Content uploaded by Gilbert Faccarello
Author content
All content in this area was uploaded by Gilbert Faccarello on Sep 25, 2023
Content may be subject to copyright.
‘Théorie de la valeur, des prix et de
l’accumulation’.
Quelques points de désaccord
Gilbert Faccarello ∗
La parution de l’ouvrage de Gilbert Abraham-Frois et Edmond Berrebi,
Théorie de la valeur, des prix et de l’accumulation 1, présente, dans la conjonc-
ture théorique actuelle, un intérêt tout particulier, et ce n’est certes pas un
de ses moindres mérites que de fournir, en s’appuyant sur quelques travaux
récents (dont certains2ne sont malheureusement pas encore publiés), un ex-
posé et un développement rigoureux et systématique de la théorie sraffaienne
des prix de production. Les thèmes abordés sont nombreux, mais unifiés dans
l’analyse qui culmine lors des chapitres V (‘Accumulation, conflits et quasi dua-
lité’) et VI (‘Valeur : dualité et transformation’) 3: aussi notre propos n’est-il
pas ici de les reprendre tous. Les quelques remarques qui suivent portent tout
au plus sur une cinquantaine de pages de l’ouvrage et doivent donc être com-
∗Essai publié dans les Cahiers d’économie politique, n°4, 1977, 279–97. Les fautes
d’impression ont été corrigées.
1. Economica, Paris, 1976.
2. Patrick Maurisson, La théorie des prix de production, Université de Paris I, 1974, et
Bertram Schefold, Piero Sraffas Théorie der Kuppelproduktion, des Kapitals und der Rente
(Mr. Sraffa on Joint Production), Bâle, 1971.
3. L’ouvrage est en outre doté d’une annexe mathématique fort appréciable.
1
Quelques points de désaccord 2
prises comme une tentative de cerner quelques points fondamentaux de désac-
cord ; c’est pourquoi, également, d’autres points à notre avis contestables mais
qui impliqueraient l’exposé d’une compréhension alternative du Capital seront
laissés dans l’ombre : notre analyse tentera de demeurer sur le plan purement
logique. C’est dans cette optique que seront avancés les quelques éléments de
conclusion.
1Position du problème et notations
L’ouvrage de G. Abraham-Frois et E. Berrebi se présente d’emblée comme une
explication et un élargissement de Production de marchandises au moyen de
marchandises de Piero Sraffa4, et marque une volonté de ne pas “réduire ce
dernier à une simple critique de la théorie néoclassique et [. . .] faire passer au
second plan (ses) contributions essentielles”, afin de poursuivre le “retour aux
Classiques” dont il semble avoir été l’amorce 5. Dans cette tâche, la rencontre
avec K. Marx est inévitable et la position des auteurs est, sur ce sujet, sans
ambiguïté : “si le chapitre final, comme le chapitre initial de cet ouvrage, est
consacré à Marx [. . .], c’est bien parce qu’il nous est apparu qu’un certain
nombre de problèmes posés par Marx ne pouvaient être correctement résolus
qu’en utilisant les concepts forgés par Sraffa” 6. Au nombre de ces problèmes
figure bien entendu celui de la transformation des valeurs en prix de production
et de la plus-value en profit, c’est-à-dire finalement la question de la valeur et
de l’exploitation. C’est à ce problème que nos remarques seront consacrées,
tant il nous paraît commander l’interprétation successive de l’édifice théorique
tout entier.
Disons tout de suite que, pour les auteurs, ce n’est pas la transformation
des valeurs en prix qui est intéressante et pertinente, mais bien plutôt celle de
la plus-value en profit. Autrement dit, après que la publication de l’ouvrage
de Sraffa ait montré que l’on pouvait fort bien élaborer une théorie des prix
de production sans référence aucune aux valeurs, après les débats récents et
plus anciens qui ont établi que le problème de la “transformation” chez Marx
se résolvait logiquement dans un schéma des prix de type Sraffa et que les
4. Cambridge, At the University Press, 1960 ; traduction française : Dunod, Paris, 1970.
5. Théorie de la valeur, des prix et de l’accumulation, op. cit., p. iii.
6. Ibid., p. iv.
Quelques points de désaccord 3
célèbres égalités quantitatives du livre III du Capital (somme des profits =
somme des plus-values, et somme des valeurs = somme des prix) ne pouvaient
être vraies simultanément pour un schéma “corrigé” des prix et que, de toute
manière, l’obtention de l’une ou de l’autre égalité n’était qu’une question de
choix du numéraire (et donc non pertinente sur le plan théorique), l’accent est
placé sur une analyse qui devrait permettre d’expliquer la nature du profit qui
apparaît dans le système des prix (où son origine demeure énigmatique) par la
mise à jour d’une relation qui lierait de façon systématique et significative le
taux de profit à certaines grandeurs ou propriétés d’un système parallèle des
valeurs.
Ainsi, par l’établissement de ce que M. Morishima a appelé le “théorème
marxien fondamental” 7, dû à N. Okishio 8, et par la mise au jour d’une relation
liant le taux de profit, le taux d’exploitation et la composition organique du
système-étalon, on serait en mesure, par deux voies un peu différentes, de
“récupérer” la théorie de l’exploitation de Marx et par là même l’essentiel
de la construction théorique du Capital. Ces deux voies sont successivement
empruntées par G. Abraham-Frois et E. Berrebi dans le premier et dans le
sixième chapitre de leur ouvrage. Nous allons également les aborder tour à
tour ( §§ II et III) et nous verrons alors comment l’analyse pourra converger
vers des problèmes communs de portée générale (§ IV).
Précisons auparavant le système de symboles que nous utiliserons. Nous
considérons une économie formée de nbranches et produisant nmarchandises,
chaque branche pouvant produire indifféremment des quantités de chaque mar-
chandise : autrement dit, nous nous plaçons dans le cas le plus général de
production multiple ; nous supposons en outre que le système ainsi décrit est
fondamental et qu’il produit, au total, un surplus de chaque marchandise (nous
sommes en production jointe). Chaque branche iutilise une quantité Lide tra-
vail que nous supposerons pour l’instant “homogène” sans préciser davantage
la nature de cette homogénéité. Le système peut donc être représenté par :
(A,L)→B
7. M. Morishima, Marx’s Economics, A Dual Theory of Value and Growth, Cambridge,
At the University Press, 1973.
8. N. Okishio, “A Mathematical Note on Marxian Theorems”, Weltwirtschaftliches Archiv,
XCI, 1963, 287–99.
