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Crozat, S., Bachimont, B., Cailleau, I., Bouchardon, S., Gaillard, L. (2011). « Éléments pour une théorie opérationnelle de l'écriture numérique », Document numérique, vol. 14/3-2011, Paris : Hermès Lavoisier, 9-33.

Authors:

Abstract

Le passage à l'écriture numérique est une reconfiguration qui agit sur la nature de la connaissance. Il y a un enjeu scientifique et opérationnel à étudier cette écriture renouvelée, en particulier pour la conception de systèmes, l'analyse de pratiques et l'enseignement de l'écriture numérique. Ce papier y contribue sous la forme d'une étude théorique reposant sur une description à trois niveaux du numérique : théorético-idéal, techno-applicatif et sémio-rhétorique. Cette description est prolongée par une carte heuristique des fonctions de l'écriture numérique et un répertoire de figures rhétoriques et de genres d'écrits numériques. ABSTRACT. The change to digital writing amounts to a reconfiguration which affects the very nature of knowledge. There is a scientific and operational stake in the study of the characteristics inherent to this renewed form of writing, particularly for the design of systems, the analysis of practices and the teaching of digital writing. This paper contributes to such purpose with a theoretical study based on a three-level description of the Digital: theoretico-ideal, techno-applicative and semio-rhetorical. This description is completed through a heuristic map of digital writing functions and a catalog of rhetorical forms and genres.
Nom de la revue. Volume X – n° X/2001, pages 1 à X
Éléments pour une théorie opérationnelle
de l'écriture numérique
Stéphane Crozat*,** — Bruno Bachimont *,*** — Isabelle
Cailleau*,**** Serge bouchardon *,**** — Ludovic
Gaillard*,**
*Université de Technologie de Compiègne
BP 20529
60205 Compiègne Cedex
**Unité Ingénierie des Contenus et Savoirs
Stephane.Crozat@utc.fr
***UMR CNRS 6599 Heudiasyc
Bruno.bachimont@utc.fr
**** EA 2223 COSTECH
Isabelle.cailleau@utc.fr
Serge.bouchardon@utc.fr
RÉSUMÉ. Le passage à l’écriture numérique est une reconfiguration qui agit sur la nature de la
connaissance. Il y a un enjeu scientifique et opérationnel à étudier cette écriture renouvelée,
en particulier pour la conception de systèmes, l’analyse de pratiques et l’enseignement de
l’écriture numérique. Ce papier y contribue sous la forme d'une étude théorique reposant sur
une description à trois niveaux du numérique : théorético-idéal, techno-applicatif et sémio-
rhétorique. Cette description est prolongée par une carte heuristique des fonctions de
l'écriture numérique et un répertoire de figures rhétoriques et de genres d'écrits numériques.
ABSTRACT. The change to digital writing amounts to a reconfiguration which affects the very
nature of knowledge. There is a scientific and operational stake in the study of the
characteristics inherent to this renewed form of writing, particularly for the design of
systems, the analysis of practices and the teaching of digital writing. This paper contributes
to such purpose with a theoretical study based on a three-level description of the Digital:
theoretico-ideal, techno-applicative and semio-rhetorical. This description is completed
through a heuristic map of digital writing functions and a catalog of rhetorical forms and
genres.
MOTS-CLÉS : numérique, modèle, tropismes, principes, fonctions, figures rhétoriques, genres.
KEYWORDS : digital, model, tropisms, principals, functions, rhetorical forms, genres.
Introduction et problématique
Dans la lignée de la raison graphique mise en évidence par Goody (1979),
Bachimont (2000) a posé l’existence d’une raison computationnelle : le passage à
l’écriture numérique n’est pas seulement un changement de support, c’est une
reconfiguration du système technique de production et de manipulation qui agit sur
la nature même de la connaissance.
Il y a un enjeu scientifique et opérationnel à comprendre quelles sont les
modalités d’écriture nouvelles inhérentes au support numérique, afin d'analyser,
d'enseigner et d'anticiper les pratiques et systèmes afférents. Cet article présente une
approche tendant à caractériser théoriquement l'écriture numérique suivant plusieurs
niveaux d'abstraction.
Après avoir exposé dans cette introduction notre problématique, nous décrirons
dans la première partie les trois niveaux du numérique, du plus abstrait, sa forme
binaire en machine, au plus concret, sa forme sémiotique interprétable par un
humain. Ceci constituera la théorie générale sur laquelle nous nous appuierons, pour
l'appliquer à l'écriture dans les deuxième et troisième parties à travers une carte
heuristique des fonctions d'écriture numérique et un répertoire de formes d'écrits
numériques.
L’écriture numérique est un système technique
Si le terme d’écriture désigne en général à la fois un « système de représentation
graphique », l’« action d’écrire » et « ce qui est écrit » (Trésor de la Langue
Française informatisé), elle est comme nous le rappelle Ghitalla (1999) un
« authentique produit technique ». Il n’est en effet d’écriture qui ne dépende du
système technique qui permet de la produire, système technique dont la maîtrise est
requise et doit être apprise. Nous mobiliserons ainsi dans le cadre de cet article le
terme d’écriture dans son acception de système technique ; nous utiliserons le terme
d’écrit pour désigner le produit technique du processus ; processus que nous
nommerons acte d’écriture.
Un acte d’écriture étant piloté par une intention de communiquer un sens, cette
intention va devoir se concrétiser par une forme sémiotique qui doit, pour atteindre
son but, être directement perceptible corporellement au sens de « l’engagement
corporel » de Jeanneret (Souchier et al., 2003), de « l'utilisation des mains - et des
yeux » (Goody 2007) – via un support de manifestation.
Écriture numérique et littératie restreinte
En suivant Goody et Bachimont, l’on peut poser que, conjointement à la
naissance de l’écriture numérique, devrait naître une littératie numérique1. Cette
littératie nouvelle vient compléter et modifier les schèmes cognitifs pré-existants.
Goody (2007) propose la notion de « littératie restreinte » pour désigner l’état
relatif à une écriture restreinte, notamment lorsqu’elle en est à ses début, que le
système n’est pas totalement exploité. Si ces observations ont été formulées pour les
périodes précoces des systèmes d’écriture, il nous semble raisonnable de considérer
que l’état précoce de l’écriture numérique nous met dans un état de littératie
numérique restreinte.
Notre position est alors de considérer qu’il n’est pas encore possible de découvrir
la nature d’une raison computationnelle en genèse en observant les pratiques ou les
traces d’écriture numérique, comme les anthropologues ont pu le faire a posteriori
avec l’étude de l’apparition de l’écriture dans les sociétés orales. Un enjeu demeure
néanmoins à tenter d’en anticiper les tendances, à tenter de cerner a priori les
constituants d’une littératie numérique, étant entendu avec Goody que la littératie est
un enjeu intellectuel et un enjeu de pouvoir.
Vers une théorie opérationnelle de l'écriture numérique
L’étude théorique de l’écriture à partir des propriétés du numérique est la voie
que nous explorons ici pour anticiper et éclairer l’usage et la conception des
applications informatiques. Notons d'abord que cette approche est partielle et ne
prétend pas à elle seule régler le problème auquel elle s’attaque, seulement y
contribuer. En particulier elle ne s’oppose pas aux études des pratiques d’écriture
numérique en situation, qui sont bien évidemment complémentaires. Notons ensuite
que cette approche relève d'un processus d'abstraction visant à mieux comprendre
pour mieux faire, concevoir des systèmes en ingénierie documentaire par exemple. Il
ne s'agit pas d'un processus de découverte d'une réalité naturelle, au sens des
sciences expérimentales typiquement, que nous ne savons pas appréhender.
C'est en cela que la théorie que nous construisons est opérationnelle ; elle vise à
être l'instrument d'une ingénierie, en particulier dans le cadre de projets de recherche
et développement auxquels participent les auteurs : la conception de systèmes
1 Littératie, anglicisme de literacy, comme antonyme d'illettrisme, signifie, au-delà
de l'alphabétisme, la capacité de mobiliser l'écriture pour accomplir ses objectifs.
informatiques d’écriture est l'objet de la chaîne éditoriale Scenari2 et du projet C2M3,
qui étudie l’évolution de ces systèmes dans un environnement collaboratif ; l’analyse
et l’amélioration de pratiques d’écriture numérique et la formation des citoyens à ses
spécificités est l’objectif du projet PRECIP4.
