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Les exclus de l’école congolaise
Par Gratien Mokonzi Bambanota1
Ecole pour tous : discours ou réalité ?
Le 30 juin 1960 est la date mémorable de l’accession de la République Démocratique du Congo
(RDC) à la souveraineté nationale et internationale, une date fêtée, non, sans raison, avec faste. Pour
beaucoup de Congolais, c’était le début de l’ère de la liberté, de la prospérité et surtout de la dignité.
Cependant, il fallait rapidement se rendre à l’évidence : la tâche qui attend le jeune Etat libre est plus que
démesurée et ce, d’autant que ni la puissance coloniale ni la colonie elle-même ne s’étaient préparées,
quelques années plus tôt, à ce sevrage que d’aucuns ont qualifié de prématuré !
La mission de la RDC s’annonçait donc difficile au regard des défis à relever et des ressources
humaines disponibles. Oui, désormais il fallait compter sur soi-même, faire tourner tout l’appareil de
l’administration et tous les autres secteurs de la vie nationale ; mais avec quelles ressources humaines? 20
universitaires, peu de diplômés de l’enseignement secondaire, très peu de techniciens… L’héritage
colonial sur le plan scolaire était à la fois pauvre et déséquilibré : d’une part un enseignement primaire
des plus étendus et, d’autre part, un enseignement secondaire et universitaire des moins développés de
l’Afrique.
Ce système éducatif qui répondait merveilleusement bien aux objectifs de la colonisation2 ne devrait
logiquement pas faire face aux défis majeurs de l’indépendance. En effet, s’il était capable de pourvoir
l’administration coloniale des auxiliaires nécessaires dont elle avait besoin, un tel système ne pouvait
doter le pays de cadres de conception dorénavant indispensables pour le décollage de son développement.
C’est pourquoi, l’un des premiers préalables à réaliser pour le développement économique et social du
pays va être inexorablement l’expansion de son système éducatif.
1 Professeur à la Faculté de Psychologie et des Sciences de l’Education, Université de Kisangani. C/° Père Joseph NGUMBA,
Maison Comboni/Kisangani, B.P. 505 Kisangani. Tél :+243812003140. E-mail : gratienmok@yahoo.fr.
2 Comme l’affirme justement Kita (1982, p. 266), «la grande leçon à retenir de l’enseignement colonial, c’est son adaptation
à la philosophie coloniale d’ensemble. La colonisation a progressivement esquissé un projet de société, s’est assignée des
objectifs politiques et socio-économiques précis. Elle a institué un système d’enseignement conforme à ses idéaux et qui s’est
avéré remarquablement».
La Conférence d’Addis-Abeba (1961) réunissant sous l’égide de l’Unesco les ministres d’éducation
des pays africains, va constituer une précieuse opportunité pour la planification du système éducatif de la
RDC. Elle a non seulement prévu, à court terme, un accroissement annuel de 5% de taux de scolarisation
des enfants ayant l’âge de la scolarité obligatoire, mais elle a aussi assigné aux systèmes éducatifs
africains des objectifs, à long terme, à la fois ambitieux et nobles : « rendre effectifs dans les vingt ans à
venir la généralisation de l’enseignement primaire, le déploiement proportionnel de l’enseignement
secondaire général, technique et normal afin de donner une impulsion décisive à l’enseignement
supérieur » (Ekwa, 2004, p. 35).
A différentes périodes de son histoire, la RDC va renouveler son engagement en faveur de ces
objectifs. Déjà en 1967, le Manifeste de la N’Sele, le catéchisme du parti unique3 de la République
mobutienne, affirmait qu’aucun jeune zaïrois ne doit pâtir de l’insuffisance des moyens d’enseignement.
Un effort essentiel doit être fait pour que tous les jeunes du pays obtiennent les mêmes espérances devant
la vie (Comité central du MPR, 1984). De même, la loi-cadre de l’enseignement, promulguée en 1986,
stipule en son article 9 que « l’Etat a l’obligation d’assurer la scolarisation des enfants au niveau de
l’enseignement primaire et de veiller à ce que tout zaïrois adulte sache lire, écrire et calculer ». Dans la
dynamique du mouvement mondial de l’Education Pour Tous, préconisée par la communauté
internationale au début de la dernière décennie du 20ème siècle, cette disposition a également été reprise
dans le projet de constitution de la troisième République élaboré par la Conférence Nationale Souveraine
en ces termes : « Tout congolais a droit à l’éducation. »
Malheureusement, contrairement à ce que prône le discours politique, les faits indiquent aujourd’hui
que nombreux sont les exclus de l’école congolaise. Qui sont-ils ? Quelle est leur ampleur ? Quels sont les
facteurs de leur exclusion ? Que faire pour que l’école congolaise donne à chacun sa chance
d’épanouissement ?
