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La loi de la valeur et le problème de la coordination des activités économiques

Authors:
  • Université Panthéon-Assas, Paris, France
La loi de la valeur et le problème de la
coordination des activités économiques
Gilbert Faccarello
I. I. Rubin (1886–1937)
I
A l’occasion des célébrations diverses qui entoureront le centième anniversaire
de la mort de K. Marx, et à un moment ou les recherches marxiennes s’es-
soufflent après de tapageuses controverses, peut-être n’est-il pas inutile d’atti-
rer l’attention sur un auteur longtemps méconnu et, à peine sorti de l’oubli,
déjà négligé : Isaak I. Roubine 1. Récemment découvert grâce à une traduc-
tion de ses Essais sur la théorie la valeur de Marx (3e édition, Moscou, 1928),
Essai publié dans L’homme et la société, n°67-68, 1983, pp. 153–77. Les nombreuses
fautes d’impression ont été corrigées et les références bibliographiques ont été précisées,
notamment pour tenir compte des rééditions ultérieures. Les principes théoriques sous-
jacents à cette étude sont ceux exposés dans G. Faccarello, Travail, valeur et prix. Une
critique de la théorie de la valeur, Paris: Anthropos, 1983, et résumés en anglais dans “Some
reflections on Marx’s theory of value”, dans Riccardo Bellofiore (sous la dir. de), Marxian
Economics: A Reappraisal. Essays on Volume III of Capital. Volume I: Method, Value and
Money, Londres: Macmillan, 1997, pp. 29–47.
1. La biographie de I. I. Roubine est très mal connue. Cf. l’avant-propos du traducteur,
édition française des Essais, pp. 7–11. [Depuis la publication du présent essai, les recherches
sur Roubine ont progressé : voir par exemple Ivan Boldyrev and Martin Kragh, “Isaak Rubin :
historian of economic thought during the Stalinization of social sciences in Soviet Russia”,
Journal of the History of Economic Thought, 37 (3), 2015, pp. 363–86.]
1
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 2
son écrit majeur, sa pensée peut être mieux cernée après la publication de
son Histoire de la pensée économique (2éme édition, 1929a) et d’une série de
conférences qu’il fit en 1927 et en 1929 sur Le travail abstrait et la valeur dans
le système de Marx (1927) et Le développement dialectique des concepts dans
le système économique de Marx (1929b).
L’importance de Roubine nous parait fondamentale. Dès les années vingt, il
résout ou pose des problèmes que différents auteurs n’ont résolu ou contribué
à poser que quelques décennies plus tard. La question de la distinction entre le
travail productif et improductif, par exemple, récemment réglée par C. Colliot-
Thélène (1975), se trouve déjà établie dans les Essais (1928, chapitre 19). Les
thèmes majeurs de la nature du travail “abstrait”, substance de la valeur, et
des liens entre la théorie de la valeur et celle du “fétichisme”, l’un des axes de
la réflexion de L. Colletti (cf. par exemple L. Coletti, 1968 et 1969) formaient
déjà le fil conducteur de la pensée de Roubine. De même, le statut ambigu de la
déduction des concepts dans Le Capital, sur lequel H. G. Backhaus a attiré de
nouveau l’attention il y a quelques vingt ans dans un court article (Backhaus,
1967), est implicitement souligné en 1928–1929. Mais l’intérêt que peut susciter
l’œuvre de Roubine ne réside pas seulement dans une antériorité que l’on doit
lui reconnaître. Son originalité consiste en ce qu’il traite simultanément, et avec
une grande lucidité, les problèmes que d’autres ne redécouvriront qu’isolément
et par bribes : c’est sa force. Sa faiblesse est de ne pas suivre jusqu’au
bout la logique enclenchée et de ne pas tirer la conclusion à laquelle mènent
implicitement tous ses développements : une remise en cause de la construction
même des textes de Marx et de leur signification 2.
Mais l’analyse des idées directrices de la pensée de Roubine est également
intéressante à un autre titre qui nous retiendra ici. Elle marque l’aboutis-
sement d’une interprétation très particulière de la théorie développée dans
Le Capital : la conception de la loi de la valeur-travail comme mode de
régulation et de coordination des activités économiques dans une société
atomisée de producteurs indépendants. Cette interprétation a toujours été très
marginale (voire, à certaines époques, totalement inexistante) parmi les exé-
gètes de Marx. Elle naît et (pourrait-on presque dire) meurt pendant la pé-
riode extrêmement intéressante et riche en débats multiples que constituent les
2. Le présent article constitue une brève enquête historique autour de principes théoriques
développés dans deux articles antérieurs (1981 et 1982), et étayés dans notre ouvrage (1983)
auquel nous nous permettons de renvoyer le lecteur intéressé par ces thèmes.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 3
cinquante années suivant la mort de Marx 3. Pour quelle raison occupe-telle
cette place spécifique ? C’est qu’elle était tout à la fois utile dans les débats
avec les adversaires du marxisme, et dangereuse pour l’orthodoxie naissante
(puis dominante). Pour saisir ce point, il est indispensable de situer, même à
grands traits, l’œuvre de Roubine dans l’histoire du thème qu’elle illustre. Il
va de soi que, dans cette perspective, de nombreux problèmes seront laissés
dans l’ombre, qui ne touchent pas directement au sujet.
II
Pour aborder le problème du statut et de la signification de la loi de la va-
leur, il faut souligner au préalable que si la question de la “transformation”
des valeurs en prix de production est aussi ici en cause, ce n’est jamais dans
l’optique actuelle pourtant dictée par L. von Bortkiewicz en 1906–1907. On
sait aujourd’hui que la tentative opérée par Marx dans le livre 3 du Capital
constitue un échec4, et, rétrospectivement, les interrogations formulées dans les
années 1880–1910 autour de la pertinence du concept de valeur nous paraissent
justifiées. Mais, à l’époque, ces interrogations pouvaient sembler arbitraires.
Le raisonnement était en général le suivant. Dans la mesure les marchan-
dises ne s’échangent pas à leur valeur, mais à leur prix de production, la signifi-
cation de la loi de la valeur devient obscure, tout comme la théorie de l’exploi-
tation qu’elle est censée fonder. Car la valeur-travail était conçue comme une
théorie des rapports d’échange : tout ce qui pouvait remettre en cause l’échange
à la valeur minait par conséquent les fondements de cette loi. Cette position
peut paraître naturelle chez des auteurs comme E. von Böhm-Bawerk : elle
surprend en revanche chez Werner Sombert et surtout chez Conrad Schmidt5.
Ce dernier ne reconnaît-il pas par ailleurs que “la façon dont Marx déduit le
profit moyen de la plus-value répond pour la première fois à une question que,
jusqu’alors, l’économie n’avait même pas soulevée, à savoir : comment se dé-
termine la grandeur du taux moyen de profit et comment se fait-il que celui-ci
s’élève à 10 ou 15 % par exemple, plutôt qu’à 50 ou 100%?” (Engels, 1895, p.
3. Pour un aperçu de ces débats, on peut se reporter à L. Colletti (1968 et 1969), G.
Dostaler (1978, chapitres 2 et 4 en particulier), R. Finzi (1977, articles sur A. Graziadei), et
aux premiers volumes de l’Histoire du marxisme contemporain (1976).
4. Cf. G. Faccarello, 1983, chapitres VI-VIII.
5. Sur Conrad Schmidt, cf. B. Besnier (1976).
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 4
30). La solution immédiate est donc écartée curieusement dès l’emblée6, selon
laquelle les prix et le taux de profit ne sauraient être connus sans le calcul de
la valeur. Par conséquent, ceux qui, comme Sombart et Schmidt, entendent
conserver un rôle au concept de valeur, tentent de justifier leur point de vue
au moyen de voies plus détournées.
Sombart insiste sur le fait que la valeur représente une idée théorique qui
permet d’exprimer le mode particulier d’expression de la division sociale du
travail dans la société marchande.
Il aboutit à ce résultat que la valeur [.. .] n’est pas un fait empirique, mais
un fait de pensée, un fait logique. La notion de valeur, dans sa définition
matérielle, chez Marx, n’est rien d’autre que l’expression économique du
fait que constitue la force productive sociale du travail comme base de la
vie économique ; la loi de la valeur domine, en dernière instance, les pro-
cessus économiques dans un régime d’économie capitaliste. Elle y a d’une
façon très générale le contenu suivant : la valeur des marchandises est la
forme spécifique et historique sous laquelle s’impose la force productive
du travail qui domine, en dernier ressort, tous les processus économiques.
(Engels, ibid.)
