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Rôle du milieu physique
dans l’amplification des crues en milieu
montagnard : exemple de la crue
du 17 août 1995 dans la vallée
de l’Ourika (Haut-Atlas, Maroc)*
Mohamed El Mehdi Saidi
1
Lahcen Daoudi
1
Mohamed El hassane Aresmouk
2
Ali Blali
3
1
Département de géologie,
Faculté des sciences et techniques,
BP 549,
Marrakech,
Maroc
<msaidi@netcourrier.com>
2
Agence de bassin hydraulique de Tensift,
Marrakech,
Maroc
3
Direction régionale des eaux et forêts,
Marrakech,
Maroc
Résumé
Le bassin-versant de l’Ourika, situé dans le Haut-Atlas de Marrakech, présente une
forme allongée avec des pentes très importantes au niveau des affluents et des
versants. Du point de vue lithologique, il est formé de roches cristallines du socle à la
partie amont, et de dépôts silteux et argileux permo-triasiques plus tendres à l’aval.
Ces terrains assez imperméables augmentent les risques d’inondation.
Cette situation favorise une augmentation des volumes d’eau mobilisés par le cours
d’eau principal et le développement d’importantes crues. La charge solide charriée
ou en suspension provient généralement des deux types de terrains soumis locale-
ment à une érosion intense. Les produits d’érosion qui sont stockés en amont, sous
formes d’éboulis ou de cônes de déjection, aux ruptures de pentes des bas de
versants ou des confluences, sont remobilisés en périodes de crue quand les débits
augmentent.
Le 17 août 1995, un orage exceptionnel sur l’amont du bassin-versant, a provoqué
une crue violente et de courte durée. Cette crue dévastatrice fut consécutive à une
pluie intense, couplée à un environnement géomorphologique propice au ruisselle-
ment.
Mots clés : A venir
Summary
Role of the landscape in the development of floods in amountain environment : example of
the flood of August 17, 1995 in the Ourika valley (High-Atlas, Morocco)
The Ourika watershed area, located in the High-Atlas of Marrakech, presents an
elongated shape with steep slopes at the tributaries. The upstream part of the basin is
mainly composed of crystalline rocks. Permo-triassic clay deposits lay in the downs-
tream part. The latter are rather impermeable grounds and are closely linked to the
flood hazards which induce an increase of the river discharge and the development
of important floods. Transported solid loads come from both clay and crystalline
rocks locally under an intense weathering. The products of erosion accumulated in
the upstream part as gravity accumulations and fans are remobilized during high
floods when the discharges increase.
Etude de cas
Sécheresse
2003
;
14
(2)
:
107–114
Sécheresse n° 2, vol. 14, mars 2003 107
On August 17 1995, a very big storm occurred in the upstream part of the watershed
area, and caused a sudden and violent flood. This devastating flood by was caused
intense rain coupled to the geomorphological environment.
Key words: A venir
L’
attention a toujours étéattirée sur
les cataclysmes hydrologiques et
leurs effets destructifs bien connus
rent les influences océanique (perturba-
tions venues de l’ouest), continentale et
montagnarde. La température moyenne
annuelle est de l’ordre de 17,6 °Cà
Aghbalou, mais la différence de tempéra-
ture entre le mois le plus chaud (juillet) et le
mois le plus froid (janvier) peut atteindre
une amplitude de 15 °C. La région est
caractérisée par une variabilitéspatio-
temporelle des précipitations et une irrégu-
laritérelative des écoulements superficiels.
La pluviositéannuelle est en moyenne de
l’ordre de 584 mm par an àla station
d’Aghbalou, avec un coefficient de varia-
tion de 34 %. La variabilitémensuelle et
saisonnière est encore plus marquée, avec
des coefficients de variation respectifs de
50 % et 55 %. Selon l’agence de bassin
hydraulique de l’oued Tensift àMarra-
kech, les débits moyens annuels àl’exu-
toire du bassin varient de 0,59 m
3
/s à
29,6 m
3
/s ; mais le trait marquant des
écoulements de l’Ourika, ce sont ses dé-
bits de crues trèsélevés et occasionnels. Ils
peuvent atteindre plusieurs centaines de
mètre cubes par seconde.
