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371
POUVOIR ET COMMERCE :
L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
AVEC LA RDC ET LE SOUDAN
par Kristof Titeca
traduction par Guy Steimes
Titeca, K. ‘Pouvoir et commerce : L’Ouganda et le commerce
transfrontalier avec la RDC et le Soudan’ In: Marysse, S., Reyntjens,
F. and S. Vandeginste, L’Afrique des Grands Lacs: annuaire 2009-
2010. Paris, Harmattan : 371-404.
372 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
Carte d’Ouganda
Abstract
This study describes the evolution of cross-border trade between NW Uganda, NE
Congo and Southern Sudan since the 1980s. It focuses on the trade between Ariwara market,
DRC, the town of Arua, Uganda, and Yei/Juba, Sudan. There are frequent contacts between
them, so that they form a political and economical entity, which nevertheless has undergone
strong changes since the 80s. The evolution of this cross-border trade can be compared to a river
that constantly adapts to changing circumstances. External circumstances like security (in war or
peace) or price differences (because of state politics) have had a profound impact on these
regional exchanges. Southern Sudan (especially Juba but Yei as well) is considered as the central
hub because big profits can be made in trade with that region. Ugandan traders have occupied a
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
373
central place in this regional trade since the 80s. The Congolese border market of Ariwara is a
warehouse for goods smuggled into Uganda. Secondly, Congolese goods have become very
important for the Ugandan economy, coffee being the first export product and gold the third.
Thirdly, it is explained how the central role and the matching profits of the Ugandans in cross-
border trade leads to very bad relations with Ugandan traders in the Sudan and the RDC.
1. INTRODUCTION
Dans son article de 2008 de cet Annuaire, Dan Fahey a comparé le
commerce des minéraux et autres ressources naturelles avec une rivière qui se
modifie constamment : « Une rivière réagit aux obstructions naturelles en
creusant de nouveaux canaux et réagit aux diversions anthropogéniques en
suivant de nouveaux sentiers vers de nouvelles destinations. Une rivière
connaît aussi des basses eaux et des périodes de crues. Une rivière calme peut
faciliter le commerce et le développement mais une rivière rageuse peut être
destructrice et mortelle. »
1
La même métaphore peut être utilisée pour décrire
les modèles généraux régionaux du commerce transfrontalier selon les régions :
les modèles commerciaux transfrontaliers changent en réaction à des incitants
extérieurs tels que la sécurité (conflit et paix) ou les politiques étatiques (qui
ont un effet sur le prix). Tels la rivière, ils peuvent trouver de nouveaux sentiers
pour atteindre leurs destinations, ou peuvent simplement cesser d’aller vers une
certaine destination. Cet article va décrire l’évolution du commerce
transfrontalier entre le nord-ouest de l’Ouganda, le nord-est du Congo et le sud
du Soudan depuis les années quatre-vingt. En particulier, il s’attachera au
commerce entre le marché de Ariwara au nord-est du Congo, la ville d’Arua au
nord-ouest de l’Ouganda et Yei/Juba au sud du Soudan. Il existe des contacts
intenses entre ces différentes zones, qui constituent de facto une zone politique
et économique. Cette zone a cependant subi des modifications profondes
depuis les années quatre-vingt, modifications que le présent article va tenter de
décrire.
La métaphore de la rivière suggère que le cours de l’eau – le flux
commercial, c’est-à-dire les actions des commerçants – a été influencé
seulement par des évènements extérieurs (tel un conflit ou des accords de paix)
et que cela laisse les commerçants et le flux commercial totalement dépendants
de forces extérieures incapables d’influencer le résultat du commerce. En
d’autres termes, la métaphore de la rivière situe les relations de pouvoir hors de
portée du flux commercial, c’est-à-dire qu’elle occulte les relations de pouvoir
et de profit entre les différents commerçants. Le présent article veut s’attacher
d’une façon particulière aux relations de pouvoir entre les différents
commerçants transfrontaliers nationaux. On décrira la façon dont les
commerçants ougandais exerçant un pouvoir significatif sur les autres
commerçants pendant les années quatre-vingt, avaient une position centrale
dans ce commerce. Pour cette raison une question centrale est de savoir si, dans
1
FAHEY, D., “Le fleuve d’or: the production and trade of gold from Mongbwalu, DRC”,
L’Afrique des Grands Lacs. Annuaire 2007-2008, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 357.
374 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
le commerce transfrontalier qui a profondément changé, les commerçants
ougandais détiennent toujours la même position.
Voici le plan qui sera suivi : une première partie décrit le contexte
général du commerce transfrontalier concerné. On y décrira comment les trois
zones nationales (le nord-est de la RDC, le nord-est de l’Ouganda et le sud du
Soudan) présentent de fortes similitudes et comment ce commerce y est
fortement ancré, un processus qui a culminé dans un intense commerce
régional dans les années quatre-vingt. Ce commerce, qui a été décrit par Kate
Meagher en 1990
2
, a servi de modèle au commerce transfrontalier au cours des
décennies suivantes. Pour cette raison il constitue un bon point de départ pour
comparer les étapes ultérieures du commerce transfrontalier. Dans la seconde
partie on décrira le modèle actuel de commerce entre le nord-est du Congo et le
nord-ouest de l’Ouganda, avec une attention particulière au commerce entre
Ariwara et Aria, qui est au cœur du commerce régional plus étendu. Une
troisième partie décrira le commerce avec le sud du Soudan : après l’Accord de
paix global (APG) au Soudan, un trafic transfrontalier intense a commencé
avec le sud du Soudan : après plus de deux décennies de guerre civile, la zone
est un marché vierge avec une demande majeure pour un large éventail de
biens. En d’autres termes, il y a de grands bénéfices à réaliser en en faisant un
nouveau point central dans le trafic régional. En décrivant le trafic entre les
trois zones, et en analysant les biens spécifiques qui y sont négociés, le présent
article vise deux tâches : premièrement, montrer comment le flux du commerce
– la ‘rivière’ – a changé, et en deuxième lieu, analyser la situation pour voir si
les trafiquants ougandais détiennent toujours une position centrale dans le
commerce régional.
2. CONTEXTE DU COMMERCE RÉGIONAL
Cette section va décrire comment les trois zones différentes ont de
multiples similitudes qui ont contribué au développement du commerce
transfrontalier dans la région.
En premier lieu, toutes ces zones ont, à des degrés divers, été secoués
par des conflits pendant les trente dernières années. Ceci a engendré un fort
mouvement de réfugiés dans la région, ce qui a joué un rôle dans le
développement du commerce transfrontalier. Pendant les différentes phases des
conflits, les réfugiés des différentes zones ont toujours cherché un refuge au-
delà des frontières respectives. Quand Idi Amin a été chassé du pouvoir en
1979, la population du Nil occidental (West Nile) a craint une vengeance et a
fui vers l’est du Congo et le sud-Soudan, où la plupart d’entre eux sont restés
jusqu’au milieu des années quatre-vingt
3
. Similairement, les guerres civiles au
Soudan ont obligé beaucoup de Soudanais à fuir vers le nord de l’Ouganda, où
2
MEAGHER, K., “The hidden economy: informal and parallel trade in Northwestern Uganda”,
Review of African Political Economy, Vol. 17, No. 47, 1990, pp. 64-83.
3
GERSONY, R., The Anguish of Northern Uganda, submitted to the US Embassy, Kampala and
USAID mission, Kampala, August 1997, pp. 72-74.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
375
ils sont restés jusqu’à récemment : après la signature de l’Accord de paix
global en 2005, les réfugiés soudanais ont lentement commencé à rentrer chez
eux. Dernièrement, des Congolais de l’Est avaient aussi fui en Ouganda
pendant les phases successives du conflit.
Les réfugiés ont joué un rôle important dans le développement du
commerce parallèle, un processus qui est décrit par Meagher (1990).
4
Les
réfugiés ougandais sont derrière le développement du marché d’Ariwara : ce
marché commence aux environs de la guerre de 1979, quand le grand nombre
de réfugiés ougandais ont développé le petit marché initial, devenu très vite le
centre régional pour l’activité commerciale et attirant ainsi les marchands de
l’Afrique de l’ouest et de l’est.
5
Les réfugiés ougandais, lors de leurs voyages
entre le Zaïre et le Soudan, ont échangé de grandes quantités de marchandises
et ont eu un impact important sur les activités commerciales au sud du Soudan
6
.
En bref, « leur fluidité de mouvement au-delà des frontières en ont fait la
matrice idéale pour le développement du commerce parallèle »
7
.
En deuxième lieu, le commerce transfrontalier est aussi facilité par les
interconnections ethniques entre les différentes zones frontalières : les
membres du groupe ethnique le plus important en Ouganda, les Lugbara, vivent
aussi au-delà de la frontière dans le nord-est du Congo. D’autres groupes
ethniques, comme les Kakwa, vivent des deux côtés de la frontière soudano-
ougandaise. Ces différents groupes ont déjà développé des schémas
précoloniaux de commerce : les Lugbara faisaient le commerce du fer avec le
Congo, alors que des délégations commerciales égyptiennes de Khartoum ont
fait du commerce avec le nord-ouest de l’Ouganda depuis les années 1830
jusqu’à ce jour. Ces contacts commerciaux entre Khartoum et le nord de
l’Ouganda étaient bien établis depuis le début de la période coloniale.
8
La
colonisation et l’introduction de frontières ont soudain défini le commerce
entre ces groupes comme illégal, mais bien sûr ces modèles de commerce
perdurèrent. En d’autres termes, la zone transfrontalière n’est pas un nouveau
processus, mais quelque chose qui a commencé il y a longtemps, remontant à la
période précoloniale.
En troisième lieu, la similitude la plus importante est le fait que toutes
les trois zones sont ‘périphériques’ au sein de leurs États nationaux, c’est-à-dire
très éloignées de leurs capitales respectives : ceci est particulièrement le cas
pour les régions du nord-est du Congo et du sud du Soudan, pour lesquelles
l’Ouganda est plus proche que respectivement Kinshasa ou Khartoum. Pour
cette raison les relations économiques avec (le nord de) l’Ouganda sont plus
faciles et plus étroites qu’avec leurs capitales éloignées. De même, pour le nord
de l’Ouganda, le sud du Soudan et l’est du Congo sont plus proches
physiquement que la capitale Kampala. De plus, ces trois zones sont non
4
MEAGHER, K., op. cit., pp. 64-83.
5
Idem, p. 73.
6
Idem., p. 76.
7
Ibidem.
8
Idem., p. 66.
376 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
seulement marginalisées physiquement, mais elles le sont aussi politiquement,
ayant des relations politiques difficiles avec leurs capitales respectives. Le nord
de l’Ouganda se sent marginalisé politiquement et appuie largement
l’opposition. La relation difficile et hostile entre le sud du Soudan et Khartoum
est bien connue, la longue guerre civile en étant le témoignage cruel. Dans cette
situation, les trois zones estiment chacune que leur gouvernement national ne
met pas à leur disposition les moyens nécessaires à leur développement. En
analysant la « véritable économie » du Zaïre pendant les années soixante-dix et
quatre-vingt, Janet MacGaffey
9
prétendait que celle-ci avait un sens politique.
Elle citait De Soto en avançant que cette économie est « la réponse spontanée
et créative des gens à l’incapacité de l’État à satisfaire les besoins de base des
masses appauvries »
10
. En d’autres termes, « la population brise les lois et
réglementation de l’État qu’elle rejette comme inacceptables »
11
afin de
survivre face à l’incapacité étatique. Le commerce transfrontalier à la frontière
Ouganda-RDC est perçu de la même façon par les acteurs qui y participent, à
savoir comme une forme indigène de développement qui permet à la
population dans ces frontières périphériques de « se débrouiller par elle-
même ». Traditionnellement, le gens dans ces différentes zones frontalières ont
réussi à ménager différentes opportunités offertes par la frontière afin de
survivre et/ou de constituer une richesse pour eux-mêmes. En d’autres mots, le
commerce transfrontalier a joué un rôle important en tant qu’ « économie de
débrouillardise » pour les populations respectives.
12
Ce commerce transfrontalier se passe en-dehors du cadre légal : les
traversées officielles de la frontière sont perçues comme particulièrement
coûteuses à cause du niveau élevé de taxation, ce qui réduit les profits
possibles. Une autre raison est le nombre élevé de services étatiques qui
essaient d’extorquer des pourboires aux commerçants. Par exemple, on estime
à 30 le nombre de services étatiques qui travaillent aux frontières dans la
province d’Ituri au nord-est du Congo, bien qu’officiellement seulement 4 de
ces services soient autorisées à le faire.