Quelques points de désaccord 4
où Aet Bsont respectivement les matrices (carrées) des intrants et des
extrants, et où Lreprésente le vecteur colonne des quantités de travail. L’unité
de mesure des différentes quantités de marchandises est la quantité globale pro-
duite de chaque marchandise et celle des quantités de travail est la quantité
totale de travail utilisée dans l’économie. Aucune hypothèse n’est formulée à
propos des rendements d’échelle. Enfin, d= (d1, d2, . . . , dn)désigne le vecteur
horaire des biens de consommation ouvrière (certains dipeuvent être égaux à
0) composant le salaire réel horaire. On appellera “matrice socio-technique” la
matrice A∗, obtenue de la manière suivante :
A∗=A+Ld
Le salaire réel est supposé être intégralement avancé au début de la période. Si
Λ = (λ1, λ2, . . . , λn)désigne le vecteur colonne des valeurs unitaires, le “système
des valeurs” s’écrit :
BΛ = AΛ + L
soit :
Λ=(B−A)−1L
si dét(B−A)−1= 0. Si ereprésente le taux d’exploitation, supposé uniforme :
e=1−dΛ
dΛ
il vient :
BΛ = AΛ + LdΛ + eLdΛ = AΛ + (1 + e)LdΛ = A∗Λ + eLdΛ
Soit ple vecteur des prix de production et rle taux de profit uniforme de
l’économie. Le système des prix de production s’écrit :
Bp = (1 + r)(Ap +Ldp) = (1 + r)A∗p
Nous savons que ce système possède des solutions économiquement significa-
tives si les conditions de Newman-Manara sont satisfaites, ce que nous suppose-
rons. D’autre part, puisque les salaires sont avancés, les conditions d’existence
et d’unicité du taux de profit rse confondent avec celles de l’existence et de
l’unicité de la marchandise-étalon ; nous les supposerons également satisfaites
et nous écarterons les autres cas comme non économiques.
Quelques points de désaccord 5
A première vue, les systèmes que nous avons définis précédemment sont
indépendants et complémentaires. Chacun prétend saisir un aspect de la réa-
lité : le système des valeurs prétend prouver l’exploitation, celui des prix a
l’ambition de définir correctement les prix de production ; leur apparente com-
plémentarité ne pourra cependant se révéler effective qu’à la condition que ces
deux systèmes soient intégrés dans un tout qui les comprenne de façon orga-
nique. Mais il apparaîtra que ces deux systèmes pourront se révéler comme
concurrents sur le plan de la détermination des valeurs d’échange ; pour qu’il
n’en soit pas ainsi, il faudra, comme nous le verrons, que la définition de l’ex-
ploitation puisse se passer de l’hypothèse de l’échange des marchandises “à leur
valeur”, véritable tentative désespérée de concevoir le concave sans le convexe.
Ce problème nous amènera à reconsidérer la possibilité même de l’existence
des “valeurs”. dès l’instant où l’on accepte de prendre en compte un système
de prix.
Ces préliminaires et ces quelques questions essentielles étant posés, nous
pouvons à présent entrer dans le vif du sujet.
2La signification du
“théorème marxien fondamental”
Une première solution au problème de la mise au jour de l’exploitation consiste
à trouver un pont significatif entre les deux systèmes; “en fait”, écrivent les
auteurs, “il existe un ‘pont’, un ‘passage’ entre la théorie marxiste des prix de
production et la théorie marxiste de la valeur ; ce pont est fourni par ce qu’il
est convenu d’appeler le théorème marxien fondamental d’Okishio-Morishima”,
qui traduit “qu’il ne peut y avoir un profit positif dans l’ensemble des branches
que si les travailleurs sont exploités”9. Il va de soi que si cette proposition était
prouvée, la conclusion serait d’importance.
Si nous nous plaçons dans le cas de la production simple, c’est-à-dire dans
un système de branche à produit unique et capital circulant, où donc B=I, la
démonstration est aisée ; elle s’appuie sur une propriété spectrale des matrices
indécomposables (nous supposons en effet pour plus de simplicité que toutes
les marchandises sont fondamentales) qui établit que si α(A)est la solution
9. Théorie de la valeur. . ., op. cit., p. 38.
Quelques points de désaccord 6
de l’équation Ax =αx, où αest un scalaire et xun vecteur positifs, et si r
est un nombre positif donné, alors :
1. s’il existe un vecteur z≥0tel que Az ≥rz, on a α(A)> r ;
2. s’il existe un vecteur z≥0tel que Az ≤rz, on a α(A)< r.
(Annexe mathématique, Lemme 5’).
En appliquant cette propriété à nos systèmes, nous pouvons faire le raison-
nement suivant : puisque r > 0entraîne p>A∗p, alors α∗(A∗)<1; d’autre
part, puisque e≤0entraîne Λ≤A∗Λ, alors α∗(A∗)≥1. “Les deux hypothèses
étant contradictoires, il est impossible d’avoir à la fois r > 0et e≤0; il est
donc nécessaire”, concluent les auteurs, “que le taux d’exploitation soit positif
pour qu’apparaisse un profit positif dans chacun des secteurs produisant des
produits fondamentaux” 10.
Il semble donc bien que l’on possède là un lien irréfutable et significatif
entre la plus-value et le profit. Et pourtant, deux observations immédiates
s’imposent.
En premier lieu, il n’y a là que la démonstration de la condition “nécessaire”
du théorème ; celle de la condition “suffisante” n’est pas abordée : ou plutôt,
elle est interprétée de manière très particulière. Comme Okishio l’avait déjà ex-
primé dans son article de la Weltwirtschaftliches Archiv 11, la condition établie
par le théorème n’est, pour G. Abraham-Frois et E. Berrebi, “qu’une condition
nécessaire et nullement suffisante. Pour que le profit apparaisse effectivement
entre les mains du capitaliste, il faut que les marchandises soient vendues ;
faute de quoi, le travailleur aurait bien été exploité, la plus-value extorquée,
mais sans que pour autant la plus-value puisse être réalisée”12 . La condition
suffisante est donc assimilée aux conditions de “réalisation de la plus-value”. Il
est pour le moins surprenant de retrouver ce problème, qui se pose tradition-
nellement à un autre niveau d’analyse, dans une démonstration de ce type où la
“réalisation” en tant que telle n’a rien à faire. Il ne s’agit là, selon nous, que de
l’indice d’un certain malaise engendré par l’indépendance, supposée au départ,
des deux systèmes ; car si l’on a pu démontrer qu’un taux de plus-value positif
était nécessaire à l’existence d’un taux de profit positif, la démonstration de
la condition suffisante se serait transformée dans la proposition selon laquelle
10. Ibid., p. 40.
11. N. Okishio, art. cit., 293.
12. Théorie de la valeur. . . op. cit., p. 41.
Quelques points de désaccord 7
un taux de profit positif est nécessaire à l’obtention d’un taux d’exploitation
positif 13 : ce qui est manifestement absurde aux yeux des adeptes du théorème
marxien fondamental, pour qui le système des valeurs est le système “caché”, et
celui des prix le système “apparent”. Mais il n’en reste pas moins que, puisque
les systèmes sont indépendants, la relation découverte entre le taux d’exploi-
tation et le taux de profit peut tout aussi légitimement être lue dans un sens
comme dans l’autre pour la simple raison que la démonstration n’établit en
définitive aucun lien de causalité, mais, s’il nous est permis de nous exprimer
ainsi, une relation d’équivalence.