Caractéristiques morphologiques
du bassin
La forme du bassin-versant peut avoir des
conséquences hydrologiques importantes,
notamment sur la relation pluie-débit et
l’évolution des écoulements en période de
crue. Autrement dit, outre la nature de
l’averse, ce sont les caractéristiques mor-
phologiques du bassin qui conditionnent
la forme des hydrogrammes observésà
l’exutoire. Plusieurs formules et indices per-
mettent de chiffrer ces caractéristiques (ta-
bleau I).
L’indice de compacitéde Gravelius
(Kc = 0,28 P/ÖS, oùP est le périmètre et
S la surface) permet d’avoir une idée sur la
forme géométrique du bassin : il est de
l’ordre de 1,3, ce qui témoigne d’une
forme relativement allongée du bassin. Le
cours principal forme une vallée linéaire
alimentée, sur les deux rives, par une suc-
cession de ravins affluents (figure 1). Cette
situation permet aux ondes de crues de
Figure 1. Situation géographique et réseau hydrographique du bassin versant de l’Ourika.
dans
diverses
parties
du
monde.
Au
Ma-
roc,
on
s’est
intéressé,
depuis
plusieurs
années,
à
ces
phénomènes
d’écoulement
extrême,
et
suite
à
la
tristement
célèbre
crue
de
l’oued
Ourika,
survenue
le
17
Août
1995,
une
étude
hydro-
climatologique,
lithologique
et
géomor-
phologique
de
la
région
a
été
entreprise.
Cette
étude
a
pour
but
premier
de
com-
prendre
la
dynamique
de
ce
milieu
naturel
fragile,
et
de
fournir
des
indications
per-
mettant
de
caractériser
son
comportement
hydrologique.
La
plupart
des
paramètres
déterminés
pour
caractériser
un
bassin-versant
se
ratta-
chent
aux
notions
de
physiographie
et
de
morphométrie
au
sens
large
(surface,
forme
ou
compacité,
pente
et
relief,
hiérar-
chisation
du
réseau
hydrographique,
litho-
logie
et
couverture
végétale,
etc.).
Ces
paramètres
qui
facilitent
l’étude
du
fonctionnement
d’un
bassin-versant,
per-
mettent
de
comprendre
et
d’analyser
les
mécanismes
des
écoulements,
plus
parti-
culièrement
les
crues
[1].
Comme
le
climat,
le
milieu
physique
peut
donc
offrir
un
environnement
propice
aux
pulsations
brutales
des
cours
d’eau.
Une
pluie
intense,
qui
s’abat
sur
un
bassin-
versant
à
pentes
fortes
et
à
substratum
peu
perméable,
se
traduit
en
écoulements
de
surface.
Les
temps
de
réponse
et
de
concentration
des
eaux
se
raccourcissent,
ce
qui
suggère
une
grande
vigilance
concernant
la
prévention
et
l’installation
de
systèmes
d’alerte
en
amont
du
bassin.
Dans
cette
étude
consacrée
au
bassin-
versant
de
l’Ourika,
on
cherche
à
com-
prendre
à
quel
point
ces
paramètres
ont
permis
d’atteindre
des
pointes
de
crues
exceptionnelles
pour
une
superficie
drai-
née
de
503
km_.
Situation
géographique
et
climatique
Le
bassin-versant
de
l’Ourika
à
Aghbalou,
localisé
à
une
quarantaine
de
km
au
sud
de
Marrakech
(figure
1),
se
situe
entre
31°
et
31°
20’
de
latitude
Nord
et
entre
7°
30’
et
8°
de
longitude
Ouest.
Plusieurs
indices
d’aridité
placent
le
secteur
en
zone
semi-
aride
à
tendance
sub-humide,
où
interfè-
108 Sécheresse n° 2, vol. 14, mars 2003
grossir vers l’aval àmesure de leur alimen-
tation par les affluents.
