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L’agriculture familiale en Afrique de l’Ouest
concepts et enjeux actuels1
Bara GUEYE
Introduction.
L’agriculture demeure un élément central de l’économie ouest-africaine, assurant 30 à 50 %
du PIB de la plupart des pays et représentant la plus grande source de revenus et de moyens
d’existence pour 70 à 80 % de la population, ainsi que d’approvisionnement alimentaire et de
recettes d’exportation issues des cultures de rente . Elle constitue également une des
principales sources de recettes d’exportation dont elle contribue pour 40% environ (IFPRI
2003). Bien que les économies et la population de la région se diversifient actuellement vers
d’autres activités, il est probable que l’agriculture conserve une importance centrale pour les
revenus et les moyens d’existence dans un avenir proche (Fafchamps et al., 2001). Cette
agriculture est essentiellement dominée par les petites exploitations familiales. Mais les
performances du secteur agricole ont été particulièrement faibles car l’Afrique est l’un des
rares continents où la production agricole par tête continue de chuter ces quarante dernières
années. Cette baisse, estimée à 0,34% en Afrique subsaharienne, affecte fondamentalement la
survie des ménages ruraux en raison de l’effritement des revenus et accentue le déficit
vivrier(Dia A.T et Fall. A.S. 2005). Cependant, ce tableau cache beaucoup de disparités car
dans certaines parties de l’Afrique, les exploitations familiales ont su maintenir voire même
améliorer la production alimentaire grâce à la mise en place de stratégies d’adaptations et de
diversification efficaces.
1. Concept
Le terme « agriculture familiale » couvre un vaste éventail de situations souvent très
différentes. Ainsi, certains auteurs conseillent fortement d’utiliser le terme au pluriel
(agricultures familiales) pour démontrer la diversité des systèmes et contextes examinés
(Belières et al., 2002). L’organisation et la pratique des systèmes agricoles varient fortement
selon les zones agro-écologiques, les pays, ainsi que les différents groupes socioculturels. En
dépit de cette diversité, il existe certaines caractéristiques clés propres à l’agriculture
familiale, liées au rapport particulier entre la structure et la composition du ménage, ainsi
que les biens et activités agricoles qui y sont associés. Ce rapport influe fortement sur la
manière dont les décisions sont prises concernant le choix des cultures, l’organisation de la
main-d’œuvre familiale et sa répartition pour les différentes tâches, la gestion des terres et
autres biens agricoles(Belières et al.opcit). Les exploitations familiales se caractérisent en
outre par un ensemble d’activités impliquant diverses productions végétales et animales, la
pêche, la chasse et la cueillette, le commerce et l’artisanat, de même que la migration
saisonnière ou à plus long terme (Zoundi, 2003). Au sein de l’exploitation familiale, l’accès
aux terres et aux biens agricoles s’acquiert généralement par héritage ou autres arrangements
sociaux, tels que des prêts. Il importe donc d’éviter de voir l’exploitation familiale comme
une unité économique isolée uniquement dédiée à l’agriculture et dépendant exclusivement
de ses propres ressources.
1 La présente communication s’inspire d’une publication récente sur le même thème sous le titre « les
transformations de l’agriculture ouest africaine et rôle des exploitations familiales » (Toulmin C et Guèye G 2003)
Dans la plupart des régions d’Afrique de l’Ouest, la production agricole repose sur la main-
d’œuvre familiale qui, bien que souvent non rémunérée, possède l’assurance d’une
contrepartie sous forme de droits et des avantages à plus long terme. Ceci procure un
avantage compétitif certain par rapport à l’agriculture commerciale, car c’est durant les
périodes de crise (sécheresse, inondations, autres calamités) où le rendement du travail reste
particulièrement faible, que la main d’œuvre familiale reste le plus disponible et le plus
engagé, malgré un faible niveau de « rémunération » de son effort. En outre, étant une partie
du système, les travailleurs familiaux ont un degré de motivation généralement plus élevé que
celui d’un salarié agricole (Djulfeldt. 2005). Toutefois on remarque que ce système subit des
transformations de plus en plus profondes consécutives à l’éclatement des grandes
concessions familiales et des centres de décisions, de l’évolution des valeurs socio-culturelles
renforcée par une ouverture de plus en plus marquée du milieu rural vers l’extérieur, de la
pression économique, etc.
