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Chapitre 7
L’émergence des problèmes publics à l’ère du numérique
Mots clés : problème public, démocratie, technologies numériques, TIC, clôture informationnelle.
1. Introduction
Un problème public peut se définir comme « la transformation d’un fait social quelconque en enjeu de débat
public et/ou d’intervention étatique (…) s’il est constitué par l’action volontariste de divers opérateurs » [NEV
99]. Produit de processus collectifs de définition, tout problème public fait une carrière différente, que D. Cefaï
[CEF 96] résume en quatre phases :
1. Conversion des difficultés d’ordre privé ou de malaises vécus en silence en problèmes publics
(« condensation de la rumeur »),
2. Floraison de discours de qualification des préjudices et de formulation des revendications
(identification, reconnaissance, établissement, stabilisation du problème public légitimé par
l’intervention des pouvoirs publics),
3. Institutionnalisation / bureaucratisation du problème public,
4. Publication et réalisation d’un programme d’action publique.
Cet article explore le rôle que peuvent jouer les technologies numériques de l’information et de la
communication (TIC) dans l’émergence de ces problèmes publics. En effet, celles-ci étant de plus en plus
présentes dans toutes les sphères des sociétés humaines, y compris dans la conduite des affaires publiques, il est
essentiel de mieux comprendre la nature de leur influence au cours de la phase initiale de construction d’une
politique publique, à savoir celle de la construction du problème public.
En effet, si les TIC peuvent favoriser l’émergence d’un problème public, elles peuvent aussi contribuer à
étouffer des revendications citoyennes ayant vocation à être prises en charge par la puissance publique. Le fait
que les décideurs politiques s’emparent de certains problèmes publics peut même être vital pour certaines
catégories de citoyens (amiante en France, silicose en Turquie, montée du niveau des mers dans les petits États
insulaires en développement, etc.). Car si une situation aussi périlleuse soit-elle ne se transforme pas en
problème public, aucune politique publique ne la prendra en charge. La transformation d’une revendication
catégorielle en problème public est donc une étape indispensable à son inscription sur l’agenda public en vue de
l’élaboration d’une politique publique capable de résoudre le problème posé. Or, peu de recherches académiques
ont analysé les facteurs pouvant bloquer l’émergence de problèmes publics, comme ceux ayant trait aux
technologies numériques mis en évidence par E. Pariser [PAR 11].
Afin de mieux comprendre comment les TIC peuvent influer sur l’émergence des problèmes publics, nous
présenterons tout d’abord le cadre théorique dans lequel se situe cette analyse. Ensuite, une revue de la littérature
nous permettra d’élaborer une classification des différentes voies d’influence des TIC sur l’émergence des
problèmes publics. Enfin, nous nous pencherons sur ce qui reste un impensé de l’analyse des politiques
publiques, à savoir la non-émergence des problèmes publics et le rôle joué par les TIC dans ce processus. Nous
terminerons en conclusion par une discussion critique sur les recherches qu’il reste à réaliser pour parvenir à
Chapitre rédigé par Cédric Gossart (
Cedric.Gossart@telecom
-
em.eu
),
maître de conférences à l’Institut Télécom.
À
para
ître
en 2012
dans
:
Conflit des interprétations dans la société de l’information : Ethiques et politiques de
l’environnement, Hermès Editions, P.-A. Chardel, C. Gossart, B. Reber.
2
mesurer le phénomène de clôture informationnelle, et suggérons des pistes de réflexion permettant d’éviter que
les technologies numériques ne freinent l’émergence de problèmes publics.
2. Contexte théorique
2.1. Les sociétés humaines à l’ère du numérique
Les sociétés humaines ont depuis toujours manipulé de l’information, y compris avant l’apparition du langage.
Mais comme l’a illustré A. Mattelart [MAT 10], l’information a pris une place de plus en plus grande dans ces
sociétés, notamment sous l’impulsion de motivations économiques et militaires. Par exemple, en inventant le
« juste à temps », Toyota a développé une méthode qui optimisait la gestion de l’information concernant les
stocks des entreprises. Plus récemment, les logiciels ERP (Enterprise Resource Planning) ont aussi permis
d’importants gains de productivité
1
en améliorant cette gestion des informations circulant dans et autour d’une
organisation. Ces logiciels sont des TIC et ils sont caractéristiques du grand changement qui est apparu à la fin
du 20
e
siècle à savoir le passage au support numérique pour produire, collecter, ou diffuser de l’information. Les
technologies de ce support numérique sont regroupées sous le terme de « technologies de l’information et de la
communication » (TIC)
2
. Les données d’équipement les plus récentes montrent une diffusion rapide dans tous
les pays et dans toutes les branches de ces technologies numériques, avec par exemple plus de deux milliards
d’utilisateurs d’Internet et plus de cinq milliards d’abonnés de téléphonie mobile
3
. Pour de nombreux citoyens, le
déploiement des TIC est synonyme d’une meilleure information sur le monde dans lequel ils vivent, d’une plus
grande transparence des organisations, d’une démocratie renforcée par la participation plus active des citoyens
[BAR 97] et la dématérialisation des activités humaines [WWF 02].
Ces technologies numériques permettraient aux politiques d’être plus en phase avec les préoccupations de leurs
administrés, ou d’être plus réactifs face aux risques qui pèsent sur ces derniers. Or, comme c’est souvent le cas
avec une technologie dominante, ses effets positifs tendent à être surévalués
4
et ses effets négatifs sous-estimés
5
,
que cela concerne leurs impacts écologiques ou leur influence sur la construction des politiques publiques.
2.2. L’émergence des problèmes publics
Comme le rappelle F. Chateauraynaud [CHA 11], de nombreux sociologues des problèmes publics comme R.M.