Manifestement embarrassé par cette conception, Engels se borne à déclarer
qu’“on ne peut affirmer que cette façon de concevoir la signification de la loi
de la valeur pour le mode de production capitaliste soit inexacte” mais qu’“elle
n’épuise nullement toute la portée de la loi de la valeur pour les phases de
développement économique de la société régies par cette loi” (ibid.).
Quant à Conrad Schmidt, la valeur représente pour lui une simple hypothèse
scientifique, une fiction nécessaire à l’analyse
Il l’appelle une hypothèse scientifique, émise pour expliquer le procès
d’échange réel et qui se révèle être le point de départ théorique inévitable,
éclairant même les phénomènes de concurrence entre les prix qui pourtant
paraissent la contredire totalement ; d’après Schmidt, sans la loi de la
valeur, il n’y a plus de compréhension théorique possible du mouvement
économique de la réalité capitaliste. (ibid.)
Il est curieux de noter qu’Engels se méprend tout d’abord sur le sens des
propos de C. Schmidt. “Vous rabaissez la loi de la valeur à une fiction nécessaire,
à peu près comme Kant réduit l’existence de Dieu à un postulat de la raison
6. Elle est par contre naturellement acceptée par Roubine (1928, p. 293 et pp. 327–32).
La conception de la transformation qui s’exprime dans les Essais est très traditionnelle, et
c’est le côté le moins intéressant de cet ouvrage (chapitre 18, pp. 293–337). Il est curieux
que Roubine n’ait pas perçu la portée des arguments de Bortkiewcz, auteur qu’il connaît et
qu’il cite à l’occasion (1928, p. 145, note 6).
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 5
pratique. Les objections que vous faites à la loi de la valeur atteignent tous les
concepts, à les considérer du point de vue de la réalité [. . .]. [Le] concept d’une
chose et la réalité de celle-ci sont parallèles, comme deux asymptotes [sic] qui
se rapprochent sans cesse l’une de l’autre sans jamais se rejoindre [.. .]. Du
fait qu’un concept [. . .] ne coïncide pas d’emblée [.. .] avec la réalité, dont il a
fallu d’abord l’abstraire, de ce fait il est toujours plus qu’une simple fiction, à
moins que vous n’appeliez fictions tous les résultats de la pensée” (Lettre à C.
Schmidt, 12 mars 1895, dans Marx et Engels 1849–1895, pp. 416–17). Engels
réalise cependant, par la suite, sa méprise : il ne s’agit pas du rapport d’un
concept (la valeur) à une réalité (le prix), mais de la validité théorique d’une
déduction conceptuelle. “Je vous suis très obligé de votre ténacité à propos de
la ‘fiction’. Il y a en fait une difficulté que j’ai pu sauter seulement parce
que vous avez insisté sur votre fiction” (6 avril 1895, ibid., p. 422). La solution
proposée par lui, sur la base d’un passage du livre 3 du Capital, repose sur
le processus de la transformation conçu essentiellement comme un problème
historique, les concepts de valeur et de prix se développant parallèlement aux
transformations empiriques de la réalité marchande7.
On sait que la réponse d’Engels ne règle pas le problème et ne fait, au
contraire, qu’accentuer la difficulté. “L’interprétation historique de la ques-
tion”, remarquera très justement Roubine (1928, p. 336), “nous conduit [.. .]
à négliger le caractère historique de la catégorie de valeur”. Mais, pour ce qui
nous concerne, une partie du décor est campée : la loi de la valeur comme
expression historique de la division sociale du travail, et/ou comme simple fait
7. Si Roubine accepte dans l’ensemble certains présupposés méthodologiques d’Engels,
il rejette la conception “historique” de la transformation et tente d’expliquer la raison
d’être des passages de Marx qui s’y rapportent et qu’Engels cite à l’appui de sa thèse (cf.
1928, pp. 332–37). “La question historique de savoir si les marchandises étaient échangées
proportionnellement aux dépenses de travail avant l’apparition du capitalisme”, déclare-t-il
très justement (ibid, pp. 335–36), “doit être distinguée de la question de la signification théo-
rique de la théorie de la valeur-travail. Si l’on répond par l’affirmative à la première question,
et si l’analyse de l’économie capitaliste n’avait nul besoin de théorie de la valeur-travail, nous
pourrions considérer cette théorie comme une introduction historique à l’économie politique,
mais en aucun cas comme la base théorique fondamentale sur laquelle est construite l’écono-
mie politique de Marx. Au contraire, si l’on répond par la négative à la question historique,
mais si l’on prouve que la théorie de la valeur-travail est indispensable à la compréhension
théorique des phénomènes complexes de l’économie capitaliste, cette théorie restera le point
de départ de la théorie économique, comme elle l’est maintenant. En bref, de quelque façon
que l’on résolve la question historique de l’influence de la loi de la valeur dans la période qui
a précédé le capitalisme, cette solution ne décharge pas le moins du monde les marxistes de
la responsabilité de relever le défi de leurs adversaires à propos de la signification théorique
de la loi de la valeur pour la compréhension de l’économie capitaliste.”
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 6
de pensée, comme fiction nécessaire. Au début du 20ème siècle, la première
voie est développée par R. Hilferding (1904 et 1910); la seconde par Franz
Petry (1915) notamment qui, dans le contexte de la sociologie “compréhen-
sive”, opère une scission radicale entre l’aspect quantitatif du Capital, relevant
des sciences de la nature et héritage (empoisonné) de l’économie politique,
et l’aspect qualitatif, propre aux sciences historiques et sociales, permettant
une analyse en compréhension de la réalité capitaliste (héritage de l’idéalisme
hégélien et véritable apport de la théorie marxienne de la valeur).
III
Pour ce qui nous concerne, les autres éléments du décor nous sont fournis
par le pamphlet de E. von Böhm-Bawerk (1896) contre la théorie de Marx
(et, en passant, contre la défense qu’en fit W. Sombart) et par la réplique
d’Hilferding (1904). Les commentateurs marxistes ont trop souvent concentré
leur attention sur les trois premières sections de l’écrit de 1896 et sur les ré-
ponses, assez aisées à formuler, qui leur furent adressées en 1904. Les quatrième
et cinquième sections : “L’erreur du système marxien, son origine et ses rami-
fications”, et “L’apologie de Werner Sombart”, en revanche, furent négligées.
Pourtant, reprenant et développant des arguments déjà formulés en 1884, elles
possèdent une portée critique beaucoup plus importante que les premières. Y
sont attaquées, en particulier, la manière par laquelle Marx présente le concept
de valeur, celle par laquelle la valeur est rapportée au seul travail incorporé, et
la déduction du travail “abstrait”, substance de la valeur. Est mise en cause la
légitimité même d’un raisonnement en termes de “prix naturels” indépendants
de la demande. Enfin, c’est la signification réelle de la valeur comme “donnée
uniquement conceptuelle” (Sombart) qui est examinée de manière corrosive.
Il s’agit là, on le voit, d’autant de points délicats souvent esquivés par les
défenseurs du système de Marx.
C’est le mérite d’Hilferding que d’avoir ten de répondre à un argument
de poids : le caractère totalement arbitraire de l’identification valeur/travail
dans Le Capital. Il n’est pas sûr que ce point ait été bien saisi par la suite :
aussi convient-il de s’y attarder. Le raisonnement de Roubine s’y rapporte
fréquemment.
La critique adressée par Böhm-Bawerk repose sur l’hypothèse explicite se-
lon laquelle la théorie de la valeur-travail ne saurait être autre chose qu’une
théorie des rapports d’échange : la déduction par Marx de la commensurabi-
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 7
lité des marchandises et de l’égalité des valeurs dans l’échange, via le travail
abstrait, semble en dépendre. Hilferding, même s’il se contredit lui-même par
la suite, déplace la question. La loi de la valeur n’est pas essentiellement une
théorie des rapports d’échange, le fondement de la valeur dans le travail n’est
pas déduit par Marx, ni démontré, mais il traduit simplement et plus immé-
diatement l’objet même de l’étude. “La question critique de Böhm, à laquelle
Marx aurait répondu d’une manière aussi erronée, est la suivante : ‘de quel
droit Marx peut-il proclamer le travail comme le seul élément créateur de va-
leur ?’ ; notre anti-critique doit donc en premier lieu démontrer que l’analyse
de la marchandise comporte la réponse” (Hilferding, 1904, pp. 129).