Contrairement aux entreprises commerciales, les exploitations familiales tendent à posséder
des superficies de terres relativement réduites. Au Ghana par exemple, une étude de 1997 a
révélé la présence de 800000 petits cultivateurs de cacao possédant une superficie agricole
moyenne de 3 hectares, dont 60 % avaient moins de 2 hectares et 80 % moins de 4 hectares
(Owusu, 2002). Au Bénin, la taille des exploitations agricoles est de 3,3 hectares en moyenne
(Minot et al., 2001). Au Mali, le coton est cultivé par plus de 200 000 ménages agricoles de 15
personnes en moyenne, qui cultivent 10 hectares. La primauté de la consommation sur la
commercialisation subit toutefois des changements dans de nombreuses régions face aux
besoins financiers grandissants, ce qui entraîne des réorientations importantes de la manière
dont les terres et la main-d’œuvre se distribuent entre cultures vivrières et de rente. De
même, les céréales constituent des cultures de rente importantes pour certains agriculteurs,
tout en couvrant les besoins alimentaires du ménage.
Tableau 1: comparaison entre exploitations familiales et agriculture commerciale
Caractéristiques Exploitations familiales Agriculture commerciale
Rôle de la main-d’œuvre du ménage Important Faible ou nul
Liens communautaires Forts : fondés sur la solidarité et
l’entraide entre ménage et groupe plus
large
Faible : souvent aucune connexion
sociale entre entrepreneur et
communauté locale
Objectifs prioritaires Consommer
Stocker
Vendre
Vendre
Acheter
Consommer
Diversification Forte : pour réduire l’exposition au
risque
Faible : spécialisation dans cultures et
activités très limitées
Flexibilité Forte Faible
Taille de l’exploitation Réduite : 5 à 10 ha en moyenne Grande : peut excéder 100 ha
Liens avec le marché Faibles : mais grandissants Forts
Accès aux terres Par héritage et arrangements sociaux Assez souvent par achat
Source : Toulmin C.et Guèye B. 2003
2. Dynamisme des exploitation agricole
Malgré les différents obstacles (conditions écologiques, commerce international, évolution
soco-culturel, ajustement structurel, dévaluation, etc.) auxquels elles font face, les
exploitations familiales ouest africaines sont caractérisées par une très grande résilience qui
repose sur plusieurs facteurs:
Un portefeuille d’activités diversifiées. Les stratégies développées reposent sur la
diversification qui associe des activités agricoles et des activités non agricoles moins
dépendantes des facteurs climatiques. Une telle stratégie permet d’anticiper les
conséquences d’une fluctuation des facteurs climatiques, de faire face à la saisonnalité des
revenus agricoles, et de limiter les risques liés à une forte dépendance sur le marché en
privilégiant une association équilibrée entre cultures commerciales et cultures tournées vers
la satisfaction des besoins alimentaires.
Encadré 1. Les trois mondes ruraux
Monde rural 1 : globalement compétitif, fortement lié à l’agro-industrie, aux producteurs et aux transformateurs de produits
de base ; avec de solides connexions politiques ; orienté vers l’exportation ; adepte de la Révolution verte et des technologies
trans-géniques.
Monde rural 2 : orienté vers le marché local, avec accès aux terres et contrôle foncier, entreprises multiples et diverses, sous-
capitalisées, conditions commerciales s’aggravant et sérieux risque d’appauvrissement futur.
Monde rural 3 : moyens d’existence fragiles, accès limité aux ressources productives, migrants à activités multiples à cheval sur
le milieu rural et urbain, sans qualification et sans éducation, dépendant de la main-d’œuvre bon marché, mis en marge des
systèmes mondialisés de production alimentaire..
Source : Vorley (2002 : 9)
Une grande flexibilité et une solide capacité d’adaptation. Les exploitations familiales font
preuve d’une capacité d’adaptation au stress particulièrement élevé. Contrairement aux
exploitations agro-industrielles généralement bâties sur des options technologiques souvent
rigides et fortement dépendantes des systèmes de financement agricole, les exploitations
familiales ont su mettre en place des systèmes d’organisation qui leur permettent d’opérer
les ajustements nécessaires dans la combinaison de leurs différents facteurs de production
pour répondre à des situations inattendues voire saisir des opportunités qu’offrent le marché.