Mais, si tel est le cas, le problème est plus profond. Une relation d’“équivalence”
suppose en effet un élément commun aux deux systèmes, une nouvelle propriété
commune d’où l’on pourrait déduire à la fois la positivité du taux d’exploita-
tion et du taux de profit sans qu’il y ait un quelconque lien de causalité entre
ces derniers ; il est aisé de voir que cet élément commun existe et peut être
identifié dans la matrice socio-technique A∗. Si l’on remarque ensuite que la
démonstration repose tout entière sur une propriété spectrale de A∗, c’est-à-
dire sur la condition α∗(A∗)<1, la question est alors éclaircie. Comme ont
observé de nombreux auteurs, la condition selon laquelle la valeur propre do-
minante d’une matrice A∗est inférieure à l’unité (et c’est finalement de cela
qu’il s’agit ici) signifie 14 que le système est viable, ou productif, c’est-à-dire
qu’il produit un surplus global physique d’au moins une marchandise et un dé-
ficit d’aucune (nous sommes en production simple), ce que l’on a bien supposé
au départ. Le “théorème marxien fondamental” ne fait donc qu’exprimer, pour
deux systèmes différents d’évaluation correspondant à deux “normes” de répar-
tition différentes, cette propriété physique, ou socio-technique si l’on préfère,
placée en hypothèse : qu’il existe, en d’autres termes, un surplus non nul de
marchandises allant aux détenteurs des moyens de production, propriété que
la positivité du taux d’exploitation et du taux de profit traduit respectivement
dans les deux systèmes. Il n’est donc pas stupéfiant outre mesure de retrouver
13. Cf. par exemple Elmar Wolfstetter, “Surplus Labour, Synchronised Labour Costs and
Marx’s Theory of Value”, The Economie Journal, septembre 1973, 787-809, annexe A) qui
n’en tire cependant pas les conséquences attendues.
14. Dont Luigi Pasinetti, Lezioni di teoria della produzione, II Mulino, Bologne, pp. 81–2
et 121–2 ; nous remarquerons que les célèbres “conditions d’Hawkins et Simon” possèdent
une signification analogue : cf. David Hawkins et Herbert A. Simon, Note : “Some Conditions
of Macroeconomic Stability”, Econometrica, XVII, 1949, 245–8, repris dans Peter Newman,
Readings in Mathematical Economics, vol. I (Value Theory), The Johns Hopkins Press,
Baltimore, 1968, pp. 53–6.
Quelques points de désaccord 8
à l’arrivée ce que l’on avait placé au départ. Le problème reste posé, cependant,
de la nature, de l’origine de ce surplus et de son appropriation.
Le caractère tautologique de la construction, allié aux quelques considéra-
tions que nous formulerons ultérieurement sur le “système des valeurs”, permet
de mieux comprendre un phénomène, autrement curieux, qui apparaît dès que
l’on raisonne sur un modèle de production multiple. En effet, dans un tel
contexte, et comme le reconnaissent par ailleurs les auteurs15 , des valeurs né-
gatives peuvent faire leur apparition 16 ; G. Abraham-Frois et E. Berrebi sont
cependant d’avis que cela ne modifie en rien la substance de leurs conclusions
dans la mesure où “si certaines marchandises peuvent avoir une valeur négative,
au niveau global, social, on retrouve [. . .] l’égalité entre sur-travail et valeur des
surplus des marchandises” 17 . Leur démonstration est, sur ce point, la suivante :
puisque (1 + e)dΛ=1, et puisque BΛ = AΛ + L(1 + e)dΛ = A∗Λ + eLdΛ,
alors (B−A∗)Λ = eLdΛ>0puisque L>0,e > 0et donc dΛ = 1
1 + e>0.
Sans y prendre garde, les auteurs admettent sans discussion un taux d’ex-
ploitation positif (e > 0), ce qui, en production conjointe, n’est plus nécessai-
rement le cas. En effet, si l’expression (1 + e)dΛ=1reste vraie (il ne s’agit là
que d’une question de définition de e), cela n’implique pas forcément que esoit
positif dans la mesure où l’on ne connaît pas le signe et la grandeur absolue de
dΛ. Dans le cas de production conjointe, il est donc fort possible d’obtenir si-
multanément un taux d’exploitation négatif pour un système qui comporte un
taux de profit positif, ou bien l’inverse 18 . Le “théorème marxien fondamental”
se trouve donc par ce simple fait sérieusement remis en question dans ses ré-
sultats les plus “spectaculaires” eux-mêmes ; ce qui a induit M. Morishima, par
15. Cf. op. cit., p. 158.
16. La seule certitude que nous ayons en ce domaine est que les valeurs seront assurément
toutes positives si (B−A)−1est une matrice semi-positive, c’est-à-dire si le système est un
système particulier à activités toutes solidaires, dans lequel chaque méthode de production
ne produit un surplus net que d’une seule marchandise, différente de celles formant le surplus
de chacune des autres méthodes (cf. B. Schefold, op. cit., et Arun Bose, “Sous-systèmes et
production conjointe”, dans G. Faccarello et Ph. de Lavergne, Une nouvelle approche en
économie politique ? Paris, 1977, à paraître).
17. Op. cit., p. 161.
18. Cf. Ian Steedman, “Positive Profits with Negative Surplus Value”, The Economic Jour-
nal, LXXXV, 1975, 114–23 ; Steedman ne traite que le cas sraffaien des salaires payés post-
factum mais on peut aisément montrer que son exemple reste valable si les salaires sont
avancés.
Quelques points de désaccord 9
exemple, à reformuler toute la question en termes de “valeurs optimales” 19 :
mais il est clair que cette dernière tentative nous éloigne définitivement de
Marx, et l’on ne sait ce qu’il faut le plus admirer ici, de l’esprit analytique de
l’auteur ou de ses efforts désespérés pour découvrir dans les écrits de Marx une
citation qui veuille bien aller dans le sens de sa recherche 20 .
Il reste à interpréter les “valeurs négatives” qui demeurent incompréhensibles
dans le cadre d’une théorie de la valeur-travail incorporé au sens de Marx.
Nous verrons plus loin ce que l’on peut en penser ; il suffira ici d’indiquer que
le problème est lié à l’utilisation du travail comme instrument de mesure. Nous
devons auparavant examiner la seconde tentative qui est effectuée dans le but
de relier le système des valeurs et le système des prix, la plus-value et le profit.
3Taux de plus-value,
taux de profit et système-étalon
La seconde tentative de retrouver la théorie de l’exploitation de Marx passe
par la construction du système-étalon de Sraffa et par l’utilisation de ses
propriétés ; il est clair que, puisque les salaires sont avancés, ce système-étalon
ne jouera pas le rôle d’étalon invariable des prix, comme chez P. Sraffa. Il
servira cependant à établir une relation en tout point analogue, sur le plan
formel, à la formule fondamentale que Marx utilise dans le Livre III du Capital
pour déterminer le taux de profit ; ce qui permettra à G. Abraham-Frois et E.
Berrebi de tirer des conclusions significatives quant à l’origine du profit qui
apparaît dans le système des prix.
Sans qu’il soit besoin de revenir dans cette courte note sur des développe-
ments bien connus, on sait que, chez Marx, le taux de profit est donné par la
formule : r=e
1 + km
, dans laquelle kmreprésente la “composition organique”,
soit du système global, soit de l’hypothétique “branche moyenne” qui le symbo-
19. Cf. Marx’s Economics, dernier chapitre, et “Marx in the Light of Modem Economie
Theory”, Econometrica, XLII, juillet 1974, 611–32.
20. C’est-à-dire une citation définissant la valeur comme le temps minimum de travail
nécessaire à la production des marchandises. Morishima croit pouvoir citer à cet égard. . .
Misère de la philosophie ! (“Positive profits with negative surplus value – a comment”, The
Economic Journal, LXXXVI, 1976, 599–603). Cf. à ce sujet les remarques pertinentes de I.
Steedman, “Positive profits with negative surplus value : a reply”, ibid., 604–8.
