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RÉSUMÉ
Le tourisme durable est un phénomène en pleine croissance qui ne touche plus seule-
ment des destinations lointaines, mais également les pays industrialisés qui offrent de
plus en plus d’activités touristiques dites durables. Si le développement durable fait
partie depuis 2005 de la politique générale de Tourisme Québec, l’offre des acteurs tou-
ristiques est isolée, insuffisamment répertoriée et positionnée avec imprécision sur le
plan du marketing. Quelle expérience touristique durable souhaite vivre le consomma-
teur ? Quels sont les leviers d’adoption de ces nouvelles pratiques ? Comment mettre
au point une offre répondant aux besoins des consommateurs ? Comment réussir dans
ce secteur ? À partir d’analyses de la situation en France et au Québec, les auteurs
proposent sept clés de succès pour élaborer une offre efficace d’activités touristiques
durables.
Agnès François-Lecompte est maître de conférences en sciences
de gestion à l’Université Bretagne Sud, membre de l’Institut de
Recherche sur les Entreprises et les Administrations, et chercheure
associée à l’Observatoire de la consommation responsable,
agnes.lecompte@univ-ubs.fr.
Isabelle Prim-Allaz est maître de conférences en Sciences Gestion
à l’Université de Lyon, membre de CoActiS (Conception de
l’Action en Situation), et chercheure associée à l’Observatoire de la
consommation responsable, isabelle.prim-allaz@univ-lyon2.fr.
Fabien Durif est professeur à l’École des sciences de la gestion de
l’Université du Québec à Montréal et directeur de l’Observatoire de
la consommation responsable, durif.fabien@uqam.ca.
Le tourisme durabLe :
les sept clés du succès1
Par Agnès François-Lecompte, Isabelle Prim-Allaz et Fabien Durif
Article général
Le tourisme durable : les sept clés du succès
Gestion vol. 38 no 3
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Le tourisme durabLe :
les sept clés du succès1
Par Agnès François-Lecompte, Isabelle Prim-Allaz et Fabien Durif
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Aujourd’hui, le tourisme constitue la première activité de
service avec près de 12 % de l’activité économique mondiale
2
.
Activité multisectorielle, il contribue au développement éco-
nomique et à l’emploi dans de nombreux domaines, comme
le transport, l’hébergement, les loisirs, la restauration, la
culture et la communication, et constitue la principale source
de devises étrangères pour de nombreux pays en voie de
développement.
Même si le tourisme est un levier économique internatio-
nal, ces perspectives de croissance économique ne doivent
pas masquer les problèmes d’un essor touristique de masse,
entrant souvent en contradiction avec la préservation de l’envi-
ronnement et des cultures. Les impacts sur le plan environ-
nemental sont bien connus et s’avèrent souvent irréversibles:
la pollution, l’érosion et la dégradation des sites naturels,
l’extinction d’espèces naturelles, l’altération et la destruction
de ressources naturelles, la déforestation, le bouleversement
de la biodiversité et l’épuisement de l’eau3.
En fait, le secteur touristique, à lui seul, représente plus
de 5,3 % des émissions de gaz à eet de serre dans le monde,
soit 1,3 milliard de tonnes par an
4
. D’ailleurs, l’Organisation
mondiale du tourisme (OMT) prévoit dans les 30 prochaines
années une hausse de 150 % de ces émissions. Les menaces sont
aussi d’ordre économique, avec des revenus souvent captés par
des intermédiaires et protant peu aux populations locales des
pays les plus défavorisés. Enn, elles sont également d’ordre
culturel avec la perte d’éléments du patrimoine culturel au
prot d’une folklorisation des rites et des cultures ou d’une
mondialisation des modes de vie5.
En réponse à ces constats problématiques est née l’idée d’un
autre tourisme, davantage respectueux de l’environnement,
plus juste, plus équitable et culturellement moins invasif.
Consacré lors de la Conférence mondiale du tourisme durable
de Lanzarote, en Espagne, en 1995, le tourisme durable sup
-
pose l’utilisation optimale des ressources environnementales,
le respect de l’authenticité socioculturelle des communautés
d’accueil, la nécessité d’assurer à toutes les parties prenantes
des bénéces socioéconomiques équitablement répartis et
la capacité de maintenir un niveau élevé de satisfaction des
touristes6.
Les institutions mondiales (comme l’OMT, le Global
Partnership for Sustainable Tourism ou l’Union européenne)
œuvrent à la diusion la plus large possible des principes
du tourisme durable. Au niveau national, par exemple, le
développement durable fait partie depuis 2005 de la politique
générale de Tourisme Québec. En France, le tourisme est
une des composantes du Grenelle de l’environnement – un
ensemble de rencontres politiques organisées en septembre
et octobre 2007 visant à prendre des décisions à long terme
en matière d’environnement et de développement durable –
ratiée par deux lois: la loi dite Grenelle I (loi n° 2009-967
du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre
du Grenelle de l’environnement formalisant les 268 engage-
ments) et la loi dite Grenelle II (loi n° 2010-788 du 12 juillet
2010 portant engagement national pour l’environnement qui
complète, applique et territorialise la loi Grenelle I).
Toutefois, l’objectif annoncé par l’OMT de « promouvoir
un tourisme responsable ou durable accessible à tous
7
» est
encore loin d’être atteint. En outre, l’ore des acteurs tou-
ristiques en matière de tourisme durable est émergente et
souvent isolée, insusamment répertoriée et positionnée
avec imprécision sur le plan du marketing. Ainsi, le succès
n’est pas forcément au rendez-vous alors que les préoccupa-
tions environnementales et sociales des consommateurs ont
progressé constamment ces dernières années.