Pour l’enseignement de l’écriture numérique
La théorie est utilisée dans le cadre du projet PRECIP pour élaborer des modules
de formation courts aux principes de l’écriture numérique. L’idée est de former aux
fondamentaux d’une littératie numérique, pour faire émerger des lettrés du
numérique, au-delà de l’alphabétisation classiquement prise en charge par les
formations traditionnelles à l’utilisation des outils. La méthode employée consiste à
faire travailler les apprenants aux trois niveaux de la carte pour prendre conscience
des tropismes de l’écriture et ainsi développer des connaissances méta-scripturales
spécifiques au numérique (Dabène, 1991).
Ces modules sont mis en œuvre depuis septembre 2010 : dans le cadre de
l’enseignement dans le supérieur (UTC, automne 2010 ; universités Paris 8 et
Picardie Jules Verne, printemps 2011) ; dans le secondaire (collèges et lycées de
Picardie, printemps 2011) ; et pour les citoyens dans le cadre des Espaces Publics
Numériques (Amiens, printemps 2011).
Pour l’analyse de pratiques d’écriture numérique
L’idée générale est que les professionnels de l’écriture numérique développent
une littératie particulièrement intéressante du fait de leurs contraintes. Leur travail se
cristallise peu à peu en systèmes d’écriture et en formes sémiotiques adaptés au
numérique et à leur contexte (Tardy et al., 2007). Notre hypothèse est qu’il est
possible de généraliser ces cristallisations au-delà de leur contexte de genèse, en les
analysant sous le prisme de notre théorie, afin ensuite d’élaborer les bases de
compétences scripturales numériques ordinaires. Tandis que le point précédent
travaille plus sur le niveau théorique de l’écriture, celui-ci s’appuie sur ses réalités
observables.
2 Scenari, sytème de conception de chaînes éditoriales numériques, http://scenari-
platform.org
3 C2M, chaînes éditoriales collaboratives multimédia, http://www.utc.fr/ics/c2m
4 PRECIP, pratiques d’écriture interactive en Picardie, http://precip.fr
Nos analyses5 concernent des réalisations originales de l’Ina6, en particulier les
fresques (Gaillard et al., 2011) et les webradios (Saint Martin et al., 2007), des
webdocumentaires ou descits interactifs (Bouchardon, 2009). Ces études nous
permettent de mettre à jour des techniques d’écriture sensées pour appréhender les
problématiques de l’écriture multimédia, typiquement la spatialisation et la
délinéarisation des contenus à caractère temporel (audio et vidéo) et de mettre à jour
l’émergence de formes sémiotiques et rhétoriques nouvelles, qui répondraient à la
« tendance technique » (Leroi-Ghouran, 1973) du numérique (Bachimont, 2004).
Pour la conception de systèmes d’écriture numérique
La théorie a enfin vocation à être utilisée pour l’innovation en ingénierie
documentaire. Ce domaine de l’informatique concerne la réalisation de systèmes
permettant et optimisant l’articulation de la manipulation technique et de
l’interprétation culturelle des documents. Son enjeu est donc d’identifier des
possibles techniques qui trouveraient un sens dans les pratiques d’écriture, ou de
lecture, et de leur donner corps sous la forme d’applications et de fonctions
concrètes.
Les chaînes éditoriales Scenari (Crozat, 2007) mettent à disposition des fonctions
de polymorphisme et de réutilisation qui sont mobilisées dans des actes d’écriture
multimédia (par exemple à l’Ina), d'écriture pédagogique (communauté scenari-sup7)
ou d'écriture technique (usages en entreprise typiquement) (Crozat et al., 2009). Ces
fonctions optimisent l’acte d’écriture en répondant à de nouveaux besoins (le
polymorphisme permet de diffuser sur de multiples supports : papier, Web,
diaporamas, smartphones…), et le modifie en introduisant de nouvelles modalités (la
réutilisation de fragments induit une écriture plus granulaire). L’enjeu est donc d’une
part de faire émerger de nouvelles fonctions pour tester leur pertinence en situation,
et d’autre part d’automatiser les fonctions pertinentes en les rendant facilement et
systématiquement mobilisables par les auteurs.
La théorie que nous avons élaborée devient dès lors un outil intentionnel
d’invention des systèmes d’écriture en genèse : « il est apparu que le milieu intérieur
produisait des objets, non d’une manière automatique [...], mais par des intentions
successives, qui se traduisent en objets de plus en plus perfectionnés, en inventions
progressives » (Leroi-Gourhan, 1973, p.397) ; ou un élément d’une mécanologie des
machines d’écriture numérique (Simondon, 1958) : « il y a dans les objets techniques
une dynamique [...] [qui] joue un rôle déterminant dans le mouvement du devenir
humain, et doit être étudiée pour elle-même » (Stiegler, 1994, p.244).
5 cf. partie 3 « Un répertoire de formes d'écrits numériques »
6 Institut National de l'Audiovisuel
7 http://scenari-platform.org/sup
1. Les trois niveaux du numérique
Le numérique permet de rendre les contenus manipulables en les coupant de leur
signifiance originelle : en les transformant en ressources binaires intelligibles sans
les conventions de lecture associées, on libère en quelque sorte leur potentiel
calculatoire mais au prix d’une coupure radicale avec le sens.
Toute la question sera alors de pouvoir renégocier la signifiance de la ressource
quand on la mobilisera pour restituer les contenus dont elle est la codification. En
effet, le numérique permet de rendre manipulable n’importe quel contenu en le
rapportant à des symboles vides de sens manipulables par des règles elles-mêmes
vides de sens. Cette absence de signification permet la mécanisation, ce que la
machine de Turing théorise et que nos ordinateurs concrétisent. Le numérique se
caractérise alors par une double coupure, un double isolement : le numérique est
coupé de l’interprétation d’une part, et coupé de sa matérialisation d’autre part.
Le numérique n’a par lui-même aucune prescription interprétative : une ressource
numérique ne dit pas par elle-même comment il faut la lire et l’interpréter. Quand on
considère une séquence binaire, on peut la lire comme une image via un décodeur
adéquat, ou comme un son, ou encore comme une vidéo. La nature sémiotique de la
ressource binaire lui vient de manière extrinsèque, et la ressource binaire reste
fondamentalement neutre vis-à-vis de son interprétation qui ne pourra alors qu’être
arbitraire.
Par ailleurs, le numérique est un code, comme on l’a vu, dont la structure et les
règles ne dépendent pas de la manière dont il est matériellement réalisé. Les
propriétés numériques d’une ressource sont insensibles aux propriétés physiques de
sa réalisation matérielle. C’est ainsi qu’on peut avoir la même ressource binaire sur
un support optique ou magnétique : la matérialité n’influence pas le codage.
Mais cette double coupure reste néanmoins idéale. Car en pratique, il faudra bien
manipuler le numérique, et si on veut que cette manipulation soit exploitable, il
faudra l’effectuer via des formats et des outils qui sortiront le numérique de son
isolement sémantique pour lui conférer des propriétés à partir desquelles on
l’utilisera. Par exemple, un format de type texte permet de considérer les éléments
binaires d’une ressource comme des caractères et permet de manipuler la ressource
en termes de caractère et pas seulement en termes de bits. A ce stade, même si c’est
encore à un niveau très élémentaire, nous sommes passés au-delà de la frontière du
non sens : on aborde le binaire non pour ce qu’il est mais à travers le format qui nous
le donne.
De même, l’implémentation matérielle du binaire n’est pas neutre, et la structure
du dispositif permettant l’implémentation rejaillit immanquablement sur la
manipulation du binaire que l’on fera. On sait, dans l’histoire de l’informatique,
comment les langages de programmation, répliques en théorie d’une machine de
Turing universelle idéale, sont conditionnés et influencés par la structure de la
machine, de ses périphériques, etc. Ainsi Fortran, langage informatique créé dans les
années 1960, reflète dans sa structure la conception matérielle des machines de son
temps.
Si bien qu’il faut aborder le numérique tel qu’il est en lui-même pour comprendre
le potentiel qu’il propose, mais aussi à travers ce qui permet de l’interpréter et de le
matérialiser, les formats d’interprétation et d’implémentation introduisant des
Illustration 1. La double coupure, matérielle et interprétative, du numérique
contraintes qu’il faut respecter pour pouvoir manipuler la ressource. Le format
Unicode par exemple permet de fixer la correspondance entre une séquence binaire
et un caractère. On est donc conduit à définir finalement plusieurs niveaux dans le
numérique selon le niveau de concrétisation on le considère, depuis son idéalité
numérique jusqu’à sa réalité sémiotique ou matérielle.