Emerson et S.L. Messinger [EME 77], W. Felstiner et al. [FEL 80-81], J. Dewey [DEW 91], ou D. Cefaï [CEF
96] se sont attachés à l’étude des processus par lesquels des troubles ou des disputes sont transformés en
problèmes publics. Par exemple, S. Hilgartner [HIL 88] suggère que la capacité de charge ou de portage des
arènes publiques pèse fortement sur la sélection des problèmes publics, tout comme le « degré de dramatisation »
atteint dans le but de capter l’attention publique. Dans son « modèle général de balistique des processus
collectifs », F. Chateauraynaud [CHA 11] distingue six phases au fil desquelles varie la puissance d’expression
de ces processus :
1. Émergence du processus collectif,
2. Controverse,
3. Dénonciation,
4. Mobilisation politique,
5. Normalisation,
6. Relance.
La première phase nous intéresse tout particulièrement ici. L’auteur souligne que pour qu’un processus collectif
émerge, « il faut que les éléments nouveaux puissent être détachés et installés dans un espace de controverse, une
3
logique de procès ou une polémique, ou que des acteurs politiques jugent pertinent de s’en saisir » (p. 192). Le
passage à la deuxième phase « engage l’inscription des actes ou des évènements dans un cadre argumentatif
adéquat »), et « si l’objet en cause est lié à un dispositif intentionnel -une stratégie e.g.- les chances pour aller
directement vers l’affaire ou la polémique sans aller vers la controverse sont très élevées » (ibid.). Or cela peut
prendre du temps comme dans le cas de l’amiante en France. Étant donné que « les chances de relance et de
rebondissement sont liées à la manière dont les milieux entrent, ou non, en interaction avec les porteurs de
causes ou d’enjeux » (p. 187), les TIC pourraient contribuer à réduire la longueur de cette phase d’émergence,
notamment en renforçant la voix des victimes et autres groupes minoritaires qui sont porteurs d’un problème
public embryonnaire.
Dans L’Etat au concret, J.G. Padioleau avance qu’il y a problème dès lors que des acteurs sociaux perçoivent des
écarts entre ce qui est, ce qui pourrait être, ou ce qui devrait être. Ces écarts dépendent des préférences des
acteurs, mais aussi de la visibilité que ceux-ci donnent à leur interprétation d’un phénomène. Les TIC peuvent
alors être utilisées pour renforcer le message et la légitimité de ces acteurs dans leur effort de transformer à leur
avantage une préoccupation d’ordre privée en problème public. Ce dernier pourra alors être « étiqueté » comme
problème public dont la résolution relève de la compétence des autorités publiques. Ce processus d’étiquetage
fait passer une situation lambda au rang de problème public par un processus que W. Felstiner et al. [FEL 91]
résument en trois étapes :
• Naming : prise de conscience du problème.
• Blaming : qui peut en être tenu responsable ?
• Claiming : demande de réparation.
À travers ces trois étapes il est possible de retracer les histoires, les trajectoires, les propriétaires, et les lieux
d’émergence des problèmes publics. Par exemple, H.S. Becker [BEC 97] a soutenu que c’est la qualification de
l’acte délinquant par ceux qui sont en mesure de produire des normes juridiques et des jugements moraux qui fait
la déviance, plus que la pratique observée des faits de déviance elle-même. Pour lui, les propriétaires de
problèmes publics sont des « entrepreneurs de morale » en lutte permanente pour définir et garder le contrôle de
problèmes publics. Parvenir à imposer sa définition d’un problème public est essentiel pour défendre ses intérêts,
et l’est d’autant plus dans une société hypermédiatisée où il plus facile de se voir contester la propriété d’un
problème public. Comme l’a écrit A. Etzioni [ETZ 76], le pouvoir consiste en la « capacité de faire coller sa
propre définition de ce qui est problématique et de ce qui doit être fait ». Aujourd’hui, l’influence des
propriétaires de problèmes publics passe nécessairement par une habile utilisation des outils médiatiques
numériques en vue de construire une « configuration narrative », véritable « configuration dramatique » au cours
de laquelle le problème public est mis en scène et façonné par des cadrages et recadrages successifs de ces
« producteurs de sens ». Comme le souligne D. Cefaï [CEF 96], « Les faits ne sont jamais accessibles que dans
l’horizon des représentations que l’on s’en fait et que l’on s’en donne », car :
« Nommer et narrer, c’est déjà catégoriser, faire advenir à l’existence et rendre digne
de préoccupation [ ;] c’est déjà agir, entrer dans une logique de désignation et de
description du problème en vue de le résoudre. »
L’influence des médias sur la conduite des affaires publiques est bien analysée dans la littérature. Par exemple,
en exacerbant l’ampleur d’un problème, S. Cohen [COH 02] a montré qu’ils pouvaient provoquer des « paniques
morales ». Dans Folks and Devils (op. cit.), l’auteur montre comment de simples affrontements entre bandes de
rockeurs ont pu dégénérer en hystérie médiatique par un « effet de surmédiatisation ». En effet, les bagarres
intervenaient à des moments de calme informationnel qu’il fallait combler par ce genre de récits d’évènements se
prêtant au conte de l’épopée urbaine guerrière. En imposant leur cadre d’interprétation d’un phénomène, les
médias peuvent donc transformer la perception d’un problème public en construction, ce qui n’est pas sans
influence sur les solutions qui seront mises en place pour le résoudre. Cet effet de surmédiatisation peut être
instrumentalisé par les politiques jusqu’au point de reconstruire la réalité à leur convenance, comme l’ont
4
souligné F. Rich [RIC 07] au sujet de l’affaire des armes de destruction massive en Irak et C. Salmon [SAL 07] à
propos de l’usage du « storytelling » dans les sociétés hypermédiatisées.
En revanche, le rôle joué par les TIC dans la conduite des affaires publiques reste peu analysé. Et si les sciences
politiques commencent à s’emparer du sujet (voir par exemple le récent ouvrage dirigé par F. Greffet [GRE 11]).
En effet, pour qu’un problème public émerge, l’information à son sujet doit être colletée, diffusée, et portée à la
connaissance du public. Or, comme le souligne F. Chateauraynaud [CHA 11] (p. 193), la surinformation permise
par les TIC peut être défavorable à l’émergence d’un problème public. En effet :
« (…) avec l’entrée en politique du principe de précaution, la performativité des
prises de parole autour des mauvais signes ou des incertitudes s’est
considérablement accrue : de multiples causes sont entrées dans l’espace public,
engendrant une prolifération de signes de danger et d’objet de risque, de sorte que la
cacophonie ou la saturation cognitive (…) est désormais plus prégnante que le
défaut d’attention et la loi du silence qui caractérisaient la période antérieure ».
2.3. L’élaboration des politiques publiques
Selon une définition traditionnelle : « Une politique publique se présente sous la forme d’un programme d’action
propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales » [THO 85]. Quant à l’analyse des politiques
publiques, elle s’interroge sur le pourquoi, le comment, et les effets de l’action étatique, mais aussi sur ce que les
autorités publiques pourraient faire, puisque « la politique publique est avant tout ce que les gouvernements
décident de faire ou de ne pas faire » [DYE 81]. En principe, une politique publique répond à un problème public
qui est construit par des parties prenantes souhaitant attirer l’attention publique sur la nécessité d’engager une
politique publique capable d’apporter une réponse à ce problème. La figure suivante résume les principales
phases d’une politique publique, à commencer par la définition du problème public.