Un ancrage communautaire fort. Les exploitations familiales s’appuient sur un système
complexe de transactions sociales qui renvoient à des droits et obligations mutuels entre
chaque membre de la famille et le reste du groupe. L’entretien et l’investissement dans ces
réseaux assis sur des valeurs de solidarité et d’entraide, constituent un élément important de
la stratégie des ménages, car ils peuvent offrir un filet de sécurité de premier plan en cas de
crise. C’est d’ailleurs dans ce cadre, qu’il faut situer l’émergence durant la grande période
de sécheresse de 1972, du mouvement associatif paysan en Afrique de l’Ouest, renforcé il est
vrai par une absence notoire de capacités de réponses solides des Etats face à cette grande
crise. Aujourd’hui ces mécanismes de solidarité se sont non seulement diversifiés mais ont
également connu un degré de complexification et d’organisation plus poussé. Les différentes
formes de « mutualisme » axées sur la fourniture de crédits, la généralisation des
groupements à vocation économique, les caisses de solidarité, les banques céréalières ou de
semences, constituent autant d’instruments pour réduire la vulnérabilité des ménages ruraux.
Une intégration de plusieurs objectifs. Au plan économique, on note une forte intégration de
diverses activités qui concourent à la satisfaction de besoins immédiats et lointains organisés
suivant une certaine hiérarchie : consommer d’abord, stocker ensuite avant de vendre même
si dans la réalité le système ne garde pas un caractère aussi linéaire.
De solides capacités d’innovation et un souci affirmé de conservations des ressources
naturelles locales. Les exploitations familiales dépendent essentiellement des ressources
naturelles locales pour leur survie. Il serait donc erroné de penser qu’elles développent de
façon délibérée des pratiques destructrices de l’environnement. Plusieurs exemples en
Afrique de l’Ouest peuvent être cités pour illustrer les capacités d’innovation et le souci de
préservation des ressources naturelles de la part des exploitations familiales. Le plateau
central du Burkina Faso, avec une pluviométrie de 500 à 700 mm, était considéré en 1980
comme la zone la plus dégradée du Burkina Faso. La végétation disparaissait rapidement, les
rendements céréaliers étaient en moyenne de 400 à 500 kg par hectare, le niveau de la nappe
phréatique baissait rapidement, tandis qu’entre 1975 et 1985, jusqu’à 25 % des familles ont
quitté les villages pour s’installer dans des régions à meilleur potentiel. Le perfectionnement
des méthodes de conservation des sols et de l’eau (CSE) au cours des 15-20 dernières années a
contribué à remédier à certaines de ces difficultés et a entraîné d’importantes améliorations,
notamment : les rendements du sorgho et du mil ont augmenté sensiblement et la sécurité
alimentaire des ménages s’est améliorée ; le processus de dégradation de la végétation a été
stoppé dans les parcelles cultivées où les techniques de conservation des sols et de l’eau ont
été adoptées (plus de 100 000 ha réhabilités). Dans la province de Bam les rendements
céréaliers ont augmenté de 50 %. Si l’on compare les villages avec et sans projets CSE, il
apparaît clairement que l’introduction d’une CSE à faible coût, réduisant les risques et
renforçant la productivité, a fortement contribué à déclencher l’intensification agricole et
l’amélioration de l ’environnement (Reij). Dans la zone de Maradi-Kano, malgré une
augmentation considérable de la population au cous des dernières décennies, l’adoption de
pratiques agricoles basées sur l’intensification a non seulement permis d’améliorer la fertilité
des sols mais a également contribué à accroître la productivité et la production agricoles. De
façon encore plus répandue, les conventions locales qui sont des formes de règles et
d’institutions locales mises en œuvre par les populations pour renforcer les capacités
productives de l’environnement et sa gestion durable sont devenues des pratiques répandues
à travers tout le Sahel (Tall SM et Guèye, B 2003 ; Djiré M. 2004).
L’effectif de la population, un atout de taille. Les capacités de diversification et
d’adaptation dépendent en grande partie de la taille de la population de l’exploitation.
Plusieurs études (Djulfeldt 2005 ; Toulmin et Guèye 2003, Mortiomre 2003) ont montré que le
degré de vulnérabilité des exploitations était souvent fortement corrélée avec le faible
effectif de la main d’œuvre. En effet, en l’absence d’un niveau convenable de mécanisation,
la faiblesse de la main d’œuvre limite l’importance des superficies cultivées ainsi que les
possibilités de diversification. En conséquence, les familles nucléaires sont souvent beaucoup
plus vulnérables aux risques et ne peuvent bénéficier des économies d’échelle en matière de
production, d’investissement et de diversification des re v e n u s ( Toulmin, 1992).
