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Les risques NRBC savoir pour agir

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Les risques NRBC
savoir pour agir
Sous la direction de Y. Buisson
J.D. Cavallo, J.J. Kowalski, C. Renaudeau, J.Y. Tréguier
2
TABLE DES MATIERES
Avant propos
Historique et actualité : crédibilité de la menace
Risques nucléaires et radiologiques
Risque biologique
Risque chimique
Risques associés
Détection, protection et décontamination : rayonnements ionisants
Détection, protection et décontamination : agents biologiques
Détection, protection et décontamination : toxiques chimiques
Contre-mesures médicales
Les plans de défense nationaux
Organisation générale de crise
Conduite à tenir face à un accident radiologique
Conduite à tenir face au risque biologique
Conduite à tenir face au risque chimique
Fiches pratiques
Annexes
Illustrations
3
«La liberté commence où l'ignorance finit.»
Victor Hugo
Pface
N.R.B.C. pour nucléaire radiologique, biologique, chimique, quatre lettres dont
l'assemblage suggère les plus terrifiantes menaces que notre monde moderne fait
planer sur l'humanité. Aux grandes peurs des âges anciens se sont progressivement
substituées de nouvelles angoisses : l'émergence d'épidémies meurtres dues à des
germes venus d'autres continents, les catastrophes dues à une maîtrise insuffisante
du développement industriel, l'utilisation potentielle d'armes de destruction
massive par des Etats agressifs ou des groupes terroristes. Ces craintes sont
périodiquement ravivées dans une actualité mondiale riche en événements
dramatiques, rapidement donnés en spectacle par certains dias plus enclins à
dispenser des sensations que de l'information. Ainsi désinformée sur la nature
ritable des dangers encourus et les moyens de les prévenir, mais de plus en plus
exigeante quant à la sécurité de ses membres, notre socié englobe les risques
accidentels et les risques provoqués dans ses nouvelles phobies, entretenant une
confusion peu propice à une prise en compte adaptée. En revendiquant la menace
dans un contexte international instable, certaines organisations terroristes
exploitent la fragilité des opinions publiques et tentent de déstabiliser l'autorité
des Etats.
Parler de risques NRBC, c'est refuser toute peur irrationnelle en mettant un nom
sur chacun des dangers, en les identifiant avec précision, en évaluant leur
probabilité de survenue et en apprenant à s'en protéger.
Les objectifs du présent ouvrage s'inscrivent dans la politique de prévision et de
préparation mise en œuvre par le gouvernement français, qui a été renforcée à la
suite des attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.
Dans sa mission de soutien aux forces, le Service de santé des armées participe au
maintien de la capacité opérationnelle des troupes en cas d'attaque NRBC.
L'expérience acquise depuis la première guerre mondiale dans la protection contre
les gaz de combat s'est progressivement enrichie et élargie, intégrant des domaines
de compétence aussi différents que la radioprotection et la prophylaxie des
maladies infectieuses. Cette expertise, qui ne s'est pas développée pour les seuls
besoins des forces armées, a été reconnue et appréciée lors de différentes actions
civilo-militaires en France comme à l'étranger.
En contribuant à ladaction de ce document, les spécialistes du Service de santé
des ares n'ont pas essayé de présenter une «doctrine militaire», mais ont voulu
faire bénéficier de leur savoir-faire tous ceux et celles qui peuvent un jour être
confrontés à un accident ou à un attentat radiologique, biologique ou chimique et
qui souhaitent être capables deagir utilement et rapidement. L'association d'un
CD-ROM au livre, permettant au lecteur d'accéder à une riche iconographie
complétée de quences filmées, fait de cet ouvrage un remarquable outil
pédagogique, accessible aux spécialistes comme aux non spécialistes.
La lecture de ces pages ne fournira pas plus d'arguments aux écoles de pensée
«alarmistes» qui annoncent les agressions NRBC comme prochaines et
dévastatrices qu'aux «optimistes» qui estiment leur survenue improbable. Outre la
menace terroriste, l'évocation de catastrophes accidentelles récentes (Bhopal,
Tchernobyl, Toulouse) vient rappeler que, intentionnels ou non, les dangers
existent et que nous avons le devoir de nous y préparer.
decin général des armées Michel Meyran
Directeur central du Service de santé des armées
4
L'action gouvernementale en matière de lutte
contre le terrorisme NRBC
s le début des années 80, notre pays, sur la base d’une analyse prospective de la
menace terroriste, a décidé de prendre en compte les menaces de terrorisme
utilisant des matières nucléaires, des produits radioactifs, des produits chimiques
toxiques, des agents infectieux biologiques ou des toxines. Des plans
gouvernementaux ont été préparés, baptisés Piratox et Piratome, qui étaient alors
des plans de renforcement de la surveillance et dalerte des autoris ; ils
n’incluaient pas la réponse à un attentat effectivement réalisé.
s cette époque, les pouvoirs publics ont décidé la création dun Détachement
central interministériel d’intervention technique (DCI), chargé d’intervenir
préventivement sur des engins improvisés suspectés de contenir des agents
nucléaires et radioactifs pour éviter leur fonctionnement nominal.
Les attentats au sarin de Matsumoto en 1994 et Tokyo en 1995 ont confirmé la
pertinence de cette politique et ils ont conduit la plupart des pays développés à
accélérer leur préparation pour faire face à de telles situations.
En France, un programme daction dans le domaine de la lutte contre le terrorisme
NRBC a été élaboré sous légide du Secrétariatral de la défense nationale,
avec la participation de lensemble des ministères concernés.
Les plans gouvernementaux Piratox et Piratome ont été étendus à laction post-
attentat, concernant lordre public aussi bien que les secours et les soins. La
spécificité de la menace biologique a été reconnue, conduisant à élaborer un plan
particulier baptisé Biotox.
Une doctrine nationale d’intervention en cas d’attentat chimique en milieu civil a
été élaborée, formalisée dans une circulaire cosige en 1997 par les ministres de
l’intérieur, de la santé et de la défense, puis actualisée en 2002. En 2003, une
doctrine équivalente a été formalisée pour les attentats par «bombe sale» à
dispersion de matières radioactives.
Des moyens spécifiques ont été développés et mis en place auprès des difrents
services chargés de lintervention (police, sapeurs-pompiers, SAMU) pour la
détection du risque, la protection des intervenants et des impliqués, la
décontamination des victimes, etc.
La mission du DCI a été étendue à l’intervention préventive sur engins improvisés
chimiques ou biologiques.
Une capacité d’expertise a été développée, avec la création des réseaux de
conseillers experts et de laboratoires Biotox-Piratox.
Mais, à la fin des années 90, nombre dexperts considéraient encore que les
organisations terroristes ne tenteraient pas de recourir aux «attentats de masse»,
par peur dun impact diatique négatif, et se contenteraient des attentats à
l’explosif, «suffisants pour atteindre leurs objectifs». Les attentats du 11
septembre 2001 aux États-Unis, ainsi que la crise des lettres contaminées au
charbon («anthrax») ont confirmé que cette approche était dorénavant dépassée.
Depuis 2001, les programmes interminisriels ont été renforcés et accérés,
notamment pour ce qui concerne lacquisition des moyens et équipements de
réponse aux attentats NRBC.
Les plans gouvernementaux Piratox, Piratome et Biotox ont été sensiblement
transfors pour améliorer leur efficacité.
Des dispositifs spécifiques ont été mis en place pour répondre à des attentats
massifs utilisant des agents infectieux, notamment le bacille du charbon et le virus
de la variole.
Mais beaucoup reste à faire pour être en mesure de répondre de façon satisfaisante
aux scénarios les plus pénalisants.
Il est, par exemple, indispensable de multiplier les exercices. La doctrine
d’intervention, de secours et de soins doit être en permanence améliorée,
notamment en tenant compte de lexpérience accumulée lors de ces exercices. La
logistique doit faire lobjet dune attention soutenue et les délais d’intervention
doivent être, autant que possible, réduits. Des moyens de prise en charge initiale
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des victimes acheminables dans des délais très courts sur le site dun attentat
doivent être développés. Larsenal thérapeutique doit être complété.
Mais cest aussi leffort de formation des acteurs de tous niveaux qui doit être
renforcé. Chacun doit connaître ses missions et être entraîné à les ecuter dans le
cadre des doctrines d’intervention formalisées dans les circulaires
interministérielles. Tel est aussi lobjectif du présent ouvrage.
Bernard Boubé
Préfet,
Directeur chargé de la protection et de la sécurité de l'Etat au Secrétariat général
de la défense nationale
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Historique et actualité : crédibilité de la menace
1. Risque nucléaire et radiologique
Malgré le développement d’arsenaux nucléaires tactiques redoutables par les grandes
puissances au cours des cinquante dernières années, il n'y a eu à ce jour aucune utilisation
militaire de produits radioactifs, probablement en raison des difficultés de leur mise en œuvre
et de l’incertitude des avantages que l'on pourrait en attendre lors d’un conflit armé.
