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Les médias numériques transforment profondément les pra-
tiques d’écriture : ils les rendent à la fois plus courantes et plus
des compétences scripturales nécessaires aux « gens ordinaires »
l’écriture numérique requiert, au-delà d’une maîtrise de l’outil,
-
drons cette idée en nous interrogeant sur les caractéristiques des
écritures numériques des « gens ordinaires ». Puis, nous propo-
-
les pistes didactiques sur lesquelles nous travaillons actuelle-
ment dans le cadre de ce projet.
1 Isabelle Cailleau et Serge Bouchardon, Université de Technologie de Compiègne,
EA 2223 COSTECH, Connaissance, Organisation et Systèmes TECHniques ;
Stéphane Crozat, Université de Technologie de Compiègne, Unité Ingénierie des
Contenus et Savoirs ; Hélène Bourdeloie, EA 2223 COSTECH, chercheuse associée
LabSIC, Université Paris 1.
Recherches en communication, n° 34 (2010).
34 i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
Les pratiques d’écriture sont profondément transformées par les
médias numériques. En effet, comme le souligne C. Barre-de Miniac
(2003), « loin de détrôner l’écrit [...], les nouvelles technologies en
rendent l’usage encore plus nécessaire, en multiplient et en complexi-
-
ralisée, quotidienne, ordinaire. Elle nécessite néanmoins des compé-
tences scripturales de plus en plus complexes. Il convient donc de s’in-
terroger sur la nature des compétences scripturales rendues nécessaires
par le passage aux médias numériques (Jeanneret, 2001) ; l’enjeu étant
que tout un chacun – les « gens ordinaires » – s’approprie l’usage des
médias contemporains.
Dans son article sur la compétence scripturale, M. Dabène (1991)
met en évidence que celle-ci suppose une connaissance et une compré-
hension de ce qui distingue fondamentalement l’ordre du scriptural
méta-scripturales » sont une composante nécessaire de la compétence
scripturale1. Dans le prolongement de ce travail, nous formulons l’hy-
pothèse que l’écriture numérique requiert, au-delà d’une maîtrise des
fonctionnalités techniques – c’est-à-dire de l’emploi de l’outil –, une
Cette hypothèse se situe dans le prolongement des recherches de J.
Goody (1979) pour qui tout nouveau support transforme nos manières
d’agir et de connaître. Dans cette perspective, la capacité à mobiliser en
serait une des composantes de la compétence scripturale contempo-
temps, aux caractéristiques des écritures numériques des « gens ordi-
l’écriture numérique selon un modèle élaboré dans le cadre d’un projet,
intitulé « PRECIP »2
1 Selon M. Dabène (1991, p. 13), l’ordre du scriptural peut se caractériser par un
et psychologiques). « La maîtrise des savoir-faire que requiert la pratique
scripturale passe par l’acquisition de connaissances méta-scripturales [...] », « méta-
scriptural.
2 Le projet PRECIP (PRatiques d’ÉCriture Interactive en Picardie)*est un projet de
impliquant des chercheurs en sciences humaines et en sciences de l’ingénieur de
l’Université de Technologie de Compiègne et de l’Université de Picardie Jules-
35
comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
nous proposons de présenter des pistes didactiques qui constituent ici
un travail en cours d’élaboration.
G41*B=96A7941*@7HB96I741*?41*J*:4@1*<9?6@26941*K
/41*2=A41*?LB=96A794*J*M4NA92OP<9?6@26941*K*
Les écrits des « gens ordinaires » font l’objet d’enquêtes ethnolo-
ordinaires, jusqu’alors peu étudiées, révèlent le caractère déterminant
de la compétence scripturale dans une culture de l’écrit. Comme le
souligne D. Fabre (Fabre et al. 1997, p. XI), « l’écriture n’est pas une
compétence extérieure, un savoir-faire facultatif, une injonction discon-
tinue. Sa présence est forcément centrale et active, aucun espace ne lui
est étranger ».