Partant de ce constat et de la politique volontariste annon-
cée par les pouvoirs publics de nombreux pays, cet article
apporte des éléments pour aider les professionnels du secteur
touristique à s’engager avec succès dans la voie du dévelop-
pement durable. Pour cela, il paraît nécessaire d’analyser la
compréhension et les attentes des consommateurs en termes
d’expérience touristique durable et de déterminer par là
même les leviers d’adoption de ces nouvelles pratiques (voir
l’encadré 1).
À propos de l’étude
Cet article est issu d’un ensemble de recherches conduites par les auteurs. En plus d’une revue de la littérature,
les auteurs ont récolté et analysé de nombreuses données dans le cadre de plusieurs projets de recherche.
Des données sur la demande : les touristes
Les auteurs ont mené une enquête auprès de 1 039 consommateurs québécois sur leurs comportements
responsables8 et auprès de 1 050 consommateurs ontariens9. Ils ont fait une expérimentation au moyen d’un
questionnaire en ligne sur les leviers d’adoption et les freins à l’achat d’un forfait touristique durable auprès
de 750 consommateurs. Ils ont réalisé une enquête (questionnaire et questions ouvertes) sur les pratiques de
tourisme durable auprès de 568 consommateurs français. Enfin, il y a eu trois groupes de discussion sur les
valeurs et les risques perçus face au tourisme durable auprès de 30 consommateurs québécois.
Des données sur l’offre : les acteurs touristiques
Les auteurs ont mené des entretiens avec quatre experts français dans le domaine, une étude de cas du Spa
Eastman, une analyse de l’offre écotouristique au Québec10 ainsi que des entretiens en profondeur auprès de 18
hôteliers français engagés dans une démarche de certification environnementale.
Encadré 1
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Sur la base de diérentes études de terrain eectuées
à la fois en France et au Québec, du côté de l’ore et de la
demande, nous proposons dans cet article les conclusions
de nos travaux sur le tourisme durable. L’article comporte
trois parties. Dans la première partie, nous expliquons ce
que doit être le tourisme durable. Dans la deuxième partie,
nous démontrons pourquoi l’engagement dans le tourisme
durable peut être un choix approprié pour un voyagiste.
Dans la troisième partie, nous listons les sept facteurs clés
de succès pour les professionnels s’intéressant à ce secteur
d’activité. Ces facteurs de succès s’adressent à tous les profes-
sionnels du tourisme, qu’il s’agisse des voyagistes, des agences
de voyages, des centres de vacances et d’hébergement, des
agences de communication, des acteurs territoriaux ou des
restaurateurs. Ils démontrent qu’il est possible de concilier
performance commerciale et tourisme durable.
CE QUE DOIT ÊTRE
le tourisme durable aujourd’hui
Le tourisme durable est un concept large (voir le tableau 1)
reposant sur les trois piliers du développement durable, soit les
piliers économique, social et environnemental. L’écotourisme,
le tourisme d’engagement, le tourisme équitable, le tourisme
communautaire et le tourisme solidaire sont considérés
comme des formes particulières du tourisme durable11.
S’engager dans le tourisme durable pour un voyagiste
ne suppose pas forcément de révolutionner son ore ou de
changer sa cible de consommateurs habituels. Diérents
degrés d’engagement sont possibles et nous allons montrer
dans cet article que le tourisme durable est à la portée de tous.
LE TOURISME DURABLE,
un créneau porteur
Qu’il s’agisse des voyagistes, des hôteliers, des profes-
sionnels du transport ou encore des pouvoirs publics char-
gés de l’aménagement du territoire, de multiples initiatives
témoignent du fait que, plus qu’une mode, le tourisme durable
représente une tendance profonde du secteur. En outre, il
comporte de multiples avantages pour les acteurs du secteur
touristique.
Le tourisme durable permet de séduire
de nouveaux segments de clientèle
Il est dicile de quantier le poids que représente le tou-
risme durable du fait de ses formes multiples et de la diver-
sité des secteurs concernés. Cependant, tous les indicateurs
révèlent l’attrait que suscite cette nouvelle façon de voyager
auprès des consommateurs. Selon les dernières données de
l’OMT et de l’International Ecotourism Society, l’écotourisme
Synthèse des recommandations sur ce que doit être
un tourisme durable ou responsable
Environnement • Économiser les ressources rares et précieuses (par exemple, l’eau et l’énergie)
• Minimiser la production de déchets
• Étaler dans le temps et dans l’espace les flux de visiteurs
• Protéger le patrimoine naturel
• Imposer des contraintes au tourisme dans les espaces sensibles
• Valoriser le tourisme de nature lorsqu’il répond à la capacité d’accueil du lieu
Culture • Respecter le patrimoine artistique, archéologique et culturel
• Permettre la survie et l’épanouissement des productions culturelles et artisanales traditionnelles et non pas
provoquer leur standardisation et leur appauvrissement
• Pour les entreprises multinationales de l’industrie touristique, éviter de devenir le vecteur de modèles
culturels et sociaux artificiellement imposés aux communautés d’accueil; s’engager dans le développement
local en évitant le rapatriement excessif des bénéfices; ne pas réduire la contribution qu’elles apportent aux
économies où elles sont implantées par des importations excessives
Économie • Permettre aux populations locales de participer équitablement aux bénéfices économiques, sociaux et
culturels qu’elles génèrent
• Contribuer à l’amélioration des niveaux de vie des populations
• Favoriser, à compétence égale, l’emploi local et la main-d’œuvre locale
Tableau 1
Source : D’après le Code mondial d’éthique du tourisme (1999), http://agora.qc.ca/documents/tourisme--code_mondial_dethique_du_tourisme_par_organisation_
mondiale_du_tourisme, consulté le 13 août 2013.