L'utilisation militaire de l'énergie nucléaire a d’abord été envisagée au cours de la seconde
guerre mondiale. L’Allemagne avait mis au point un réacteur, constitué de blocs d'uranium
plongés dans un bac d'eau lourde. Nécessaire à la maîtrise de l'énergie nucléaire et à la
réalisation d'une bombe, l’eau lourde avait une importance stratégique considérable. En
février 1940, la France acheta en Norvège tout le stock d'eau lourde disponible et le fit
transporter à Paris, puis aux États-Unis pour plus de sécurité. En 1941, les services secrets
britanniques apprenaient que les Allemands constituaient des stocks d’eau lourde pour mettre
au point une arme nucléaire. La compétition pour la maîtrise de l'énergie nucléaire devenait
cruciale, le premier camp disposant de cette arme étant assuré de la victoire. Plusieurs
physiciens émigrés, dont Albert Einstein, ayant convaincu le président Roosevelt qu’il fallait
doter les Etats-Unis de l’arme nucléaire, le programme "Manhattan" était lancé. Recherchant
de nouvelles voies pour obtenir une réaction en chaîne explosive, les savants américains ont
mis au point la bombe atomique (bombe à fission) en 1945. Après un essai à Alamogordo, les
Etats-Unis utilisaient cette arme les 6 et 9 août de cette même année contre le Japon. Selon les
estimations, ces bombardements ont provoqué 140 000 morts à Hiroshima et 70 000 à
Nagazaki, essentiellement par lésions de souffle, brûlures et polytraumatismes, ainsi que des
destructions matérielles considérables. Les effets radiatifs de ces armes sont restés
extrêmement modestes en comparaison avec leurs effets mécaniques et lumino-thermiques.
Leur puissance destructrice phénoménale a conduit le Japon à capituler immédiatement,
mettant fin à la seconde guerre mondiale. L’effet terrifiant et dévastateur de ces armes a
frappé l’imaginaire de l’humanité et soutenu la doctrine de dissuasion nucléaire. Fondée sur
l'équilibre de la terreur, cette doctrine a prévalu jusqu'à la fin du 20ème siècle.
Il n'y a aujourd'hui aucun exemple connu de terrorisme radiologique ou nucléaire. Cependant,
des accidents dramatiques comme ceux de Goiânia en 1985 et de Tchernobyl en 1986, ont
révélé l'impact considérable des événements radiologiques et nucléaires sur l'opinion
publique, le comportement des populations et leur potentiel de désorganisation du tissu
économique et social. Les conséquences terribles qu'aurait un attentat radiologique ou
nucléaire placent une telle éventualité au rang des menaces émergentes majeures.
2. Risque biologique
Transmettre une maladie à son ennemi n’est pas une idée nouvelle. L’histoire nous apprend
que des armes biologiques ont été utilisées bien avant que l’existence des microbes soit
connue. La pollution des collections d’eau par l’immersion de cadavres a été utilisée à toutes
les époques, en particulier dans les régions arides. Six siècles avant Jésus-Christ, les
Assyriens empoisonnaient des puits avec de l’ergot de seigle. En 1346, assiégeant le comptoir
Génois de Kaffa en Crimée, les Tatars catapultèrent des cadavres de pesteux par-dessus les
remparts de la ville afin d’y répandre la maladie et de s’en emparer plus facilement.
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Le virus de la variole fut utilisé à de nombreuses reprises dans les Amériques, d’abord par les
conquistadors pour réduire les Incas, puis par les Anglais en 1756 contre les Indiens restés
fidèles aux Français et, semble-t-il, par les Français eux-mêmes, à Fort Pontiac en 1763,
contre les Indiens. La contamination des populations se faisait par distribution de couvertures
contaminées.
En 1916, lors du premier conflit mondial, on découvrit dans la légation allemande de Bucarest
des caisses contenant du bacille de la morve ainsi que des instructions d’emploi. Ce bacille,
destiné aux chevaux des armées alliées, devait être mélangé au fourrage avec du verre pilé
pour créer des lésions digestives favorisant l’infection.
Une étape supplémentaire a été franchie par le Japon, avec la tristement célèbre unité 731
implantée en Mandchourie dès 1937. Plus de 3 000 prisonniers Chinois furent victimes des
expérimentations japonaises sur les armes biologiques. En 1940, des épidémies de peste
furent déclenchées en Mandchourie et en Chine par largage de sacs de riz contenant des puces
infectées par l’agent de la peste.
En réponse aux programmes d’armement biologique japonais et allemand, l’Angleterre et les
Etats-Unis lancèrent leurs propres études sur l’agent du charbon (Anthrax en anglais). L’île de
Gruinard, en Ecosse, fut la cible de petites bombes chargées de spores de charbon pour servir
de modèle d’étude. Près de 4 hectares furent ainsi contaminés. La décontamination effective
de l’île ne put être menée à bien qu’en 1990, à l’aide de 280 tonnes de formol.
Dans le cadre du programme «Biopreparat» mené depuis le début des années 70, les Russes
avaient réussi à militariser de nombreux agents bactériens (charbon, peste, tularémie) et
viraux (Lassa, Marburg). En avril 1979, un accident de laboratoire déclenchait une épidémie
de charbon pulmonaire à Sverdlovsk, tuant au moins 68 personnes. Le lien de cette
catastrophe avec des travaux militaires n’a été reconnu qu’en 1992 par les autorités Russes.
Plus récemment, l’Irak a frappé les esprits en menaçant d’utiliser les armes biologiques
pendant la première Guerre du Golfe. Cette menace était bien réelle : le programme d’armes
biologiques, mené depuis près de 20 ans, avait produit 19 000 litres de toxine botulique, 8 500
litres de spores de charbon et 2 400 litres d’aflatoxine. Des dispersions de spores de charbon
et de toxine botulique à l’aide de «bombes aériennes» auraient été pratiquées en 1988. Ce
programme semble avoir été arrêté après la première Guerre du Golfe, aucune arme
biologique n’ayant été découverte après l’intervention des forces anglo-américaines en 2003.
Le risque d’utilisation terroriste des armes biologiques est aussi très préoccupant ; il a été
longtemps possible d’acheter auprès de la collection nationale américaine de micro-
organismes (ATCC) des souches de bacille du charbon en toute légalité pour 35 $.
Parmi les incidents les plus marquants, on peut mentionner une tentative du «Weather
Underground» de se procurer des agents biologiques à Fort Detrick en 1970, la découverte
d’un refuge de la «Fraction Armée Rouge» à Paris où était entreposée de la toxine botulique
en 1980, des tentatives d’assassinats au moyen de parapluies dont l’embout était imprégné de
ricine (assassinat de Georgi Markhov en 1978 par les services secrets bulgares), l’arrestation à
Las Vegas en février 1998 d’un biologiste d’extrême droite en possession de 50 kilogrammes
de spores de B. anthracis dans le coffre de sa voiture et la tentative de la secte Aum
d’épandage de toxine botulique dans le métro de Tokyo. Plus récemment, c’est l’affaire des
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enveloppes piégées par des spores de charbon qui rappelle que la menace biologique est bien
réelle.
La convention de 1972 sur les armes biologiques et les toxines, signée et ratifiée par 130 pays
interdit le développement, la production, le stockage et le transport d’agents biologiques à des
fins militaires. Dans la pratique, ce traité présente des failles importantes puisqu’il ne prévoit
aucune vérification et qu’il n’interdit pas de travailler sur des agents biologiques à des fins de
défense ou pour des utilisations médicales. L’arme biologique reste donc un problème majeur
de défense civile et militaire qui préoccupe aujourd’hui les pouvoirs publics.
3. Risque chimique
Les armes chimiques ont été utilisées depuis l'antiquité, mais c'est surtout au cours du XXème
siècle qu'elles ont été développées. La première utilisation connue remonte à 600 ans avant
J.C., où Solon eut l’idée d’utiliser les propriétés purgatives des rhizomes d’ellébore en les
jetant dans la rivière Pléistos pour neutraliser ses ennemis perses dans la région de Delphes.
En 428 avant J.C., le fils du roi de Lacédémone tenta d’intoxiquer les assiégés de Platées en
faisant brûler des fagots imprégnés de poix et de soufre, mais un violent orage éteignit le feu.
Plus tard, cette nouvelle technique de guerre permit de prendre Delium.
Le «feu grégeois», pâte incendiaire et toxique de formule byzantine (constituée d’un mélange
de poix, de soufre, de salpêtre, et d’oxysulfure d’antimoine), fut utilisé pendant plusieurs
siècles par les assiégeants, jusqu’à l’invention de la poudre.
Au XVème siècle, la première grenade lacrymogène était décrite en Allemagne. Plus tard,
Léonard de Vinci imaginait des bombes fumigènes et arsenicales. Au XVIIème siècle,
Leibniz inventait le «pot puant» dont la fumée obligeait l’ennemi à fuir, dispositif qui fut
utilisé pendant la guerre de Trente Ans (1618-1648) puis lors des dragonnades dans le
Languedoc.
Au XVIIIème siècle, Flemming, diplomate et écrivain allemand, enseignait la fabrication de
mélanges à base de dérivés d’arsenic, de plomb, d’antimoine, de cuivre, le tout saupoudré de
belladone, d’aconit, d’ellébore, de noix vomique et imprégné de divers venins. En 1813, un
pharmacien allemand suggérait l’emploi de l’acide cyanhydrique pour venir à bout des
troupes napoléoniennes.