Dans cette perspective, il convient de discerner 3 niveaux distincts :
- le niveau théorético-idéal : c’est le numérique comme principe calculatoire qui
a pour tendance de réduire les contenus à une combinatoire aveugle de signes privés
de sens, les 0 ou les 1, ou n’importe quelles autres unités logiques formelles
constituant un alphabet de manipulation. Mais dès qu’on utilise le numérique, ce
n’est pas seulement pour profiter de ses propriétés calculatoires, mais pour les
appliquer à des entités possédant une réalité matérielle et un sens interprétatif.
L’enjeu est alors de savoir sortir de l’autarcie du numérique pour le renégocier dans
le monde de la matière et du sens. D’une part, on le matérialise, c’est
l’implémentation, d’autre part on l’utilise pour manipuler des contenus et interagir
avec le système. On distingue alors deux niveaux selon qu’on s’intéresse au support
matériel de manifestation et sa forme d’interprétation, au sens de Bachimont (2007),
ou bien aux formats d’interaction et leurs formes d’usage associées.
- le niveau techno-applicatif, niveau de la manifestation : il s’agit de mobiliser le
numérique sur des contenus via des formats et les fonctions qui leur sont associées.
Les formats correspondent à la structuration sous forme calculable ou manipulable
du contenu : les alphabets comme Unicode ou ASCII, les codages comme JPEG ou
MPEG, etc. Ce niveau introduit une tension entre la forme d’expression du contenu
et la structuration que les formats lui imposent.
- le niveau sémio-rhétorique, niveau de l’interaction : le contenu numérique
s’accompagne d’une manière de faire sens héritée de son instrumentation numérique
liée à l’interaction proposée, les manipulations rendues possibles, les parcours
interprétatifs induits. On constate une tension entre les stéréotypes du discours et de
la construction de sens et les écarts induits tant par l’écriture que par l’interprétation
dans l'espace du numérique.
On voit alors que le numérique comme tel, objet idéal comme calculabilité et
combinatoire, prend une existence matérielle via l’implémentation et une consistance
pratique via la manifestation d’un contenu sous une forme sémiotique perceptible et
via l’interaction qu’il permet.
Le niveau théorético-idéal
Ce niveau est celui du code binaire défini dans son double isolement interprétatif
et matériel. C’est le code pour lui-même avec les règles de manipulation qu’il
permet, et dont découlent toutes les propriétés dont on pare souvent le numérique à
savoir la calculabilité universelle, la pérennité, la capacité de recopie parfaite, etc.
Un point important est que ces propriétés, valables uniquement au niveau théorique
du numérique, sont idéales et jamais totalement réalisées en pratique. C’est d’ailleurs
la raison pour laquelle le numérique est à la fois une promesse et une déception, car
alors qu’on envisage ses propriétés idéales en se plaçant au niveau théorique, on se
retrouve confronté à sa réalité concrète, quand les propriétés idéales ne sont plus
valables.
La manipulation porte sur des unités discrètes qui sont codées de manière
arbitraire en code binaire (0 et 1) et sont dépourvues de sémantique a priori. Elles
vont ainsi pouvoir être manipulées selon des règles formelles indépendamment de
toute sémantique, si bien que ce premier niveau se caractérise par deux principes
fondamentaux : la discrétisation et la manipulation.
Le niveau théorique correspond au fait que tout contenu, dès lors qu’il est
numérique ou numérisé, peut être réduit à un code calculable, manipulable, dont la
signification éventuelle est arbitraire et indépendante de la manipulation formelle.
Dans cette optique, le contenu devient un code anonyme manipulable de manière
aveugle, totalement arbitraire par rapport à la signification que l’on peut associer au
contenu. Si bien que le caractère numérique introduit une tension entre l’ouverture
d’un horizon de manipulations arbitraires possibles et le fait que seules certaines
manipulations seront signifiantes.
Le numérique à ce stade reste une abstraction, un idéal : en pratique, on a
toujours affaire à des symboles matériels physiquement réalisés (implémentation) et
perceptiblement montrés (interfaces de manifestation et d’interaction). Le numérique
se concrétise ainsi selon deux axes complémentaires comme on l’a dit : un axe de
matérialisation, il prend une consistance physique et acquiert une structuration
dépendant de notre capacité technique à interagir avec la matière, et un axe
d’interprétation, on applique au binaire abstrait plusieurs niveaux de décodage
pour en donner une expression interprétable. La concrétisation conduit donc à
introduire des contraintes exogènes au numérique, les contraintes de la matière, et
l’architecture des machines dépendra des techniques et des procédés physiques mis
en œuvre, et les contraintes du sémiotique, la manière d’opérer sur les objets
binaires dépendra du sens qu’on voudra leur faire endosser à travers nos interfaces
de manipulation. Le numérique perd sa pureté essentielle faite d’abstraction et de
manipulation pour devenir une réalité située, contextualisée, perdant ainsi son
universalité de principe.
Le niveau techno-applicatif
Dès qu’on voudra manipuler effectivement une ressource binaire, il faudra le
faire via des formats qui permettront de l’aborder. Ces formats sont des restrictions
apportés à l’universalité du numérique pour faciliter un certain type de manipulations
au détriment d’autres : manipuler directement un caractère, un pixel plutôt que leur
décomposition binaire. Ces formats introduisent par conséquent une logique et des
contraintes, optimisant certaines opérations et en interdisant d’autres.
Ce niveau est fondamental car c’est à ce stade que les applications se conçoivent
et sont réalisées. A partir des formats structurant le code, les applications proposent
des fonctionnalités et permettent certains possibles tout en en interdisant d’autres.
On sort de l’universalité du numérique pour aborder des fonctions précises non
seulement possibles en théorie, mais rendues effectives via une application.
Par exemple, une ressource binaire peut représenter n’importe quoi, puisqu’elle
est a-sémantique. Mais si on veut la considérer comme une vidéo, et qu’on la décode
du point d’un format d’encodage vidéo, certaines fonctionnalités inhérentes au
format seront possibles tandis que d’autres ne le seront pas. Notamment, si on prend
un format MPEG compressé, on n’aura pas la possibilité de l’arrêt à l’image près, ce
qui sera impropre pour du montage virtuel par exemple. Le format rend possible la
lecture, mais non le montage. En ouvrant des possibles, il en interdit d’autres.
A ce niveau, c'est la notion de format qui prime : il s'agit d'un niveau l'on
formate le binaire (ou l'alphabet formel) pour construire de manière a priori un
espace des possibles. Cette notion d'a priori est ici essentielle. Car on pourrait croire
qu’à ce stade on a affaire à des signes, puisqu’on interprète les bits en symboles, et
qu’on est donc dans un contexte sémiotique, où les signes font sens à travers l’usage
qu’on en fait. Mais quand on parle d'Unicode par exemple, c'est un format qui
prescrit a priori l'expression linguistique en numérique. Alors que l’usage se traduit
par un parcours interprétatif a posteriori redéfinissant les signes et leur sens, la
conception applicative propose un formatage qui prescrit a priori des signes et leur
manipulation formelle. Dans l’interaction, l’usager dégage des unités comme étant
des porteurs de sens : il sémiotise la forme d’expression en y reconnaissant des
signes. Ainsi, du point de vue technique, les signes sont définis et prescrits a priori,
alors que du point de vue applicatif et de l’usage, les signes sont définis a posteriori,
ils ne préexistent pas au parcours interprétatif qui les dégage.
Il s’instaure alors une tension entre le format, technique et mobilisant des unités
a priori, et les formes sémiotiques manifestées par ces formats, formes qui sont
interprétatives et dégageant a posteriori les unités de sens. Ce qui est manipulable
n’est pas directement ce qui est signifiant, ce qui est signifiant n’est pas directement
ce qui est manipulable.
Le niveau sémio-rhétorique
Finalement, les unités binaires formatées au niveau technique vont se manifester
via des interfaces pour permettre l'interaction avec l'utilisateur de l'environnement
informatique associé. Quand il s’agit de contenus, la ressource binaire se manifeste
via une forme sémiotique donnée qui introduit sa cohérence et ses contraintes
interprétatives. Lire un texte, voir une vidéo, consulter un graphique sont autant de
registres sémiotiques distincts que l’on peut rendre possible à partir de ressources
numériques mais qui privilégieront certaines combinaisons, opérations, organisations
sur la ressource plutôt que d’autres.