13
Toutes ces agences sont là pour une
9
MACGAFFEY, J., The Real Economy of Zaire, London/Philadelphia, James Currey/University
of Pennsylvania Press, 1991 ; MACGAFFEY, J., Entrepreneurs and parasites. The struggle for
indigenous capitalism in Zaire, Cambridge, Cambridge University Press, 1987.
10
DE SOTO, H., The Other Path: The Economic Answer to Terrorism, New York, Harper
Collins, 1989, p. xiv, cité dans MACGAFFEY, Entrepreneurs…, op. cit., p. 12.
11
MACGAFFEY, Entrepreneurs…, op. cit., p. 12.
12
Pugh et Cooper définissent ceci comme « une activité économique entreprise par des groupes
de population qui utilisent leurs actifs de base afin de maintenir plus ou moins le niveau de vie de
base ou de survivre en utilisant une diminution des actifs de base afin de maintenir un niveau
minimum ou au-dessous du niveau de vie minimum ». PUGH, M., COOPER, N., War
Economies in a Regional Context: Challenges of Transformation, Boulder, CO, Lynne Rienner,
2004, p. 9.
13
Le décret présidentiel du 28 mars 2002 n’autorise en théorie que les institutions suivantes:
l’Office de douanes et accises (OFIDA), la Direction générale de migration (DGM), l’Office
congolais de contrôle (OCC) et le service de l’hygiène aux frontières. RADIO OKAPI, “Ituri :
environ 30 services de l’État opèrent aux frontières”, www.radiookapi.net, téléchargé le
05/04/09.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
377
seule raison : les postes frontières sont considérés comme particulièrement
lucratifs, et une partie importante des revenus frontaliers échappe au contrôle
de l’État puisque les différents agents sont occupés à extorquer des pots de vin
aux différents commerçants. Comme ils tentent d’éviter les postes frontières,
cette situation pousse bien sûr les commerçants transfrontaliers à l’illégalité.
Ceci n’est pas seulement le cas pour le nord-est du Congo, mais aussi pour le
sud du Soudan et (dans une moindre mesure) pour le nord de l’Ouganda. Pour
cette raison, Pugh et Cooper utilisent le terme « économie de l’ombre »
(shadow economy) dont « les objectifs peuvent être économiques plutôt que
militaires, mais dont les logiques dépendent de problèmes économiques et de
possibilités offertes par l’érosion de l’autorité de l’État. »
14
Tous ces processus ont culminé au début des années 1980, qui a été
une période d’interaction transfrontalière particulièrement intense : comme
décrit ci-dessus, la guerre de 1979 avait poussé les réfugiés ougandais vers l’est
du Congo, ce qui a amené le développement du marché d’Ariwara. Ceci a
engendré un intense commerce transfrontalier qui a été décrit en détail dans
Meagher (1990). L’article en question a mis en évidence que le fonctionnement
du marché d’Arua – et l’économie d’Arua dans son ensemble – ne pouvait être
compris sans analyser le marché d’Ariwara juste de l’autre côté de la frontière.
À Ariwara, les Ougandais, les Zaïrois et les Soudanais se rassemblaient pour
commercer ; et la base de ce commerce triangulaire était la suivante. Les
Zaïrois apportent l’or des mines du nord-est du Zaïre. Avec les revenus de l’or,
ils achètent différents biens tels les produits manufacturés ou des denrées
alimentaires apportées par les commerçants ougandais. Les Soudanais
apportent les dollars qui sont vendus pour acheter des denrées alimentaires, des
produits manufacturés, et particulièrement le café, qui est fourni par les
planteurs zaïrois et ougandais, qui passent le café en contrebande au Zaïre.
15
Les commerçants ougandais ont amené les produits manufacturés et les denrées
alimentaires provenant de Kampala, de Mombasa ou de Nairobi. Avec le
bénéfice de ces marchandises, ils achètent l’or et les dollars, qui sont fournis
respectivement par les Congolais et les Soudanais. L’or et les dollars sont à leur
tour vendus à Kampala. En dehors de ceci, les réfugiés ougandais étaient
particulièrement actifs le long de la frontière soudano-congolaise : ils
s’occupaient à acheter des produits manufacturés et des denrées alimentaires
sur le marché d’Ariwara, et les vendaient au sud du Soudan, souvent à Yei.
16
En d’autres termes, les Ougandais jouaient un rôle central dans ce commerce
transfrontalier triangulaire : ils étaient ceux qui dominaient la chaîne
14
PUGH, M., COOPER, N., op. cit., p. 9. Quand le mot « contrebande » est utilisé, il fait
référence aux actions qui font partie de cette ‘économie de l’ombre’, par exemple, le commerce
qui a lieu en dehors du contexte légal. Comme MacGaffey l’explique, c’est « parce qu’ils passent
des frontières nationales illégalement, et dépassent des tarifs, taxes de douanes ou normes
légales » : MACGAFFEY, J., op. cit., 1991, p. 19.
15
Cf. MUKOHYA, V., “Import and Export in the Second Economy in North Kivu”, in
MACGAFFEY, J. (ed.), op. cit., 1991.
16
MEAGHER, K., op. cit., pp. 74-75.
378 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
commerciale en vendant des produits manufacturés à Ariwara et en vendant
l’or (venant du nord du Zaïre) à Kampala. Autrement dit, la ressource la plus
profitable (l’or) ne profitait pas au Zaïre, mais plutôt aux commerçants
ougandais et autres commerçants étrangers. Vwakyanakazi arrive à la même
conclusion pour le commerce transfrontalier au nord-Kivu, où il constate un
« pillage systématique des ressources du nord-Kivu »
17
.
Au sein de la ville frontière d’Arua en Ouganda, ceci a eu les effets
suivants : d’une part cela a amené l’émergence d’une élite d’affaires locale qui
a réussi à continuer à accumuler de la richesse pour elle-même. Cette élite
basée à Arua a été impliquée dans les circuits commerciaux décrits ci-dessus,
qui achetait des produits manufacturés à Kampala/Nairobi/Mombasa et achetait
de l’or et des dollars avec leurs bénéfices. D’autre part cela a aussi permis aux
fermiers ougandais de vendre leur production de l’autre côté de la frontière et à
un grand nombre de chômeurs de survivre : beaucoup de jeunes gens
chômeurs, sans instruction, sans accès à la terre, sont devenus actifs dans le
commerce transfrontalier en tant que mécanisme de survie. Alors que ce second
groupe était commun à travers la frontière, le premier groupe était plus grand et
plus profitable du côté ougandais de la frontière, et particulièrement à Arua. En
d’autres termes, durant le commerce transfrontalier dans les années quatre-
vingt, les commerçants ougandais occupaient la position la plus importante : les
Zaïrois dépendaient d’eux d’une part pour l’importation des produits
manufacturés de base et d’autre part pour l’exportation de l’or. Ce qui veut dire
que les Ougandais étaient en quelque sorte ‘gardiens’ de ce commerce dans le
nord-est du Congo et qu’ils ont en même temps tiré le plus de profit du
commerce en question.
Le présent article veut décrire le commerce transfrontalier
contemporain entre le nord-est du Congo, le nord-ouest de l’Ouganda et le sud
du Soudan, avec une attention particulière portée aux dynamiques entre Arua et
Ariwara. En procédant ainsi, il veut analyser ce qui est arrivé aux dynamiques
majeures du commerce régional depuis le début des années quatre-vingt, telles
que décrites dans Meagher (1990), et il veut répondre à deux questions
importantes. En premier lieu, quel est le rôle de Arua-Ariwara dans le
commerce régional ? En deuxième lieu, les commerçants ougandais détiennent-
ils toujours la position centrale dans le commerce régional ?
Méthodologie
Pour cet article, la recherche a été menée pendant quatre mois sur le
terrain en 2008 (janvier-février et septembre-octobre), mais l’enquête se basait
aussi sur des données qui ont été récoltées pendant des périodes précédentes de
recherche sur le terrain faites entre 2005 et 2007. Les entretiens n’ont pas
seulement été menés avec des commerçants, mais aussi avec des acteurs
gouvernementaux concernés (tels les agents des douanes, les agences de
sécurité) et la population en général (les consommateurs). À certaines
occasions les commerçants ont été accompagnés par nous au marché d’Ariwara
17
MUKOHYA, V., op. cit., p.66.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
379
et aux postes frontières soudanais. Une recherche additionnelle a été effectuée
au marché d’Ariwara
18
.
Les interviews concernaient souvent des questions sensibles telles que
les pots de vin ou la contrebande de marchandises illicites. Comme j’ai fait des
recherches sur les échanges transfrontaliers à Arua pendant quelques années
(depuis 2005), j’ai réussi à établir des relations de confiance avec les acteurs
clés dans ce commerce, ce qui m’a permis d’accéder à des informations
cruciales et de faire face à ces questions sensibles. J’ai travaillé avec deux
assistants de recherche, avec qui j’avais déjà œuvré dans le passé pour mon
travail sur l’économie informelle à Arua. Ils étaient (et le sont toujours) actifs
dans l’économie informelle et le commerce transfrontalier et pour cela ont été
une grande source d’information et d’introduction auprès des gens. À part mes
assistants de recherche, j’avais un groupe d’environ sept informateurs
principaux. Hors de ce petit réseau, les interviews avec les commerçants étaient
toujours menées en présence d’un ou plusieurs de ces informateurs proches.
Leur présence faisait office de “garantie” pour les autres commerçants que rien
de fâcheux n’arriverait une fois l’information donnée. Les commerçants étaient
très ouverts à propos de leurs activités et étaient impatients de m’introduire
auprès de leurs collègues qui pouvaient me fournir plus d’informations.
La principale difficulté est qu’il n’y a aucune documentation officielle
sur le commerce transfrontalier entre l’Ouganda, le Soudan et la RDC. Chaque
chose a été vérifiée et revérifiée autant que possible avec les différents acteurs
clés impliqués. Elle était vérifiée en premier lieu avec les différents
commerçants et les officiels gouvernementaux ; et en cas d’hésitation, vérifiée
à nouveau par mes assistants de recherche entre février et juillet 2008. De la
sorte, la recherche était soumise à une révision continue.19
La nature du commerce étudié présente plusieurs défis. J’ai essayé
autant que possible d’obtenir des chiffres, afin de me faire une idée des profits
en jeu. À nouveau, tous ces chiffres ont fait partie d’une révision continuelle,
mais il peut toujours s’y glisser une (petite) erreur. Les chiffres ont aussi
constitué une indication des prix des biens et des services en janvier-février
2008, non comme les prix constants.
3. COMMERCE TRANSFRONTALIER OUGANDO-CONGOLAIS
AVEC UNE ATTENTION PARTICULIÈRE POUR ARUA-
ARIWARA
Cette deuxième partie va montrer comment le rôle d’Ariwara – et le
commerce transfrontalier dans la région en tant que tel – a évolué au cours des
18
La recherche sur le terrain a été parrainée par des subventions du Centre des États en Crise
(London School of Economics and Political Science) (janvier-février 2008) et l’Institut de
politique et de gestion du développement (Université d’Anvers) (octobre-novembre 2008).
19 MACGAFFEY, J., BAZENGUISSA-GANGA, R., Congo-Paris. Transnational Traders on the
Margins of the Law, Oxford / Bloomington, James Currey / Indiana University Press, 2000,
p. 20.
380 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
vingt dernières années. Elle procède de la façon suivante : une première
section traite des dynamiques du commerce et du marché d’Ariwara ; une
seconde traite du commerce du sucre : le sucre est l’un des nombreux produits
qui est négocié entre Ariwara (RDC) et Arua (Ouganda) ; on y souligne les
enjeux de ce commerce ; une dernière section porte sur le commerce du café et
de l’or. Comme expliqué ci-dessus, ces deux biens ont été cruciaux dans le
commerce transfrontalier pendant les années quatre-vingt ; de plus, ils donnent
une meilleure idée du rôle de l’Ouganda et de celui des négociants ougandais
dans ce commerce.
3.1. L’évolution du marché d’Ariwara : Ariwara et le commerce en
biens manufacturés
On a décrit dans l’introduction comment Ariwara a joué une rôle
central dans le commerce triangulaire ougandais-soudanais-zaïrois des années
quatre-vingt. La présence des réfugiés ougandais a été un important facteur de
développement du marché, qui est devenu un centre commercial régional. Les
relations entre les marchés d’Arua et d’Ariwara sont toujours au cœur du
commerce transfrontalier dans l’ensemble de la région : beaucoup de biens qui
sont négociés à Arua proviennent d’Ariwara. Cependant, en comparaison avec
la situation d’il y a 20 ans, l’importance du marché a fortement diminué.
Les prochains paragraphes vont décrire comment la fragmentation du
commerce transfrontalier est la raison majeure de la diminution d’importance
du marché d’Ariwara.