Figure 1. Les différentes phases d’une politique publique
Sources: [HOW 95], [BAR 96], [AND 05].
Chacune de ces étapes est relativement bien documentée dans la littérature scientifique (voir e.g. l’ouvrage de D.
Kübler et J. Maillard [KUB 09]). L’analyse du rôle des TIC dans l’élaboration des politiques publiques passe par
l’étude de l’influence qu’elles exercent à chacune de ces phases. Nous traiterons ici de la première phase au
cours de laquelle des revendications d’acteurs se transforment en problèmes publics, au sein de ce qu’il est
convenu d’appeler des « arènes publiques ». Afin de comprendre l’influence des TIC sur l’émergence des
problèmes publics, nous commencerons par définir cet espace de négociation que constituent les arènes
publiques, avant d’examiner comment se comportent les acteurs qui s’y confrontent.
Définition
du
problème
Etablis-
sement de
l’agenda
settng
Formulation
des
alternatives
Sélection des
options
Conception
des
politiques
Mise en œuvre
des politiques
Suivi des
politiques
Evaluation
5
2.3.1. Les arènes publiques
Tous les acteurs participant au processus d’élaboration d’une politique publique n’y ont pas la même capacité
d’influence. Le concept d’arène publique permet de mieux comprendre les relations entre acteurs ainsi que les
ressources qu’ils y mobilisent, notamment pour imposer leur propre définition du problème. Développé par S.
Hilgartner [HIL 88], ce concept permet de penser la carrière, l’histoire, et la trajectoire d’un problème public.
Chaque arène est caractérisée par des traits qui lui sont propres comme l’intensité de la compétition pour s’y
maintenir ou pour conserver sa place dans la file d’attente de l’agenda public, le mode de sélection des acteurs
dominants, etc.
Quant à son caractère public, il vient du fait que les problèmes qui s’y discutent réclament l’intervention de la
puissance publique, et qu’impartialité et désintéressement y prévalent. Ce caractère public implique également
qu’ils soient assortis de publicité, c’est-à-dire qu’ils soient notoires et donc connus ou constatés par un grand
nombre de personnes. D. Cefaï [CEF 96] qualifie ces arènes publiques d’« espace des apparences » (expression
d’Hannah Arendt), au sein desquels « l’apparaître des phénomènes est leur être même ». Par conséquent, les
technologies utilisées pour faire apparaître des phénomènes dans l’arène publique vont avoir un rôle déterminant
dans leur émergence en tant que problèmes publics. Nous allons voir que les TIC n’en sont pas des moindres.
2.3.2. Les acteurs des arènes publiques
Dans une arène publique, les acteurs (entreprises privées, organismes publics, personnes privées, ONGs, …)
existent à travers « leurs manipulations d’objets, leurs interprétations d’évènements, leurs argumentations et leur
projections de programmes, les alliances qu’ils contractent et les conflits où ils s’engagent, les audiences qu’ils
rassemblent et les solidarités qu’ils s’attirent » [CEF 96]. En se confrontant les uns aux autres, ils se constituent
en « agences d’action » en relation à des objets, des institutions, des discours, et des pratiques, et finissent par
constituer des « réseaux de perspectives » plus ou moins institutionnalisés.
Leurs ressources reposent sur des boîtes à outils que D. Cefaï [CEF 96] nomme des « répertoires de schèmes »,
représentations abstraites qui opèrent comme des « matrices d’une compréhension commune ». Celles-ci sont
composées de réserves d’expériences et d’expressions capables d’imposer des contraintes lexicales (« flux
migratoires », « éco-TIC », « croissance verte », « décroissance », …), conceptuelles (« préférence nationale »,
« développement durable », …), ou sémantiques à travers lesquelles se construit la réalité sociale et la légitimité
des acteurs dans la sphère publique. Par conséquent, comme l’explique l’auteur, « La mise en scène et la mise en
récit des problèmes publics présupposent par exemple la maîtrise pratique de règles rhétoriques et
dramaturgiques qui les rendent compréhensibles, acceptables cognitivement et recevables normativement ». On
pourrait ajouter qu’aujourd’hui la maîtrise des TIC est également importante afin de réussir cette mise en scène.
L’armature matérielle d’une arène publique
6
est constituée de réseaux de sociabilité, qui permettent d’avoir un
accès « routinisé » aux institutions chargées de la gestion d’un problème donné, d’agences d’information, de
groupes de pression, de règles définies par les institutions, mais comportent des ressources humaines,
technologiques et financières. Ces ressources étant inégalement distribuées, certains acteurs sont plus puissants
que d’autres. J.R. Gusfield [GUS 80] les qualifie de « propriétaires du problème public », ce qui suggère que la
propriété d’un problème public est transférable d’un acteur à un autre au gré des luttes de pouvoir dans l’arène
publique.
D’autres auteurs tels que S. Hall [HAL 93] les qualifient de « définisseurs primaires » d’un problème public,
position obtenue grâce à leur accès privilégié aux institutions et aux tribunes médiatiques. Ces acteurs
dominants, dont l’influence ne se limite pas aux institutions étatiques ou aux médias mais qui est circonscrite à
un champ d’action limité, ont par exemple le pouvoir de définir des faits sociaux, comme dans le cas
6
d’institutions publiques bénéficiant du monopole de la collecte de l’information statistique (violences, chômage,
…), aujourd’hui largement réalisée à l’aide des TIC.
La capacité à peser sur la définition d’un problème public est primordiale, de part le jeu de rendements croissants
d’adoption. En effet, lorsqu’une définition d’un problème public s’impose dans une arène publique, elle est
reprise par d’autres acteurs, et cela d’autant plus que la légitimité du propriétaire du problème public est forte.
Cet effet boule de neige va renforcer la légitimité de la définition et du propriétaire dominants, et contribuer à
fixer le problème public dans un cadre interprétatif favorable aux intérêts du définisseur primaire qu’il sera
difficile d’altérer. Comme nous allons le voir, dans cette lutte d’influence le rôle des TIC est ambigu, car elles
peuvent tout autant favoriser ou étouffer l’émergence d’un problème public. Par exemple, dès la fin des années
soixante-dix S. Hall et al. [HAL 93] avaient mis en évidence le rôle déterminant du ministère de l’Intérieur
britannique comme définisseur primaire de la délinquance, fort de ses services de production de statistiques et de
ses points de presse réguliers. Ce ministère représentant l’ordre et la paix civile et détenant le monopole
informationnel sur le sujet, il était devenu très difficile d’imposer un cadre d’interprétation du problème public
différent du sien
7
. L’auteur en concluait que les institutions ont un pouvoir déterminant dans la construction des
problèmes publics. L’émergence d’un problème public dépend non seulement des ressources dont dispose un
acteur, mais aussi de la robustesse du cadre d’analyse du problème public qu’il défend. C’est ce concept que
nous allons à présent introduire.