Au-delà du contenu manifesté via des formats de codage et de manipulation, le
numérique permet d’interagir avec le contenu et les fonctions de l'application. Si les
possibles d'écriture sont ouverts au niveau techno-applicatif, au niveau sémio-
rhétorique on s'intéresse aux écrits eux-mêmes, au sens des productions qui seront
manipulées en vue de leur interprétation. On peut alors caractériser les schémas
d’interaction proposés à l’utilisateur qui structurent sa lecture. Ces schémas se
traduisent par des organisations, des présentations, des possibilités d'actualisation
dans l'espace et le temps de la consultation, des possibilités de transformation
dynamique du contenu, des outils d'annotations… Et de la même manière qu’on a
une combinatoire induite par le codage, on a une combinatoire des schémas
d’interaction, qui s'instancient en figures rhétoriques et en genres discursifs.
Ces schémas et leur combinatoire, comme possible d'interaction proposé à
l'utilisateur final, sont en tension avec les pratiques effectives et l’usage réel qui en
est fait. Figures rhétoriques et genres sont des constructions programmant des
écritures et des lectures idéales, mais qui sont déconstruites par les lectures et
écritures effectives. Aussi y a-t-il une double tension entre programmation par les
figures et les genres et réalisation dans l'acte d'écriture, d'une part, et entre
programmation par l'écriture et détournement par l'interprétation, d'autre part.
Ces trois niveaux sont en tension entre eux d'une part, et possèdent par eux-
mêmes leur propre tension d'autre part. Le niveau théorique connaît la tension entre
le format formel idéal et le substrat physique sous-jacent, c’est la tension de
l’implémentation. Le niveau techno-applicatif connaît la tension entre le format de
codage et la forme d’interprétation, c’est la tension de la manifestation. Le niveau
sémio-rhétorique connaît la tension entre les fonctions du système et la pratique
d’usage, c’est la tension de l’interaction.
Par exemple, au niveau techno-applicatif, la forme sémiotique vidéo présente des
contraintes de lecture : en effet, une séquence vidéo fait sens lorsqu’elle est regardée
du début à la fin. Elle propose une globalité linéaire, avec une certaine progression.
Or, du point de vue du format, il est possible de proposer une fragmentation,
inhérente à la logique de manipulation. Lorsque cette fragmentation est appliquée à
la vidéo se pose la question du sens : comment reconstruire du sens à partir de cette
fragmentation ? Que devient la forme sémiotique dès lors qu’elle est formatée et
fragmentée ?
Autre exemple, au niveau sémio-rhétorique, les fonctions d’interaction auront
tendance à séparer les fonctions d’écriture des fonctions de mises en forme, séparant
d’une certaine manière le fond et la forme. Pourtant, la pratique de l’écriture révèle
que la manière d’écrire influe sur la nature de ce que l’on écrit, les soucis de mise en
forme faisant partie de l’expression du contenu. Ce sont des difficultés inhérentes au
numérique que l’on retrouvera exacerbées dans les systèmes dit d'écriture structurée
(comme les chaînes éditoriales XML ou LaTeX) les auteurs se voient proposer
une logique rationnelle du point de vue du format mais contre-intuitive du point de
vue de l’écriture.
Enfin, entre les niveaux, on trouvera une tension entre le techno-applicatif et le
sémio-rhétorique : d’un point de vue technique, il faut que les fonctions d’interaction
soient constructibles à partir des formats de codage. De même, la pratique d’usage
qui en découle doit pouvoir s’articuler avec les formes sémiotiques de manifestation.
En reprenant l’exemple de la vidéo, la fragmentation permet de donner lieu à de
nouvelles formes sémiotiques, que l’on voit fleurir sur le Web par exemple, et qui
induisent des pratiques inédites. Les tensions sont ainsi productives et reconfigurent
tant les contenus que leur signifiance. On peut voir ainsi émerger le film interactif,
dans lequel la vidéo serait délinéarisée voire documentée à l’aide d’autres
ressources.
2. Une carte heuristique des fonctions d’écriture numérique
La seconde contribution que nous proposons dans ce papier est un
approfondissement du niveau 2. L’idée est d’énoncer un ensemble de fonctions que
proposent ou pourraient proposer les applications d’écriture numérique, à partir
d’une analyse théorique du niveau 1 et d’observations pratiques au niveau 3. Nous
proposons une carte heuristique permettant de les cerner (les termes propres de cette
carte sont suffixés d’un astérisque dans le cadre de cet article).
Structure hiérarchique de la carte
Cette carte se fonde sur une description hiérarchique à trois niveaux :
- Le niveau 2.1 présente des tropismes, des tendances inhérentes aux propriétés
fondamentales du numérique.
- Le niveau 2.2 instancie ces tropismes en principes, c’est-à-dire en potentiels
techniques ouverts pour les applications d’écriture (le champ du possible).
- Le niveau 2.3 décline les principes en fonctions, c’est à dire en modalités
effectives d’écriture rendues disponibles par les applications (le champ de l’utile,
avéré ou supposé).
Par exemple, on trouvera au niveau 2.1 la propriété de manipulabilité* (toute
inscription est manipulable via le calcul) ; au niveau 2.2 le principe de
fragmentation-agrégation* (un contenu est divisible en unités que l'on peut ré-
agréger différemment) ; et au niveau 2.3 la fonction de réutilisation* (une même
ressource peut être utilisée dans plusieurs documents différents).
Élaboration communautaire de la carte
La carte que nous proposons n’est pas exhaustive et des choix de formulation
différents auraient pu être faits. Elle est également évolutive. C’est en effet sa valeur
heuristique qui est considérée, et les usages qui en sont effectués (conception,
enseignement, analyse de corpus...) peuvent mettre en évidence des représentations
inappropriées.
Il faut donc considérer cette carte à la fois comme une image à un instant donné
de la vision qu’une communauté de chercheurs a des fonctions d’écriture, et comme
un objet de négociation au sein du processus permettant l’élaboration de ce point de
vue. La carte est disponible via un site Web (http://precip.fr/map) sur lequel chacun
peut visualiser la version courante de la carte mais aussi la discuter via des
commentaires. Cette communauté est aujourd’hui constituée des membres du projet
PRECIP (ibid.), mais elle a vocation à s’élargir à tous les chercheurs du domaine
intéressés à participer.
Le niveau « 2.1 » Tropismes
Au niveau 2.1 on relève les quelques propriétés fondamentales (5 à date)
intrinsèquement associées au numérique. Ces propriétés ont un caractère tropistique
au sens l’écriture numérique tend vers elles. Si elle ne sont pas nécessairement
l’apanage exclusif de l’écriture numérique, si elles existaient sous des formes
primitives dans l’écriture non numérique, elles sont considérablement amplifiées et
modifiées par celle-ci, comme l’oralité l’a été par l’écriture (Goody, 1979). Chacune
est énoncée sous la forme « Le numérique conduit à +verbe » et est associée à une
description détaillée.
Manipulabilité Le numérique conduit à appliquer des règles de manipulation
automatique sur le contenu.
Abstraction Le numérique conduit à l’élaboration de modèles formels
permettant d’abstraire le contenu.
Adressabilité Le numérique conduit à disposer d’ancres et d’index pour
adresser directement un contenu.
Universalité Le numérique conduit à encoder sans frontière formelle tout
type de contenu.
Clonabilité Le numérique conduit à produire de multiples instances
identiques d’un contenu.
Tableau 1. Formulation des cinq tropismes
Rappelons que la formulation de telles propriétés relève d'un point de vue,
discutable, et discuté. En particulier elles ne sont pas exclusives, et la plupart des
principes que nous allons formuler ci-après pourrait finalement se retrouver au sein
de plusieurs d'entre elles. Nous avons fait le choix d'association qui nous a paru le
plus caractéristique, étant entendu que nous avions préalablement fait le choix de la
représentation arborescente, simplificatrice, plutôt que du réseau, plus complexe.
L'information stockée sur un support numérique est codée sous la forme de
séquences binaires, selon un format connu au niveau applicatif. Il est possible d'y
appliquer des règles formelles de traitement algorithmique, exécutables par la
machine. Chaque traitement algorithmique est une manipulation de l'information.