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constituait à lui seul 6 % du tourisme mondial en 2012, et sa
croissance devrait se situer entre 12 et 25 % par an dans les
années à venir. En France, l’Agence pour le développement
du tourisme français révèle que 85 % des Français trouvent
intéressante la démarche de tourisme durable et que 86 % se
disent prêts à adopter un comportement d’écoconsommateur
sur le lieu de séjour12. Si ces chires ne représentent que des
déclarations d’intention, ils témoignent de l’intérêt réel porté
à cette nouvelle façon de voyager. Les Québécois sont éga-
lement des consommateurs ayant des pratiques de tourisme
durable. En eet, les résultats de 2012 du Baromètre de la
consommation responsable (BCR) au Québec démontrent que
plusieurs principes du tourisme durable semblent désormais
faire partie des mœurs, par exemple le respect des lieux et
des populations (voir le tableau 2).
En complément de la clientèle particulière, la clientèle
d’aaires constitue une cible privilégiée sur le créneau du
tourisme durable. Les services des achats des entreprises
intègrent souvent, dans le cadre de leur propre certication
ou de leur démarche d’approvisionnement responsable
13
, des
critères liés au développement durable, ce qui conduit à des
choix d’établissements d’hébergement ou de loisirs certiés.
Le tourisme durable permet de bénéficier
d’une meilleure image auprès du grand public
En plus de capter le segment des consommateurs respon-
sables, les voyagistes responsables bénécient d’une meilleure
image auprès du grand public. Les résultats d’une de nos
études qualitatives démontrent que les consommateurs québé-
cois ont une image positive des organisations engagées dans le
tourisme durable
14
. Cela permet, par exemple, de déliser une
clientèle attentiste sur le sujet mais séduite par l’engagement
du voyagiste. L’engagement envers le tourisme durable a aussi
permis à de nombreuses entreprises de se démarquer de la
concurrence à travers des choix innovants dans la prestation
de service. C’est le cas, par exemple, de l’Hôtel Intercontinental
de Montréal. Achat de produits locaux, stratégie sensorielle
avec des produits de bain naturels et 100 % biodégradables,
recyclage, économiseurs d’eau, système de détecteurs de
mouvements pour l’éclairage et la température, réutilisation
des cartes magnétiques (don de 1 $ remis à un organisme de
charité pour chaque carte usagée que les clients rendent à la
réception), don de nourriture et de savons, les actions sont
nombreuses. En 2010, l’Hôtel Intercontinental a d’ailleurs été
consacré comme le meilleur hôtel à Montréal.
Pratiques auto-déclarées des Québécois
en matière de tourisme durable, sur une échelle de 1 à 10
Comportement pratiqué lors d’un voyage Moyenne
sur 10
Pourcentage
d’accord*
J’essaie de ne pas dégrader les sites naturels que je visite. 8,53 83,6
J’essaie toujours de m’adapter aux habitudes de vie des populations visitées. 7,62 71,8
J’essaie généralement d’avoir le maximum d’échanges avec les populations des lieux visités. 7,05 61,8
Je cherche à faire travailler le commerce et l’artisanat locaux. 6,96 63,6
Lorsque je prends l’avion, c’est surtout pour un voyage de plus de deux semaines. 6,51 59,5
J’évite volontairement de visiter certains sites naturels qui sont détériorés par une trop
grande affluence. 5,93 46,5
J’essaie de me loger chez l’habitant ou dans des hôtels tenus par des locaux plutôt que dans
de grandes chaînes hôtelières. 5,59 43,3
Je pratique l’écotourisme (tourisme de nature avec découverte et respect de l’environnement
comme valeurs centrales du voyage). 5,52 43,1
J’essaie de privilégier des organisateurs de voyages qui financent des projets de développement
au profit des populations locales. 5,48 42,1
J’utilise des labels environnementaux comme critère de choix (par exemple, hôtels, restaurants,
voyagistes). 5,16 35,3
Tableau 2
* Pourcentage des répondants ayant donné 7 ou plus sur une échelle d’accord en 10 points.
Source : Données provenant du Baromètre de la consommation responsable au Québec (BCR, 2012), n = 1039.
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Le tourisme durable permet une plus grande
performance économique
Un autre avantage du tourisme durable est d’ordre nancier:
la baisse des coûts engendrée notamment par les économies
d’énergie permet d’améliorer la performance économique. Ce
principe « gagnant-gagnant », connu sous le nom d’« hypothèse
de Porter15 », est vérié dans diérentes études appliquées au
secteur touristique
16
. Une étude France-Québec
17
, portant
sur 15 entreprises québécoises, parmi lesquelles le Zoo de
Granby, a mis en évidence le fait que 26 des 30 entreprises
ont augmenté leur chire d’aaires grâce à l’écoconception
(à travers une augmentation des ventes du produit) et 17 ont
réduit leurs coûts variables récurrents de production à travers
la diminution des matières premières utilisées ou la réduction
de la consommation d’énergie. Là-dessus, l’argument nancier
est souvent présenté comme le plus important pour décider les
gestionnaires à incorporer l’environnement dans leur stratégie.