Quelques points de désaccord 10
lise. Ronald Meek 21 avait déjà montré, dans le cadre de la production simple,
l’analogie de cette formule avec la relation linéaire qui existe entre le taux de
salaire et le taux de profit d’un système sraffaien dans lequel la marchandise-
étalon fait office de numéraire. Mais sa démonstration reposait sur l’hypothèse
des salaires payés post-factum sur le produit net ; la démarche de G. Abraham-
Frois et E. Berrebi, tout comme celle d’A. Medio 22 , s’effectue dans le cadre
des salaires avancés.
Soit qle vecteur des multiplicateurs relatifs au système-étalon et Rle
rapport-étalon. Le surplus, en termes de marchandise-étalon, est noté q(B−
A∗), et la matrice socio-technique correspondante qA∗. On sait que la propriété
de R, comme rapport de deux quantités de marchandise-étalon, est d’être in-
variant quel que soit le système d’évaluation des marchandises utilisé; on peut
donc écrire :
R=q(B−A∗) Λ
qA∗Λ=eqLdΛ
q(A+Ld) Λ =eqLdΛ
qLdΛ + qAΛ
En divisant nominateur et dénominateur par qLdΛ(que nous supposons non
nul), et en définissant la composition organique du système-étalon par : kq=
qAΛ
qLdΛil vient finalement :
R=e
1 + kq
Ainsi, “il y a bien une relation entre taux de profit et taux d’exploitation ; mais
alors que Marx pensait que cette relation passait par l’intermédiaire de la
composition organique [. . .] du capital caractérisant une marchandise produite
dans des conditions “moyennes”, c’est la composition organique (kq) du capital
permettant de produire la marchandise-étalon qu’il convient de prendre en
considération. On sait, en effet, que la relation linéaire décroissante entre salaire
prélevé sur le surplus et taux de profit n’est pas limitée au système-étalon
imaginaire, mais peut être étendue au système économique réellement observé.
21. R.L. Meek, “Mr Sraffa s Rehabilitation of Classical Economics”, dans Economie Theory
and Ideology, Chapman and Hall, Londres, 1967, pp. 161–78, version française à paraître dans
G. Faccarello et Ph. de Lavergne, Une nouvel le approche. . ., op. cit.
22. Alfredo Medio, “Profits and Surplus Value : Appearence and Reality in Capitalist
Production”, dans : E.K. Hunt et J.G. Schwartz, A Critique of Economie Theory, Penguin
Books, Harmondsworth, 1972, pp. 312–46, légèrement modifié lors de la 2ème éd. Traduit
dans les Problématiques de la Croissance, vol. II, Economica, Paris, 1974, pp. 248–89.
Quelques points de désaccord 11
Le taux de profit qui apparaît dans le système réel est donc déterminé (puisque
par hypothèse la totalité du surplus va aux capitalistes) par le rapport-étalon,
et de ce fait relié au taux d’exploitation par l’intermédiaire de kqcomposition
organique du capital de la marchandise-étalon. Les développements [.. .] de
Marx restent donc valables dans le cas général à la seule condition de remplacer
marchandise “moyenne” ou composition organique “moyenne” par marchandise
“étalon” ou composition “étalon”.” 23 . Se trouverait ainsi réaffirmée, selon les
auteurs, l’origine du profit dans la plus-value, l’expression trouvée étant même
plus significative que le “théorème fondamental”.
Mais cette optique soulève cependant un certain nombre de difficultés qui
nous font penser que cette solution au problème de l’exploitation n’est pas plus
satisfaisante que la précédente.
La principale cause de cette insatisfaction réside dans le procédé lui-même
qui est utilisé pour établir cette relation : le passage par le système-étalon, qui
ne peut en aucun cas, à notre avis, sauf logique défectueuse, soutenir les conclu-
sions tirées précédemment. En d’autres termes, l’analogie entre la formule de
Marx et la relation obtenue est purement formelle et leurs significations respec-
tives radicalement différentes. La formule de Marx donne la valeur du taux de
profit en fonction du taux de plus-value et de la composition organique sociale,
et cette valeur ne peut être obtenue que par l’intermédiaire de cette formule qui
présuppose l’exploitation et exprime la redistribution de la plus-value globale
entre les branches au prorata du montant en valeur des capitaux engagés. Il
s’agit là d’un passage nécessaire de la théorie des prix de production, passage
qui, précisément, définit le profit comme plus-value modifiée. Chez Sraffa, au
contraire, et chez G. Abraham-Frois et E. Berrebi, le taux de profit est dé-
terminé indépendamment des valeurs et une relation du type de celle établie
par Marx ne peut être retrouvée qu’en passant par le système-étalon ; ce qui
implique que cette relation ne peut être, d’une part, ni représentative de l’éco-
nomie tout entière (le système-étalon ne représente même pas une “moyenne”
du système fondamental), et, d’autre part, ni significative puisque le système-
étalon est précisément élaboré, par remodelage du système réel, pour que cette
relation soit vérifiée 24.
23. Théorie de la valeur. . ., op. cit., p. 319.
24. Il n’est qu’à voir la manière dont l’étalon est recherché et construit : cf. P. Sraffa, op.
cit., chapitres III et IV.
Quelques points de désaccord 12
Il semble donc évident qu’une construction spécialement bâtie pour vérifier
une relation ne peut être présentée comme preuve de la validité de celle-ci 25.
Le système étalon constitue, certes, un “auxiliaire analytique”. Mais son rôle est
ici différent de celui qu’il jouait en tant que producteur de l’étalon invariable
des prix ; un numéraire peut bien consister en une construction imaginaire, un
panier de biens arbitrairement choisis en fonction de telle ou telle convenance :
les propriétés que l’on veut faire apparaître surgissent par un retour au système
réel, la fonction du système-étalon n’étant que de déterminer la composition
de ce panier. Dans le cas examiné plus haut, au contraire, les choses vont
différemment : car ou bien le système réel est son propre système-étalon et la
relation est effectivement vérifiée, ou bien système réel et système-étalon ne
coïncident pas et la relation n’ est pas significative 26. Est-ce, inversement, parce
que le problème de la transformation n’existe pas dans le système-étalon que
l’on niera sa pertinence pour le système réel ? Le procédé mis en oeuvre ici fait
donc irrémédiablement penser au type de provocation politique décrit jadis par
J.P. Sartre dans ses Situations : après avoir inventé un complot imaginaire, on
en accuse ses adversaires et on les met hors d’état d’agir ; et le fait que rien ne
se produise est alors présenté comme la “preuve” de la culpabilité des prétendus
conjurés.
La logique de la chose, on le voit, ne paraît pas irréprochable. Nous pouvons
cependant aller plus loin et affirmer que, même si la relation établie était
pertinente pour le système réel, on ne pourrait quand même pas y voir une
confirmation de la théorie de l’exploitation.
Une raison, qui peut dans un premier temps s’appuyer sur l’apparition des
“valeurs négatives” en production conjointe, nous incite à reconsidérer la si-
gnification d’une relation qui comprendrait éventuellement un taux de profit
positif mais un taux de plus-value et une composition organique. . . négatifs.
C’est dès lors la notion même de valeur, à l’intérieur d’un système de prix de
production, qui est à remettre en question. Ce point, plus général, sera abordé
dans le prochain paragraphe.
25. Une remarque analogue est formulée, à propos de l’analyse de Meek, par C. Napoleoni,
‘Profitrate und Arbeitsquantum”, dans Ricardo und Marx, Suhrkamp, Francfort-sur-le-Main,
1974, pp. 228–31.