L’héritage colonial : une école sélective
Dans une publication intitulée « L’enseignement en Afrique tropicale », Le Than Khôi (1971)
résume de la façon suivante les caractéristiques de l’enseignement dans les colonies belges : «Dans les
colonies belges, la politique de l’administration scolaire est caractérisée par une forte orientation
paternaliste et utilitaire. L’enseignement y est volontairement très réduit; car, cette politique scolaire
coloniale n’envisage pas la formation d’une élite capable d’accéder, demain, à de grands postes de
3 Ce parti était dénommé Mouvement Populaire de la Révolution (MPR).
2
responsabilité. Cependant, l’enseignement primaire est très répandu alors que l’enseignement technique
et professionnel demeure peu développé ».
La sélectivité est donc l’une des principales caractéristiques de l’école héritée de la colonisation
belge. Elle est traduite, à l’indépendance, par une pyramide scolaire ayant une base très large et un
sommet très étroit (cf. figure 1). En effet, en 1960, la scolarisation atteignait à tous les niveaux plus ou
moins 1789663 élèves et étudiants répartis comme suit (Katako, 1987, p. 106) :
- 1728721 élèves au primaire, soit 96,60% des effectifs ;
- 60168 élèves au secondaire, soit 3,36% des effectifs ;
- 774 étudiants au supérieur, soit 0,04%.
1728721
60168
774
Effectifs du primaire
Effectifs du secondaire
Effectifs du supérieur
Figure 1. Répartition des effectifs des élèves et étudiants en 1960
De l’enseignement sélectif à la massification de l’enseignement
Il a fallu par conséquent corriger les failles de ce système éducatif. La RDC s’y est employée
assidûment avec, évidemment, l’appui de la communauté internationale et, initialement, à travers la
réforme de 1961, réforme dont le maître-mot était l’africanisation (Ekwa, 2004, p. 34). Cette
africanisation concernait les structures administratives, les agents et les contenus de l’enseignement.
Soutenu par une volonté politique décisive, le travail de restructuration du système éducatif a généré
une expansion spectaculaire de la scolarisation. De 1789663 élèves et étudiants en 1960, l’effectif de la
population scolaire est passé à 5304252 en 1984 (cf tableau 1). Ainsi, en 24 ans, la population scolaire a
quasiment triplé tandis que la population globale a simplement doublé, passant de 14825903 à 29992348
habitants.
3
Cependant, bien que le développement de la population scolaire ait été remarquable à tous les
niveaux, l’accroissement des effectifs au niveau de l’enseignement secondaire et universitaire a été plus
important qu’à l’enseignement primaire. Cela prouve l’importance des efforts consentis pour combler le
retard que ces deux cycles enregistraient en 1960.
Tableau 1
Population scolaire et population globale de la RDC en 1960 et 1984
1960 1984
Population scolaire Effectif Indice Effectif Indice
Primaire 1728721 100 4522363 262
Secondaire 60168 100 747831 1243
Supérieur 774 100 34058 4400
Total 1789663 100 5304252 296
Population globale 14825903 100 29992348 202
Concernant le premier moment de la période post-coloniale, on peut conclure avec Ekwa (2004, p.
37) qu’en vingt ans, le Congo parvint à former une élite intellectuelle suffisante pour son développement.
La volonté politique : facteur de développement du système éducatif
La volonté politique affichée par les dirigeants de la RDC au lendemain de l’indépendance est l’un
des principaux facteurs de la transformation de l’école sélective en une école de masse. De par cette
volonté, la première constitution du pays, connue sous le nom de la constitution de Luluabourg, élaborée
en 1964, a institué ce qu’on a appelé, à l’époque, l’enseignement national. Ce dernier a été défini comme
un enseignement libre, comprenant des établissements organisés par les pouvoirs publics et les
établissements d’enseignement agréés, organisés par les particuliers.