En mettant en évidence l’omniprésence sociale de ces écritures
ordinaires, ces auteurs en viennent à tracer une frontière nette entre
écrits ordinaires et écrits littéraires. Toutefois, M. Dabène (1991) remet
en question la pertinence de cette opposition. En effet, dès que l’on entre
dans l’ordre du scriptural – dans l’univers de l’écrit au sens large –, on
s’inscrit dans une pratique culturelle ritualisée qui n’a rien d’ordinaire.
On sort ainsi d’un « usage naturel du langage » (ibid.) pour entrer dans
-
rique, etc.), ritualisé, même pour les écrits les plus ordinaires. En ce
ou non. C’est pourquoi, communiquer par écrit suppose de connaître et
maîtrise des « règles de transcription graphique » (ibid.) ne saurait donc
1. La
« connaissance méta-scripturale » de ce qui caractérise l’ordre de l’écrit
est une composante nécessaire de la compétence scripturale.
http://precip.fr
personnes qui produisent des écrits – les « gens ordinaires » – (par opposition aux
« (extra)-ordinaires ».
36 i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
être réinterrogées dès lors que son support d’inscription devient numé-
rique. En effet, de la même manière que la culture de l’écrit a trans-
formé nos capacités cognitives ainsi que l’a démontré J. Goody (1979),
le numérique devrait entraîner une transformation de nos modes de
pensée. C’est l’hypothèse défendue par B. Bachimont : « Si l’écriture a
donné lieu à une « raison graphique », le numérique doit donner lieu à
une « raison computationnelle » : le calcul comme technique de mani-
Le changement de support (des supports statiques comme le papier
au support dynamique du numérique) nous paraît en effet être de nature
-
sances méta-scripturales. Ainsi, pour écrire sur un support numérique,
il ne s’agit plus seulement de posséder les connaissances méta-scriptu-
rales liées aux supports traditionnels mais également des connaissances
le numérique.
/41*=<@@26112@=41*J*HBA2O1=96CA792541*K*27N*=<HCBA4@=41*
1=96CA792541
-
rique, l’enjeu étant de caractériser une des composantes de la compé-
tence scripturale contemporaine.
comme « un pouvoir d’agir [...] dans une classe de situations compa-
rables ». Et, comme il le souligne, cette capacité d’action n’exclut pas
le savoir. « Bien au contraire, détenir certains savoirs est la condition
une connaissance du système dont elle tente de prendre le contrôle,
qu’il soit humain, matériel, symbolique ou les trois à la fois. »
dans des situations d’écriture numérique, une connaissance des spéci-
nécessaire. La compréhension de l’articulation entre ces trois dimen-
sions est selon nous une connaissance méta-scripturale déterminante
pour l’écriture numérique.
37
comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
Toutefois, poser la nécessité de cette connaissance ne va pas de
soi. Les outils numériques étant de plus en plus transparents et intui-
tifs d’usage, il pourrait même sembler qu’au contraire une compétence
se présente, les connaissances pour poser ce problème correctement et
des élèves ingénieurs ne pas savoir gérer un copier-coller de texte d’une
application à une autre dont le résultat était illisible. Ils ne détiennent
en effet pas les connaissances qui leur permettraient de comprendre que
même si le numérique permet techniquement une duplication parfaite,
l’encodage de l’information varie selon les applications. Le texte qu’ils
-
cation ne gère par la conversion, le résultat sera illisible. Cette connais-
sance leur permettrait de poser le problème et donc de mettre en place
également savoir la mobiliser, se servir de cette ressource à bon escient
(Perrenoud, 2004a). Les choix de scénari-
sation pédagogiques (cf. 3e partie) joueront donc un rôle déterminant
pour la mobilisation de la connaissance comme ressource effective de
la compétence.
Il serait toutefois possible d’objecter que la plupart des situations
d’écriture numérique ne relèvent pas de situations posant problème.
-
Ces environnements portent des visions de l’écriture numérique, ils
relèvent d’une « énonciation éditoriale » (Souchier, Jeanneret, 2005).