C’est au cours du premier conflit mondial que l’arme chimique fut utilisée de façon massive
et délibérée. Le professeur Fritz Haber, chimiste allemand qui avait synthétisé le gaz
ammoniac à partir de l’azote de l’air en 1910, mit au point un procédé de diffusion du chlore.
Le 22 avril 1915 à 17h24 eut lieu la première attaque chimique dans le secteur d’Ypres en
Belgique. En 6 à 8 minutes, 150 à 180 tonnes de chlore furent libérées d’environ 6 000
bouteilles d’acier disposées dans les lignes allemandes. Le nuage s’étendit sur 6 km, mettant
hors de combat 15 000 hommes et entraînant la mort de 5 000 soldats par œdème aigu du
poumon. L’effet de surprise fut total. Les témoignages sont éloquents : «Des hommes se
roulaient à terre convulsés, toussant, vomissant, crachant le sang. La panique était extrême.
Nous étouffions dans un brouillard de chlore. D’un bout de l’horizon à l’autre, le ciel était
opaque, d’un vert étrange et sinistre» (Docteur Béliard, médecin du 66ème régiment
d’infanterie). «Nous avions l’impression de nous noyer. C’était comme si on nous arrachait la
langue et les yeux. Nous bavions, nous étouffions et nous nous tordions pour avoir de l’air»
(témoignage anonyme).
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Poursuivant ses travaux, Haber décida d’employer le phosgène, agent suffocant cinq à six fois
plus toxique que le chlore qui fut utilisé le 22 juin 1916 à Verdun. Les Français ripostèrent
avec de l’acide cyanhydrique. Pendant cette période, les alliés élaboraient des moyens de
protection des voies respiratoires de plus en plus efficaces.
En 1917, Haber mit au point un produit persistant capable de contaminer le terrain, d’attaquer
les téguments et les voies respiratoires. Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1917, des obus chargés
de ce nouveau toxique furent tirés des lignes allemandes. Le lieu de l’attaque et l’odeur de
moutarde donnèrent à ce produit le nom d’ypérite ou «gaz moutarde». En trois semaines,
14 000 soldats alliés étaient hors de combat, l'effet de panique vis-à-vis des "gaz" étant à son
paroxysme. Haber notait que «Toute sensation inhabituelle ressentie dans la bouche inquiète
l’esprit». En octobre 1917, une attaque au phosgène menée par les Allemands contre les
Italiens ne fit aucun survivant.
En 1918, toutes les grandes nations industrielles engagées dans le conflit disposaient de stocks
importants d’ypérite. A partir du mois de juin, les obus d'ypérite représentaient 25 % des
munitions d’artillerie de l’armée française. La même année, les Etats-Unis mirent au point la
lewisite, une arsine aux propriétés vésicantes et d’action plus rapide que l’ypérite. Au total, on
estime à 91 000 le nombre de décès liés aux armes chimiques entre 1915 et 1918, soit 7 % du
total des pertes de la première guerre mondiale.
En 1920, les Allemands découvraient le «zyklon B», gaz dérivé de l’acide cyanhydrique,
utilisé dès 1940 dans les chambres d'extermination. En 1936 en Abyssinie, l’Italie attaquait
les troupes éthiopiennes à l’ypérite.
Dès 1935, le chimiste allemand Gehrard Schrader synthétisait les insecticides
organophosphorés, le tabun fin 1936 et le sarin en 1938. Ces composés, très toxiques pour
l’homme en raison de leurs propriétés anticholinestérasiques, furent remis aux militaires sur
ordre du IIIème Reich et produits en grande quantité. En 1942, la première usine destinée à
produire du tabun fut construite à Dyhernfuhrt. L’Allemagne a produit 30 000 tonnes de tabun
de 1942 à 1945. A partir de 1945, elle pouvait fabriquer 7 000 tonnes de sarin par an. En
1944, l’équipe de Schrader synthétisait le soman, de structure chimique voisine de celle du
sarin, mais plus toxique car capable de modifier les cholinestérases rapidement et de façon
irréversible.
Pourtant, l’arme chimique ne fut pas utilisée lors du deuxième conflit mondial. Il semble que
les Japonais aient employé l’ypérite et la lewisite à plusieurs reprises de 1937 à 1943 en
Chine, sur la ville de Yichang. En Italie, en décembre 1943 un bateau américain chargé de
100 tonnes d’ypérite fut bombardé par les Allemands dans le port de Bari. De nombreux
marins projetés à l’eau furent brûlés par les nappes d’ypérite, tandis que les alliés et la
population civile étaient victimes du nuage toxique.
Après la capitulation, 50 000 tonnes de munitions chargées de toxiques de guerre
(essentiellement neurotoxiques organophosphorés et ypérite) furent découvertes par les
Américains en Allemagne. Roosevelt et Churchill ayant averti Hitler que, s’il utilisait les gaz
de combat, ils n’hésiteraient pas à répliquer avec des armes de même nature, il est probable
que l’effet de dissuasion ait rendu non utilisable cet arsenal chimique.
Après la guerre, les stocks d’armes chimiques allemands furent déplacés vers l’Est, et les
usines de production furent démontées pièce par pièce et reconstruites en U.R.S.S.
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De leur côté les Etats-Unis préparèrent des roquettes chargées de neurotoxiques
organophosphorés pour la guerre de Corée (1951-1953). Une partie de ce stock, soit 6 500
roquettes chargées de sarin furent immergées le 20 août 1972 à 500 km à l’Est de Cap
Kennedy par 5 000 mètres de fond.
En 1953, les anglo-saxons mettaient au point le VX ou A4 appartenant à la série des amitons,
famille d’insecticides efficaces contre les acariens.
Durant la guerre du Yémen (1962-1967), les troupes égyptiennes vinrent en aide aux
républicains en lutte contre les royalistes. Les preuves d’emploi de phosgène et d’ypérite ont
été apportées par la Croix Rouge Internationale. Lors du conflit Iran-Irak (1980-1988),
l’ypérite et le tabun furent utilisés à plusieurs reprises par l’Irak. Le 22 mars 1988, l’Irak
attaquait les Kurdes d’Halabja massacrant 5 000 personnes vraisemblablement avec des gaz
toxiques.
Plus récemment, deux attentats chimiques au sarin étaient perpétrés au Japon par la secte Aum
Shirin Kyo, le premier à Matsumoto (7 morts et 600 intoxiqués) en juin 1994, le second dans
le métro de Tokyo (12 morts et plus de 5 000 intoxiqués) le 20 mars 1995. Ces événements
ont conduit la plupart des nations développées à s’interroger sur la vulnérabilité des grandes
agglomérations urbaines en mettant à jour l’impréparation des services d’urgence et des
responsables de défense.
11
Risques nucléaire et radiologique
1. Les rayonnements ionisants
1.1. La radioactivité
1.2. Les générateurs électriques de rayonnements ionisants
1.3. Comparaison du risque entre sources radioactives et générateurs électriques
2. Les principales sources de rayonnements ionisants
2.1. Les sources radioactives
2.2. Les générateurs électriques de rayonnements ionisants
2.3. Les activités utilisant l'énergie nucléaire
2.3.1. Les réacteurs nucléaires
2.3.2. Les armes nucléaires
3. Caractérisation des sources et unités opérationnelles
3.1. Energie
3.2. Activité
3.3. Période radioactive
3.4. Effets de l'exposition
3.4.1. Effets physiques : dose absorbée et débit de dose
3.4.2. Effets biologiques
4. Modalités d'irradiation
4.1. Exposition externe
4.2. Contamination externe
4.3. Contamination interne
4.3.1. Transférabilité des radioéléments
4.3.2. Période effective des radioéléments
4.3.3. Dose engagée
5. Effets biologiques des rayonnements ionisants
5.1. Les effets obligatoires ou déterministes
5.1.1. Expositions aiguës localisées
5.1.2. Expositions globales aiguës
5.2. Les effets aléatoires ou stochastiques
5.2.1. Les effets cancérigènes
5.2.2. Les effets génétiques
6. Typologie des événements
6.1. Accidents ou malveillance
6.2. Pertes et vols de sources scellées
6.3. Non-respect des règles d'utilisation des rayonnements ionisants
6.4. Dispersion de matière radioactive
6.5. Evénements concernant les réacteurs nucléaires
6.6. Accidents concernant les armes nucléaires
6.6.1. L'accident radiologique
6.6.2. L'accident pyro-radiologique
6.6.3 L'explosion nucléaire
Risque nucléaire et radiologique : ce qu'il faut retenir
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Risques nucléaire et radiologique
Depuis la découverte des rayons X par Röntgen en 1895 et celle de la radioactivité par
Becquerel en 1896, l'utilisation des rayonnements ionisants s'est rapidement développée en
médecine, dans la recherche, dans l'industrie et aussi à des fins militaires. Si les applications
des rayonnements ionisants ont été source de grands progrès aussi bien en médecine que dans
l'industrie, leurs effets nocifs ont été reconnus dès l'apparition d'accidents cutanés en 1896 et
de cancers radio-induits en 1902, nécessitant une réglementation stricte pour s'en protéger.