Tableau 2. Exemple de description détaillée de la manipulabilité*
Le niveau « 2.2 » Principes
Au niveau 2.2, on énonce pour chaque tropisme du niveau 2.1 quelques principes
techniques (3 en général), permettant de rendre compte d’un possible technologique.
Il ne s'agit pas encore de fonctions opérationnelles de l'écriture (que l'on retrouvera
au niveau 2.3), mais de potentiels techniques ouverts par des paradigmes applicatifs
généraux. Ces principes sont énoncés sous la forme « Le support numérique permet
de +verbe », ils sont également associés à des descriptions détaillées.
Transformation Le support numérique permet de transformer un contenu en un
autre contenu.
Fragmentation-
Agrégation Le support numérique permet de fragmenter le contenu en unités
potentiellement signifiantes pour les agréger différemment.
Interactivité Le support numérique permet de programmer des interactions
avec le lecteur en vue d’adapter sa lecture du contenu.
Tableau 3. Formulation des trois principes de la manipulabilité*
Le niveau « 2.3 » Fonctions
Au niveau 2.3, enfin, pour chaque principe, on décline quelques fonctions, qui
expriment des possibilités effectives offertes pour l’écriture numérique par les
applications. Les fonctions sont énoncées sous la forme "L’écriture numérique
propose de +verbe", et sont associées à des exemples.
Traitement
automatique L’écriture numérique propose de
traiter un contenu en vue de lui
opérer des modifications
automatiquement.
Exemples : Fonction
« remplacer par » ; logiciels de
traitements de son ou d’image.
Génération
automatique L’écriture numérique propose de
créer des contenus
automatiquement à partie de
contenus préalablement existants.
Exemples : Extraction d’une
image à partir d’une vidéo ;
Synthèse vocale à partir d’un
texte.
Raffinement
progressif L’écriture numérique propose de
modifier manuellement un contenu
« brut » pour parvenir
progressivement à un contenu
« finalisé ».
Exemples : L’écrit est en
permanence modifiable ;
Possibilité de construction
progressive d’une carte
conceptuelle
Tableau 4. Formulation et exemples (extrait) pour les trois fonctions de la
transformation*
3. Un répertoire de formes d'écriture numérique
La carte heuristique formulée au niveau 2 a permis de circonscrire le potentiel
calculatoire du niveau 1 à un potentiel fonctionnel sensé pour l'écriture numérique.
Mais si cette carte fait émerger des fonctions sensées a priori, sensées en général, la
tension avec le niveau 3 relève de la façon dont ces fonctions sont sélectionnées et
sont manifestées au sein d'instances sémiotiques particulières.
L'objectif de cette troisième partie est donc de faire émerger au niveau 3 des
formes typiques de la littératie numérique et de montrer comment elles s'articulent
avec les fonctions d'écriture mises en exergue au niveau 2.
Forme sémiotique, figure rhétorique, genre
On appelle ici forme sémiotique la manifestation d'un contenu telle qu'elle suscite
une interprétation par un lecteur. On pourra citer comme exemple, classiquement un
son, une image, un texte ou une vidéo.
Une figure rhétorique est le sultat de la mobilisation intentionnelle par un
auteur de formes sémiotiques, en vue d'une interaction pour une interprétation avec
un lecteur. On donne ici au terme de rhétorique un sens large, qui comprend
plusieurs dimensions, telles que : une composante logique qui reflète l'organisation
conceptuelle des différents arguments entre eux, une composante temporelle qui
reflète les choix en termes d'organisation du cheminement discursif et une
composante stylistique qui reflète les articulations entre la forme des ressources
mobilisées, le sens du discours souhaité et les formes des publications finales
(Gaillard, 2008, pp.60-62). Un exemple de figure rhétorique simple est un audio
segmenté : une forme sémiotique sonore navigable par segment. Une figure
rhétorique peut être définie récursivement par composition à partir d'autres figures
plus simples. Un exemple de figure rhétorique composée est un audio chapitré et
augmenté : on associe en plus à chaque segment des titres et descriptions, et des
compléments (textuels, visuels voire audiovisuels) que l'utilisateur peut mobiliser s'il
le souhaite pendant l'écoute.
Un genre est une finalité communicationnelle qui s'instrumente via la
mobilisation et la composition de figures rhétoriques. Gaillard rappelle que « pour
Aristote, le genre d'un discours se détermine par rapport à sa finalité, c'est-à-dire la
recherche d'un certain type d'effet sur un certain type d'auditoire. » et parle d'un
« ensemble de structures en interaction » (op. cit.). Un exemple de genre est la
webarchive, dont la finalité est la remise à disposition d'une archive pour une
consultation actualisée. Précisons néanmoins que les genres du numérique sont
encore en émergence, en construction, et ne peuvent à ce stade revendiquer le statut
de modèles d’attente et de reconnaissance au sens de Compagnon (2001) : « Le
genre permet à la fois de créer une attente et de garantir une reconnaissance ».
Dans cette troisième partie nous présentons, sans souci d'exhaustivité, des
exemples de productions en termes de formes sémiotiques, figures rhétoriques
mobilisées et genres visés. Par exemple, les webradios, telle qu'elles sont produites à
l'Ina (voir ci-après), sont des figures rhétoriques de type « audio chapitré, illustré et
augmenté », au service du genre « webarchive ». Un autre exemple emprunté à des
écritures numériques plus ordinaires est la figure rhétorique de type « billet +
commentaires + liens/rétroliens » qui s'instancie en un blog dans le cadre du genre
« journal extime ».
Un genre n'est pas en général prisonnier d'une figure rhétorique, et une figure n'est
pas dédiée à un genre. Ainsi par exemple la figure « audio chapitré, illustré et
augmenté » peut être utilisée pour produire des récits du genre « contes enfantins »,
et le genre « webarchive » peut mobiliser des figures telles que des vidéos chapitrées
et augmentées et des collections cartographiées et temporalisées comme dans les
fresques hypermédias de l'Ina8.
8 http://www.ina.fr/fresques/
Illustration 2: La figure rhétorique de l'audio chapitré, illustré et augmenté
La webarchive (webradio et webtv)
Le Groupe de Recherches Musicales (GRM) de l’Ina est à l’origine d’un
dispositif de valorisation d’enregistrements radiophoniques sur le thème de la
musique électroacoustique. Il produit pour cela des webradios9, émissions de radio
rééditorialisées pour le Web, navigables et enrichies. L'intention éditoriale est la
remise à disposition d'une archive, pour permettre de prolonger sa vie à travers de
nouvelles consultations, actualisées dans le fond (remise en contexte) et dans la
forme (mobilisation des modalités d'interaction ouvertes par le numérique). Ce type
de production s'inscrit dans un genre que l'on se propose de nommer webarchive,
comme archive que l'on redonne à voir sur le Web, et prenant en compte les
modalités de consultation du Web (Saint Martin et al., 2007).
Les webradios du GRM s'appuient sur une figure rhétorique, que l'on nommera
flux audio chapitré, illustré et augmenté, combinant :
- un flux audio maître, l'archive radiophonique originale qui doit pouvoir être
consultée pour elle-même indépendamment de tout ajout lié à sa rééditorialisation ;
- une segmentation du flux en chapitres (segments titrés), permettant sa
consultation partielle, non linéaire ;
9 http :// www . inagrm . com / grm - webradios
Illustration 3: La webradio du GRM comme forme rhétorique audio chapitré,
illustré et augmenté appliquée à la webrachive
- la synchronisation d'illustrations visuelles (ici essentiellement des
photographies ou des partitions musicales) sur chaque segment : ces illustrations sont
présentées à l'utilisateur de façon synchrone lorsqu'il le souhaite (choix de la mise
forme consultée) et qu'il consulte la webradio via un terminal qui le permet (un
ordinateur par exemple, pas un lecteur MP3) ;
- des compléments associés à chaque segment offrant une information
complémentaire relative à celui-ci, que l'utilisateur doit actualiser volontairement via
un lien, et qui n’interrompent pas l'écoute (sauf en cas de complément lui-même
audio ou audiovisuel).