26. Sur ce point, cf. également P. Maurisson, “Les schémas de la transformation et la
théorie sraffaienne des prix de production”, à paraître dans Une nouvelle approche. . . ?, op.
cit.
Quelques points de désaccord 13
Un autre motif de perplexité est dû à cette indépendance des systèmes des
valeurs et des prix, que nous avons maintes fois soulignée. L’expression qui lie
la valeur du taux de profit à celle du taux de plus-value par l’intermédiaire
de la composition organique du système étalon ne peut pas, en elle-même,
indiquer une imputation de cause à effet, un sens de causalité d’une grandeur
vers l’autre. Aucun, parmi les deux termes, n’est premier par rapport à l’autre.
Dès lors, ce sens de causalité est inévitablement recherché en faisant varier les
valeurs des éléments en jeu, c’est-à-dire celles du taux de profit et du taux de
plus-value, afin de constater que, l’un changeant, l’autre varie dans le même
sens (c’est ce que fait A. Medio, par exemple). Mais de sérieuses difficultés
surgissent alors (dans un souci de simplicité, nous raisonnerons dans un cadre
de production simple).
Effectuer ces variations afin de comparer l’évolution des taux signifie tout
d’abord faire varier la répartition, c’est-à-dire, dans notre cas, le salaire réel. Le
point est alors le suivant : on ne peut établir avec précision un sens univoque de
variation des taux que si ce salaire réel varie de manière homothétique. Dans
ce cas, en effet, une augmentation (une baisse) de ce taux de salaire signifie
une baisse (une hausse) du taux de plus-value; d’autre part, la nouvelle ma-
trice socio-technique voit certains de ses éléments augmenter sans qu’aucun ne
diminue (ou l’inverse dans le cas contraire), ce qui provoque une hausse (une
baisse) de la valeur propre dominante α∗(A∗), fonction continue et strictement
positive des éléments de A∗. Puisque le taux de profit r(= R) est fonction
inverse de α∗(A∗), ce taux diminuera (augmentera) en conséquence. Une va-
riation du taux de plus-value induit donc une variation dans le même sens du
taux de profit. Mais ce n’est malheureusement pas là le cas général : et il est
illicite d’exclure les cas de variation des “habitudes de consommation” accom-
pagnant les changements dans le niveau de la rétribution. L’hypothèse d’un
salaire réel aux proportions fixes (qui permet, de façon fort commode, de le
considérer comme un seul bien) est trop contraignante pour que la généralité
des résultats n’en soit point affectée. Aussi doit-on faire en sorte que la varia-
tion de la répartition puisse comporter des variations dans les proportions dans
lesquelles les marchandises composent le salaire réel. Supposons un tel change-
ment, c’est-à-dire supposons que certaines marchandises ne sont plus ou peu
consommées alors que d’autres le sont beaucoup plus. Le taux de plus-value
peut alors augmenter comme diminuer, cela dépend des quantités de travail
incorporé dans les marchandises à présent consommées. Supposons qu’il aug-
mente. Si nous nous tournons vers le système des prix, nous constatons alors
Quelques points de désaccord 14
que l’évolution du taux de profit est indéterminée ; en effet, l’évolution de la
valeur propre dominante de la matrice socio-technique (donc l’évolution du
taux de profit) n’est plus prévisible : certains éléments de A∗s’accroissant
alors que d’autres diminuent, toute comparaison avec une situation antérieure
devient impossible. Une évolution en sens inverse du taux de plus-value et du
taux de profit n’est donc pas seulement à exclure, mais elle possède théorique-
ment autant de probabilités de se produire que l’évolution parallèle.
Achevons notre propos en revenant sur le plan logique et sur l’idée précé-
dente qui consiste à raisonner en termes de variations et qui aurait pu conférer
une certaine valeur explicative à la relation r=e
1 + kq
(toujours entachée,
cependant, par le fait qu’aucun des deux systèmes n’est premier par rapport
à l’autre : d’où le rôle complémentaire essentiel des égalités quantitatives chez
Marx) ; cette idée, pensons-nous, ne constitue pas seulement une manière de
contourner la formule trouvée, qui devient inutile (seul compte le sens de va-
riation des deux taux), mais se révèle illusoire dans la mesure où ce que nous
faisons en réalité, ce n’est pas raisonner en termes de variations mais de com-
paraison d’états permanents.
La vision sraffaienne de G. Abraham-Frois et E. Berrebi est en effet celle
que nous avons définie comme “optique néo-keynésienne” 27 de longue période 28
(ce qui explique par ailleurs que les auteurs se voient contraints, en croissance,
de supposer les rendements constants et une égalité implicite entre l’offre et
la demande des différentes marchandises); cela transparaît très clairement au
début de la section V du chapitre III de leur ouvrage : “si nous soulignons qu’il
s’agit de la détermination des prix d’équilibre”, précisent en effet les auteurs,
“c’est pour éviter toute ambiguïté ; il s’agit bien, non du niveau des prix en
situation de déséquilibre, caractérisée par insuffisance ou excès de l’offre ou de
la demande mais des prix qui apparaissent en régime permanent, où niveaux
de salaire et taux de profit sont fixes et uniformes dans toute l’économie, où
la technologie ne subit aucun changement. On se situe donc dans l’état de
“parfaite tranquillité ” cher à J. Robinson et c’est dans ce cadre, avec l’hypo-
thèse de rendements constants à l’échelle, que nous cherchons les influences qui
27. Cf. notre essai, Travail, valeur et prix, Université de Paris X, et G. Faccarello et Ph.
de Lavergne, “Une nouvelle approche en économie politique ? Un essai de clarification”, à
paraître dans l’ouvrage, cit., du même nom.
28. On retrouverait des problèmes analogues dans une problématique “néo-marxiste”. Cf.
note précédente.
Quelques points de désaccord 15
s’exercent sur la formation des prix normaux, des prix de longue période”29 .
Dans ce cadre, il n’est donc pas d’autre méthode licite que celle de la compa-
raison d’états d’équilibre de longue période d’une structure technique donnée,
états caractérisés par des répartitions différentes du revenu national ; nous
comparons ces états, nous ne passons pas de l’un à l’autre : ce genre de com-
paraison ne peut donc en aucun cas indiquer un lien quelconque de cause à effet
entre les deux situations examinées. C’est ce qu’avait parfaitement souligné G.
Abraham-Frois dans son ‘Introduction’ au second volume des Problématiques
de la croissance 30 (“J. Robinson a mis à maintes reprises en garde contre les
assimilations abusives, contre le risque qu’il y avait à confondre les analyses
en termes de différence et les analyses en termes de changement [.. .]. Mais
bien que l’analyse en termes de différence nous permette de conclure à l’exis-
tence possible de deux régimes permanents de croissance [. . .], il ne nous est
absolument pas possible d’en tirer quelque conclusion que ce soit quant aux
changements qu’entraînerait dans l’économie considérée une modification du
salaire”) ; il est donc étonnant de voir une telle ambiguïté peser sur une question
aussi importante que celle de l’exploitation, et en général sur tout le chapitre
V où le terme “conflit” semble bien renvoyer à une analyse en termes de varia-
tions. Il paraît bien que les auteurs n’ont pas pu échapper ici aux difficultés
propres à l’optique néo-keynésienne.