L’habileté d’Hilferding consiste à rechercher une “analyse de la marchan-
dise” différente de celle, traditionnelle, contenue dans les premières pages du
Capital. Reprenant un thème effleuré par Sombart, la réponse met l’accent
sur le caractère spécifique de la division sociale du travail dans une société de
marché généralisé. Ce thème figure explicitement, bien entendu, dans de nom-
breuses pages de la Contribution et du Capital, surtout dans celles qui sont
consacrées au “fétichisme de la marchandise”. Mais c’est plutôt une lettre de
Marx à Kugelmann, datée du 11 juillet 1868, qui a dicter à Hilferding les
termes mêmes de sa réplique 8. Marx y affirme en effet que “même si, dans mon
livre, il n’y avait pas le moindre chapitre sur la ‘valeur’, l’analyse des rapports
réels, que je donne, contiendrait la preuve et la démonstration du rapport de
valeur réel”. La signification des termes “rapports réels” et “rapport de valeur
réel” reste bien entendu à préciser. “Le bavardage sur la nécessité de démontrer
la notion de valeur”, poursuit Marx, “ne repose que sur une ignorance totale,
non seulement de la question dont il s’agit, mais aussi de la méthode scien-
tifique. N’importe quel enfant sait que toute nation crèverait, qui cesserait le
travail” (Marx à Kugelmann, 1849–1895, p. 229). Contrairement à l’optique
habituelle, l’analyse est alors menée au niveau global des branches et de la
répartition du “travail social”
De même cet enfant sait que les masses de produits correspondant aux
divers besoins exigent des masses différentes et quantitativement dé-
terminées de la totalité du travail social. Il va de soi que cette néces-
sité de la répartition du travail social en proportions déterminées n’est
8. Les lettres de Marx à Kugelmann furent publiées en 1902, à la mort de leur destinataire.
On sait d’autre part, aux dires de Hilferding, que la réplique à Böhm-Bawerk, publiée en
1904, était rédigée pour l’essentiel à la fin de 1902. L’analogie frappante entre la célèbre lettre
datée du 11 juillet 1868 et les développements du texte démontrent à notre avis qu’Hilferding
n’a pu que s’en inspirer.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 8
nullement supprimée par la forme déterminée de la production sociale :
c’est la façon dont elle se manifeste qui peut seule être modifiée. (ibid.,
pp. 229–30)
Cette “nécessité” possède la force de “lois naturelles”. Mais, dans cette pers-
pective agrégée, que signifie à présent la notion de “valeur” ? Tout simplement
la “forme” spécifique par laquelle s’opère la répartition du “travail social” dans
une société toute régulation de la production fait a priori défaut. “Ce qui
peut être transformé, dans des situations historiques différentes, c’est unique-
ment la forme sous laquelle ces lois [naturelles] s’imposent. Et la forme sous
laquelle cette répartition proportionnelle du travail se réalise, dans un état so-
cial la structure du travail social se manifeste sous la forme d’un échange
privé de produits individuels du travail, cette forme, c’est précisément la valeur
d’échange des produits” (ibid., p. 230).
Dans une société atomisée de producteurs indépendants, seul l’échange
forme le lien social qui fait défaut de prime abord. Le travail individuel, privé,
n’est pas immédiatement social, mais doit le devenir. Par quel moyen ? Par
la preuve de son utilité sociale, c’est-à-dire par le fait que son produit trouve
un acquéreur sur le marché. Le rôle de l’échange, du marc et, de manière
implicite, de la monnaie, se trouve donc propulsé au premier plan. C’est cette
problématique que reprend Hilferding en 1904, dans les termes mêmes de la
lettre à Kugelmann ; et qu’il résume de manière fort claire en 1910 dans le
premier chapitre du Capital Financier, en se référant davantage, cette fois, à
l’analyse du “fétichisme de la marchandise”
La communauté humaine de production peut être constituée de deux
façons. D’abord d’une façon consciente. La société que ce soit la
famille patriarcale, le clan communiste ou la société socialiste se crée
les organes qui fixent, en tant que représentants de la conscience sociale,
la quantité et le genre de la production et répartissent entre ses membres
le produit social. Comment, et par quels moyens, dans les conditions
de production naturelles et artificielles existantes, de nouveaux produits
sont fabriqués, c’est ce que décide le pater familias ou les représentants
communaux, régionaux ou nationaux de la société qui, connaissant soit
par expérience personnelle les besoins et les ressources de la famille, soit
par tous les moyens d’une statistique de la production et de la consomma-
tion les besoins sociaux, déterminent d’une façon consciente toute la vie
économique d’après les besoins des communautés qu’ils représentent et
dirigent. Les membres d’une communauté ainsi organisée entretiennent
entre eux des rapports conscients en tant que parties d’une même com-
munauté de production. La place qu’ils occupent dans le travail et la
répartition de leurs produits est soumise au contrôle central. Les rap-
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 9
ports de production apparaissent, dans la mesure ils se rapportent à
la vie économique, comme des rapports sociaux déterminés par l’ordre
social et soustraits à leur volonté individuelle [.. .].
Il en est autrement dans la société dépourvue de cette organisation
consciente. Elle est composée d’individus indépendants les uns des autres,
dont la production apparaît comme une affaire, non plus sociale, mais
privée. Ils sont ainsi des propriétaires privés, contraints par le développe-
ment de la division du travail d’entrer en relation les uns avec les autres ;
l’acte au moyen duquel ils le font est l’échange de leurs produits. C’est
seulement par lui que la société éclatée dans ses atomes par la propriété
privée et la division du travail reçoit une certaine cohérence. (1910, pp.
61–2 ; cf. aussi 1904, pp. 130–32)
L’échange et les rapports d’échange fixent la place de chacun dans la pro-
duction, dans la division sociale du travail, de manière indirecte et contrai-
gnante. C’est la forme de régulation propre à la société marchande (1904,
pp. 133–34) 9. On voit donc en quoi, selon Hilferding, le fondement de la
“valeur” dans le “travail” découle de la manière même de poser le problème
et ne nécessite aucune autre “démonstration”. La “valeur” n’est que l’aspect
“social” de la marchandise, la valeur d’usage en représentant le côté “naturel”.
C’est le premier sens de l’expression de Marx selon laquelle la valeur doit
être ramenée au “temps de travail socialement nécessaire”. “Mais ce temps de
travail n’est pas exprimé directement comme tel, comme par exemple dans la
société imaginée par Rodbertus, l’autorité centrale fixe pour chaque produit
le temps de travail socialement valable. Il n’apparaît que dans la mise à égalité
d’une chose avec une autre dans l’échange. Dans ce dernier, par conséquent, la
valeur d’une chose, son coût de production social, n’est pas exprimée en tant
que telle, comme travail de huit, dix ou douze heures, mais comme quantité
déterminée d’une autre chose” (1910, p. 66), la monnaie (ibid., p. 67).
La représentation de la valeur, ce rapport social, dans une autre chose [.. .]
découle ainsi directement de la nature de la production de marchandises
et en est inséparable. Car ce n’est que par le fait que le bien de l’un
devient marchandise et par le bien de l’autre que naît le rapport social
de ses membres propre à la production de marchandises, leur rapport
en tant qu’échangeurs de leurs biens. C’est seulement l’échange une fois
accompli que le producteur sait si sa marchandise satisfait vraiment un
9. Roubine (1928, p. 117) utilise à ce sujet une image assez juste. “Les fluctuations des
prix du marché sont bien un baromètre, un indicateur du procès de répartition du travail
social qui se déroule dans les profondeurs de l’économie. Mais c’est un baromètre d’un genre
très particulier : il ne se contente pas d’indiquer le temps qu’il fait, il intervient pour le
corriger.”