Tableau 2 : performances des exploitations selon leur taille et niveau de mécanisation, zone de la CMDT, Mali
Un seul
tracteur Au moins 2 paires de
bœufs Une seule paire de
bœufs Main-d’œuvre
Nombre de cas étudiés 25 15 15 17
Nombre de personnes/exploitation 31,2 15,3 9,9 7,9
Superficie agricole totale (ha) 34,8 15,9 9,2 3,8
Superficie agricole/personne (are) 112 104 93 48
Total de jours de travail/personne 88 89 77 40
Total de jours de travail/ha 79 86 83 84
Revenus financiers de l’agriculture en
FCFA
1 018 000 436 000 312 000 71 000
Revenus financiers de l’agriculture :
FCFA/ha
29 000 27 000 34 000 19 000
Revenus financiers de l’agriculture :
FCFA/personne
33 000 29 000 32 000 9 000
Revenus financiers de l’agriculture :
FCFA/travail journalier
372 320 407 223
Données : années de cultures 1990/91 et 1991/92, 12 exploitations par village (Faure, 1994)
3. De la viabilité économique des exploitations familiales.
Malgré un tableau d’ensemble sur l’agriculture africaine assez pessimiste, on remarque de
façon générale, que certaines productions vivrières ont connu au cours des 40 dernières une
augmentation considérable. Mais comme le montre le tableau no 3 ci-dessous, les
performances ont été très variées d’un pays à un autre. Ces différences tiennent davantage
aux politiques adoptées durant la période considérée. Alors que pour le Niger, la forte baisse
de la production céréalière par tête tient davantage à une installation quasi chronique de
conditions écologiques extrêmement défavorables, au Sénégal l’option prise par les pouvoirs
publics depuis l’indépendance, de favoriser l’importation du riz bon marché pour satisfaire les
consommateurs urbains s’est faite au détriment de la production céréalière locale.
Tableau 3 : évolution de la production par habitant des principales cultures vivrières, 1961-63 à 1997-99 (en %)
Pays Cultures céréalières Racines comestibles et cultures forestières Évolution
Ghana
Nigeria
Mali
Niger
Côte-d’Ivoire
Sénégal
Riz, maïs, millet, sorgho
Riz, maïs, millet, sorgho
Riz, maïs, millet, sorgho
Riz, millet, doliques
Riz, maïs, millet
Riz, maïs, millet, sorgho
Manioc, igname, plantain
Manioc, igname, plantain
Manioc, igname, banane,
plantain
Doliques
+ 59,8
+ 66,3
- 1,2
+ 76,3
- 2,6
- 24,2
+ 131,2
+ 30,5
- 28,5
- 41,2
+ 33,3
Cependant d’autres facteurs ont également eu une incidence sur l’évolution de l’agriculture
familiale au cours des 4 dernières décennies. Premièrement, l’accroissement constant de la
population (environ 2,8% par an) a eu pour conséquence une augmentation de la demande en
terres (au Ghana les superficies cultivées sont passées de 14,5% à 25,5% du territoire national
entre 1961 et 1999 alors qu’en Côte, durant la même période les taux sont respectivement
8,5% et 23,5% (Mortimore2003), ce qui s’est traduit dans certains, cas par des migrations qui,
en plus d’augmenter la pression foncière se sont souvent traduites par des conflits. Par
ailleurs cette pression a conduit à une diminution de la superficie cultivée par tête. Dans la
zone de l’office du Niger la superficie par personne cultivée en riz d’hivernage est passée de
0,38 ha à 0,22 ha entre 1987 et 1999 ( Bélières et a . 2002)
Encadré 2
L’impact du commerce international sur les exploitations familiales
Le cas de la volaille au Sénégal :
Selon une étude récente de la FAO (2004), les importations de volaille au Sénégal sont passées de 506 tonnes en 1996 à 16600
tonnes en 2002. Cette croissance, accompagnée d’une baisse de la production locale a augmenté la part des importations dans la
consommation locale de 1% en 2000 à 19% environ en 2002. Ces importations sont constituées essentiellement de découpes (86%)
de carcasses congelées (13%) et de viande fraîche (1%). Le coût de ces importations estimé à 10 milliards CFA équivaut au chiffre
d’affaires des fermes avicoles locales et représente environ 20% de la production avicole totale du pays. Parallèlement à
l’importation des produits avicoles, celles des produits laitiers, essentiellement composés de lait en poudre (75%) a atteint 31
milliards de francs cfa en 2002. Les fermes avicoles commerciales ont le plus souffert de cette situation, dans la mesure où 70%
d’entre elles, incapables de faire face à la compétition sont tombées en faillite au cours des dernières années. Par contre
l’aviculture familiale traditionnelle n’a pas été aussi affectée bien que les prix de la viande de volaille locale ont continué à
augmenter durant la même période. Cette capacité de résistance de l’aviculture traditionnelle tient d’une part à son système de
production qui entraîne très peu d’investissements et au fait qu’elle est perçue comme de meilleure qualité d’autre part. Le
secteur de l’aviculture traditionnelle fait aujourd’hui l’objet de très peu d’attention dans les politiques agricoles. Or, étant
donné le rôle important qu’il joue dans la lutte contre la pauvreté en milieu rural en particulier chez les femmes, il devrait
occuper une place plus non négligeable dans l’allocation des ressources publiques au secteur agricole.