Le tourisme durable permet de mobiliser
les équipes
En investissant dans le capital humain, des acteurs du
tourisme peuvent améliorer le bien-être de leurs salariés mais
aussi des communautés locales18. Les employés sont souvent
ers d’appartenir à des entreprises porteuses de valeurs, ce
qui a un impact sur la dynamique interne des équipes. Le
cas de l’Hôtel Les Orangeries (voir l’encadré 2) illustre ces
retombées positives.
Ces diérents arguments en faveur du choix du tourisme
durable ne doivent pas faire oublier le levier principal: pour
qu’une entreprise s’engage sur ce créneau, il est indispensable
que son dirigeant soit convaincu de ses bienfaits19.
RÉUSSIR SON OFFRE
DE TOURISME DURABLE :
les sept clés du succès
Nous mettons en avant sept facteurs clés de succès pour
réussir dans le secteur du tourisme durable: les trois premiers
facteurs sont liés à la traduction des grands principes du
tourisme durable dans l’ore, tandis que les quatre suivants
sont associés à la gestion stratégique de cette ore.
Les sept clés du succès du tourisme durable
Privilégier la dimension environnementale du tourisme
Promouvoir les ressources locales
Mettre en avant le lien social avec la population locale
Proposer une offre durable grand public
Concilier confort et tourisme durable
Utiliser les certifications à bon escient
Justifier et légitimer un positionnement «durable»
Succès
Conviction
Principes
Gestion
stratégique
de l'offre
Schéma 1
Un autre avantage du tourisme durable est d’ordre financier : la baisse des
coûts engendrée notamment par les économies d’énergie permet d’améliorer la
performance économique.
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Traduire les principes du tourisme durable
dans son offre
Se positionner sur le créneau du tourisme durable suppose
pour un acteur du tourisme de traduire concrètement dans
son ore commerciale et dans ses pratiques internes les trois
dimensions environnementale, sociale et économique du
développement durable.
Clé 1: privilégier la dimension environnementale du
tourisme. La dimension environnementale est de loin la
dimension la mieux comprise par le grand public. En plus
de permettre aux professionnels de réaliser des économies
rapidement, c’est celle qui inuence le plus l’intention d’achat
des touristes. Cette tendance est observée dans les diérents
secteurs d’activité du tourisme: l’hôtellerie, les loisirs et les
voyages organisés.
À titre d’exemple, une étude réalisée par le groupe hôtelier
Accor auprès de 6 973 répondants de six pays indique que,
à la question « Quelles actions en matière de développement
durable vous viennent spontanément à l’esprit lorsque vous
pensez à l’hôtellerie ? », les réponses concernent presque
exclusivement les thématiques environnementales: l’eau
(28 % des réponses), l’énergie (27 %), les déchets (20,5 %) et
la protection de l’environnement (11,5 %). Il faut également
souligner que les Québécois sont motivés à consommer de
manière responsable avant tout pour des raisons environne-
mentales. Les statistiques du Baromètre de la consommation
responsable (BCR) au Québec montrent, depuis 2010, qu’il
s’agit de la première motivation, loin devant les autres (c’est-
à-dire les motivations liées à la santé, à la société et à l’image
personnelle).
Da ns l ’ore de loisirs, une étude menée auprès de 750
consommateurs québécois potentiels d’un spa (Spa Eastman)
prouve que lorsque les répondants sont soumis à un choix
mettant en avant alternativement la dimension sociale, la
dimension économique et la dimension environnementale,
seule la valeur « respect envers l’environnement » exerce une
inuence sur l’intention d’achat d’un forfait spa20.
La forte progression de l’écotourisme est aussi la preuve
de l’intérêt porté par les voyageurs pour des séjours alliant
découverte d’espaces naturels et sensibilisation à la protec-
tion de l’environnement. Cela explique le développement
et le succès de voyagistes spécialisés dans l’écotourisme
au Québec comme Club Aventure Voyages, ematours et
Kepri ou le regroupement Aventure Écotourisme Québec. De
même, les grands voyagistes proposent maintenant des forfaits
écotouristiques, comme Transat avec plus de 60 destinations
répondant aux besoins des écotouristes.
L’env i ronnement semble donc une clé d’entrée facile dans
le tourisme durable alliant économie des ressources et intérêt
du consommateur. Cet attrait de l’argument écologique auprès
des voyageurs réside en partie dans le fait qu’il alimente la
promesse de lieux naturels mieux préservés et donc plus
attrayants
21
. Ainsi, les voyagistes ont tout intérêt à jouer sur ce
désir d’une nature propre pour mettre en avant leurs pratiques
Le tourisme durable vu par des hôteliers :
le cas de l’Hôtel Les Orangeries, en France
L’Hôtel Les Orangeries est engagé dans une démarche de développement durable depuis 15 ans pour l’ensemble
de ses équipements, à savoir les 15 chambres, le restaurant, la piscine, le jardin et le potager. Sa fondatrice et
dirigeante a amorcé une démarche de labellisation ambitieuse (Éco-label européen – Services d’hébergement
touristique, certification AFNOR) dès 2005, offrant à l’établissement la place de pionnier pour ce qui est de cette
certification environnementale en France. L’hôtel s’est vu décerner des trophées du tourisme durable en 2007
et joue actuellement un rôle de pilote auprès du ministère de l’Écologie de France dans le cadre du Grenelle
de l’environnement. La dirigeante, très engagée par rapport aux enjeux environnementaux, met en avant les
différents effets bénéfiques de sa politique de développement durable.