Tout d’abord, tout au long des années, Ariwara a perdu un peu de son
importance régionale à cause de la croissance d’autres marchés à l’est du
Congo, tels que Beni et Butembo, qui en sont venus à jouer un rôle de plus en
plus vital dans le commerce régional20. Vwakyanakazi21 décrit le commerce
transfrontalier dans le Nord-Kivu ; durant les années quatre-vingt, alors que
Raeymaekers22 décrit en détail le marché de Butembo en expansion, et
particulièrement un groupe de négociants transfrontaliers nande, le « G8 ».
En deuxième lieu, la guerre civile au Soudan a eu un impact négatif sur
le marché. Dans l’introduction, on a décrit comment, pendant les années
quatre-vingt, les commerçants soudanais venaient au marché d’Ariwara acheter
le café et vendre des dollars. La grande violence dans le sud du Soudan a eu un
impact négatif sur la participation soudanaise au commerce triangulaire : il était
trop dangereux pour les Soudanais de venir au Congo. Ceci était certainement
le cas pour le commerce du café : la plus grande partie de la demande en café
20 Cela ne signifie pas qu’Ariwara n’est plus une importante source d’alimentation, il l’est encore
pour certaines zones telles Watsa ou Isiro. Cfr. RADIO OKAPI, “Watsa. Les prix en hausse sur le
marché des biens et services », 10 octobre 2008 ; RADIO OKAPI, “Isiro. Hausse de 11 % du prix
des produits de première nécessité », 10 juin 2008, www. radiookapi.net, téléchargé le 05-04-09.
21 MUKOHYA, V., op. cit.
22 RAEYMAEKERS, T., The Power of Protection. Governance and Transborder Trade on the
Congo-Ugandan Frontier, thèse non publiée, Universiteit Gent, 2007.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
381
venait du nord du Soudan, qui était impossible à atteindre à cause de la
recrudescence de la violence.23 Plus récemment, l’Accord de paix global au
Soudan a provoqué une diminution de l’importance du marché. Beaucoup de
commerçants – ougandais et congolais – se sont déplacés vers le sud du
Soudan, car de plus grands profits pouvaient être faits là-bas, ce qui sera
montré dans la prochaine partie. La plupart des Soudanais ne sont plus venus
au marché d’Ariwara, préférant aller directement à Kampala pour acheter leurs
biens, étant donné que c’était plus facile et meilleur marché. Ceci est également
lié à la difficulté d’accès direct entre le Soudan et la RDC, et l’accès plus facile
à Kampala.
En troisième lieu, Ariwara est devenu essentiellement un marché pour
les produits manufacturés, et fait moins de commerce de denrées alimentaires.
Cet élément sera décrit un peu plus en détail parce qu’il met en évidence le
développement d’un autre élément important dans le commerce transfrontalier :
l’importance croissante de marchés aux postes frontières. Le commerce en
denrées alimentaires, qui était florissant au marché d’Ariwara dans le passé, a
en quelque sorte été repris par des marchés qui sont situés aux postes frontières.
La raison principale pour laquelle ces marchés sont venus à exister (ou se sont
développés) a été l’impact des guerres congolaises incessantes et l’insécurité,
raison pour laquelle les Ougandais ont cessé d’entrer au Congo. Les Ougandais
se sont toujours plaints du harcèlement au Congo mais ce n’est que quand le
conflit congolais a commencé qu’ils n’y sont plus entrés. D’autre part,
beaucoup de Congolais avaient fui vers la frontière ougandaise, où ils étaient
plus en sécurité qu’à l’intérieur du Congo. À la suite de cela, différents
marchés se sont développés à la frontière et les marchés frontaliers existants
sont devenus plus grands. Les marchés qui sont un peu à l’intérieur du Congo,
tel Ariwara, ont commencé à perdre le commerce de ces biens qui sont
également vendus sur les marchés frontaliers. C’est surtout le cas pour les
denrées alimentaires, dans lesquelles les marchés frontaliers sont spécialisés et
pour lesquelles Ariwara a perdu une grande part de marché. Beaucoup de
marchés frontaliers sont situés juste à côté de la frontière ougandaise (ou dans
le no man’s land entre les deux pays) et ont une version congolaise de ce
marché de l’autre côté de la frontière. Par exemple, le « marché de Kampala »,
dans le comté de Vurra (en Ouganda) à quelques 20 km de Arua, se trouve sur
la frontière avec la RDC. Du côté congolais de cette frontière il existe un
marché similaire appelé « marché de Kinshasa ». Les biens sont introduits en
contrebande en Ouganda et ensuite acheminés vers différents endroits partout
en Ouganda, tels Gulu, Lira, Arua, Kampala, Masaka ou Soroti. 24 En somme,
en raison de ces dynamiques, Ariwara a évolué vers un marché négociant
23 De petites quantités de café ont continué à être ramassées au marché frontalier de Baza à la
frontière congolo-soudanaise, mais ce n’était qu’une partie du café qui a été négocié dans les
années quatre-vingt.
24 Au total, les importations agricoles informelles de la RDC sont estimées à 8,9 millions USD.
UGANDA BUREAU OF STATISTICS, The Informal Cross-Border Trade Survey Report 2006,
Kampala, UBOS and Bank of Uganda, 2007.
382 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
essentiellement des biens manufacturés et est surnommé localement « Dubai »
pour l’abondance de marchandises qu’on y trouve comme là-bas. La principale
fonction actuelle du marché d’Ariwara est donc sa position de point de
départ/point de vente pour le commerce transfrontalier des produits
manufacturés (comme les piles, les sacs en plastique, les kithenke – pagnes
pour femmes – le sucre, l’essence25 ou les cigarettes) dans l’ensemble de la
région. La plupart des biens d’Ariwara sont introduits en contrebande en
Ouganda, un fait qui est facilité par la frontière faible et poreuse avec
l’Ouganda et la faiblesse du système douanier congolais.26 Ceci sera illustré
pour le sucre par exemple, mais il est exemplaire pour plusieurs autres biens
manufacturés.
Cela ne veut pas dire qu’aucune denrée alimentaire n’est négociée sur
ce marché, cela signifie simplement que leur importance relative a diminué,
surtout à l’avantage des marchés frontaliers ougandais. Néanmoins ces
dynamiques ont eu un impact négatif sur le marché d’Ariwara. Auparavant les
gens y allaient pour vendre leurs produits alimentaires et dépensaient aussi leur
argent en produits manufacturés. Ceci n’est plus le cas aujourd’hui. Les
Ougandais – de différents endroits tels Kampala ou Mbarara – viennent
principalement au marché d’Ariwara pour acheter des produits manufacturés
tels des kithenke ou des jeans.
3.2. L’entrepôt d’Ariwara : le sucre
Comme déjà explicité dans la section précédente, la fonction principale
d’Ariwara est d’être un point d’expédition de produits manufacturés, qui sont à
leur tour négociés dans l’intérieur du Congo ou introduits en contrebande en
Ouganda. En d’autres termes, pour les négociants ougandais, le marché
d’Ariwara lui-même et la zone autour de la ville constituent un point central
dans l’économie de l’entreposage pour l’ensemble de la région : l’existence de
ce marché permet et facilite la contrebande dans l’ensemble de la zone en
offrant un « dépôt, un point de groupage et de rediffusion, et des caches »27.
25 Pour une analyse détaillée de l’organisation du commerce du carburant dans la zone, cf.
TITECA, K., “Les Opec Boys en Ouganda, trafiquants de pétrole et acteurs politiques”, Politique
Africaine, n° 103, 2006, pp. 143-159 ; TITECA, K., VERVISCH, T., “The dynamics of social
capital and community associations in Uganda: linking capital and its consequences”, World
Development, Vol. 36, No. 11, 2008, pp. 2205-2222.
26 Un examen de haut niveau du système douanier de la RDC, par exemple, a montré comment
ces services sont caractérisés par « des pratiques et des procédures désuètes, le manque
d’infrastructures et de matériel, une bureaucratie excessive, des sureffectifs de postes, la
corruption endémique, la contrebande et l’acceptation généralisée de la faute professionnelle, tels
que les paiements de complaisance et la sous-évaluation ou la description incomplète des
marchandises. » : UNITED NATIONS, Report of the Group of Experts in accordance with
paragraph 6 of Security Council resolution 1552 (2004) of 27 July 2004, 2005, pp. 24-25. Une
analyse des perceptions du système douanier congolais par les différents acteurs congolais dans
le commerce transfrontalier est fournie par OBSERVATOIRE GOUVERNANCE ET PAIX, Congo :
Poches Trouées. Province du Sud Kivu : flux et fuite des recettes douanières, Bukavu, 2006, pp.
57-65.
27 ROITMAN, J., “The Garrison-Entrepôt”, Cahiers d’Études Africaines, vol. 38, 1998, p. 304.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
383
À l’origine beaucoup de biens qui sont vendus à Arua viennent
d’Ariwara, qui sert de ‘point de distribution’ pour le commerce transfrontalier
dans l’ensemble de la région : les biens qui viennent de Kampala ou du Kenya
(qui à leur tour sont des marchandises venant de marchés internationaux
comme Dubaï) sont acheminés vers Ariwara, d’où ils sont négociés vers Arua.
À partir d’Arua, ces biens sont distribués en d’autres endroits en Ouganda et au
sud du Soudan. Ceci concerne particulièrement les biens manufacturés mais
nous mettrons ici l’accent sur le sucre, car le commerce de ce produit est
exemplaire pour le commerce de tous les produits manufacturés dans la région.
La plus grande partie du sucre négocié et consommé à Arua est du
sucre de contrebande. Une partie importante de ce sucre est produite près de
Kampala par les producteurs du pays (Kinyara Sugar Works, Kakira and Sugar
Corporation of Uganda-Lugazi), mais exportée à Ariwara au Congo. Une
certaine quantité de ce sucre est négociée à l’intérieur du Congo et une autre est
réintroduite en contrebande en Ouganda. D’autres exportations de sucre suivent
la même route commerciale : le sucre d’Afrique du Sud et du Swaziland est
exporté au Congo/Ariwara et puis introduit en contrebande en Ouganda. Le
sucre est acheté à Ariwara à 70.000 UGX (33 USD) le sac de 50 kg et puis
introduit en contrebande en Ouganda où il est vendu entre 80.000 et 90.000
UGX (37-42 USD) au détail.28 Ceci est moins cher que dans le reste de
l’Ouganda, où un sac de 50 kg coûte entre 96.000 et 98.000 UGX (45-46
USD). En d’autres mots, cela conduit à une situation assez paradoxale dans
laquelle le sucre est beaucoup plus cher dans sa zone de production (sud de
l’Ouganda) que dans le nord de l’Ouganda, où il est introduit en contrebande.
On estime que tous les jours 40.000 kg de sucre sont passés en
contrebande à Arua sur des bicyclettes par les transporteurs qui font passer le
sucre en sacs de 50 kg. À partir d’Arua, le sucre est distribué dans tout le Nil
occidental et le nord de l’Ouganda : des 40.000 kg, seul un quart est pour la
consommation locale, les 30.000 kg restant sont négociés dans l’ensemble de la
région. À cause de la capacité de production limitée du sucre ougandais ou en
raison de problèmes techniques, il y a parfois des pénuries de sucre (ougandais)
en Ouganda. L’Ouganda ne permet pas la vente de sucre d’exportation en vue
de promouvoir son industrie nationale du sucre. En cas de pénurie, le sucre
d’exportation (sud-africain et swazilandais) est aussi introduit en contrebande
de la RDC vers l’Ouganda.
En 2007, pendant la fermeture d’une des usines de fabrication du sucre
pour raison d’entretien technique de l’appareil de production, il y a eu une
pénurie de sucre (ougandais) en Ouganda. Dans tout l’Ouganda les prix avaient
fortement augmenté tandis que les prix à Arua étaient restés stables en raison
de l’approvisionnement régulier de sucre (illégal) en provenance de la RDC. En
conséquence, le sucre a été distribué à partir d’Arua à d’autres régions de
28 Une taxe d’importation de 100 %. Les taxes suivantes sont éludées : un droit d’importation de
100 %, un droit d’excès de 50 UGX / kg, la TVA de 18 % et une retenue d’impôt de 6 %.
384 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
l’Ouganda.
Comme presque tout le sucre à Arua est introduit en contrebande, une
saisie massive de l’administration fiscale a une incidence sur le prix. Si les
autorités fiscales exercent un contrôle strict à la frontière, il est plus difficile de
faire passer le sucre, ce qui fait que son prix augmente en ville. Cependant il ne
s’agit que d’une légère hausse, car il est impossible pour les autorités de
contrôler toutes les routes de la contrebande : rien que dans le district d’Arua, il
y a entre 150 et 200 routes de contrebande (routes panya). Le prix va surtout
augmenter dans le cas où des gros camions ou du sucre de contrebande ont été
saisis. Pour cette raison le prix va seulement monter de 100-200 UGX et restera
inférieur dans le reste de l’Ouganda.