Suivant l’esprit de la constitution, l’enseignement national devrait être fondé sur les principes de la
démocratie, du pluralisme, de la liberté d’initiative, du nationalisme, principes ayant, dans la pratique,
donné lieu à la reconnaissance de quatre réseaux d’enseignement organisés ou agréés (officiel, catholique,
kimbaguiste et protestant) (Ekwa, 2004, pp. 32-33).
La constitution de Luluabourg a ainsi incité l’implication sinon de tous, du moins de tous les
hommes de bonne volonté, dans la lutte pour le développement du système éducatif de la RDC. Hélas !
comme le constate Ekwa (2004, p. 39), tout s’écroula un matin.
Descente aux enfers de l’école congolaise
4
La dictature, on le sait, ne s’accommode pas du pluralisme, de la liberté d’initiative, du nationalisme
et encore moins de la démocratie, principes qui caractérisaient, comme mentionné ci-dessus,
l’enseignement national tel qu’institué par la constitution de Luluabourg. C’est pourquoi, pour mieux faire
asseoir son régime autocratique, Monsieur Mobutu instaurera un parfait contrôle du système éducatif,
secteur hautement stratégique à la fois à cause du nombre important des personnes qui s’y emploient et du
pouvoir qu’a l’éducation de doter le peuple des instruments d’analyse et de remise en question du régime
politique.
Apparentée à la zaïrianisation de l’économie du pays (en 1973), la décision qui a permis d’opérer la
politisation de l’enseignement en 1974 a été appelée Etatisation des écoles. Néanmoins, pour avoir trop
embrassé ce gigantesque appareil, l’Etat congolais a été amené, pour sauver la face évidemment, à prendre
des mesures et à tolérer des pratiques dont le caractère anti-pédagogique est indéniable, notamment :
- l’instauration du système dit double vacation, lequel consiste à utiliser les mêmes locaux pour le
fonctionnement de deux écoles différentes, l’une dans l’avant-midi et l’autre dans l’après-midi4.
- l’augmentation progressive des effectifs des élèves par classe5 ;
- la suppression des subsides allouées au fonctionnement des établissements scolaires;
- la paupérisation du personnel enseignant ;
- la politisation à outrance du système scolaire, principalement par la création de la jeunesse
pionnière et de la jeunesse estudiantine, chargées de l’endoctrinement idéologique des élèves et
des étudiants ;
- la substitution du cours d’éducation politique, portant fondamentalement sur le mobutisme, au
cours d’éducation morale et religieuse ;
- la nomination des autorités scolaires sur la base du militantisme et non en fonction des critères de
compétence professionnelle.
Des mesures et pratiques de ce genre ont négativement influé sur la qualité du système et précipité la
descente aux enfers de l’école congolaise.
Qui trop embrasse mal étreint
4 Envisagé dans le but d’éviter la construction de nouvelles écoles, ce système a, eu entre autres effets, la réduction drastique
du temps d’apprentissage.
5 Aujourd’hui par exemple, selon les normes en cette matière, une classe peut accueillir jusqu’à 55 élèves, mais, dans la
pratique, il n’est pas rare de rencontrer des classes de 100 élèves !
5
La dégradation du système éducatif de la RDC, touchant aussi bien à ses aspects quantitatifs que
qualitatifs, est souvent stigmatisée dans des forums organisés au niveau national et par des recherches
empiriques. Le rapport de la commission de l’éducation de la Conférence Nationale Souveraine (CNS),
tenue en 1992, est, à ce propos, assez éloquent : L’examen des critiques faites à notre système éducatif
révèle de nombreuses déficiences, notamment le manque d’une politique de l’éducation fondée sur les
impératifs essentiels du développement intégral du pays, ce qui a comme conséquences :
-une éducation fondamentale tronquée ;
-une école secondaire anémiée ;
-un enseignement supérieur et universitaire inadapté et en faillite.
C’est dans cette même optique que les Etats Généraux de l’Education (EGE), organisés en 1996, ont
abondé en insistant particulièrement sur le fait que l’école congolaise a cessé de créer le progrès pour
engendrer plutôt la dégradation. Elle souffre d’un double décentrement : celui de la société par rapport à
la marche de l’histoire et celui de l’école elle-même par rapport aux besoins élémentaires de la société.
Pour les EGE, une autre déficience de notre système éducatif actuel est son incapacité à couvrir les
besoins en formation d’une société où la croissance démographique nourrit chaque année une demande à
un niveau dépassant celui de l’offre en enseignement.