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 10
besoin social et s’il a bien employé son temps de travail. Il se voit confirmé
dans sa qualité de membre pleinement valable de la société productrice
de marchandises, non pas par une personne qui pourrait parler au nom
de cette société [. . .] mais par une chose qu’il reçoit en échange de la
sienne. (ibid., pp. 66–7)
IV
Parvenus à ce point, nous pouvons imaginer sans trop de mal comment la
problématique de Hilferding pouvait être tout à la fois la bienvenue et fort
embarrassante. Si elle parait réfuter directement un argument important de la
critique de Böhm-Bawerk, elle n’en pose pas moins d’importants problèmes à
la théorie marxiste elle-même, dans son interprétation habituelle. Le rôle du
marché et de l’échange, et non de la “production” proprement dite, comme
lieu de socialisation des individus peut surprendre, surtout si l’on songe qu’il
conteste implicitement le contenu de la théorie de la valeur-travail. “Le travail
est donc le principe de la valeur, et la loi de la valeur est une réalité : non
pas parce que le travail constitue le fait techniquement le plus important, mais
parce qu’il est le lien social qui rassemble la société décomposée en atomes”
(Hilferding, 1904, p. 134) 10. Cette simple phrase, qui résume les développe-
ments précédents, n’est certes pas anodine : elle implique une conception très
particulière de l’économie politique et de ses concepts, sociologique et his-
torique, limitée à l’étude du mode de production capitaliste et de sa réalité
réifiée. Mais Böhm-Bawerk eût pu légitimement rétorquer que cette caractéri-
sation est insuffisante et que la loi de la valeur de Marx comporte un aspect
quantitatif incontournable qui semble ici laissé de côté. L’approche de R. Hil-
ferding est elle conciliable avec la définition de la valeur comme la quantité
de travail “socialement nécessaire” incorporée dans une marchandise ? La pers-
pective globale, sociologique, n’est-elle pas ici en conflit avec celle, individuelle
et technique, liée au travail dépensé ? Tout comme Marx, Hilferding ne voit
aucune contradiction entre les différents aspects de l’analyse :
Une fois le résultat du procès social de production ainsi caractérisé au
plan qualitatif, il est quantitativement déterminé par la masse totale
du travail employé. Comme partie aliquote du produit social du travail
10. Cf. Roubine (1928, p. 95) : “toute la critique de Böhm-Bawerk résiste ou s’effondre en
même temps que les hypothèses sur lesquelles elle repose : à savoir que les premières pages
du Capital forment la seule base sur laquelle Marx a construit sa théorie de la valeur. Rien
n’est plus faux que cette conception”.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 11
[. . .] la marchandise individuelle est déterminée quantitativement par la
proportion du temps de travail total qui y est contenue. (1904, p. 132)
Pourtant, comment concilier cette affirmation avec les déclarations précé-
dentes, selon lesquelles la quantité de travail qui forme la valeur ne peut être
exprimée comme telle, avant l’échange, et que ce n’est qu’une fois celui-ci ef-
fectué que la grandeur de valeur peut être connue? La valeur ne semble plus
déterminer les rapports d’échange, mais les rapports d’échange la valeur et
appeler celle-ci “quantité de travail” validée par l’échange apparaît purement
arbitraire. Simple question taxinomique, mais qui embrouille l’analyse.
On perçoit alors l’important enjeu du déplacement de la détermination de
la grandeur de valeur au niveau global de la société et des branches. Considérer
que “le produit total du travail se représente comme valeur totale qui, dans la
marchandise isolée, apparaît quantitativement comme valeur d’échange” (1904,
p. 131), n’est-ce pas en quelque sorte neutraliser le marché? La quantité globale
de valeur, déterminée par le “travail social”, est donnée et ne fait que se ré-
partir différemment sur les diverses masses de marchandises suivant le volume
des besoins sociaux. Elle recouvre ainsi de manière adéquate, partielle ou fort
imparfaite les quantités de travail effectivement dépensées suivant les branches
ou, à l’intérieur de celles-ci, suivant les différents producteurs. L’échange ne
crée donc rien et ne fait tout au plus qu’opérer des “transferts”, si l’on veut
raisonner par analogie avec le schéma de la “transformation” (dont Hilferding
a pu s’inspirer) et bien qu’ici ce terme soit inadéquat.
Telle est donc la logique de la problématique de Hilferding, telle qu’elle
peut être extraite, selon nous, des passages assez brefs et confus consacrés
à ce dernier point. “Il s’agit de trouver la loi de cette société en tant que
communauté de production et par conséquent de travail. Le travail individuel
apparaît [. . .] sous un aspect nouveau, en tant que partie du travail collectif
dont dispose cette communauté de production” (1910, p. 64). “Mais la quantité
[de marchandises] transformée en échange ne vaut que comme partie de la
quantité de production sociale. Celle-ci à son tour est déterminée par le temps
de travail que la société a employer à la fabrication du produit global. La
société est considérée ici comme une unité qui a fabriqué son produit avec toute
sa force de travail et le travailleur isolé en tant qu’organe de la société ; celui-ci
ne participe au produit que dans la mesure sa force de travail correspond
à la moyenne de la force de travail totale, supposée donnée selon l’intensité et
la productivité” (p. 65). Si ce travailleur a produit trop lentement, ou bien des
choses inutiles, précise Hilferding, “son travail est ramené à du travail moyen
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 12
(temps de travail socialement nécessaire)”.
Tout ce raisonnement, bien entendu, indépendamment des problèmes qu’il
pose au plan de sa logique interne (l’articulation des deux niveaux de l’analyse,
individuel-privé et agrégé-social) est suspendu à la définition que l’on peut
fournir de ce “travail collectif”, ou “social”. S’agit-il d’une structure ou d’une
somme ? La première solution (un vecteur de travaux concrets) n’a guère de
sens ici. S’il s’agit d’une somme, que devons-nous additionner? Tous les travaux
effectués dans la production marchande ? Ou bien ceux qui ont été socialement
validés par l’échange ? Le deuxième cas supposant le problème résolu, seul
le premier doit être retenu : il correspond d’ailleurs à l’idée, exprimée plus
haut, de la correspondance privé/social. De toute manière se pose le problème
de l’homogénéité des grandeurs à agréger. Et sur ce point, Hilferding reste
évasif. Lorsqu’il parle du processus d’abstraction du travail, il renvoie à la
détermination sociale ; lorsqu’il aborde la question du “travail collectif”, il parle
de travail “abstraitement humain”, ou “humain général”. En bref, il ne se rend
pas compte que le problème du processus d’abstraction du travail chez Marx,
soulevé par Böhm Bawerk, et auquel il avait cru répondre (1904, pp. 131–32),
se pose toujours avec autant d’acuité et ne disparaît pas du simple fait du
changement de niveau de l’analyse.
V
Une certaine orthodoxie l’emporte donc chez R. Hilferding, lui faisant manquer
son but. Mais la problématique qu’il a dégagée va pouvoir vivre de manière
autonome, bien que discrète. A notre connaissance, de très rares auteurs la
firent leur. On la retrouve chez Nicolas Boukharine, au début de L’Écono-
mie politique du rentier (1919, pp. 58–9) elle est exposée en liaison avec
le problème du fétichisme de la marchandise et du thème connexe de la fin
simultanée du mode de production capitaliste et de l’économie politique en
tant que science. On la trouve bien entendu développée avec la plus grande
ampleur chez I. I. Roubine. Mais il convient de ne pas négliger un important
chaînon intermédiaire : Rosa Luxemburg.
Pourquoi cette raréfaction du thème? Il aura sans doute suffi à toute une
génération de savoir, souvent par ouï-dire, que l’essai de 1904 avait “définitive-
ment” réfuté Böhm-Bawerk pour qu’elle ne se préoccupe plus de ces questions :
elle pouvait s’en tenir plus sûrement à la vulgate engelso-kautskienne (et bien-
tôt léniniste) et, éventuellement, compter les points dans les autres débats
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 13
(autour de l’appréhension théorique de l’impérialisme, en particulier, puis de
la construction de la société soviétique). Disputer sur la valeur était l’affaire
des adversaires de la seconde, puis de la troisième Internationale. L’évolution
politique ultérieure de R. Hilferding contribua aussi à discréditer ses propres
principes, tout comme la position minoritaire de R. Luxemburg et son échec
final ensevelirent sa pensée sous l’opprobre et l’oubli qui sont le lot des vaincus.
Le stalinisme fit le reste.
Par comparaison avec les développements précédents, l’optique proposée
par R. Luxemburg représente tout à la fois un recul partiel et une très sérieuse
avancée stratégique : recul partiel dans la mesure où, pour conserver une co-
hérence au propos, elle reste moins fidèle que R. Hilferding à l’optique globale
adoptée et se rabat sur un mécanisme économique classique ; mais avancée im-
portante de par le développement rigoureux qu’elle imprime à tous les thèmes
socio-économiques. Ce dernier point est sensible si l’on compare les premières
pages de L’Accumulation du capital (1913), dans lesquelles le problème de la
coordination n’est que rappelé, à l’Introduction à l’économie politique (ouvrage
posthume, 1925) il est magistralement précisé et développé (chapitre 4, pp.
214–50, en particulier, pour ce qui concerne la société marchande), jusqu’à
en informer la structure même de l’essai. Mieux qu’Hilferding, et avec une
acuité théorique remarquable, R. Luxemburg fait le lien avec la théorie du
fétichisme 11 (ibid., chapitre 1) dont un aspect consiste en l’identification des
catégories de l’économie politique à des rapports sociaux réifiés (par exemple :
ibid., pp. 214–24), et avec le caractère nécessairement monétaire de l’échange
marchand (pp. 227 et suivantes).