• Les occasions commerciales : « Le domaine où c’est le plus avancé, c’est le tourisme d’affaires où le
développement durable constitue vraiment un critère d’entrée, pour le séminaire en particulier. Autrement dit,
les gens cherchent des lieux qui portent des valeurs. C’est de plus en plus une valeur ajoutée, on voit bien qu’il
y a une évolution en termes de sensibilisation. »
• La motivation des salariés : « À l’interne, il y a une dynamique très intéressante, parce que ça mobilise tout
le monde. Chacun, mais pas pour les même raisons, se sent concerné. Je serai beaucoup plus à l’aise de
dynamiser l’équipe autour de ces sujets-là qu’autour de sujets de gestion ou de finance. »
• La baisse des frais directs : « Je pense que ça nous a fait évoluer quant au rapport qualité/prix, qui est meilleur
aujourd’hui qu’hier. Je n’ai aucun problème face à la chasse au gaspillage permanent que cela entraîne. »
• Le rôle des convictions de la dirigeante : « Je suis persuadée qu’on n’a pas le choix, que c’est le sens de
notre histoire, qu’il faut essayer d’avancer le plus vite possible et qu’il est beaucoup plus intéressant et serein
d’essayer d’anticiper le changement, voire de l’accompagner, que de le subir. »
Encadré 2
Source : Lussac Les Châteaux, www.lussac-les-chateaux.fr.
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de respect de l’environnement. Pour faciliter l’adoption de
bonnes pratiques par les touristes, il est possible d’utiliser des
« coups de pouce » verts, c’est-à-dire des incitations permettant
un meilleur passage des idées aux actes
22
. Cette stratégie,
qui est issue des sciences comportementales, a pour objectif
de conduire l’individu à faire des choix allant dans l’intérêt
général sans pour autant être prescriptive ou culpabilisante.
Par exemple, lorsqu’on indique dans les salles de bains d’un
hôtel qu’un pourcentage élevé des clients (par exemple, 75 %)
a réutilisé sa serviette au lieu de la faire changer tous les jours,
le nombre de clients réutilisant leurs serviettes est signica-
tivement plus grand que lorsqu’on utilise le même message
sans indiquer de pourcentage (taux de réutilisation de 44 %
contre 35 %)
23
. Cette stratégie agit ainsi sur plusieurs leviers,
comme le poids de la comparaison avec autrui ou l’inertie à
l’égard du changement.
Clé 2: promouvoir les ressources locales. Comme l’in-
diquent les études sur la consommation responsable, l’achat de
produits locaux progresse depuis quelques années
24
. D’après
l’enquête Ethicity 2012, un produit responsable est déni par
les consommateurs français avant tout comme un produit
fabriqué localement (42 % des réponses), et l’aspect local
se trouve depuis quelques années au cœur des attentes des
consommateurs. Au Québec, la situation est identique. En
2012, la consommation locale arrivait au deuxième rang des
comportements de consommation responsable (derrière le
recyclage), avec un indice de 71 sur 100. C’est d’ailleurs le
comportement qui a connu la plus forte progression depuis
2010, soit plus 1,9 point25.
Dans le domaine touristique, cette tendance comporte
un attrait croissant pour la consommation de produits faits
localement ou de services proposés par des locaux: nourriture,
artisanat, logement ou excursions. Selon le BCR 2012, 64 %
des répondants disent chercher à faire travailler le commerce
et l’artisanat locaux lors de leurs séjours touristiques (voir
le tableau 2). Une étude réalisée auprès de touristes français
montre que plus de la moitié des personnes interrogées essaie
de maximiser les ressources pour la population locale lors de
ses séjours touristiques
26
. Ce comportement peut s’expliquer
de deux façons. D’une part, cela reète une envie de vivre
comme les résidants et d’être en immersion. D’autre part,
« les produits locaux relient les voyageurs à la localité et leur
donnent le sentiment de mieux expérimenter la destina-
tion27 ». La nourriture, par exemple, participe pleinement à
la quête d’expériences touristiques durables entreprise par
le voyageur. De plus, l’achat de produits locaux donne un
sentiment d’autoecacité au consommateur. Par ce moyen,
il contribue positivement à l’économie du lieu visité et il
imagine aisément l’impact de son action.
Au-delà de la valorisation par les consommateurs, le fait
de s’approvisionner localement permet à un professionnel du
tourisme d’atteindre d’autres objectifs: minimiser la pollution
liée au transport des marchandises et améliorer ainsi le bilan
environnemental de l’activité. Cela favorise aussi l’activité
économique de sa région, ce qui est toujours positif pour
les entreprises implantées localement. Ces divers bénéces
associés à l’achat local en font une tendance incontournable
pour tout professionnel choisissant le tourisme durable.
Clé 3: mettre en avant le lien social avec la population
locale. En plus d’échanges marchands avec la population
locale, les touristes aspirent à des échanges humains non
marchands. Il existe, en eet, une forte demande de la part
d’une partie des touristes pour créer un lien social avec les
populations visitées. L’enquête Harris Interactive (2012)
montre, par exemple, que lorsqu’on pose la question « Pour
vous, le voyage responsable idéal, ce serait… ? », la réponse la
plus fréquemment donnée est « participer à des activités de
découverte des populations locales, de leur vie quotidienne et
de leurs coutumes ». En réalité, le tourisme durable est souvent
imaginé comme une façon d’obtenir une plus grande proxi-
mité avec les populations rencontrées, voire une immersion
au milieu d’elles28.