4Prix, valeurs et exploitation :
une conclusion provisoire
Au terme de cette trop brève analyse, il apparaît que la volonté clairement ex-
primée par G. Abraham-Frois et E. Berrebi de retrouver la théorie de l’exploi-
tation de Marx à travers les deux voies que nous venons d’examiner se heurte
à des difficultés apparemment insurmontables. Nous ne devons cependant pas
nous contenter de cette simple constatation, même importante : il s’agit de
tenter de poursuivre l’analyse et de voir, en guise de conclusion, si ces difficul-
tés ne sont pas irrémédiablement liées au mode d’approche choisi, c’est-à-dire
partir d’une théorie des prix de production pour tenter ensuite de retrouver
l’exploitation. Nous reviendrons par là, du même coup, sur certains points lais-
29. Op. cit., p. 154. C’est nous qui soulignons.
30. Tome II, cit., p. XXIV.
Quelques points de désaccord 16
sés en suspens à la fin des deux premiers paragraphes. Notre conclusion sera
triple : en premier lieu, il ne semble pas que l’on puisse parler d’exploitation
sans supposer l’échange des marchandises “à leur valeur”, c’est-à-dire selon les
quantités de travail socialement nécessaire qui y sont contenues ; ce qui, en
second lieu, rendra inconcevable un système des valeurs, “indépendant”, placé
à côté du système des prix, sans que les deux systèmes se révèlent comme
concurrents et non complémentaires; enfin, sur ces bases, et ce sera là notre
troisième point, il s’avérera impossible, si l’on conserve un système sraffaien
de prix de production, de parler de valeurs, donc de connaître les quantités
globales de “travail incorporé” dans les différentes marchandises.
Le premier point que nous voudrions souligner a donc trait à la théorie de
l’exploitation. Il nous est impossible de nous étendre ici sur toutes les variantes
qu’a reçues cette théorie dans les différentes versions de la problématique
sraffaienne 31 ; disons simplement que les plus cohérentes d’entre elles sont pré-
cisément celles qui ne cherchent pas à déduire cette exploitation directement
du schéma des prix 32 , c’est-à-dire celles qui s’adjoignent, comme ici, un sys-
tème des valeurs dans ce seul but. D’un point de vue formel, cette solution
présente également l’avantage de demeurer fidèle, autant que cela se peut, au
texte de Marx.
Cependant, avant d’aborder de front le problème posé par la simple juxta-
position de deux systèmes apparemment indépendants, il est un point d’impor-
tance capitale sur lequel nous voudrions insister : le fait, en d’autres termes,
selon lequel la théorie de l’exploitation, au sens de Marx, ne peut absolu-
ment pas se passer de la loi de la valeur, et d’une loi de la valeur dans toutes
ses déterminations, c’est-à-dire une loi qui ne détermine pas seulement les
“valeurs absolues” des marchandises mais qui implique également l’échange
de ces marchandises selon les quantités de travail incorporé. Autrement dit,
l’aspect “rapport d’échange” de cette théorie semble tout aussi essentiel que
l’aspect “valeur absolue” (que ces deux aspects soient en fait indissociables
chez Marx, c’est une question que nous ne pouvons pas développer ici 33 ).
La raison en est simple, à bien y réfléchir ; afin de mieux cerner ce point,
31. Cf. Travail, valeur et prix, op. cit.
32. Cf. par exemple John Eatwell, “Mr. Sraffa’s Standard Commodity and the Rate of
Exploitation”, Quarterly Journal of Economics, novembre 1975, 543–55.
33. Cf. par exemple Helmut Reichelt, Zur logischen Struktur des Kapitalbegriffs bei Karl
Marx, Europäische Verlagsanstalt, Francfort, et Europa Verlag, Vienne, 1970.
Quelques points de désaccord 17
penchons-nous sur la manière dont est introduit le concept d’exploitation dans
le système des valeurs. Nous remarquons tout de suite que cette introduction
se fait après la détermination des valeurs, et en correspondance avec la défi-
nition du salaire réel de l’ouvrier. Puisque dest le vecteur des quantités de
marchandises composant ce taux de salaire réel, la valeur de celui-ci est alors
dΛet le “surtravail” est défini par (1−dΛ). Ce surtravail est alors défini comme
travail non payé, exploitation. Et, bien que le taux de plus-value (e=1−dΛ
dΛ)
soit posé uniforme dans toutes les branches de l’économie, l’introduction de la
notion d’exploitation s’effectue, on le voit, au niveau individuel des branches.
L’opération semble aller de soi. Et pourtant, à y regarder de plus près, le
mode de raisonnement utilisé n’est bâti que sur une pure analogie formelle avec
celui de Marx ; et, dans notre contexte, rien ne prouve, a priori, que la quantité
de “travail incorporé” dans le salaire réel est inférieure à celle qui est fournie
par l’ouvrier pendant l’unité de temps à laquelle se rapporte ce salaire réel. Si,
en effet, et comme il se doit, nous nous en tenons au seul système des valeurs
dont le but est bien de faire apparaître un surtravail et d’identifier ce dernier
comme exploitation, la définition de la valeur (absolue) comme la quantité
globale de travail, direct et indirect, incorporé dans une marchandise ne nous
permet que de dire, de manière tautologique, que seul le travail est créateur de
valeur et donc que les moyens de production utilisés ne font que transférer la
leur au produit. Mais, au delà de cette simple conclusion, il ne semble pas que
nous puissions aller. Nous ne pouvons pas exclure, dès l’abord, les cas où la
valeur de (1 −dΛ) est négative ou nulle : car les choix réels des possesseurs des
moyens de production s’effectuent dans le système des prix sur la base des prix
de production en vigueur et du taux de profit prévalant, d’une manière tout
à fait indépendante des quantités de travail incorporé. Les critères de choix
exigent un taux de profit et des prix tous positifs, et non l’existence explicite
d’un “surtravail”. Au niveau des branches, le “système des valeurs” est donc
incapable de nous fournir la preuve de la positivité de l’expression (1 −dΛ),
et donc de celle du “taux d’exploitation”. Il en aurait été tout autrement, bien
entendu si le système des valeurs avait été également un système de rapports
d’échange.
Nous devons enfin distinguer la question de la positivité de (1 −dΛ) de
celle de l’exploitation. Le premier problème conditionne bien le second. Mais
la démonstration de l’exploitation ne s’y ramène pas nécessairement, comme on
le verra par la suite. Car cette question se présente en effet comme l’explication
Quelques points de désaccord 18
de l’origine de l’excédent monétaire retiré par le capitaliste de la vente de la
production (nous écartons ici les problèmes de la “réalisation”), par rapport à
sa mise de fonds initiale convertie en force de travail et moyens de production.
L’échange aux “prix normaux” (quels qu’ils soient) nous permet de dire que cet
excédent ne résulte pas de la seule circulation. Mais, au niveau des branches,
on ne peut comme l’on sait qualifier cet excédent d’équivalent monétaire du
surtravail que si les échanges se font “à la valeur”. C’est bien là tout le problème
de la “transformation”.
Par conséquent, pour revenir au problème qui nous préoccupe ici, la posi-
tivité de (1 −dΛ) et le rapport d’exploitation ne peuvent être démontrés à ce
niveau de l’analyse dans un système de “valeurs” purement absolues, à moins,
bien sûr, de poser tout ceci comme des axiomes de départ. Mais ceci n’est pas
souhaitable et pourra peut-être être évité si l’on passe au niveau plus élevé
d’analyse : celui du système dans son ensemble.
Au niveau du système tout entier, les choses se présentent sous un aspect
plus favorable, car ici des comparaisons en termes physiques sont possibles.