Les principales fonctions mobilisées au niveau 2 sont (on précisera entre
parenthèses pour chacune le principe et le tropisme associé, dans cet ordre) :
- le chapitrage* (hypertextualisation*, adressabilité*) et l'identification* (méta-
information*, universalité*) pour le flux segmenté et annoté (titre, imagette,
description) ;
- l'intersémiotisation* (multimédia*, universalité*) pour les illustrations,
combinée aux liens inter-documents* (hypertextualisation*, adressabilité*) pour les
compléments ;
- on pourra également ajouter la manipulation de médias* (interactivité*,
manipulabilité*) pour la possibilité de naviguer dans le flux principal et les
compléments audiovisuels librement, et le polymorphisme* (séparation
contenu/présentation, abstraction*) pour la possibilité de publier la webradio sous
diverses formes (podcast audio chapitré sans illustrations ni compléments, version
micro-player sans illustration, version macro avec illustrations synchronisées).
L'écriture de type webradio tente de gérer les tensions introduites par
l'interactivité, la spatialisation et la délinéarisation. L'objectif n'est pas à l'origine de
donner autre chose, une version interactive de l'émission de radio par exemple, mais
de redonner la même émission autrement, via le Web et sur un terminal disposant
d'une composante graphique. L'émission n'a pas été produite pour une manipulation
numérique, la tension se manifeste dans la dualité entre donner à réécouter l'archive
via une écoute complète et linéaire, telle qu'elle a été écrite et les propriétés du
numérique qui tendent à rompre avec la forme originelle. Typiquement la
délinéarisation est constitutive du numérique, aussi le contenu sera probablement
navigué non linéairement par le lecteur, via le curseur de son lecteur audio. La forme
proposée tente de gérer cette tension en proposant un chapitrage qui en acceptant un
certain degré de délinéarisation programmée, pour anticiper une lecture
nécessairement délinéarisée, rompant ainsi volontairement avec l'intégrité de
l'archive, pour mieux s'inscrire sur le nouveau support de lecture. De même l'ajout
d'illustrations cherche à donner corps à un contenu temporel pour qu'il puisse exister
sur un écran, et les compléments cherchent à donner à feuilleter à des utilisateurs peu
soucieux d'une seule écoute "passive".
À l'instar du travail réalisé pour les archives radios, le GRM étudie le concept de
webtv comme flux vidéo chapitré, illustré et augmenté, pour la valorisation
d'archives télé ou de concerts filmés. Une tension complémentaire naît de la co-
spatialisation de la vidéo et des illustrations et compléments. Enfin dans le cadre du
projet C2M (ibid.), le GRM travaille également à un dispositif d'écriture collaboratif,
notamment pour la création contributive des compléments.
Le webdocumentaire
L'un des volets du projet C2M (ibid.) concerne l'instrumentation d'une chaîne
éditoriale collaborative pour réaliser des documentaires interactifs ou
webdocumentaires à vocation culturelle et/ou éducative basés essentiellement sur
l'exploitation de ressources audiovisuelles. L'intention éditoriale est similaire au
travail d'écriture d'un documentaire classique : L'auteur y expose un récit et propose
à son lecteur de suivre avec plus ou moins de liberté une histoire désormais
multimédia et interactive avec son début, son déroulement et sa clôture.
La figure rhétorique générale est celle d'un ensemble de séquences vidéo (chaque
séquence pouvant être chapitrée, augmentée…) organisé suivant un schéma portant
sur l'agencement temporel (mode de cheminement au sein et entre les séquences) et
des figures stylistiques désormais multimédias. L'on présentera ici à titre d'exemple
quelques formes typiques du genre : Le cheminement par étape s'appuie sur des
nœuds narratifs permettant de déclencher la séquence suivante (voir par exemple
« Prison Valley »10 ou « Otage de moi »11) ; la figure de la confrontation permet de
juxtaposer des vidéos sans les hiérarchiser comme des témoignages contradictoires
ou points de vue divergents sur un même sujet (voir par exemple « Gaza -
sderot »12) ; la figure du contrepoint se compose d'un flux maître associé à des
séquences proposées en contrepoint (voir par exemple « Le corps incarcéré »13).
10 http://prisonvalley.arte.tv/?lang=fr
11 http://otage.onf.ca/#/otage
12 http://gaza-sderot.arte.tv/
13 http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2009/06/22/le-corps-incarcere_1209087_3224.html
Comme exemple de fonctions mobilisées au niveau 2 on citera les parcours
multiples* et manipulation de médias* (interactivité*, manipulabilité*) pour les
modes de cheminement proposés au lecteur dans l'histoire ; la profondeur variable*
(mobilisation*, abstraction*) pour les modes de configuration du récit ; la
séquentialisation* et la spatialisation* (fragmentation-agrégation*, manipulabilité*)
permettant l'apparition de figures stylistiques proprement multimédias comme la
confrontation ou le contrepoint ; l'intersémiotisation* (multimédia*, universalité)* et
le lien intra et inter-documents* (hypertextualisation*, adressabilité)* comme
extension portée par le webdocumentaire par rapport au documentaire classique.
Comme exemple de tension associée à ce genre on pourra citer les tendances
contradictoires entre une narration « à cheminement imposé », héritée du genre et de
la forme sémiotique dominante (le documentaire vidéo) et une narration « à
cheminement libre »14, née de la calculabilité introduite par le numérique.
Le blog personnel
Le blog personnel est un autre exemple que l'on peut insérer dans notre
répertoire. La figure rhétorique est fortement stabilisée et peut être caractérisée par :
un ensemble de billets, ordonnés temporellement par leur date de parution (un billet
étant une séquence linéaire de formes sémiotiques texte, image, son, vidéo) ;
associés à des commentaires (paratexte produit par un tiers) et des mécanismes de
liens et rétroliens permettant d'inscrire le billet dans un mouvement éditorial plus
large, et d'optimiser sa diffusion. Le genre est celui du journal extime (comme la
volonté de dévoiler sa vie intime). Sur une figure rhétorique identique et un genre
14 http://3wdoc.com/fr/2010/04/27/mais-qu-est-ce-qu-un-webdocumentaire
Illustration 4. Exemples de figures rhétoriques pour le webdocumentaire
proche, on trouvera le journal professionnel, journal de bord régulier entretenu sur
une thématique générale par un expert revendiquant son point de vue personnel.
Les fonctions particulièrement mobilisées dans cette forme sont typiquement la
diffusion multiple* (ubiquité*, clonabilité*), l'historisation* (copie*, clonabilité*),
les commentaires* (méta-discursivité*, universalité*) ou les liens inter-documents*
et les rétro-liens* (hypertextualisation*, adressabilité*).
Une tension typique du blog est l'antinomie entre une production à fort caractère
personnel, quotidienne et amatrice, donc faiblement contrôlée la différence d'un
livre de confession ou d'un éditorial journalistique par exemple), et sa publication via
un écrit numérique qui porte en lui sa diffusion et sa reproduction sans limite. Le
blogueur trouve avec le numérique une audience qu'il ne pouvait espérer sans, en
même temps qu'il perd tout espoir de contrôle une fois le bouton « publier » pressé.
La documentation technique professionnelle
Les pratiques de documentation professionnelle peuvent également être étudiées
à l'aune de notre approche. Par exemple la documentation logicielle comme genre est
principalement associée à deux grandes formes d'écriture : l'une portée par le wiki,
l'autre la rédaction technique structurée.
Les documentations de type wiki s'appuient sur des figures rhétoriques
empruntées à l'encyclopédie, fondamentalement un ensemble d'articles et des
mécanismes de renvois entre ces articles (lien inter-document*). La processus de
rédaction est collaboratif (écriture collaborative*, ubiquité*, clonabilité*) et
progressif (raffinement progressif*, transformation*, manipulabilité*) : des notes
brutes peuvent être publiées par certains, pour être ensuite améliorées, voire finalisés
par d'autres. La tension principale que doivent gérer ces dispositif est l'opposition
manifeste entre documentation de référence d'une part et contenu en perpétuel
mouvement d'autre part (modification, validation, ...).
La rédaction structurée s'appuie au contraire sur des environnements d'édition
plus cadrés en terme méthodologique (comme Information Mapping15),
documentaire (comme le schéma DITA16) et d'environnement d'écriture (comme
Adobe Framemaker). En observant la chaîne éditoriale Dokiel17 nous trouvons des
figures rhétoriques particulièrement adaptées au genre comme l'image annotée
utilisée pour documenter les écrans de l'application informatique considérée
(manipulation de média* et annotation*). Globalement Dokiel, en tant que chaîne
éditoriale XML s'appuie fortement sur l'écriture contrôlée* (modélisation*,
15 http://www.information-mapping.fr
16 http://www.oasis-open.org/committes/dita
17 http://scenari-platform.org/dokielguide
abstraction*), l'approche déclarative* et le polymorphisme (séparation
contenu/présentation*, abstraction*). Une tension caractéristique de cette approche
est l'abstraction que doit intégrer l'auteur dans son processus d'écriture pour produire
un contenu qui se manifestera sous plusieurs formes sur différents supports.