Ce constat démontre un capital de marque très positif du
tourisme durable que les professionnels peuvent utiliser à bon
escient. Permettre les contacts avec les populations locales à
travers une ore touristique sera une pratique prometteuse à
condition de ne pas détruire ce capital culturel. C’est cet idéal
que cherche à atteindre le tourisme solidaire, avec un succès
croissant. Sans se spécialiser dans cette activité, un voyagiste
peut tenir compte de cette tendance actuelle dans ses ores
de voyages, à l’instar du groupe Nouvelles Frontières qui a
mis en place des « Ateliers Nouvelles Rencontres » dans ses
Hôtels-Clubs où le voyageur prote d’« échanges authentiques
et interactifs avec la population locale29 ».
La gestion stratégique de l’offre touristique
durable
Clé 4: proposer une ore durable grand public. Le tou-
risme durable reste trop souvent associé à un tourisme de
niche et lointain, parfois haut de gamme et souvent perçu
comme onéreux. Les institutions nationales et internationales
achent pourtant leur volonté de populariser le tourisme
durable et de ne pas le réserver seulement à un tourisme de
niche: « Les principes directeurs du développement durable
et les pratiques de gestion durable du tourisme sont appli-
cables à toutes les formes de tourisme dans tous les types de
destinations, y compris au tourisme de masse et aux divers
créneaux touristiques30. »
Dans la réalité, la mise en marché du tourisme durable
s’opère de deux façons. D’un côté, certaines pratiques durables
sont accessibles à tous et concernent l’ensemble des voyageurs:
c’est le cas du tourisme de proximité, du recours aux produits
et à la main-d’œuvre locaux ou du respect des lieux et des
traditions. D’un autre côté, l’ore de vacances solidaires,
équitables ou écotouristiques concerne avant tout des marchés
de niches composés de voyageurs engagés et est proposée par
des agences spécialisées sur ce créneau.
L’ore touristique durable peut donc se développer dans
cette double direction. Pour tous, il faudra veiller à modier
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les habitudes des voyageurs et des professionnels en vue de
l’adoption d’un respect accru de la nature et des personnes.
La participation de groupes internationaux (Accor, Costa
Croisières, Huttopia, etc.) à la mise en œuvre de bonnes pra-
tiques va dans ce sens. Elle permet au plus grand nombre de
pratiquer un tourisme plus raisonné combinant des actions
volontaires (par exemple, ne pas aller faire du quatre-roues
dans les dunes fragiles) avec des actions subies (par exemple,
installer un économiseur d’eau dans la salle de bains). Pour
le bien de la planète et des individus, il faut garder cette
ambition d’un tourisme de masse plus durable pour l’ave-
nir: l’adhésion de tous passe entre autres par le maintien de
prix accessibles et par l’existence d’une ore familiale. Au
Québec, l’Association du Marais-de-la-Rivière-aux-Cerises,
dans les Cantons-de-l’Est, est un bon exemple de tourisme
durable grand public. L’organisme accueille plus de 120 000
visiteurs par an et propose des activités dans la nature (rallye
nature, promenade en kayak, raquette, cardio plein air, etc.),
des activités de service à la clientèle (location de salles, café-
boutique, etc.) et des activités d’éducation et de sensibilisation
à l’environnement (conférences, expositions temporaires et
permanentes, classes vertes, borne interactive, le coin du
prof, etc.) pour le grand public. Cette association a d’ailleurs
reçu de nombreux prix prestigieux en reconnaissance de ses
initiatives.
Clé 5: concilier confort et tourisme durable. La prestation
de tourisme durable est encore assimilée pour bon nombre
de voyageurs à un plaisir moins grand et à des contraintes
accrues: moins de détente, moins d’hygiène et de confort, un
transport plus long et moins pratique. Le touriste a d’autant
plus de mal à accepter une diminution de son confort qu’il
associe le tourisme durable à un tourisme plus onéreux31.
Cette impression de contrainte est ampliée par le fait d’être
en vacances. Le temps libre reste une ressource rare dont cha-
cun veut proter au mieux
32
. Selon l’Organisation mondiale
du tourisme, en 2007, la motivation principale du voyage
était liée, pour plus de 51 % des touristes, aux loisirs et à la
détente. Ainsi, les touristes cherchent avant tout à se relaxer,
à réduire leur stress de même qu’à rompre avec les gestes
quotidiens et à se dépayser33. À titre d’illustration, 70 % des
Nord-Américains arment ne pas gaspiller l’eau chez eux,
mais ils sont seulement 18 % à agir de même à l’hôtel34.
Peut-on, par exemple, se permettre de ne pas changer les
serviettes et les draps tous les jours dans un hôtel quatre ou
cinq étoiles ? De même, peut-on oser remplacer des bains par
des douches ou encore supprimer les minibars pour amélio-
rer son bilan énergétique ? Le dé pour le professionnel du
tourisme, qu’il soit hôtelier, restaurateur, agent de voyages
ou autre, consiste à prendre conscience du conit potentiel
et à faire un arbitrage entre les enjeux (environnementaux,
sociaux et économiques) de durabilité et le bien-être des
clients. Selon le type de clientèle et les attentes de celle-ci quant
au standing, un professionnel doit estimer les éléments de
service sur lesquels il ne peut transiger. En réalité, ce clivage
entre le confort et le tourisme durable n’est pas toujours aussi
prononcé qu’on peut l’imaginer. De la part des professionnels,
il existe bon nombre d’actions de gestion environnementale
transparentes, voire bénéques pour le client, comme les
achats de produits biologiques, équitables ou écocertiés,
le tri des déchets, le système de coupure automatique de
climatisation en cas d’ouverture des fenêtres ou encore la
chasse d’eau double ux.
