartre J.P. (1995, 1ère éd. 1938), Esquisse d’une théorie des émotions,
Hermann.
Schmid-Kitsikis E., Perret-Catipovic M., Perret-Vionnet S., dir.
(1991), Le fonctionnement mental, Delachaux et Niestlé, 285 p.
Spinoza (éd. fr. de 1988), Ethique, Texte original et traduction
nouvelle par Bernard Pautrat, Paris, Seuil L’ordre philosophique,
541 p.
167
Tappolet C. (2000), Emotions et valeurs, Paris, PUF Philosophie
morale, 296 p.
Taylor C. (éd. fr. 1999), La liberté des modernes, Paris, PUF
Philosophie morale, 308p.
Terrenoire J.P. (1991), Sociologie de l’éthique professionnelle,
Contribution à la réflexion théorique in : Sociétés contemporaines,
1991, n°7, L’éthique professionnelle, L’Harmattan, pp. 7 à 33.
Terrenoire J.P. éd (2001), Sève L. préface Sciences de l’homme et de
la société, La responsabilité des scientifiques, Paris, L’Harmattan,
Espace théorique, 323 p.
Thevenet M. (1989), Audit de la culture d’entreprise, Ed.
d’Organisation.
Thevenot X., Joncheray J. (1991), Pour une éthique de la pratique
éducative, Paris, Desclée de Brouwer, 291 p.
Villers G. de (1994), Ethique des pratiques de formation, Education
Permanente, n° 121, 1994-4, pp. 53 à 61.
Vygotski L. (éd. fr. 1998), Théorie des émotions, Etude historico-
psychologique, Paris, L’Harmattan, 415 p.
Weber M. (éd. fr. 1964), L’Ethique protestante et l’esprit du
capitalisme, suivi de Les sectes protestantes et l’esprit du capitalisme,
Paris, Plon, 287 p.
Weber M. (éd. fr. 1997), Economie et société t.1, Les catégories de la
sociologie, Paris, Plon, 411 p.
Winnicott D.W. (1960), Distorsion du moi en fonction du vrai et du
faux self, Paris, Payot.
Wittgenstein L. (éd. 2001), Tractatus logico-philosophicus, Paris
Gallimard Tel, 122 p.
... L'organisation du travail dans ce contexte mobilise de nouvelles attentes qui tendent à davantage d'autonomie et de responsabilisation à travers une mobilisation plus forte des ressources subjectives. Ces formes de délibération éthique valorisent la participation des professionnels et la construction de significations individuelles qui prennent place à côté de celles promues par les organisations (Barbier, 2003). L'accès aux valeurs en situation d'accompagnement de bénévoles devient alors une occasion de comprendre, au-delà des logiques institutionnelles qui les portent, ce qui se joue du « débat de normes » : « Ces normes que nous nous donnons dans une confrontation toujours problématique avec les normes antécédentes s'appuient chaque fois sur la présence en nous d'un monde de valeurs, présence obscure, sans doute, mais absolument incontestable » (Schwartz, 2014, p.4). ...
... En visant l'émergence des valeurs, les entretiens de décryptage du sens peuvent alors servir des enjeux complémentaires de recherche et de formation, dans un contexte où l'organisation du travail mobilise de nouvelles attentes et tend à davantage de responsabilisation à travers une mobilisation plus forte des ressources subjectives ; la construction de significations individuelles peut alors prendre place à côté de celles promues par les organisations (Barbier, 2003). ...
... iii Valores que Barbier (2003) afirma, tornando o conceito mais preciso, que se organizam em campos semânticos estruturados por relações de ordem e de hierarquia ligando os sujeitos. iv Ver sobre a relação entre representações e crenças: APOSTOLIDIS, T.; DUVEEN,G.; ...
Article
A questão da qualidade da formação é uma preocupação importante na sociedade do conhecimento. Ela é em parte tratada sob o ângulo de certificação de normas-qualidade. Esta contribuição aborda a questão de outro ângulo: o da representação da qualidade da formação entre formadores. A partir de dois tipos de coleta de dados, questionário e grupo focal, analisamos a estrutura e conteúdo dessa representação profissional. Ressaltamos dois esquemas representacionais centrais: as competências dos atores, a definição de objetivos pertinentes e três esquemas periféricos expressando valores profissionais diferentes: adaptação técnica para o emprego; desenvolvimento pessoal e social; a qualidade de engenharia das formações. Estes elementos representacionais ultrapassam muito o quadro normativo de qualidade. Eles mostram a diversidade de valores e engajamentos profissionais dos formadores, verdadeiros atores/autores profissionais.
Article
Dans un contexte de professionnalisation associative qui vient profondément modifier l’offre de formation destinée aux bénévoles dans les centres sociaux, notre contribution (issue d’une recherche doctorale) propose d’envisager l’accompagnement des bénévoles comme une occasion de développement professionnel pour les salariés en charge de les accueillir. La recherche concernée a mobilisé un cadre théorique qui articule les travaux sur la professionnalité émergente et l’éthos professionnel (Jorro, 2009 ; 2011) avec la théorie des communautés de pratique (Wenger, 2005). Nous proposons ici d’envisager ces situations d’accompagnement sous l’angle d’un engagement dans une pratique culturelle (Billett, 2008) à partir de la mise au jour des valeurs en acte qui viennent orienter les pratiques dans les espaces concernés.