Les créations numériques expérimentales
Les créations numériques - littéraires et artistiques - jouent souvent avec les
attentes de l’utilisateur. Déprise18 raconte en six tableaux l’histoire d’un homme qui
a un sentiment de perte de prise, sur les autres et sur lui-même. Dans le sixième et
dernier tableau, il est bien décidé à reprendre le contrôle. Une fenêtre de saisie est
alors proposée à l’utilisateur dans laquelle il peut écrire. Mais quelles que soient les
touches du clavier sur lesquelles celui-ci tape, le texte suivant apparaît au fur et à
mesure de la frappe : « Je fais tout pour maîtriser de nouveau le cours de ma vie. /
Je choisis. / Mes émotions. / Le sens à donner aux choses. / Enfin, je me suis
repris… ». L’utilisateur expérimente ainsi de façon interactive le sentiment de
déprise du personnage.
18 http://deprise.fr
Illustration 5: Figure de l'image annotée dans la chaîne éditoriale Dokiel
Il y a bien ici un acte d’écriture de l’utilisateur : il tape des lettres au clavier. Cet
acte a pourtant ceci de particulier qu’il n’intervient pas dans une application telle
qu’un traitement de texte, mais dans un environnement très contraint qui associe -
via un processus programmé - à chaque appui de touche l’affichage d’un caractère
prévu à l’avance. La frontière s’estompe alors entre écriture et lecture : très vite
l’utilisateur n’écrit que pour constater l’écart avec l’affichage à l’écran. L'écriture
numérique permet de programmer l'introduction de données* (interactivité*,
manipulabilité*) par l’utilisateur et son traitement.
La forme sémiotique est celle du texte et nous pouvons identifier une figure
rhétorique de manipulation (Bouchardon, 2011) reposant sur un écart entre les
attentes de l’utilisateur lorsqu’il manipule et l’affichage qu’il constate à l’écran. Le
terme figure rhétorique est ici entendu dans le sens plus restreint de figure de style.
Cette figure rhétorique, qui déstabilise l’utilisateur et repose sur le détournement de
la fonction introduction de données vise à lui faire vivre une expérience interactive
(ici celle de la déprise). Elle s’inscrit à l’horizon d’un genre qui serait plus largement
celui du récit interactif : à travers une expérience interactive, une histoire est
racontée à l’utilisateur. Dans ce type de créations, l’expérience interactive repose
largement sur des figures rhétoriques d’animation et de manipulation (gestuelle).
Le propre des créations expérimentales de littérature numérique est de focaliser
sur les tensions qui se caractérisent par un détournement de règles d'écriture, même
si ces dernières sont parfois implicites et encore en construction. D'autres exemples
l'illustrent, comme le décalage entre l’activation d'un lien hypertexte pour permettre
d'accéder à un nouveau élément de contenu (la règle) et la pratique qui peut s'avérer
une expérience différente : mener à rien, à quelque chose d'inadapté, à une profusion
de choses en même temps, ou encore à une actualisation différée dans le temps. Par
exemple dans la création Sous terre de Chatonsky19, dans laquelle le lien "Premier
Souvenir" n'active rien, pour suggérer à l'utilisateur la difficulté de réactiver ce
premier souvenir. En focalisant sur les tensions, ces créations révèlent ou rappellent
la nature calculatoire du numérique et la double coupure, matérielle et interprétative,
et anticipent sur les pratiques sémio-rhétoriques. Le lien brisé, le lien détourné, se
19 http://www.incident.net/works/sous-terre
Illustration 6: Dernier tableau de Déprise
manifestent dans l'écriture numérique ordinaire intentionnellement (publicité) ou non
(bug).
Conclusion et perspectives : vers un niveau 4 "socio-politique"
Nous avons présenté dans cet article une étude théorique des propriétés de
l'écriture numérique afin d'en dégager des outils heuristiques et descriptifs. Ces outils
s’inscrivent dans l’hypothèse d’une littératie numérique en genèse. Il s’agit
d’anticiper les transformations intellectuelles impliquées par l’émergence d’une
raison computationnelle dans les sociétés numériques : « l'invention est un acte
d'intelligence qui coïncide avec la tendance » (Leroi-Gourhan, 1973, p.377). Cette
anticipation est fondamentale car la maîtrise du numérique recèle un enjeu de
« savoirs » et de « pouvoirs » (Goody, 2007). Si la relation au savoir était à l'origine
de notre argumentaire, la relation au pouvoir est également fondamentale. La
littératie a ouvert la possibilité des mathématiques, des sciences et in fine de la
société industrielle. Goody montre que les administrations, gouvernements et
sociétés modernes sont construits sur les fondations de la littératie : de l'identité à la
propriété, de la nationalité à la loi, tout acte d'organisation, de légitimation sociale
est écrit : la raison graphique participe à modeler la culture (op. cit., pp.217-232) ;
de même la raison computationnelle.
Notre théorie pourra ainsi se compléter d'un quatrième niveau, socio-politique,
destiné à observer et anticiper les petites et grandes implications de la littératie
numérique sur l'organisation des sociétés. Sans anticiper sur des travaux à mener, ni
tomber dans des poncifs, nous pourrons par exemple interroger les évolutions des
pratiques de lecture, qui tendraient à plus de superficialité en même temps que plus
de diversité, au regard de l'hypertualisation et de l'interactivité ; étudier les relations
entre fonctions de clonage et pratiques banalisées de plagiat ; négocier avec la
falsifiabilité intrinsèque du contenu numérique : là où le papier est une preuve
tangible, le contenu numérique n'est qu'une possibilité d'être ce qu'il apparaît.
Note éditoriale
Cet article est une version augmentée de l'article « Une carte heuristique des
fonctions d’écriture numérique » (Crozat et al., 2011). La partie 1 est largement
reformulée, la partie 2 est légèrement complétée, et la partie 3 est originale. Les
introductions et conclusions ont été revues.
Remerciements
Les auteurs remercient l’ensemble des membres du projet PRECIP pour leur
participation à ce travail, ainsi que le GRM et le Studio Hypermédia de l’Ina, pour
leur collaboration.
Bibliographie
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chez les consultants », L’écriture des médias informatisés : Espaces de pratiques, Paris,
Hermes Science Publications, 2007.
... Nous plaçons notre cadre théorique dans les modèles formels d'hypertextes qui se croisent au sein des architectures hypermédias comme catalyseurs épistémiques dans la complexe tâche d'écri-lire et de publier des documents scientifiques en ligne (Crozat et al., 2011;Saleh & Hachour, 2012;Verlaet et al., 2013). Plus spécifiquement, nous centrons nos réflexions sur les usages et besoins des différents acteurs qui interagissent supposément autour d'un hyperdocument scientifique. ...
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This article shows that the boundaries between the editing and online publishingprofessions are losing their strength. In this context it would only make sense that the wayhypertexts are documented be renewed, especially facing of the Web's evolution. We arethinking in particular of the trickier scholar hypertexts documentation process - specifically inscientific or cultural contexts. The purpose of this article is to demonstrate that, consideringthe numerous branches of the Web, the hypertext enhance of a document of quality can onlybe done through a proper dialogue between authors, editors, and broadcasters. It would satisfythe readership as they could reach the appropriate information. It will also be shown that eachactor in this auctorial-editorial process would be a gainer. Indeed, a qualitative formalizationwork would be coupled with a strong broadcasting scope. Finally, we will point out that thiswork of mediating must be led by an actor of information-communication, to make the textunderstandable to both humans and machines. This meditative act is designated here under theterm of serial documentarisation.
... Par conséquent, lorsqu'en octobre 2011 s'ouvre le cycle de commémoration du cinquantième anniversaire, le 17 octobre, loin d'être un événement caché, est alors « en passe de devenir un sujet rebattu (Blanchard, 2013) reconfigure les « systèmes techniques de production et de manipulation qui agit sur la nature même de la connaissance » (Crozat et al., 2011). Les webdocumentaires sont donc considérés comme des architextes, c'est-à-dire des « objets informatiques qui sont en position de régir l'écriture, de lui donner ses formats et ses ressources […]. ...