Conscient des maux qui rongent si gravement son système éducatif et après avoir vécu l’expression
« qui trop embrasse mal étreint », la RDC a initié, trois années seulement après l’étatisation, une nouvelle
expérience, celle de la rétrocession des établissements scolaires. Il s’agissait de « restituer » aux Eglises
catholique, protestante et kimbanguiste la gestion des écoles qui étaient les leurs dans le passé.
Pourtant, la rétrocession ne signifie nullement la renaissance de la liberté d’initiative, de la
démocratie et du pluralisme, principes qui définissaient jadis l’enseignement national. Dans la convention
signée entre l’Etat et les Eglises, il est clairement stipulé que le premier est le pouvoir organisateur des
écoles, les secondes n’en étant que des simples gestionnaires (cf. articles 1 & 11 de la convention). En
vertu de cet accord, désormais il n’y aura pas d’écoles catholiques, protestantes et kimbanguistes mais des
écoles conventionnées catholiques, conventionnées protestantes et conventionnées kimbanguistes. Par
ailleurs, certaines mesures prises et pratiques acquises pendant l’étatisation n’ont pas disparu au nom de la
rétrocession.
6
Somme toute, la rétrocession n’a pas été conçue comme une révolution dans l’histoire de
l’enseignement et n’a pas, par conséquent, mis fin aux faiblesses du système. Aussi, lentement et
sûrement, l’école a-t-elle poursuivi sa descente aux enfers tout en enregistrant de plus en plus d’exclus.
Ampleur de l’exclusion
L’une des manifestations de la déchéance du système éducatif congolais se remarque au niveau de
son expansion quantitative. En effet, depuis la fin de la décennie 80 et surtout depuis le début de la
décennie 90, bien que le nombre d’élèves augmente d’année en année, l’importance de ce nombre par
rapport à la population scolarisable, exprimée par le taux de scolarisation, diminue systématiquement. Au
niveau de l’enseignement primaire, ce taux est passé de 76% en 1990 à 52% en 2001 tandis qu’à
l’enseignement secondaire, le taux de scolarisation est passé de 19,5% en 1988 à 18,8% en 1993.
Il ne s’agit pourtant là que de la situation globale du pays, laquelle masque les disparités entre les
milieux urbain et rural, entre les garçons et les filles, de même que entre les différentes provinces (cf.
infra).
Les exclus : qui sont-ils ?
Ceux qui ne jouissent pas du droit à l’éducation sont donc de plus en plus nombreux. L’observation
de l’enseignement primaire par exemple, plus développé que les niveaux supérieurs, révèle que près de la
moitié (soit 48%) de la population scolarisable est exclue de ce droit. Sont plus concernés par l’exclusion
scolaire, les enfants habitant les milieux ruraux : leur taux de scolarisation, pour ceux âgés de 6 à 11 ans,
est nettement plus faible (43%) que le taux de scolarisation de leurs pairs des milieux urbains (72%)
(Unicef, 2002, p. 74).
En outre, l’exclusion scolaire frappe plus certaines provinces que d’autres. Katako (1987) l’a
remarqué dans sa thèse de doctorat en distinguant, à la lumière des données rassemblées pour la période
de 1974-1984, trois catégories de provinces (cf. tableau 2) :
- Les provinces les plus favorisées (Bas-Congo, Bandundu, Kinshasa et Kasai oriental) ;
- Les provinces bénéficiant d’un niveau moyen de scolarisation (Kasai occidental et Katanga) ;
7
- Les provinces les plus défavorisées (Equateur, Province Orientale et le Kivu)6.
Tableau 2
Taux bruts de scolarisation au primaire en 1974 et en 1984
Province Taux brut de scolarisation
en 1974
Taux brut de scolarisation
en 1984
Kinshasa 71,28% 56,27%
Bas-Congo 71,28% 83,95%
Bandundu 64,48% 68,62%
Equateur 48,40% 43,52%
Orientale 52,82% 50,71%
Kivu 44,35% 35,32%
Katanga 64,63% 52,49%
Kasai Oriental 124,90% 153,02%
Kasai occidental 68,21% 64,43%
Ensemble du pays 68,95% 67,59%
Source : Katako, M.K., (1987). Les disparités régionales du système d’enseignement zaïrois : étude
diagnostique et politique de la planification, thèse de doctorat non publiée, Université Libre de
Bruxelles, Bruxelles.