Thesis
L’objet de cette recherche, le processus de réélaboration de l’expérience, est défini à partir d’une conception de l’expérience liant vécu, élaboration et communication de l’expérience. L’approche de ce processus repose sur l’hypothèse théorique selon laquelle le discours n’est pas un simple véhicule : il réalise en les transformant des processus psychiques qui surviennent dans la situation de communication. Il en résulte que cette recherche, à visée compréhensive, est orientée par une hypothèse qui dirige la saisie du travail de réélaboration vers la forme même que prend le dire. En conséquence de quoi le traitement du corpus, constitué à partir d’interviews semi-directives (auprès de deux professeures des écoles), relève d’une analyse du discours orientée par un ensemble cohérent d’indicateurs formels linguistiques. Les résultats obtenus, qui concernent les processus de généralisation, d’objectivation et de subjectivation, montrent que des généralités énoncées réalisent un travail de réélaboration à partir d’une position subjective, toujours singulière, appelant une prise de conscience réflexive en collaboration avec un formateur à l’écoute.
Thesis
Full-text available
La recherche porte sur la reconnaissance de l’éthos professionnel de coordinateurs associatifs placés en situation d'accompagnement de bénévoles. Elle mobilise un cadre théorique qui articule les travaux sur la professionnalité émergente (Jorro, 2011) et l'éthos professionnel (Jorro, 2009 ; 2010) avec la théorie des communautés de pratique (Wenger, 2005). La méthodologie de recherche repose sur des entretiens d'explicitation (Vermersch, 1994) et de décryptage du sens (Faingold, 1998) pour accéder aux valeurs agies qui spécifient l’engagement dans une pratique culturelle (Billett, 2008). Les résultats révèlent l'émergence d'une communauté d'apprentissage salarié/bénévoles qui accompagne la construction de l’éthos professionnel des coordinateurs tout en interrogeant la formalisation de sa reconnaissance (Belair, 2009). Ces résultats de recherche ouvrent des pistes de réflexion susceptibles de contribuer au développement professionnel des acteurs associatifs.
Article
This thesis deals with professionalization of trainers, especially those working in the field of social work training. Its perspective provides a focus which is seldom approach when it comes to professionalization. The stake is to calle in question the communication activity of the trainers when they are in presence of students, the place of the body and gestures as reintroducing sensibility into the communication. That is the key theme of this work. The phenomenology as a theoretical Anchor, showing a phenomenology of activity has been privileged. Offering face-to-face is the concept of intelligibility which has been built to understand how the trainer set about it according to the type of intervention and the type of audience. The methodology is based on two types of interviews (semi structured interviews and interviews namely of confrontation in face of films), then the researcher's observations from films, in fine a crossed analysis of the different results. Reintroducing body language into the activity, giving the gestures back their "symbolic thickness" allowed to justify the specificity of face-to-face activity and give it a fuure with other perspectives.
Article
La situation d’alternance vécue par les étudiants d’un Master Professionnel, pris pour objet d’étude, est au coeur de dynamiques identitaires participant à leur développement professionnel. Nous avons cherché dans une perspective exploratoire à montrer en quoi les conflits de valeurs induits par cette situation participaient, au-delà de la dimension identitaire, au développement escompté. Un double regard sur ce questionnement est proposé dans cet article. Celui des référents professionnels tout d’abord, qui ont été interrogés sur le positionnement professionnel des stagiaires. Celui des étudiants ensuite, à travers l’analyse d’écrits rédigés à l’issue des séances de clinique ayant lieu au cours de la formation. Les divergences dégagées sont articulées en conclusion et permettent de proposer un certain nombre de perspectives théoriques ou méthodologiques.
Book
L'homme moderne perd sa vie à la gagner. Que fait-il, en effet ? Travailler pour subvenir à ses besoins ? Oeuvrer pour construire un monde d'objets dont les plus éminents sont les oeuvres d'art ? Agir au sens politique du terme pour instituer un monde commun régi par des valeurs communes ? Sans conteste, de ces trois modalités de la vie active (par opposition à la vie contemplative des Anciens), la dernière est désormais sacrifiée. Notre époque est ainsi marquée par le dépérissement du politique et le triomphe de l'économie. La condition de l'homme moderne est celle d'un "homo laborans" qui ne se reconnaît plus dans ce qu'il fait, et non celle de cet animal politique, comme le définissait Aristote, qui se construisait en construisant la cité. L'horreur économique n'a pas attendu la mondialisation pour alerter les philosophes. Ne patientez pas jusqu'à la prochaine dépression boursière pour vous donner le loisir de lire ce classique résolument moderne ! "–Paul Klein"