Comme dit ci-dessus, ce commerce illégal, basé sur l’évasion de taxes
à l’importation/exportation, n’est pas seulement spécifique pour le sucre, mais
est exemplaire pour le commerce général en biens manufacturés (comme les
piles, l’huile de cuisson, les cigarettes, etc.) entre Ariwara et Arua. Sur le
marché d’Ariwara, la plupart des bénéfices réalisés concernent les
marchandises de contrebande en Ouganda, où les marchandises fraudées (qui
ne paient aucune taxe) peuvent entrer en concurrence avec des produits qui ont
à payer des impôts ougandais. Au Congo, les taxes doivent être payées aux
autorités locales, et donc moins de profits sont réalisés. Ce sont surtout les
commerçants ougandais qui introduisent des marchandises en fraude en
Ouganda et qui par conséquent en retirent tous les bénéfices. La participation
des commerçants congolais est ici très réduite, c’est-à-dire que, s’ils
participent, ce sera en étroite collaboration avec les négociants ougandais qui
vont en retirer les bénéfices. Autrement dit, les commerçants ougandais
réussissent à contrôler une chaîne commerciale importante : à partir de l’arrivée
du sucre au Kenya (Mombasa/Nairobi) jusqu’à son stockage intermédiaire à
Ariwara et enfin quand il est vendu à Arua. Bien que cette chaîne traverse la
RDC, elle est principalement contrôlée par les Ougandais qui, pour cette raison,
en retirent, nous l’avons dit, le plus de bénéfices. En somme, pour les
négociants congolais, le marché d’Ariwara est utilisé pour vendre au détail et
pour vendre à l’intérieur du Congo, alors que les commerçants ougandais
utilisent le marché comme entrepôt pour introduire des marchandises en fraude
en Ouganda.
3.3. Le café
Une dernière marchandise dont il sera question est le café. Encore une
fois la micro-histoire de ce bien nous en apprend plus sur les grandes relations
commerciales entre Arua et Ariwara, le nord-est du Congo et l’ouest de
l’Ouganda en général.
Dans l’introduction, on a expliqué comment, pendant les années
quatre-vingt, le café était introduit en fraude de l’Ouganda au Congo (et au
marché d’Ariwara en particulier) car un prix beaucoup plus élevé était offert au
Congo. En 1988, par exemple, le prix à Ariwara était deux fois celui de
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
385
l’Ouganda29, ce qui était bien sûr une forte incitation à la contrebande.30 Ce
commerce lucratif a cessé après les mesures de libéralisation de l’Ouganda en
1994. La commission de commercialisation du café dans ce pays a été
supprimée, après quoi le prix ougandais est devenu plus élevé que le prix
congolais. Par conséquent, le café congolais a été négocié du Congo en
Ouganda à partir de 1994. Le gouvernement ougandais soutient fortement ses
exportations de café ougandais. Dans cette logique, le café entré en
contrebande de la RDC en Ouganda est profitable pour ce dernier : une fois que
le café y est entré, il devient ougandais ; en tant que tel ce café congolais fraudé
est transformé en Ouganda et exporté en tant que café ougandais.31 Cependant,
en lui faisant perdre des revenus, cette opération est préjudiciable pour la
RDC : en théorie, l’Office zaïrois du café (OZACAF) a le monopole sur toutes
les exportations de café et, à ce titre, devrait acheter tout le café produit par les
fermiers. Néanmoins, également du côté congolais, pratiquement aucun
contrôle n’est effectué sur les échanges transfrontaliers, étant donné que les
procédures et les documents pour les exportations de café ne sont pas vérifiés.
Mais ceci est davantage le reflet de l’incapacité de l’État à le faire, plutôt que
d’une préoccupation nationale au sujet de la perte de la richesse. Pour cette
raison les Congolais planteurs de café préfèrent généralement les pays voisins
(pas seulement l’Ouganda, mais aussi le Rwanda et le Burundi pour le Sud-
Kivu), qui offrent de meilleurs prix. Selon un rapport congolais sur le
commerce transfrontalier, « presque tout le café est commercialisé sur le
marché noir »32 des pays voisins. En ce qui concerne l’Ouganda, le café est soit
passé en contrebande à la frontière, soit commercialisé à un marché frontalier,
où l’acheteur transporte le café de l’autre côté de la frontière. Particulièrement
le marché de Paida (à la frontière entre l’Ouganda et la RDC) à Nebbi est bien
connu pour son commerce de café. Ce processus s’est aggravé après le conflit
dans le nord-est du Congo. Un rapport de l’International Crisis Group33 décrit
comment les plantations de café et les firmes locales responsables de sa
commercialisation ont été détruites par les groupes armés locaux, obligeant les
fermiers et les négociants à vendre leurs biens aux commerçants ougandais
avec lesquels ces groupes armés collaboraient à des prix fixés par ces derniers.
Par exemple, le rapport de 2006 du groupe d’experts des Nations unies rapporte
la façon dont le Front des nationalistes intégrationnistes (FNI), dirigé par Peter
Karim, exportait illégalement du café et du bois en l’Ouganda, en échange
d’armes et de munitions.34
29 MEAGHER, K., op. cit.
30 Cf. MUKOHYA, V., op. cit.
31 Interview d’un agent de la Bank of Uganda, le 13 février 2008 ; interview d’un agent agricole
provincial, le 20 février 2008.
32 OBSERVATOIRE GOUVERNANCE ET PAIX, op. cit., pp. 45-46.
33 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, Congo : quatre priorités pour une paix durable en Ituri,
Rapport Afrique n° 140, 13 mai 2008, p. 18.
34 UNITED NATIONS, Rapport du groupe d’experts créé par la résolution 1533 (2004) concernant
la République démocratique du Congo, Conseil de sécurité, 18 juillet 2006, UN S/2006/525,
paras. 179 à 182, cité dans INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., p. 14.
386 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
En ce qui concerne l’or, il existe un processus similaire en cours. On
estime que 10 tonnes quittent la RDC annuellement, et seulement 10 % de
celles-ci sont enregistrées comme exportations.35 En ce qui concerne
l’Ouganda, la plus grande partie de l’or y entre illégalement : les statistiques
officielles d’importation ougandaises font apparaître peu d’or importé et pas
d’or en transit.36 Par exemple le propriétaire de Uganda Commercial Impex
Limited, une société qui a reçu le Prix présidentiel de l’exportation, a dit
comment « l’or qu’il achète est en effet sorti clandestinement de la RDC et n’a
aucun certificat officiel » 37. À partir du moment où l’or congolais illégal entre
en Ouganda, il est ‘légalisé’ puisque les négociants ne demandent aucun
document concernant l’or ; de ce fait ils « considèrent l’or comme si c’était une
marchandise de transit, remplissant les formulaires douaniers et autres
documents nécessaires à l’exportation légale de l’Ouganda et acceptable sur le
marché mondial non réglementé »38. En agissant de la sorte, les négociants
reprennent la tâche des agences en douane, qui sont assez laxistes dans
l’application de la loi relative à l’importation et à l’exportation de l’or.39 On
estime qu’une moyenne de 30 kg d’or par semaine quitte le marché d’Ariwara
(100 kg pour la région de l’Ituri dans son ensemble).40
En plus de cela, l’armée ougandaise a pris le contrôle direct du
commerce de l’or dans certaines parties de l’est du Congo de 1998 à 2003 :
l’implication de l’armée ougandaise dans l’extraction des ressources naturelles
telle que l’or a été largement décrite.41 Après que l’armée ougandaise a quitté
l’est du Congo, elle continua a être impliquée dans le commerce de l’or
pendant un certain temps grâce à l’utilisation d’intermédiaires comme les
Forces armées du peuple congolais (FAPC), dirigées par le commandant
35 DEPARTMENT FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT, Trading for Peace. Achieving security and
poverty reduction through trade in natural resources in the Great Lakes area, October 2007,
p. 17, téléchargé de www.dfid.gov.uk le 01-08-08.
36 Ceci est contesté par la commission Porter du gouvernement de l’Ouganda, qui affirme que la
proportion de l’or extraite en Ouganda est incertaine, étant donné que 90 % des activités minières
artisanales et à petite échelle se déroulent en dehors du cadre juridique du gouvernement
(FAHEY, D., op. cit., parlant de REPUBLIC OF UGANDA, Judicial Commission of Inquiry into
Allegations into Illegal Exploitation of Natural Resources and Other Forms of Wealth in the
Democratic Republic of Congo 2001, November 2002, pp. 111-113). Selon Fahey, il est
cependant clair que la grande majorité des exportations d’or de l’Ouganda sont originaires du
Congo, compte tenu de la production d’or insignifiante de l’Ouganda.
37 Noté dans : MBANGA, J., “Smuggled gold source of Uganda exports”, Weekly Observer, 24
November 2005.
38 HUMAN RIGHTS WATCH, The curse of gold, 1 June 2005, p. 106.
39 Ibid., pp. 107-108.
40 Section Comptoirs d’achat d’or, FEC/Ituri, cité dans : TEGERA, A., JOHNSON, D., “Rules
for sale: Formal and informal cross-border trade in Eastern DRC”, Regards Croisés, Revue
Trimestrielle, n° 19 bis, Pole Institute Report, mars 2007, p. 99.
41 UNITED NATIONS, Report of the Group of Experts in accordance with paragraph 6 of Security
Council resolution 1552 (2004) of 27 July 2004 ; HUMAN RIGHTS WATCH, “Uganda in Eastern
DRC: Fuelling political and ethnic strife”, Vol. 13, No. 2, March 27, 2001 ; HUMAN RIGHTS
WATCH, The curse of gold, op. cit. ; RENO, W., “Uganda’s politics of war and debt relief”,
Review of International Political Economy, Vol. 9, no. 3, August 2002, pp. 415-435.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
387
Jérôme Kakwavu, qui a été actif dans la région jusqu’au début de 2005.42 En
novembre 2005, le Conseil de sécurité des Nations unies a inclus des Congolais
et des nationaux ougandais sur sa liste des accusés pour violation de l’embargo
du Conseil de sécurité sur les armes et pour avoir prêté assistance au FAPC –
cette assistance comprenait une forte implication dans le négoce de l’or.
Cependant aucune sanction n’a été prise par les autorités congolaises ou
ougandaises contre ces individus.43 Comme on le verra dans la section
consacrée au commerce du bois, l’engagement des autorités ougandaises dans
l’exploitation des ressources naturelles a engendré des attitudes résolument
hostiles à l’égard des Ougandais dans l’est de la RDC.
3.4. Conclusion : le commerce Arua-Ariwara
Cette section a montré l’importance des négociants ougandais – et de
l’État ougandais en général – dans le commerce transfrontalier entre l’Ouganda
et la RDC.
Tout d’abord, on a montré comment le rôle du marché d’Ariwara a
évolué au fil des ans : il est devenu essentiellement un marché pour les produits
manufacturés plutôt que pour des denrées alimentaires. C’est un point
particulièrement crucial dans le commerce transfrontalier lucratif avec
l’Ouganda : le marché d’Ariwara est utilisé comme un dépôt, d’où les
marchandises sont introduites en contrebande en Ouganda. Comme ces
produits de contrebande n’ont payé aucune taxe ougandaise, ils procurent
beaucoup de bénéfices. C’est la fonction la plus rentable du marché d’Ariwara
(c’est-à-dire plus que les ventes au détail ou les ventes en gros à l’intérieur de
l’État congolais), mais les bénéfices de cette économie d’entrepôt sont
monopolisés par les commerçants ougandais.
Deuxièmement, l’Ouganda tire beaucoup d’avantages du commerce du
café et de l’or congolais. Les planteurs de café et les commerçants congolais
font plus de bénéfice en vendant leur café en Ouganda que dans la République
démocratique du Congo, ce qui conduit à des pertes importantes pour celle-ci.
Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais il reflète les constatations
précédentes de Meagher44 and Vwakyanakazi45 sur le commerce transfrontalier
dans l’Est du Congo au cours des années quatre-vingt.