Ce qui apparaît alors au niveau global, c’est, d’une part, la quantité glo-
bale de travail direct effectué pendant la période, σL(où σest le vecteur
ligne, de dimension appropriée, dont les éléments sont tous égaux à 1), qui
est également la quantité de travail incorporé dans – et donc la valeur de – la
masse des marchandises constituant le produit net au sens de Sraffa, masse for-
mée par les biens de consommation ouvrière (de valeur globale Lw=σLdΛ)
et les marchandises qui échoient aux possesseurs des moyens de production
(de valeur égale, par conséquent, à σL−σLdΛ). Puisque, dans notre contexte
de production simple, les valeurs sont toutes positives, il résulte immédiate-
ment que, au niveau du système tout entier :
σL−σLdΛ = σL(1 −dΛ) >0
avec (1 −dΛ) >0et e=1−dΛ
dΛ>0.
Si le caractère positif de (1 −dΛ) est à présent établi, nous ne sommes pas
pour autant au bout de nos peines. En effet, cette preuve ne constitue pas,
en premier lieu, une démonstration de l’exploitation dans la mesure où elle
présuppose le partage du produit net physique entre capitalistes et ouvriers.
Baptiser ce partage “rapport d’exploitation” serait retomber dans la vision “so-
cialiste ricardienne” et affirmer de manière péremptoire que le “travail” possède
Quelques points de désaccord 19
une sorte de “droit naturel” sur la propriété de l’intégralité du surplus produit.
En second lieu, il apparaît que le taux “d’exploitation” ainsi défini au niveau
global n’est transféré au niveau des branches que de manière purement factice.
L’écriture :
Λ = AΛ + L=AΛ + (1 + e)LdΛ
est illicite dans son second passage. Seule la relation σL= (1+e)σLdΛpossède
une signification. Nous nous expliquons du même coup pourquoi les auteurs
qui adoptent cette problématique ne peuvent que supposer un taux uniforme
de “plus-value”.
Par conséquent, de quelque côté que l’on se tourne, il semble bien que,
jusqu’à la preuve du contraire, l’exploitation ne puisse être démontrée qu’à
l’aide d’une théorie des rapports d’échange des marchandises selon les quantités
de travail incorporé. Dès lors, pour revenir à notre système des valeurs, la
conclusion est d’importance car l’alternative suivante s’impose d’elle-même :
(a) ou bien le “système des valeurs” que l’on adjoint au système des prix n’est
qu’un système de “valeurs absolues”, et son utilité se borne à définir un “taux
de plus-value” au niveau global ; mais il est alors inutile : le calcul de ce taux
peut très bien se faire au niveau du système des prix et, l’exploitation étant
purement et simplement postulée, cette pétition de principes n’a nullement
besoin de l’appareil formel du premier système, appareil qui ne fait que semer
illusion et confusion ;
(b) ou bien le “système des valeurs” a effectivement pour objet de démontrer
l’exploitation ; mais cette démonstration ne peut pas se faire sur la base d’un
simple partage global de marchandises entre les classes, partage qui reste in-
expliqué 34 ; elle doit alors nécessairement résulter, comme le soulignait déjà
Marx, d’une articulation entre l’échange et la production, faire intervenir les
rapports d’échange et résulter d’une correspondance biunivoque, non ambiguë,
entre le surplus monétaire et le surtravail : ce qui ne peut se faire, au niveau
global comme au niveau individuel, dans l’état actuel des recherches, qu’en
adoptant le principe de l’échange “à la valeur” 35 .
34. C’est pourtant là l’essence du “théorème marxien fondamental”, et de toutes les ten-
tatives actuelles qui s’efforcent de lire Marx à travers l’opacité sraffaienne : sur ce point, cf.
Travail, Valeur et Prix, op. cit., troisième partie.
35. La démarche de Marx paraît donc profondément illogique et il semble bien que les
critiques traditionnelles aient eu raison de l’accuser d’avoir fourni, dans une certaine mesure,
deux théories de la valeur d’échange. Sur la base de la constatation d’un surplus monétaire
Quelques points de désaccord 20
Cette conclusion est, à nos yeux, d’une extrême importance, et les consé-
quences que nous allons en tirer sont là pour en témoigner. Ces conséquences
ont trait, comme nous l’avons déjà annoncé, à l’indépendance des deux sys-
tèmes des valeurs et des prix et à la signification même à accorder à la notion
de “travail incorporé” dans le cadre d’une théorie des prix de production.
Le fait, donc, que l’on ne puisse sérieusement parler d’exploitation sans
accepter, explicitement ou non, l’échange des marchandises à leur valeur nous
permet de répondre à l’interrogation que nous avions laissée en suspens à la fin
du premier paragraphe, concernant la complémentarité des deux systèmes jux-
taposés. Il apparaît bien, à présent, que cette complémentarité est purement
fictive et cède le pas pour laisser place à une opposition conflictuelle. Chaque
système était censé représenter et analyser un aspect d’une réalité complexe :
le système des valeurs aurait permis de dévoiler l’exploitation et le système
des prix nous aurait fourni une théorie cohérente des rapports d’échange et de
la détermination des profits, rentes et autres changements de technique. Cette
vision doit de toute évidence être abandonnée dans la mesure où il est inaccep-
table de conserver simultanément deux systèmes imposant chacun sa propre
théorie des rapports d’échange. Il semble bien que nous soyons ici contraints
de choisir entre eux, c’est-à-dire de décider, soit de conserver la théorie de l’ex-
ploitation mais, avec elle, une théorie “défectueuse” des rapports d’échange,
soit de conserver une théorie des prix jugés correcte mais en renonçant alors
à comprendre la nature et l’origine du profit. Il n’est en tout cas pas licite de
conserver côte à côte, pacifiquement, deux systèmes à ce point conflictuels.
Est-ce à dire que nous pourrions échapper à ce dilemme en soulignant le fait
selon lequel, pour connaître les quantités de travail incorporé dans les diffé-
rentes marchandises, il n’est nullement nécessaire de passer par un système des
tiré de la production (le véritable point de départ de la recherche est la section II du Livre I
du Capital), Marx introduit les échanges à la valeur pour expliquer ce surplus comme forme
monétaire du surtravail. Mais c’est pour exprimer comment ce même surplus tend en fait
à être proportionnel à la masse des capitaux investis qu’il introduit l’échange aux prix de
production. C’est de cette démarche parallèle que découle le problème de la transformation,
et non pas d’une mauvaise liaison entre le système des valeurs et le système des prix. Ce
n’est pas le procédé utilisé pour jeter le pont entre les deux systèmes qui est discutable, mais
l’idée même qu’il existe deux systèmes. Autrement dit, une théorie des rapports d’échange
considérés comme “normaux” devrait affronter en même temps le problème de l’exploitation
et le résoudre. Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner ailleurs, cette exigence
passe pour nous par l’explicitation sérieuse de la méthode de Marx et par une nouvelle
définition du “travail socialement nécessaire” (et non pas, comme on l’entend habituellement,
techniquement nécessaire) qui fonde la valeur.