2.3.3. Le cadre d’un problème public
Pour M. Rhinard [RHI 08], le cadre d’un problème public est une construction sociale partagée qui intègre :
• Une définition du problème public,
• Une proposition de solution,
• Une justification à l’action.
Les premières études sur les cadres des problèmes publics portaient d’ailleurs sur la manière avec laquelle les
mouvements sociaux concevaient les problèmes en vue de recruter des partisans. Les suivantes ont montré qu’un
problème public dont le cadre était trop faible avait peu de chances de faire son entrée dans une arène publique.
Ces cadres permettent aux acteurs d’une arène publique « d’établir d’importants liens entre des faits nouveaux
ou déjà existants, des informations et des analyses d’une part, et les valeurs et intérêts à l’œuvre dans le
processus de politique publique d’autre part ». Du fait de la compétition entre acteurs pour imposer leur point de
vue, il existe de multiples cadres d’interprétation d’un même phénomène, ce qui nourrit les conflits entre acteurs
d’une arène publique.
Pendant les périodes de doute, d’ambiguïté ou de crise, les cadres permettent à ces acteurs de combiner leurs
valeurs et intérêts génériques avec des choix de politiques publiques. Un cadre est d’autant plus fort qu’il est
institutionnalisé par le déploiement de stratégies mises en évidence par A. Snow [SNO 86] :
1. Connexion des cadres,
2. Amplification des cadres (le mieux adapté à l’arène résiste),
3. Extension des cadres (à d’autres institutions ou visions, ce qui peut entraîner la prise de
contrôle d’autres cadres),
4. Transformation des cadres (qui débouche sur de nouvelles orientations, notamment en
présence de fortes modifications du contexte, de dissonances cognitives, ou de contradictions
dans les principes).
J.R. Gusfield [GUS 80] a par exemple montré comment le cadre d’interprétation des accidents de la route aux
États-Unis avait changé sous la pression de différents acteurs, pour conduire à l’interdiction de la consommation
7
d’alcool. Au fil du temps a émergé un cadre interprétatif du problème de l’alcool au volant qui allait devenir
dominant. On est passé d’un cadre d’analyse considérant l’accident comme une fatalité, largement entretenu par
les constructeurs, à celui de « l’accident crime », selon lequel le conducteur devenu délinquant routier était le
premier responsable des accidents mortels. Pour ce faire, la puissance publique avait suggéré que l’alcool était
mauvais, en le pénalisant grâce à l’instrumentalisation des victimes du trafic automobile, tout en laissant de côté
d’autres explications tout aussi valables pour expliquer les accidents de la route comme la sécurité des véhicules,
la qualité des routes, ou l’âge des conducteurs. L’auteur souligne le rôle de la machinerie bureaucratique, dont la
production de statistiques, de rapports, d’expertise, etc. a été mise au service des intérêts d’une classe
conservatrice aux valeurs traditionnelles protestantes faiblissantes ; les constructeurs automobiles et les autorités
locales étant au passage ravies que les problèmes de fiabilité des véhicules et des infrastructures routières soient
passés sous silence. Il explique également qu’il est difficile de changer le cadre d’interprétation d’un problème
public, car une fois qu’il s’est imposé il entre dans le domaine de « l’impensé » et éclipse toute autre
interprétation du problème. Bien utilisées, les TIC peuvent permettre à certains acteurs de renforcer la légitimité
de leur cadre d’interprétation, comme nous allons le voir à présent.
3. Diffusion des TIC et élaboration des politiques publiques
3.1. Comment le politique s’empare du numérique
L’utilisation de plus en plus fréquente des TIC dans nos sociétés a donné lieu à de nombreux travaux de
recherche sur l’usage qu’en font les acteurs pour animer la vie démocratique. J. Trippi [TRI 04] a par exemple
relaté comment Internet avait permis à l’américain Howard Dean de récolter des millions de dollars pour
financer sa campagne présidentielle. Cet usage des TIC a par la suite fait ses preuves dans le cas américain
8
et il
se répand de plus en plus en France
9
. L. Olivier [OLI 03] montre par exemple comment l’inauguration en 2002
d’un scrutin électronique par Internet avait pu contribuer à isoler l’adhérent UMP du contexte d’un congrès ou
d’un bureau de vote, lieux privilégiés d’activation de l’identité partisane
10
. En revanche, l’auteur souligne que
dans le cas du PS, Internet semble plutôt favoriser le pluralisme en multipliant les supports délibératifs, car il «
met potentiellement à la portée de chacun les questionnements spécifiques des partis politiques, notamment par
le biais des forums électroniques » (ibid.).
Comme le souligne N. Benvegnu [BEN 07], les TIC font bel et bien partie de la boîte à outils du politique, et
leurs dépenses afférentes sont partie intégrante des comptes de campagne. B. Dolez [DOL 07] et P. Juhem [JUH
06] montrent par exemple comment Internet a permis au PS de développer son offre d’adhésion à vingt euros et
d’accroître le nombre de ses militants. G. Beauvallet et M. Ronai [BEA 05] restent néanmoins dubitatifs quant à
la capacité de renouvellement des pratiques militantes autour des TIC dans les partis de gouvernement. Des
analyses plus récentes montrent toutefois la vitalité des échanges dans les webforums partisans [DES 08], ou
étudient les dispositifs sociotechniques de prise de parole politique sur Internet ([BEN 08], [CHA 08]). G.
Fouetillou [FOU 07] trouve quant à lui un matériau riche d’enseignements dans le contenu des sites partisans
dans le cadre du débat sur le traité constitutionnel européen. On trouve également de nombreux travaux sur ce
que certains nomment la « démocratie électronique » [PRI 99] ou « cyberdémocratie » [ARC 05], qui passe par
le déploiement du vote en ligne ([MAI 02], [ENG 07]) ou l’organisation de débats utilisant les outils numériques
[FLI 08]. Enfin, des acteurs autres que les partis politiques utilisent également les TIC pour donner de la voix
dans les arènes publiques ([PRI 99], [PRI 01]).
Parmi les thématiques traitées dans ces publications, aucune ne porte sur l’influence des TIC sur l’émergence (ou
la non-émergence) des problèmes publics. La récente synthèse de [GRE 11] n’en fait pas non plus état, y
compris dans les perspectives de recherche futures. La section suivante approfondit cette question dans le cas de
la première phase de la construction d’une politique publique.