Le cas du coton.
Le cas du coton a déjà fait l’objet de plusieurs études. La situation de ce produit sur le marché mondial est exacerbé par le fait
qu’il fait partie des rares produits qui mettent les producteurs africains en compétition directe avec les producteurs du Nord;
situation toutefois renforcé par le rôle stratégique du coton sur le marché mondial. On estime qu’entre 12 et 16 millions de
ménages bénéficient directement ou indirectement de la culture du coton en Afrique de l’ouest. La zone CFA produit environ 80%
de toute la production de la région et le coton contribue pour 5 à 10% du PIB des principaux pays producteurs. En outre, en 2001,
le coton a contribué pour 51,4% dans les recettes d’exportations du Burkina Faso, 37,6% pour le Bénin et 25% pour le Mali (SWAC
2004). Toutefois malgré le fait que ses coûts de production sont parmi les plus bas au monde, le coton ouest africain est en crise
à cause du niveau particulièrement bas des prix du en grande partie aux fortes subventions dont bénéficient les cotonculteurs
européens et nord américains. Aux Etats Unis, un demi-hectare de terre agricole consacré à la production cotonnière reçoit
environ 230$ de subvention contre 40 à 50 $ pour les autres produits (OXAM in Adjovi et al. 2004). Les mêmes pratiques se
trouvent également en Europe. La conséquence sur le niveau des prix a été dramatique. Entre 1990 et 1999, le prix mondial du
coton est de 1,15 Cent/livre à 0,44 cent/livre. Soit une baisse de 61%. Le prix actuel du coton est les plus bas depuis 30 ans. La
conséquence directe de cette situation est l’accroissement de la vulnérabilité en milieu rural, car on estime que les subventions
sur le coton ont entraîné une baisse de l’ordre de 23,74% des revenus des cotonculteurs béninois et de 36,27% pour leurs
homologues burkinabé (Adjovi et al.opcit).
Le cas de l’arachide.
A la différence du coton, l’huile d’arachide fait plutôt face à al concurrence de produits substituts constitués essentiellement
d’huiles végétales vendues à des prix très bas du fait des subventions dont leurs producteurs bénéficient. Depuis le début des
années 1990, le secteur est en crise, avec une tendance à la baisse de la collecte ( malgré quelques années de hausse de la
production depuis 2000) et une sous-utilisation des capacités de trituration de l’outil industriel (qui est de 900 000 tonnes). Ainsi,
la part de la filière dans les exportations du Sénégal a fortement chuté, passant de 80% dans les années 60 à environ 10%
aujourd’hui (a.n.i).
Deuxièmement, cette raréfaction de la terre a renforcé la vulnérabilité des exploitations
familiales les plus pauvres et de certaines catégories d’acteurs pour qui l’accès à la terre est
devenu plus difficile. Les conséquences d’une telle situation sont quelquefois dramatiques car
ayant poussé plusieurs exploitations familiales peu pourvues en ressources à une
décapitalisation progressive et à un recyclage dans d’autres activités ou comme ouvriers
agricoles. Un tel phénomène est assez courant dans les zones péri-urbaines à haut potentiel
agricole. Troisièmement, les effets à long terme des politiques d’ajustement structurels et de
dévaluation du franc CFA sont très mitigés. Si pour le secteur de l’élevage, on a observé au
début de la dévaluation un certain dynamisme, le potentiel de développement d’un
important marché sous-régional de la viande et autres produits animaux a été fortement
affaibli par les importations de volailles bon marché en particulier dans les pays côtiers
comme le Sénégal. En outre, l’embellie qu’ont connu les cultures d’exportation (coton et
arachide) après la dévaluation n’a pas non plus duré car les prix incitatifs qui avaient cours
au niveau du marché mondial au début des années 90, se sont non seulement effondrés mais
la situation qui en a résulté a été surtout aggravée par les subventions européennes et nord
américaines qui ont rendu les produits africains (coton en particulier) non compétitifs.