Quelques points de désaccord 21
valeurs mais que leur détermination peut bien se faire à partir du système des
prix de production, par la méthode des sous-systèmes 36 par exemple? Nous ne
le pensons pas. Car, en premier lieu, même si cela était possible, il nous fau-
drait tout de même renoncer à parler d’exploitation, pour les raisons indiquées
ci-dessus. En second lieu, et c’est là le point essentiel effleuré au second para-
graphe, il nous semble impossible de parler de “travail incorporé”, de “valeur”,
même au sens marxien traditionnel du terme (travail global techniquement
nécessaire en moyenne à la production d’une marchandise), en partant d’un
système de prix de production.
Si l’on examine en effet le système de Sraffa, tel qu’il est exposé dans
Production de marchandises au moyen de marchandises, une chose frappe
de prime abord : dans un ouvrage se réclamant de la tradition classique,
et paraissant après Le Capital, aucune mention n’est faite des concepts de
travail “concret” et de travail “abstrait”. Seule prévaut la notion, reprise par-
tout ailleurs, de “travail homogène”. Déjà, vers le milieu des années soixante,
C. Napoleoni s’était interrogé sur la signification à accorder au “travail” chez
Sraffa, en liaison avec le problème de la transformation37 . Mais c’est aussi à
G. Rodano que nous devons l’amorce d’une réponse 38 , que nous complétons
et généralisons ici.
Pour certains auteurs, le travail “homogène” de Sraffa, représenté par le
vecteur L, n’est rien d’autre que le travail abstrait de Marx. Il suffit pour
cela, affirment-ils, de considérer la signification des colonnes des matrices tech-
niques : chacune correspond à une marchandise et une seule. Le vecteur L
correspond donc à la marchandise “force de travail”, en vertu de quoi les quan-
tités qui y figurent possèdent la qualité de travail abstrait.
Ce raisonnement serait séduisant s’il ne jurait dès l’instant où l’on cesse
de considérer les colonnes pour examiner les lignes de l’ensemble (A,L,B).
Chaque ligne correspond à une méthode de production, ensemble technique
de marchandises et de quantités de travail donné, disons, “empiriquement”. En
tant que partie intégrante de ces méthodes de production, le travail devrait
36. Cf. P. Sraffa, op. cit., appendice A.
37. C. Napoleoni, “Sul significato del problema marxiano della trasformazione”, La Rivista
Trimestrale, 17–18, mars-juin 1966, 110–19.
38. G. Rodano, “Considerazioni sul sistema dei prezzi di produzione. I : Una ripresa critica
della soluzione di Piero Sraffa”, Quaderni della Rivista Trimestrale, 33–34, mai 1972, 70–105 :
cf. note 40, 92–3.
Quelques points de désaccord 22
donc représenter du travail concret 39.
La question peut alors être résolue de la manière suivante. Supposons qu’il
existe, dans l’économie, nespèces de travaux concrets (il pourrait en exister
(n−1) ou (n+ 1), peu importe), et ntaux de salaire différenciés afférents à
ces types de travaux w1, w2, . . . , wn. Seule la structure de ces taux différenciés
doit être connue. Il apparaît alors, aux côtés de la matrice A, une matrice des
quantités de travaux concrets, de la forme :
L′=
L11 L12 . . . L1n
. . . . . . . . . . . .
Ln1Ln2. . . Lnn
(où Li,j désigne la quantité de travail concret de type jnécessaire à la
production dans le procès i), et un vecteur :
w′=
w1
. . .
w2
.
Le système s’écrit alors :
Bp = (1 + r) (Ap +L′w′)
Si l’on convient à présent des notations suivantes :
w=wn=dp
Li=X
j
Lij wj
wn
i, j = 1,2, . . . , n
L=
L1
. . .
Ln
et X
i
Li= 1
39. Cette alternative a été reprise, sous forme de paradoxe, par C. Benetti, S. de Brun-
hoff et J. Cartelier, “Éléments pour une critique marxiste de P. Sraffa”, Cahiers d’Économie
Politique, n°3, 1976, sans que ces auteurs en tirent, semble-t-il, toutes les conséquences sou-
haitables. Ce point semble avoir été éclairci, dans Economie Classique, Économie Vulgaire,
PUG/Maspéro, p. 75, note 2.
Quelques points de désaccord 23
le système devient :
Bp = (1 + r) (Ap +Lw)
où il apparaît que les quantités Lide travail “homogène” qui apparaissent chez
Sraffa sont en réalité des “pseudo quantités de travail”, et plus précisément des
quantités de travail commandé : Lireprésente la quantité de travail concret de
type n commandé par la masse salariale versée dans la branche i.
Il apparaît dès lors que la quantité de “travail incorporé” que l’on calcule à
partir du système des prix de production, par la méthode des sous-systèmes
par exemple, ne représente pas autre chose qu’une somme pondérée de quan-
tités de travail commandé, c’est-à-dire la quantité de travail concret (dont la
catégorie est déterminée par l’indice du taux de salaire pris comme référence)
commandé par la masse salariale qu’il a été nécessaire de dépenser, directement
et indirectement, dans la production d’une unité de la marchandise prise en
compte. Est ainsi précisée la qualité d’instrument de mesure du “travail”. Cela
peut éclaircir du même coup le mystère des “valeurs négatives”, problème que
nous avons abordé au deuxième paragraphe : il y aurait là l’indice de méthodes
inefficientes, un gaspillage, au niveau social, de différentes sortes de travaux 40 .
Enfin, cela permet de jeter un regard rétrospectif sur les arguments avancés
contre les tentatives de retrouver l’exploitation par le biais du “théorème mar-
xien fondamental” ou du système-étalon, arguments que les développements
de ce paragraphe viennent compléter et intégrer. Mais le point essentiel qui se
dégage de tout ceci reste bien entendu le suivant : dès l’instant où l’on accepte
un système de prix de production comme théoriquement pertinent, alors toute
velléité de raisonner parallèlement sur les “valeurs”, soit par l’intermédiaire
d’un système annexe des valeurs, soit en partant directement du système des
prix, devient vaine.
Au terme de cette brève analyse, précisons de nouveau que seule une faible
fraction de l’ouvrage de G. Abraham-Frois et E. Berrebi est ici prise en compte.
L’apport de la Théorie de la valeur, des prix et de l’accumulation ne se résume
pas aux quelques points abordés et reste essentiel et novateur dans l’analyse des
propriétés des systèmes de prix de production. Nous avons simplement estimé
nécessaire, en une période d’intenses débats et de remises en cause théoriques,
40. D’où l’impossibilité d’apparition des valeurs négatives lorsque l’on raisonne sur les
“valeurs optimales” de Morishima. Cf. également Geoffrey H. Hodgson, The effects of joint
production and fixed capital in linear economic analysis, M. A. Thesis, 1974, Manchester
Polytechnic.
Quelques points de désaccord 24
de souligner brièvement quelques points qui à notre avis commandent aujour-
d’hui toute recherche, des problèmes qui exigent qu’on les aborde clairement.
Peut-être les marxistes de la Vulgate ou les gardiens d’un imaginaire temple
sraffaien en prendront-ils ombrage. Que ne méditent-ils pas alors ces propos
tenus par Lucio Colletti : “Nous sommes tellement habitués, comme marxistes,
à regarder la réalité à travers certaines lunettes qu’il est extrêmement impor-
tant que quelqu’un, de temps à autre, sache les ôter; il est probable qu’il verra
le monde de manière un peu plus confuse, mais il est aussi possible qu’il par-
vienne à percevoir des choses que ceux qui portent ces lunettes ne soupçonnent
même pas” 41.
41. “A Political and Philosophical Interview”, New Left Review, n°86, juillet-août 1974.