8
3.2. TIC et émergence des problèmes publics : une influence contrastée
Les TIC peuvent être utilisées dans chacune des phases d’élaboration des politiques publiques présentées dans la
Figure 1. Nous nous focaliserons sur la première, celle de la définition des problèmes publics. Tous les acteurs
qui y participent sont susceptibles d’utiliser les TIC dans leurs actions visant à forcer l’émergence d’un problème
public. Comme nous l’avons précisé dans la section 2.2., tous les acteurs n’ont pas la même puissance d’action
dans l’arène publique, à tel point que certains d’entre eux sont qualifiés de véritables « propriétaires d’un
problème public ». Selon G. Peters [PET 08], la capacité d’influence de ces traducteurs de problèmes publics
repose sur :
• Leur position institutionnelle,
• Leur insertion dans des réseaux de politiques publiques,
• L’importance et la diversité de leurs ressources,
• Leur positionnement multiple dans des contextes institutionnels fragmentés,
• Leur capacité à faire la jonction entre plusieurs espaces de négociation et à opérer des
traductions intéressées d’un espace à l’autre.
Les TIC font partie des ressources précédentes et peuvent contribuer à les renforcer, par exemple en aidant les
propriétaires de problèmes publics à accroître leur influence (voir les exemples d’utilisation des TIC par les
politiques dans la section précédente). Les acteurs n’ayant pas de ressources financières importantes peuvent
compenser cela par une bonne maîtrise des TIC, qui peuvent constituer une cage de résonance pour des acteurs
en faible nombre et disposant de peu de relais dans les médias ou les cercles de décision, ainsi qu’un puissant
outil de mobilisation. Certains suggèrent aussi que les TIC fragilisent les situations de monopole des
propriétaires de problèmes publics, qui peuvent alors s’élargir des ministères aux associations, aux groupes de
citoyens, aux avocats, etc. Par exemple, P. Schlesinger et H. Tumbler [SCH 94] montrent qu’il peut exister une
compétition entre sources officielles, et que celles-ci parlent parfois hors-micro afin de contourner le monopole
de leur compétitrice en vue de redistribuer les titres de propriété des problèmes publics.
En outre, puisque les problèmes publics se construisant avec des outils narratifs les TIC font partie des supports
de cette narration. Le support utilisé pour transmettre l’information pouvant influencer le contenu du message
qu’il transmet, dans une société où les arènes publiques sont fortement médiatisées par des TIC ces technologies
vont jouer un rôle prépondérant dans la narration des problèmes publics, voire changer la nature des échanges
ayant lieu dans l’espace public.
Nous allons voir qu’elles peuvent ne pas œuvrer en faveur de l’émergence de nouveaux problèmes publics, qui
nécessite une diversité dans l’expression des points de vue que ces technologies peuvent ne pas favoriser.
3.3. Les facteurs de clôture informationnelle
La compréhension de ces facteurs peut expliquer pourquoi certains phénomènes aux conséquences graves ont
mis longtemps à émerger en tant que problème public, occasionnant une perte de temps dans la mise en œuvre
d’actions correctives du problème. Si elles peuvent sembler plutôt favorables à la montée de phénomènes en
notoriété publique, certains auteurs avancent que les TIC présentent aussi des risques d’appauvrissement de la
diversité des problèmes susceptibles d’être inscrits sur l’agenda politique. Nous discutons ci-après de deux
facteurs pouvant présider à la non-émergence des problèmes publics, à savoir la captation de notre attention et la
clôture informationnelle.
9
3.3.1. La captation de l’attention
L’attention des individus et des organisations sont des ressources limitées et que de nombreux acteurs cherchent
à capter. Elles jouent un rôle crucial dans la construction des politiques publiques, non seulement du fait que la
mise sur agenda nécessite de capter l’attention publique, mais aussi parce que la capacité des individus à
participer à la construction d’un problème public nécessite que leur attention soit disponible et ouverte à une
grande diversité d’informations sur leur environnement. Or, ces attentions sont de plus de plus sollicitées avec la
diffusion des TIC dans toutes les sphères de nos sociétés.
Pour S. Hilgartner [HIL 88], l’attention publique peut se définir comme « une ressource rare, dont l’allocation
est réglée par la compétition dans un système d’arènes publiques » (cité par [CEF 96], p. 54). La rareté de
l’attention publique engendre une compétition pour focaliser cette attention (p. 55) :
« La distribution de l’attention publique étant inégale et sélective, les acteurs, pour
faire connaître et reconnaître les préjudices qu’ils condamnent ou les revendications
qu’ils avancent, entrent en concurrence en vue d’imposer la publicisation de leur
problème public aux dépens d’autre problèmes publics. »
Que ce soit dans le but de convaincre un consommateur qu’un produit ou service est meilleur qu’un autre, pour
emporter l’adhésion d’une électrice, ou tout simplement pour échanger des nouvelles ou des informations avec
d’autres personnes, l’attention des individus est soumise à de multiples pressions. Avec le déploiement des
technologies numériques, comme le souligne H. Rosa [ROS 10] l’accélération du temps, devenue synonyme de
modernité, tend à renforcer ces pressions sur nos capacités de décision et de penser de manière autonome. Parmi
les facteurs qui contribuent à saturer notre attention figurent par exemple la publicité [MAZ 08], la télévision
[STI 08], ou encore les jeux vidéo que pratiquent plus de deux français sur trois. [BOU 09] explique que la
capacité de ces jeux à capter l’attention est puissante car elle mobilise ses deux composantes (durée et intensité)
ainsi que des techniques de storytelling, ce récit utilisé comme instrument de contrôle [SAL 07]. Quant à B.
Stiegler [STI 08A], il avance que les marchands tendent à asphyxier le désir en captant l’énergie libidinale à des
fins consuméristes. Dans un dialogue avec P. Petit [PET 08], il argumente que le capitalisme immatériel soutient
le développement de « technologies de l’esprit » comme les TIC, qui favorisent la collecte, l’analyse, et la
diffusion d’informations, ce qui décuple l’efficacité des outils de profilage des consommateurs. Il rappelle la
thèse de S. Freud selon laquelle toutes les civilisations captent l’énergie libidinale pour la détourner des objets
sexuels vers des objets sociaux. Or, tout comme elle le fait avec les ressources naturelles, l’« économie libidinale
capitaliste » surexploite cette énergie (ibid.). Seules les activités de subsistance perdurent, ce qui nourrit le
consumérisme : nos objets de désir sont assujettis par les technologies de l’esprit. Celles-ci exploitent notre
énergie et notre attention, qui sont réduites au rang de simple capital exploitable à intégrer dans une fonction de
production. En outre, soutient le philosophe, cette économie soumet tous les objets du désir au calcul, d’où un
certain désenchantement pouvant aller jusqu’à la destruction des motifs d’existence (amour pour une personne,
sa patrie, un dieu, un art, la sagesse, l’art, …). Attardons-nous un instant sur les dangers que peuvent poser ces
nouveaux développements en partie liés au déploiement des technologies numériques de l’information et de la
communication.