Des choix ont été opérés au sein des possibles ouverts par les propriétés
du support numérique et ces choix ne sont absolument pas neutres. Il
nous semble alors qu’il existe un enjeu fort à savoir et à comprendre
que nous manipulons des applications, des « architextes » (Jeanneret,
2001), qui formatent nos pratiques d’écriture et qui vont prescrire sans
les déterminer des pratiques interprétatives auctoriales et lectoriales.
À titre d’illustration, prendre conscience des choix éditoriaux liés à la
présentation de soi au sein d’un réseau, qui sont par exemple inscrits
Facebook, devrait conduire à
le choix des informations renseignées et/ou publiées. Les connaissances
i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
condition d’une compétence critique ayant un impact sur la compétence
scripturale.
-
rales, nous avons mené, dans le cadre du projet PRECIP, un travail
avoir donc une ambition d’exhaustivité), en particulier celles mobili-
sées dans le cadre des pratiques d’écriture numérique.
G41*C9<C96BAB1*?7*HB?62*@7HB96I74*2CC9B>4@?B41*
Q*A92R491*A9<61*@6R427N*
fournir une représentation des propriétés du numérique, et plus parti-
culièrement de l’écriture numérique. Ce travail est le résultat de la
première phase du projet PRECIP. Ce projet a en effet pour objectif
de former des « gens ordinaires » – en particulier des collégiens et des
lycéens –, aux pratiques d’écriture numérique. Il n’est donc pas ques-
tion de former aux outils (bureautique, graphisme, multimédia, etc.)
mais aux connaissances « méta » qui rendent possible cette écriture et
ce programme de formation à l’écriture numérique, la première phase
a consisté à recenser et organiser les propriétés fondamentales et les
-
ture hypertextuelle, multimédia, collaborative, etc.).
Cette formalisation s’appuie sur l’approche théorique du numé-
conséquence d’un positionnement théorique qui pose que les pratiques
se développent à partir de possibilités techniques et que le support
matériel joue un rôle dans la structuration de la connaissance. Cette
démarche a abouti à une description du numérique selon trois niveaux :
théorique, applicatif et interprétatif. La déclinaison de ces trois niveaux
-
gique.
raison de la multiplicité des possibilités apportées par ce support mais
aussi de sa constante évolution. Aussi deux précautions méthodolo-
39
comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
giques s’imposent. D’une part, la démarche ne recherche pas l’exhaus-
-
tion à l’universalité mais vise à faire état d’un point de vue permettant
d’enseignement.
G4*@6R427*A>B<96I74
Le support numérique se caractérise par deux principes essentiels :
il est fondé sur la discrétisation (unités d’information indépendantes) et
la manipulation, qui consiste en un calcul opéré sur ces unités discrètes.
Ces dernières sont dépourvues de sémantique a priori et leur codage,
en 0 et 1 (code binaire), est arbitraire. L’accès au sens n’est possible
qu’après transformation par des fonctions de calcul (algorithmes) sur le
code binaire, fonctions qui donnent lieu à des formes sémiotiques inter-
prétables par l’homme. Ces transformations relèvent du second niveau
(applicatif) tandis que le résultat de ces transformations, interprétable
par un sujet, relève du troisième niveau (interprétatif).
Dans cette optique, la maîtrise théorique du numérique suppose
la compréhension des propriétés du niveau 1, qui relèvent de principes
fondamentaux du numérique conditionnant1 les possibles et les moda-
lités de fonctionnement profondes aux niveaux 2 et 3. Autrement dit, les
propriétés des niveaux 2 et 3 ne sont possibles que parce que le numé-
rique repose sur deux principes – discrétisation et manipulation – qui se
déclinent en six propriétés fondamentales de niveau 1 : la manipulabi-
lité, l’abstraction, l’adressabilité, l’intégration, la duplication parfaite et
l’interconnexion2. Ces propriétés n’en restent pas moins abstraites par
travers les niveaux 2 et 3 qui les actualisent.
1
B. Bachimont (2004, p. 119) pour qui, « de manière générale, la structure physique
et matérielle de l’inscription surdétermine et conditionne son interprétation, mais ne
la programme ni ne la détermine à l’avance ».