L’analyse de la répartition des tranches
d’altitude est effectuéeàpartir de la carte
topographique au 1/100 000
Oukaimeden-Toubkal. La répartition alti-
métrique au bassin de l’Ourika (figure 2)
montre la prédominance des terrains com-
pris entre 1 600 et 3 200 m (75 %). L’alti-
tude moyenne s’élève à2 500 m.
Le calcul des pentes de l’Ourika a permis
de constater que celles du cours principal
ne sont pas particulièrement élevées (0 à
5 %) ; cependant, la vitesse et la violence
des écoulements sont surtout régies par les
pentes plus importantes des affluents et des
versants (tableau I). La quasi-totalitédes
affluents se jettent dans le cours principal
avec des pentes très importantes. Le Tar-
zaza qui draine le massif de l’Oukaïmden
suit une pente moyenne de 11 %, mais les
vallons les plus pentus se situent en amont
du bassin avec des pentes qui atteignent,
par endroit, des valeurs de 30 à40 %
(Oufra et Tifni en amont de l’Ourika) (fi-
gure 3).
Géologie du bassin versant
Sur le plan géologique, le bassin versant
offre deux grands types de faciès(fi-
gure4) :
Tableau I. Caractéristiques morphologiques
du bassin versant de l’Ourika àAghbalou
Périmètre (km) 104
Surface (km ) 503
Indice de compacité 1,3
Longueur du cours principal (km) 45,5
Longueur du rectangle équivalent (km) 39,2
Largeur du rectangle équivalent (km) 12,8
Altitude maximale (m) 4 001
Altitude minimale (m) 1 070
Altitude moyenne (m) 2 500
Pente moyenne du cours principal 2,15 %
Pente moyenne des principaux af¢uents 9,35 %
Pente moyenne de tous les versants du
bassin 35 %
1 070 à 1 200 m
1 200 à 1 600 m
1 600 à 1 200 m
1 070 à 2 000 m
2 000 à 2 400 m
2 800 à 3 200 m
3 200 à 3 600 m
3 600 à 4 001 m
Figure 2. Hypsométrie du bassin de l’Ourika.
Figure 3. Profils en long de l’oued Ourika et de ses principaux affluents.
Sécheresse n°2, vol. 14, mars 2003
–
une
partie
amont,
située
à
des
altitudes
supérieures
à
2
000
m,
constituée
de
ro-
ches
magmatiques
et
métamorphiques,
qui
constituent
le
socle
de
la
chaîne
atlasique.
On
y
rencontre
des
roches
plutoniques
(notamment
des
granites
et
granodiorites),
des
roches
volcaniques
(andésites,
rhyoli-
tes,
etc.)
et
des
faciès
métamorphiques
(gneiss
et
migmatites).
Cette
mosaïque
cris-
talline
est
propice
à
un
ruissellement
immé-
diat
des
eaux
de
pluie
;
–
une
partie
septentrionale,
située
à
des
altitudes
inférieures
à
2
000
m,
composée
de
dépôts
permo-triasiques
et
quaternaires
plus
tendres.
La
lithologie
du
Permo-trias
est
composée
d’un
faciès
nord,
subatlasi-
que,
formé
de
conglomérats,
grès
et
silti-
tes,
et
d’un
faciès
sud
des
hauts
plateaux,
formé
essentiellement
de
siltites
argileuses
et
localement
de
grès
massifs
[2].
Les
observations
lithologiques
déduites
de
la
carte
géologique
au
1/500
000
et
des
prospections
de
terrain
montrent
que
les
roches
tendres
à
moyennement
tendres
représentent
une
étendue
inférieure
à
40
%,
alors
que
le
substrat
dur
représente
environ
65
%
de
l’étendue
du
bassin.
Ainsi,
la
source
des
blocs
et
des
galets
charriés
par
l’Ourika
proviendrait
essen-
tiellement
du
socle
qui
constitue
la
partie
axiale
de
la
chaîne
atlasique.