L’énergie libidinale est captée par nos sens et stockée dans nos mémoires, qui font une part de plus en plus large
à la mémoire extérieure au corps humain. S’il on y inclut comme le fait B. Stiegler la mémoire
« épiphylogénétique » (celle des objets manufacturés, que les économistes évolutionnistes R.R. Nelson et S.G.
Winter [NEL 82] ont qualifié de « routines »), cette « mémoire extériorisée » gagne en importance par rapport
aux deux autres que sont la mémoire spécifique (le génome) et la mémoire neurologique (les connexions
synaptiques). Ce processus d’extériorisation de la mémoire, B. Stiegler le qualifie d’« hypomnésis » [PET 08].
Or, cette extension de la mémoire est rendue possible par la diffusion de nouveaux supports de mémoire (livres,
Internet, …) que sont les « hypomnemata » (selon l’expression de M. Foucault [FOU 83]).
10
Si elle rend possible des opérations mentales nouvelles, E. Husserl soutenait même qu’il n’y aurait pas eu de
raisonnement géométrique sans raisonnement alphabétique, l’extériorisation de notre mémoire dans les limbes
numériques présente aussi des risques, notamment pour le libre exercice de la pensée. B. Stiegler [STI 08] y voit
même un « danger civilisationnel », car ce n’est pas seulement l’attention des adultes qui est captée mais aussi
celle des enfants, les technologies de l’esprit court-circuitant le processus d’identification aux parents par lequel
ils se construisent dans la prime enfance. Sur ce plan, les TIC semblent prendre le relai de la télévision. Une
enquête de la Fondation Kaiser a montré que les jeunes américains âgés de 8 à 18 ans passaient près de 8 heures
par jour à consommer du média de divertissement, soit plus d’une heure supplémentaire par jour depuis 2004 et
près de 11 heures si l’on tient compte des consommations multitâches
11
.
La surexposition aux médias de divertissement peut entraîner des troubles de l’attention (ADD : attention deficit
disorder) et de l’agitation. K. Hayles [HAY 99] suggère même que la virtualisation de notre rapport au monde
pourrait changer la structure de notre mémoire ethnique. Elle explique par exemple que lorsqu’une personne
évolue dans un une réalité virtuelle, la configuration neuronale de son cerveau, ou synaptogénèse, est modifiée,
parfois de manière durable (p. 47). L’extériorisation de la mémoire sous la forme de supports numériques et
l’intensification de leur usage pour accéder à l’information et communiquer présente donc des risques de
restreindre notre autonomie de réflexion.
En effet, quel contrôle l’individu peut-il conserver sur ses sens lorsque sa mémoire est fortement extériorisée ? Si
nos sens nous échappent en partie à cause de ce processus d’extériorisation, ne courrons-nous pas également le
risque de nous isoler du monde physique ? Dès lors, notre capacité à contribuer à transformer des problèmes
publics pourrait s’affaiblir grandement. Les TIC constitueraient alors des obstacles à l’émergence des problèmes
publics. Comme nous allons le voir, les TIC peuvent bloquer cette émergence, non seulement parce qu’elles ont
la capacité d’altérer notre manière de penser de manière autonome et critique, mais aussi parce que
paradoxalement ces technologies numériques peuvent restreindre la diversité des informations qui peuvent être
présentées à notre attention. Pour certains auteurs comme C.R. Sunstein [SUN 07], elles présentent même un
danger sérieux pour la démocratie.
3.3.2. L’enfermement informationnel
Avec la diffusion des TIC se pose un problème de surabondance d’informations qui limite les capacités
cognitives des individus et des organisations, à cause par exemple du « syndrome de fatigue informationnelle »
([EDM 00], [CUC 06]). Les stratégies de protection que nous développons contre cette saturation attentionnelle
sont à la fois psychologiques et technologiques.
Les défenses psychologiques contribuent à résoudre une « dissonance cognitive ». Ce terme désigne un état de
tension dans lequel se trouve un individu confronté à une situation contraire à ses convictions ou à ses habitudes
d’agir ou de penser. Cette situation étant très inconfortable, des stratégies psychologiques de « réduction des
dissonances »
12
entrent en action. Nous allons par exemple tenter d’éviter les opinions contraires aux nôtres, et
cela d’autant plus que le sujet est complexe et que nous avons mis du temps à le comprendre et à construire notre
opinion. Cet évitement passe par une orientation prédéterminée de nos stratégies de recherche d’informations et
par un filtrage de celles-ci, autant d’opérations réalisées aujourd’hui à l’aide des TIC qui les facilitent
grandement. Ces mécanismes de protection psychologiques peuvent contribuer à expliquer pourquoi, en dépit de
la quantité d’informations disponibles en ligne au sujet de la dégradation des écosystèmes naturels, encore peu
de citoyens en ont conscience au point d’en tirer des conséquences politiques ou comportementales. Dans son
livre L’effondrement, J. Diamond suggère que la civilisation de l’île de Pâques pourrait avoir été victime d’un
phénomène de dissonance cognitive. L’auteur suggère qu’elle ne serait pas parvenue à reconnaître son incapacité
à prendre soin de son écosystème naturel et donc à en stopper sa destruction, contrairement aux autres peuples
des îles voisines.
11
Or, pour sortir d’une période de crise il convient de porter un regard critique et lucide sur l’évolution de cette
crise, et non pas s’enfermer dans des certitudes certes rassurantes mais qui risquent fort d’occulter le précipice à
contourner. Dans un article paru dans le journal Le Monde du 22 novembre 2009 et intitulé « Le déclin de
l’Occident », Thérèse Delpech souligne par exemple le danger des mécanismes d’enfermement qui risquent
d’étouffer les critiques formulées à propos de « l’effondrement civilisationnel ». Loin d’être une dérive
nostalgique, ces critiques permettent au contraire de se remettre en cause et en position d’éviter les catastrophes.