En réalité, l’échange de marchandises sans argent est impensable et les
variations de prix qu’on voulait supprimer sont le seul moyen d’indiquer
aux producteurs de marchandises s’ils produisent trop ou trop peu d’une
marchandise, s’ils emploient à leur production plus ou moins de travail
qu’il ne faut, s’ils fabriquent les marchandises qu’il faut ou non. Si l’on
supprime cet unique moyen de s’entendre entre producteurs de marchan-
11. Roubine considère la théorie du fétichisme comme de la plus haute importance. Il lui
consacre sept chapitres (1928, pp. 19–91). Cf. ibid, p. 23 : “Marx ne montre pas seulement
que les rapports humains sont voilés par des rapports entre les choses, mais en outre que,
dans l’économie marchande, les rapports sociaux de production prennent inévitablement la
forme de rapports entre les choses et ne peuvent être exprimés autrement qu’au travers de
choses. La structure de l’économie marchande fait jouer aux choses un rôle social particulier
et extrêmement important et leur fait ainsi acquérir des propriétés sociales particulières [. . .].
La théorie du fétichisme de la marchandise se transforme en une théorie générale des rapports
de production de l’économie marchande, en une propédeutique à l’économie politique”.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 14
dises isolés dans une économie anarchique, ces derniers sont complète-
ment perdus, ils ne sont pas seulement sourds-muets, mais aveugles. La
production s’arrête et la tour de Babel capitaliste s’effondre. Les plans
socialistes qui voudraient faire de la production marchande capitaliste
une production socialiste par la seule suppression de l’argent sont donc
une pure utopie. (ibid., pp. 249–50)
Bien entendu, tous les problèmes se posent de nouveau : quel rapport éta-
blir, notamment, avec la théorie de la valeur-travail ? Comment préciser le rôle
du marché? “Un travail, aussi sérieux et solide soit-il, n’a pas dès l’abord un
but et une valeur du point de vue social, seul le produit qui peut s’échanger
a de la valeur; un produit que personne n’accepte en échange est sans valeur,
c’est du travail perdu, aussi solide et bon soit-il” (ibid., p. 219), du travail
qui reste privé et ne devient pas social. C’est sur ce point que R. Luxemburg
marque un léger retrait par rapport à la tentative de R. Hilferding. En pre-
mier lieu, sa définition du “travail social” global “comme somme des travaux
des membres de la société les uns pour les autres” (ibid., note 1) semble im-
pliquer, eu égard au contexte, le rôle effectif (et non seulement potentiel) de
l’échange; les marchandises “surproduites [. . .] ne sont pas du travail social”
(ibid., p. 220, note ; avec cette remarque : “Rapport avec le besoin. . .”). Défi-
nition ad hoc, donc, selon toute vraisemblance : qui ne fait que nous ramener
aux questions de taxinomie soulignées auparavant. Il est clair, en second lieu,
que R. Luxemburg abandonne la définition “globale” de la valeur dès qu’elle
passe à un discours proprement “économique”. Sa cohérence est donc différente
de celle d’Hilferding. Elle consiste simplement à éviter le problème soulevé et
à se rabattre sur le mécanisme classique de la gravitation des prix de marché
autour des prix naturels : c’est du moins ce que l’on peut déduire des propos
tenus dans les premières pages de L’Accumulation du capital (1913, tome 1,
pp. 24–5). Solution toute verbale, on le voit aujourd’hui, puisque le mécanisme
de la gravitation, pour dire le moins, suppose clairement défini tout ce que la
problématique retenue remet précisément en cause, et exige lui-même d’être
démontré.
VI
Tel est l’héritage théorique assumé par Roubine au beau milieu de controverses
dont les thèmes nous sont donnés par les titres des articles et ouvrages cités
dans les Essais de 1928, mais qui restent encore très mal connues (pour un
exemple, cf. 1929b). Face aux analyses partiellement convergentes, rappelées
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 15
ci-dessus, et aux multiples questions qu’elles posent, Roubine tente de clarifier
au mieux les différentes positions théoriques et, par une analyse aussi précise
et logique que possible des œuvres de Marx, de définir avec rigueur les concepts
employés et leurs rapports réciproques au sein du Capital.
Il a fallu attendre le travail de Hilferding pour que l’on commence à
comprendre correctement le caractère sociologique de la théorie de la va-
leur de Marx. Le point de départ de cette théorie est un cadre social
donné, une société possédant une structure de production déterminée.
Cette conception a souvent été défendue par les marxistes; mais, jusqu’à
Hilferding, personne n’en avait fait la pierre angulaire de tout l’édifice
de la théorie de la valeur de Marx. Hilferding mérite des louanges, mal-
heureusement il s’est conten de traiter les problèmes de la théorie de la
valeur de façon générale, sans en présenter la base de façon systématique.
(Roubine, 1928, p. 96)
Bien entendu, il n’est pas question de passer ici en revue tous les aspects
du commentaire de Roubine. Nous ne retiendrons que ce qui peut se présenter,
de manière directe, comme une tentative de solution ou un éclaircissement des
problèmes soulevés dans les pages qui précèdent. Afin de mieux cerner ceux-ci,
il convient de rappeler de nouveau le point de départ de l’analyse : l’inversion
pure et simple de la démarche traditionnelle. Le développement théorique ne
part plus de la valeur, du rapport d’échange, pour remonter à la substance
de la valeur qui forme sa grandeur, le travail, mais part du “travail” pour
caractériser le concept de “valeur”. Roubine ne se lasse pas de souligner cet
aspect, de manière fort claire.
Notre point de départ n’est pas ici la valeur mais le travail. La concep-
tion qui veut que Marx soit parti des phénomènes qui se rapportent à la
valeur dans leur expression matérielle et les ait analysés, pour en arri-
ver à la conclusion que le caractère commun des choses qui s’échangent
et se mesurent ne peut être que le travail, est une conception fausse.
Le raisonnement de Marx se déroule exactement en sens inverse. Dans
l’économie marchande, le travail des producteurs marchands individuels,
qui a directement la forme de travail privé, ne peut acquérir le caractère
de travail social, c’est-à-dire ne peut-être intégré au procès de connexion
et de coordination mutuelles que par l’intermédiaire de la “valeur” des
produits du travail. Le travail, en tant que phénomène social, ne peut
être exprimé que par la valeur. La spécificité de la théorie de la valeur-
travail de Marx tient à ce que Marx ne la fonde pas sur les propriétés
de la valeur, c’est-à-dire sur l’évaluation et la mise en équivalence des
choses, mais sur les caractéristiques qui sont celles du travail dans l’éco-
nomie marchande, c’est-à-dire sur l’analyse de la structure du travail et
des rapports de production. (1928, p. 121 ; cf. aussi ibid, pp. 96–7)
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 16
Ainsi, “ce sont les rapports mutuels entre les différentes espèces de travaux
dans le procès de leur répartition” (p. 104) qui constituent l’objet de la théo-
rie de la valeur. Dans cette perspective, c’est l’aspect qualitatif de la loi de
la valeur qui est tout d’abord souligné : c’est-à-dire son caractère sociolo-
gique, historique, comme expression de rapports sociaux réifiés. Mais cette
démarche inversée est-elle capable de récupérer également l’aspect quantitatif
de la valeur-travail, ce sur quoi la présentation traditionnelle insiste de manière
presqu’exclusive? C’est ce que prétend Roubine, qui reproche par ailleurs à F.
Petry 12 d’avoir rejeté le côté quantitatif de l’affaire après avoir insisté, avec
raison, sur le fondement sociologique de la conception de Marx. Dès lors, les
questions soulevées précédemment se posent de nouveau : qu’est-ce que la va-
leur s’il ne s’agit pas uniquement de la “forme de l’échangeabilité” des produits
du travail ? Comment définir le travail social et le travail abstrait, s’il ne s’agit
pas non plus de simples caractéristiques qualitatives, mais aussi de grandeurs
qui peuvent et doivent être déterminées ? Enfin, quel rôle l’échange et le mar-
ché jouent-ils dans cette construction? Malgré son effort d’analyse, Roubine
ne parvient pas, en définitive, à recoller les morceaux du vase qu’il a lui-même,
par sa rigueur, achevé de briser. En ce sens, après les écrits de R. Hilferding
et de Rosa Luxemburg, l’œuvre de Roubine représente sans doute, sous cet
aspect, le point ultime d’un commentaire marxiste de Marx.
Les Essais de 1928 tentent donc de mener simultanément une double ana-
lyse, quantitative et qualitative, en partant d’un concept premier, celui de “tra-
vail”. Il nous incombe ici de démêler au mieux l’enchevêtrement des thèmes,
afin d’examiner le bien fondé et la cohérence d’une telle articulation.