Après les événements du 11 septembre 2001, l'hypothèse d'un attentat terroriste radiologique
par rayonnements ionisants, voire nucléaire n'est plus à écarter. Afin de se préparer à une telle
éventualité, il faut connaître les risques dus aux rayonnements ionisants, savoir les détecter,
s'en protéger et être capable de prendre en charge un blessé irradié ou contaminé.
1. Les rayonnements ionisants
Des rayonnements sont dits ionisants, lorsqu'ils disposent d'une énergie suffisante pour
pouvoir arracher des électrons aux atomes (ionisation). Les rayons ionisants sont :
soit des particules (α, β),
soit des ondes électromagnétiques (photons X ou γ).
Ils ont pour origines la radioactivité, naturelle ou artificielle, et les générateurs électriques
ainsi que les activités utilisant l'energie nucléaire (réacteurs et armes nucléaires).
1.1. La radioactivité
Les atomes ont une structure générale identique avec un noyau, constitué de deux types de
particules, les neutrons et les protons, autour duquel gravitent des électrons.
Les protons sont des particules élémentaires chargées positivement. Les neutrons sont des
particules de même taille et de même poids que les protons mais sans charge. Les électrons
sont des particules 2 000 fois plus légères chargées négativement. Dans un atome
électriquement neutre, il y a autant d'électrons que de protons.
Le nombre de protons contenus dans l'atome permet d'identifier un élément chimique.
L'oxygène contient toujours 8 protons, l'azote 7, le carbone 6 et l'uranium 92. L'addition du
nombre de protons et de neutrons est le nombre de masse. Lorsque des atomes d'un même
élément (même nombre de protons) possèdent un nombre différent de neutrons, ce sont des
isotopes. Ceux-ci peuvent être stables ou instables. S'ils sont instables, ce sont des isotopes
radioactifs, encore appelés radioéléments ou radio-isotopes ou radionucléides. U235 et U238
sont deux isotopes de l'uranium contenant respectivement 143 et 146 neutrons. Pour tendre
vers la stabilité, leur noyau se transforme en libérant un trop plein de matière et/ou d'énergie
(désintégration radioactive). Ce phénomène est la radioactivité.
On distingue 4 modalités de désintégration radioactive, donnant naissance à 4 types de
rayonnements ionisants : les rayonnements alpha, bêta, neutronique et gamma.
13
La radioactivité alpha est le mode de désintégration privilégié des éléments très lourds
comme l'uranium 235, l'uranium 238, le plutonium 239 ou le radon 222. Elle se traduit par
l'émission d'une grosse particule chargée, constituée de 2 protons et 2 neutrons. L'énergie du
rayonnement alpha émis est spécifique de chaque isotope. Ceci permet une identification
précise du radionucléide.
La radioactivité bêta est le mode de désintégration de très nombreux radioéléments. Elle se
traduit par l'émission d'une petite particule chargée, issue du noyau, similaire à un électron ou
à un positon (électron chargé positivement). La particule bêta a une énergie variant de zéro à
une énergie maximale, propre au noyau considéré. L'identification des éléments radioactifs
émetteurs bêta est assez complexe.
L'émission neutronique spontanée est peu fréquente. Elle fait suite à des phénomènes
complexes comme, par exemple, la fragmentation de certains noyaux très lourds appelée
fission spontanée.
Les neutrons sont essentiellement rencontrés auprès de sources neutroniques artificielles
spécifiques ou des réacteurs nucléaires. Leur détection est difficile. L'identification des
sources neutroniques se fait le plus souvent au travers des autres types de radioactivité qui lui
sont associés.
La radioactivité gamma se rencontre fréquemment dans la nature. Elle concerne de très
nombreux noyaux radioactifs. A la suite d'une désintégration alpha ou bêta ou d'une émission
neutronique, le noyau peut se trouver dans un état encore instable. L'excès d'énergie est émis
sous la forme d'un grain d'énergie pure appelé photon gamma, sans masse ni charge. Le ou les
rayonnements gamma émis par un radioélément sont spécifiques. Il est donc possible de
réaliser une identification précise d'un radionucléide en mesurant l'énergie des photons émis.
1.2. Les générateurs électriques de rayonnements ionisants
Les rayonnements ionisants peuvent aussi être obtenus en apportant de l'énergie en quantité
suffisante à la matière. C'est le principe des générateurs de rayons X et des accélérateurs de
particules.
Les rayons X et gamma sont de même nature (photons). Toutefois, les rayons gamma
proviennent du noyau alors que les rayons X sont issus du cortège électronique de l'atome.
Les rayons X peuvent avoir deux origines :
learrangement électronique : leur énergie est alors spécifique de l'élément chimique
considéré et non de l'isotope,
le phénomène de freinage dlectrons incidents (effet Bremsstrahlung) : leur énergie,
non spécifique, varie entre 0 et une énergie maximum directement fonction de l'énergie
initiale de l'électron.
Dans un tube à rayons X, une cathode et une anode sont soumises à une différence de
potentiel de plusieurs dizaines de milliers de volts. La cathode est chauffée pour faciliter
l'arrachement des électrons. Les électrons, attirés par l'anode, produisent en la percutant des
rayons X par les deux phénomènes évoqués ci-dessus (figure 1).
Les accélérateurs utilisent des particules chargées à une beaucoup plus haute énergie que ce
que l'on peut obtenir avec une simple différence de potentiel. Ils comportent des risques
14
propres à chaque type d'installation, liés aux types de rayonnements émis et à la possibilité de
créer des sources radioactives artificielles.
1.3. Comparaison du risque entre sources radioactives et
nérateurs électriques
L'émission de rayonnements ionisants par une source radioactive obéit à une loi de
décroissance dans le temps sur laquelle on ne peut agir. Il est donc nécessaire d'utiliser, en
permanence, des moyens de protection adaptés.
Les générateurs électriques obéissent à un effet «On/Off» lié à la présence ou à l'absence
d'alimentation électrique. Cependant, ils peuvent laisser persister des risques résiduels comme
les sources de radioactivité artificielle parfois créées par les accélérateurs de haute énergie
(phénomène d'activation de la matière).
2. Les principales sources de rayonnements ionisants
Le risque radiologique et nucléaire est omniprésent dans notre société. En effet, les
rayonnements ionisants se rencontrent dans des domaines extrêmement variés, parfois
insoupçonnés. On distingue les sources radioactives, les générateurs électriques et les activités
utilisant l'énergie nucléaire.
2.1. Les sources radioactives
Les sources radioactives se présentent sous forme scellée (normalement non dispersable) ou
sous forme non scellée (dispersable).
Les applications industrielles des sources scellées comprennent essentiellement la
radiographie, les jauges radiométriques et le radiotraitement. Les laboratoires de recherche
utilisent la plupart des sources radioactives disponibles, associées à des radioéléments plus
inhabituels en fonction de leurs activités spécifiques.
Les sources de contrôle non destructif sont utilisées pour faire des radiographies de matériaux.
La gammagraphie utilise essentiellement des sources d'iridium 192, parfois de cobalt 60.
L'activité des sources les plus usuelles est importante, de l'ordre de 3 000 gigabecquerels
(GBq). Les gammagraphes sont des matériels très répandus (plus de 600 en circulation en
France). La source d'un gammagraphe est un petit cylindre d'acier mesurant environ 2 cm de
long sur 5 mm de diamètre (figure 2). Leurs faibles dimensions amènent à sous-estimer le
danger potentiel qu'elles représentent quand elles sont manipulées par des personnes non
averties. Elles peuvent être à l'origine d'accidents graves d'irradiation.
La neutronographie utilise des sources de neutrons comme le californium 252 ou le couple
américium/béryllium. La neutronographie est utilisée pour radiographier des matériaux
hydrogénés.
La bêtagraphie, utilisant des sources bêta comme le carbone 14, est citée pour mémoire.
Les jauges radiométriques s'appuient sur un couple source radioactive/détecteur. En mesurant
l'absorption des rayonnements ionisants par un matériau, on détermine la valeur d'un
15
paramètre. Il existe des jauges de niveau, d'épaisseur, et de densité dont les sources ont une
activité moyenne de l'ordre de 30 GBq. Les jauges d'humidité, pour la recherche d'éléments
chimiques très légers comme l'eau ou les hydrocarbures en prospection géologique, utilisent
des sources de neutrons portables du même type que celles utilisées en neutronographie.
Le radiotraitement chimique et biologique utilise les rayonnements gamma. La chimie sous
rayonnements ionisants emploie de très fortes sources de cobalt 60 ou de césium 137, de plus
de 37 000 GBq pour le traitement de certains plastiques ou pour la radiostérilisation de
produits médicaux, d'aliments ou de cosmétiques. Ces sources obéissent à une législation
particulière concernant leur sécurité d'emploi.
On peut aussi trouver des sources scellées pour d'autres utilisations, par exemple dans les
anciens paratonnerres, dans des dispositifs d'élimination de l'électrostatisme, ou encore dans
certains détecteurs de fumée. Ces sources ont toujours de très petites activités.
L'utilisation de sources non scellées n'est pas fréquente en milieu industriel. Elle concerne
essentiellement les traceurs pour études hydrologiques, contrôles d'usure de pièces ou
recherche de fuites, et la fabrication d'objets radioluminescents.