Quant
aux
matériaux
latéraux
plus
tendres
en
prove-
nance
des
versants,
leurs
entrées
au
ni-
veau
des
drains
principaux
sont
très
va-
riées
:
matériaux
alluviaux
(contact
avec
les
cônes
de
déjection
et
les
confluences
des
tributaires)
et
matériaux
non
alluviaux
(cônes
d’éboulis
et
glissements
de
terrain).
Toutefois,
l’environnement
géomorpholo-
gique
est
marqué
par
la
dominance
de
deux
groupes
de
formes
et
de
dépôts
:
les
cônes
de
déjection
et
les
terrasses
fluvio-
torrentielles.
Ces
deux
unités
sont
intime-
ment
liées
dans
le
temps
et
dans
l’espace.
109
Leurs dépôts sont constitués par des maté-crue fut consécutive àune situation météo-
rologique propice au développement des
orages (figure 6). Selon la météorologie
nationale, en altitude, un flux de sud ve-
nant des Canaries apporterait de l’air hu-
mide, frais et convectivement instable sur
la région du Haut-Atlas. Ce flux d’air s’est
réchaufféàla base, au contact des pentes
surchauffées, et est devenu localement ins-
table. En surface, l’air chaud d’origine
continentale suivait une courbure cycloni-
que et venait s’attaquer par le nord au
relief du Haut-Atlas, s’humidifiant sur son
chemin au contact de l’air maritime prove-
nant de l’Atlantique et accentuant l’instabi-
litéde celui-ci (figure 6). Cet air est arrivé
l’après-midi avec une température dépas-
sant 40 C ; il s’est produit alors un soulève-
ment brutal provoquéd’une part par la
convection thermique et, d’autre part, par
l’effet orographique. Il en est résultéune
formation locale de nuages orageux très
épais, qui ont pris une dimension remar-
quable àpartir de 19 h 05 et ont com-
mencéàse dissiper en se déplaçant vers
l’est àpartir de 21 h 37. L’orage s’est
abattu en haute montagne, sur une zone
restreinte comprise entre 2 000 et
3 000 m d’altitude. L’intensitédes précipi-
tations a étéestiméeà100 mm/h, sur une
superficie de 228 km_[7, 8]. La crue n’a
duréque 3 heures, mais le temps de mon-
téeaétéparticulièrement bref (àpeine un
quart d’heure). Le débit de pointe a atteint
àAghbalou la valeur de 1 030 m
3
/s et les
eaux mobilisées un volume de 3,3 millions
de mètre-cubes. L’hydrogramme de crue
(figure 5)) met en relief les caractéristiques
d’une crue simple monogénique avec une
forte pointe de crue, des temps de base et
de montée assez courts et un tarissement
prolongé.
Àpartir des valeurs des débits maxima
annuels instantanésétablis par l’agence
de bassin hydraulique de l’oued Tensift à
05 km
Jurassique-crétacé
Trias détritique
(sites et argiles)
Paléozoïque
(schistes et conglomérats)
Précambrien
(roches magmatiques
et métamorphiques)
Failles majeures
Figure 4. Esquisse géologique du bassin de l’Ourika.
Figure 5. Hydrogramme de la crue du 17 août 1995 de l’Ourika àAghbalou.
riaux
ayant
subi
un
transit
dans
un
milieu
fluviatile
diversifié
[3].
Conséquences
sur
les
écoulements
et
la
charge
solide
Écoulements
Toutes
les
caractéristiques
morphologi-
ques
et
lithologiques
analysées
ont
une
influence
évidente
sur
la
puissance
des
crues
et
la
forme
des
hydrogrammes.
Les
crues
de
l’Ourika
sont
généralement
vio-
lentes
et
de
courte
durée
[4-6].
Les
hydro-
grammes
observés
à
l’exutoire
(figure
5)
sont
souvent
pointus,
avec
des
temps
de
montée
assez
brefs
(généralement
de
quel-
ques
dizaines
de
minutes)
et
des
temps
de
base
de
quelques
heures.