Les disparités mises en évidence par l’étude de Katako n’ont pas maintenu la même ampleur durant
toute la période de référence; au contraire, elles se sont renforcées de 1974 à 1984. En dehors de la ville de
Kinshasa, la scolarisation s’est améliorée dans les provinces les plus favorisées en 1974 tandis qu’elle
s’est détériorée dans les provinces les plus défavorisées.
L’effort de réduction de ces disparités ne semble pas avoir été fourni après la période concernée par
l’étude de Katako. L’Unicef (2002, p. 73) a perçu ce fait, dans l’enquête déjà citée, en affirmant que les
provinces jadis réputées pour une scolarisation élevée des enfants sont toujours restées en tête : Kinshasa,
Bas-Congo, Bandundu et Kasai Oriental. Les provinces de l’Equateur et du Nord-Kivu présentent les taux
les plus faibles, avec respectivement 37% et 34% d’enfants d’âge scolaire fréquentant actuellement un
établissement d’enseignement primaire.
6 L’étude de Katako a été réalisée avant l’éclatement de la province du Kivu en trois provinces distinctes : Nord-Kivu, Sud-
Kivu et Maniema.
8
Tableau 3
Taux nets de scolarisation au primaire (6-11 ans)en RDC en 2001 selon le sexe
Caractéristiques Garçons Filles Les deux
sexes
Indice de
parité
Milieu de résidence
Urbain 73,2% 70% 71,6% 0.96
Rural 47,1% 39,6% 43,3% 0.84
Province
Kinshasa 76,6% 75,7% 76,3% 0.99
Bas-Congo 60,7% 60,5% 60,6% 1.00
Bandundu 59,7% 54,9% 57,3% 0.92
Equateur 42,8% 32,1% 37,2% 0.75
Orientale 51,2% 47,7% 49,5% 0.93
Nord-Kivu 38,0% 30,4% 34,1% 0.80
Sud-Kivu 44,6% 38,1% 41,1% 0.85
Maniema 48,7% 50,4% 49,5% 1.03
Katanga 50,4% 44,1% 47,2% 0.88
Kasai Oriental 66,5% 61,6% 64,0% 0.93
Kasai occidental 58,4% 46,5% 52,2% 0.80
Ensemble du pays 54,8% 48,6% 51,7% 0.89
Source : Unicef (2002). Enquête nationale sur la situation des enfants et des femmes (MICS2/2001).
Rapport d’analyse. Kinshasa : Unicef.
L’examen du tableau 3 montre que l’exclusion scolaire est solidement enracinée dans les provinces
de l’Est du pays et de manière particulière dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Ceci peut s’expliquer par le
fait que les troubles connus par la RDC depuis la dernière décennie du 20ème siècle ont plus ravagé ces
provinces d’où ils sont, du reste, tous partis.
Par rapport au sexe, l’exclusion scolaire touche plus les filles que les garçons. Nous avons
mentionné ce fait dans un article antérieur (Mokonzi, 2004) en précisant que si, au niveau de l’accès à
l’école primaire, les filles ne sont pas défavorisées par rapport aux garçons7, il n’en est pas autant pour la
fréquentation scolaire. A ce niveau, les disparités sont assez importantes, traduites par des taux de
scolarisation de 55% pour les garçons contre 49% pour les filles et par un indice de parité de 0.898.
En dehors de la ville de Kinshasa, des provinces du Bas-Congo et du Maniema, où s’observe la
parité entre les garçons et les filles, tel que recommandé par le Forum de Dakar, toutes les autres
provinces enregistrent un déséquilibre de scolarisation en défaveur des filles (cf. indices de parité dans le
tableau 3).
7 Les deux groupes ont des taux d’admission en première année quasi-identiques (soit 17,5% et 16,6%).
8 Le calcul de cet indice est effectué ici en mettant en rapport le taux de scolarisation des filles sur celui des garçons.
9
Le manque de parité entre garçons et filles est plus prononcé encore au niveau de l’enseignement
secondaire et universitaire. Selon l’Institut de Statistique de l’Unesco, l’indice de parité au niveau de
l’enseignement secondaire en RDC était de 0.58 en 1998-1999 ; en d’autres termes, le taux de
scolarisation des filles représentait 58% du taux de scolarisation des garçons. Quant à l’enseignement
supérieur et universitaire, les effectifs des filles représentent généralement moins de 20% des effectifs
globaux.