En milieu médical, les sources radioactives scellées servent en radiothérapie pour effectuer
des traitements in situ (curiethérapie) ou à distance (radiothérapie externe). En France, les
sources de curiethérapie sont constituées d'iridium ou de césium, tous deux émetteurs gamma.
Les activités de ces sources sont inférieures à 37 GBq. Pour la radiothérapie externe, le cobalt
60 a remplacé le césium 137. Ce sont des sources de très petite taille (quelques centimètres)
ayant des activités très importantes, supérieures à 37 000 GBq (plusieurs milliers de curies).
En médecine, les radioéléments sous forme non scellée ont trois utilisations.
Les analyses biologiques : les radio-marqueurs sont progressivement remplacés par des
marqueurs non radioactifs. Les radioéléments utilisés sont très variés. Les quantités détenues
sont en général faibles afin de limiter les risques.
L'imagerie médicale : les services de médecine nucléaire utilisent des radio-pharmaceutiques
à visée diagnostique, qui sont ingérés par le patient afin d'obtenir une image fonctionnelle
d'un tissu ou d'un organe.
La thérapeutique : les radio-pharmaceutiques peuvent constituer un traitement à eux seuls, par
exemple l'iode 131 pour le traitement du cancer de la thyroïde. Les quantités de radioéléments
sous forme non scellée détenues par les services de médecine nucléaire peuvent être
importantes : pour traiter un cancer de la thyroïde, on utilise environ 3,7 GBq par patient.
2.2. Les générateurs électriques de rayonnements ionisants
Les applications industrielles des générateurs électriques de rayonnements ionisants sont
voisines de celles des sources radioactives. La principale différence réside dans le fait que ces
appareils nécessitent une alimentation électrique que l'on peut couper à tout moment, ce qui
interrompt l'émission des rayonnements ionisants.
Les applications médicales comprennent le radiodiagnostic et la radiothérapie.
16
Le radiodiagnostic médical est, pour l'homme, la plus grande source d'exposition aux
rayonnements ionisants artificiels. Il utilise les appareils de radiographie standard et les
scanners X.
Les générateurs électriques utilisés en radiothérapie sont des accélérateurs d'électrons de
moyenne énergie (20 millions de volts) qui permettent d'obtenir un faisceau d'électrons ou des
rayons X.
Dans le domaine de la recherche, les grands accélérateurs et les instruments scientifiques
servant à l'étude de la structure fine de la matière induisent des risques très variables. Tous les
types de rayonnements ionisants peuvent être rencontrés. Certaines installations sont à
l'origine de phénomènes d'activation laissant persister un risque radiologique, même après
l'arrêt de l'installation.
2.3. Les activités utilisant l'énergie nucléaire
Les activités utilisant l'énergie nucléaire, représentées par les réacteurs et les armes, sont à
considérer séparément, compte tenu de leurs grandes nuisances potentielles et de leurs
caractéristiques propres. Elles ont pour but la production d'énergie, la radioactivité créée est
un effet secondaire souvent indésirable.
2.3.1. Les réacteurs nucléaires
On identifie deux grandes familles de réacteurs nucléaires : les réacteurs de puissance utilisés
pour produire de l'énergie électrique ou de la vapeur, et les réacteurs de recherche. Leurs
technologies peuvent être très différentes selon les pays, mais leur unique principe de
fonctionnement est aujourd'hui la fission nucléaire. Des recherches se poursuivent pour avoir
recours un jour à la fusion nucléaire (projet ITER).
Principe de fonctionnement d'un réacteur de puissance
Le noyau de certains gros atomes a la propriété de se casser, généralement en deux, sous
l'effet d'une collision avec des neutrons : c'est la fission nucléaire. La fission aboutit à la
création de nouveaux noyaux plus petits, généralement radioactifs, appelés produits de fission
(en général émetteurs bêta et gamma), de beaucoup d'énergie et de quelques neutrons qui
peuvent entretenir la réaction en chaîne. Dans un réacteur, cette réaction doit être
constamment contrôlée. Pour chaque fission, environ un neutron sur les deux ou trois
produits, est rendu utilisable pour une nouvelle fission.
L'énergie produite lors de la fission est récupérée par un caloporteur (de l'eau par exemple)
qui sert à chauffer un deuxième circuit sans contact direct avec le premier, dans lequel est
produite de la vapeur. Cette vapeur est utilisée dans une turbine pour produire de l'électricité.
En simplifiant à l'extrême, on peut dire qu'un réacteur de puissance sert à transformer une
partie de l'énergie interne du noyau en énergie électrique (figure 3).
Radioactivité et réacteur nucléaire
Un certain nombre de gros noyaux peuvent fissionner dans les réacteurs. Les noyaux fissiles
les plus couramment utilisés sont l'uranium 235 et le plutonium 239. Ces noyaux sont
radioactifs. L'uranium 235 existe naturellement dans la croûte terrestre en raison de sa période
17
très longue (de l'ordre du milliard d'années). Le plutonium 239 a existé naturellement lors de
la création de la terre, mais a disparu en raison de sa période relativement courte (24 000 ans)
comparée à l'âge de la terre.
La fission des noyaux donne naissance à des produits qui représentent l'essentiel de la
radioactivité d'un réacteur. Parfois, les noyaux fissiles ne fissionnent pas sous l'effet de la
collision avec un neutron, mais absorbent ce dernier. On obtient alors des noyaux plus gros
que celui d'origine, appelés transuraniens qui n'existent pas naturellement sur la terre. Le
plutonium 239 est un transuranien typique. Ces transuraniens sont essentiellement des
émetteurs alpha.
Par capture de neutrons issus des réactions en chaîne, un certain nombre de noyaux stables
peuvent se transformer en isotopes radioactifs. Ces produits d'activation, comme le cobalt 60,
sont en général des émetteurs bêta et gamma.
Risques associés
Le principe de sûreté d'un réacteur nucléaire s'appuie sur le concept de défense en profondeur
(répétition des barrières de sécurité). Ce concept permet d'éliminer quasiment tout risque
d'accident grave (dispersion de radioéléments) dans les conditions normales d'utilisation du
réacteur. Les principaux radionucléides pris en compte sur le plan sanitaire sont l'iode, le
strontium et le césium.
2.3.2. Les armes nucléaires
Les armes nucléaires peuvent fonctionner selon deux modes très différents, la fission ou la
fusion nucléaire.
Principe de fonctionnement
Les armes à fission utilisent le principe de la réaction en chaîne non contrôlée, c'est-à-dire que
chaque fission est à l'origine de plusieurs. Il y a une progression géométrique du nombre de
fissions, qui aboutit à la libération d'une quantité d'énergie très importante émise dans un
temps extrêmement court. A Hiroshima et Nagasaki, les deux bombes étaient de ce type.
Les armes à fusion (thermonucléaire) ont un principe de fonctionnement différent. Elles
utilisent le fait que la réunion de deutérium et de tritium, deux noyaux très légers, en un seul
noyau d'hélium libère une très grande quantité d'énergie. Cette réaction très particulière ne
peut avoir lieu qu'avec des températures de plusieurs millions de degrés et des pressions très
importantes. Ces conditions peuvent être réunies lors de la fission nucléaire. Pour réaliser une
arme à fusion, on utilise un détonateur, constitué d'une petite arme à fission qui sert d'amorce
à la réaction de fusion. La fusion permet de produire des armes beaucoup plus puissantes dans
un volume moindre.
Risques associés
Selon le type d'arme nucléaire considéré, les radioéléments présents peuvent être, pour
l'essentiel, l'uranium 235, l'uranium 238, le plutonium 239 ou le tritium. Les trois premiers
radioéléments sont des émetteurs alpha, le tritium est un émetteur bêta de très faible énergie.
Une arme nucléaire contient plusieurs kilogrammes de plutonium 239.
18
Risques accidentels
La conception des armes nucléaires françaises comporte une préoccupation de sûreté
maximum. Ainsi, tout est fait pour qu'une explosion nucléaire ne puisse avoir lieu que si
l'ensemble des sécurités en cascade a été levé. En termes de probabilité, on peut dire qu'il y a
plus de risque de mourir en France à la suite de la percussion de la terre par une météorite que
par l'explosion spontanée d'une arme nucléaire française. Il existe deux autres risques propres
aux armes nucléaires :
l'accident radiologique qui consiste en la dispersion dans l'environnement de la matière
radioactive contenue dans l'arme, sans détonation ni incendie,
l'accident pyro-radiologique qui consiste en la dispersion dans l'environnement de la
matière radioactive contenue dans l'arme, avec détonation de l'explosif chimique et/ou
incendie.
3. Caractérisation des sources et unités opérationnelles
Afin de caractériser à la fois les sources de rayonnements ionisants et les effets de ces
rayonnements, un certain nombre d'unités spécifiques ont été développées. La compréhension
de ces unités et de leurs rapports est nécessaire pour bien interpréter les mesures et les placer
dans une échelle de risque. La connaissance de la nature d'une source radioactive permet de
déterminer le type et l'énergie des rayonnements émis et inversement. Suivant le type de
rayonnements ionisants émis par une source radioactive ou un générateur électrique (alpha,
bêta, gamma, rayon X, neutron), les moyens de détection, de mesure et de protection à utiliser
seront différents.