2 Ces propriétés ont été représentées sous forme d’un graphe, régulièrement remis
à jour de manière collaborative en fonction de l’avancée de nos travaux. Il est
uploads/2010/07/PRECIP-les-3-niveaux-du-numerique.pdf
40 i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
G4*@6R427*2CC56=2A6S*
Le second niveau est un formatage technique du premier niveau.
Le code binaire est transformé par les calculs opérés sur lui en vue
d’obtenir des contenus (textes, sons, images, etc.) et des fonctionnalités
manipulables (applications logicielles). Il introduit donc une sémantique
au sens où les applications offrent des fonctionnalités qui, d’emblée,
proposent, voire imposent des choix quant à la manière de manipuler
le matériau numérique (contenus) et d’interagir avec lui. Les principes
techniques s’actualisent ainsi en fonction de transformations (niveau
2) qui – commandées par l’interaction avec l’humain – produisent des
formes sémiotiques interprétables (niveau 3).
Par exemple, l’adressabilité – correspondant au fait que toute
unité d’information possède une adresse –, s’actualise dans la fonction
d’indexation qui permet d’associer des métadonnées (par exemple des
commentaires dans un traitement de texte) à n’importe quelle partie
d’un document numérique, y compris le mot d’un texte ou l’image
d’une vidéo.
Le niveau 2 permet donc d’actualiser et de manipuler les principes
du niveau 1, par la matérialisation qu’il en propose d’une part, et par le
codage de fonctionnalités qui repose sur des choix parmi les possibles
restreint les possibles du niveau 1 (par l’ensemble de fonctionnalités
applicatives qu’il propose), le niveau 2 reste fortement combinatoire :
son exploitation au niveau des pratiques (niveau 3) pouvant prendre
des formes multiples (allant jusqu’au détournement). En effet, le champ
fonctionnel ouvert par le niveau 2 ne produit du sens que via certaines
utilisations des fonctions qui se concrétisent au niveau interprétatif
(niveau 3).
G4*@6R427*6@A49C9BA2A6S
Le troisième niveau correspond donc à la « fabrique » effective
du sens par l’activation de certaines fonctions selon certaines moda-
lités. Ces modalités sont en particulier dépendantes des contenus eux-
mêmes : chaque contenu (texte, image, son, vidéo, etc.) renferme une
logique sui generis qui conduit à une certaine inertie, entendue comme
une résistance lors des manipulations. L’usage d’une application résulte
donc toujours d’un compromis entre les possibilités fonctionnelles du
numérique et l’inertie propre au contenu. Il est par exemple technique-
41
comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
ment possible de segmenter un texte à n’importe quel endroit (une lettre
peut être coupée en deux dans un logiciel de traitement d’image). Sur
le plan sémiotique toutefois, une telle segmentation ne fait a priori pas
sens.
du support d’un point de vue théorique, le niveau applicatif caractérise
ce qu’il est possible de faire avec ce support et le niveau interprétatif
ajoute du sens aux potentialités applicatives.
(6R427*T* (6R427*U* (6R427*V*
#2@6C7523656AB* &92@1S<9H2A6<@
?4*5LB=96A794
Toute information numé-
rique est codée en binaire.
Elle peut être manipulée
par un algorithme.
Toute information peut
être transformée en une
autre par un automate (ex :
« Remplacer par »).
Le passage du brouillon
-
fectue sans rupture maté-
rielle.
,@A492=A6R6AB ,@A9<?7=A6<@*?4*?<@@B41
L’information peut être
manipulée par l’utilisateur
suivant des programmes
établis (ex : navigation
dans les chapitres d’un
Il est possible de modi-
contenu en fonction de
données entrées par l’utili-
sateur (ex : formulaire).
031A92=A6<@ #<?B5612A6<@ %=96A794*1<71*H<?F54
Le fait de coder en binaire
crée une coupure matérielle
par rapport au substrat
physique et une coupure
sémantique par rapport au
contenu produit.