4. LE COMMERCE AVEC LE SOUDAN APRÈS L’ACCORD DE
PAIX GLOBAL
L’Accord de paix global au Soudan de 2005 a eu un impact profond
sur le commerce transfrontalier régional : en raison de la guerre civile, le Sud-
Soudan est largement resté un marché vierge pendant plus de 2 décennies
42 HUMAN RIGHTS WATCH, The curse of gold, op. cit.
43 FAHEY, D., op. cit.
44 MEAGHER, K., op. cit.
45 MUKOHYA, V., op. cit.
388 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
(1983-2005) – la durée de la guerre civile. Pour cette raison, l’arrivée de la paix
a donc créé une énorme demande pour une grande variété de marchandises. Au
cours de la guerre civile, la région a été coupée des grandes routes
commerciales : en raison de l’insécurité, il n’etait tout simplement pas possible
de faire des échanges à grande échelle avec le Sud-Soudan. En outre, après des
années de guerre civile et la destruction des infrastructures, il y a un grand
effort de reconstruction en cours dans le pays. Pour cette raison, il y a une forte
demande pour toutes sortes de matériaux de construction tels que les tôles en
fer, le ciment ou le bois. Enfin, il a été impossible de faire des activités
agricoles à grande échelle pendant la guerre. C’est seulement après l’accord de
paix que ces activités agricoles ont repris. Il y a donc une forte demande pour
les produits agricoles dans le sud du Soudan. Cette forte demande, combinée à
des liens relativement peu développés avec le monde extérieur, signifie qu’il y
a de grands profits à faire dans le commerce avec le Sud-Soudan.
Les sections suivantes vous montrer comment ce sont surtout les
négociants étrangers, et notamment les commerçants ougandais, qui profitent
de ce commerce. Cela engendre des sentiments particulièrement hostiles à
l’égard des opérateurs économiques ougandais, à la fois en RDC et en
Ouganda. Tout d’abord, il sera montré comment on peut faire des profits
substantiels avec les produits manufacturés et les denrées alimentaires. Ensuite,
une plus grande attention sera consacrée au commerce du bois : l’effort de
reconstruction dans le Sud-Soudan a créé une grande demande pour ce
matériau. Le bois est souvent acheté dans l’Est du Congo, transporté à travers
l’Ouganda et vendu au Sud-Soudan. Il est donc un bon exemple des enjeux du
commerce transfrontalier régional.
4.1. Commerce régional général avec le Sud-Soudan
Cette section explicite comment il y a de gros bénéfices à réaliser dans
le commerce transfrontalier avec le Sud-Soudan. Pour illustrer ce fait nous
présentons d’abord quelques exemples. Tous les bénéfices indiqués sont de
janvier-février 2008, lorsque l’étude de terrain a été réalisée. En ce qui
concerne le commerce dans le Sud-Soudan, il y a deux possibilités : les
marchandises peuvent être achetées au Kenya (Mombasa / Nairobi) et
acheminées directement vers le Soudan ; ou les marchandises peuvent être
achetées en RDC (Ariwara ou les différents marchés frontaliers), passées en
contrebande en Ouganda (Arua) et ensuite emmenées au Soudan.
La première catégorie de marchandises est achetée soit à Kampala soit
au Kenya (Mombasa ou Nairobi), puis vendue au Soudan. Par exemple, un
carton de savon ougandais est directement exporté vers le Soudan : le prix
d’achat est de 18.000 UGX, le prix de vente de 33.000, ce qui donne une marge
brute de 15.000 UGX (7 USD). Un ballot de chemises deuxième main pour
homme est acheté à 280.000 UGX à Kampala et vendu à 500.000 UGX à Juba,
ce qui signifie un profit brut de 230.000 UGX (107 USD).
La deuxième catégorie de produits est achetée en RDC et puis
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
389
commercialisée au Soudan, via l’Ouganda. Ceci concerne principalement les
denrées alimentaires : un grand nombre de denrées alimentaires consommées
dans le nord-ouest de l’Ouganda sont originaires du nord-est du Congo.
Comme expliqué ci-dessus, ces denrées alimentaires ne sont plus achetées à
Ariwara, mais aussi et surtout sur les marchés frontaliers : les agriculteurs et les
négociants congolais y viennent vendre leurs produits alimentaires. Depuis
l’Accord de paix global, les commerçants ougandais les achètent non
seulement pour la consommation locale, mais aussi pour les revendre au
Soudan. Par exemple, cent kg de haricots sont achetés en RDC à 100.000 UGX
et vendus 170.000 UGX à Juba, soit une marge brute de 70.000 UGX (33
USD). Une centaine de kg de manioc est achetée à 30.000 UGX (14 USD) en
RDC et revendue à Juba entre 65.000 et 75.000 UGX (30 à 35 USD). Il y plus
de détails à ce propos dans l’annexe au tableau 1.
Beaucoup de petits commerçants appartiennent à cette catégorie.
Considérant que les gros négociants ougandais achètent des biens tels que les
cigarettes ou les motos au Kenya, puis les exportent directement au Soudan
(c’est-à-dire que ces biens appartiennent à la première catégorie de
marchandises), les petits commerçants utilisent une autre stratégie : comme ils
n’ont pas les ressources suffisantes pour aller au Kenya, ils achètent ces mêmes
marchandises dans « l’économie d’entrepôt » du nord-est de la RDC (Ariwara),
puis les entrent en contrebande en Ouganda, et ensuite au Soudan. Les
bénéfices pour les motos et les cigarettes peuvent être retrouvés dans l’annexe,
aux tableaux 3 et 4.
Une troisième catégorie de biens est une combinaison de ce qui
précède. Par exemple, les opérateurs qui veulent vendre des voitures dans le
sud du Soudan achètent souvent ces voitures (de seconde main) à Kampala.
Cependant ces voitures ne vont pas directement au Soudan : les vendeurs vont
d’abord acquérir une plaque d’immatriculation au Congo, car c’est beaucoup
moins cher que d’acheter une plaque d’immatriculation ougandaise. (Il est
aussi beaucoup moins cher de faire entrer les voitures congolaises au Soudan
que des voitures ougandaises.) Ce qui donne un bénéfice net de 500 USD
(Toyota Corolla) à 5.500 USD (Toyota Hellax double cabine). Les bénéfices
détaillés sont donnés en annexe au tableau 2.
Bien sûr, les profits fluctuent en fonction de l’offre et de la demande :
plus il y aura de marchandises déjà en place, plus bas seront les profits réalisés
par l’opérateur. Immédiatement après la signature de l’APG, il y avait assez
peu de personnes impliquées dans le commerce avec le Sud-Soudan.
Relativement peu de gens étaient conscients des bénéfices en jeu, et la situation
de la sécurité dans le Sud-Soudan était loin d’être idéale. Les premiers
commerçants qui se sont investis ont réalisé de gros profits et ont voyagé aussi
souvent que possible au sud du Soudan. Après un certain temps, de plus en plus
de personnes ont été impliquées dans ce commerce. Ce fut notamment le cas à
partir de la mi-2007. Ceci pour plusieurs raisons : bien évidemment, parce que
plus de personnes en ont entendu parler ainsi que des bénéfices en cause, mais
aussi parce que la sécurité sur la route s’est nettement améliorée. Notons qu’un
390 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
nombre plus grand de personnes impliquées provoqua toutefois une baisse des
bénéfices pour les acteurs concernés.
De ce qui précède, il est également devenu évident que beaucoup de
marchandises échangées avec le Sud-Soudan proviennent de la RDC (nord-est)
(Ariwara et les marchés frontaliers) : les denrées alimentaires et des produits
tels que les motos ou les cigarettes sont achetés à Ariwara ou sur les différents
marchés frontaliers, puis ensuite négociés en Ouganda/Arua, d’où ils sont
exportés vers le Sud-Soudan (le plus souvent Yei ou Juba). Cela est surtout
réalisé par des petits commerçants, pour lesquels les différences de prix entre
les diverses frontières rapportent d’importants profits. Les marchés dans
Ariwara (et les marchés frontaliers), dans Arua et à Juba sont donc étroitement
liés les uns aux autres. Un rapport de DFID sur le commerce des ressources
naturelles dans la région des Grands Lacs soutient, dans ce contexte, que l’est
du Congo « fait de facto partie de la zone politique et économique de l’Afrique
de l’est »46, étant donné que de nombreux produits sont commercialisés avec
ses voisins de l’Est, en l’occurrence l’Ouganda. De même, on peut soutenir que
les marchés du sud du Soudan font partie de cette politique économique,
puisque beaucoup de leurs produits sont importés de l’Ouganda et du nord-est
du Congo
Enfin, il convient de souligner que les commerçants ougandais jouent
un rôle majeur dans le commerce avec le Sud-Soudan, puisqu’ils y sont parmi
les principaux fournisseurs de ces marchandises. Il existe aussi de nombreuses
autres nationalités impliquées dans le commerce avec le Sud-Soudan (Kenyans,
Chinois, Indiens, etc.), mais les Ougandais sont fortement impliqués dans le
petit commerce. Dans le nord de l’Ouganda, la participation aux échanges
commerciaux avec le sud du Soudan est donc perçue comme un nouvel
Eldorado : chacun tente de tirer profit des gros bénéfices dans ce commerce
régional. Dans le nord-ouest de l’Ouganda, ceci signifie que beaucoup de gens
sont constamment en déplacement entre Ariwara, Arua et Yei/Juba afin de
bénéficier des profits élevés du commerce. D’autres personnes vont
directement au sud du Soudan afin de faire des profits : un grand nombre
d’Ougandais y sont impliqués dans l’ensemble du secteur alimentaire
(restaurants, bars, vente au détail, et ainsi de suite). Cette situation a engendré
des attitudes fortement négatives envers les Ougandais au sud du Soudan : les
Soudanais ressentent ceci comme si les Ougandais les privaient de leur profit
du commerce transfrontalier. Comme les Ougandais sont particulièrement
impliqués – et visibles – dans le commerce à petite échelle et de détail, les
Soudanais se disent qu’ils prennent leurs emplois et profits. Les Ougandais
quant à eux se plaignent d’être particulièrement visés par les Soudanais : il y a
eu de nombreux rapports sur la façon dont les négociants ougandais sont
intimidés, harcelés et même violés47. Beaucoup de mes informateurs ont
46 DEPARTMENT FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT, op. cit., p. 36.
47 Cf. plusieurs articles du journal New Vision : MPAGI, P., “South Sudan is not a good business
partner”, New Vision, September 7, 2007 ; BWOGI, C., “Over 20 Ugandans killed in Sudan”,
New Vision, September 12, 2007 ; MUSOKE, C., ODYEK, J., “Govt urged on report on
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
391
également montré des blessures et des cicatrices sur le corps, qu’ils affirment
être le résultat de mauvais traitements infligés par les forces de sécurité
soudanaises – une plainte qui se reflète dans les rapports de presse sur la
question. Selon le président des négociants ougandais à Juba, au cours des huit
premiers mois de 2007, au moins 20 Ougandais sont morts dans le sud du
Soudan suite au harcèlement par le personnel de sécurité soudanais.48 Cette
situation a amené la visite d’une délégation du gouvernement ougandais à
Juba.49
4.2. Le bois
Cette seconde section est consacrée au commerce du bois, car il donne
un bon aperçu du « régime économique » entre l’est du Congo, le nord de
l’Ouganda et le sud du Soudan. Dans la section précédente, on a fait valoir
comment il y avait de nombreux Ougandais en mouvement continuel entre ces
différentes zones, dans le but de bénéficier des profits élevés du ce régime
économique très avantageux. La première partie de la présente section traite de
l’intense commerce du bois entre le Congo et l’Ouganda. On expliquera
comment la plus grande partie de ce bois est commercialisée illégalement, et
comment l’État congolais et les collectivités ne tirent que peu de bénéfices de
cette situation. La deuxième partie de cette section traite du commerce du bois
avec le Soudan. Après des années de guerre civile et la destruction des
infrastructures, il y a un grand effort de reconstruction en cours dans le sud du
Soudan, d’où la forte demande de bois. On expliquera cependant comment, en
2006, une interdiction de la coupe du bois a été introduite dans le sud du
Soudan, raison pour laquelle il a dû venir principalement de l’étranger, à savoir
du Congo, mais également un plus faible pourcentage de l’Ouganda. Les
sections suivantes expliquent comment le bois est commercialisé soit en
provenance du Congo vers le Soudan, à travers l’Ouganda, soit de l’Ouganda
vers le Soudan.
4.2.1. Le commerce du bois ougando-congolais
Au Congo, il y a une série de frais pour le bois : les frais d’exploitation
et les taxes officielles à l’exportation (qui sont relativement faibles), et toute
une série de taxes informelles pour la coupe, l’importation, l’exportation et le
Ugandans killed in Sudan”, New Vision, September 20, 2007 ; (anon.), “Ugandan traders in Juba
attacked”, New Vision, February 19, 2008 ; (anon.), “SPLA chief speaks out on Ugandans in
Sudan”, New Vision, October 29, 2007 ; MUSOKE, C., NAMUTEBI, J., “Uganda: Government
to Probe Juba Harassment”, New Vision, September 26, 2007 ; (anon.), “Ugandan traders raped
in Sudan”, New Vision, September 18, 2007 ; VUNI, I., “Ugandan envoy hails South Sudan
efforts to improve Juba security”, New Vision, December 10, 2007 ; (anon.), “Ugandans will
benefit from investing in Sudan”, New Vision, September 25, 2007 ; OJWEE, D., “Uganda:
UPDF to Deploy at Border”, New Vision, August 2, 2008.