En outre, il est important de noter que les touristes sont
de plus en plus à la recherche d’expériences. L’adoption d’un
mode de vie plus rudimentaire est alors le sacrice nécessaire
pour vivre au plus près de la nature ou des populations tra-
ditionnelles (par exemple, dormir dans le désert, dans une
cabane ou dans une yourte). La perte de confort fait alors
partie du jeu auquel le voyageur se livre volontairement, et
contribue en elle-même à l’authenticité de l’expérience35.
Rassurer le voyageur sur la perte de confort ou démontrer
en quoi le détachement matériel permet des expériences
inédites, voilà le dé que doivent relever les professionnels
du tourisme durable.
Clé 6: utiliser les certications à bon escient. Pour un
professionnel, il est possible de faire certier son engagement
dans le tourisme durable par un label. De façon générale, on
obtient un label en respectant un cahier des charges validé
par une tierce partie externe indépendante. Le problème au
Canada est que la plupart des labels de tourisme durable
reposent sur des initiatives privées et ne sont pas encadrés
par les pouvoirs publics: il est donc important de s’orienter
vers des labels reconnus par la communauté professionnelle
et reposant sur une démarche de certication sérieuse. Le
Guide de l’ écotourisme au Québec s’avère un outil pertinent
pour les acteurs du tourisme durable, qui pourront s’y repérer
dans ce domaine.
Au-delà de ces mises en garde, l’adhésion à une démarche
de certication est souvent un formidable vecteur de progrès
pour un professionnel. Le directeur d’une entreprise touris-
tique, qui, en général, n’est pas un expert dans les questions
sociales ou environnementales, dispose par ce truchement
d’un outil de travail guidant sa démarche. Des hôteliers
Le défi pour le professionnel du tourisme consiste à prendre conscience du conflit
potentiel et à faire un arbitrage entre les enjeux (environnementaux, sociaux et
économiques) de durabilité et le bien-être des clients.
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français interrogés sur leur démarche de certication Éco-
label européen soulignent que la quête d’un label a vérita-
blement lancé leur démarche environnementale: « C’est un
cahier des charges qui nous trace le chemin »; « J’ai découvert
qu’il existait des labels dans mon secteur d’activité qui per-
mettaient de reconnaître un certain nombre de démarches,
et ça a été une espèce d’aspirateur »36.
En parallèle, les labels apportent à un professionnel une
reconnaissance de la démarche, qui pourra être valorisée
auprès de l’ensemble des parties prenantes: confrères, nan-
ciers, sous-traitants, salariés et consommateurs. À la question
de savoir si ces labels constituent un argument de vente
auprès de la clientèle, la réponse semble encore incertaine,
voire plutôt négative: oui, sans doute, pour une minorité de
consommateurs engagés (25 % des répondants du BCR [2012]
disent utiliser les labels comme critère de choix lors de leurs
vacances – voir le tableau 2), non, a priori, pour les autres. La
plupart des voyageurs n’incluent pas pour l’instant ces labels
dans leurs choix de consommation. En eet, comme le révèlent
les résultats du BCR (2012), les labels liés au tourisme durable
sont quasiment inconnus des consommateurs, même les labels
courants comme RéserVert ou Clé Verte (voir le tableau 3).
Par contre, il faut mentionner que les consommateurs qui
les connaissent y font grandement conance.
Ce constat pourrait néanmoins évoluer assez rapidement
étant donné l’intérêt accordé à cette nouvelle façon de voyager.
Clé 7: justier et légitimer un positionnement « durable ».
Une des dicultés pour des entreprises axées sur le dévelop-
pement durable concerne la communication de leurs engage-
ments auprès de leur clientèle. D’un côté, il est important que
les pratiques de développement durable soient visibles pour
des consommateurs demandant de l’information sur le sujet.
D’un autre côté, les consommateurs mettent de plus en plus
en doute les allégations des entreprises sur leurs pratiques
éthiques ou environnementales. La crainte de l’écoblanchi-
ment (greenwashing), c’est-à-dire la crainte d’être trompé
ou manipulé, rend les consommateurs méants, souvent à
outrance. Ainsi, seulement 27,3 % des consommateurs qué-
bécois croient les engagements des entreprises en matière de
développement durable
37
. En plus de ce manque de conance,
l’action écologique d’une entreprise de service est parfois
mal perçue par les consommateurs: et si c’était un argument
pour vendre plus cher ou encore pour faire de l’argent au
détriment du client ? Ces craintes montrent à quel point il
est impératif de toujours apporter la preuve de l’engagement
social ou environnemental qui est annoncé.