Quatrièmement, on note un processus inexorable d’urbanisation car on prévoit que d’ici 2020
plus de 60% de la population de région ouest africaine vivra dans les villes. Une telle situation
offre à la fois des opportunités mais entraîne également des défis pour l’agriculture familiale
ouest africaine. En effet , cette croissance de la population des villes va entraîner une
augmentation de la demande de produits agricoles en particulier ceux porteurs de valeur
ajoutée comme les fruits et légumes et constitue par conséquent un marché potentiel pour les
exploitations familiales. Mais en même temps, il a été observé que dans les zones péri-
urbaines, cette croissance des villes a créé des situations d’insécurité foncière pour beaucoup
de petits producteurs, du fait d’une part de l’empiétement progressif des périmètres urbains
sur les terroirs villageois, mais également de la forte compétition pour l’accès aux terres
agricoles qui se raréfient de plus en plus.
4. Défis.
Défi technologique : le lien « vertueux » entre la technologie et les coûts de production est
bien connu. En effet, en poussant toujours plus loin les frontières de l’innovation, la
technologie permet de réduire les coûts de production, d’augmenter la productivité et ainsi
maintenir les prix à des niveaux toujours plus bas, ce qui incite à davantage innover pour
pouvoir se maintenir dans le système (Ugarte D.2005). C’est la raison pour laquelle,
parallèlement à la lutte pour l’instauration d’un système commercial plus équitable, les
exploitations familiales ouest africaines sont condamnées à engager une bataille
technologique tout aussi importante pour rester compétitives. Il est toutefois évident,
qu’elles ne pourront mener cette bataille seules, car l’amélioration des technologies dépend
en grande partie de l’environnement institutionnel et politique. Dans ce cadre, il est
important que les Etats africains mettent en place des politiques et des programmes qui
appuient la mise en place de technologies adaptées pour l’amélioration de la fertilité des sols,
sécurisent le foncier rural, facilitent l’accès aux marchés, aux intrants et aux équipements
mais également que des institutions et des infrastructures pouvant réduire les coûts de
production soient mises en place. Le défi technologique concerne également la nécessité
d’augmenter la valeur ajoutée des produits exportés en privilégiant leur transformation sur
place. Il faut cependant souligner qu’au cours des dernières années, les investissements en
faveur de l’agriculture n’ont cessé de diminuer. En effet, les apports financiers internationaux
destinés au développement agricole ont reculé de près de 40% entre 1988 et 1998. Environ 12%
seulement de l’APD totale sont consacrés au développement agricole (FIDA.2001). La prise en
compte de ce défi passe par conséquent par une augmentation de la part du budget national
alloué à l’agriculture tel que l’ont réclamé récemment les organisations paysannes lors du
forum du Dakar Agricole ( minimum de 10% du budget national à allouer l’agriculture). Mais
plus que le montant qui sera alloué, c’est la répartition équitable entre les différentes filières
et sous-secteurs qui s’avèrera encore plus critique.
Le défi organisationnel : une des principales caractéristiques de la globalisation demeure la
très forte concentration des pouvoirs entre les mains d’un nombre limité d’organisations
transnationales. Dans une telle situation, la dispersion des productions en micro-entités
renforce leur vulnérabilité. En Afrique de l’Ouest, on remarque pour s’en féliciter, que les
organisations paysannes et de producteurs ont pris conscience de la nécessité de se doter
d’organisations de représentation fortes (exemple du ROPPA) capables de formuler une vision
et dotées de capacités de négociation. Le renforcement des capacités de négociation sur les
politiques des organisations paysannes aux échelles nationales et sous-régionale est une
condition pour permettre à ces dernières d’influencer les politiques agricoles. Mais au delà de
leurs actions dans le domaine du dialogue sur les politiques, les organisations paysannes
doivent progressivement marquer leur présence dans les différentes étapes de la gestion des
principales filières.
Le défi de la reproduction du système : les difficultés que rencontre l’agriculture africaine
ont tendance à dissuader les jeunes générations à entrevoir leur avenir dans l’agriculture.