Comme le souligne N.N. Taleb [TAL 08], sans ce recul critique on court le risque d’être tellement captivé par
notre tâche qu’on en oublie le contexte, tel le cycliste aux yeux rivés sur l’asphalte et qui va droit au mur (il est
tentant de faire le parallèle avec les sociétés humaines thermo-industrielles qui sont en permanence en quête de
croissance économique en dépit de son caractère destructeur pour les écosystèmes naturels par exemple). Pour
conserver un recul critique sur la crise en gestation, il est indispensable de conserver une capacité autonome de
réflexion ; or nous avons vu que les TIC pouvaient la mettre en danger.
Il est également essentiel de maintenir une certaine diversité dans les informations et les idées qui sont portées à
notre connaissance ; or comme nous allons le voir les TIC n’y contribuent pas forcément. Au début du 20
ème
siècle, H. Innis expliquait comment les technologies de communication avaient façonné les caractéristiques du
pouvoir, car l’expression et la transmission ultrarapide d’information avait détruit certains éléments clés du
ciment des communautés humaines comme le débat public. Il en résulta un « enfermement » dans la sphère
individuelle du « Daily Me »
13
, voire d’appauvrissement des horizons de nos attentes de ce qui peut émerger des
arènes publiques, et donc une démotivation à y participer.
Face à la saturation informationnelle se mettent également en place des mécanismes de protection
technologiques. Par exemple, les TIC permettent de filtrer de manière très efficace les informations auxquelles
nous souhaitons accéder, et les personnes et espaces publics avec lesquels nous souhaitons être en
communication. Or ce filtrage peut entraîner un appauvrissement des sources d’information et d’échange et nous
enfermer, comme le soutient C.R. Sunstein [SUN 07], dans de confortables mais non moins dangereux « cocons
informationnels ».
La protection technologique face au déluge informationnel auquel nous sommes soumis nous est offerte par les
TIC. Celles-ci nous permettent en effet de filtrer les informations auxquelles nous voulons avoir accès (flux RSS,
signets, échanges automatisés des centres d’intérêt sur Facebook, etc.), au risque de nous enfermer dans un
« cocon informationnel ». Le risque de ce confortable enfermement est également présent dans les échanges
sociaux, qui passent de plus en plus par les réseaux sociaux numériques et les blogs. En effet, les TIC pourraient
renforcer un penchant naturel des êtres humains à l’entre-soi, que d’aucuns nomment « appariement sélectif »
(terme utilisé par G. Becker pour expliquer la propension des humains à l’endogamie sociale). Dans
L’arrangement des sexes, Erving Goffman soutient que « L’appariement sélectif garantit que, presque sans
exception, les maris soient plus grands que leurs femmes et les garçons plus grands que leurs petites amies ». Là
encore, les TIC poussent plus loin ce phénomène, les sites de rencontre permettant par exemple de connaître les
goûts et les couleurs du voisin de l’immeuble d’en face et de tout ignorer de son voisin de palier
14
.
Dans la préface de son ouvrage paru en 2007 (op. cit.), C. Sunstein cite un juge de la Cour Suprême des Etats-
Unis pour qui le plus grand danger pour la liberté dans une démocratie est « un peuple inerte ». Or, souligne
l’auteur, pour éviter cette inertie un peuple doit certes se préserver de la censure, mais aussi promouvoir la
multiplicité des points de vue. Cette diversité permet aux citoyens de mesurer la valeur des opinions d’autrui, et
d’éviter la polarisation d’une société où finiraient par s’affronter des clans ennemis. En effet, si les interactions
entre individus se produisent essentiellement au sein d’enclaves où tous pensent la même chose et où les
opinions de chacun sont en permanence réaffirmées par le collectif, c’est la démocratie qui est en danger à cause
de l’appauvrissement du dialogue démocratique, car la liberté n’est pas totale si la diversité des points de vue
n’est pas garantie.
12
En effet, la réduction de la diversité des points de vue, renforcée par la libre diffusion et utilisation les blogs et
autres TIC, peut restreindre la liberté des citoyens s’ils sont moins à même de former leur propre opinion et de
prendre des décisions de manière autonome. Pour C. Sunstein « la liberté d’expression doit se lire à la lumière
d’un engagement en faveur de la délibération démocratique. En d’autres termes, un point central de la liberté
d’expression est de réaliser cet engagement » (op. cit.). Or, dans un chapitre consacré aux blogs l’auteur soutient
que ces technologies numériques ne contribuent pas à soutenir la liberté d’expression qu’il appelle de ses vœux,
tant elles véhiculent des idées homogènes sans alimenter de débat contradictoire. Dans l’un des rares articles
parus en français sur le sujet, I. Pledel [PLE 07] soutient également que :
« (…) si le discours général sur la blogosphère vante (…) les libertés d’expression
et d’information (…), il n’en demeure pas moins que les environnements
sociotechniques de la communication par les blogs créent des normes et des
frontières qui participent à des clôtures informationnelles, cognitives et spatiales qui
limitent la délibération. »
En outre, comme le souligne O. Mongin [MON 04], les technologies numériques contribuent en fait à
désubjectiver l’individu. Le directeur de la revue Esprit avait déjà mis l’accent sur le rôle de la télévision dans la
privatisation de la vie publique provoquée par un enfermement du regard dans un autoréférencement perpétuel
au petit écran. Pour lui, la « société des écrans » est indissociable de la « société en réseaux » qui nous facilite la
tâche de nous rassembler avec qui bon nous semble, et nous permet d’échapper à la conflictualité inhérente à
toute vie en démocratie. Ainsi, cocons informationnels et « écrans sont autant de bulles qui organisent des types
de regard, des formes de relation qui sont autant de formes de sociabilité ». O. Mongin se demande alors
« pourquoi cette surconsommation d’images ne produit pas de l’imagination et casse la relation à l’histoire, i.e. à
l’épreuve de la réalité du monde ». Avec la « révolution numérique » on peut tout aussi bien se demander
pourquoi la « surabondance informationnelle » casse la relation à « la nature ».
Pour C. Sunstein [SUN 07] (p. 121), les raisons qui sous-tendent la défense d’une liberté d’expression sans
limite sont à rechercher du côté de la confusion entre consommateur et citoyen :
« Beaucoup de gens semblent penser que la liberté consiste en un respect des choix
de consommation, quels que soient leurs origines et leur contenu. En effet, la source
de cette opinion semble résider dans un immense enthousiasme pour le principe
même de souveraineté du consommateur. D’après celle-ci, l’objectif central d’un
système de libre expression qui fonctionne correctement est de ne mettre aucune
barrière à ces choix. Une conception similaire de la liberté est présente chez ceux qui
chantent les louanges des marchés de communication émergents. »
Le consommateur jouit d’une liberté quasi-totale dans l’expression et l’exercice de ses préférences individuelles.