À ce sujet, plusieurs voyagistes semblent avoir trouvé le
juste ton. C’est le cas du groupe Accor avec son projet Plant
for the Planet. Il s’agit pour les hôtels du réseau de s’engager à
nancer des plantations d’arbres avec les économies de blan-
chisserie réalisées lorsque les clients conservent leur serviette
plus d’une nuit. Les hôtels donnent à ce geste symbolique
une véritable utilité en indiquant aux clients dans les salles
de bains: « Ici, VOS serviettes plantent des arbres. Dans cet
hôtel, 5 serviettes réutilisées = 1 arbre planté. »
Du côté des voyagistes, le français Atalante, certié ATR
(l’association Agir pour un Tourisme Responsable, le label
AFNOR
de l’Agence française de normalisation), présente en
toute transparence à ses clients le montant de ses contribu-
tions nancières au développement des pays où il organise
des randonnées. Ainsi, les clients sont en mesure de constater
l’apport réel de leur voyagiste à l’économie locale, une valeur
au cœur du développement durable qui a de plus en plus
Niveau de connaissance et de confiance des Québécois
quant aux principaux labels du secteur touristique
Rang Certification Connaissance ( %)
Confiance ( %)
(parmi ceux qui connaissent)
1 Gîtes et auberges du passant 64,6 94,5
2 Tables et relais du terroir 46,9 95,5
3 Produits d’écotourisme 32,6 85,3
4 RéserVert 11,8 81,3
5 Gestion responsable d’événement 11,6 86,8
6 Alliance verte 9,7 79,2
7 Clé verte 5,7 81,4
8 Pavillon bleu 4,9 72,5
9 Éco-Marina 4,9 74,5
Tableau 3
Source : Données provenant du Baromètre de la consommation responsable au Québec (BCR, 2012), n = 1 039.
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d’impact sur la prise de décision du consommateur même
si le prix d’un tel voyage peut être supérieur. Le cas du Spa
Eastman, au Québec, est également un bel exemple de posi-
tionnement « durable » réussi récompensé par de nombreux
prix (voir l’encadré 3).
CONCLUSION
Le tourisme durable semble promis à un bel avenir, car
au-delà des nécessités écologiques, il présente des atouts à la
fois pour les professionnels et pour les consommateurs. Les
témoignages des voyagistes ou des structures d ’hébergement
engagées dans cette voie sont le plus souvent très positifs:
comme le souligne une dirigeante d’hôtel français interro-
gée sur son management environnemental: « Avec le recul,
il n’y a vraiment aucune raison de ne pas s’engager dans le
tourisme durable. » Tout l’enjeu du développement durable
de l’industrie touristique est sans doute de trouver le juste
équilibre entre les attentes quant à la prestation de service de
la part des consommateurs et les enjeux économiques, sociaux
et environnementaux. Ainsi, le tourisme durable peut être
mis en œuvre à la fois dans une ore de masse au travers de
modestes actions (dans ce cas, la dimension durable est une
composante de l’ore mais pas son essence même) et dans
de nouvelles ores éco-conçues (dans ce cas, la dimension
durable constitue le cœur de l’ore sur des marchés de niches
destinés à un public très engagé).
Le Spa Eastman, une illustration de la mobilisation
des trois grands piliers du tourisme durable
Le Spa Eastman, en Estrie, est le deuxième plus ancien spa d’Amérique du Nord et le seul « spa de destination » de
l’Est canadien. Composé de 47 chambres réparties dans 7 pavillons, il offre un ensemble de soins et de services
relativement large : massothérapie, soins corporels, spa du cheveu, soins esthétiques, cures, soins signatures,
services de consultation.
L’originalité du Spa Eastman tient à son engagement de longue date dans le développement durable. En effet,
depuis sa création en 1977, il allie dans sa démarche les aspects social, économique et environnemental par
l’entremise de la santé : « On a ça dans la peau depuis 35 ans », précise Jocelyne Dubuc, fondatrice et présidente-
directrice générale.
Historiquement, les premiers engagements pris furent orientés sur l’aspect environnemental : interdiction
d’utiliser des pesticides et mise en place d’un système de recyclage. Sur le plan de l’environnement, les « 3R »
(« réduction, réemploi, recyclage »), la protection des forêts, l’économie d’eau et d’énergie et le transport durable,
par exemple, sont valorisés.
Sur le plan social, on note, entre autres, l’importance des actions sur la santé et la sécurité au travail, la formation,
la sensibilisation et l’amélioration continue. La direction du spa privilégie un engagement social aussi bien auprès
du personnel qu’auprès de la clientèle et de la population locale. Les employés bénéficient ainsi de nombreuses
formations leur permettant de progresser et de s’épanouir au point de vue personnel.
En prolongement de cette dimension sociale et en lien avec la dimension économique, les relations économiques
avec la population locale sont fortes, même si elles sont encore jugées insuffisantes. Le Spa Eastman privilégie
des relations à long terme avec des fournisseurs locaux afin de stabiliser les emplois dans la région. Par exemple,
le savon utilisé dans le Spa Eastman est produit par de jeunes artisans locaux, avec lesquels un contrat de cinq
ans a été signé. Le Spa Eastman favorise l’achat d’aliments équitables et locaux, même si leurs prix sont plus
élevés. Pour Jocelyne Dubuc, « payer plus cher un produit pour offrir à sa clientèle une meilleure qualité n’est pas
un obs tacle ».
L’engagement du Spa Eastman a été reconnu par l’obtention de 17 prix entre 2001 et 2010.
Encadré 3
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NOTES
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5. Béji-Bécheur et Bensebaa (2009).
6. OMT (2 004).
7. Extrait du Code mondial d’éthique du tourisme (OM T, 1999).
Le Code mondial d’éthique du tourisme utilise les expressions
« tourisme durable » et « tourisme responsable » comme les
deux termes généraux qui englobent les autres formes de
tourisme tournées vers l’environnement ou vers le social. Voir
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16. Voir, par exemple, Alvarez et al. (2001), Gil et al. (2 001),
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