3.1. Energie
L'énergie du rayonnement ionisant conditionne, pour partie, la pénétration du rayonnement
dans la matière et donc les moyens de protection à mettre en place. L'énergie s'exprime en
kilo-électronvolt (keV) ou en méga-électronvolt (MeV).
Pour les générateurs électriques, la grandeur prise en compte est en général la tension
accélératrice exprimée en kilovolt (kV) ou en mégavolt (MV). Pour les électrons et les
rayons X produits, leur énergie maximum exprimée en MeV est égale à la valeur de la tension
en MV.
3.2. Activité
L'activité d'une source radioactive, notée A, se définit comme le nombre de désintégrations
radioactives par seconde. L'activité d'une source dépend du nombre d'atomes radioactifs
présents à l'instant considéré et de la probabilité de désintégration par seconde de chaque
atome (constante radioactive λ).
L'unité d'activité est le becquerel (Bq). Un Bq vaut une désintégration par seconde. Cette
unité, très petite, nécessite l'emploi de multiples : méga, giga et térabecquerel, respectivement
10
6
(MBq), 10
9
(GBq) et, 10
12
(TBq). L'unité utilisée avant 1975 était le curie (Ci), défini
comme 37 milliards de désintégrations par seconde, soit approximativement l'activité d'un
gramme de radium 226 (1 Ci = 37 GBq).
19
Pour les générateurs électriques, on ne parle pas d'activité. La grandeur la plus proche, car elle
conditionne le nombre de rayonnements émis, est l'intensité du courant électrique alimentant
le générateur, généralement exprimée en milliampère (mA).
3.3. Période radioactive
Tous les corps radioactifs obéissent à la même loi de décroissance, de type exponentiel, qui
est fonction du temps écoulé mais aussi de la constante λ, propre à chaque radionucléide.
Cette équation s'écrit : N
t
=N
o
.e
-λt
N
o
est le nombre d'atomes radioactifs à l'instant t
o
considéré comme point de départ de
l'observation, t est le temps écoulé depuis t
o
, λ est la constante radioactive du radioélément.
La constante radioactive λ est une grandeur particulièrement difficile à appréhender. On lui
préfère habituellement une grandeur remarquable appelée la période radioactive, notée T, qui
exprime le temps nécessaire pour que la moitié des noyaux radioactifs d'une source
considérée à un instant t
0
se soit désintégrée (figure 4).
La relation entre T et λ est :
T=ln2/λ=0,693/λ
ln est le logarithme népérien.
L'activité A au bout du temps t=nT est A=A
o
/2
n
n est le nombre de périodes.
Connaissant l'activité initiale d'une source (A
0
à l'instant t
0
), on peut rapidement avoir une
idée de son activité à un instant t. En effet, au bout du temps t=T, l'activité est divisée par 2 ;
au bout de t=2T, elle est divisée par 4 ; au bout de t=3T elle est divisée par 8 et ainsi de suite.
Par exemple, si la période d'un radioélément est de 2 minutes, au bout de 20 minutes, l'activité
initiale A
0
sera divisée par 2
10
, soit 1024.
La constante λ et la période T sont caractéristiques de chaque radionucléide et ne peuvent pas
être modifiés. L'activité d'une source est directement reliée au nombre d'atomes radioactifs
présents et donc à sa masse. Néanmoins, les différences de période radioactive ou de masse
atomique aboutissent à une très grande variabilité dans l'activité massique (figure 5).
Pour les générateurs électriques, il n'existe pas de période radioactive. Il y a présence ou
absence de tension.
3.4. Effets de l'exposition
D'autres unités sont nécessaires pour quantifier l'effet des rayonnements ionisants.
3.4.1. Effets physiques : dose absorbée et bit de dose
L'interaction d'un faisceau de rayonnements ionisants avec la matière aboutit à des dépôts
d'énergie localisés, entraînant des ionisations (arrachement d'électrons aux atomes) et des
excitations (augmentation du niveau énergétique d'électrons qui restent liés aux atomes). Les
20
effets physiques des rayonnements ionisants résultant des phénomènes d'ionisation et
d'excitation sont proportionnels à la concentration d'énergie déposée dans la matière (énergie
déposée par unité de masse).
La dose absorbée (D) est le rapport de l'énergie déposée (E) dans un volume irradié sur la
masse de ce volume (m).
D=E/m est la dose absorbée qui s'exprime en gray (Gy).
Un gray correspond au dépôt d'un joule par kg. Autrefois la dose absorbée s'exprimait en rad
(100 rad = 1 Gy).
Le débit de dose est la dose absorbée par unité de temps (Gy/h, mGy/h...). La dose absorbée
peut se mesurer ou s'évaluer à partir de tables en fonction des caractéristiques de la source.
3.4.2. Effets biologiques
La dose absorbée est très utile pour évaluer les effets physiques et biologiques des fortes
doses (plusieurs grays). En revanche, dans des gammes de doses plus basses (moins de 1
gray) et à faible débit de dose (de l'ordre de 0,1 gray/h), les observations montrent que, pour
une même dose absorbée, il existe des différences sensibles dans certains effets biologiques
(effets génétiques et cancérigènes) selon la nature du rayonnement et les tissus irradiés.
La dose équivalente H reçue au niveau d'un organe ou d'un tissu dépend du type de
rayonnement incident (R). Elle est calculée en multipliant la dose absorbée par l'organe ou le
tissu par un facteur de pondération radiologique, W
R
, qui exprime l'efficacité biologique (la
toxicité) du rayonnement.
H = D.W
R
W
R
, sans unité, varie de 1 pour les rayonnements gamma, à 20 pour les rayonnements alpha et
certains neutrons. Cette variation de 1 à 20 s'explique par des modalités différentes
d'interaction avec la matière, conduisant à des effets différents au niveau des tissus.
La dose équivalente s'exprime en sievert (Sv). On utilise plus fréquemment des sous-
multiples tels que le millisievert (mSv) et le microsievert (µSv). L'ancienne unité était le rem
(1 Sv = 100 rem).
Pour une dose de 1 mGy absorbée par un tissu, la dose équivalente H est de 1 mSv avec des
rayonnements gamma ou bêta, alors qu'elle est de 20 mSv avec des rayonnements alpha.
La dose efficace E dépend du type de rayonnement (R) et de la nature des organes ou tissus
irradiés (T). Elle quantifie au niveau de l'organisme entier le risque biologique (effets
génétiques et cancérigènes) lié à l'irradiation de chaque organe. Exprimée en sievert, elle est
déterminée en multipliant la dose équivalente par un facteur de pondération tissulaire W
T
défini pour chacun des principaux organes.
E = H.WT = D.W
R
.W
T
21
A titre d'exemple, si un sujet reçoit une dose équivalente de 10 mSv au niveau du poumon, le
facteur W
T
pour le poumon étant 0,12, la dose efficace est de 1,2 mSv. Cela signifie qu'une
dose de 10 mSv absorbée par le poumon engendre le même niveau de risque qu'une dose de
1,2 mSv absorbée par l'organisme entier.
4. Modalités d'irradiation
L'exposition aux rayonnements ionisants peut prendre trois formes distinctes, qui peuvent
parfois être combinées : l'exposition externe (ou irradiation externe), la contamination externe
et la contamination interne (figure 6).
4.1. Exposition externe
Les rayonnements ionisants émis par une source à distance de l'organisme peuvent atteindre
celui-ci, soit directement, soit indirectement après diffusion sur les objets situés dans le champ
de rayonnement. Lorsque l'organisme n'est plus exposé à la source, l'irradiation externe cesse
immédiatement.
Les risques liés à une exposition externe dépendent du type de rayonnement incident.
Les rayonnements alpha ont un parcours (profondeur de pénétration ou distance
parcourue dans un milieu donné) dans l'air de quelques centimètres et sont arrêtés par la
couche cornée de la peau, faite de cellules mortes. Ils ne présentent donc aucun risque en
exposition externe.
Les rayonnements bêta ont un parcours de l'ordre du mètre dans l'air et de quelques
millitres dans les tissus vivants. Ils peuvent donc être à l'origine d'une exposition de
la peau et du derme profond. A forte énergie, ils peuvent provoquer une exposition
profonde due aux rayonnements de freinage.
Les neutrons ont un parcours de l'ordre du kilomètre dans l'air et du mètre dans les
tissus vivants. Ils comportent les mêmes risques que les rayonnements gamma.
Les rayonnements gamma ont un parcours de plusieurs kilomètres dans l'air et de
quelques mètres dans les tissus vivants : ils atteignent la peau, le derme et tous les tissus
profonds.
L'accident de San Salvador
Cet accident, survenu au Salvador en février 19 89, est un exem ple typique d'exposition
externe. A San Salvador, trois employés d'une entreprise de stérilisation industrielle utilisant
une très importante source de cobalt 60 de 600 TBq (soi t plus de 15 000 Curi es), sont
gravement irradiés en raison d'une installation obsolète et d'une méconnaissance des risques.
Suivant leur position et leur temps de présence auprès de la source, les doses corps entier
reçues sont évaluées respectivement à 8 Gy, 4 Gy et 3 Gy.