Par ailleurs, le niveau de vie des familles a un impact manifeste sur la scolarisation. A ce propos,
l’enquête de l’Unicef (2002) a établi des taux de scolarisation de 81% pour les enfants des parents les plus
riches et de 39% pour les enfants des ménages pauvres. Le niveau de pauvreté renforce l’écart de
scolarisation entre les filles et les garçons : si l’équilibre entre les sexes se manifeste pour les enfants des
parents riches et plus riches, il n’en est pas de même pour la scolarisation des enfants des parents pauvres
et de revenu moyen (cf. tableau 4).
Tableau 4
Taux nets de scolarisation au primaire (6-11 ans) en RDC en 2001 selon le sexe
Niveau de pauvreté Garçons Filles Les deux
sexes
Indice de
parité
Plus pauvres 43,2% 35,2% 39,2% 0.81
Pauvres 42,2% 35,5% 38,7% 0.84
Moyens 49,8% 39,3% 44,5% 0.80
Riches 58,7% 55,1% 56,9% 0.94
Plus riches 81,7% 80,5% 81,0% 0.99
Ensemble du pays 54,8% 48,6% 51,7% 0.89
Source : Unicef (2002). Enquête nationale sur la situation des enfants et des femmes (MICS2/2001).
Rapport d’analyse. Kinshasa : Unicef.
Une autre catégorie des exclus de l’école congolaise est constituée des personnes handicapées
physiques et mentales (les sourds, les muets, les arriérés mentaux…). En effet, l’école formelle ne prévoit
pas des structures de formation appropriées à cette catégorie des citoyens; ces derniers se voient ainsi
privés de la possibilité d’épanouir leurs potentialités pour se prendre eux-mêmes en charge et condamnés
à vivre aux dépens de leurs familles.
L’exclusion des enfants des familles les plus pauvres et des enfants handicapés montre combien la
RDC ne fournit pas actuellement des efforts requis pour la réalisation du premier objectif de l’éducation
pour tous préconisé par la conférence de jomtien, à savoir assurer « l’expansion des activités de protection
et d’éveil de la petite enfance…particulièrement en faveur des enfants pauvres, défavorisés et
handicapés. »
10
De par son organisation, l’école congolaise exclut également des citoyens qui n’ont pas profité de la
scolarisation pendant leur jeune âge mais qui en ressentent le besoin à l’âge adulte. L’observation des
timides tentatives d’alphabétisation des jeunes et des adultes organisées ça et là principalement par les
organisations non gouvernementales, indique que l’on est loin d’un effort systématique en faveur de cette
catégorie de la population9.
Enfin, en dépit de l’adhésion de la RDC au mouvement de l’Education Pour Tous, certains peuples
sont encore, sinon exclus, du moins marginalisés du système formel d’éducation. Certaines de nos études
antérieures (Mokonzi & al, 1999-2000, Mokonzi & al., 2003) ont été axées sur la scolarisation de deux de
ces peuples : les pygmées du territoire de Mambasa et les Enya de Kisangani.
La situation scolaire de ces peuples suscite quelques interrogations principales : « Comment
expliquer leur marginalisation du système formel d’éducation ? La marginalisation relève-t-elle de
l’attitude de ces peuples à l’égard de l’école ? Qu’est-ce qui pousse ceux qui accèdent à l’école à
l’abandonner précocement ? » C’est à ces questions que nous avons tenté de répondre dans les études
antérieures. Néanmoins, il faut noter que des populations congolaises dont la situation scolaire est
semblable à celle des pygmées et Enya se rencontrent quasiment dans toutes les provinces du pays.
Facteurs d’exclusion
Les facteurs qui concourent à l’exclusion scolaire sont nombreux. Les principaux sont d’ordre
politique, technique, économique et culturel.
Sur le plan politique, il y a essentiellement le fait qu’à l’encontre des déclarations du genre « Tout
congolais a droit à l’éducation » et en dehors du projet de constitution de la troisième République10,
élaboré par la Conférence Nationale Souveraine, toutes les autres constitutions qui se sont succédées dans
l’histoire de la RDC n’ont pas explicitement institué l’obligation scolaire et la gratuité de la scolarisation
universelle11.