Il est possible d’inscrire
dans un logiciel des règles
pour contrôler l’écriture
(ex : remplir obligatoire-
ment le champ « nom »
dans un formulaire).
Les suites bureautiques
proposent des « organisa-
tions type » selon le type
lettre, diaporama, etc.).
0?941123656AB ,@?4N2A6<@ ,@?4N2A6<@* A49H6@<5<O
:6I74*
Toute information codée
possède une adresse qui
permet d’y accéder.
Il est possible de poser des
ancres dans un contenu et
d’y associer des métadon-
nées.
Il est possible d’indexer les
document pour créer un
index.
,@AB:92A6<@ #75A6HB?62 %=96A794*H75A6HB?62
42 i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
Il est possible d’encoder
n’importe quel format
(caractères alphabétiques,
sons, images, etc.) et de les
représenter sur un support
unique (écran).
Les applications permettent
de combiner plusieurs
médias au sein d’un même
document.
Il est possible par exemple
d’insérer une vidéo et du
texte sur une diapositive de
diaporama.
/7C56=2A6<@*MC29S26A4P E61A<9612A6<@ W4916<@@2:4
Il est possible de dupli-
quer n’importe quelle unité
d’information. Les infor-
mations sélectionnées et
dupliquées le seront sans
perte.
Il est possible de conserver
un historique de chaque
-
ment.
règles pour sélectionner les
versions qui méritent d’être
conservées.
,@A49=<@@4N6<@ !<@A9637A6<@*4@*56:@4 #BA2O?61=7916R6AB
Manipulable et adressable,
l’information numérique
peut être reliée à une multi-
plicité d’autres points
lorsqu’elle est inscrite au
sein d’une architecture en
réseau.
Il est possible de permettre
ou de produire un contenu
en ligne (Web 2.0).
Un lecteur de blog peut
poster des commentaires.
&2354*T*X*4N4HC541*4NA926A1*?7*:92C>4*?7*C9<Y4A*$+'!,$*
J*G41*V*@6R427N*?7*@7HB96I74*KZ***
-
ment des outils (notamment en bureautique) abordent majoritairement
le niveau 3, rarement le niveau 2 et jamais le niveau 1. Ces enseigne-
ments du niveau 3 permettent d’accéder à des savoir-faire procéduraux
posant problème. Ils permettent encore moins un usage critique des
opérés au niveau 2 en tant qu’ils sont une sélection au sein des possibles
de niveau 1.
À l’aune de ces considérations, nous pensons qu’il existe un enjeu
fort à enseigner la théorie du numérique (niveau 1) et c’est pourquoi
le modèle que nous avons formalisé et qui caractérise le numérique à
travers trois niveaux nous paraît être un outil pertinent pour élaborer
nous proposons donc d’illustrer les modalités possibles pour un ensei-
gnement du numérique théorique au travers de quelques exemples.
43
comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
.745I741*C61A41*?6?2=A6I741*
-
ture numérique est l’objectif de la seconde phase du projet PRECIP.
Aussi, nos travaux en cours consistent-ils à élaborer des séquences
pédagogiques destinées à être expérimentées auprès de collégiens et de
notre approche en l’illustrant par deux exemples ciblés sur un public
de lycéens.
$9B14@A2A6<@*?4*52*?BH29=>4*
L’articulation du modèle en trois niveaux nous a conduit à imaginer
un scénario pédagogique générique (déclinable selon différentes
scénario est de permettre l’acquisition des connaissances méta-scriptu-
rales visées par une découverte et une appropriation de la logique des
trois niveaux en vue de sa mobilisation en situation d’écriture comme
composante des compétences scripturales.
À titre d’exemple, le module-type A illustré ci-dessous (Figure 1)
se compose d’une sous-séquence de découverte qui articule un ques-
tionnement sur les pratiques antérieures et les apports théoriques ainsi
qu’une sous-séquence de mise en situation de production réelle. Cette
mise en situation est conçue de manière à permettre de provoquer la
mobilisation des connaissances découvertes et d’évaluer le degré d’ap-
propriation de la propriété de niveau 2 étudiée par les apprenants. La
séquence de « découverte » se compose des activités pédagogiques
suivantes :
– Une présentation de la propriété de niveau 2 choisie pour le
module (durée : 5 minutes) : il s’agit ici de poser l’objectif
général des activités qui vont suivre en introduisant brièvement
la propriété étudiée (par exemple l’hypertextualisation) et ses
enjeux.