Des vomiss ements apparai ssent moins de deux heures après l'exposition. S e sentant très
fatiguées et n'arrêtant pas de vom ir, les trois victimes consultent à l'hôpital le plus proche. Ils
ne présentent aucun autre signe d'exposition aiguë. Bien qu'ils aient ment ionné leur tra vail
dans une installation utilisant des rayonnem ents ionisants, on avance le diagnostic
d'intoxication alimentaire. Le syndr ome d'irradi ation aiguë n'est reconnu que trois jours plus
tard, quand un autre patient se présente avec un érythème, des brûlures cutanées, des
nausées et des vomissements et déclare avoir eu un incident technique à l'unité d'irradiat ion.
Cet exemple montre combien le diagnostic d'irradiation aiguë peut être difficile, surtout
lorsque la notion d'accident radiologique n'a pas été clairement établie.
22
4.2. Contamination externe
Tout dépôt de radioéléments sur la peau ou les phanères, à la suite d'une retombée ou d'un
contact direct avec des radioéléments en source non scellée, constitue une contamination
externe ou exposition externe cutanée.
L'irradiation consécutive à la contamination perdure tant qu'une décontamination externe n'a
pas été réalisée, même lorsque la personne n'est plus exposée à la source de contamination.
Les risques liés à une exposition cutanée externe diffèrent selon le type de rayonnements :
les radioéléments émetteurs alpha ne présentent a priori aucun risque en contamination
externe,
les radioéléments émetteurs bêta présentent un risque particulier car ils entraînent une
exposition quasiment exclusive de la peau,
les radioéléments émetteurs gamma posent les mêmes problèmes en contamination
externe qu'en exposition externe,
la contamination externe par un radioélément émetteur de neutrons est impossible.
La contamination externe expose à un risque secondaire potentiel de contamination interne
par inhalation, ingestion ou effraction cutanée.
Les intervenants lors de l'accident de Tchernob yl
L'accident de Tchernobyl, le 26 avril 1986, au cours duquel un certain nombre de personnes
travaillant dans la centrale et d'intervenants imm édiats ont été très gravement irradiés et
contam inés, fournit un bon exemple de contamination externe. Plus de 200 patients ont été
hospitalisés dans les heures qui ont suivi la c atastrophe.
Devant cet af flux massif de victimes, la prise en charge initiale s'est limitée à un traitement
sym ptomatique (antiémétique, sédatif et iodure de pota ssium ), un bilan lésionnel complet, un
traitement des lésions traumatiques et une décontamination externe très som maire. Ce
dernier p oint s'est vélé particulièrement dommageable car tous ces patients avaient une
contam ination externe par des produits de fission, comme lesium 137, le stront ium 90, ou
l'iode 131, tous émetteurs bêta et, pour certains, gamma. La présence d'émetteurs bêta sur la
peau a provoqué des brûlures radiologiqu es sévères, d'évolution complexe.
On estime que 5 des 28 morts pcoces dans les suites de l' accident seraient en partie
attribuables au x brûlures radiologiques. Ces 5 morts, et peut- être d'autres, auraient sans
doute pu être évitées si une bonnecontam ination externe de tous les sujets exposés avait
été faite dans les meilleurs délais.
4.3. Contamination interne
Encore appelée exposition interne, c'est la pénétration de radioéléments dans l'organisme.
Cette incorporation peut se faire par différentes voies : respiratoire, digestive, transcutanée
(iode et tritium essentiellement) ou à la faveur d'une effraction cutanée. L'inhalation et les
blessures sont les portes d'entrée les plus fréquentes. Même lorsque le sujet n'est plus exposé à
la source de contamination, l'irradiation due à l'incorporation de radioéléments perdure tant
que la contamination n'a pas été éliminée. Ceci se fait soit spontanément, soit après traitement
spécifique adapté au contaminant.
En contamination interne, les radioéléments sont au contact des cellules vivantes. Cette
position modifie peu le risque induit par les rayonnements bêta, gamma, ou X. En revanche, le
risque lié aux rayonnements alpha, qui était inexistant pour les autres modes d'exposition, est
ici majeur. En effet, aucun écran ne sépare ces cellules vivantes de l'émetteur alpha et le dépôt
23
d'énergie des particules alpha, qui se fait sur un parcours très bref, induit des lésions
cellulaires très importantes.
La présence de radioéléments dans l'organisme n'est pas toujours pathologique, un certain
nombre d'atomes qui composent l'organisme étant des radioéléments. Ainsi, sur les trois
isotopes naturels du potassium, le potassium 40 est le seul radioactif. Il représente 0,012% du
stock de potassium de l'organisme, soit environ 7 000 Bq pour un homme adulte.
4.3.1. Transférabilité des radioéléments
La notion de transférabilité est définie comme la capacité d'un élément ou d'un composé,
radioactif ou non, à franchir les membranes biologiques. Etroitement liée à sa solubilité, elle
dépend aussi de divers processus métaboliques actifs pouvant aboutir à une distribution
ordonnée avec concentration dans certains organes. Ainsi l'iode, radioactif ou non, est un
élément soluble qui pourrait donc avoir une distribution homogène, mais il est concentré dans
la thyroïde par un processus actif.
Les éléments transférables comprennent les isotopes des éléments stables présents dans
l'organisme humain (iode, sodium, potassium, soufre) mais aussi des homologues chimiques
de ces éléments stables (le césium se comporte comme le potassium, le strontium et le radium
comme le calcium, etc.). D'autres éléments, peu transférables, sans homologue chimique dans
l'organisme ou ayant une forme chimique particulière, restent localisés aux portes d'entrée de
la contamination. Une fraction de ces éléments peut être transférée grâce à des mécanismes
complexes comme la migration des macrophages vers les ganglions (figure 7).
4.3.2. Période effective des radioéléments
La période effective (T
eff
) d'un radioélément dans l'organisme est le temps nécessaire pour que
la radioactivité présente à un moment donné soit divisée par 2. Elle résulte de la période
radioactive (T
R
) du radioélément et de la période biologique de l'élément chimique (figure 8).
La période biologique (T
B
) est le temps nécessaire pour que la moitié du stock d'un élément
chimique, radioactif ou non, soit éliminée ou renouvelée par les processus biologiques.
T
eff
= (T
R
.T
B
) / (T
R
+T
B
)
La période radioactive de l'iode 131 est de 8 jours, la période biologique de l'élément
chimique "iode" est d'environ 120 jours. La période effective de l'iode 131 est donc de 7,6
jours. On peut donner une représentation graphique de la période effective.
4.3.3. Dose engagée
Après une contamination interne, les radioéléments séjournent dans l'organisme en fonction
de leur métabolisme. Ils induisent à chaque instant un débit de dose qui diminue en fonction
de leurs périodes effectives. La dose reçue entre l'instant t
0
de la contamination et l'instant t
est la dose engagée. Elle est représentée par l'intégrale des débits de dose de chaque instant
entre t
0
et l'instant t considéré, ou aire sous la courbe (figure 9).
24
De la même manière que l'on a défini une dose équivalente et une dose efficace pour
l'exposition externe, on peut définir une dose équivalente engagée et une dose efficace
engagée pour l'exposition interne.
Les peintres en cadrans lumineux
Cette m alheureuse expérience illustre bien le risque de contamination interne. Dans les
années 1920 et 1930, l'industrie horlogère utilisait le radium 226 et 228 dans les peint ures
radio-luminescentes pour les montres. A cette époque, le risque de ces radioéléments
ém etteurs alpha était quas iment inconnu. Les ouvrières qui peignaient les cadrans lumineux
avaient pour h abitude d'effiler l eur pinceau en l e portant aux lèvres, in gérant chaque fois
quelques becquerels de radium. Du fait d'une homologie chimique entre radium et calcium,
des cancers osseux rares sont appar uss la fin des années 20, sous forme de carcinome
des sinus de la face.
L'enquête épidémiologique a montré le lien ent re l' exp osit ion au radium et le risque de
cancer des os : sur 2403 ouvrières pour lesqu elles la quantité de radium ingérée a pu être
évaluée, 64 étaient attein tes d'ostéosarcome alors que 2 cancers de c e type ét aie nt
stat istiquement attendus.
5. Effets biologiques des rayonnements ionisants
Les effets biologiques des rayonnements ionisants résultent des lésions radio-induites de
l'ADN et de la qualité de leur réparation. On distingue des effets obligatoires ou déterministes,
liés à la mort cellulaire, et des effets aléatoires ou stochastiques, liés à la survie de cellules
dont l'ADN reste lésé.
5.1. Les effets obligatoires ou déterministes
Ce sont des effets à seuil de dose, en deçà duquel ils n'apparaissent jamais. Au-delà, ils
apparaissent de manière obligatoire, leur gravité étant fonction de la dose. Généralement
précoces, ils se manifestent quelques heures à quelques mois après l'irradiation. Ils ont des
conséquences fonctionnelles en cas d'irradiation localisée, mais ils mettent en jeu le pronostic
vital en cas d'irradiation globale.