L’obligation scolaire est-elle possible sans qu’elle ne soit appuyée sur la gratuité ? N’est-ce pas là
établir constitutionnellement une école de l’inégalité et contrecarrer l’émergence d’une école
9 Compte tenu de cette situation, la Conférence Nationale Souveraine a préconisé (en 1992) la création des structures de lutte
contre l’analphabétisme sur toute l’étendue du pays.
10 L’article 40 de ce projet de constitution stipule que « L’enseignement est obligatoire et gratuit jusqu’au niveau d’études et
jusqu’à l’âge prévus par la loi ».
11 L’actuelle constitution de la transition fait allusion uniquement à l’obligation scolaire sans évoquer la gratuité.
11
démocratique en République Démocratique du Congo? N’est-ce pas là une manifestation de manque de
volonté politique dont nous avons amplement parlée dans notre réflexion sur l’éducation pour tous en
RDC (Mokonzi, 2004)? Bref, tout porte à croire que la politique éducative de la RDC n’est pas
suffisamment orientée vers l’instauration de l’éducation pour tous. Ce manque de volonté politique se
manifeste entre autre par l’allocation au système éducatif d’un budget insignifiant (cf Mokonzi, 2004).
Au facteur politique, il faut ajouter, sur le plan technique, le manque de planification rationnelle de
l’offre de l’éducation. Ceci conduit d’une part à la rareté, voire l’inexistence des écoles dans certaines
contrées (provinces, districts, territoires, collectivités…) et, d’autre part, à l’abondance, voire la
sursaturation de l’offre dans d’autres. Toutes les études effectuées à la Faculté de Psychologie et des
Sciences de l’Education de l’Université de Kisangani, portant sur le diagnostic de la carte scolaire,
débouchent sur ce constat.
Outre ce manque de régulation de l’offre de l’éducation à la demande, on remarque que le système
éducatif n’est pas organisé en fonction des réalités du marché d’emplois. L’étude de Lomaliza (2004) a
mis en évidence un tel constat sur la base des données récoltées dans la province orientale : le système
éducatif organise plus, en termes de nombre d’écoles et d’effectifs des élèves, les filières de formation
pédagogique et générale, tandis que les entreprises recherchent plus les produits de formation technique.
Et pourtant, lorsque le système éducatif organise des formations dont l’output n’est pas recherché et
absorbé par le marché du travail, il s’ensuit un chômage massif des diplômés, ce qui crée progressivement
le désintéressement de la jeunesse à l’égard de la scolarisation.
Sur le plan économique, le renforcement de la pauvreté de la population, depuis près de deux
décennies, ne favorise pas la réalisation de l’école pour tous. La RDC ne fait-elle pas partie de ces pays
d’Afrique subsaharienne, où, d'après une enquête de la banque mondiale (Institut International de
Planification de l’Education, 2001, p. 11), la population vit avec moins de 1 dollar par jour et par personne
et qui ont vu leur produit national brut redescendre à la fin du siècle dernier à son niveau des années
1970 ? Des ressources aussi maigres peuvent-elles permettre de faire face aux besoins de l’éducation ?
En plus des facteurs précédents, l’exclusion scolaire est également le fruit des facteurs culturels.
Dans certains milieux ruraux principalement, la scolarisation des filles n’est nullement valorisée et
encouragée, car on estime que la fille a comme unique vocation le mariage ; c’est essentiellement par
l’apprentissage des activités de ménage qu’elle se prépare à ses futures responsabilités.
12
Comme autre facteur culturel, figure notamment le manque d’insertion de l’école dans les réalités
culturelles de son milieu d’implantation12. « Dans ce sens, l’école est comme une capsule insérée dans la
vie sociale de la communauté, qui transmet un savoir, des valeurs et attitudes qui se heurtent souvent à
ceux de la culture propre » (Hernandez, 1997, p. 185).
A chacun sa chance
Contrairement aux déclarations politiques, l’exclusion scolaire est un fait réel et une tare, non des
moindres, du système éducatif de la RDC. Frappant essentiellement certaines catégories sociales, elle
résulte de la conjonction des facteurs politiques, techniques, économiques et culturels. Tel est le propos
des sections précédentes de cette communication.