– Une mise en situation (durée : 45 minutes) : un exercice dont la
consigne est conçue pour permettre lors de la manipulation d’une
liés à la propriété en question qui pourront faire l’objet d’une
analyse critique à l’étape suivante.
44 i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
–
2 étudiée : l’enseignant sélectionne une ou deux productions
représentatives (c’est-à-dire comportant des erreurs courantes
susceptibles d’être mises en évidence) et anime leur analyse
critique en groupe. La stratégie consiste ici à mettre en relief des
« cas d’usage limites » pour générer une prise de conscience des
contraintes induites par la propriété étudiée.
– Une explication des conditions de possibilité de la notion de
niveau 2 étudiée par le niveau théorique (niveau 1) correspon-
dant : il s’agit ici d’expliquer aux élèves quelle est la propriété
du numérique théorique qui rend possible les fonctions observées
au niveau applicatif (par exemple l’adressabilité pour l’hyper-
textualisation).
– Une illustration des implications au niveau interprétatif (niveau
3) : ayant compris pourquoi le numérique permettait de disposer
de certaines fonctionnalités au niveau applicatif, il s’agit alors de
présenter aux élèves une palette représentative d’actualisation de
ces fonctionnalités dans les pratiques (pour l’hypertextualisation,
-
tion possibles (Bouchardon, 2007) auxquelles elle donne lieu).
Cette première séquence doit ainsi permettre aux élèves de
comprendre l’articulation des trois niveaux pour la propriété de niveau
2 étudiée, et donc d’acquérir les connaissances méta-scripturales asso-
ciées. Il s’agit alors, dans une seconde séquence, de susciter une mobi-
lisation de cet acquis par une production réelle dans le cadre d’une
mise en situation. Cette dernière doit permettre une évaluation de la
compétence au sens de Perrenoud (2004b), autrement dit être conçue
de manière à ce que la mobilisation de la connaissance acquise précé-
complexe et qu’elle contribue au renforcement de la compétence.
45
comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
[6:794*T*X*1=B@296<*CB?2:<:6I74*:B@B96I74Z
46 i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
Les tables 2 et 3 présentent deux exemples de la séquence « décou-
verte » pour le module « type A » : écriture sous modèle et intersémio-
tisation.
Type Durée Intitulé Objectif Ressources
5’ Multimédia Expliquer la propriété Support expositif
Mise en
situation 45’
Illustrer un discours
oral
Faire manipuler
Déroulé d’exercice
1. Prendre connais-
sance d’un discours
oral chapitré
Chaîne éditoriale
1
2. Associer des
images ou des textes
aux chapitres
Émission 2000 ans
d’histoire chapitrée ;
dossier d’images et de
Textes
Rupture 30’
Analyser les docu-
ments enrichis par les
élèves
Souligner des
problèmes d’asso-
ciation
- texte trop long par
rapport au temps
- séquence d’image
inappropriée,
- mauvaise adéquation
image/texte
-...
Observations atten-
dues
30’ Intégration Expliquer la propriété Support expositif
10’ Intersémiotisation Montrer des exemples
pertinents
GRM1
&2354*U*X*4N4HC54*C<79*52*@<A6<@*?4*@6R427*U*J*H75A6HB?62*KZ1
1 Émissions consultables sur le site du Groupe de Recherches Musicales (GRM) :
http://www.ina-entreprise.com/entreprise/activites/recherches-musicales/webradio.