Pourquoi cette liberté quasi absolue pour exprimer des choix de consommation serait-elle brimée lorsqu’il s’agit
d’exprimer des idées demandent par exemple les opposants à la régulation d’Internet ? Si en démocratie les
choix individuels doivent être respectés, cette liberté d’expression ne va pas sans conditions, de même que la
liberté d’achat ne pourrait se faire librement si le consommateur n’avait pas confiance en un minimum de
garanties sur la qualité et la comestibilité des produits. Pour C. Sunstein, les conditions de garantie de notre
liberté comprennent non seulement le respect de nos choix individuels et la satisfaction de nos préférences, mais
aussi la libre formation de nos désirs et de nos croyances. Pour cela, un peuple doit pouvoir garantir l’exposition
de ses citoyens à une information riche et variée ; et pour l’auteur, cette garantie de liberté ne peut exister dans
un système qui favorise le Daily Me. On peut se demander dans quelle mesure les technologies d’un
psychopouvoir permettant de profiler les consommateurs à outrance n’empêche pas cette libre formation des
désirs des citoyens.
13
4. Conclusion
Nous avons tenté dans cet article de montrer en quoi les TIC peuvent constituer un danger pour la démocratie.
Intuitivement, c’est l’opinion contraire qui prédomine, tant il est vrai que les blogs par exemple ou les réseaux
sociaux peuvent être des vecteurs de mobilisation favorables au débat citoyen voir porteurs d’inclusion sociale
15
.
Dans les pays où la démocratie est fragile ou absente comme en Chine, on trouve des blogs qui sont de véritables
bouffées d’oxygène pour les citoyens et qui contribuent à démocratiser leur société
16
. Il existe également de
nombreux blogs citoyens traitant du développement durable, y compris en langue française et portant un regard
critique sur le sujet
17
.
Néanmoins, tout développement technologique est porteur de risques qu’il faut analyser, comme l’ont par
exemple fait [PLE 02] et [GOS 09] à propos des impacts écologiques de ces technologies à l’image pourtant très
« verte » [DEL 10]. Nous avons exploré dans cet article un aspect peu étudié dans la littérature et qui a trait à
l’influence néfaste que peuvent avoir les TIC sur l’émergence des problèmes publics, première étape dans la
construction d’une politique publique. Les TIC peuvent tout d’abord contribuer au blocage du processus de
subjectivation qui nous permet de penser par nous-mêmes, ce qui affaiblit notre regard critique sur le monde qui
nous entoure. Ensuite, elles tendent à renforcer l’appariement sélectif et le cocooning informationnel
défavorables à la démocratie délibérative, qui nécessite le maintien d’une grande variété de sources
d’information et une diversité dans les échanges d’opinions. Sans cela, le risque de « balkanisation » de la
société est non négligeable, y compris avec la diffusion croissante des TIC comme l’ont suggéré L. Adamic et N.
Glance [ADA 05] dans le cadre des élections américaines.
Enfin, la numérisation des rapports sociaux
18
présente également un risque d’enfermement dans une bulle
numérique, qui pourrait conduire à une altération du sentiment de responsabilité
19
dont nous avons grand besoin
pour faire face aux grands défis sociaux et environnementaux de ce début de 21
ème
siècle. Il convient donc
d’approfondir l’analyse de ces risques sociétaux d’étouffement de l’émergence des problèmes publics liés aux
TIC, et d’explorer les voies permettant d’éviter ces risques. Ceux liés aux atteintes à la vie privée peuvent par
exemple être pris en compte dès la conception de la technologie, comme cela est fait avec la protection de la vie
privée par les méthodes de « privacy by design »
20
. Les plus farfelus rêvent déjà d’un algorithme de moteur de
recherche qui générerait de la diversité informationnelle plutôt que des résultats qui varient comme aujourd’hui
en fonction du profil de chaque internaute…
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18
Notes :
1
. Voir par exemple [KAL 11] et [WIE 07].
2
. Pour une discussion sur la définition des TIC, voir H. Breuil et al. [BRE 09], p. 11.
3
. Voir http://www.itu.int/ITU-D/ict/statistics/.
4
. Voir e.g. le rapport du GeSI [GES 08].
5
. Sur les impacts environnementaux des TIC, voir les travaux d’A. Plepys [PLE 02].
6
. Par exemple, D. Cefaï [CEF 96] donne l’exemple de l’arène judiciaire où juges, procureurs, avocats, experts s’expriment
publiquement. Leur connaissance des textes juridiques, ainsi que leurs savoir-faire tactiques et ayant trait au déroulement
de l’instruction et de l’audience, les modes de raisonnement, de délibération, de jugement, et de décision pour produire
une version judiciaire.
7
. Voir les travaux critiques du sociologue Laurent Mucchielli sur la construction des statistiques sur la violence et la
délinquance en France : http://www.laurent-mucchielli.org.
8
. Voir par exemple [SCH 08], [AND 09], [STU 09], [GRE 09], [LEV 10], [MOM 08], [ROB 10], [SOU 08].
9
. Voir par exemple [BEN 02], [BEN 05], [BEN 06], [WOJ 05], [OLI 03], et [HAE 09].
10
. Pour une analyse plus récente des logiques organisationnelles et sociales d’adhésion à l’UMP, voir [HAE 09].
11
. Voir http://www.kff.org/entmedia/entmedia012010nr.cfm.
12
. Cette réduction caractérise un « Mécanisme par lequel l’individu modifie son jugement pour s’adapter à une situation de
conflit. La dissonance cognitive a été formulée la première fois en tant que théorie par Léon Testinger (1957) ». Source des
définitions : Académie Française, http://atilf.atilf.fr.
13
. Popularisé par le fondateur du Media Lab du MIT Nicholas Negroponte, ce journal virtuel est personnalisé pour répondre
aux goûts de chaque lecteur.
14
. Voir par exemple http://quartiernumerique.org.
15
. Voir par exemple [ZAP 10].
16
. Voir par exemple le blog du célèbre Han Han, présenté notamment dans
http://www.courrierinternational.com/article/2010/03/18/300-millions-de-chinois-et-moi.
17
. Voir par exemple : http://www.leblogdudd.fr.
18
. Voir à ce sujet [CAS 10].
19
. Voir [REB 11].
20
. Voir à ce sujet [CAV 10], [CHU 09], [DAT 01], [FIS 01], [SHA 10].