48 (Anon.), “Ugandan traders raped in Sudan”, New Vision, September 18, 2007
49 MUSOKE, C., NAMUTEBI, J., op. cit.
392 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
transport. Ceci est pour beaucoup la conséquence du fait que le Code forestier
congolais de 2002 traite de l’exploitation forestière à échelle industrielle, et non
pas de l’exploitation forestière à petite échelle ou artisanale. De ce fait, les
différents droits et taxes varient selon les endroits. Par exemple, l’exploitation
forestière a lieu avec un permis du chef coutumier, des notables et des autres
acteurs tels que les chefs de terre. Il faut donner de l’argent ou des cadeaux en
nature à ces acteurs.50
Depuis 2004, la récolte dans les réserves forestières de l’Ouganda est
fortement réglementée, car le gouvernement en a pris le contrôle direct :
l’extraction du bois passe par un processus d’appel d’offres et par la vente de
droits de récolte. La plupart des entreprises ne sont donc plus impliquées dans
la coupe du bois, mais achètent du bois provenant de tierces parties. En réalité,
cela signifie que beaucoup de bois est acheté au Congo.51
À l’origine, les négociants ougandais voyageaient vers les zones
congolaises de provenance où ils supervisaient tout le processus de coupe et de
transport jusqu’à la frontière. C’est de moins en moins le cas aujourd’hui et des
intermédiaires congolais sont utilisés pour aller acheter du bois sur leurs lieux
de production/coupe. L’intermédiaire paie alors les transporteurs pour amener
le bois à la frontière ougando-congolaise, d’où les Ougandais prennent la
responsabilité de faire traverser la frontière. (Ces intermédiaires sont appelés
Ari ou amis). Les Ougandais sont toutefois encore largement responsables du
financement et de l’équipement52. Ensuite, les Ougandais achètent du bois dans
le no man’s land entre le Congo et l’Ouganda, en utilisant les documents de
transit du Congo pour le dédouanement avec l’URA, ou l’introduisent en
contrebande en Ouganda.
Bien qu’un moratoire sur l’attribution des concessions forestières soit
en place depuis 2002, celui-ci n’est pas respecté. Il s’agit surtout des militaires
qui ont repris le rôle des groupes armés dans le commerce illégal du bois dans
l’Ituri. Pour les communautés locales le bénéfice est très limité : il y a peu
d’emplois directs générés et les retombées économiques générales sont
limitées. L’État congolais ne retire lui non plus aucun profit de ce commerce :
la plus grande partie du bénéfice va aux négociants étrangers qui sont
impliqués dans cette entreprise et travaillent en dehors du cadre de l’État.
Précédemment on a décrit la façon dont ces commerçants étrangers collaborent
avec les ressortissants congolais, car il est devenu difficile pour les premiers de
s’engager eux-mêmes directement sur le territoire congolais. Ces négociants
étrangers sont pour la plupart des Ougandais, mais aussi des Kenyans et des
Soudanais.54
La raison pour laquelle les Ougandais ne se rendent plus dans les zones
de provenance du bois est le fait que le harcèlement sur le territoire congolais a
50 FORESTS MONITOR, The Timber Trade and Poverty Alleviation Upper Great Lakes Region,
June 2007, pp. 20-24, téléchargé de http://www.forestsmonitor.org/ le 14-07-08.
51 Ibid., p. 32.
52 Ibid., p. 36.
54 INTERNATIONAL CRISIS GROUP, op. cit., pp. 18-20.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
393
augmenté. (La majorité du bois est à une bonne distance de la frontière.) Le
motif de ce harcèlement est simple : pendant le conflit dans l’est du Congo
entre 1998 et 2003, l’armée ougandaise était fortement impliquée dans
l’exploitation illégale du bois55. La Cour internationale de justice a estimé
l’Ouganda coupable d’actes de pillage du bois congolais, et aussi de l’or, des
diamants et du coltan. En raison de ces pratiques, il existe des attitudes
fortement négatives à l’égard des Ougandais dans l’est du Congo : les
marchands de bois ougandais se sont plaints d’être particulièrement maltraités
par les Congolais56. À certains moments dans le temps, des marchands de bois
ougandais ont même été expulsés du territoire congolais. Par exemple, en
novembre 2005, une ordonnance a été rendue par laquelle tous les Ougandais
occupés à la coupe des arbres ont dû quitter le pays, et aucun distributeur de
bois ne pouvait plus y entrer. Tout le bois acheté par les Ougandais a été
confisqué. Les Congolais ont accusé les Ougandais de voler leur bois, puisque
presque tout le bois était sorti du pays en fraude57. Un incident similaire s’est
produit dans la première moitié de 2007, lorsque les négociants ougandais qui
allaient au Congo ont été arrêtés, et les camions ougandais confisqués. En
raison de cet incident, les négociants ougandais du bois ne pouvaient plus
entrer au Congo et ne pouvaient travailler que par le biais d’intermédiaires
congolais.
L’insécurité et l’augmentation des taxes forcèrent un grand nombre de
négociants ougandais à abandonner les affaires en 2007. Cela se reflète dans le
nombre de camions qui sont de passage au nord-ouest de l’Ouganda, en
particulier par le biais des bureaux du district forestier d’Arua : avant 2007,
entre 10 et 15 camions de bois congolais étaient contrôlés par les agents
forestiers d’Arua par semaine58, alors que, après l’introduction de ces nouvelles
taxes, cette moyenne est tombée à 5 camions par semaine59. En conséquence de
cette situation, certains opérateurs sont passés à l’achat de bois ougandais,
tandis que d’autres commerçants ont recours à la contrebande du bois
congolais.
Des commerçants à moyenne et à grande échelle continuent toujours à
passer par la frontière officielle, mais sous-déclarent la quantité de bois
transportée. On estime que la sous-déclaration pourrait concerner 30 % du
55 Cf. note de bas de page 41.
56 Les Ougandais se plaignent également que les bonnes relations individuelles sont nécessaires
avec les commandants de l’armée congolaise afin d’avoir accès à des quantités raisonnables de
bois.
57 (Anon.), “Congo expels timber dealers”, Allafrica.com, 21/11/2005, téléchargé le 14-07-08.
58 Tout le bois importé ou coupé localement doit être contrôlé par les bureaux forestiers de
district, qui délivrent les timbres et les permis nécessaires. Le bois qui ne dispose pas de ces
permis et ces timbres est confisqué.
59 Le commerce du bois est également tributaire de facteurs saisonniers: le bois est beaucoup plus
facile à transporter pendant la saison sèche que pendant la saison des pluies. En saison sèche, en
moyenne, cinq camions de bois par semaine passent par Arua, alors qu’il n’y en a que trois
pendant la saison des pluies.
394 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
volume de bois traversant en Ouganda60. Les petits commerçants évitent de
payer les frais aux autorités douanières ougandaises ou contournent
complètement les postes frontaliers61. Les coûts élevés de la mise en
exportations au Congo sont les raisons principales expliquant pourquoi ils
agissent ainsi, mais c’est également lié au fait que les responsables congolais
voient l’exportation comme un des principaux moyens d’enrichissement
personnel. (Ce n’est pas seulement le cas pour le bois de construction, mais
pour tous les produits.)
Les commerçants à petite échelle procèdent de la façon suivante : tout
d’abord, les Congolais négociants en bois de construction appellent les
commerçants ougandais pour les informer qu’une certaine quantité de bois est
prête (il s’agit de 50 à 100 pièces en moyenne). Le bois entre en contrebande en
Ouganda de deux manières. Soit le bois est transporté jusqu’à un dépôt caché
près de la frontière du côté congolais, d’où des groupes de porteurs (entre 5 et
10 garçons ou femmes) transportent le bois au-delà de la frontière : les femmes
portent le bois sur la tête et les garçons le transportent sur des bicyclettes ou sur
des motos vers l’Ouganda, où il est stocké dans un autre dépôt caché. Lorsque
suffisamment de bois est rassemblé dans le dépôt, il est chargé dans un camion
et transporté vers sa destination. Une grande partie du bois est passé de nuit en
contrebande en Ouganda. Une deuxième possibilité est qu’il est transporté en
Ouganda recouvert par d’autres produits de marché. Ce ne sont que les
commerçants les plus petits et moyens qui apportent du bois illégalement à
travers la frontière, car il est impossible de conduire un camion le long des
itinéraires de contrebande. On estime que 2000 pièces de bois sont transportées
quotidiennement en contrebande à travers la frontière ougandaise dans les
districts d’Arua et Nebbi62.
Le commerce du bois est également tributaire de facteurs saisonniers :
le bois est beaucoup plus facile à transporter pendant la saison sèche que
pendant la saison des pluies. En saison sèche, en moyenne cinq camions de
bois par semaine passent par Arua, alors qu’il n’y en a plus que trois pendant la
saison des pluies.
4.2.2. Le commerce du bois ougando-soudanais
Comme nous l’avons présenté plus haut, les années de guerre civile et
60 DEPARTMENT FOR INTERNATIONAL DEVELOPMENT, op. cit., p. 18.
61 Pour le bois d’œuvre, un droit d’importation de 10 % doit être payé, une TVA de 18 % et une
retenue de 6 %. Pour les services douaniers ougandais dans l’ouest du Nil (Lia, Vurra, Paida,
Zia), le bois constitue la plus grande partie des recettes.
62 Le rapport de 2007 de Forests Monitor soutient comment « Des sources dans le sud du Soudan
affirme que la SPLA n’est plus impliquée d’une façon importante dans le commerce du bois
soudanais, mais les médias indiquent que les soldats de la SPLA négocient du bois d’Ariwara et
de l’extrême nord-est de la RDC, près du Parc National de la Garamba. Cette information n’a pas
encore été vérifiée ». FORESTS MONITOR, op. cit., p. 31. Je n’ai pas non plus trouvé de trace d’une
implication de la SPLA dans le bois à Ariwara. Mais cette information ne m’a été révélée
qu’après mes recherches sur le terrain, elle n’a pas non plus été étudiée de manière approfondie.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
395
la destruction consécutive ont créé un important effort de reconstruction dans le
sud du Soudan. Cela a engendré une grande demande de bois. En raison de la
longue guerre civile, il n’y avait guère eu de récolte de bois dans le sud du
Soudan. Mais durant la transition vers la paix, à partir de 2004, le bois d’œuvre
(en particulier le teck) est devenu un important produit d’exportation. Des
grumes de teck ont transité par Kampala vers Mombasa d’où ils étaient
exportés vers l’Inde et le Pakistan. Quand un nouveau ministre de l’Agriculture
et des Forêts a été nommé dans le Sud-Soudan au début de 2006, il a émis un
décret qui interdisait toute coupe et exportation de bois de teck. Le déploiement
de gardes forestiers a fortement réduit la récolte illégale (jusqu’à 60 %) et le
commerce de teck et d’acajou. Le Ministère a introduit de nouveaux contrôles
obligeant les exploitants à obtenir des certificats d’enregistrement
d’exploitation forestière du gouvernement central avant la vente de bois64. Tout
cela a fortement augmenté la demande pour le bois dans le sud du Soudan : il y
avait déjà une forte demande en raison de l’effort de reconstruction, mais il y
avait peu de bois disponible. En plus de cela, un rapport de Small Arms Survey
a fait valoir comment l’armée ougandaise a réussi à échapper à ces règles,
comment elle a été impliquée dans la coupe de bois de teck soudanais, et l’a
exporté vers l’Ouganda.65
L’option la plus immédiate pour le Sud-Soudan est d’acheter du bois
en Ouganda. Toutefois, il est illégal d’exporter du bois ougandais non traité,
ainsi que du charbon de bois. Cela a été introduit par une loi de 1987 après que
le Mouvement de résistance nationale (NRM) du président Museveni est arrivé
au pouvoir66 et cela a été renforcé par la loi de gestion communautaire des
douanes d’Afrique de l’Est de 200567.