html
47
comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
Type Durée Intitulé Objectif Ressources
5’ Modélisation du
contenu Introduire la propriété Support expositif
Mise en
situation 45’
Préparer une présen-
tation assistée par
ordinateur Expérimenter des
contraintes :
- du format diaposi-
tive (page vs écran)
- de la séquentialité
d’une présentation
Support rédigé de
base et consignes
1. Transposer un
contenu rédigé
(exposé)
2. Insérer des liens
hypertexte dans les
diapositives
Rupture 30’ Exposé/débat
Commenter les
contraintes des
formats diaposi-
tives et du caractère
séquentiel d’un
diaporama
- contenus support de
l’oral (peu rédigés,
non autonomes, sous
forme de liste et
schémas)
navigation hyper-
textuelle dans un
contenu prévu pour
être séquentiel
Liste des erreurs
courantes
30’ Abstraction
Comprendre la
propriété et son
impact sur le niveau 2
Support expositif
10’ Écriture contrôlée par
la Machine
Montrer un exemple
dans un système plus
Contraignant
Chaîne documen-
taire éditoriale,
modèles Bureautiques
(OPTIM)1
&2354*V*X*4N4HC54*C<79*52*@<A6<@*?4*@6R427*U*J*B=96A794*1<71*H<?F54*K1
Ce « module de type A » est fondé sur une prise de conscience
des limites des pratiques antérieures de niveau 3 pour découvrir et
comprendre les contraintes de niveau 2 et leurs conditions de possibi-
lité au niveau 1.
type B ») qui prendrait la forme d’une analyse critique d’une produc-
document. Pour plus de détails, voir : http://scenari-platform.org/projects/optim/fr/
pres/co/
i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
tion numérique existante (comme c’est le cas par exemple avec l’ana-
lyse d’un texte littéraire en cours de français). Il existe en effet depuis
plusieurs décennies des œuvres de création numérique (littérature
numérique, art numérique) conçues pour être lues et agies avec un ordi-
nateur. Ces créations numériques, en tant que créations expérimentales,
jouer un rôle de révélateur de tensions entre les différents niveaux du
numérique (Bouchardon, 2011). Ces œuvres agissent en effet comme
des télescopes à tensions : elles les provoquent et les rendent obser-
vables. La mise en valeur des tensions entre les trois niveaux incite
à une prise de conscience de l’ensemble des trois niveaux qui pourra
ensuite faire l’objet d’un renforcement théorique. Il y aurait donc un
enjeu pédagogique à faire travailler les élèves de collèges et de lycées
sur des œuvres de littérature et d’art numériques.
En somme, ces quelques pistes didactiques esquissent une diver-
sité des stratégies pédagogiques susceptibles d’être mises en œuvre
l’écriture numérique et de faciliter leur mobilisation en situation réelle.
La complexité du modèle théorique requiert en effet des approches ad
hoc en fonction des publics et des notions de niveau 1 et 2 qu’il s’agit
de transmettre.
En conclusion, notre approche consiste à avancer qu’il existe des
d’être enseignées pour développer l’acquisition de connaissances méta-
scripturales tenues pour des ressources nécessaires à la compétence
scripturale.
Pour ce faire, nous proposons un modèle heuristique de ces spéci-
-
ment l’objet d’expérimentations dans le cadre de la seconde phase du
prête à un enseignement (notamment en termes de niveaux scolaires).
d’adopter une telle approche. Il n’est en effet aucunement évident que
la complexité inhérente au modèle puisse faire l’objet d’un enseigne-
suppose donc un travail de conception pédagogique et de vulgarisation
du modèle, ou tout du moins d’exiger de le faire évoluer.
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comPéTenceS eT écriTureS numériqueS orDinaireS
Cependant, à l’instar de M. Dabène, nous pensons qu’il existe
un enjeu fort à s’approprier des connaissances de l’ordre du « méta »
lorsqu’il s’agit de l’écriture, et a fortiori avec les médias numériques.
La complexité de ces derniers ne semble pas se limiter à une simple
compétence manipulatoire qui, même si elle est nécessaire, ne saurait
problème technique et/ou communicationnel, et encore moins lorsqu’il
doit sans cesse s’adapter à des dispositifs sociotechniques en constante
évolution.
50 i. caiLLeau - S. BoucharDon - S. crozaT - h. BourDeLoie
+BSB94@=41
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