Leur rêve est plutôt tourné vers l’exploration de nouvelles sources de revenus en dehors du
secteur agricole et cette tendance se renforce d’autant plus que les valeurs de solidarité qui
constituaient le socle des agricultures familiales se trouvent plus en plus mises à rude épreuve
à cause de la globalisation des économies et des cultures. Quelles sont les stratégies à mettre
en place pour rendre l’activité agricole plus attractive ? Quelles politiques faut-il inventer
pour améliorer les opportunités d’emploi en milieu rural ? constituent autant de questions
auxquelles les organisations de producteurs et les Etats africains devront essayer de trouver
des réponses pour faire face à ce défi.
Le défi de l’intégration commerciale : il porte sur la capacité des producteurs ouest africains
à cibler en priorité la création et la consolidation d’un marché sous-régional et régional
davantage bâti sur la complémentarité que sur la compétition des économies nationales. Le
commerce agricole intra-régional reste particulièrement faible du fait de l’absence
d’infrastructures, d’institutions et de politiques viables. Or la nécessité de bâtir des cercles
commerciaux concentriques partant du niveau national vers le niveau international en passant
par les échelles sous-régionales et régionales est d’autant plus urgente qu’un marché régional
potentiel existe pour certains produits qui font l’objet d’importations sur le marché
international (mais, riz, viande entre autres). La mise en place des programmes du NEPAD
devrait à terme contribuer à prendre en charge la question des infrastructures.
4. Rôle de l’agriculture familiale dans la modernisation agricole en Afrique de
l’Ouest
Certains tenants de la thèse de la « modernisation » de l’agriculture en Afrique de l’Ouest
tendent à opposer agriculture commerciale et agriculture familiale et à présenter cette
dernière comme archaïque et frappée d’un certain immobilisme. La principale critique
formulée à l’encontre de l’agriculture familiale tient à la double incapacité des économies
ouest africaines à réduire leur dépendance envers les importations de produits alimentaires
et à maintenir leurs exportations en constante augmentation (Mortimore M 2003). Cette
situation résulte cependant davantage des politiques nationales inadaptées (le Nigeria et le
Niger s’étant à un moment donné tournés vers le pétrole et l’uranium pour obtenir des
devises, et Sénégal ayant plutôt favorisé l’importation du riz bon marché) que de l’incapacité
structurelle des exploitations familiales. La dichotomie entre ces deux formes d’agriculture
est d’autant plus artificielle que leur différence tient davantage à leur organisation ( rôle de
la main d’œuvre familiale, degré d’ancrage communautaire, système de transmission des
ressources d’une génération à une autre, etc.) qu’à leur degré d’ouverture au marché et leur
capacité de répondre aux incitations économiques. L’expérience a déjà montré que les petits
producteurs africains sont des agents économiques qui sont disposés à investir de façon
importante dans l’agriculture si les conditions à la fois politiques et institutionnelles (accès
aux crédit, sécurité foncière, marché, infrastructures, etc.) sont réunies. C’est la raison pour
laquelle, le lien entre ces deux formes d’agriculture doit davantage être perçu sous l’angle de
la complémentarité que de l’exclusion.
Pour des raisons qui tiennent à la fois du bon sens politique et de la logique économique, il est
difficile voire impossible d’entrevoir le développement viable du secteur agricole en Afrique
sans s’appuyer sur les exploitations familiales qui doivent en constituer le moteur. Il est en
effet irréaliste et inéquitable de vouloir exclure plus de 60% des acteurs du secteur dans le
choix et la mise en œuvre des options en matière de développement agricole. Toutefois, pour
que l’agriculture familiale puisse jouer pleinement son rôle de moteur du développement de
l’agriculture et de la croissance économique des pays de la sous-région, la mise en place de
politiques nationales et régionales axées sur le renforcement des exploitations familiales est
nécessaire. La politique agricole vise à aborder un vaste éventail d’objectifs, tels qu’accroître
la productivité agricole et contribuer à la sécurité alimentaire, réduire la pauvreté et
améliorer les moyens d’existence des producteurs ruraux, augmenter les capacités à rivaliser
avec les produits agricoles importés, diversifier les exportations agricoles, gérer l’exploitation
durable des ressource naturelles (sols, eau, forêts, pacage) dont l’agriculture dépend, ainsi
qu’assurer un mode de développement équilibré sur l’ensemble du territoire national
(Gouvernement sénégalais, 2003). La baisse de la performance du secteur agricole tient en
grande partie à son faible niveau de développement technologique constaté au cours des 2O
dernières années. En effet, les politiques d’ajustement structurel avec le désengagement de
l’Etat de la fourniture du monde rural en intrants et équipement et le renchérissement des
coûts de ces derniers suite à la dévaluation du franc CFA en 1994 ont eu pour effets combinés,
de réduire progressivement le niveau d’équipement des paysans (à l’exception de ceux
évoluant dans quelques filières d’exportation comme le coton et le cacao). Au Sénégal, la
chute des rendements de l’arachide de 25-30% entre 1990 et aujourd’hui serait
essentiellement due à une baisse de la qualité des semences et des programmes de
distribution pas assez efficaces, ainsi que des itinéraires techniques de moins en moins bien
respectés (retard dans les semis, faible utilisation d’engrais). L’une des raisons de la
désaffection des paysans pour l’arachide semble donc être la suppression des services
d’encadrement agricole, avec la libéralisation de la filière qui s’est traduite notamment par la
suppression des subventions aux intrants et au matériel agricole, le renchérissement du crédit
(a.n.i) .