L’analyse qualitative nous est déjà familière. La structure d’une économie
marchande exige que le lien social se noue sur le marché, par le biais de
l’échange des produits. L’égalité des produits dans l’échange, leur permuta-
tion, induit l’égalité sociale des producteurs indépendants, et par l’égalité
de leurs travaux. Mais peut-on préciser la nature de cette “égalité” qui trans-
forme le travail privé en travail social ? Trois types de “travail égal” doivent
être distingués : le travail “physiologiquement égal”, le travail “socialement éga-
lisé” et le travail “abstrait” (1927, Il ; 1928, chapitre Il). Roubine, qui critique
par ailleurs la conception physiologique du travail abstrait (1928, chapitre 14),
écarte immédiatement la première signification. En opposition avec la concep-
tion sociologique et historique de Marx, le concept de travail physiologique ne
12. Cf. 1928, pp. 127 et 183. Sur Petry, cf. notre ouvrage, 1983, chapitre 13.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 17
peut être qu’une condition très générale de la division du travail, de la répar-
tition variable du travail au sein de la société : “ce travail physiologiquement
homogène n’est pas l’objet mais plutôt le présupposé de la recherche écono-
mique. En réalité, si le travail en tant que dépense d’énergie physiologique
est un présupposé de toute économie humaine, l’homogénéité physiologique du
travail est alors un présupposé biologique de toute division sociale du travail”
(ibid, p. 188).
Il reste le travail socialement égalisé et le travail abstrait. Dans la mesure où,
dans des économies organisées, le travail concret est d’emblée social, le concept
de travail abstrait est spécifique à l’économie marchande : il signifie que le pro-
cessus de socialisation, lié à l’échange, égalise les différentes formes de travaux
de manière indirecte, en faisant abstraction de tout caractère concret des mar-
chandises et du travail. En outre, dans une économie “planifiée”, le travail n’est
pas nécessairement “égalisé”, ou, tout au moins, ce caractère représente un as-
pect secondaire du processus de répartition du travail social (pp. 102, 137–38).
Dans une économie marchande, en revanche, le travail ne devient social que
parce qu’il est “égalisé”, et il n’est “égalisé” que parce qu’on fait “abstraction”
de toute différence sur le marché13 :
Donc, si l’on compare une économie marchande à une communauté
socialiste, il semble qu’il y ait eu une permutation de deux propriétés
du travail, la propriété d’être social et la propriété d’être socialement
égalisé. Dans la communauté socialiste, la propriété qu’a le travail d’être
égal ou égalisé était le résultat du procès de production, des décisions de
production que prenait un organisme social qui socialisait et répartissait
le travail. Dans l’économie marchande, le travail ne devient social que
dans la mesure il est égalisé à toutes les autres formes de travail, dans
la mesure il se trouve socialement égalisé. Le travail social ou socia-
lement égalisé, sous la forme spécifique qu’il revêt dans une économie
marchande, peut être appelé travail abstrait. (p. 139)
A l’évidence, cependant, le terme “égal” ne comporte pas ici de connotation
quantitative ou “substantielle”. Il ne désigne que la mise en correspondance
d’un type donné de travail avec tous les autres par le biais de l’échange. Il
confirme l’égalité sociale des producteurs indépendants.
Dans cette problématique sociologique, et muni de cette première définition,
Roubine opère ensuite un rapprochement entre le travail abstrait, la valeur et
le travail. Puisqu’on sait que les prix de marché font office de baromètres
13. Sur ce point, Roubine ne fait que reprendre Hilferding.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 18
correcteurs (ci-dessus, note 9), la répartition du travail social varie sous l’effet
des modifications des rapports d’échange.
Un climat donné peut en remplacer un autre même sans l’indication d’un
baromètre. Mais une structure donnée de la répartition du travail social
ne succède à une autre que par l’intermédiaire des fluctuations des prix
du marché, et sous la pression de ceux-ci. Si le mouvement des prix du
marché est le lien qui relie deux structures successives de la répartition
du travail dans l’économie sociale, nous sommes fondés à supposer une
étroite relation interne entre l’activité de travail des agents économiques
et la valeur. Nous chercherons alors l’explication de cette relation dans
le procès de la production sociale, c’est-à-dire dans l’activité de travail
des hommes, et dans les phénomènes qui sont extérieurs à la sphère de
la production ou qui ne sont pas reliés à celle-ci par un lien fonctionnel
permanent. (pp. 117–18)
Est ainsi renoué un lien entre la valeur, le travail abstrait et le procès de
travail. Ce lien n’est évidemment pas celui qui, habituellement, est souligné.
Il ne dit apparemment rien, en particulier, sur la détermination quantitative
des rapports d’échange (cf. ci-dessous, § VIII). Mais le vocabulaire traditionnel
est conservé, et cela permet à Roubine d’opérer une connexion avec l’analyse
quantitative.
Par l’intermédiaire du travail abstrait, la valeur se rapporte à la fois à la
forme sociale du procès social de production et à son contenu matériel-
technique. (ibid., p. 112)
Le passage à ce second type d’analyse s’opère insensiblement, bien qu’il
comporte, si l’on y prend garde, de substantielles modifications. La définition
du processus d’abstraction est apparemment conservée (p. 112), mais le travail
abstrait est cette fois ramené au concept de “travail socialement nécessaire”,
ce dernier étant défini par Roubine comme le travail techniquement nécessaire
en moyenne (quelle que soit la définition de cette moyenne : cf. chapitre 16,
1928), à la production d’une marchandise donnée. L’auteur renoue ici avec
l’analyse traditionnelle, technique, du “travail incorporé”. Le rôle du marché, de
l’échange, s’estompe, et seule les conditions de production importent. L’analyse
quitte le niveau global et social pour revenir à un aspect individuel et privé qui
informe de nouveau toute la fin des Essais : chapitres 16 à 18, et une bonne
partie des chapitres antérieurs. Unique écho des considérations précédentes :
la fréquente apparition du mécanisme de gravitation qui est censé annuler,
comme chez Rosa Luxemburg, les perturbations dues à l’intrusion du marc :
Le mécanisme qui supprime surproduction et sous-production et pro-
voque la tendance au rétablissement de l’équilibre entre les différentes
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 19
branches de production de l’économie, c’est l’écart des prix de marché
par rapport aux valeurs. L’échange de deux marchandises différentes à
leur valeur correspond à l’état d’équilibre entre deux branches de la pro-
duction. (ibid., p. 101)
VII
Manifestement, I. I. Roubine est convaincu d’être parvenu à réunir les deux
aspects de l’analyse de Marx. “La définition de la valeur comme expression
de rapports de production entre les hommes ne contredit pas sa définition
comme expression du travail abstrait, telle que nous l’avons donnée ci-dessus.
La différence tient seulement à ceci : auparavant, nous avons analysé la valeur
sous son aspect quantitatif (comme grandeur), alors qu’il s’agit maintenant
de son aspect qualitatif (comme forme sociale). De la même façon, le travail
abstrait a d’abord été présenté sous son aspect quantitatif, alors qu’on l’étu-
die maintenant sous son aspect qualitatif, c’est-à-dire comme travail sous une
forme spécifique qui présuppose que les hommes entrent dans des rapports de
production en tant que producteurs de marchandises” (ibid., p. 107).
La reconstruction du discours nous mène cependant à une conclusion toute
différente : l’unité théorique n’est qu’illusoire, et ne repose que sur un vocabu-
laire commun qui revêt, dans chaque type d’analyse, une acception différente.
Quoi qu’en dise l’auteur, le fait d’avoir renversé l’analyse traditionnelle pour
établir la conception sociologique de la loi de la valeur ne l’autorise pas à
reprendre en sous-main l’optique habituelle afin de déterminer les rapports
d’échange normaux. Les deux logiques s’opposent radicalement14. L’assimi-
lation n’est possible que par abus de langage : parce que l’on nomme travail
“abstrait”, ou travail “égal”, deux réalités différentes, parce que l’on assimile les
mouvements de prix et le rôle du marché, propres à l’optique historique, avec
le mécanisme classique de la gravitation, et parce que l’on dégage pour cette
conception historique un lien valeur/travail abstrait/procès de production qui
ne possède qu’un vague rapport d’homonymie avec l’analyse du “travail incor-
poré”. Malgré toutes ses qualités, le raisonnement de Roubine se trouve, sur
ce plan, sans cesse engagé dans une rhétorique reposant sur de pures analogies
verbales 15. L’orthodoxie finit aussi par triompher. Le passage suivant, mêlant
14. Cf. Faccarello 1983, chapitres 5 et 14.
15. Le caractère ambigu des propositions de Roubine n’a évidemment pas échappé à ses
contradicteurs. Cf. 1929b.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 20
les différents niveaux d’analyse, en est un exemple.