Cependant, comme on pouvait s’y attendre, le bois ougandais est en
réalité toujours introduit en contrebande au Soudan, et d’autant plus après
l’introduction des frais élevés en RDC. La plus grande partie des bois
ougandais proviennent de Masindi et de Hoima68 et sont introduits en
contrebande au Soudan en corrompant les fonctionnaires des douanes ou en
recouvrant ces bois avec d’autres marchandises. Les autorités douanières sont
perçues comme relativement laxistes dans le contrôle de l’exportation illégale
de bois. Il n’y a que les Autorités forestières nationales (NFA) qui contrôlent
strictement l’exportation de produits à base de bois. En fait, ces dernières se
plaignent fortement de la non-coopération de la part des autorités douanières.69
64 FORESTS MONITOR, ibid.
65 SCHOMERUS, M., “Perilous border: Sudanese communities affected by conflict on the
Sudan-Uganda border”, Conciliation Resources, November 2008.
66 Entretiens avec les agents des autorités nationales forestières, 23 et 24-07-08.
67 Third Schedule, Part B: Restricted Goods.
68 Entretiens agents de douane ougandais janvier-février et octobre 2008. Cf. aussi : KASOOHA,
I., “Stop smuggling timber, traders told”, New Vision, June 10, 2008 ; id., “Traders warned on
smuggling timber”, New Vision, May 31, 2008.
69 Par exemple, pendant un entretien, un officier des autorités nationales forestières s’est plaint
du fait qu’ « Il y a toujours des problèmes avec les douanes. Nous devons suivre les règles des
autorités nationales forestières : le bois ougandais ne peut pas traverser la frontière. Mais c’est
396 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
En moyenne, on estime que 10 camions de bois ougandais par semaine
traversent la frontière soudano-ougandaise.70
La quantité de bois ougandais introduit en contrebande au Soudan est
cependant plus petite que celle du bois congolais, qui est négocié au Soudan via
l’Ouganda. Ceci se passe illégalement dans la plupart des cas : les négociants
mentionnés ci-dessus (petits ou moyens) qui introduisent du bois en
contrebande du Congo vers l’Ouganda sont contraints à la contrebande de leur
bois au Soudan, puisqu’ils n’ont pas de papiers officiels. Certains opérateurs ne
vont pas acheter leur bois au Congo (par l’intermédiaire de ressortissants
congolais), mais achètent du bois congolais directement sur certains marchés
frontaliers qui sont spécialisés dans la contrebande.71 La plupart des véhicules
qui sont saisis avec du bois illégal viennent directement de ces marchés
frontaliers et sont en route pour le Soudan. En d’autres termes, alors que le bois
est utilisé pour être négocié seulement du Congo vers l’Ouganda, les plus
grands profits peuvent maintenant être faits au Soudan. Les négociants
ougandais ne limitent donc pas leurs activités commerciales à l’Ouganda, mais
ils ont glissé vers le Soudan.
Il y a de grands profits à faire dans ce commerce : un camion de 20
tonnes contient environ 1000 pièces, ce qui donne un bénéfice compris entre
2,5 et 3 millions de UGX à Juba (1,161 à 1,393 USD). Il n’y a qu’un faible
pourcentage de ces grands bénéfices sur le bois congolais au Soudan qui va aux
négociants congolais – puisqu’il n’y a pas beaucoup d’opérateurs économiques
congolais impliqués dans cette affaire. La majorité des bénéfices va à des
opérateurs comme les commerçants ougandais. En d’autres termes, l’État
congolais et les populations congolaises tirent à nouveau peu d’avantages de
ces débouchés commerciaux.
4.3. Conclusion
Cette section a analysé le rôle de l’Ouganda et des commerçants
ougandais dans le commerce régional du Sud-Soudan. On a d’abord montré
comment un régime économique est en place en fonction duquel les
marchandises sont négociées entre le nord-est du Congo, le nord-ouest de
l’Ouganda et le sud du Soudan. Ce sont en particulier des petits commerçants
différent pour la douane, qui veut simplement collecter des revenus ! Si nous ne sommes pas là,
les douanes le laisse passer. Ils ne l’enregistrent pas comme bois ougandais, mais comme bois
congolais. » Entretien avec les autorités nationales forestières, Arua 06-02-08.
70 Dans la presse ougandaise il y a régulièrement des rapports sur la coupe illégale de grumes et
leur exportation. Par exemple : TENYWA, G., “Six timber lorries impounded”, New Vision,
December 7, 2008 ; KAGOLO, F., “Uganda: District Forest Officers Irk Minister Mutagamba”,
New Vision, July 23, 2008 ; (anon.), “Rangers accused of aiding illegal timber harvesting”, New
Vision, April 24, 2008 ; (anon.), “Forestry officers cited in illegal timber sale”, AllAfrica.com,
12/10/2007.
71 Dans l’ensemble du Nil occidental, il existe quatre de ces marchés : le marché Nyibola à
Paidha, le marché Kampala à Vurra, le marché de Odramachaku près de Arua et le marché de
Kudikoko à Pader.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
397
ougandais qui se déplacent constamment entre les diverses frontières afin de
profiter des différences de prix. En d’autres termes, le commerce transfrontalier
constitue une véritable « économie de survie », avec les forts bénéfices que cela
comporte pour les petits commerçants ougandais. Dans cette économie de
subsistance, les petits commerçants vont continuellement chercher les endroits
où de possibles profits peuvent être réalisés. C’est également le cas pour les
grands opérateurs, qui de même cherchent constamment à exploiter les
possibilités offertes par les différentes frontières : alors qu’avant l’APG, les
négociants du Nil occidental utilisaient principalement le nord-est du Congo
comme un « entrepôt » pour la contrebande de marchandises revenant en
Ouganda, un processus similaire peut maintenant être observé dans le Sud-
Soudan : les marchandises y sont exportées ou une partie des biens y est
vendue tandis qu’une autre partie est à nouveau introduite illégalement en
Ouganda. Deuxièmement, la forte implication et les bénéfices correspondants
des commerçants ougandais dans ce commerce transfrontalier amènent des
sentiments particulièrement négatifs à leur égard. Par exemple, le bois est
extrait dans l’est du Congo, mais ce sont surtout les commerçants ougandais
qui en bénéficient, grâce à la vente en Ouganda ou au Sud-Soudan, où les
principaux gains sont réalisés. Cela entraîne des sentiments négatifs à l’égard
des négociants ougandais dans l’est du Congo et au Sud-Soudan. Dans l’est du
Congo, c’est notamment le résultat de l’implication de l’armée ougandaise dans
le commerce de ressources minérales.72 Dans le sud du Soudan, c’est surtout le
résultat de l’importante participation des Ougandais à ce commerce : les
Soudanais voient que tous les profits sont pris par des étrangers, et en
particulier par les Ougandais. Cela se traduit par des attitudes négatives et
même de la violence à l’égard des commerçants ougandais. .
5. LA FRONTIÈRE SOUDAN-RDC
On peut se demander pourquoi les marchandises venant du marché
d’Ariwara ne sont pas acheminées directement au Soudan, mais passent
d’abord par l’Ouganda. On peut se demander pourquoi cela donne un grand
avantage aux commerçants ougandais. Pourquoi ne vont-ils pas directement du
Congo au Soudan, ce qui pourrait accroître les bénéfices pour les Congolais ?
Dans Meagher73 et Mukohya74, on montre quel commerce florissant de café
existait entre la RDC et le Soudan à la fin des années quatre-vingt. En outre, les
groupes ethniques kakwa et azande vivent sur les deux côtés de la frontière
congolaise et soudanaise, ce qui devrait faciliter le commerce. Il y a aussi peu
de contrôle aux frontières. Le commerce direct entre la RDC et le Soudan est
toutefois limité, car la grande majorité des produits passent au Soudan par
l’Ouganda. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, il régnait une grande
insécurité à cause de la guerre congolaise (1998-2003) et de la seconde guerre
72 Cf. note de bas de page 41.
73 MEAGHER, K., op. cit.
74 MUKOHYA, V., op. cit.
398 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
civile soudanaise (1983-2005). Il y a également la présence de nombreux
éléments armés dans la région, une difficulté qui est décrite en détail dans
Schomerus.75 Tout cela rendait le commerce difficile voire impossible. Ensuite,
le réseau routier entre la RDC et le Soudan est en mauvais état, limitant ainsi
les actions. Par exemple, Marks76 décrit comment « l’un des plus grands
obstacles au commerce, qu’il soit formel ou pas, est l’état des routes. La route
de Duru en RDC à Yambio au Sud-Soudan est non pavée et si étroite quelle
permet à peine la circulation de motos en certains endroits. » En troisième
lieu, pendant de nombreuses années, il y a eu des tensions entre la Sudan
People’s Liberation Army (SPLA) et les troupes congolaises à la frontière. En
1998, la SPLA a rejoint le Rassemblement congolais pour la démocratie
(RCD), le principal groupe rebelle soutenu par le Ruanda dans sa lutte contre le
gouvernement congolais. Au début du mois d’octobre 1998, ceci a forcé 17.000
réfugiés soudanais à rentrer à Yambio au Sud-Soudan suite à l’attaque de la
SPLA sur leurs campements à Dungu, dans le nord-est du Congo (HRW
1999)77. Ce sont surtout ces attaques de la SPLA qui ont dégradé les relations
avec les Congolais : la population a réagi en formant des milices locales de
défense qui ont volé les armes de la SPLA et l’ont attaquée.78 Ces tensions
continuent jusqu’à ce jour, en particulier autour de la base de Kengezi, qui se
trouve sur le territoire congolais, à la jonction des frontières ougandaise,
soudanaise et congolaise. La SPLA a occupé cette base depuis la fin des années
quatre-vingt-dix, et a même perçu des taxes et impôts. À plusieurs reprises (par
exemple, le 24 janvier 2008), il y a eu des combats entre la SPLA et l’armée
congolaise, ce qui a entraîné le déplacement d’environ 1200 personnes. Après
la pression exercée par les Congolais, le 2 février 2008 un accord a été signé
qui résout le problème des tensions aux frontières et qui a entraîné le retrait de
la SPLA, après plus de 10 ans de présence sur le territoire congolais79.
Récemment, il y a cependant de nouveau eu des tensions entre les Soudanais et
les Congolais : lorsque la MONUC est arrivée pour le déminage de la zone, la
75 SCHOMERUS, M., op. cit. Concernant la LRA, voir aussi : PAX CHRISTI NETHERLANDS,
Community Security. Communities Meeting the Challenges of Armed Violence in the Sudan &
Democratic Republic of Congo Border Region. 2005, téléchargé de http://www.ikvpaxchristi.nl/
le 17-07-08 ; MULUMBA, B., “Uganda: LRA Moving Towards Uganda Border”, Daily
Monitor, June 9, 2008 ; ALLIO, E., “UPDF kill 6 LRA rebels on Congo-Sudan border », New
Vision, December 13, 2005 ; MUGABI, F., “Southern Sudan’s SPLA create market for LRA
rebels regrouping around Congo-Sudan border”, Sunday Vision, June 3, 2006.
76 MARKS, J., “Border in Name Only: Arms Trafficking and Armed Groups at the DRC-Sudan
Border”, Small Arms Survey HSBA Working Paper, 2007, p. 11, téléchargé de www.
smallarmssurvey.org le 12-07-08.
77 HUMAN RIGHTS WATCH, Democratic Republic of Congo. Casualties of War: Civilians, Rule of
Law, and Democratic Freedoms, Vol. 11, No. 1 (A), February 1999.
78 MARKS, J., op. cit., p. 16.
79 “South Sudan army leaves RDC after 10 years”, in South Sudan Tribune, February 7, 2008,
téléchargé le 24 juillet 2008.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
399
SPLA était encore présente sur le territoire congolais80. Selon mes informateurs
locaux, la frontière a été fermée pour un temps considérable, mais cela n’a pas
pu être vérifié.
Toutes ces raisons (en particulier l’infrastructure et l’insécurité)
rendent difficiles les échanges directs à grande échelle entre les deux pays : à
cause de ces facteurs, seul un faible pourcentage du petit commerce est
possible, par exemple celui des motos. La grande majorité des opérateurs
commercent via l’Ouganda.