5.1.1. Expositions aiguës localisées
Les manifestations pathologiques des expositions aiguës localisées varient suivant la dose, le
débit de dose et les territoires ou organes irradiés. Quelles que soient les conditions
d'exposition, l'atteinte de la peau et des tissus sous-jacents est quasi-constante. Les signes
physiques de l'atteinte cutanée sont pour l'essentiel ceux d'une brûlure d'apparition et
d'évolution progressive, avec érythème, phlyctènes, oedème, nécrose et sclérose. A très fort
débit de dose, l'érythème cutané peut apparaître à partir de 3 Gy, l'épidermite sèche au-delà de
6 Gy, et l'épidermite exsudative avec des phlyctènes au dessus de 15 Gy. Les phénomènes de
nécrose sont observés pour des doses supérieures à 25 Gy. Une épilation peut apparaître au
bout de quelques jours à partir de 4 Gy. L'apparition d'un érythème précoce et fugace (dans
les premières heures) signe une irradiation cutanée d'au moins 5 Gy.
Parmi les autres organes, on décrit essentiellement des atteintes du cristallin (cataracte au-delà
de 8 Gy) et des gonades (stérilité définitive au dessus de 6 Gy). La parotidite aiguë, qui
apparaît dans les 12 heures pour une dose locale d'au moins 5 Gy à très fort débit, constitue un
excellent indicateur d'irradiation sévère.
25
Les effets sur l'embryon sont importants car le tissu embryonnaire, ayant un taux élevé de
multiplication cellulaire, est très radio-sensible. La période la plus critique se situe de la 8ème
à la 16ème semaine de grossesse. Il peut s'agir de malformations congénitales, de dysplasies
foetales ou d'atteintes du système nerveux pour des doses à partir de 0,1 à 0,2 Gy.
5.1.2. Expositions globales aiguës
Ce sont les expositions à fort débit de dose, homogènes pour l'ensemble de l'organisme. En
fait, une exposition accidentelle n'étant jamais parfaitement homogène, les tableaux cliniques
peuvent être plus ou moins dégradés.
Le syndrome d'irradiation globale aiguë comprend trois phases : une phase initiale, une phase
de latence clinique et une phase d'état. Son évolution et sa nature sont liées à la dose absorbée
et à la radio-sensibilité des différents tissus, les plus radio-sensibles étant la moëlle osseuse
hématopoïétique, puis la muqueuse intestinale (figure 10).
La phase initiale correspond à une réaction générale de type inflammatoire. Elle apparaît sous
forme mineure pour des doses supérieures à 0,5 Gy. Aux plus fortes doses, elle s'accompagne
de nausées, de vomissements, puis de diarrhées, de troubles thermiques et neurologiques. Son
observation permet d'établir une première estimation dosimétrique.
Le signe biologique le plus sensible et le plus précoce est la déplétion lymphocytaire qui a
lieu en 48 heures et qui est proportionnelle à la dose. La lymphopénie est un bon élément de
dosimétrie biologique précoce.
A la phase d'état, la nature et la chronologie des symptômes dépendent de la dose et de la
sensibilité des différents tissus :
entre 1 et 5 Gy, c'est surtout l'atteinte hématologique qui domine en 2 à 3 semaines,
traduisant l'hypoplasie ou l'aplasie médullaire,
au-de de 3 Gy, le pronostic vital est engagé : on considère que 4,5 Gy est la dose
tale 50/60 (50% des victimes meurent en 60 jours faute de soins),
entre 5 et 10 Gy, l'atteinte intestinale, due à la perte de la muqueuse de l'intestin grêle,
avec ses troubles d'absorption, hémorragiques, infectieux, apparaît en quelques jours. Un
syndrome hématologique lui succède chez les survivants,
pour des doses supérieures à 5 Gy, on peut assister à une défaillance multiviscérale,
touchant successivement les principaux organes au fur et à mesure que la thérapeutique a
permis de stabiliser les défaillances précédentes,
entre 10 et 15 Gy, llément prépondérant est un syndrome de détresse respiratoire
aiguë associé à des hémoptysies,
au-de de 15 Gy, un syndrome neurologique central majeur s'installe sans phase de
latence, avec l'apparition rapidement progressive d'une obnubilation, d'une somnolence
puis d'un coma.
5.2. Les effets aléatoires ou stochastiques
Au nom du principe de précaution, les effets aléatoires ou stochastiques sont considérés
comme des effets sans seuil. Ils apparaissent de manière aléatoire dans une population
irradiée, après un long délai de latence. Leur probabilité d'apparition, qui reste faible, est
fonction de la dose. Leur gravité est indépendante de la dose.
26
5.2.1. Les effets cancérigènes
Ce sont des effets connus quasiment depuis la découverte de la radioactivité, puisque le
premier cas de cancer radio-induit a été décrit en 1902. Ces cancers ne présentent aucune
spécificité sur le plan anatomo-pathologique, ce qui rend leur étude particulièrement difficile.
Les bilans épidémiologiques font état de 575 cancers et leucémies en excès pour les 80 000
survivants irradiés d'Hiroshima et de Nagasaki, et d'environ 2 000 cancers de la thyroïde chez
les enfants de la région de Tchernobyl. Toutefois, les données actuelles ne permettent pas de
mettre en évidence un risque cancérigène en dessous de 0,1 Gy en irradiation aiguë. On
considère néanmoins qu'il existe un risque cancérigène et que la relation dose/risque reste
linéaire pour les doses inférieures à 0,1 Gy. Cette relation est un outil d'évaluation pratique du
risque, mais elle ne repose sur aucune certitude scientifique.
5.2.2. Les effets génétiques
Les effets génétiques pourraient résulter de lésions chromosomiques dans la lignée germinale
(ovule et spermatozoïde), susceptibles d'entraîner des anomalies dans la descendance proche
ou lointaine de l'individu irradié. L'action mutagène des rayonnements a été démontrée par
Muller dès 1927 sur la mouche. Aucune étude n'ayant pu mettre en évidence un quelconque
effet génétique chez l'homme, le risque est évalué à partir des données observées chez
l'animal.
6. Typologie des événements
Les conditions pouvant conduire à une exposition accidentelle aux rayonnements ionisants
sont extrêmement variées. En effet, l'exposition peut être liée au type de source (radioactive
ou non, scellée ou non scellée), au radioélément, au volume de population concernée, ou
encore à la nature accidentelle ou malveillante de l'événement.
6.1. Accidents ou malveillance
Les accidents d'exposition sont peu fréquents mais restent possibles en raison de la
banalisation de l'utilisation des rayonnements ionisants. Une caractéristique habituelle est leur
méconnaissance initiale en raison d'une ignorance du risque par les victimes, d'une apparition
différée des symptômes et d'un diagnostic difficile en l'absence d'orientation.
L'objectif d'un acte de malveillance serait son impact médiatique, un grand nombre de
victimes, la contamination d'un lieu emblématique, ou l'utilisation d'un radioélément ayant
une forte symbolique. Les actes connus de malveillance utilisant des radioéléments sont
rarissimes et ont toujours concerné un individu isolé. Cependant, depuis les événements de
septembre 2001, l'éventualité d'un attentat radiologique est très sérieusement prise en
considération.
6.2. Pertes et vols de sources sceles
La perte ou le vol de sources scellées est une cause régulière d'accident d'exposition. En
France, les vols de sources n'ont quasiment jamais été réalisés dans un but malveillant, mais
plutôt par méconnaissance du matériel volé. Ainsi, le 23 mars 1999, un véhicule transportant
une source de gammagraphie industrielle était volé sur un parking de l'aéroport Roissy
27
Charles de Gaulle. Malgré des mises en garde répétées par voie médiatique, la source n'a été
retrouvée que fortuitement, 3 semaines plus tard, grâce aux portiques de détection d'une
société spécialisée dans le retraitement des ferrailles basée en Belgique.
Les exemples de pertes de sources sont nombreux et aboutissent souvent à des accidents
sévères en raison d'une méconnaissance totale du risque radiologique par ceux qui les
trouvent, comme le montre cette observation chez un ouvrier péruvien (figure 11).
L'accident de Lima
Le 20 février 1999, un soudeur travaillant s ur le chan tier d'un barrage à 300 km de Lima,
couvre un objettallique brillant près d'une conduite. Il met cet objet dans sa poc he et
n'y pense plus jusqu'en fin de soirée. Il ressent alors une sensation de brûl ure et observe un
érythème sur le haut de sa cuisse. Inquiet, il dépose l'objet métallique à l'extérieur de sa
maison et va cons ulter un médecin loc al qui diagnostique une probable piqûre d'insecte. A
une h eure du matin, un personnel du barrage en charge du gam magraphe se présente chez le
sujet à la recherche de sa source de gammagraphie, qui est un petit objet métallique
brillant...
La gravité de l'accident éta nt reconnue, le p atient est hospitalisé en milieu spécialisé à Lim a.
Malgré une prise en charge très préc oce et des soins approp riés, unesion de plus de 30 cm
de diam ètre se forme sur la fesse droite. Cette nécrose radio-induite avec surinfection,
engageant le pronostic vital, conduit à transférer le patient dans un service de brûlés ayant
l'e xpérience des brûlures radiologiques. Il est admis le 29 mai 1999 au centre de traitement
des brûlés de l'hôpital d'instruction des armées Percy à Clamart.
En raison d'une infection locale incontrôl able, les greffes de peau sont re jet ées. Le patient
doit finalement subir une hémipelvectomie droite ava