La grandeur de la valeur d’échange change en fonction de la quantité de
travail abstrait socialement nécessaire, mais, du fait du double caractère
du travail, les modifications dans la quantité de travail abstrait socia-
lement nécessaire résultant de modifications dans la quantité de travail
concret, donc du développement du procès matériel-technique de produc-
tion, en particulier de la productivité du travail. Ainsi le système de la
valeur tout entier est-il fondé sur un grandiose système de comptabilité et
de comparaison sociales spontanées des produits des travaux de diverses
espèces, exécutés par des individus différents et figurant comme des frac-
tions du travail social abstrait total. Ce système est caché et n’apparaît
pas à la surface des événements. A son tour, ce système de travail social
abstrait total est mis en mouvement par le développement des forces pro-
ductives matérielles, facteur ultime de développement de toute société.
La théorie de la valeur de Marx se trouve ainsi reliée à sa théorie du
matérialisme historique. (pp. 167–68)
VIII
Une bonne illustration des conclusions précédentes consiste à examiner ce que
Roubine dit du “travail social” et du rôle du marché. Ses hésitations à ce sujet
sont perceptibles et traduisent bien le heurt de deux problématiques opposées
et inconciliables.
Le travail social global, tout d’abord, est conçu comme la somme des quan-
tités de travail dépensées dans les différentes branches de production. Cette
définition est implicite et forme la toile de fond de nombreux passages. “La
production de tissu peut [. . .] ou bien dépasser la demande [. . .], ou bien rester
en deçà de celle-ci [. . .]. En d’autres termes, la quantité de travail social qui est
dépensée dans la production de tissu est ou bien trop grande, ou bien pas assez
grande” (ibid., p. 100). “Le travail est social lorsqu’on le considère en tant que
fraction de la masse totale de travail social [sic] homogène ou, comme Marx le
dit fréquemment, si on le considère du point de vue de son ‘rapport au travail
total de la société’ (p. 193). Ou encore (pp. 101–2) :
Une heure de travail du bottier et une heure de travail du tisserand sont
égales l’une à l’autre, chacune représentant une portion égale du travail
total de la société, réparti entre toutes les branches de la production. Le
travail créateur de valeur apparaît ainsi non seulement comme du travail
quantitativement réparti, mais aussi comme socialement égalisé (ou égal)
ou, plus brièvement, comme du travail “social”, au sens de masse totale
de travail égal et homogène dont dispose la société dans son ensemble.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 21
Cette optique présuppose à l’évidence la problématique traditionnelle dans
laquelle le travail est considéré comme “abstrait” dès le procès de production,
et donc agrégeable puisque homogène. Le processus d’abstraction pose évidem-
ment problème.
D’autres passages, en revanche, définissent le travail social comme celui qui
est validé par l’échange, qui a produit une marchandise trouvant acquéreur.
L’accent est mis ici sur l’échange réel, et non sur la simple production en vue
de l’échange.
Les travaux privés des producteurs marchands isolés sont liés aux tra-
vaux de tous les autres producteurs de marchandises et ils ne deviennent
du travail social que si le produit d’un producteur particulier est mis en
équivalence, en tant que valeur, avec toutes les autres marchandises [. . .].
Cela signifie que les travaux privés des individus isolés n’acquièrent pas le
caractère de travail social sous la forme concrète sous laquelle ils ont été
dépensés dans le procès de production, mais qu’ils l’acquièrent seulement
dans l’échange, qui représente une abstraction des propriétés concrètes
des objets particuliers et des formes spécifiques des travaux [. . .]. Cette
mise en équivalence des travaux comporte tout d’abord un aspect pré-
liminaire de “représentation dans la conscience”. Mais elle doit toutefois
s’accomplir dans l’acte d’échange réel. (p. 108)
L’analyse est reprise au chapitre 14 (ibid., pp. 194–95), après que Roubine
ait précisé le rôle essentiel joué par l’équivalent général (chapitre 13). L’échange
de l’habit contre de l’or “égalise” le travail du tailleur avec celui du produc-
teur d’or et “se trouve ainsi égalisé et mis en relation avec toutes les formes
concrètes de travail. Egalisé avec ces formes, comme forme de travail égale à
elles, le travail du tailleur se transforme de travail concret en travail général ou
abstrait. Étant mis en relation avec les autres travaux dans le système unifié du
travail social total, le travail du tailleur se transforme de travail privé en tra-
vail social. L’égalisation globale (par l’intermédiaire de la monnaie) de toutes
les formes concrètes de travail et leur transformation en travail abstrait créent
simultanément entre elles une connexion sociale qui transforme le travail privé
en travail social” (pp. 178–79) 16 . C’est ici l’optique sociologique qui prévaut,
la détermination quantitative posant, à son tour, problème.
16. On trouve même, enfin, des formulations intermédiaires dans lesquelles le travail social
semble désigner la totalité des travaux effectués et le travail abstrait la fraction qui en est
validée par l’échange. Cf. 1927, p. 21 : “on désigne par travail abstrait toute partie du travail
social total, qui, dans le procès de division sociale du travail, est égalisée par la comparaison
des produits du travail sur le marché”.
La loi de la valeur-travail. Sur Isaak Illich Roubine 22
Confronté à ces difficultés, l’embarras de Roubine devient visible lorsqu’il
tente de répondre à ses critiques (pp. 200 et suivantes). A la question de savoir,
par exemple, si le travail abstrait tel qu’il le définit (une “substance sociale”) est
susceptible de recevoir une détermination quantitative, il ne fait que réaffirmer,
somme toute, sa position 17 , et le parallèle qu’il trace avec la mesure du travail
notre avis tout aussi problématique) dans une société socialiste n’est guère
convaincant. Quant à la question du rôle de l’échange, il tente de la contourner
en distinguant l’échange proprement dit, phase succédant à la production, de
l’échange en général, structure de la société marchande18 . Le travail abstrait
résulterait de l’échange au second sens, et préexisterait au premier. Roubine ne
peut cependant s’empêcher d’ajouter que cette préexistence n’est finalement
que virtuelle et “reste soumise à une vérification très brutale dans le procès
d’échange” (p. 205) au premier sens du terme. Pour ajouter : “Tout cela montre
qu’il ne faut pas envisager le problème de façon trop littérale” (p. 206).
On nous permettra d’être d’un avis tout opposé. Si le problème doit être
résolu, c’est précisément en prenant au pied de la lettre toutes les affirmations
de Marx et en n’en négligeant aucune. C’est le prix à payer pour l’intelligi-
bilité de son discours et la reconstruction d’une possible cohérence, dépassant
du même coup tout discours réducteur qui ne ferait que choisir les passages qui
lui conviennent. Mais il est vrai que l’ordre de cette cohérence n’implique pas
nécessairement la cohésion des propositions qui la composent. Il nous semble
cependant que c’est à ce réexamen que nous invite la logique inaugurée par
Hilferding et interrompue avec Roubine. Peut-être affirmera-ton que celui que
nous proposons par ailleurs, et dont cette note historique forme le complément,
n’est pas la seule voie praticable. C’est possible, et même probable : mais au
moins convient-il de prendre enfin au sérieux les nombreuses interrogations
formulées au cours des années 1883–1933. Elles recouvrent, même de manière
confuse, de réelles difficultés que seul le dogmatisme a pu occulter 19 .
17. Cf. 1928, p. 208 : “Travail abstrait signifie ‘détermination sociale du travail’, valeur
signifie ‘propriété sociale du produit du travail’”.
18. Cf. 1928, pp. 203–5.
19. Nous n’avons abordé ici qu’un aspect, essentiel il est vrai, de la pensée de I. I. Roubine.
D’autres problèmes, telle la déduction dialectique des concepts dans Le Capital, sont laissés
de côté : nous avons par ailleurs ten d’en rendre compte (1983, chapitres 15 et 16). Notons
enfin que si Roubine raisonne sur la “valeur” et l’“économie marchande simple”, alors qu’il
refuse l’interprétation historique d’Engels, c’est que cet aspect des choses possède à ses yeux
un statut logique. Pour d’autres considérations sur les Essais, on pourra se reporter à C.
Colliot-Thélène (1979), A. Neusüss-Fögen (1973), F. Perlman (1972), Projekt Klassenanalyse
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bewegung (VSA), 1975, pp. 55–68 et débat pp. 68–135.
... The translations from Russian and French are made by Masha Benatova and NikolayNenovsky.27. An analysis of the theory of fetishism and the commoditization in Rubin's interpretation of Marx has been made by Voeyikov(2017)andFaccarello (1983, Russian translation in 2017. There are several studies dedicated to fetishism in the French literature including Rubin's theory, i. e.Artous (2006). ...