Les
temps
de
concentration,
relativement
courts,
et
esti-
més
en
moyenne
à
5
heures,
appellent
donc
la
nécessité
d’installer
en
amont
du
bassin
des
stations
d’alerte
et
d’annonce
de
crues.
C’est
pour
répondre
à
ce
souci
qu’un
réseau
de
quatre
stations
de
mesu-
res
vient
justement
d’être
placé
en
amont
du
bassin
de
l’Ourika,
à
des
altitudes
de
1
270,
1
650,
1
850
et
2
230
mètres.
Leurs
renseignements
instantanés
seront
d’un
intérêt
capital
dans
la
prévention
contre
les
crues
à
l’aval
du
bassin,
très
peuplé
et
fréquenté
par
les
touristes.
L’une
des
crues
les
plus
meurtrières
et
dévastatri-
ces
fût
celle
du
17
août
1995
[4,
6].
Cette
110 Sécheresse n°2, vol. 14, mars 2003
ment sur les débits de crues. Celles-ci sont
souvent brutales, violentes et de courte
durée. La fréquence de ces crues est égale-
ment importante. En effet, nous avons cons-
tatéque des crues de l’ordre de 103 m3/s
(ce qui correspond déjàà16 fois le mo-
dule annuel) se produisent, en moyenne,
tous les deux ans àAghbalou, et que les
débits de pointe de l’ordre de 485 m3/s y
reviennent tous les 10 ans.
Érosion et charge solide
Jusqu’à présent, les études consacrées à
l’érosion et àl’estimation des transports
fluviaux au Maroc ont toutes mis en évi-
dence l’importance quantitative des char-
ges exportées par les bassins-versants sous
climat semi-aride [12, 13]. Cependant,
l’approche globale souvent utilisée pour
l’estimation du bilan des matières trans-
portées en zone semi-aride reste confron-
téeàla grande irrégularitéhydrologique
des oueds marocains dont les bassins-
versants présentent des caractéristiques li-
thologiques, géomorphologiques et hydro-
climatiques propres [13, 14].
•Écoulement normal
La constitution de la charge solide des
cours d’eau, charriée ou en suspension,
est surtout le fait de surfaces contributrices
et non de l’ensemble du bassin-versant
[14]. Cette charge provient généralement
de secteurs soumis àune érosion intense
correspondant àune proportion faible du
bassin-versant.
Au niveau des versants formés de roches
meubles (Permo-Trias et formations quater-
naires), l’érosion est particulièrement accé-
lérée par la réduction du couvert végétal,
pour des raisons de fragiliténaturelle et de
surexploitation anthropique. La part des
suspensions (silts et argiles) est très impor-
tante. Les sources des sédiments fins peu-
vent être hiérarchisées en trois classes :
–terrains àdominance argilo-silteuses du
Permo-Trias, propices àl’érosion en nappe
et au glissement de terrain, en dépit de
leur teneur faible en argiles gonflantes
[16] ;
–terrains argilo-limoneux correspondant
àdes sols ;
–alluvions des terrasses et des cônes de
déjection.
Dans les domaines de roches massives du
socle et de couverture rigide, temporaire-
ment couvertes par la neige, l’érosion peut
être également importante par endroit.
Dans cette région, oùle périglaciaire et
l’aride (deux modèles climatiques extrê-
mes) se trouvent côte àcôte, l’alternance
du froid et de la chaleur favorise les pro-
cessus de thermoclastie et de cryoclastie,
ce qui facilite la désagrégation de roches
granitiques et schisteuses. Par ailleurs,
l’abondance de failles inverses dans le
Figure 6. Circulations d’air convectif àl’origine de l’orage du 17 août 1995.