La RDC est pourtant au seuil d’une phase historique importante, celle de sa reconstruction ; elle ne
peut se permettre de continuer à tolérer le maintien, et encore moins le renforcement de l’exclusion
scolaire. En revanche, elle doit s’inscrire dans la logique du sommet du millénaire, lequel a retenu
l’éducation comme le pivot essentiel du développement en ce début du XXIème siècle. En effet, comme le
montre la figure 2, se construisant sur elle-même, « l’éducation contribue à faire reculer la pauvreté,
avancer la technologie, améliorer la santé, assurer un développement durable, promouvoir la parité entre
les sexes et rendre les populations autonomes, ce dont l’éducation profite à son tour » (Institut
International de Planification de l’Education, 2001, p. 15).
Figure 2. Programme de développement international
12 Ce facteur est assez prépondérant chez certains peuples comme les Enya et les pygmées dont nous avons parlés ci-dessus.
13
égalité
des sexes droits de
l’homme
éducation
pauvreté
technologie
développement durable
santé
EDUCATION
Comment combattre l’exclusion scolaire et donner à chaque congolais la chance de son
épanouissement à l’aube de ce millénaire de globalisation ? Beaucoup à faire certes, mais, comme au
lendemain de l’indépendance, il faut qu’il se forme avant tout une forte volonté politique 13. La RDC a
ainsi besoin de dirigeants politiques qui comprennent que l’éducation, et non la guerre, est le trésor qu’il
convient d’explorer et d’exploiter pour la reconstruction nationale.
On ne le dira jamais assez, la volonté politique est un préalable important pour la réalisation des
conditions politiques, économiques et sociales indispensables pour la réalisation de l’école pour tous.
Parmi ces conditions, l’instauration de la démocratie et de la bonne gouvernance, la réduction de la
pauvreté ainsi que la mobilisation de l’ensemble de la communauté nationale autour de la question
éducative, ce que nous avons appelé précédemment la détermination nationale, occupent une place de
choix.
Outre ces conditions, rendues possibles grâce à la volonté politique, la lutte contre l’exclusion
scolaire exige que le système éducatif fasse l’objet d’une planification rigoureuse et adéquate. C’est la
planification des ressources consacrées à l’enseignement (écoles, enseignants, équipement scolaire…) en
fonction de la demande de l’éducation qui permettra de réduire les disparités évoquées plus haut entre les
milieux urbains et ruraux ainsi que entre les provinces.
Toutefois, cette planification ne doit pas se limiter au système formel de l’éducation, mais elle doit
s’étendre également au système non formel. Il s’agira ainsi d’organiser des campagnes d’alphabétisation
en faveur des jeunes et des adultes qui n’ont pas eu accès à la scolarité ou qui n’ont pas suivi la formation
jusqu’au bout de l’enseignement primaire.
Par-delà la planification de l’offre en fonction de la demande de l’éducation, la réduction de
l’exclusion scolaire nécessite l’adaptation de l’école aux réalités socio-économiques et culturelles de son
milieu d’implantation. En plus du fait qu’elle combattra l’exclusion des peuples tels que les Pygmées, les
Enya… cette insertion permettra le respect de la diversité, principe fondamental qui conduit à proscrire
toute forme d’enseignement standardisé (Delors, 1998, p. 52).
Enfin, la planification devra permettre de mettre au point un système éducatif qui soit le plus
possible fondé sur le principe de l’éducation tout au long de la vie. En effet, à l’aube de ce millénaire, il
ne suffit pas d’accumuler, à une période donnée de la vie, un réservoir de connaissances dans lequel on
13 Nous y avons suffisamment insisté dans notre réflexion sur l’éducation pour tous, mais nous ne pouvons pas ne pas y revenir
dans la présente communication.
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aura ensuite à puiser indéfiniment. En revanche, l’on devra profiter de toutes les occasions de mettre à
jour, d’approfondir et d’enrichir la connaissance première et de s’adapter à un monde changeant. Pour
cela, l’éducation doit être organisée autour de quatre principes que la commission Delors appelle les
piliers de la connaissance, à savoir apprendre à connaître, apprendre à faire, apprendre à vivre ensemble
et apprendre à être.
Les mesures ci-dessus sont plus qu’urgentes pour que la RDC espère donner à chacun sa chance
d’épanouissement. Ne pas les appliquer dans un avenir relativement proche reviendrait à enterrer son
avenir et à devenir ainsi une société suicidaire. Peut-on se le permettre à l'aurore de ce siècle qui voit
l’émergence d’une société de plus en plus cognitive?
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