6. CONCLUSIONS
On a montré, dans l’introduction, comment l’évolution du commerce
transfrontalier peut être comparée à une rivière, car ce commerce s’adapte
constamment à l’évolution des circonstances. Les circonstances extérieures
telles que la sécurité (situation de conflit ou de paix) ou les différences de prix
(du fait de la politique de l’État) ont un impact profond sur le flux régional
d’échanges commerciaux transfrontaliers. Le présent document a décrit les
échanges transfrontaliers entre le nord-est de la RDC, le nord-ouest de
l’Ouganda et le sud du Soudan, et plus particulièrement les structures
changeantes de cette ‘rivière’. L’article a commencé par décrire la manière
dont le commerce transfrontalier a plusieurs ‘couches’, dans lesquelles l’eau –
les échanges transfrontaliers – s’infiltre. Une première couche est l’histoire pré-
coloniale : la région peut être considérée comme un ensemble interconnecté car
elle a des groupes ethniques similaires et une longue histoire d’échanges
commerciaux. En outre, les différentes zones ont des positions politiques
semblables, car elles sont des zones politiquement périphériques. Si nous
continuons à utiliser la métaphore de la rivière, ceci peut être considéré comme
son lit. Le point culminant se situe dans les années quatre-vingt qui ont connu
un intense commerce transfrontalier entre les trois pays. Le commerce a
fondamentalement changé au cours des années suivantes, en réponse à des
incitations externes différentes. On a tout d’abord expliqué en détail comment
ces mesures d’incitation extérieures ont changé le rôle du marché d’Ariwara :
par exemple, les denrées alimentaires ne sont plus négociées sur le marché,
mais dans les marchés frontaliers. Deuxièmement, on a montré comment le
café n’est plus commercialisé du Congo vers l’Ouganda, mais dans l’autre
sens. Troisièmement, les guerres (et en particulier l’accord de paix global au
Soudan) ont eu un impact profond sur les échanges transfrontaliers régionaux :
le Sud-Soudan, et surtout Juba (Yei dans une moindre mesure), peut être
considéré comme le centre du commerce transfrontalier régional pour la simple
raison que de grands profits peuvent être réalisés dans le commerce avec cette
région. Par exemple, le flux commercial des produits alimentaires ou du bois
80 Interview téléphonique d’un spécialiste de la région, le 31 juillet 2008. Selon cette personne et
des sources locales, il s’agit surtout d’une dispute autour de la perception de revenus frontaliers
et cela a amené la fermeture de la frontière à plusieurs occasions.
400 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
congolais ne se limite plus à l’Ouganda81 et est principalement orienté vers le
Sud-Soudan, où il y a une énorme demande et donc d’importants profits
possibles pour ces marchandises. En d’autres termes, c’est une bonne
illustration de la métaphore de la rivière : les opérateurs modifient
continuellement leurs pratiques commerciales vers des endroits où se trouvent
la plupart des bénéfices. Cette population flottante82 – une autre référence à la
nature ‘aquatique’ des échanges transfrontaliers – trouve les biens qui lui sont
nécessaires et offre ses services dans le sud du Soudan. Les grands
commerçants n’exportent pas seulement leurs marchandises vers cette région,
mais ils sont également capables de l’utiliser comme base pour leurs activités
de contrebande vers l’Ouganda.
Précisons que la métaphore de la rivière souligne seulement l’influence
d’événements extérieurs : il semble que le flux de l’eau – les flux commerciaux
régionaux, c’est-à-dire les actions des opérateurs économiques – était
seulement influencé par lesdits événements, et que les commerçants n’étaient
pas en mesure d’influencer le résultat du négoce. En d’autres termes, la
métaphore de la rivière est trompeuse et vient fausser les relations de pouvoir et
de profit dans le commerce. Déjà durant les années quatre-vingt, les
commerçants ougandais occupaient une place centrale dans ce commerce83.
Mon article a montré que c’est encore actuellement le cas. Tout d’abord, on a
montré comment ils arrivent à tirer des bénéfices du marché d’Ariwara, en
ramenant des marchandises par contrebande en Ouganda (ce qui leur permet de
vendre avec des profits plus élevés). En deuxième lieu, il est clair que les biens
de base congolais sont devenus très importants pour l’économie ougandaise : le
café et l’or sont respectivement les premier et troisième produits d’exportation.
Cela a été largement démontré pour l’or85 ; mais le café a été quant à lui
négligé. Une fois que les biens congolais de base sont introduits en contrebande
en Ouganda, ils deviennent ougandais. Tant pour le café que pour d’or, aucune
taxe n’est payée aux autorités congolaises. En d’autres termes, ces pratiques
sont préjudiciables à l’État congolais et à l’économie de la RDC, mais très
bénéfiques pour l’État et l’économie ougandais86. Enfin, on a expliqué
81 Bien sûr le bois ne restait pas en Ouganda mais était exporté de l’Ouganda vers d’autres
endroits. Cf. FORESTS MONITOR, The timber trade and poverty alleviation. Upper Great Lakes
Region. June 2007.
82 ROITMAN, J., op. cit.
83 MEAGHER, K., op. cit.
85 Cf. Les statistiques d’export 2001-2007 du UGANDA EXPORT PROMOTION BOARD, http://www.
ugandaexportsonline.com/statistics.htm ; HUMAN RIGHTS WATCH, The curse of gold, op. cit.
86 Comme expliqué ci-dessus, ceci est contesté par le rapport de la Commission Porter du
gouvernement de l’Ouganda. Comme l’affirme Fahey : « La Commission Porter du
gouvernement de l’Ouganda a contesté cette conclusion et a affirmé que la proportion de l’or
extrait en Ouganda est incertaine parce que la production d’or en Ouganda n’est pas correctement
enregistrée. L’affirmation de la Commission Porter est corroborée par les estimations du
Ministère ougandais de l’énergie et du développement des minéraux, selon lesquelles 90 pour
cent des activités minières artisanales et à petite échelle se déroulent en dehors de l’Ouganda, du
cadre juridique légal du gouvernement ». Fahey continue cependant en disant : « Néanmoins,
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
401
comment le rôle central des Ougandais dans les échanges transfrontaliers
conduit à des relations fortement négatives avec eux : les Soudanais ont le
sentiment général d’être incapables de tirer profit des débouchés commerciaux
de l’accord de paix global, en raison du rôle central des Ougandais. Cela
conduit à des conditions de travail plutôt difficiles pour ces derniers – on a
montré combien les Ougandais sont particulièrement victimes d’abus. Une
dynamique similaire est à l’œuvre en RDC, mais seulement pour certains
produits : on a montré comment les agrumes ougandaises ont été sorties du
pays, et comment les Ougandais doivent travailler avec des intermédiaires
congolais, parce que les Congolais ont l’impression que les Ougandais sont en
train de piller leurs ressources – ce fut également le cas de l’Ouganda, après la
monopolisation du commerce de grumes par l’armée ougandaise. Ces
sentiments négatifs ne valent pas pour les autres commerces de détail tels que
les motocyclettes, dans lesquels les Ougandais opèrent sans trop de problèmes.
Anvers, avril 2009
compte tenu de la production d’or insignifiante de l’Ouganda, il est clair que la grande majorité
des exportations d’or de l’Ouganda est originaire du Congo ». FAHEY, D., op. cit., p. 374.
402 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
Annexes
Tableau 1. Commerce régional de denrées alimentaires :
denrées alimentaires vendues sur le marché d’Arua
et leur prix à Juba en février 2008 en UGX
provenance
prix
d’achat
prix de
vente sur le
marché
d’Arua
coûts divers
places
d’origine
Arua
prix
à Juba
coûts
divers
Arua -
Juba
Haricots (100 kg)
janvier-
octobre :
RCD
(Kokai)
100,000
(Congo et
Lira)
130,000
transport 170,000
RDC :
10,000 / sac ;
dédouanement
RDC :
1,000 / sac.
transport :
12,000 ;
dédouanement
Juba
3,000 ;
manutention
novembre-
février :
Lira
(Ouganda)
transport Lira :
14,000 (1 à 5 sacs),
12,000 (5 et plus).
dédouanement :
500 shillings
par sac ;
frais de
manutention :
1,000
Arua
1,000 ;
manutention
Soudan
3,000
Arachides (100 kg)
Odrama-
chaku
(marché
frontalier
Ouganda-
RDC)
130.000
vente en
gros :
180,000 ;
vente au
détail :
2,000 / kg
transport
Odrama-
chaku :
5,000 ;
manutention :
2.000
270,000
transport :
12,000 ;
manutention
Arua 1,000 ;
manutention
Juba 3,000 ;
dédouanement
Juba 3,000
Patates douces (100 kg)
Vurra (marché
frontalier
‘Kampala’=
marché
frontalier
Ouganda-
RDC)
32,000
vente en
gros :
38,000 ;
vente au
détail :
2,000-2,500
(tas)
transport :
4,000 ;
manutention :
2,000
75,000
transport :
12,000 ;
manutention
Arua 1,000 ;
manutention
Juba 3,000 ;
dédouanement
Juba 3,000
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
403
Pommes de terre (100 kg)
Vurra
(marché
frontalier
‘Kampala’)
60,000
gros :
85,000 ;
détail :
1,000-
3,000
le tas
transport :
4,000 ;
manutention :
2,000
140,000
transport :
12,000 ;
manutention
Arua 1,000 ;
manutention
Juba 3,000 ;
dédouanement
Juba 3,000
Manioc frais (100 kg)
Vurra
(marché
frontalier
‘Kampala’)
30,000
38,000
transport :
4,000;
manutention :
2,000
65,000-
78,000
transport :
12,000 ;
manutention
Arua 1,000 ;
manutention
Juba 3,000 ;
dédouanement
Juba 3,000
Matooke (branche)
Vurra
(marché
frontalier
‘Kampala’)
2,500–
6,000
vente en
gros :
5,000-
14,000 ;
vente au
détail :
1,200 pour la
petite botte
transport :
500-1,000
18,000-
22,000
transport :
3,000 ;
dédouanement :
300-500 ;
manutention :
200-500
Tomates (bassin)
Vurra
(marché
frontalier
‘Kampala’)
Vurra :
16,000
Vurra :
18,000 ;
Kampala :
40,000
(meilleure
qualité)
transport
Kampala :
12,000
(boîte)
60,000
(boîte)
transport
Juba : 18,000 ;
dédouanement
Juba 3,000 ;
manutention
Arua 1,000 ;
manutention
Juba 3,000
Kampala ville
boîte
Kampala
(3 bassins
et demi) :
80,000
Source : Travail sur le terrain 2008. Prix de février 2008.
404 L’AFRIQUE DES GRANDS LACS. ANNUAIRE 2009-2010
Tableau 2. Prix de voitures en contrebande en février 2008
(prix en USD)
prix de
Kampala
prix de Juba
(immatricu-
lation
congolaise)
bénéfice
brut
bénéfice
net
bénéfice
net en %
Toyota
Hice
7,500
11,500
4,000
3,000
40 %
Prado
Landcruiser
11,500
13,500
2,000
1,000
9 %
Toyota
Corolla
3,000
4,500
1,500
500
17 %
Sahara
Pickup
4,500
7,500
3,000
2,000
44 %
Tipper Juston
Forward
11,500
15,000
3,500
2,500
22 %
Tipper
Forward
12,500
17,500
5,000
4,000
32 %
Tipper
Balloonface
14,500
19,500
5,000
4,000
28 %
Toyota Hellax
Double Cabin
8,500
15,000
6,500
5,500
65 %
Pajero
short chases
4,500
6,500
2,000
1,000
22 %
Source : Travail sur le terrain 2008. Prix de février 2008.
Indication des coûts :
location d’un chauffeur : 400 USD (300 USD pour le chauffeur plus 100 USD
pour nourriture et logement) ;
immatriculation congolaise : 500 USD ;
autres frais (y compris le carburant et le dédouanement) : 100 USD.
Frais totaux : 1,000 USD.
POUVOIR ET COMMERCE : L’OUGANDA ET LE COMMERCE TRANSFRONTALIER
405
Tableau 3. Motocyclettes (prix en USD)
prix congolais
prix ougandais
(plaque
d’immatriculation
ougandaise y
comprise)
en UGX
prix
soudanais
bénéfice
net
bénéfice
net en %
Goldland
nouveau
modèle : 820
vieux
modèle: 500
1,500,000 UGX
1,000
680
180
180
22 %
36 %
Ssenke
Tembo
nouveau
modèle : 620
vieux
modèle : 520
1,300,000 UGX
860
610
240
90
39 %
17 %
Ssenke Simba
530
1,500,000 UGX
710
180
34 %
Linking
520
1,300,000 UGX
690
170
33 %
Hiying
500
1,100,000 UGX
690
190
38 %
Rumba
510
1,200,000 UGX
690
180
35 %
TVS
1100
2,200,000 UGX
1,400
300
27 %
Lenguma
510
1,200,000 UGX
690
180
35 %
Source : Travail sur le terrain 2008. Prix de février 2008.
Tableau 4. Cigarettes (prix en UGX)
prix
ougandais
prix
soudanais
bénéfice
brut
bénéfice
brut en %
Safari (1 farde =
20 paquets)
400.000
1,000,000
600,000
60 %
Sportsman
1,200,000
2,500,000
1,100,000
92 %
Rex
1,000,000
2,000,000
1,000,000
100 %
Source : Travail sur le terrain 2008. Prix de février 2008.
(Note : ces cigarettes ne sont pas vendues au Congo, de là pas de prix
congolais.)