Crue médiane Crue quinquennale Crue décennale Crue cinquantennale Crue centennale
103 m
3
/s 280 m
3
/s 485 m
3
/s 1 320 m
3
/s 1 700 m
3
/s
Tableau II. Comparaison des débits de crues des oued Ourika, Souss et Issen
Ourika àAghbalou Souss àAoulouz Issen au pont
Surface du bassin (km ) 503 4 450 1 500
Pente moyenne 35 % 15 % 18 %
Débit moyen annuel (m
3
/s) 6,46 6,41 2,86
Débit spécifique (L/s/km ) 12,84 1,41 1,9
Crue décennale (m
3
/s) 485 939 470
Coef. de gravité 21,6 14 12,1
Crue cinquantennale 1 320 1 442 900
Coef. de gravité 58,8 21,6 23,2
Crue centennale (m
3
/s) 1 700 1 655 1 400
Coef. de gravité 75,8 24,8 36,1
Marrakech,
et
à
l’aide
d’un
logiciel
de
traitement
statistique,
nous
avons
pu
ajus-
ter
un
certain
nombre
de
lois
à
un
échan-
tillon
de
crues
de
l’Ourika.
Le
résultat
ob-
tenu
montre
que
les
lois
les
plus
adéquates
pour
ces
crues
sont
les
lois
log
Gamma,
log
Pearson
et
log
normale
;
elles
nous
ont
permis
d’estimer
les
hauteurs
de
certaines
crues
comme
suit
:
Dans
un
premier
constat,
on
peut
avancer
que
les
hauteurs
de
ces
crues
sont
relative-
ment
importantes
pour
une
superficie
drai-
née
de
l’ordre
de
503
km_.
En
comparant
ces
crues
à
celles
observées
sur
des
bas-
sins
voisins
du
versant
sud
du
Haut-Atlas
(oued
Issen
au
pont
et
oued
Souss
à
Aou-
louz
[9,
10]
(tableau
II)),
on
peut
dégager
le
caractère
violent
des
crues
de
l’Ourika,
surtout
en
utilisant
le
coefficient
de
gravité
de
Pardé
[11]
:
A
=
Q/
√
S
(Q
est
le
débit
de
pointe
en
m
3
/s
et
S
la
surface
du
bas-
sin
en
km_).
Sur
ce
tableau
comparatif,
on
relève
aisé-
ment
que
pour
le
bassin
de
l’Ourika,
le
régime
des
écoulements
est
plus
abondant
avec
des
débits
spécifiques
très
élevés.
Le
bassin
se
démarque
encore
plus
nettement
par
les
coefficients
de
gravité
des
crues.
Ceux-ci
sont
très
élevés
pour
l’Ourika,
au
point
que
la
crue
décennale
à
Aghbalou
est
aussi
grave
que
la
crue
cinquantennale
du
Souss
à
Aoulouz.
L’action
de
la
géomorphologie
globale
du
bassin
de
l
l’hydrologie
g
’Ourika
a
énérale
et
plus
particuli
été
conséquente
sur
ère-
Sécheresse
n°
2,
vol.
14,
mars
2003 111
socle et les pincements triasiques qui en
résultent favorisent la production de bour-
rages dans les roches plastiques, ce qui
fragilise davantage les roches rigides et
permetledéveloppement des mouvements
de masse. La taille des matériaux produits
dans ces secteurs varie des sables aux
galets et blocs pouvant atteindre plusieurs
mètres de diamètre. Ces matériaux de
nature cristalline variée (roches du Paléo-
zoïque et du Précambrien) sont générale-
ment stockés en amont dans des épanda-
ges sous formes d’éboulis ou de cônes de
déjection, aux ruptures de pentes des bas
de versants ou des confluences.
Conséquences socio-économiques
et mesures préventives
Les crues accompagnées de glissements
de terrains et d’éboulements, dont les
conséquences peuvent être très graves en
termesdedégâts et de coûts, sont assez
fréquentes dans le bassin de l’Ourika.
Elles rendent rapidement la route dange-
reuse puis inutilisable, surtout que le désen-
clavement de la valléen’est assuréque par
une seule voie fragile et vulnérable.