Article
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We focus on some original approaches so as to find a solution to the “coordination problem” of the decentralised commodity economy in the different interpretations (and refutations) of Marx, stressing the central role of money. We reconstruct in a comparative perspective the approaches of two contemporary French scholars, Jean Cartelier and André Orléan and of two Russian economists, Isaak Rubin and Peter Struve who worked in the beginning of the last century. Our reconstruction starts with Marx although other approaches are also possible. Each of the four scholars under review offered his own methods of solving the issue of coordination. Although the ideas of the four authors intertwined, we can differentiate between two pairs namely Rubin/Orléan (part 1) and Struve/Cartelier (part 2). This corresponds to the radicality of their analytical solutions. While the former pair upheld the theory of value (each one in his own way), the latter actually eliminated it (again each one in his own way). https://journals.openedition.org/regulation/15916
... In England, where Marx was living since 1849, he remained largely unknown during his lifetime. (For more detailed assessments of the reception of Marx's economics, see Howard and King 1989, 1992and Steedman 1995 The theory of value and prices (Rubin 1927(Rubin [1978(Rubin ], 1928(Rubin [1972), especially his 1928 Essays on Marx's Theory of Value (Faccarello 1983b(Faccarello , 2000b for a historical setting of Rubin, see Boldyrev and Kragh 2015). ...
Article
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We focus on some original approaches so as to find a solution to the “coordination problem” of the decentralised commodity economy in the different interpretations (and refutations) of Marx, stressing the central role of money. We reconstruct in a comparative perspective the approaches of two contemporary French scholars, Jean Cartelier and André Orléan and of two Russian economists, Isaak Rubin and Peter Struve who worked in the beginning of the last century. Our reconstruction starts with Marx although other approaches are also possible. Each of the four scholars under review offered his own methods of solving the issue of coordination. Although the ideas of the four authors intertwined, we can differentiate between two pairs namely Rubin/Orléan (part 1) and Struve/Cartelier (part 2). This corresponds to the radicality of their analytical solutions. While the former pair upheld the theory of value (each one in his own way), the latter actually eliminated it (again each one in his own way). https://journals.openedition.org/regulation/15991
Thesis
Ce travail propose une interprétation de la catégorie de la valeur économique qui prend pour fil conducteur une alternative aux lectures « économicistes » de Marx. Au lieu de parler de la « théorie de la valeur travail de Marx » et au lieu de nous interroger sur la véracité de cette théorie en termes de capacité de prédiction des prix des marchandises à partir de ce qui est exposé dans Le Capital, nous proposons de nous concentrer sur la forme de la valeur économique. D’après nous, il est possible de considérer la forme de la valeur économique du point de vue de l’action humaine. Ainsi, la valeur économique constituerait le reflet catégoriel d’une modalité d’action caractérisée par le fait que les hommes ne peuvent se comporter les uns vis-à-vis des autres, vis-à-vis du monde naturel et vis-à-vis du monde social, sans faire fonctionner une certaine catégorie de substance comme condition de possibilité, comme médiatrice et comme principe de rationalisation de leurs conduites. Cette compréhension de la valeur économique implique la prise en compte de la quantification de cette substance, afin de rendre opératoires la plupart des interactions. Cette quantification peut être vue comme une norme sociale qui s’inscrit dans les actions des hommes sans qu’il s’agisse, pour autant, d’un acte intellectuel ayant lieu « dans leur tête ».
Book
This book explores Russian synthesis that occurred in Russian economic thought between 1890 and 1920. This includes all the attempts at synthesis between classical political economy and marginalism; the labour theory of value and marginal utility; and value and prices. The various ways in which Russian economists have approached these issues have generally been addressed in a piecemeal fashion in history of economic thought literature. This book returns to the primary sources in the Russian language, translating many into English for the first time, and offers the first comprehensive history of the Russian synthesis. The book first examines the origins of the Russian synthesis by determining the condition of reception in Russia of the various theories of value involved: the classical theories of value of Ricardo and Marx on one side; the marginalist theories of prices of Menger, Walras and Jevons on the other. It then reconstructs the three generations of the Russian synthesis: the first (Tugan-Baranovsky), the second, the mathematicians (Dmitriev, Bortkiewicz, Shaposhnikov, Slutsky, etc.) and the last (Yurovsky), with an emphasis on Tugan-Baranovsky's initial impetus. This volume is suitable for those studying economic theory and philosophy as well as those interested in the history of economic thought.
Chapter
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Two controversies concerning Marx’s theory of value were of particular importance during the 1960s and 1970s. The first is well known and has attracted most of the attention of Marxian scholars during these decades: I allude to the celebrated ‘transformation problem’2 and to the spirited debates that followed the publication of Sraffa’s Production of Commodities by Means of Commodities. The second one, however, is much less well known among economists but is also of fundamental importance: it was more methodological in character and centred mainly on Marx’s ‘logic’ and the relationship between Marx and Hegel.
Article
Research within the history of economic thought has focused only little on the development of economics under dictatorship. This paper attempts to show how a country with a relatively large and internationally established community of social scientists in the 1920s, the Soviet Union, was subjected to repression. We tell this story through the case of Isaak Il’ich Rubin, a prominent Russian economist and historian of economic thought, who in the late 1920s was denounced by rival scholars and repressed by the political system. By focusing not only on his life and work, but also on that of his opponents and institutional clashes, we show how the decline of a social science tradition in Russia and the USSR as well as the Stalinization of Soviet social sciences emerged as a process over time. We analyze the complex interplay of ideas, scholars, and their institutional context, and conclude that subsequent repression was arbitrary, suggesting that no clear survival or career strategy existed in the Stalinist system, due to a situation of fundamental uncertainty.
Article
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http://ejpe.org/pdf/7-1-int.pdf
Article
Research within the history of economic thought has focused only little on the development of economics under dictatorship. This paper attempts to show how a country with a relatively large and internationally established community of social scientists in the 1920s, the Soviet Union, was subjected to repression. We tell this story through the case of Isaak Il’ich Rubin, a prominent Russian economist and historian of economic thought, who in the late 1920s was denounced by rival scholars and repressed by the political system. By focusing not only on his life and work, but also that of his opponents and institutional clashes, we show how the decline of a social science tradition in Russia and the USSR emerged as a process over time. We analyze the complex interplay of ideas, scholars and their institutional context, and conclude that subsequent repression was arbitrary, suggesting that no clear survival or career strategy existed in the Stalinist system due to a situation of fundamental uncertainty. The purpose of this paper is to illustrate how the Stalinization of Soviet social sciences occurred as a process over time.
Article
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La présente contribution souligne tout d’abord l’adoption par Marx de la démarche classique en termes de prix naturels et désigne en celle-ci l’origine des principales difficultés rencontrées dans Le Capital. Il est ensuite montré qu’il existe, chez Marx, une autre cohérence fondée sur l’absence de régulation a priori de la production dans une société de marché généralisé, et sur la nature et le rôle de la monnaie dans un tel contexte. Cette cohérence, qui rejoint bien des interrogations théoriques actuelles, induit une nouvelle définition, rigoureuse, des concepts premiers de l’analyse (dont le « travail abstrait »), et se révèle incompatible avec la compréhension traditionnelle de la théorie marxiste et avec la problématique classique dans laquelle celle-ci s’insère.
Article
This volume is concerned with the re-evaluation and criticism of Capital itself. it is in three parts, each covering a specific area of Marxist theory. The first part contains an investigation into Marx’s theory of value and considers the types of questions and modes of analysis to which this theory leads. in the second part the nature and implications of necessary economic ‘laws of tendency’ in the capitalist mode of production are covered. Finally there is an analysis of the role of class structure and economic agents in Marxist theory. © A. J. Cutler, Barry Hindess, Paul Q. Hirst and A. Hussain. All rights reserved.
Conrad Schmidt et les débuts de la littérature économique 'marxiste' ", dans
  • Bernard Besnier
Besnier, Bernard (1976), "Conrad Schmidt et les débuts de la littérature économique 'marxiste' ", dans [ouvrage collectif], Histoire du Marxisme Contemporain, Paris : U.G.E. 10/18, tome 1, pp. 383-445.
Bernstein e il marxismo della seconda Internazionale , introduction à Bernstein
  • L Coletti
L. Coletti, 1968, Bernstein e il marxismo della seconda Internazionale, introduction à Bernstein, Socialismo e Socialdemocrazia, Laterza, Bari ; repris dans Colletti, îdeologia a Società, Laterza, Bari ; 1969, pp. 61-145.
Contribution à une analyse des classes sociales
  • Colliot-Thélène
Colliot-Thélène, Catherine (1975), "Contribution à une analyse des classes sociales", Critique de l'Économie Politique, n°19, 27-47, et n°21, 93-126.