Toutefois tant que les conditions d’un commerce équitable ne seront pas créées au plan
international, les efforts qui seront prises aux échelles nationale, sous-régionale et régionale
pour promouvoir des politiques agricoles viables ne produiront pas les effets escomptés.
6. Résumé des principales tendances de l’agriculture pour les 10-20 années à venir
• Il est peu probable que la demande de produits alimentaires de base fléchisse, étant
donné les taux actuels de croissance démographique et les préférences alimentaires,
déterminées tant par la culture que par la pauvreté.
• Les politiques et stratégies agricoles nationales sont d’importants facteurs qui influent
sur la direction et la forme empruntées par le secteur agricole. D’autres mesures
d’orientation nationales ont de fortes répercussions sur les performances futures du
secteur agricole, notamment les réformes de la législation et de l’administration
foncières.
• Les défis liés à l’environnement constituent une menace potentielle pour une croissance
continue de la production agricole.
• Les niveaux croissants de pression démographique, particulièrement à proximité des
grandes villes, aggraveront la raréfaction des terres et l’accroissement de leur valeur.
• La composition de la production agricole ouest-africaine doit continuer à évoluer en
fonction de l’émergence de nouveaux débouchés pour certains produits et du déclin des
revenus procurés par d’autres produits.
• Les nouveaux créneaux peuvent offrir des alternatives prometteuses à travers des
initiatives liées au commerce équitable, organique ou éthique.
• L’impact futur des marchés mondiaux sur les mesures d’incitation économiques liées à
l’agriculture ouest-africaine dépendra du succès des négociations auprès de l’OMC et du
désir d’améliorer les prix à la production, y compris des mesures visant à protéger le
secteur agricole, le cas échéant.
• L’agriculture d’exportation a été promue comme le meilleur moyen d’échapper à la
stagnation économique dans les pays africains. Mais cette stratégie est-elle rationnelle
dans le contexte d’un déclin à long terme des conditions commerciales des produits
tropicaux de base ? Une pression à la baisse sur les prix du marché mondial n’est-elle pas
inévitable si tous les pays poursuivent la même politique d’expansion des exportations
agricoles
7. Quelques questions de discussions
• Quelle vision les producteurs et les décideurs politiques ont-ils du futur de l’agriculture
familiale dans un contexte de globalisation ? Quels doivent être les principaux piliers du
renforcement de la performance de l’agriculture familiale.
• Quelles sont les politiques et les stratégies à mettre en place par les Etats ouest africains
et les organisations paysannes et de producteurs pour développer le commerce agricole
intra-régional ? Quelles formes de complémentarités bâtir entre les différents pays ?
• Quelles sont les niches potentiellement porteuses de croissance et de valeur ajoutée et
moins vulnérables aux conditions actuelles du marché international sur lesquelles on
pourrait bâtir une nouvelle stratégie de diversification agricole ?
• Quelles stratégies mettre en place pour réduire la forte dépendance des producteurs
africains de certains produits d’exportation fortement affectés par les subventions
européennes et nord américaines ?
• Sur quels axes prioritaires devraient porter une augmentation des investissements publics
en faveur de l’agriculture en Afrique de l’Ouest ?
• Dans l’hypothèse d’un règlement tardif de la question des subventions agricoles, quels
pourraient être les scénarii de sortie de crise ?
• Est-il possible d’entrevoir le futur de l’agriculture ouest africaine sans le coton ?
l’arachide ? le cacao ? entre autres ? Quelles seraient les solutions alternatives ?
Références bibliographiques