Le 17 août 1995, le Haut-Atlas de Marra-
kech, et plus particulièrement la valléede
l’Ourika, ont connu une crue d’une très
grande puissance survenue d’une manière
brutale et inattendue [4, 6]. Elle a provo-
quéen un temps record des pertes humai-
nes (plus de 200 morts et disparus) et des
dégâts matériels d’une portée considéra-
ble : les précipitations torrentielles et les
éboulements qui se sont poursuivis ont
balayésur leur passage des infrastructures
routières, des terres agricoles, des bâti-
ments tels que des logements, des dispen-
Photo 1. Exemple de dégâts de la crue du 17 août 1995 et du niveau atteint par ses dépôts
(Source : agence de bassin hydraulique de Tensift).
Photo 2. Maison construite sur une berge de l’Ourika et quasi ensevelie par la charge solide
de la crue du 17 août 1995. (Source : agence de bassin hydraulique de Tensift).
•
En
période
de
crue
En
période
de
crue
et
lors
des
débits
à
pleins
bords,
définis
comme
des
débits
caractéristiques
représentant
le
débit
au-
delà
duquel
des
phénomènes
de
sédimen-
tation
pourront
se
produire
dans
le
lit
ma-
jeur
[17],
l’érosion
accélérée
consomme
progressivement
une
masse
de
sédiments
meubles
correspondant
à
de
volumineux
cônes
de
déjection.
La
granulométrie
de
la
masse
tractée
associe
des
dimensions
va-
riées,
des
blocs
métriques
aux
sables
et
argiles.
Dans
la
vallée
de
l’Ourika,
correspondant
au
plus
torrentiel
des
cours
d’eau
du
Haut-
Atlas
de
Marrakech,
on
n’observe
pas
un
type
de
transport
sous
forme
de
laves
torrentielles
(débris
flows),
mais
un
type
d’écoulement
hyperconcentré
[18]
avec
des
concentrations
de
10
à
35
%
de
parti-
cules
alluvionnaires.
À
quelques
kilomè-
tres
en
aval
de
Setti
Fadma,
la
vallée
de
l’Ourika
a
ouvert
une
profonde
bouton-
nière
dans
la
structure
complexe
du
flanc
nord
du
Haut-Atlas
de
Marrakech.
Les
gor-
ges
ainsi
formées
montrent
une
pente
du
lit
qui
peut
atteindre
10
%
par
endroit.
La
pente
forte,
le
rétrécissement
ainsi
que
l’augmentation
de
la
profondeur
de
l’écou-
lement
qui
en
découlent,
créent
un
effet
d’entraînement
pour
des
blocs
pouvant
atteindre
50
cm
de
diamètre,
ce
qui
néces-
site
pour
leur
transport
des
vitesses
de
4
à
5
m/s
et
un
régime
d’écoulement
turbulent
supercritique,
avec
un
effet
de
shooting
connu
dans
les
torrents
de
montagne
[19].
À
l’examen
des
profils
en
long
(figure
3),
la
vallée
de
l’Ourika
montre
la
confluence
de
plusieurs
branches,
dont
les
principales
sont
le
Tifni,
l’Oufra,
le
Tighzirt
et
le
Tar-
zaza.
Ces
différents
confluents
se
mar-
quent
en
aval
par
un
palier
relatif,
la
pente
s’abaissant
de
plus
de
12
à
5
%,
si
bien
que
la
plus
grande
partie
de
la
charge
grossière
issue
des
versants
est
stockée
sur
les
cônes
torrentiels
consommés
en
pé-
riode
de
crue.
112 Sécheresse n°2, vol. 14, mars 2003
saires, des écoles ainsi qu’une grande
partie des infrastructures d’irrigation (pho-
tos1,2et3)[20]. Au total, les dégâts
matériels (production végétale et animale,
réseau hydro-agricole et dégâts fonciers)
sont estimésà155 millions de dirhams
(environ 15 millions de dollars US) [20].
Cela n’a pas manquéde provoquer un
grand déséquilibre au niveau des systè-
mes de production et de l’environnement
écologique.