Article
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Broadcast online in 2011, the webdocumentaries "The Forgotten Night" (LNO) and "17.10.61" address, from various perspectives, the repression of 17 October 1961, one of the major events of the end of the Algerian war of independence in metropolitan France. This article focuses on the place of fiction within these two webdocumentaries in order to question the way in which web-native mediation formats produce a shift in the interference between fiction and reality, both in terms of the creative process and the perception that viewers have of it. In order to study how the web documentary transforms the fiction/documentary articulation, LNO and 17.10.61 are put into a historical perspective with regard to the dynamics specific to the diffusion of the event in the public space since 1961. In spite of distinct aesthetic and narrative choices, the two devices bear witness to the new documentary imaginary that is born from the crossroads between the tradition of historical documentary and digital culture.
... Nous devons ainsi prendre en compte cet aspect pour mener l'écriture multimédia.Les écrits numériques agissent sur la nature de la connaissance et présentent des enjeux scientifiques et opérationnels notamment dans la conception de systèmes et dans l'analyse des pratiques.Permettant de rendre un contenu manipulable, le numérique l'impute cependant dans le même temps de sa signifiance originelle, de son sens. Restituer ce contenu ne pourra donc se faire qu'en l'accompagnant de signifiance(Crozat et al. 2011).Sous un angle théorico-idéal, le numérique est utilisé comme un principe calculatoire avec un codage binaire (composé de 0 et de 1) dénué de sens. Il pourra s'observer de deux façons. ...
Thesis
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Cette thèse CIFRE au sein d’une organisation de santé nous a conduit à nous intéresser aux fonctions exécutives, impliquées dans le contrôle cognitif intervenant dans les situations nécessitant une articulation des actions ou pensées dirigées vers un but finalisé. Ces processus sont sollicités pour se concentrer sur une tâche (Attention), mémoriser et manipuler des informations (Mémoire de travail), s’adapter à de nouveaux environnements ou règles (Flexibilité mentale, Inhibition) et plus généralement lorsque les habitudes et automatismes ne suffisent pas à atteindre ces buts (Planification, Stratégie). Les patients ne reconnaissant pas leurs troubles (anosognosie), leurs thérapeutes éprouvent des difficultés à les impliquer dans leur rééducation afin qu’ils retrouvent une autonomie suffisante pour regagner leur domicile.A travers notre démarche de Recherche-Intervention participative, nous avons mis en place un canevas méthodologique pluriel ancré dans l’organisation de santé. En nous inspirant du Design Thinking, de la Conception Centrée Utilisateurs et de la Conception Universelle, nous avons mené de multiples observations, entretiens, séances de créativité et tests utilisateurs auprès des thérapeutes et des patients de façon itérative tout du long de notre recherche. Ceci nous a permis de prendre en compte les représentations liées aux dynamiques de la situation vécue, construites dans le cours de l’action et dépendantes des stratégies d’acteurs afin de coconcevoir dynamiquement S’TIM. Ce Serious Game thérapeutique est basé sur les théories de l’esprit, de l’autodétermination, de l’engagement, et de l’activité. Une grande attention a de plus été portée à l’Expérience vécue à travers la scénarisation proposée ainsi qu’aux possibilités d’apprentissage dans un univers virtuel afin qu’il y ait transfert des acquis en situation de vie quotidienne. Par leur accompagnement, les thérapeutes conservent ici un rôle primordial.S’TIM contient ainsi des clés d’action, des moyens de mobiliser ces clés et des stratégies pour les utiliser de manière pertinente. Il emmagasine et articule donc un savoir-faire, un savoir-comprendre et un savoir-combiner qui le positionnent en tant que pièce maitresse de l’expertise. Cette approche peut également être appliquée dans d’autres contextes, multiples, où l’engagement à travers un SG est la clé de voute du projet dans toute situation en relation avec les formes d'apprentissage hybridées.Enfin, nous avons étudié l’implication de l’organisation apprenante dans le projet ainsi que son appropriation du dispositif. Tout en étant partie prenante, les changements induits à un micro-niveau par le numérique n’ont pas été réellement traduits dans les dynamiques organisationnelles. Nous retrouvons la question de la pérennisation, de la consolidation permettant un réel réagencement au sein de l’organisation. Un accompagnement s’avère ainsi indispensable pour observer un véritable déplacement de la relation entre patients et thérapeutes, point de départ pour l’émergence de nouvelles formes thérapeutiques puis organisationnelles globalement plus structurantes.
Article
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Le Markdown est un lieu privilégié d’observation de ce que la théorie opérationnelle de l’écriture numérique (Crozat et al., 2011) appelle « la tension de la manifestation », c'est-à-dire la tension entre le niveau techno-applicatif des formats, des langages de programmation et des programmes, et le niveau sémio-rhétorique des interfaces. Nous choisirons l’exemple de l’avènement du Markdown, de son évolution, pour montrer, en acte, la praxis énonciative qui préside à ce lieu du dialogue humain-machine.
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Research in the field of languages and digital technology has been going on for about 50 years. What can be said about it? The question is all the more interesting and relevant to ask since it is customary to point out the non-cumulative nature of research in the field of educational technologies. To answer this question, we have chosen in the first instance to move away from the issue of digital education to look at how authors in the field, through a selection of articles and books, conceptualise digital technologies. To do so, we rely on a theoretical framework that includes three levels of questioning: (1) digital technology and its characteristics, (2) human/non-human coupling, (3) the critical dimension. Secondly, we propose a reflection on the way in which the suggestions, or even pedagogical recommendations and research concerns made by the authors relate to their views on digital technology. The main results of this speculative research are then discussed and presented in a summary table.
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Les créations numériques en ligne, qu'il s'agisse de bannières publicitaires, de littérature ou d'art numériques, reposent souvent sur des manipulations de la part du lecteur (par exemple déplacer un élément à l'écran, activer un lien, entrer du texte au clavier). Nous manquons néanmoins d'outils, notamment sémiotiques et sémio-rhétoriques, pour analyser le rôle de ces gestes de manipulation dans la construction du sens. Dans cet article, nous proposons un modèle d'analyse en cinq niveaux. Ce modèle distingue notamment des unités sémiotiques de manipulation et des couplages média. Ces couplages donnent naissance à des figures que nous appelons figures de manipulation. Abstract Online digital creations, whether they are advertising banners, digital literature or digital art, often rely on gestual manipulations from the reader (for instance to move an element on screen, to activate a link, to enter text with the keyboard). However, we lack tools to analyze the role of these gestual manipulations in the building of meaning, notably semotic and semio-rhetoric tools. In this paper, we propose a five-level analysis model. This model points out semiotic manipulation units and media couplings. Theses couplings make up figures that we call figures of manipulation.
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In this article, the approach to the Digital is based on the distinction between three levels: a theoretical level, an applicative level and an interpretative level. Now digital literary works play on the tensions between the three levels and allow these tensions to be highlighted. Studying the conjunction of the Digital and of literary creation – by analysing digital literary works – thus proves to be relevant. Looking into the specific properties of the Digital can throw light on the potentialities of digital literature; in the same way, digital literature can act as a revealer for the Digital.
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ResumeTransposez un media – la radio – sur un autre media – Internet. Conservez les avantages du premier et ajoutez-y les possibilites du second, vous obtiendrez une radio «augmentee» ou la perception sensible guide la decouverte accompagnee de nouvelles connaissances. La puissance d’evocation de l’audio servant alors de mediateur, d’outil de navigation a l’interieur - par exemple - d’un corpus documentaire. L’ambition de cet article est d’abord de reposer la question de l’usage du media audio dans le contexte numerique, interactif et pedagogique. Il s’attachera ensuite a montrer que les progres technologiques de la gestion documentaire rendent aujourd’hui accessible la production de ce media, particulierement en phase avec les evolutions recentes des dispositifs mobiles d’acces a l’information.
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Since 1999, the unit "Ingénierie des Contenus et des Savoirs" applies research results for UTC in the document engineering field. In partnership with public and private institutions, we participate in projects in which XML publishing chains are experimented and deployed in order to optimize document production and management. These works rely on a set of methodological and technical principles which are the foundation of our approach. We will first present these principles. Then we will elaborate some examples of publishing chain use and provide the conclusions we had made on content adaptability throughout the projects. Finally, we will present before the conclusion our research and experimental perspectives in the field of document engineering.