Depuis cette catastrophe, les interventions
ont touchétous les secteurs sinistrés. Les
diverses enquêtes réalisées sur les lieux
pendant ces dernières années, et par com-
paraison avec les données et situations
existantes avant le 17 août 1995, mon-
trent une amélioration significative de la
zone sinistrée sur le plan socio-
économique [20]. Ces interventions ont
surtout touchéles réseaux hydrographique
et routier. Cependant, si la fonction protec-
trice des ouvrages édifiés est réelle pour
des crues moyennes et même fortes, il n’en
est pas de même pour des crues très fortes
de faible fréquence. Au niveau de certains
affluents de l’oued Ourika par exemple,
des ouvrages ont étéconfectionnésrécem-
ment:ils’agit de barrages de dégrave-
ment, destinés entre autres, àintercepter la
charge solide tractée par l’oued. Les obser-
vations faites àla suite des fortes crues
récentes montrent que le dimensionnement
de ces ouvrages est insuffisant et qu’ils sont
loin d’assurer correctement leur fonction
d’interception de la charge grossière lors
de ces fortes crues. Ainsi, les barrages
édifiés sur l’affluent Tighzirt au niveau du
village d’Iraghf ont étélargement remplis
àla suite des crues suivantes (photo 4).
Par ailleurs, en dépit des actions de protec-
tion, la vallée souffre encore du manque
de reboisement, des moyens de lutte contre
l’érosion et d’un équipement hydro-
météorologique adéquat. L’érosion se
poursuit toujours, ce qui impose le choix
de grands aménagements tels que :
–la construction et le renforcement des
ouvrages de brise-charge, des murs de
protection, afin de limiter les dégâts et de
conserver et de valoriser les sols en aval ;
–l’installation de systèmes d’avertisse-
ment àl’amont ;
–la réfection des digues destinées àfrei-
ner l’érosion ;
–le reboisement des versants et l’ajout de
plants fruitiers susceptibles de conserver le
sol et d’endiguer son glissement, notam-
ment le pommier, le noyer et l’olivier ;
–l’installation de stations météorologi-
ques équipées au niveau des sites sensi-
bles, permettant la constitution d’une ban-
que de données utilisables aussi bien pour
l’étude des crues qu’à des fins agricoles.
Conclusion
L’environnement morpho-climatique et le
contexte litho-structural du bassin-versant
de l’Ourika, notamment des pentes fortes
et des terrains imperméables de nature
lithologique variée, confèrent aux écoule-
ments un caractère torrentiel et boueux, et
offrent un environnement propice aux pul-
sations brutales du cours d’eau.
Photo 3. Une maison éventrée qui témoigne de la puissance des flots et du niveau atteint
par les eaux de la crue du 17 août 1995 (Source : agence de bassin hydraulique de Tensift).
Photo 4. Seuil édifié sur l’affluent Tighzirt et comblépar la charge solide des crues.
Sécheresse n°2, vol. 14, mars 2003
Les
impacts
dommageables,
soit
sur
l’envi-
ronnement
en
général,
soit
sur
les
voies
de
communication,
les
terrains
agricoles
et
les
sites
d’habitat
sont
visibles
dans
la
vallée
(photos
1,
2
et
3).
On
y
est
confronté
à
l’amplification
et
à
la
répétition
du
phé-
nomène
en
raison
de
l’encaissement
de
la
vall
l’écoulement.
Par
ailleurs,
la
d
ée
et
de
son
aptitude
à
é
concentrer
gradation
du
milieu
s’accélère
suite
à
la
pression
foncière
et
touristique.
Toutes
ces
conclusions
appellent
donc
à
bien
gérer
ces
pulsations
brutales
des
113
oueds en renforçant l’équipement hydro-
météorologique, en prenant les mesures
hydrauliques préventives par le biais de
digues et d’ouvrages appropriéseten
sensibilisant la population aux dangers de
ce risque naturel afind’éviter des catastro-
phes humaines. Le souvenir de la sinistre
crue du 17 août 1995 est àjamais ancré
dans les mémoires. ■
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114 Sécheresse n°2, vol. 14, mars 2003